Cet article est le développement de mon intervention dans l’émission Podcast Science 225. J’ai été invité suite à un autre article où il était question de génétique et d’homosexualité.
Quid de la sexualité ?
Avant de voir de ce que la biologie a à dire de l’homosexualité, prenons un peu de temps pour parler de ce qu’on peut dire sur la sexualité en elle-même.
On prend la sexualité pour acquise, on la trouve banalement partout autour de nous dans la nature, et pourtant c’est un phénomène très étonnant si on y réfléchit bien. Les organismes vivants sont des réplicateurs. Ils sont le résultat de la compétition darwinienne de réplicateurs plus anciens, et cette réplication est rendue possible par la transmission d’une information, c’est le génome et la structure qui le code.
Pour se reproduire, les réplicateurs ont inventé le clonage, c’est de loin le mode le plus productif. Un individu en produit x qui eux-mêmes vont en produire x et cetera, et cetera. C’est donc important de savoir que la reproduction n’implique pas forcement le sexe. Alors dans ces conditions pourquoi un groupe comme les animaux a-t-il renoncé à la productivité écrasante du clonage pour faire du sexe ? La majorité des organismes actuels, en particulier les unicellulaires, se reproduisent la plupart du temps de manière asexuée. Même si beaucoup sont capables de faire du sexe, elles ne s’adonnent à cette activité que dans des conditions spéciales.
Pourquoi une telle abstinence ?
Parce que c’est extrêmement couteux le sexe : il faut posséder une structure, un organe qui permette cette fonction, ainsi que les gènes qui régulent toutes les étapes de l’échange d’ADN. Chez certaines espèces, il faut passer du temps à trouver un partenaire, à le choisir soigneusement, parfois au prix de parades nuptiales très coûteuses en temps et en énergie. Le sexe, on le sait, est un vecteur de maladies, de parasitisme, il est donc un facteur de risque. Et puis quand on fait du sexe, on ne transmet que la moitié de ses gènes. Non seulement on fait moins de descendants, mais ils portent la moitié des gènes d’un autre !
Du point de vue purement égoïste d’un réplicateur (cf. Le gène égoïste de R. Dawkins) tout cela est exorbitant, surtout quand il faut apporter des soins parentaux. Mais surtout, l’usage du sexe a abouti à une invention hors de prix, une extravagance saugrenue, un accessoire encombrant : les mâles.
Un mâle c’est un individu incapable de produire lui-même sa descendance. D’une certaine manière, il parasite le corps des femelles pour qu’elles répliquent à sa place la moitié de ses gènes. Pourquoi diable les femelles fabriquent-elles des fils ? On pourrait s’en passer ; songeons que les plantes ont une sexualité efficace qui ne fait intervenir quasiment que des individus hermaphrodites. Les mâles pur sucre sont plutôt rares dans le monde végétal. On pourrait presque se dire que l’existence des mâles est… contre-nature.
Sauf que, bien sûr, il y a une explication logique à tout ça. Le truc, c’est qu’on ne peut pas comprendre l’évolution si on se contente de raisonner à l’échelle des individus. L’échelle de l’évolution, c’est le pool génique, c’est la population dans laquelle s’effectue le brassage de toutes les formules génétiques entre lesquelles s’opère la sélection naturelle.
Pour un tour d’horizon de la place du sexe dans le monde vivant, vous pouvez regarder cette conférence de Pierre-Henri Gouyon : https://www.youtube.com/watch?v=_ukNvDl1rj0
Vous pouvez également consulter cet autre épisode de podcast Science sur le sujet.
Pourquoi le sexe alors ?
Malgré ce que nous venons de dire, le succès évolutionnaire de la sexualité est criant : elle est présente presque toutes les espèces eucaryotes. Pierre-Henri Gouyon propose même de voir la sexualité comme ayant débuté avec la vie. Dès l’instant ou des structures réplicatrices ont commencé à échanger des bouts d’information, ces échanges répondent déjà à la définition de ce qu’est le sexe d’un point de vue évolutionnaire[1].
La reproduction sexuelle disparait parfois dans un lignage qui devient alors isolé de son espèce-mère, mais invariablement, ces lignages isolés finissent pas disparaitre. Cela illustre l’avantage à court terme de la reproduction asexuée (le clonage permet d’envahir une niche écologique), mais son désavantage à long terme. Qu’est-ce qui rend le sexe si avantageux pour permettre aux lignes qui le pratiquent d’être tellement plus compétitives que les autres ?
Pour le comprendre, considérons que les individus sont des sortes de tuyaux à travers lesquels passe un flux d’information génétique. Lorsqu’une population pratique le sexe, les gènes sont constamment brassés. À chaque génération la recombinaison chromosomique assure la production d’un maximum de compositions génétiques dans lesquelles les mutations aléatoires sont elles aussi distribuées. Les variants produisant des phénotypes peu adaptés sont éliminés par la sélection naturelle : la lignée peut donc être représentée comme un fin réseau ou les tuyauteries sont toutes reliées les unes aux autres : les gènes les plus avantageux vont donc avoir tendance à toujours rester présents et à diffuser très vite dans l’ensemble de l’espèce.
Quand le sexe disparait le brassage se réduit à peau de chagrin, avec seulement une recombinaison des allèles présents dans l’individu qui se reproduit isolément : la lignée asexuée pourrait être représentée comme un ensemble de tuyaux beaucoup moins réticulés. Dans ce groupe de tuyaux les gènes avantageux auront moins de chance de pouvoir se diffuser dans la population ; ils courent un risque accrus de disparaître malgré les avantages qu’ils représentent.
Or, on sait que lorsque l’environnement change (climat, maladies, espèces invasives et tous types d’évènements) la survie de l’espèce est toujours remise en question. Un tel changement modifie les pressions de sélection et une population aura d’autant plus de ressources pour s’adapter qu’elle possèdera une diversité de phénotypes associée à une plus grande richesse génétique. La faible variété génétique d’une lignée asexuée la rend inévitablement moins adaptable. Dans ce contexte, le sexe c’est la survie.
Le sexe a de gros avantages
— La vigueur hybride : deux copies du génome provenant de deux parents permettent d’assurer que chaque gène sera présent au moins une fois sous une version favorable. Ce mécanisme limite les effets délétères des mutations.
— En tant que mode de redistribution de la diversité, le sexe multiplie les formules génétiques, ce qui est particulièrement efficace pour faire face à des changements dans le milieu. ? D’ailleurs quand les organismes unicellulaires capables de choisir entre clonage et sexe sont placés dans des situations stressantes, eh bien ils optent pour le sexe, c’est la pédale d’accélérateur de l’évolution des lignées, celle qui leur permet d’avancer assez vite pour ne pas se faire rattraper par la sélection naturelle (cf théorie de la reine rouge).
— Le sexe permet de produire des cellules œuf qui sont bien souvent une forme de résistance. Ce phénomène est lié à celui cité précédemment, c’est un mécanisme fortement avantageux sur le long terme au pont de vue évolutionnaire, et cela explique que les lignées asexuées, privées de cette étape clef, aient du mal à perdurer.
[1] Sous la direction de Pierre-Henri Gouyon & Alexandrine Civard-Racinais, Aux Origines de la Sexualité, Fayard, 2009, Paris.
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Venons-en au sujet dont il était question dans l’émission Podcast Science.
Les questions qui se posent.
Le thème que l‘on m’a demandé de traiter est l’homosexualité du point de vue de la génétique. Existe-t-il, oui ou non, des déterminants génétiques à l’orientation sexuelle ?
Sur ce sujet il y a plusieurs questions qui se posent. Je vais en poser quatre, volontairement naïves.
1 — Y a-t-il un gène de l’homosexualité ?
2 — En dehors des gènes, qu’est-ce qui pourrait en être la cause ?
3 — Si c’est bien un gène, comment se maintient-il au fil des générations ?
4 — Si c’est un gène, encore une fois, doit-on craindre des idées eugénistes ?
Et on va voir que les éléments de réponse que l’on a à ces questions qui restent en partie à résoudre, sont des éléments qui répondent tout autant à l’énigme de l’existence de l’homosexualité qu’à celle du sexe en lui-même.
Question 1 : Y a-t-il un gène de l’homosexualité ?
C’est une question naïve, parce que personne ne se demande s’il existe un gène de l’hétérosexualité ou de la bisexualité. Et pourtant nos gènes étant la feuille de route à partir de laquelle s’échafaude notre corps dans lequel sont inscrits nos instincts, forcément il existe une population de gènes impliqués dans nos comportements sexués.
Les études scientifiques qui cherchent à comprendre comment la génétique influence la sexualité ont mis en évidence ces dernières décennies un certain nombre de loci sur le génome. Loci, c’est le pluriel de locus, et un locus c’est un endroit plus ou moins grand sur l’un de nos chromosomes. L’une des dernières études et la plus grande en nombre d’individus testés s’est intéressée au génome des hommes homosexuels chez lesquels on a retrouvé 8 loci, 8 endroits sur le génome qui sont fortement corrélés avec l’orientation sexuelle.
Ca veut donc dire que non, il n’y a pas 1 gène de l’homosexualité, mais oui, le terrain génétique a un rôle dans l’homosexualité. Corrélation ne voulant pas dire causalité, on ne sait pas encore dans le détail quelle chaine d’évènements relie à une extrémité le terrain génétique et à l’autre le comportement de l’individu
Question 2 : En dehors des gènes qu’est-ce qui pourrait être la cause de l’homosexualité ?
Le phénotype, c’est-à-dire l’ensemble des caractères visibles de l’organisme, est le résultat de l’interaction du génome avec son environnement, et donc l’homosexualité pourrait très bien être le résultat d’une influence environnementale au cours du développement.
Comme l’expliquait Irène dans l’épisode 185[1], les hormones et l’environnement maternel prénatal sont des suspects que la science surveille de près. Les hormones et l’environnement maternel prénatal pourraient jouer un rôle. On sait que l’ordre de naissance peut jouer un rôle. Les chances ou les risque d’être homosexuel pour un homme donné augmentent de 33% pour chaque frère plus âgé que lui né de la même mère. La différence se joue au niveau de l’environnement maternel, et sans doute en relation avec le système immunitaire de la mère (Blanchard 2001)[2]. Ce fait est d’ailleurs très intéressant parce que, sans surprise, on a montré que les mères des hommes homosexuels ont tendance à avoir plus d’enfants que les autres, mais c’est aussi le cas de leurs tantes[3]. Du coup l’hypothèse génétique est renforcée [4]. Et on en arrive à la dernière question et à la réponse la plus intéressante.
NB : Pardon si mes exemples concernent surtout l’homosexualité masculine, il semblerait qu’elle soit simplement plus facile à étudier. En effet, l’orientation sexuelle des femmes serait plus « fluide», plus liée à des déterminants sociaux que celle des hommes. On parle de plasticité érotique, et ce caractère n’est pas encore expliqué en regard de la théorie de l’évolution. http://www.livescience.com/33992-gay-women.html
Question 3 : Comment une formule génétique produisant un individu homosexuel peut-elle se fixer dans la population ?
Si les homos ne peuvent pas se reproduire, les gènes qui rendent ceux qui les portent homos devraient disparaitre, non ? Eh bien c’est là qu’il faut prendre du recul et cesser de penser à l’échelle des individus. En fait on sait théoriquement assez bien comment une telle chose est rendue possible par les mécanismes évolutionnaires. On observe dans la nature, chez plus de 1500 espèces à ce jour des comportements homosexuels. C’est donc un caractère qui est largement distribué chez les animaux. Pour expliquer cette large présence, nous avons deux possibilités : ou bien c’est une convergence évolutive et l’homosexualité est apparue séparément chez toutes ces espèces, ou bien c’est un trait ancestral qui s’est maintenu dans toutes ces lignées depuis plusieurs dizaines ou centaines de millions d’années.
Dans un cas comme dans l’autre on se retrouve devant l‘énigme d’un caractère qui rend de facto stérile et qui est pourtant conservé par l’évolution. C’est étonnant, mais pas tant que ça, et les fourmis ouvrières, ou bien les termites ou encore les abeilles pourraient nous dire que c’est un peu ce qu’elles vivent au quotidien : chacune d’entre elle est stérile, et pourtant leur espèce est florissante.
Caractère ancestral ou convergence évolutive, dans un cas comme dans l’autre on est en présence de ce que Maynard Smith appelait une Stratégie Evolutivement Stable, un équilibre dans la distribution des compositions génétiques au sein d’une population. Et l’équilibre est le suivant : si un ensemble de déterminants génétiques rendent des femmes plus fertiles, alors ces déterminants, disons des gènes pour aller vite, vont se fixer dans la population. Si ces versions de gènes, quand ils sont présents tous ensembles dans le corps d’un individu le rendent homosexuels, alors ils auront tendance à disparaitre. Et la proportion finale de ces gènes dans la population sera celle qui permet la maximisation de la transmission de ces gènes avec un taux suffisamment bas pour ne pas produire trop d’individus homo et suffisamment haut pour rendre les femelles plus fertiles. Quand on réfléchit à l’échelle des populations, des pools de gènes, on se rend compte que l’homosexualité telle qu’on la découvre à travers les travaux récents des biologistes, fait partie intégrante du fonctionnement naturel des lignées évolutives.
Question 4 : Doit-on craindre un eugénisme ?
Dans l’absolu, on peut imaginer que soient mis au point des tests qui permettent de dire aux parents si leur enfant est porteur des marqueurs génétiques corrélés à l’homosexualité. Et dans un monde ou l’homophobie est toujours tenace, cela laisse imaginer des cas d’interruption de grossesse en vue d’éviter de mettre au monde un petit homosexuel… Mais il y a plusieurs raisons pour penser que cela ne se produira pas.
— D’abord l’orientation sexuelle n’est pas binaire, et l’échelle de Kinsey (image ci-dessous) nous explique qu’il y a un continuum entre homo et hétéro en passant par cinquante nuances de gris… au moins.
— Ensuite on a vu que l’environnement prénatal avait une influence, et par conséquent le génome seul ne pourra sans doute jamais suffire à prédire l’orientation du futur adulte.
Cela fait deux bonnes raisons scientifiques de ne pas chercher à réaliser ce genre de test : ils seront inefficaces. Encore faut-il que les gens soient sensibles aux arguments scientifiques…
— Il y a une troisième raison. Une raison éthique. Notre société devra décider tôt ou tard si les parents ont le droit de « choisir » les caractéristiques de leurs enfants comme un produit sur un catalogue de cuisine aménagée. Rationnellement on doit répondre non, pour tout un tas de raisons. Et j’aimerais citer encore une fois l’évolution, qui nous a appris que la meilleure des stratégies est toujours de laisser au maximum de formules génétiques la chance de faire leurs preuves au contact du monde.
C’est pourquoi une société dirigée par la raison et non par l’idéologie ne peut pas sombrer dans l’eugénisme… si elle est vraiment dirigée par la raison et non par l’idéologie. Et c’est pour cela qu’il faut laisser aux chercheurs la liberté d’étudier ces questions et de comprendre ce qui fait que nous sommes qui nous sommes.
L’homophobie n’est jamais le produit de la connaissance, elle est le produit de l’ignorance.
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[1] http://www.podcastscience.fm/dossiers/2014/02/12/le-sexe-et-l-evolution/
[2] Blanchard R. 2001. Fraternal Birth Order and the Maternal Immune Hypothesis of Male Homosexuality. Hormones and Behavior 40, 105–114. http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0018506X01916812
[3] Iemmola F. & Ciani A.C. 2009. New Evidence of Genetic Factors Influencing Sexual Orientation in Men: Female Fecundity Increase in the Maternal Line. Archives of Sexual Behavior 38, 393-399. http://link.springer.com/article/10.1007/s10508-008-9381-6
[4] Une étude sur la drosophile qui vient de sortir montre un phénomène assez similaire à celui observé chez l’homme. Les lignées produisant des mâles avec des comportements homosexuels produisent également des femelles plus fertiles que les autres. http://rspb.royalsocietypublishing.org/content/282/1809/20150429
Hoskins et al. 2015 A test of genetic models for the evolutionary maintenance of same-sex sexual behaviour