La zététique consiste à questionner les raisons pour lesquelles nous pensons que quelque chose est vrai.

Enquête sur une alliance douteuse entre la start-up Remedee Labs et le laboratoire pharmaceutique UPSA autour d’un bracelet censé soulager la douleur chronique grâce aux ondes millimétriques.

 

Une promesse alléchante

Soulager la douleur chronique sans médicament, grâce à un simple bracelet porté au poignet : voilà la promesse de Remedee Labs, une start-up française créée en 2016. Son produit phare, le bracelet Remedee, propose un dispositif de neuromodulation par ondes millimétriques (OMM), censé stimuler la production d’endorphines pour réduire la douleur. Pour renforcer sa crédibilité, Remedee a conclu un partenariat avec UPSA, un des laboratoires les plus réputés du paysage pharmaceutique français. L’appareil, présenté initialement comme un produit de bien-être, a obtenu depuis 2024 le marquage CE pour l’indication fibromyalgie, et depuis avril 2025 pour l’arthrose, ce qui en fait un dispositif médical de classe IIa en Europe. Ce marquage CE ne constitue toutefois pas une validation de son efficacité clinique par la communauté scientifique : il signifie simplement que le produit répond à certaines exigences de sécurité et de performance déclarative. Il est proposé à la location pour 49,90 euros par mois. Le changement de statut en dispositif médical, quoique significatif sur le plan réglementaire, n’a pas été accompagné de publications évaluées par les pairs venant valider son efficacité thérapeutique.

 

Une technologie aux fondements scientifiques chancelants

Le bracelet Remedee revendique l’héritage de la thérapie par ondes millimétriques, une pratique expérimentée dans les années 1970 en URSS et peu à peu tombée dans l’oubli. Selon la brochure de l’entreprise, les OMM stimuleraient les terminaisons nerveuses sous-cutanées, ce qui induirait une production d’endorphines et d’autres neuromédiateurs (dopamine, sérotonine), avec un effet antalgique durable.

Pour étayer ces affirmations, Remedee cite quelques publications scientifiques, toutes anciennes, peu reconnues, et issues de journaux marginaux :

  • Une étude de Usichenko et al. (2006)[1], parue dans Evidence-Based Complementary and Alternative Medicine, conclut prudemment à un effet hypoalgésique potentiel des OMM. Cette revue a depuis été exclue du Web of Science pour manque de rigueur dans son processus de relecture.
  • Une autre étude (Usichenko et al., 2003)[2] est publiée dans Acupuncture & Electro-Therapeutics Research, périodique à la ligne éditoriale ouvertement orientée vers les médecines alternatives.
  • Un troisième papier (Alekseev et al., 2010)[3] observe une modification de l’activité nerveuse chez la souris, mais ne permet aucune conclusion sur les effets cliniques chez l’humain.

Aucune de ces publications ne constitue une preuve robuste d’efficacité. Le principal auteur, Taras Usichenko, a depuis cessé toute publication sur les OMM, se consacrant à l’acupuncture.

 

Un récit théorique hors sol

Une stratégie marketing déconnectée des preuves disponibles

La stratégie de communication de Remedee Labs s’appuie sur un discours technoscientifique séduisant, en mobilisant des concepts biomédicaux légitimes (endorphines, modulation parasympathique, plasticité neuronale) pour habiller un dispositif dont l’efficacité clinique n’a jamais été démontrée. Le livre blanc de l’entreprise (2020) en est un parfait exemple : il consacre vingt pages à exposer le rôle physiologique des endorphines et leur lien théorique avec la douleur ou le sommeil, mais sans jamais apporter la preuve que le bracelet Remedee permet effectivement de déclencher ces effets.

Les rares résultats expérimentaux présentés dans ce document concernent l’étude interne Remedee 0, conduite sur 10 volontaires sains. Celle-ci ne montre aucun effet significatif sur la douleur, et les auteurs eux-mêmes reconnaissent une variabilité trop élevée pour tirer des conclusions robustes.

Le dispositif est pourtant commercialisé à grande échelle, alors même que Remedee revendique vouloir démontrer son efficacité dans de futurs essais toujours en cours. Ce décalage entre la rhétorique de la preuve et la réalité des données disponibles constitue un manquement éthique majeur.

Remedee revendique en outre une capacité à réduire les besoins en opioïdes, et à fournir une alternative sûre à ces médicaments. Si la crise des opioïdes est bien réelle et dramatique, elle ne justifie en rien de promouvoir des solutions dont l’efficacité n’a pas été rigoureusement démontrée. La substitution rhétorique des opioïdes par la promesse endorphinique relève ici d’un storytelling opportuniste, non d’un progrès thérapeutique fondé sur les faits.

 

 

Une couverture médiatique complaisante

Fait notable : malgré la faiblesse des preuves, Remedee Labs a bénéficié d’une couverture médiatique largement favorable. De nombreux articles de presse et interventions télévisées ont présenté le bracelet comme une innovation technologique prometteuse, sans jamais interroger la robustesse scientifique des études citées.

Par exemple, en 2023 l’émission Télématin sur France 2 a diffusé un reportage intitulé « Santé – Cadeau “bien-être” : tous efficaces ? » qui valorise le bracelet Remedee comme une alternative douce contre la douleur chronique, sans aucune mise en perspective critique.

Sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, un sujet sur l’arthrose mettait en avant le bracelet comme une solution innovante, en lien avec une étude conduite au CHU de Grenoble, sans mention des limites méthodologiques ni du statut non médical du dispositif (France 3 ARA, 2023, extrait consulté via https://remedeelabs.com/presse/).

Aucun journaliste n’a, à ce jour, mené d’enquête critique sur le produit, son efficacité ou son modèle économique. Cette absence de contradiction publique a contribué à valider implicitement la communication de l’entreprise, en entretenant l’idée d’un consensus scientifique inexistant. Le relais médiatique sans contre-expertise alimente ainsi un engouement qui précède la preuve. À ce jour, aucune de ces apparitions médiatiques ne s’est accompagnée d’un débat contradictoire sur l’efficacité du dispositif, ni d’une interrogation sur l’absence de publication scientifique dans des revues à comité de lecture.

Une absence de progrès qui interroge

Remedee Labs affirme depuis plusieurs années être engagée dans un programme actif de recherche clinique. Pourtant, près de neuf ans après sa création, aucun essai publié dans une revue scientifique évaluée par les pairs ne vient confirmer les promesses initiales. Les études FIBREPIK et EPIKARTHROSE, maintes fois mises en avant, n’ont toujours pas fait l’objet d’une publication formelle. Quant au programme de recherche évoqué dès 2020 dans le livre blanc de l’entreprise, il semble n’avoir produit aucun résultat public exploitable.

L’entreprise met pourtant en avant, depuis 2024, l’obtention du marquage CE pour l’indication « fibromyalgie », et depuis avril 2025 pour la douleur liée à l’arthrose. Ces certifications lui permettent de présenter son bracelet comme un dispositif médical en Europe. Mais ces marquages ne constituent pas une preuve d’efficacité validée par la communauté scientifique — ils signifient simplement que le produit respecte des exigences réglementaires de sécurité et de performance déclarative.

Aucune des études cliniques à l’origine de ces autorisations n’a été publiée à ce jour dans une revue scientifique évaluée par les pairs, et l’entreprise ne donne aucun calendrier ni engagement ferme à ce sujet.

Cette inertie scientifique contraste avec la continuité de la commercialisation du produit, la prolifération des supports marketing, et le déploiement de partenariats industriels comme celui conclu avec UPSA. En 2025, la communication repose encore sur un petit noyau d’études expérimentales datant de plus de vingt ans, et sur des schémas physiologiques hypothétiques autour des endorphines.

Le site de Remedee Labs continue de promettre des résultats à venir et des études en cours, sans calendrier transparent ni engagement à publier dans des revues indépendantes. Cette opacité dans le suivi scientifique constitue un signal d’alerte fort pour tout acteur de santé ou pour tout patient en quête d’arguments fondés.

 

UPSA, caution déroutante

Depuis 2023, Remedee Labs a reçu le soutien d’UPSA, filiale du groupe japonais Taisho. Cette entreprise historique, célèbre pour ses médicaments comme l’Efferalgan ou le Dafalgan, offre à la start-up une caution redoutablement efficace : celle d’une grande entreprise pharmaceutique.

Mais ce soutien pose question : pourquoi un laboratoire aussi réputé accepte-t-il de promouvoir un dispositif non homologué, aux preuves scientifiques aussi faibles ? UPSA se positionne-t-il comme simple diffuseur de produits de bien-être ou tente-t-il de s’ouvrir au marché juteux des douleurs chroniques sans passer par la rigueur des essais cliniques ?

La même interrogation vaut pour le comité scientifique affiché par Remedee Labs, composé de médecins hospitaliers, chercheurs et spécialistes du système nerveux. À première vue, ces personnalités semblent apporter une caution légitime à l’entreprise. Mais leur simple présence ne constitue pas un gage de validation scientifique. Aucune de ces personnes n’est, à ce jour, co-auteur d’une publication évaluée par les pairs démontrant l’efficacité du bracelet. L’effet de halo conféré par ces noms, même compétents dans leur domaine, ne remplace pas une preuve clinique publiée. Leur rôle exact dans la conception des études, l’interprétation des résultats ou la validation des mécanismes d’action reste opaque.

Cette instrumentalisation possible d’un comité scientifique à visée de communication mérite d’être interrogée : s’agit-il d’un engagement rigoureux ou d’un simple vernis d’expertise ?

 

Une clientèle vulnérable, un modèle lucratif

Le bracelet Remedee ne se vend pas : il se loue, 49,90 euros par mois. Cette formule d’abonnement crée une rente durable pour l’entreprise. La brochure tarifaire de janvier 2023 précise que toute perte, vol ou non-restitution du bracelet entraîne une pénalité de 249,90 €, soit cinq mois de location. Même sans engagement, ce modèle repose sur des mécanismes financiers coercitifs, mal connus des patients. Des frais de retard, d’impayés ou de remplacement peuvent rapidement rendre cette solution coûteuse, voire dissuasive pour les personnes les plus vulnérables.【source : remedee Brochure-Tarifaire-23012023.pdf】.

L’abonnement inclut également un « coaching santé » et l’accès à une communauté en ligne, sans que la qualification du personnel encadrant, ni la portée réelle de ce suivi ne soient détaillées. EN avril 2024, ils revendiquaient plu de 5000 abonnés (source).

Les témoignages enthousiastes publiés sur le site de Remedee relèvent du marketing classique. Rien n’y permet de distinguer un effet spécifique de l’appareil d’un effet placebo puissant, très documenté dans les douleurs chroniques (Cormier et al., 2016)[4].

Une dérive de la médecine vers le bien-être pseudo-thérapeutique

Ce cas est emblématique d’une tendance alarmante : l’adoption par l’industrie pharmaceutique de dispositifs présentés comme innovants, mais sans assise scientifique sérieuse. Dans le cas de Remedee, la rhétorique médicale masque mal l’absence de validation. L’ambiguïté entretenue entre « prise en charge globale » et traitement d’une pathologie laisse le public mélanger les registres.

Les autorités de santé et les ordres professionnels devraient s’alarmer de ce glissement. L’exploitation d’une clientèle en souffrance avec un dispositif non validé, adoubé par un grand nom de la pharmacie, devrait avoir attiré l’attention des professionnels de l’éthique médicale.

 

Conclusion

Remedee Labs commercialise un dispositif aux promesses non prouvées, fondé sur une théorie biologique incertaine, validé par aucune publication scientifique solide. Le soutien d’UPSA brouille les lignes entre soin et bien-être commercial. Les douleurs chroniques méritent mieux que des gadgets loués au mois.

Il est urgent de rappeler que toute allégation médicale doit être fondée sur des preuves. Sinon, il ne s’agit pas de médecine, mais de marketing.

Contacté, Remedee Labs, n’avait pas donné suite à mon message au moment de publier cet article. Remedee Labs ou UPSA peuvent exercer leur droit de réponse à ce texte. Tout échange contradictoire sera le bienvenu.
Acermendax

Références

[1] Usichenko TI, Edinger H, Gizhko VV, Lehmann C, Wendt M, Feyerherd F. (2006) Low-intensity electromagnetic millimeter waves for pain therapy. Evid Based Complement Alternat Med. (2):201-7. doi: 10.1093/ecam/nel012. Epub 2006 Apr 24. PMID: 16786049; PMCID: PMC1475937. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/16786049/

[2] Usichenko TI, Ivashkivsky OI, Gizhko VV. (2003) Treatment of rheumatoid arthritis with electromagnetic millimeter waves applied to acupuncture points–a randomized double blind clinical study. Acupunct Electrother Res.;28(1-2):11-8

[3] Alekseev SI, Gordiienko OV, Radzievsky AA, Ziskin MC. (2010) Millimeter wave effects on electrical responses of the sural nerve in vivo. Bioelectromagnetics.

[4] Cormier, Stéphanie; Lavigne, Geneviève L.; Choinière, Manon; Rainville, Pierre. Expectations predict chronic pain treatment outcomes. PAIN 157(2):p 329-338, February 2016. | DOI: 10.1097/j.pain.0000000000000379

 

Les discours trompeurs ne cherchent pas d’abord à nous convaincre. Ils cherchent à nous activer. À déclencher une émotion qui court-circuite notre vigilance. À court-circuiter la pensée critique en se branchant directement à ce qu’il y a de plus vif en nous : notre colère, notre dégoût, notre peur, notre indignation. C’est ainsi que fonctionne la manipulation : non pas en nous faisant réfléchir, mais en nous faisant réagir.

La complosphère, les campagnes de harcèlement, les controverses toxiques en ligne… toutes obéissent à cette même dynamique. Une mécanique bien rodée où l’on nous offre des ennemis désignés, des boucs émissaires déjà coupables, des coupables qu’il devient presque délicieux de détester. On nous dresse un tableau en noir et blanc, où il n’y aurait plus que deux camps : les bons d’un côté (les “réveillés”, les “justes”, les “lanceurs d’alerte”), et les méchants de l’autre (les “vendus”, les “traîtres”, les “corrompus”, les “malades mentaux”).
Le piège, c’est celui du manichéisme. L’abandon des nuances. L’extinction de la métacognition. Le triomphe du biais partisan, qui nous pousse à préférer la loyauté à la vérité.

Face à cela, il n’y a qu’un antidote : la pensée critique. Pas celle qui consiste à “penser contre”, ou à tout suspecter. Celle qui consiste à ralentir le train de nos inférences. À poser des questions. À douter avec mesure.

 

Voici quelques conseils simples pour éviter de devenir les jouets d’une communication qui méprise le réel

 

  1. Suspendons notre jugement.
    Ne nous fions jamais à une version des faits sans comprendre le contexte et les enjeux. Un conflit a toujours une histoire. Et nous ne comprenons jamais bien une situation si nous n’en connaissons qu’une version.
  2. Analysons la logique derrière l’émotion.
    Un récit bouleversant n’est pas nécessairement un récit vrai. Demandons-nous : que nous dit-on précisément ? Quelles sont les prémisses ? Y a-t-il des incohérences ? Des omissions ? Ce qui ne colle pas est souvent la clé pour sortir d’un piège narratif.
  3. Revenons aux faits.
    Ne nous contentons pas de la version résumée, indignée, amplifiée. Que savons-nous exactement de ce qui a été dit, fait, décidé ? Qui cite qui ? Où ? Dans quel contexte ? Ce travail demande du temps, mais c’est celui de l’honnêteté intellectuelle.
  4. Prenons le temps d’évaluer la source
    Celui ou celle qui s’adresse à nous a-t-il ou elle déjà manipulé l’opinion ? Déformé des propos ? Lancé de fausses accusations ? À l’inverse, si cette personne est connue pour sa rigueur, sa prudence, sa capacité à sourcer et à démontrer, il est raisonnable de lui accorder plus de crédit. C’est du bayésianisme élémentaire.
  5. Ne nous précipitons pas sur les récits à chaud
    Ceux qui ont vraiment été témoins d’un événement savent à quel point il est difficile de raconter “la vérité” dans l’instant. La narration nécessite du recul. Les récits les plus fiables arrivent souvent après les emballements.
  6. Soyons lucides face à l’effet de groupe.
    Plus une idée est reprise, likée, relayée, plus elle peut nous sembler crédible. C’est le biais de popularité. Mais la vérité n’est pas une affaire de votes. Ne confondons pas viralité et véracité.
  7. Soyons attentifs à notre propre tentation de haïr
    La haine partagée est un ciment puissant. Elle donne une sensation d’unité, de cohérence, d’identité collective. Mais elle peut aussi être le carburant du mensonge. Demandons-nous : cherchons-nous à comprendre ce qui est vrai… ou à savourer notre rôle de justicier ?

 

La zététique n’est pas une posture froide ou désengagée. C’est un effort. Celui de ne pas se laisser tirer par le col vers la pente savonneuse de l’adhésion irréfléchie. C’est choisir de penser plutôt que de réagir.

Ce n’est pas la gratification rapide du confort des certitudes qu’on y trouve, mais quelque chose de plus exigeant : de la dignité, de la responsabilité, et de la liberté.

Chacun d’entre nous peut commencer à croire un récit, une théorie, une version qui résonne à la fréquence de nos priorités, de nos émotions, de nos valeurs… mais qui n’a que des liens très distendus avec la réalité. La vraie force consiste à le reconnaître et à savoir quand une remise en question s’impose.

 

Acermendax

 

Jean-Marc Sabatier a réagi à notre article du 29 mai dans un commentaire qu’il qualifie de « droit de réponse ». Nous lui en savons gré : cela permet d’expliciter plusieurs éléments qui méritent, à l’évidence, d’être précisés, confirmés, ou corrigés — notamment lorsque ce « droit de réponse » s’avère mensonger, lacunaire ou trompeur.

Voici donc, point par point, une réponse appuyée sur les faits.

 

NB : le complotiste Salim Laïbi est venu expressément exiger que ce droit de réponse soit publié. Qui se ressemble… [Pour voir qui est ce Salim Laïbi]

 

 

 

Droit de réponse

Bonjour,

Ce texte est truffé de mensonges :

1. Je ne suis pas membre du « Conseil Scientifique Indépendant » (je ne l’ai jamais été) ;
2. C’est Karl Zero qui a cité « la bombe à neutrons » dans une interview, pas moi ;
3. Je n’ai jamais dit qu’il y avait du graphène activé par ultrasons dans le vaccin ;
4. Je n’ai jamais été invité par « Children Heath Defense Europe » ;
5. Je n’ai jamais ouvert de cagnotte de ma vie, ni demandé à quelqu’un de le faire pour moi ;
6. Je n’ai pas co-fondé Onis, ni eu des parts de la société. Mon épouse a vendu ses propres parts aux fondateurs 10 mois après la création (achetées 700 euros à la création de la société fin 2023).
7. Je n’ai jamais rétracté un article, sur les 280 articles publiés (c’est Wiley qui a rétracté un article dont j’étais co-auteur, sans le consentement des auteurs. Les coauteurs iraniens ont porté plainte à Wiley et leur université pour que cet article soit républié).

Voilà, vous enlevez ça et votre article mensonger est vide….

Jean-Marc SABATIER

 

 

Analyse

  1. Je ne suis pas membre du « Conseil Scientifique Indépendant » (je ne l’ai jamais été) ;

C’est exact : notre article ne dit pas que Jean-Marc Sabatier est « membre » du CSI. Il est invité récurrent de cette structure, ce qui suffit à établir une proximité idéologique et un engagement dans sa diffusion.

On retrouve ses interventions notamment :

  • le 14/10/2021
  • le 08/06/2023
  • le 08/05/2024
  • le 10/10/2024

Cf. archives vidéo, par exemple ici : https://x.com/AlexSamTG/status/1860676709940347106

Le CSI est répertorié par Conspiracy Watch comme une « centrale de désinformation antivax » liée à Réinfocovid de Louis Fouché : Conspiracy Watch (2023). Notice – Conseil Scientifique Indépendant. https://www.conspiracywatch.info/notice/conseil-scientifique-independant-csi Sabatier ne conteste pas cette qualification. Il cherche seulement à dissimuler son rôle actif dans ce réseau.

  1. C’est Karl Zero qui a cité « la bombe à neutrons » dans une interview, pas moi ;

Le propos est capté dans cette séquence.

C’est bien Karl Zéro qui prononce l’expression « bombe à neutrons ». Mais la réaction immédiate de JM Sabatier est sans équivoque :

« Oui, c’est la pire de toutes. »

Autrement dit, il valide cette analogie — délirante — qui compare les vaccins Covid-19 à une arme de destruction massive. En langage clair : il renforce le message, il ne le corrige pas.

 

  1. Je n’ai jamais dit qu’il y avait du graphène activé par ultrasons dans le vaccin ;

C’est factuellement faux.

Lors de son passage chez Karl Zéro (12 octobre 2024), Jean-Marc Sabatier déclare :

« Ce qui est dangereux avec ce type de vaccin à point quantique de graphène à ARN messager,, c’est qu’ils peuvent être activés par des ultrasons, par la lumière, et par des champs magnétiques. Ca veut dire que quelqu’un d’externe peut, suivant la stratégie adoptée, activer plus ou moins ces points quantique de graphène, par exemple par des champs magnétique. Des champs magnétiques vous pouvez en avoir avec la 5G, les antennes 5G, avec plein de choses hein ? (…) ça serait plutôt les apprentis démons, oui. »

Ce type d’énoncé relève de la désinformation techno-complotiste, comparable à des narratifs issus de la mouvance QAnon ou de « Plandemic ». Aucune base scientifique ne justifie de telles affirmations.

 

  1. Je n’ai jamais été invité par « Children Heath Defense Europe » ;

C’est une formulation habile, mais trompeuse.

Jean-Marc Sabatier a bel et bien participé à un événement public organisé par la présidente de Children’s Health Defense Europe, Senta Depuydt.

  • La vidéo de cet événement, publiée en ligne, montre Jean-Marc Sabatier intervenant aux côtés de Senta Depuydt, qui le présente dans un cadre militant explicitement antivax et conspirationniste. La vidéo est ici https://crowdbunker.com/v/BXxGdAzbin
  • Senta Depuydt ne se présente pas comme une simple citoyenne, mais comme présidente de CHDE, y compris dans le cadre de ses invitations et prises de parole publiques.
  • La structure de la rencontre, le contenu du discours et les autres intervenants (issus du réseau international de CHD) confirment qu’il s’agit d’un événement lié directement à l’univers de CHDE.

 

Children’s Health Defense est l’une des principales sources mondiales de désinformation sanitaire, identifiée comme telle par plusieurs instances majeures. Le Center for Countering Digital Hate (CCDH) la place dans le « Disinformation Dozen », un groupe de douze personnalités responsables de la majorité des contenus antivaccins diffusés sur les réseaux sociaux durant la pandémie (CCDH, 2021). L’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans ses travaux sur l’« infodémie », identifie des structures telles que Children’s Health Defense comme des acteurs majeurs de confusion publique et d’érosion de la confiance envers les vaccins et les autorités sanitaires (WHO, 2020).

 

Sources :

 

  1. Je n’ai jamais ouvert de cagnotte de ma vie, ni demandé à quelqu’un de le faire pour moi ;

Je renvoie les lecteurs vers l’article qui ne prétend pas que JM Sabatier ait lui-même ouvert des cagnottes pour récolter un argent utilisé par des personnes potentiellement malades pour acheter les produits dont il fait la réclame.

Ceci étant, la réponse de JM Sabatier appelle à un complément d’information. Jean-Marc Sabatier dispose d’une page de dons via Buy Me A Coffee : (voir ici). Cette plateforme permet de recevoir de l’argent pour financer ses activités. C’est, en tout point, l’équivalent d’une cagnotte — qu’il en soit l’initiateur ou le bénéficiaire. Il ne s’agit donc pas seulement d’un « soutien de sa communauté », mais d’un mécanisme d’appel au don public.

Son mensonge est objectivement réfutable.

 

  1. Je n’ai pas co-fondé Onis, ni eu des parts de la société. Mon épouse a vendu ses propres parts aux fondateurs 10 mois après la création (achetées 700 euros à la création de la société fin 2023).

C’est en partie vrai, et totalement problématique.

Les documents juridiques disponibles sur pappers.fr indiquent que Stéphanie Mouhat (alias Sabatier), épouse et ancienne doctorante de Jean-Marc Sabatier, était associée fondatrice de la société ONIS Vitalité, qui commercialise des produits explicitement adossés à ses thèses (le « protocole Sabatier »). Le fait qu’elle ait revendu ses parts 10 mois après la création ne change rien à la situation initiale de conflit d’intérêts.

D’autant que, pendant ces 10 mois :

  • JM Sabatier a activement fait la promotion des produits ONIS
  • ONIS a ciblé des publics vulnérables, notamment en lien avec la communauté complotiste “Alliance Humaine” et des rassemblements de type Domaine Arc-en-Ciel

Le lien entre Sabatier et ONIS est économique, idéologique et opérationnel, même s’il se cache derrière son entourage.

 

 

  1. Je n’ai jamais rétracté un article, sur les 280 articles publiés (c’est Wiley qui a rétracté un article dont j’étais co-auteur, sans le consentement des auteurs. Les coauteurs iraniens ont porté plainte à Wiley et leur université pour que cet article soit républié).

Personne ne lui attribue une rétractation volontaire — et c’est précisément le problème.

Un article co-signé par Jean-Marc Sabatier a été rétracté par l’éditeur Wiley en juillet 2023 pour manipulation du processus de relecture par les pairs : Retraction notice: Health Science Reports. (2023). Retraction statement: Impact of COVID‐19 pandemic on vaccination coverage of children and adolescents. https://doi.org/10.1002/hsr2.1452. C’est une rétractation officielle. Les co-auteurs iraniens peuvent bien protester : cela ne change rien à la décision scientifique prise par un éditeur respecté, ni à son fondement.

Sabatier essaie ici de tordre les mots. L’étude est rétractée. Il est co-auteur. C’est un fait, pas une opinion.

 

Conclusion

Le « droit de réponse » de Jean-Marc Sabatier contient plusieurs contre-vérités flagrantes, des omissions gênantes et une tentative d’inversion de la charge morale. En niant des faits documentés, il s’enfonce davantage.

Le problème de fond reste entier : Jean-Marc Sabatier mobilise son statut de chercheur pour diffuser des théories scientifiquement infondées, idéologiquement toxiques et commercialement intéressées, dans une logique qui relève à la fois de la désinformation et du charlatanisme.

Et le mutisme des tutelles scientifiques (CNRS, Aix-Marseille Université) reste, lui aussi, une faute structurelle que nous continuerons de dénoncer.

 

 

Acermendax – Alexander Samuel – Laurent Foiry – Yogina
Article rédigé à partir d’une enquête réalisée par Alexander Samuel, Yogina, et Laurent Foiry.

Parmi les figures les plus controversées de la désinformation scientifique française apparues durant la pandémie de Covid-19, Jean-Marc Sabatier incarne une dérive particulièrement inquiétante : celle d’un chercheur en biologie à l’aura institutionnelle intacte, malgré une accumulation de manquements éthiques, de conflits d’intérêts flagrants et d’activités à la frontière du charlatanisme.

 

Le scientifique qui réécrit les règles de la science

Jean-Marc Sabatier est, sur le papier, un chercheur habilité à diriger des recherches (HDR), longtemps membre de l’équipe CNRS UMR 7051. Son statut d’éditeur en chef de journaux scientifiques comme Coronaviruses et Journal of Current Toxicology and Venomics, ainsi que son rôle d’éditeur associé à Frontiers in Pharmacology et au Journal of Advanced Research, lui confèrent une authentique crédibilité. Cette position éditoriale dans plus de 70 journaux scientifiques lui permet de publier des théories spéculatives sous l’apparence de la rigueur académique.

Car derrière cette façade respectable se cache un activisme pseudo-scientifique qui a progressivement migré vers les marges les plus radicales du discours antivaccinal et complotiste.

Dès 2021, Sabatier développe une théorie centrale selon laquelle le système rénine-angiotensine, dépendant du récepteur ACE2 par lequel le SARS-CoV-2 infecte les cellules, serait la cause unique de presque toutes les pathologies connues, du cancer au Covid long. Cette vision réductionniste, qui voit dans la dérégulation de ce système la source de cancers, myocardites et autres pathologies graves, s’appuie sur un langage très spéculatif, utilisant des cascades moléculaires qui pourraient théoriquement se dérouler dans un organisme, mais sans aucune démonstration pratique expérimentale. Cette extrapolation hasardeuse, non validée par les pairs, devient le socle d’une production éditoriale prolifique… dans ses propres revues, qu’il contrôle et oriente à sa guise.

 

La descente vers le complotisme

La pandémie de Covid-19 marque un tournant dans la carrière de Sabatier. En collaboration avec Jacques Fantini, proche de Didier Raoult, il commence à promouvoir des traitements « miracles » sur le site complotiste InfoduJour. Ce média, créé par Marcel Gay, Denis Robert et Thierry Gadault, publiera plus d’une centaine d’articles mentionnant les théories de Sabatier sur la vitamine D et le système rénine-angiotensine.

Le chercheur rejoint rapidement le « conseil scientifique indépendant » [Edit : il intervient régulièrement, sans toutefois devenir ‘membre’], une véritable centrale de désinformation autour du SARS-CoV-2, initié par le réseau Réinfocovid. Ses interventions chez des figures comme Karl Zero révèlent l’ampleur de sa dérive : il y compare les vaccins contre le Covid-19 à une « bombe à neutrons », évoque une « explosion de fausses couches » et prétend que les vaccins contiendraient du graphène activable par ultrasons.

Sabatier n’hésite pas à évoquer publiquement des théories de dépopulation. Interrogé par Brice Perrier sur ses propos chez Karl Zero suggérant que les vaccins « pourraient s’inscrire dans un projet de dépopulation », il maintient ses positions en déclarant qu’il s’agit d’un « produit très délétère » ayant « battu tous les records » d’effets secondaires. Invité par Children’s Health Defense Europe, il commente : « Est-ce que c’est une histoire de dépopulation ou quelque chose comme ça ? En tous cas, ça questionne. »

 

Un réseau d’intérêts troublants

L’analyse des liens de Sabatier révèle un enchevêtrement d’intérêts personnels et commerciaux qui jette un doute sur l’objectivité de ses prises de position. En décembre 2023, il cofonde ONIS Vitalité avec Damien Flusin (30%), Stéphanie Sabatier (20%), Romain Flusin (23%) et Camille Binder (27%). Cette entreprise développe son marketing autour du « protocole Jean-Marc Sabatier » contre le Covid long.

Stéphanie Sabatier, qui n’apparaît qu’une seule fois sous ce nom dans les documents officiels (ailleurs dénommée Stéphanie Mouhat), est son ancienne thésarde. Professeure des écoles depuis 2018, elle continue néanmoins à publier dans des journaux scientifiques avec une affiliation au cabinet médical EFFE, dirigé par Etienne François et Emmanuelle Faucon-Ledard – cette dernière étant la sœur de Jean-Marc Sabatier. Le couple partage le même domicile, une propriété située dans un cadre résidentiel privilégié, et Stéphanie se fait régulièrement l’écho des théories de son compagnon sur les réseaux sociaux.

 

Des partenariats révélateurs

Les partenariats d’ONIS Vitalité éclairent les réseaux dans lesquels évolue désormais Sabatier. L’entreprise n’hésite pas à recruter sur le réseau de l’Alliance humaine, une communauté complotiste créée autour de la mouvance QAnon en 2020 par Antoine Cuttita. Elle s’associe également au site e-commerce « Au Bon Sens », co-exploité par Xavier Poussard (connu pour avoir lancé la rumeur selon laquelle Brigitte Macron serait un homme) et Alain Soral.

Plus préoccupant encore, ONIS Vitalité était initialement partenaire du domaine de l’Arc-en-Ciel de Kevin Lomberget, qui organise des congrès de naturopathie réunissant de nombreux désinformateurs : Henri Joyeux, Jérémie Mercier, Christian Tal Schaller, Christian Perronne, Louis Fouché, Vincent Pavan, Michel de Lorgeril, Alexandra Henrion-Caude, Jean-Dominique Michel, etc. Cette information, supprimée du site web de l’entreprise, figure encore dans le code source de la page.

 

Des publications problématiques

L’analyse de la production scientifique récente de Sabatier révèle des pratiques douteuses. Une de ses publications a été rétractée fin 2024 pour non-respect du processus de relecture par les pairs (source). Une autre, co-signée avec des figures controversées comme Xavier Azalbert de France Soir et Peter McCullough, a fait l’objet de nombreux commentaires critiques sur PubPeer (à voir ici). Le spécialiste Edzard Ernst a également repéré « une étude douteuse dont Jean-Marc Sabatier est co-auteur, proposant de soigner la maladie de Covid-19 avec des plantes ».

 

Une stratégie commerciale cynique

L’exploitation commerciale de la détresse des malades du Covid long révèle peut-être l’aspect le plus cynique de cette affaire. Plutôt que d’offrir gratuitement ses prétendus traitements aux personnes dans le besoin, Sabatier se fait le relai des cagnottes qu’ils ouvrent sur les réseaux sociaux pour se payer ses produits. Une cagnotte de soutien à une malade mentionne explicitement « le parcours de Jean-Marc Sabatier » et son affiliation au CNRS, instrumentalisant ainsi sa légitimité institutionnelle à des fins commerciales.

Ce mélange toxique de recherche familiale, de conflits d’intérêts, d’exploitation commerciale et de dérives idéologiques est particulièrement alarmant. Il ne s’agit plus seulement de fraude intellectuelle, mais d’un véritable système d’auto-promotion scientifique à des fins commerciales.

 

La passivité des tutelles : un silence coupable

En dépit de cette accumulation de casseroles, aucune sanction sérieuse n’a été prise par les tutelles scientifiques. Le CNRS, tout comme Aix-Marseille Université (AMU), a laissé faire. Le nom de Sabatier est encore associé à des publications sur des sites académiques ; il continue d’être invité à des conférences ; ses livres — notamment Covid long et effets indésirables des vaccins, préfacé par Christian Perronne et publié chez Guy Trédaniel, maison connue pour ses publications pseudo-scientifiques — se vendent librement.

Les quelques gestes symboliques (rétraction tardive d’un article, suppression discrète de sa page sur le site de l’INP-AMU) ne sauraient masquer l’essentiel : les institutions scientifiques n’ont pas joué leur rôle de garde-fou. Ni le HCERES, ni le COMETS, ni les comités d’éthique n’ont engagé de procédure sérieuse, malgré des signalements documentés et relayés par la communauté scientifique vigilante.

 

Quand l’inertie devient complicité

Le cas Sabatier révèle un problème systémique : l’inefficacité des mécanismes de contrôle dans la recherche publique française face à des comportements déviants mais bien insérés dans l’appareil institutionnel. Cette inaction a permis à Sabatier de transformer sa légitimité scientifique passée en levier de crédibilité auprès d’un public vulnérable, en mal de repères face à la complexité du discours médical.

En laissant prospérer un tel imposteur, les tutelles académiques portent une lourde responsabilité : elles ont laissé le prestige du CNRS servir de caution à des pratiques frauduleuses, avec un impact délétère sur la confiance dans la science, déjà fragilisée par la crise sanitaire.

 

Des questions se posent

Comment un chercheur peut-il utiliser impunément son affiliation institutionnelle pour promouvoir des théories complotistes et des intérêts commerciaux ? Pourquoi les tutelles restent-elles silencieuses face à une désinformation qui ternit l’image du CNRS et compromet la confiance du public dans la science ? L’impunité est-elle la règle au CNRS et à l’Université d’Aix Marseille ?

 

Documentation

 

Le 13 mai 2025 à Strasbourg, une table ronde s’est tenue à la faculté de médecine et de maïeutique, rassemblant médecins, universitaires, représentants d’associations anti-sectes et promoteurs des médecines dites « complémentaires ». L’affiche promettait un « débat d’idées », un croisement des regards, un exercice d’esprit critique. Ce que l’on a vu était tout autre chose : un exemple criant de confusion intellectuelle, de relativisme scientifique décomplexé, et d’un entrisme pseudoscientifique masqué sous les atours du dialogue. Le tout, dans un amphithéâtre universitaire.

L’Université comme cheval de Troie

Dès l’introduction, le ton est donné : les pratiques non conventionnelles (PSNC) ne sont plus seulement tolérées, elles sont encadrées, universitarisées, “valorisées dans les entreprises”, et – argument massue – plébiscitées par les patients. Le message sous-jacent est clair : si ça plaît, ça se justifie.

Cette inversion des valeurs – où l’adhésion populaire supplante l’évaluation scientifique – est l’un des fils rouges de la soirée. Elle est érigée en légitimité par des figures centrales de l’université, comme le doyen de la faculté de médecine Jean Sibilia, qui affirme sans ciller :

« Interdire de parler des choses dont on n’est pas certain de la valeur scientifique, je ne ferai pas de parallélisme, mais on n’est pas loin de l’autodafé ou presque. »

C’est peu dire que la rhétorique victimaire est bien rodée : ceux qui appellent à la rigueur méthodologique sont associés à l’Inquisition, à l’obscurantisme, voire à une « croyance scientiste » – accusation devenue l’argument-refuge des marchands d’ignorance.


Un grand moment de solitude : l’auriculothérapie et le nerf vague

Il y a eu des moments gênants. Celui du Pr Sibilia restera dans les annales :

« On s’est longtemps moqué de l’auriculothérapie, et aujourd’hui, c’est la science qui le dit, la zone auriculaire est la zone d’expression d’un des plus importants nerfs que l’on a, le nerf vague #10 […]. On effectue des sondes de stimulation de l’oreille externe pour la douleur chronique ou la stimulation de la réponse immunitaire. »

Faux, confus, dangereux.

Ce que Sibilia décrit là, c’est un amalgame entre des techniques médicales validées (neuromodulation du nerf vague) et l’auriculothérapie telle que pratiquée dans les médecines dites alternatives. Le nerf vague n’a pas de branche significative innervant directement le pavillon de l’oreille, sauf un petit rameau auriculaire, le nerf d’Arnold, qui est essentiellement sensoriel.

Les études sérieuses sur la stimulation auriculaire du nerf vague (aVNS) n’ont rien à voir avec l’auriculothérapie « énergétique » de Paul Nogier. Elles utilisent des stimulations électriques contrôlées, dans des cadres cliniques précis, souvent chez des patients souffrant d’épilepsie ou de dépression résistante (Badran et al., 2018 ; Burger et al., 2020). Aucune étude de qualité n’a validé les localisations réflexes de l’oreille utilisées par les auriculothérapeutes. La « cartographie de l’oreille » est au mieux une analogie poétique, au pire une mystification. Faire croire à un continuum entre auriculothérapie et neurostimulation moderne est une manipulation intellectuelle.

L’esprit critique kidnappé

Au long de cette soirée, on nous parle d’esprit critique, mais dans une acception pervertie : non pas l’examen rationnel des données, mais une sorte de doute généralisé contre la science elle-même. Ce n’est pas l’esprit critique, c’est l’auto-immunisation idéologique.

Le psychiatre Fabrice Berna, fer de lance de ce brouillard sémantique, affirme que :

« La médecine conventionnelle n’est que la médecine dominante d’un pays à un moment donné. Ce n’est pas un critère scientifique. »

Cette manière de délégitimer les repères scientifiques en appelant à la “complexité”, à la “subjectivité” ou au “besoin de Care” est une stratégie bien connue : elle affaiblit la capacité de discernement du public, en prétendant qu’il n’y aurait pas vraiment de moyen de faire une distinction claire entre science et croyance. Pour Berna « le concept de Fakemed est une imposture intellectuelle » car il faudrait le réserver aux produits médicamenteux qui ne soignent pas et ne jamais l’employer pour les PSNC qu’il défend ; cette vérité nous est délivrée sans aucun argument. Plus loin, Berna, se porte en défense de la médecine anthroposophique avec un stupéfiant mouvement de nivellement pas le bas : « C’est assez ésotérique, assez difficile à comprendre […], mais vous pouvez trouver des trucs tout autant barrés dans l’homéopathie ou la médecine chinoise. » Oui ! En effet. Et c’est une très bonne raison de ne pas appeler ça de la « médecine ». De toute façon, pour Berna le vrai problème c’est la rigidité intellectuelle de l’occident puisque « Ce débat sur les PSNC pointe le centrisme occidental dans une certaine vision de la médecine basée sur le réductionnisme physico-chimique de Claude Bernard […], une forme de racisme scientifique. »


Entresoi et complaisance

Pascal Ingweiler, directeur de l’école d’ostéopathie de Strasbourg, a tenu plusieurs propos particulièrement douteux, révélateurs à la fois d’une confusion méthodologique profonde et d’une tentative d’enracinement institutionnel de l’ostéopathie au sein du système de santé – malgré l’absence de fondements scientifiques solides. Son intervention, sous des airs de tempérance, est truffée de passages ambigus, faux ou dangereusement rhétoriques :

« La miviludes place l’ostéopathie au même rang que d’autres professions que je respecte énormément  comme la sophrologie, la kinésiologie mais il faut remettre les choses dans leur contexte. (…) Le rapport de la miviludes dit que l’ostéopathie ne repose sur aucun fondement scientifique alors je veux nuancer un peu les choses car on commence à former nos propres chercheurs et c’est vrai que la recherche en ostéopathie est balbutiante » (…) « Les interventions non médicamenteuses, et l’ostéopathie en particulier, ne peuvent être évaluées à l’aide d’une étude randomisée classique. »

Cet argument est classique chez les promoteurs de pratiques non scientifiques. Il consiste à dire que la méthode scientifique est inapplicable à leur domaine, donc que son absence ne devrait pas leur être reprochée. En réalité, de nombreux essais contrôlés randomisés ont été réalisés sur l’ostéopathie, notamment pour les douleurs lombaires – avec des résultats globalement décevants ou peu concluants (Ernst & Canter, 2006 ; Franke et al., 2014).

« On nous reproche certaines techniques crâniennes ou viscérales, et c’est vrai qu’il faut revoir un peu tout ça. »

L’aveu est timide et sans conséquences pratiques claires. Ce qu’il faudrait, c’est suspendre immédiatement l’enseignement de ces pratiques, tant qu’aucune preuve robuste n’est disponible. Au lieu de cela, il parle de « revoir », de « dépoussiérer » – stratégie dilatoire, qui garde intact l’arsenal thérapeutique sans en assumer la remise en cause.

Une part significative de la soirée est consacrée à parler des risques de dérives sectaires… pour mieux minimiser leur ampleur. À entendre Berna et Florens, les dérives sont rares, les chiffres peu fiables, et les patients sont trop intelligents pour tomber dans le piège. Ce discours est non seulement déconnecté de la réalité du terrain, mais insultant pour les victimes de dérives.

C’est ignorer les rapports successifs de la Miviludes, qui alertent sur l’augmentation des pratiques pseudo-thérapeutiques à visée d’emprise. C’est balayer d’un revers de main le rapport du CNOM (2023) qui rappelle que ces pratiques, sans validation, peuvent retarder les soins, désorienter les patients, et conduire à des mises en danger. Et pendant ce temps, à la tribune, des figures universitaires expliquent calmement que la médecine anthroposophique, malgré ses croyances en la réincarnation et le karma, peut très bien cohabiter avec l’hôpital public, puisque dire le contraire serait en quelque sorte raciste selon monsieur Berna :

« En Suisse il y a un enseignement universitaire de la médecine anthroposophique. Vous considérez donc que les Allemands et les Suisses sont des irrationnels, des perchés ? ça peut être rassurant de penser que l’étranger est bête, stupide mais moi j’arrive pas à me dire ça comme ça.»


Le mythe du « moral qui soigne »

« On sait que les patients atteints de cancer, s’ils ont l’espoir, la force, l’envie de guérir, ils ont plus de chance de guérir. Ça fait partie des choses qu’on ne peut pas mesurer, mais on sait que le moral joue. »

Cette phrase a été prononcée par une personne avec qui j’ai pu échanger juste avant de publier cet article. Elle regrette le propos et le retire, j’en suis très heureux.

Je vais néanmoins expliquer pourquoi cette phrase est problématique, car vous l’avez certainement entendu des dizaines de fois, c’est une idée fausse qui s’accroche partout et que nous répétons souvent, innocemment. Nous devrions arrêter. Ce mythe tenace, émotionnellement séduisant est scientifiquement faux ; de nombreuses études rigoureuses ont montré que l’état psychologique n’a pas d’effet démontrable sur la survie au cancer (Coyne et al., 2007). Le moral peut améliorer la qualité de vie, mais il ne guérit pas. Il s’agit d’un mythe particulièrement toxique puisqu’il  culpabilise les malades, légitime les pseudo-thérapies fondées sur la pensée positive, et ouvre la voie aux discours déviants du type « vous avez créé votre maladie avec vos émotions ». Ce n’est pas du soin, c’est de la pensée magique.

Coyne et al. (2010) ont conduit une méta-analyse rigoureuse et concluent que les preuves d’un lien entre bien-être émotionnel et survie sont faibles voire inexistantes. Spiegel et al. (2007), qui avaient autrefois suggéré un lien potentiel, ont revu leurs conclusions dans des études ultérieures qui n’ont pas reproduit l’effet. J’ai sorti une vidéo en 2022 pour expliquer à quel point cette idée apparemment bénigne peut en réalité faire du mal aux gens.

La médecine au service des patients… ou de leurs croyances ?

À force de vouloir intégrer toutes les pratiques « parce que les gens les aiment », on renverse la logique du soin. Ce n’est plus la médecine qui guide les choix thérapeutiques, c’est la demande — fut-elle irrationnelle — qui redéfinit la médecine. L’université, en acceptant d’enseigner l’homéopathie, l’auriculothérapie et la médecine anthroposophique, participe activement à leur blanchiment épistémologique. Elle ne joue plus son rôle dans la lente et exigeante édification critique des savoirs, mais devient un amplificateur de croyances populaires.

« On voit les effets biologiques de la méditation sur le système nerveux, donc ça valide son usage thérapeutique.»

Cette phrase nous vient du Dr Gérard Bloch, responsable du DU de méditation de Pleine Conscience, qui plaide pour sa paroisse. Le problème c’est qu’il ne devrait pas s’autoriser à la prononcer. Un effet biologique observable (modifications en IRMf, marqueurs physiologiques) ne prouve pas une efficacité clinique thérapeutique. Beaucoup de choses produisent des effets biologiques sans pour autant avoir un impact mesurable sur les symptômes ou la pathologie. Une activation neuronale n’est pas la même chose qu’une amélioration clinique.

 

Étude biaisée, conclusions douteuses

Le CUMIC (Collège Universitaire des Médecines Intégratives et Complémentaires), derrière cet événement est une organisation de promotion des pratiques de soins non conventionnelles ; on le retrouve à la manœuvre dans des publications  qui tiennent plus du lobbying que de la science. Une prépublication signée Berna et al. (2023) sur medRxiv tente de relativiser l’ampleur des dérives liées aux médecines alternatives en France. En prétendant que leur usage est stable et que les dérives seraient surestimées, les auteurs proposent une lecture polyphonique — entendez : floue — des données disponibles.

Problème : leur méthodologie mêle sources hétérogènes sans hiérarchie de fiabilité, minore les signalements pourtant bien réels de la Miviludes, et repose sur des comparaisons bancales d’enquêtes aux définitions variables. À cela s’ajoute l’absence de déclaration de conflits d’intérêts, alors que plusieurs auteurs sont liés à des institutions promouvant ces approches. Cette étude n’est pas simplement fragile : elle participe à une tentative de normalisation discursive des médecines non validées, en contestant les alertes institutionnelles, sans contre-preuves rigoureuses. Une posture incompatible avec l’exigence de médecine fondée sur les preuves. [j’ai posté une critique de cette étude]

  • Berna, F., Florens, N., Verneuil, L., Paille, F., Berna, C., & Nizard, J. (2023). “An explosion of alternative medicines in France!”: media-biased polyphonic epidemiology vs. evidence-based data. medRxiv.

 

Pour conclure

Cette table ronde n’a pas été un espace de dialogue, mais un exercice de confusion. Elle témoigne d’un climat inquiétant où la science doit s’excuser d’exister, où les faits sont renvoyés dos à dos avec les croyances, et où l’université semble se prêter à un jeu dangereux : celui de faire de l’ésotérisme une option thérapeutique parmi d’autres. Il a été question d’esprit critique ici ou là, mais c’est une parodie, une pantomime, on fait comme si.

Nous avons besoin :

  • D’universités qui défendent la méthode scientifique, et non qui la relativisent.
  • D’enseignants qui forment à reconnaître les dérives, non à les intégrer.
  • D’une culture de la preuve, pas d’une culture du « et pourquoi pas ? »
  • D’un système de santé qui écoute les patients, certes, mais sans renoncer à sa mission de discernement.

L’université de Strasbourg, déjà défavorablement connue pour l’entrisme des fausses médecines dans ses cursus, a raté une belle occasion d’être à la hauteur des missions de l’institution respectable qu’elle devrait être.

Acermendax
Remerciements : Ombeline, Mathieu Porzio, Mme Blacksheep, Max, & Pensée Magique


Références

  • Badran, B. W., Yu, A. B., Adair, D., Mappin, G., DeVries, W. H., Jenkins, D. D., … & George, M. S. (2018). Short trains of transcutaneous auricular vagus nerve stimulation (taVNS) have parameter-specific effects on heart rate. Brain Stimulation, 11(4), 699-708. https://doi.org/10.1016/j.brs.2018.04.014
  • Burger, A. M., Verkuil, B., Fenlon, H., Thijs, L., Cools, L., Miller, H. C., & Brosschot, J. F. (2020). Mixed evidence for the effectiveness of vagus nerve stimulation in treating depression: A systematic review. Journal of Affective Disorders, 265, 63–73. https://doi.org/10.1016/j.jad.2020.01.004
  • Conseil National de l’Ordre des Médecins. (2023). Des PSNC et leurs dérives : État des lieux et propositions d’action.
  • Coyne, J. C., Stefanek, M., & Palmer, S. C. (2007). Psychotherapy and survival in cancer: the conflict between hope and evidence. Psychological Bulletin, 133(3), 367–394.
  • Coyne, J. C., & Tennen, H. (2010). Positive psychology in cancer care: Bad science, exaggerated claims, and unproven medicine. Annals of Behavioral Medicine, 39(1), 16–26
  • Ernst E, Canter PH. A systematic review of systematic reviews of spinal manipulation. J R Soc Med. 2006 Apr;99(4):192-6. doi: 10.1177/014107680609900418. PMID: 16574972; PMCID: PMC1420782.
  • Franke, H., Franke, J. D., & Fryer, G. (2014). Osteopathic manipulative treatment for nonspecific low back pain: A systematic review and meta-analysis. BMC Musculoskeletal Disorders, 15(1), 286. https://doi.org/10.1186/1471-2474-15-286
  • Miviludes. (2023). Rapport annuel d’activité 2022. Paris : Premier ministre.
  • Spiegel, D., Kraemer, H. C., Bloom, J. R., & Gottheil, E. (1989). Effect of psychosocial treatment on survival of patients with metastatic breast cancer. The Lancet, 334(8668), 888–891.

Non, les enfants amish ne sont pas miraculeusement épargnés par le cancer, le diabète ou l’autisme

Une affirmation circule depuis quelque temps sur les réseaux sociaux, notamment chez les militants antivaccins : « Presque aucun enfant amish n’est atteint de cancer, de diabète ou d’autisme. » Cette idée, relayée par des sites peu fiables comme GlobalResearch ou IndepNews, voudrait faire croire que le refus des vaccins, de la médecine moderne ou d’un mode de vie industrialisé expliquerait un supposé état de santé exceptionnel. Comme on peut s’y attendre, cette thèse ne repose sur aucun fondement scientifique.

 

D’abord, les publications mentionnées ne sont pas des études scientifiques : elles n’ont fait l’objet d’aucune évaluation par les pairs, ne s’appuient sur aucun protocole rigoureux, et ne fournissent pas de données vérifiables. Elles relèvent davantage de l’anecdote ou de l’argument d’autorité. Le concept même d’« absence totale de maladies » dans une population est invérifiable sans données épidémiologiques robustes.

 

Nuançons le postulat de départ : l’idée que les amish constitueraient une population « témoin » non vaccinée est profondément erronée. Les communautés amish ne sont ni homogènes ni systématiquement opposées à la médecine conventionnelle. Certaines familles refusent les vaccins, d’autres les acceptent, ce choix varie selon les groupes, les régions et les évêques qui encadrent les pratiques religieuses.

Des études épidémiologiques ont effectivement montré une incidence plus faible de certains cancers chez les Amish, notamment dans l’Ohio. Une étude de Westman et al. (2010), observe une baisse d’environ 40 % de l’incidence du cancer dans cette population. Cette différence est largement attribuée à des facteurs de mode de vie : très faible consommation de tabac et d’alcool, alimentation faite maison, activité physique quotidienne, peu ou pas d’exposition à certains polluants environnementaux. Ces paramètres, bien connus pour leur rôle protecteur contre le cancer, sont bien plus déterminants que l’acceptation ou non de la vaccination.

Concernant l’autisme, il n’existe pas, à ce jour, d’étude épidémiologique publiée et validée sur sa prévalence dans la population amish. Les données disponibles sont anecdotiques ou issues de rapports non publiés. Les taux de diagnostic dans ces communautés sont très probablement sous-estimés en raison d’un accès limité au diagnostic spécialisé, une faible médicalisation des troubles neurodéveloppementaux, et une culture où ces comportements peuvent être interprétés différemment. L’absence de cas rapportés n’équivaut pas à une absence réelle de la condition.

Enfin, rappelons qu’aucune preuve ne montre un lien entre vaccination infantile et autisme — une idée réfutée à de multiples reprises par des études de grande ampleur dans des pays aux systèmes de santé rigoureux (Taylor et al., 2014 ; Jain et al., 2015). La dangerosité d’un tel discours antivaccinal réside dans sa capacité à détourner des familles de mesures de santé publique vitales.

 

En résumé, non : les enfants amish ne sont pas miraculeusement protégés des maladies modernes. Ce qui est certain, en revanche, c’est que le discours qui prétend le contraire s’appuie sur de fausses prémisses, des données absentes, et une instrumentalisation idéologique de la science.


Références

  • Jain, A., Marshall, J., Buikema, A., Bancroft, T., Kelly, J. P., & Newschaffer, C. J. (2015). Autism occurrence by MMR vaccine status among US children with older siblings with and without autism. JAMA, 313(15), 1534–1540. https://doi.org/10.1001/jama.2015.3077
  • Taylor, L. E., Swerdfeger, A. L., & Eslick, G. D. (2014). Vaccines are not associated with autism: An evidence-based meta-analysis of case-control and cohort studies. Vaccine, 32(29), 3623–3629. https://doi.org/10.1016/j.vaccine.2014. 04.085
  • Westman, J. A., Ferketich, A. K., Kauffman, R. M., MacEachern, S. N., Wilkins, J. R., Wilcox, P. P., & Bloomfield, C. D. (2010). Low cancer incidence rates in Ohio Amish. Cancer Causes & Control, 21(1), 69–75. https://doi.org/10.1007/s10552-009-9435-7

 

J’ai rédigé un chapitre sur cet évènement de 1917 dans m, et écrit un documentaire visible sur La Tronche en Biais : « Les secrets du miracle de Fatima »

Parmi les croyants, certains apologètes zélés comme Olivier Bonnassies affirment que seul le surnaturel peut expliquer ce qui s’est passé : que le concept d’hallucination collective a été inventé pour tenter de répondre au mystère de Fatima, et que jamais aucun évènement équivalent ne s’est produit nulle part dans l’histoire, donc le christianisme est vrai ![2] Et Olivier Bonnassies affirme tout ça avec un tel aplomb tranquille qu’il est difficile de le soupçonner de baratiner. Et pourtant il baratine, il mythonne.

 

Fatima : un événement hors du commun, mais pas inexplicable

Un petit rappel des faits : le 13 mai 1917, trois jeunes bergers portugais — Lúcia dos Santos et ses cousins Francisco et Jacinta Marto — affirment avoir vu une « dame vêtue de blanc » dans un champ près de la Cova da Iria, non loin de Fatima. L’apparition se répète chaque mois. Le 13 octobre, après l’annonce prophétique d’un « grand miracle », entre 30 000 et 70 000 personnes affluent. Ce jour-là, selon les récits, le soleil aurait « dansé », changé de couleur, chuté vers la terre avant de remonter dans le ciel. L’événement deviendra central dans l’imaginaire catholique du XXe siècle.

Mais cette interprétation surnaturelle n’est ni exclusive, ni la plus probable. L’histoire des phénomènes collectifs, des troubles psychogènes de masse et des illusions perceptives fournit des clés d’analyse rationnelles bien établies.

 

Le concept d’hallucination collective est antérieur à Fatima

Contrairement à l’affirmation de Monsieur Bonnassies, l’idée d’hallucination ou de contagion perceptive partagée par un groupe n’est pas une invention ad hoc destinée à décrédibiliser Fatima. Dès le XIXe siècle, les psychiatres et psychologues s’intéressent à des formes de délires partagés. Le concept de folie à deux est formalisé par Lasègue et Falret (1877), celui de folie communiquée par Baillarger (1860), et les psychoses collectives décrites par Legrand du Saulle (1871)[3]. Gustave Le Bon (1895) popularisera dans Les foules le rôle de la suggestion et de la contagion émotionnelle[4].

Ces phénomènes ont été observés dans des contextes très variés : hystéries dans des couvents[5], crises de possession, peurs panique d’empoisonnements ou d’attaques invisibles, épidémies de rires, etc. Ce corpus théorique et empirique est donc antérieur à Fatima, et a été régulièrement mobilisé pour éclairer des événements perçus comme surnaturels, religieux ou non.

 

Fatima, cas typique de trouble psychogène collectif ?

Plusieurs facteurs font de Fatima un terreau idéal pour un trouble psychogène collectif : attente intense, effet de foule, climat anxiogène (c’est la guerre, on est en pleine instabilité politique), promesse d’un événement exceptionnel, contexte religieux. Ces ingrédients sont ceux que les recherches modernes associent à ce type de phénomènes[6].

De plus, les témoignages recueillis divergent fortement : certains rapportent avoir vu un disque multicolore tournoyer, d’autres une pluie de lumière, d’autres encore ne remarquent rien d’inhabituel. Notamment Lucia dos Santos, qui, elle aurait vu la vierge, contrairement aux milliers de gens présents.

Ce type de variabilité perceptive, conjugué à l’absence de toute anomalie astronomique ou météorologique enregistrée à l’échelle planétaire, plaide pour une explication psychophysiologique : illusion d’optique, persistance rétinienne due à la fixation du soleil, effet Purkinje, ou simple contagion perceptive.

 

Un événement unique ? L’histoire en témoigne autrement

L’argument apologétique qui fait de Fatima un événement sans précédent ne résiste pas à l’examen. De Lourdes (1858) à Zeitoun (Égypte, 1968-71), en passant par Knock (Irlande, 1879), d’autres apparitions mariales ont généré des rassemblements massifs et des récits de phénomènes lumineux. Autrement dit : il y a une culture de l’apparition de la vierge qui porte même un nom : la mariophanie. C’est le truc à la mode en Europe à cette époque-là, plus de vingt mille sont répertoriées, et seuls les cas les plus marquants sont restés dans les livres d’histoire ; toutes les fois où les promesses de miracle n’ont pas débouché sur des témoignages extatiques sont oubliées, ce qui nous plonge dans l’erreur statistique de trouver étonnant les quelques cas qui paraissent sortir de nulle part.

Par ailleurs, au-delà du christianisme, les exemples abondent dans d’autres traditions :

  • Islam soufi : Les rituels de dhikr ou de hadra provoquent chez les participants des états de conscience altérés, visions lumineuses et sensations collectives de présence divine (During, 1992)[7].
  • Hindouisme : Le Kumbh Mela est le théâtre de récits de transes collectives et de « signes divins » souvent liés à des interprétations culturelles amplifiées par l’émotion du rassemblement.
  • Religions animistes : Les cérémonies de possession vaudou ou ouest-africaines déclenchent des épisodes où la transe et les visions collectives sont centrales (Boddy, 1994)[8].
  • Bouddhisme tantrique : Des témoignages rapportent des perceptions partagées de lumière, notamment lors de méditations de groupe (Samuel, 2012)[9].

Même dans les sociétés sécularisées, ces dynamiques persistent sous des formes profanes :

  • Il y a des paniques liées aux OVNI : Des phénomènes inspirés par Roswell (1947) à la vague belge (1989-90), des milliers de personnes affirment avoir vu des objets ou lumières inexpliqués — souvent en l’absence de toute trace physique.
  • Phénomènes optiques mal compris : Le spectre de Brocken, les halos solaires, les mirages comme la Fata Morgana, ont souvent été pris pour des signes surnaturels (Minnaert, 1954)[10].

La perception humaine se construit aussi socialement, elle est encline à de nombreuses erreurs, biais et illusions.

 

 

Une preuve de Dieu ? Un raccourci dangereux

L’argumentaire apologétique qui érige Fatima en preuve indiscutable de la vérité du christianisme repose sur un double malentendu : une ignorance des sciences sociales et cognitives, et une méconnaissance de l’histoire comparée des religions et de l’irrationnel collectif.

Ceux qui prétendent fonder rationnellement l’existence de Dieu sur un phénomène collectif mal documenté et très interprété ne rendent pas service à la respectabilité de la foi. L’évènement de Fatima ne disparaît pas dans l’explication naturaliste ; il change simplement de nature — derrière l’histoire de miracle, nous découvrons le symptôme fascinant de dynamiques sociales, psychologiques, culturelles et perceptives humaines qui méritent qu’on les prenne au sérieux.

L’acharnement avec lequel les apologètes tiennent à défendre idée que Fatima est un miracle inexplicable, une preuve de l’action de Dieu, nous rappelle combien leur tâche est désespérée : ils ne reculent devant rien pour tenter de faire passer pour raisonnables leurs croyances bizarres.

Et cela renforce d’autant la posture sceptique qui juge que Dieu n’existe pas jusqu’à preuve du contraire.


Sur le même sujet :

Notre Dame de Fatima et la preuve par les miracles

Est-il sage de douter du miracle de Fatima ? [Absinners répond à Archidiacre]


Références

[1] Vidéo sur La Tronche en Biais

[2] Van Rillaer, J. (2021). Le miracle du soleil, argument de Bolloré & Bonnassies pour le Dieu des catholiques. In Scepticisme & religion, 34(2), 65-76.

[3] Lasègue, C., & Falret, J.-P. (1877). La folie à deux ou folie communiquée. Annales médico-psychologiques.

Baillarger, J. (1860). Sur la folie communiquée. Annales médico-psychologiques.

Legrand du Saulle, H. (1871). Études cliniques sur les maladies mentales. Paris: Baillière.

[4] Le Bon, G. (1895). Psychologie des foules. Paris: Félix Alcan.

[5] Wessely, S. (1987). Mass hysteria: Two syndromes?. Psychological Medicine, 17(1), 109–120.

[6] Bartholomew, R. E., & Wessely, S. (2002). Mass Hysteria in Schools: An International History Since 1566. McFarland.

[7] During, J. (1992). Musique et extase dans les traditions soufies d’Iran. Paris: CERF.

[8] Boddy, J. (1994). Spirit Possession Revisited: Beyond Instrumentality. Annual Review of Anthropology, 23, 407–434.

[9] Samuel, G. (2012). Introducing Tibetan Buddhism. Routledge.

[10] Minnaert, M. (1954). La lumière et les phénomènes célestes. Paris: Payot.

J’ai publié récemment une vidéo « Que vaut vraiment le REIKI ? » dans laquelle je passe en revue des articles scientifiques (ou se réclamant de ce statut) pour montrer ce que la littérature scientifique dit de cette pratique. Vous trouverez en fin de billet toutes ces références.

 

Arthur (de la page Ostéopathie – dérives et esprit critique) a signalé à mon attention que j’avais omis une lettre de scientifiques espagnols qui critiquent l’une des sources que j’ai citées. J’estime donc important de vous donner cette information en ajoutant cette donnée dans la partie du script concernée, à la 19e minute de la vidéo :

—— En 2018, une étude sort dans Complementary Therapies in Clinical Practice, une revue bien placée dans son domaine mais dont le but est de valider les pratiques alternatives. La méta analyse inclut 4 études portant sur douleurs, dépression et anxiété, et obtient un effet statistique.  « Conclusion : Par conséquent, cette méta-analyse a révélé que le Reiki était une approche efficace pour soulager la douleur. »

Et on pourrait trouver que prononcer une telle conclusion sur la base de 4 études rassemblant 212 patients après 96 ans d’existence du reiki, ça a quelque chose d’audacieux qui donne envie de se méfier des revues qui ont intérêt à montrer que ce genre de pratique fonctionne.

[EDIT] – Le journal publie trois mois plus tard une lettre de chercheurs espagnols qui soulignent que l’auteur, Demir Doğan, n’a pas su lire les graphes à partir desquels il conclut.

« Lorsque le groupe Reiki (n = 104) a été comparé au groupe témoin (n = 108), la différence moyenne standardisée a été observée à -0,927 (IC 95% : -1,867 à 0,0124), ce qui représente en fait un résultat non statistiquement significatif (les limites de confiance comprennent 0,0), contrairement à ce qu’indique l’auteur. »

Les données collectées montrent systématiquement l’inverse de ce que l’article de Doğan veut conclure. Évidemment, cela aurait dû conduire à la rétractation de cette étude. Le journal n’a pas pris cette décision : il abrite toujours une étude dont on sait que les conclusions sont totalement fausses. Une étude que j’ai moi-même relayée dans une vidéo en accordant a priori ma confiance dans le processus de publication du journal Complementary Therapies in Clinical Practice. Je n’ai découvert que plus tard l’existence de cette lettre qui anéantit les conclusions de Doğan. ——

Les références concernées :

  1. Demir Doğan M. The effect of reiki on pain: A meta-analysis. Complement Ther Clin Pract. 2018 May;31:384-387. doi: 10.1016/j.ctcp.2018.02.020. Epub 2018 Mar 10. Erratum in: Complement Ther Clin Pract. 2021 Aug;44:101423. doi: 10.1016/j.ctcp.2021.101423. PMID: 29551623.
  2. Moran JM, Puerto-Parejo LM, Leal-Hernández O, Lopez-Espuela F, Roncero-Martín R, Sanchez Fernandez A, Pedrera-Zamorano JD. Misinterpretation of the results from meta-analysis about the effects of reiki on pain. Complement Ther Clin Pract. 2018 Aug;32:115. doi: 10.1016/j.ctcp.2018.06.005. Epub 2018 Jun 7. PMID: 30057036.

 

Cette correction ne change pas le message de la vidéo, puisque les données scientifiques prises dans leur ensemble vont dans le même sens : une absence totale d’efficacité et aucune raison de croire à la validité de la doctrine du reiki.

 

Les références scientifiques utilisées dans ce travail :

  • Avci A, Gün M. The Effect of Reiki on Pain Applied to Patients With Cancer: A Systematic Review. Holist Nurs Pract. 2023 Sep-Oct 01;37(5):268-276. doi: 10.1097/HNP.0000000000000601. PMID: 37595119.
  • Rubik B, Brooks AJ, Schwartz GE. In vitro effect of Reiki treatment on bacterial cultures: Role of experimental context and practitioner well-being. J Altern Complement Med. 2006 Jan-Feb;12(1):7-13. doi: 10.1089/acm.2006.12.7. PMID: 16494563
  • Lee MS, Pittler MH, Ernst E. Effects of reiki in clinical practice: a systematic review of randomised clinical trials. Int J Clin Pract. 2008 Jun;62(6):947-54. doi: 10.1111/j.1742-1241.2008.01729.x. Epub 2008 Apr 10. PMID: 18410352.
  • Joyce J, Herbison GP. Reiki for depression and anxiety. Cochrane Database Syst Rev. 2015 Apr 3;2015(4):CD006833. doi: 10.1002/14651858.CD006833.pub2. PMID: 25835541; PMCID: PMC11088458.
  • Billot M, Daycard M, Wood C, Tchalla A. Reiki therapy for pain, anxiety and quality of life. BMJ Support Palliat Care. 2019 Dec;9(4):434-438. doi: 10.1136/bmjspcare-2019-001775. Epub 2019 Apr 4. PMID: 30948444.
  • Zadro S, Stapleton P. Does Reiki Benefit Mental Health Symptoms Above Placebo? Front Psychol. 2022 Jul 12;13:897312. doi: 10.3389/fpsyg.2022.897312. PMID: 35911042; PMCID: PMC9326483

L’ostéopathie nous place face à de sérieux problèmes. En l’état actuel des choses, il est impossible pour un particulier de savoir si l’ostéopathe qu’il sollicite a reçu une formation un tant soit peu solide et s’intéresse à l’évaluation rationnelle de son travail, ou s’il se contente d’une initiation ésotérique à des concepts creux pour poursuivre des pratiques inefficaces et dangereuses. Pire que tout : il existe des médecins ostéopathes, ce sont ceux dont on peut espérer qu’ils ont suivi la formation la plus exigeante, la plus scientifique. Mais là non plus il n’existe aucune garanti : le charlatanisme est omniprésent ; les institutions ont laissé s’installer des formations et des pratiques qui mettent en danger les patients.

A titre d’illustration, voici un témoignage que l’on m’a adressé. Il met en évidence la situation particulièrement problématique des jeunes parents que l’on aiguille systématiquement vers des ostéopathes : une habitude que nous devons perdre sans tarder !


« Mon fils est né en 2014, par césarienne. L’accouchement par voie basse avait été rendu trop difficile à cause, nous l’avons appris quelques jours plus tard, d’une craniosténose complexe.

La craniosténose est une maladie congénitale qui se caractérise par la soudure précoce des sutures crâniennes. Une ou plusieurs sutures peuvent être concernées, on parle dans ce dernier cas d’une craniosténose complexe.

Les sutures étant déjà soudées, le développement du crâne ne peut pas se faire de manière harmonieuse et, plus grave, le cerveau manque également d’espace pour se développer correctement, les os ne pouvant plus bouger les un uns par rapport aux autres.

Le diagnostic a été réalisé très rapidement par un excellent pédiatre (que nous pouvons remercier) et confirmé par un spécialiste de l’hôpital de la Timone à Marseille. Plusieurs rendez-vous sont alors pris avec ce spécialiste et une intervention chirurgicale est programmée, seule possibilité de redécouper les sutures et replacer les os correctement. C’est une intervention évidemment plutôt lourde (la peau du crâne est découpée de part en part afin d’accéder aux sutures, qui sont elles aussi redécoupées afin de replacer les os dans une position normale).

En parallèle, nous voyions depuis quelques temps, pour mon ex-épouse et moi-même, un ostéopathe également médecin généraliste. Bien qu’ayant beaucoup moins d’esprit critique, à l’époque, à l’égard des agissements de certains personnels de santé, j’avais déjà ressenti un certain malaise lors de séances d’ostéopathie avec cette personne lorsqu’il tenait des propos assez hors-sol, concernant les énergies du corps, les esprits et autres pouvoirs des shakras. Mais cela n’allait pas plus loin et ne l’empêchait pas de dérouler ses séances de façon relativement normale par ailleurs.

Dans l’attente de l’intervention pour mon fils (planifiée pour ses 4 mois), nous constatons que ses difficultés pour dormir s’amplifient, avec de nombreux pleurs qui semblent provenir de douleurs que nous ne parvenons pas à identifier, mais qui pourraient être liées au développement anormal de son crâne. En effet, ses sutures étant déjà soudées, nous voyons sa boîte crânienne se déformer au fur et à mesure de sa croissance, avec une bosse qui commence à apparaître sur son front.

Inquiets, nous décidons d’en parler à l’ostéopathe (le fait qu’il soit médecin généraliste nous rassurait). Rendez-vous est pris. Pendant la séance, il se met à manipuler le crâne de mon fils, ce qui semble déplaire à ce dernier dans un 1er temps. La nuit suivante fut … impeccable. Aucun pleur et une belle nuit complète ! Nous sommes alors tombés dans le biais de se dire directement « c’est grâce à la séance d’ostéopathie » sans imaginer que cela pouvait être l’effet du hasard. Nous nous rendons alors, quelques semaines plus tard, à un 2ème rendez-vous. Nous nous sommes alors rendu compte que quelque chose n’allait pas dans le discours de l’ostéopathe. En effet, tout en manipulant le crâne de notre enfant, il a commencé à critiquer les neurochirurgiens qui avaient programmé l’opération, en disant que pour lui cette dernière ne servait à rien, que lui pouvait résoudre le problème en douceur en manipulant régulièrement le crâne du petit. Le discours était agrémenté de théories fumeuses sur les esprits, la puissance des énergies du corps, la vie après la mort, etc.

La nuit suivante ne fut pas meilleure que les précédentes. La confiance s’est alors étiolée. Nous voyions le crâne de notre enfant se déformer de plus en plus et ne comprenions pas du tout comment quelques manipulations crâniennes pouvaient résoudre un problème si complexe. Nous avons alors décidé de rompre le contact avec ce médecin/ostéopathe. L’intervention a eu lieu et s’est très bien déroulée avec un enfant qui a été particulièrement courageux (le lendemain de l’opération, du sang et de la bile s’accumulent dans le crâne de l’enfant qui double alors de volume, lui empêchant d’ouvrir les yeux … Je vous laisse imaginer l’angoisse dans laquelle il devait être).

Aujourd’hui, il est âgé de 10 ans et se développe tout à fait normalement. Les risques associés à une craniosténose non traitée, a fortiori une craniosténose complexe, sont particulièrement graves (au-delà de l’aspect esthétique) : hypertension intracrânienne pouvant conduire à la cécité, troubles du développement cognitif et moteur…

Je ne sais pas si cette personne exerce encore, mais j’ai des sueurs froides en repensant à ce qui aurait pu arriver si nous avions suivi ses conseils ou avions tardé à réagir (l’opération doit se faire le plus tôt possible pour limiter les séquelles, dans tous les cas avant l’âge d’un an). Finalement, heureusement qu’il a accompagné ses séances de discours complètement bullshit, c’est ce qui nous a mis la puce à l’oreille. Parce que s’il était resté très sérieux tout du long, qui sait ce qu’il serait advenu. »


Je vous rappelle mon conseil : ne laissez pas un ostéopathe toucher au crâne de votre enfant. Le fait qu’il soit médecin n’est actuellement pas du tout un bon argument. Et c’est grave.

L’imposteur n’a souvent qu’une défense : l’attaque.

Lorsqu’une personne se positionne dans l’espace public en tant qu’expert d’un phénomène, quel qu’il soit, mais qu’elle exige de son public qu’il exclue a priori certaines sources critiques, ou qu’il condamne sans examen des voix dissidentes, il y a lieu de s’interroger. Si cette personne adopte une posture manichéenne du type « si vous n’êtes pas avec moi, vous êtes contre moi », tout en usant de culpabilisation pour rallier les hésitants et en restant fuyante sur le contenu réel des critiques qui lui sont adressées ou la matérialité de ce qu’elle reproche à d’autres, il est raisonnable de se méfier. Ces mécanismes rappellent les premiers engrenages de l’emprise mentale que l’on retrouve dans les dérives sectaires. (Cf. Singer, M.T., Cults in Our Midst, 1995).

Les manipulateurs – qu’ils soient gourous, pseudo-experts ou arnaqueurs – exploitent souvent les bons sentiments et les valeurs nobles pour servir leurs intérêts personnels. Cela peut inclure l’invocation de causes qui méritent effectivement qu’on s’y investisse. Mais cet usage cynique de l’empathie devient une arme contre l’esprit critique, car il détourne l’attention des incohérences ou des abus, tout en rendant socialement coûteux le fait de poser des questions légitimes.

En parallèle, ces stratégies s’accompagnent presque toujours d’un narratif victimisant, destiné à discréditer activement celles et ceux qui révèlent les failles ou les manipulations à l’œuvre. Cette victimisation est une forme de violence insidieuse, car elle transforme les critiques légitimes en attaques perçues comme injustes, voire malveillantes. Il est crucial de rappeler que prétendre être une victime ne doit pas être utilisé comme une carte d’immunité pour éviter tout examen critique.

Je pense qu’il ne faut pas demander à celles et ceux qui produisent des critiques argumentées et se voient en retour insultés, accusés d’être des ennemis d’une cause, voire des harceleurs ou des délinquants, d’encaisser tout ça en silence pour ne pas amplifier un phénomène dont la cause n’est pas mystérieuse, mais réside dans l’escalade d’engagement d’un imposteur rattrapé par ses mensonges.

 

La bonne foi : une question indécidable

L’aspect le plus effrayant de cette mécanique est que le pseudo-expert ou le manipulateur peut croire sincèrement à son propre narratif. Cette conviction, souvent renforcée par des biais cognitifs comme le biais de confirmation ou l’effet Dunning-Kruger (Kruger & Dunning, 1999), alimente un cercle vicieux où toute critique est interprétée comme une attaque personnelle, et où l’estime de soi repose sur le maintien d’une illusion d’expertise.

Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille abandonner tout espoir de dialogue. Ranger ces personnes dans une catégorie de « fous » ou d’individus irrationnels avec qui il serait impossible de discuter reviendrait à adopter une posture contre-productive, voire à reproduire les travers mêmes que je suis en train de critiquer moi-même.

Face à une telle situation, la meilleure approche consiste à suspendre son jugement et à refuser de céder à la pression de prendre position immédiatement. L’urgence imposée est souvent un piège destiné à limiter le temps de réflexion et à favoriser des choix émotionnels plutôt que rationnels. Prenez le temps d’examiner les faits, les arguments et les sources, et n’hésitez pas à consulter des experts indépendants pour vous faire une opinion éclairée.

 

La suspension (momentanée) du jugement : une bonne idée

L’esprit critique ne consiste pas seulement à dénoncer les impostures, mais aussi à résister aux manipulations émotionnelles et aux appels fallacieux à la loyauté. Si quelqu’un exige de vous une allégeance sans examen, souvenons-nous que la science et la raison progressent par le doute, et jamais par l’adhésion aveugle.

 

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