Une découverte ?
L’équipe d’Alan Sanders vient de publier dans le journal Psychological medecine la plus grande étude à ce jour sur les déterminants génétiques de l’homosexualité. On a déjà eu droit par le passé à certains raccourcis du style « on a trouvé le gène de l’homosexualité ». Ce n’est pas aussi simple, mais disons qu’il existe des régions du génome qui ont été corrélées avec l’homosexualité chez l’humain ou l’animal.
Pendant 5 ans l’équipe de Sanders a récolté des échantillons chez 409 paires de jumeaux mâles dizygotes[1] et homosexuels. Ils ont ensuite dressé un profil génétique de ces individus grâce à des marqueurs fins (Single nucleotide polymorphism). Parmi les 818 hommes, le seul trait partagé de manière univoque était l’homosexualité. La méthode génétique utilisée permet de répondre à la question : Trouve-t-on une région du génome qui existe sous une forme différente chez ces individus-là par rapport à la population générale, et qui soit donc significativement corrélée à ce qui les distingue : leur homosexualité ?
L’étude a trouvé 5 zones dans le génome humain qui correspondent à cette définition. Les chercheurs prennent soin de préciser qu’ils n’ont trouvé aucun gène de l’homosexualité en tant que tel. Il s’agit de régions dans lesquelles une combinaison de facteurs peut prédisposer à une certaine orientation sexuelle plutôt qu’une autre. Par ailleurs, 2 de ces zones avaient déjà été pointées par des travaux précédents en 1993 et 2005, et l’équipe de Sanders s’était apparemment montrée plutôt sceptiques envers ces premiers résultats. Cela consolide la validité de leurs travaux.
Que faut-il ne PAS en conclure ?
Les auteurs eux-mêmes ont bien précisé qu’il n’était pas question de dire qu’on a trouvé le gène, ni même les 5 gènes de l’homosexualité, car on ignore comment les paramètres génétiques interagissent avec l’environnement, et cette étude, quand bien même elle était trois fois plus grandes que les précédentes, ne garantit pas une prise en compte de tous les facteurs impliqués dans un comportement humain complexe. Rappelons-nous qu’Alfred Kinsey a montré qu’il existe un continuum entre les comportements purement hétérosexuels et purement homosexuels (l’échelle de Kinsey, avec notamment les divers degrés de bisexualité, et même l’asexualité : l’absence d’attirance sexuel), ce qui indique que les déterminants génétiques, s’ils existent (et c’est de plus en plus probable) sont certainement subtils.
L’étude portant, pour des raisons de faisabilité méthodologique, exclusivement sur des hommes homosexuels, il n’est pas certain que les mêmes régions soient impliquées chez les femmes présentant des comportements homosexuels, quant au cas de la bisexualité, il n’est pas dans le focus de ce travail non plus. Il faut donc se retenir de faire des conclusions trop larges.
Conséquences ?
Si l’homosexualité est bien le résultat d’une formule génétique (sans doute associée à des facteurs environnementaux lors du développement), cela confirme ce que l’on sait déjà : l’orientation sexuelle n’est pas un choix. Cette vérité toute simple a aujourd’hui encore besoin d’être rappelée, et la science le fait fort à propos.
Mais évidemment, ce genre d’étude éveille le spectre de l’eugénisme, la crainte que l’homosexualité puisse être considérée comme une maladie génétique, et donc destinée à être guérie. Ne nous leurrons pas, nous entendrons et nous lirons cela encore et encore. Et il faudra être attentif à y répondre convenablement.
Compte tenu de l’état de l’homophobie à l’échelle du monde, on peut s’attendre à ce que des politiques réclament la mise au point de tests génétiques destinés à empêcher la naissance d’enfants porteur des facteurs génétiques corrélés à ce comportement. Et ailleurs dans le monde certains parents voudront y avoir recours. L’homosexualité reste pour beaucoup synonyme d’anormalité, d’abomination, de souffrance, de rejet… Et à ce moment-là, que devront faire les scientifiques ?
Question subsidiaire : Comment un gène de l’homosexualité pourrait-il bien se transmettre ?
Comme il nous reste du travail pour savoir précisément le niveau de détermination génétique de ce comportement, la réponse sera nécessairement théorique et spéculative.
Nos gènes codent pour la fabrication de protéines dont le niveau d’expression, mais aussi la localisation ainsi que le timing de cette expression sont responsables des propriétés de notre organisme (morphologie, physiologie, comportement, etc.). Un seul et même gène est bien souvent impliqué dans différentes fonctions à différents endroits du corps et/ou à différents moments. C’est ce qu’on appelle la pléiotropie.
L’évolution du vivant fonctionne à l’échelle des populations à l’intérieur desquelles la reproduction assure un brassage génétique et où la sélection naturelle élimine certaines formules génétiques défavorables aux individus ou aux groupes. Nous possédons tous deux versions de chacun de nos gènes, deux allèles, l’un venant du père, l’autre de la mère. Il peut exister de multiples allèles d’un gène dans une espèce. On peut imaginer (c’est là que commence la partie spéculative) qu’existe un gène A dont l’une des versions (ou allèle), disons la numéro 2, apporte un avantage sélectif au porteur. Cet avantage peut être de toutes les natures imaginables : il rend l’individu plus fertile, il améliore sa capacité à séduire un partenaire de bonne qualité (évolutivement parlant), il le rend plus agressif ou au contraire plus conciliant dans des situations où cela est un avantage, etc. Dans la même population un autre gène B a lui aussi un allèle (disons le 4) qui apporte des avantages (peu importe lesquels) : un corps plus puissant, une meilleur digestion, une meilleure résistance aux parasites, etc.
Ces deux allèles auront tendance à être conservés par la sélection naturelle car ils confèrent aux organismes qui les portent une meilleure chance de survie et/ou de reproduction. C’est le fondement de la théorie de l’évolution.
Seulement voilà, dans notre exemple ces deux versions de nos deux gènes, lorsqu’ils se retrouvent dans un seul et même corps, vont avoir entre un effet nouveau. Leur combinaison produit un nouveau résultat : l’individu devient homosexuel. D’un point de vue évolutionnaire, bien sûr, cela est synonyme de l’arrêt de la transmission de ces allèles. Chaque fois qu’un individu possède ces deux allèles ensemble, aucun des deux ne peut être transmis. Mais rappelons-nous qu’individuellement ils apportent des avantages. Pour que chacun de ces allèles se maintienne dans la population (ou dans l’espèce) il suffit, en nombre de descendants, que les avantages dans la population générale dépassent le désavantage dans les individus porteurs des deux allèles. Dans ces cas-là on arrive souvent à un équilibre dynamique avec le maintien au sein de la population d’une proportion stable d’individus porteur de l’allèle A2, ou bien de l’allèle B4, d’aucune ou bien des deux.
Cela signifie que les gènes de l’homosexualité, s’ils existent (et s’ils existent, ils sont plusieurs), peuvent bien être transmis à l’échelle d’une lignée.
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[1] C’est-à-dire des « faux » jumeaux issus de deux cellules œufs : leurs génomes respectifs sont aussi différent l’un de l’autre que ceux de n’importe quelle fratrie. À l’inverse, les jumeaux monozygotes sont considérés génétiquement identiques. Ces « faux » jumeaux partagent 50% de leurs gènes, et c’est ce qui intéresse les chercheurs ici : deux profils génétiques proches mais dont les différences permettent de chercher le facteur génétique lié à des différences de phénotype.