La zététique consiste à questionner les raisons pour lesquelles nous pensons que quelque chose est vrai.

On m’a signalé ce passage médiatique de Didier Raoult venu vendre son dernier livre sur Europe 1 où il explique qu’il ne faut surtout pas croire les modèles, les théories, mais seulement ce qu’on voit.

Son épistémologie défectueuse a déjà été critiquée sur ce blog [Article de Florian COVA]. Dans cette émission, en septembre dernier, Didier Raoult ne trouve rien de plus intelligent à faire que de chantonner encore un refrain climatosceptique en affirmant que la surface des glaces polaires n’a pas changé en 10 ans — sous-entendu : les climatologues racontent des bêtises, on vous ment, les consensus c’est de la cambronne.

Mais Didier Raoult raconte encore des sottises.

 

Les données scientifiques montrent le contraire, y compris sur cette période des dix dernières années.

Arctique :

Entre 2015 et 2024, la surface minimale annuelle (septembre) est passée d’environ 4,6 à 4,2 millions de km², selon le National Snow and Ice Data Center (NSIDC). C’est une perte nette de près de 10 % en dix ans, malgré les variations annuelles naturelles. (Source : NSIDC, Sea Ice Index, version 3, 2025)

Antarctique :

Sur la même période, la glace de mer a connu un effondrement spectaculaire : record historique de faible extension en février 2023, confirmé en 2024. Les études récentes parlent d’un basculement durable de la dynamique antarctique (Sources : Turner et al., Nature Climate Change, 2022 ; NSIDC, Antarctic Sea Ice Summary, 2024)

Ensemble :

Si l’on additionne les deux pôles, la surface moyenne annuelle de glace de mer mondiale est nettement inférieure à celle du début des années 2010.
En dix ans, la planète a perdu plusieurs centaines de milliers de km² de glace flottante.

Les données sont publiques sur les sites du NSIDC (nsidc.org) et de la NASA (climate.nasa.gov). Aucune analyse sérieuse ne conclut à une stabilité. Les « vérifications personnelles » de M. Raoult ne peuvent remplacer la rigueur statistique et la continuité des mesures satellites.

Les journalistes comme Christine Kelly devraient faire autre chose que s’ébahir de la grosse intelligence de Didier Raoult quand il désinforme leur public au micro qu’ils lui tendent encore.

 

Je traite cela juste après avoir réagi à la désinformation de Didier Raoult sur la vaccination anti-covid qu’il accuse de provoquer des cancers.

Voir ici :

 

Acermendax

Quelques liens :

https://nsidc.org/sea-ice-today/analyses/arctic-sea-ice-extent-levels-2024-minimum-set

https://svs.gsfc.nasa.gov/5382/

Une donnée publiée après le tournage de mon épisode sur le sujet…

En juillet 2025, le designer brésilien Cícero Moraes publie une étude qui réaffirme un aspect déjà documenté mais nié par les sindonologues : on a une explication sur la manière dont l’objet a été fabriqué.

Moraes s’est illustré dans l’anthropologie médico-légal et la reconstruction numérique des visages de figures historiques ou religieuses (comme Saint Antoine de Padoue) en collaboration avec des institutions comme le Museum of Anthropology de l’Université de Padoue. Son approche est strictement géométrique. À l’aide de logiciels 3D libres, il modélise un visage humain réaliste, puis simule l’effet qu’aurait un linge déposé sur ce visage en trois dimensions à la recherche d’une cohérence anatomique.

Or, le résultat devrait surprendre celles et ceux qui croient le suaire authentique : le tissu épousant un vrai visage génère une image déformée, élargie, avec des volumes incohérents par rapport à ce que montre le suaire. Les joues s’étalent, le nez s’écrase, les oreilles se dérobent sur les côtés, et les jambes deviennent plus larges. Bref, l’empreinte réelle d’un corps ne peut pas donner ce que l’on voit sur la relique de Turin. En revanche, lorsqu’il répète l’expérience non plus sur un visage vivant mais sur un bas-relief — une sorte de masque sculpté en faible relief — tout s’aligne. L’image obtenue est proportionnée, symétrique, et bien plus proche du suaire tel qu’il nous est parvenu.

Avec une précision désarmante, Moraes conclut que l’hypothèse la plus plausible est celle d’un artefact conçu pour produire une image saisissante, sans avoir jamais touché de corps humain, en parfait accord avec les hypothèses favorisées par les sceptiques depuis au moins 40 ans.

Overlay of the textures created by 3D models of a human body (left) and a low-relief model (right) onto the Shroud of Turin (center) (Image credit: Cicero Moraes)

 


Source

  • Moraes, C. (2025). Image Formation on the Holy Shroud—A Digital 3D Approach. Archaeometry. Advance online publication – https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/arcm.70030

 


Mise à jour

La réponse de Cícero Moraes aux gardiens du suaire

 

En juillet 2025, l’ingénieur brésilien Cícero Moraes publiait dans la revue Archaeometry une étude retentissante sur le suaire de Turin, affirmant que « l’image du corps » présente sur le tissu pouvait très bien avoir été produite par contact avec un bas-relief. Une telle hypothèse, reléguée depuis longtemps aux marges de la sindonologie, revenait brusquement dans le champ scientifique grâce à des simulations 3D rigoureuses et reproductibles. Le Centro Internazionale di Studi sulla Sindone (CISS), gardien historique du suaire, n’a pas tardé à publier une réponse — à laquelle Moraes vient lui-même de répondre, dans un texte accessible sur.

https://www.researchgate.net/publication/395338103_My_Public_Response_to_the_Centro_Internazionale_di_Studi_della_Sindone_CISS_Regarding_the_Study_in_Archaeometry_2025

Ce texte, intitulé My Public Response to the CISS, réaffirme les intentions initiales de l’auteur qui ne prétend pas avoir prouvé comment l’image du suaire a été faite, mais simplement qu’une formation par contact avec un bas-relief est compatible avec ce que nous voyons.

 

Moraes corrige une déformation de son étude par la presse, puisqu’à aucun moment il se traite l’hypothèse que le suaire aurait été brûlé par une sculpture chauffée, comme certains articles l’ont suggéré. Ensuite, il répond aux critiques du CISS sur le manque de scientificité des outils utilisés (comme Blender, MeshLab, etc.). Moraes rappelle que les méthodes numériques qu’il emploie sont accessibles, documentées, et permettent la reproductibilité complète des résultats, critère essentiel dans toute démarche scientifique. Il souligne également que l’idée d’une image projetée de façon orthogonale, sans déformation latérale, remonte à Paul Vignon et Yves Delage dès 1902 — deux chercheurs favorables à l’authenticité du suaire. Moraes revendique une approche respectueuse de l’histoire du débat, mais modernisée par les outils contemporains. Il précise que son modèle s’inspire directement d’un gisant médiéval, et que le procédé proposé est crédible dans le contexte technique du Moyen Âge.

Enfin, Moraes revient sur un des piliers de la rhétorique sindonologique contemporaine : l’absence de « peinture ». Un raisonnement fallacieux répété dans les médias et par certains apologètes prétend que, puisque des analyses comme celle d’Acetta n’ont pas détecté de pigments sur certains échantillons, cela voudrait dire qu’aucune peinture n’est présente. Là encore, il remet les pendules à l’heure : « Ne pas trouver une substance ne signifie pas qu’elle est absente. Cela signifie simplement qu’elle n’a pas été détectée dans les conditions de l’analyse. » Il rappelle qu’Acetta lui-même était prudent, et que ses conclusions ne permettaient en aucun cas de trancher entre image naturelle et artefact. Ce sont les extrapolations d’autres chercheurs (notamment Giulio Fanti) qui ont transformé cette absence relative en preuve d’origine surnaturelle. Moraes refuse cet abus.

Par ailleurs, plusieurs études indépendantes ont bien détecté des pigments à base d’ocre rouge, d’hématite ou de cinabre sur le suaire, parfois en quantité infime, mais attestée. Le travail d’Acetta, en ne détectant pas certains pigments sur ses échantillons, ne permet pas de conclure à leur inexistence absolue, ni d’éliminer l’hypothèse d’un artefact humain. Une conclusion scientifique ne saurait reposer sur une absence partielle de données. 

La réponse de Moraes au CISS est une défense rigoureuse d’une approche rationnelle et ouverte. Elle révèle à quel point certains arguments pro-authenticité reposent sur des affirmations fragiles, souvent non testables ou déduites de silences interprétés. À l’inverse, la proposition de Moraes est réplicable, transparente et falsifiable : trois qualités que bien des discours sindonologiques peinent à afficher.

Illustration d'un lot de 6 clous de la crucifixion en vente sur Amazon

Les clous sont la preuve de l’authenticité !?

 

C’est l’un des derniers bastions des défenseurs du suaire : Le Christ du suaire a des clous dans les poignets, pas dans les paumes. Or, dit-on, au Moyen Âge, on croyait que Jésus avait été cloué dans les mains. Un faussaire de cette époque ne pouvait pas inventer ce détail anatomique, donc le suaire est authentique. Cette idée impressionne. Elle repose pourtant sur un malentendu : l’imagerie médiévale n’est pas aussi uniforme qu’on le prétend.

On trouve dans l’art chrétien antérieur au suaire — parfois de plusieurs siècles — des représentations de la crucifixion avec des clous au poignet ou dans l’avant-bras. Le célèbre Évangéliaire de Rabbula (vers 586), manuscrit syriaque conservé à Florence, montre le Christ cloué de façon ambiguë, avec des fixations situées plus bas que la paume. Sur le Psautier d’Utrecht (vers 820–830) les clous semblent enfoncés dans les poignets. D’autres exemples issus de l’art byzantin ou carolingien (ivoire de Lorsch, psautier de Stuttgart, plaques irlandaises) vont dans le même sens. Faisons bien attention ; les églises médiévales n’avaient pas vocation à fournir une description scientifique de la crucifixion, mais à évoquer la Passion. De ce fait, tout attribut anatomique précis y est généralement absent, et il est donc difficile de réaliser une observation nette du positionnement des clous qui pourrait réfuter « l’argument du poignet ». Mais justement… l’affirmation selon laquelle seul le poignet était connu comme lieu de crucifixion dans l’art ancien n’est pas étayée visuellement par des sources explicites : en réalité ces œuvres restent silencieuses sur cette question.

 

Le débat sur l’emplacement des clous dans la crucifixion oppose depuis longtemps les partisans du poignet aux défenseurs de la paume. Frederick T. Zugibe, médecin légiste connu pour ses prises de position pro-suaire, soutenait que plusieurs zones dans la main — et non uniquement le poignet — pouvaient permettre une suspension sans déchirure des tissus. Il écrivait notamment : « Il existe plusieurs zones solides dans la main permettant un clouage viable. Les deux affirmations contraires [sur l’impossibilité des paumes et la nécessité du poignet] sont incorrectes. » (The Crucifixion of Jesus, 2005). Même Pierre Barbet, souvent invoqué comme “preuve” du clouage au poignet, admettait plusieurs hypothèses, dont la paume supérieure. Ces débats montrent surtout que la question est anatomiquement ouverte, qu’elle l’était déjà au XXe siècle, et qu’aucune configuration ne permet de trancher définitivement en faveur d’une empreinte historique

L’évolution de la médecine légale ne plaide pas en faveur d’un secret réservé aux modernes. Il s’agit de questions techniques largement accessibles dès que l’on expérimente la suspension de charges sur des structures osseuses.

Les artistes médiévaux n’étaient pas prisonniers d’une seule tradition iconographique : ils puisaient dans différents modèles pour représenter la Passion, capables de varier selon l’espace culturel et théologique. Le détail du poignet n’a donc rien d’une exclusivité “impossible” à l’époque.

 

Et les pieds alors ?

Si l’on accorde tant d’importance à la position des clous dans les mains, pourquoi ne pas examiner avec la même rigueur ceux des pieds ? Le suaire montre une trace plantaire presque complète du pied droit, mais seulement le talon du gauche. Cela a conduit plusieurs sindonologues, dans le sillage de Pierre Barbet, à supposer que les pieds étaient superposés l’un sur l’autre et traversés d’un seul clou. Ce scénario est devenu un standard de la littérature pro-suaire, censé refléter un mode de crucifixion plausible, voire méconnu au Moyen Âge. Mais là encore, les faits archéologiques bousculent le récit.

Le seul cas bien documenté de crucifié — le squelette de Giv’at ha-Mivtar, découvert en 1968 près de Jérusalem — montre un clou enfoncé latéralement à travers le talon (calcanéum), sans recouvrement des pieds. Aucune preuve archéologique ou textuelle ne confirme le modèle proposé par les partisans du suaire. En revanche, l’iconographie chrétienne médiévale tardive, notamment à partir du XIIIᵉ siècle, représente régulièrement le Christ avec les pieds croisés et cloués ensemble — souvent avec un seul clou. L’image du suaire semble donc bien plus proche d’une convention artistique gothique que d’un témoignage physique issu du Ier siècle.

Les empreintes de sang censées attester de ce montage n’apportent pas non plus de confirmation décisive. Leur orientation ne suit pas une logique gravitationnelle attendue, ni une distribution cohérente avec les flux sanguins d’un corps suspendu. Là encore, on perçoit davantage une esthétique pensée pour susciter l’émotion qu’une documentation anatomique rigoureuse. Les sindonologues affirment qu’un faussaire médiéval n’aurait jamais imaginé ce type de crucifixion. Mais il est permis de penser, à l’inverse, que ce faussaire a justement imité ce qu’il voyait dans les œuvres de son temps.

 

Acermendax

 


Sources

  • Barbet, P. (1953). A Doctor at Calvary. Garden City, NY: Image Books.
  • Center for Inquiry. (2021). Crucifixion Evidence Debunks Turin “Shroud”. https://centerforinquiry.org/blog/crucifixion-evidence-debunks-turin-shroud
  • Haas, N. (1970). Anthropological observations on the skeletal remains from Giv‘at ha-Mivtar. Israel Exploration Journal, 20(1–2), 38–59.
  • Henderson, G. (1987). From Durrow to Kells: The Insular Gospel-books 650–800. London: Thames & Hudson.
  • Ruffin, C. B. (1999). The Shroud of Turin: The Most Up-To-Date Analysis of All the Facts Regarding the Church’s Controversial Relic. Our Sunday Visitor.
  • Zugibe, F. T. (1989). Two Questions About Crucifixion. Bible Review, avril 1989, 35–43. Disponible en ligne sur le site de la Biblical Archaeology Society
  • Zugibe, F. T. (2005). The Crucifixion of Jesus: A Forensic Inquiry. New York: M. Evans & Company.

 

En septembre 2025, sur les ondes de Radio Notre-Dame, Olivier Bonnassies s’émerveille : une étude publiée dans Nature aurait détecté la présence d’ADN (de plantes et d’humains) venant d’Inde sur le suaire de Turin. Et d’en conclure qu’il s’agit là d’un indice extraordinaire validant l’hypothèse selon laquelle Joseph d’Arimathie aurait acheté une luxueuse étoffe d’origine orientale pour ensevelir le corps de Jésus. La science, enfin, viendrait confirmer le récit évangélique !

Cette lecture enthousiaste appelle néanmoins plusieurs mises au point.

D’abord, l’étude mentionnée n’a pas été publiée dans Nature au sens strict, mais dans Scientific Reports, une revue du groupe Nature, au fonctionnement éditorial distinct et à comité de lecture indépendant. L’article en question, publié en 2015 par Gianfranco Barcaccia et ses collègues, ne prétend nullement démontrer quoi que ce soit sur l’origine du corps enveloppé par le suaire. Il se limite à analyser l’ADN mitochondrial humain retrouvé sur divers fragments du tissu, et à identifier plusieurs haplogroupes correspondant à des régions variées : Europe de l’Ouest, Moyen-Orient, Caucase, Afrique de l’Est… et Asie du Sud, notamment l’Inde.

Le fait que des traces génétiques indiennes soient détectées n’a rien d’étonnant si l’on tient compte de l’histoire de l’objet : pèlerinages, manipulations liturgiques, restaurations, contacts humains répétés sur plusieurs siècles. Les chercheurs eux-mêmes insistent très clairement sur ce point :

« Ces données suggèrent que plusieurs individus d’origines ethniques diverses sont entrés en contact avec le suaire, possiblement en raison de manipulations humaines, d’une exposition environnementale et des déplacements historiques de la relique avant son arrivée à Turin. »[1]
(Barcaccia et al., 2015, p. 9)

Autrement dit, ce que cette étude montre, c’est que le suaire a été en contact avec des êtres humains, qui parfois venaient de loin. Cela ne prouve ni que le tissu a été tissé en Inde, ni qu’il a servi à ensevelir Jésus, ni qu’il a été acheté par Joseph d’Arimathie.

La démarche d’Olivier Bonnassies, si l’on admet sa bonne foi par principe de charité, illustre un aspect du biais de confirmation : nous pouvons avoir tendance à interpréter des informations de manière un peu acrobatique de sorte à leur faire dire ce que l’on voudrait qu’elles disent. À ce stade, l’inconnue est la capacité d’Olivier Bonnassies à reconnaître son erreur. Cela implique d’être capable de cesser d’utiliser un argument délicieux, mais complètement faux.

 

Pour en savoir plus sur le linge exposé à Turin :

 

Acermendax

Références

  • Barcaccia, G., Galla, G., Achilli, A., Perego, U. A., Olivieri, A., Semino, O., … & Torroni, A. (2015). Uncovering the sources of DNA found on the Turin Shroud. Scientific Reports, 5, 14484. https://doi.org/10.1038/srep14484
  • Radio Notre-Dame. (2023, septembre 11). Le mal et la souffrance : raison de douter ou raison de croire ? [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=fLvrBenVXB0

[1] “These data suggest that multiple individuals of different ethnic origins came into contact with the Shroud, potentially through human handling, environmental exposure and historical travels of the relic before it came to its current location in Turin.”

Depuis des années, j’alerte sur la manière dont certains universitaires instrumentalisent leur statut pour imposer des pseudo-médecines au cœur même de l’institution. J’ai montré comment le psychiatre Fabrice Berna, professeur à l’Université de Strasbourg, détourne rhétorique et relativisme pour légitimer des pratiques sans fondement scientifique (premier article, second article).

L’enquête publiée ce dimanche par Oliver Hertel dans Le Point apporte un éclairage décisif. On y découvre que le Pr Berna n’est pas seulement un promoteur académique des médecines dites « complémentaires ». Il est aussi un disciple et un praticien du Samadeva, une organisation ésotérique à coloration sectaire, déjà signalée par la Miviludes. Diplômé en « euphonie énergétique », fondateur d’un institut portant le nom du maître Idris Lahore, copropriétaire d’un bien immobilier lié financièrement au mouvement : tout indique qu’il s’agit d’un acteur central de ce réseau occulte, et non d’un simple observateur académique.

Lire l’enquête d’Olivier Hertel.

Que penser lorsqu’un professeur d’université, psychiatre de surcroît, relaie à ses étudiants et collègues des théories fumeuses comme les constellations familiales, prétendant résoudre la dépression ou même le cancer par un théâtre symbolique transgénérationnel ? Que dire lorsqu’un enseignant hospitalier s’engage dans des montages financiers au service d’un mouvement dénoncé pour ses dérives sectaires ?

Il y a là plus qu’un problème de méthode scientifique : un abus de position académique pour légitimer des croyances dangereuses, susceptibles d’induire les patients en erreur, de tromper des étudiants, et de fragiliser la confiance dans la médecine.

Il est temps que l’Université se protège de telles influences et qu’elle cesse d’offrir son prestige à des entreprises qui nient l’esprit critique et la rigueur scientifique.

Acermendax

Ce billet contient la critique d’Alexis SEYDOUX, publiée le 22 septembre 2025, et la réponse de Nicolas Bourgeois, publiée le 29 septembre.

 

Critique d’Alexis Seydoux

Le 31 juillet dernier, j’ai répondu à l’invitation de Thomas Durand sur La Tronche en Biais à Nicolas Bourgeois, un auteur mettant doute l’historicité de Jésus et avant l’hypothèse que le personnage de Jésus est une invention[1]. Lors de ce débat en direct, j’ai mis en avant les arguments qui construisent le consensus des historiens attestant de l’existence d’un Jésus historique. Cette période n’est pas ma spécialité, mais d’une part, je l’ai étudiée dans mon cursus universitaire et j’ai continué à travailler dessus, et d’autre part, j’ai présenté une conférence pour l’AFIS sur ce sujet[2].

L’hypothèse de monsieur Bourgeois a été présentée dans un livre, Une invention nommée Jésus, qu’il m’a fait parvenir depuis et dont je présente ici une recension[3].

 

 

L’historicité de Jésus a fait l’objet de débat entre historiens. Pour certains, les sources permettant d’attester de l’existence de Jésus ne sont pas assez solides pour assurer de l’historicité du personnage ; et si Jésus n’existe pas, alors les fondements du christianisme comme religion révélée s’écroulent. Aujourd’hui, le consensus des historiens penche nettement en faveur de l’existence de Jésus. Ce débat est assez bien résumé notamment par Maurice Sartre, un antiquisant spécialiste de l’Orient romain[4].

La première chose qui frappe dans cet ouvrage, c’est la faiblesse de la bibliographie présentée. Une quarantaine d’auteurs est cité, essentiellement autour de la vie Jésus ; il manque, à mon sens, d’une part une grande partie des ouvrages anglo-saxons sur la question, notamment les grandes synthèses comme le premier volume de la Cambridge History of Christianisme ou les ouvrages analysant les sources du premier christianisme[5]. C’est aussi le cas d’une partie des synthèses publiés en français, tel que le premier volume l’Histoire du Christianisme, ou la L’Histoire générale du Christianisme[6]. Ces ouvrages sont actuellement les synthèses les plus complètes présentant le consensus historique. D’autre part, il manque les ouvrages qui mettent en avant le contexte historique et religieux de cette période[7]. De fait, monsieur Bourgeois ne s’intéresse ni au contexte historique de la Judée ou de l’Empire romain au Ier siècle, ni au contexte du judaïsme ; cette partie court sur deux pages de la première annexe de l’ouvrages, et ne met en avant qu’une rapide chronologie des débuts du judaïsme à la révolte de 135. Du coup, Nicolas Bourgeois n’aborde jamais le contexte de production et de réception des textes dont il fait la critique.

Il emploie également un argument ad hominem, en indiquant que les auteurs qui travaillent sur l’existence de Jésus sont des croyants. Ceci n’est pas exact et il aurait fallu que Nicolas Bourgeois présente une historiographie du sujet.

L’essentiel de l’argumentation de monsieur Bourgeois repose sur une critique serrée des textes qui évoquent Jésus. Trois sont essentiellement mis en avant : les sources, essentiellement les Évangiles, sont incohérentes, donc faux ; les autres textes sont inspirés par des chrétiens, sont orientés et donc non recevables ; les textes non chrétiens sont trop éloignés ou douteux, donc peu acceptables.

Ces arguments sont en réalité faibles et ont déjà été présentés par les historiens. Le fait que les Évangiles manquent de cohérence et ne permettent pas de reconstruire une biographie de Jésus est une évidence que les historiens ont longtemps mise en avant, puisque c’est en grande partie sur cela que l’exégèse s’est fondée dès le XVIIIe siècle. Les Évangiles ne sont pas des biographies de Jésus, mais des textes militants cherchant à montrer aux autres factions juives de la validité du message de Jésus.

L’autre arguments, c’est que la plupart des textes qui parlent de Jésus sont chrétiens donc orientés. Là encore, c’est enfoncer une porte ouverte ; et c’est mal connaître ce qu’est la critique des sources sur laquelle la méthode en Histoire. Toute source écrite est orientée et subjective. Que les Évangiles soient produits par des proches du groupe qui reconnait Jésus n’enlèvent pas leurs valeurs. Que les textes parlant de Jésus – ce qui n’est pas forcément le cas, trouvent leur source parmi les suiveurs de Jésus, ne démontre pas que Jésus est une invention. Si on écartait d’emblée toutes les sources produites par une entité politique car elles sont “militantes”, alors on ne connaitrait rien de la religion des Grecs car on aurait écarté Homère et Hésiode, rien des Carolingiens, car on ne s’appuierait pas sur leurs lois et rien sur Magellan car on écarterait le récit de Pigafetta. Le travail de l’historien consiste à comprendre et à critiquer ces textes, notamment en s’appuyant sur leur contexte de production et de diffusion.

L’analyse des ouvrages de Flavius Josèphe est sans doute le plus représentatif du manque d’analyse de ces textes. Nicolas Bourgeois s’interroge dans son ouvrage du manque de mention de Jésus dans son premier ouvrage, La guerre des Juifs, pourtant plus anciens. En revanche, l’auteur juif cite Jésus dans le deuxième dans le passage appelé le Testimonium Flavianum. Pour l’auteur, c’est un argument montrant que la “propagande” chrétienne a influencé Flavius Josèphe. Mais, il ne prend pas en compte les intentions de l’auteur : le premier ouvrage de Flavius Josèphe a pour objet d’expliquer la guerre des Juifs, donc les événements de 67 à 70 en Judée et spécialement le propre rôle de l’auteur ; c’est donc, avant tout, un texte justificatif. Le second, Antiquités Judaïques est écrit par Flavius Josèphe pour expliquer aux Romains ce qu’est le judaïsme. Et dans ce cadre, il décrit les différents groupes juifs, dont ceux qui croient en la résurrection de Jésus. Il ajoute que pour que le Testimonium Flavianum soit valable, il faudrait s’assurer qu’il soit bien écrit, du moins en parti, par l’auteur juif et que sa source ne soit pas chrétienne. Or, si ce passage connaît bien une interpolation bien étudiée par les chercheurs, on sait qu’il est bien de la main de Flavius Josèphe, notamment du fait de son style et par une copie de ce texte non interpolé qui a été retrouvé[8]. Que sa source soit chrétienne, c’est possible, mais cela n’invalide pas la mention de Jésus comme personnage historique.

Du coup, ne prenant pas en compte le contexte politique et religieux de la Judée, particulièrement entre 66 et 135, et ne mettant pas en avant le contexte de production et de réception de ces textes, Nicolas Bourgeois se livre dans son ourvrage, à un exercice d’hypercritique.

La démonstration de Nicolas Bourgeois est donc uniquement fondée sur la critique des textes. Mais, jamais il ne cherche à expliquer comment le personnage de Jésus a été inventé par les Chrétiens et en quoi on comprend mieux la naissance de la religion chrétienne est mieux expliqué par l’inexistence de Jésus que par son existence ?

 

La critique des sources de Nicolas Bourgeois est donc assez faible, car elle ne se fonde que sur une hypercritique de ces textes, sans jamais tenir compte du contexte historique, du contexte de production, des intentions des auteurs et de l’intertextualité. Cette critique est très éloignée des méthodes actuelles de l’histoire. De plus, dans cet ouvrage, il n’explique pas pourquoi et comment le personnage de Jésus aurait été inventé. Du coup, il ne propose pas une explication meilleure que celle du consensus actuel.

 

Alexis Seydoux
Références

[1] https://www.youtube.com/watch?v=VNwJw5VSlG0&t=4822s, consulté le 15 août 2025.

[2] https://www.youtube.com/watch?v=U1_fzHdFYkY&t=4964s, consulté le 15 août 2025.

[3] Nicolas BOURGEOIS, Une invention nommée Jésus, autoédité, 2023.

[4] Maurice SARTRE, “L’historien face au christianisme : quelques réflexions”, in Pierre GEOLTRAIN (edit), Aux origines du Christanisme, Paris, Gallimard, 2000.

[5] Margaret MITCHELL et Frances Young (edit), The Cambridge History of Christianity, vol 1, Origins to Constantine, Cambridge, CUP, 2006 ; Andrew RADDE-GALLWITZ, The Cambridge editions of Early Christians Writings, Cambridge, CUP, 2017 ;

[6] Jean-Marie MAYEUR, Charles PIETRI, Luce PIETRI, André VAUCHEZ et Marc VENARD, Histoire du Christianisme, tome 1, Le Nouveau Peuple (des origines à 250, Paris, Desclée, 2000 ; Jean-Robert ARMOGATHE, Pascal MONTAUBIN, Michel-Yves PERRIN, Histoire générale du Christianisme, tome 1, Des origines au XVe siècle, Paris, PUF, 2010.

[7] David WENHAM, Jesus in Context. Making Sense of the Historical figure, Cambridge, CUP, 2021 ; Gillian CLARK, Christianity and Roman Society, Cambridge, CUP, 2004 par exemple.

[8] Simon Claude MIMOUNI et Pierre MARAVAL, Le Christianisme des origines à Constantin, op. cité, page 75.

 


Réponse de Nicolas Bourgeois

 

Vous venez de lire une critique très défavorable de mon livre Une invention nommée Jésus par Alexis Seydoux. Je crois que mon contradicteur a mal lu mon livre. Commençons par les erreurs factuelles.

 

Alexis Seydoux écrit : « dans cet ouvrage, il n’explique pas pourquoi et comment le personnage de Jésus aurait été inventé ». J’ai écrit : « Au cours des chapitres précédents, nous avons vu comment Jésus a été fabriqué : d’après les Écritures. Nous allons maintenant voir pourquoi ». Voir le début du chapitre 10 sur le Messie.

 

Alexis Seydoux me reproche à plusieurs reprises de ne pas tenir compte des contextes historiques et religieux de la Judée, du judaïsme et de l’Empire romain ni de l’intertextualité. Je m’y intéresse dès l’introduction : « Pourquoi a-t-on inventé Jésus ? On ne voit pas. On ne voit pas car l’histoire de Jésus est née dans une culture différente de la nôtre et dans un contexte historique particulier. Une fois tout cela exploré, l’invention de Jésus paraît beaucoup moins étonnante »… jusqu’à à la conclusion : « Jésus est le fruit de l’espoir de salut du peuple juif. Cet espoir s’est exprimé de façon religieuse, comme il était normal pour ce peuple et pour cette époque » … en passant par un chapitre consacré au Messie largement consacré au contexte religieux de la Judée du premier siècle et à la comparaison de textes de provenances différentes.

 

Alexis Seydoux me reproche des raisonnements que je n’ai pas tenus.  J’aurais écrit « que les auteurs qui travaillent sur l’existence de Jésus sont des croyants. Ceci n’est pas exact… » Bien sûr que ce n’est pas exact mais j’ai écrit autre chose : « beaucoup de spécialistes sont des croyants, assez souvent des prêtres » (voir, dans l’introduction, le dernier paragraphe de L’avis des spécialistes), ce qui apparaît clairement à quiconque a fréquenté la bibliographie du sujet.

 

On me reproche ce propos : « les Évangiles, sont incohérentes, donc faux ». Oui les évangiles sont incohérents, et Alexis Seydoux le dit aussi, mais je n’en conclut pas qu’ils sont faux : « Sans disqualifier définitivement les évangiles, cela montre que leurs auteurs étaient mal renseignés ou qu’ils ont inventé ». Voir le début du chapitre 5 sur les contradictions entre les évangiles.

 

Et celui-ci : « les autres textes sont inspirés par des chrétiens, sont orientés et donc non recevables ». Je ne sais pas à quel endroit d’Une invention nommée Jésus Alexis Seydoux a trouvé cet élément.

 

En revanche, Alexis Seydoux relève un argument que j’ai effectivement avancé : pour que le Testimonium Flavianum atteste l’existence de Jésus, il faut deux conditions ; que ce texte ait effectivement été écrit par Josèphe et que Josèphe ne tire pas son information des chrétiens. Pour abréger la discussion, admettons que la première condition est bien vérifiée, que Flavius Josèphe a bien écrit ce texte. En ce qui concerne la deuxième condition, je suis d’accord avec Alexis Seydoux, on n’en sait rien. Il est possible que Flavius Josèphe tire son information des chrétiens. Pour Alexis Seydoux, ce n’est pas un problème : « Que sa source soit chrétienne, c’est possible, mais cela n’invalide pas la mention de Jésus comme personnage historique ». Pour moi, c’est grave, si Josèphe a été renseigné sur Jésus par des chrétiens (que ce soit certain ou seulement possible), alors ce témoignage s’explique aussi bien que Jésus ait existé ou pas, et il n’atteste pas l’existence de Jésus. Ce n’est pas un problème de contexte, de méthode ou d’érudition mais seulement de logique.

 

Je suis aussi d’accord avec Alexis Seydoux quand il écrit : « Aujourd’hui, le consensus des historiens penche nettement en faveur de l’existence de Jésus ». Là, oui, l’argument est impressionnant. Enfin, c’est l’argument d’autorité. Rien de plus. Alors, on peut essayer de creuser, on peut essayer d’examiner les arguments que les historiens spécialistes de Jésus avancent en faveur de son existence. Ça fait longtemps que je creuse et j’ai constaté que tous leurs arguments sont mauvais. Alexis Seydoux vient de nous en donner un exemple avec Flavius Josèphe qui, peut-être, n’est renseigné que par les chrétiens mais qui atteste quand même que Jésus a existé. Les historiens spécialistes de Jésus avancent une dizaine d’autres arguments qui sont devenus des classiques et dont aucun n’est valable. Je les ai examinés dans mon livre, il suffit de le consulter. Vous pouvez aussi en avoir un aperçu sur ma chaîne YouTube.

Vous ne me croyez pas ? Vous ne pouvez pas admettre que quelques mythistes aient raison contre des centaines d’historiens reconnus, admirés, surdiplômés et hyper-compétents ? Regardez leurs arguments, ils ne valent rien. Alors, bien sûr, c’est quand même étonnant et c’est là qu’il faut signaler que beaucoup d’entre eux sont des croyants, que beaucoup d’entre eux sont employés par une université catholique ou protestante, que beaucoup d’entre eux ont obtenu leurs diplômes d’histoire et parfois de théologie dans une université catholique ou protestante. Alors, sans être exagérément soupçonneux, on peut craindre un conflit d’intérêts : il y a sans doute des choses qu’un chercheur n’a pas intérêt à dire, du moins s’il est soucieux de sa foi et/ou de son employeur et/ou de la considération de ses confrères et/ou de sa carrière.

Il faut se mettre à la place des spécialistes croyants. Ils seraient dévastés s’ils devaient admettre que Jésus n’a pas existé. Alors, quand ils s’aperçoivent que la documentation sur Jésus n’est pas fiable, ils cherchent des raisons de penser qu’on peut quand même lui faire confiance. Et s’ils ne trouvent pas de bonnes raisons, ils se contentent d’arguments très faibles. C’est mieux que rien.

 

Alexis Seydoux conclut par « il ne propose pas une explication meilleure que celle du consensus actuel ». Les quatre évangiles sont la principale source d’information sur Jésus. Alexis Seydoux  nous rappelle que : « les Évangiles manquent de cohérence » , « les Évangiles ne sont pas des biographies de Jésus, mais des textes militants cherchant à montrer aux autres factions juives de la validité du message de Jésus ». Dans mon livre j’ai expliqué que

  • les évangiles racontent des histoires invraisemblables ;
  • les auteurs des évangiles sont prêts à inventer n’importe quelle histoire pourvu que cela les arrange ;
  • les auteurs des évangiles avaient de bonnes raisons d’inventer le personnage de Jésus ;
  • au Ier siècle, les chrétiens sont les seuls à avoir remarqué le personnage de Jésus ;
  • les historiens spécialistes du Jésus historique sont souvent en situation de conflit d’intérêts car ils défendent leur foi ou celle de leur employeur ;

Désolé, je n’ai rien de plus, mais cela me semble bien plus convaincant que les mauvais arguments des spécialistes.

Ajoutons aussi qu’Alexis Seydoux garde le silence sur une partie importante de mon livre : la réfutation de tous les arguments que j’ai rencontrés chez les spécialistes. Cela devrait être discuté, avant d’estimer que je « ne propose pas une explication meilleure que celle du consensus actuel ».

 

Quelques liens :

Mon livre, Une invention nommée Jésus : https://www.amazon.fr/gp/product/B0DNQZYZHH/ref=ox_sc_saved_image_2?smid=A1X6FK5RDHNB96&psc=1

Ma chaîne YouTube : https://www.youtube.com/@NicolasBourgeois-ps5gv

 

Nicolas Bourgeois

 

Croyances ou thérapies éprouvées ? Un débat qui traverse le milieu anti-sectes

Dans les milieux de la prévention contre les dérives sectaires, un débat récurrent agite les discussions. Lorsqu’une personne traverse une grande fragilité psychologique, faut-il l’accompagner avec des croyances spirituelles ou religieuses, ou bien s’en tenir strictement aux thérapies scientifiques validées ?

Certains défendent l’idée que les croyances – religieuses, new age ou ésotériques – pourraient faire partie de « l’arsenal thérapeutique ». Leur argument : aucune étude scientifique n’a démontré que croire est, en soi, nocif. D’autres rappellent que ce n’est pas ainsi que fonctionne la science : on n’utilise pas « tant qu’il n’y a pas de consensus contre ». C’est l’inverse : on adopte une méthode lorsqu’elle a prouvé son efficacité et que ses risques sont connus et acceptables.

 

Ce que disent les thérapies scientifiques

Les thérapies validées – thérapies cognitivo-comportementales (TCC), activation comportementale, thérapie interpersonnelle – ont fait l’objet de centaines d’essais cliniques randomisés. Les résultats sont solides : elles réduisent significativement la dépression, l’anxiété ou les troubles obsessionnels, améliorent le fonctionnement quotidien et préviennent les rechutes (Cuijpers et al., 2021 ; Mavranezouli et al., 2024).

Prenons la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience (MBCT), qui a fait l’objet d’analyses sérieuses. Les données suggèrent qu’elle réduit modestement mais significativement le risque de rechute dans la dépression récurrente, comparée aux soins habituels (Kuyken et al., 2016). L’effet n’est pas spectaculaire, et il est moins robuste lorsqu’on compare à un antidépresseur d’entretien, mais il existe. C’est donc une option complémentaire légitime, à condition d’être pratiquée dans un cadre rigoureux et clinique. Rien à voir avec les programmes commerciaux de « pleine conscience » sans contrôle de qualité.

 

La religion et la spiritualité : des bénéfices… mais d’où viennent-ils vraiment ?

On trouve régulièrement des études montrant que les personnes croyantes rapportent une meilleure santé mentale, davantage de sens dans la vie, et parfois même une longévité accrue (Aggarwal et al., 2023 ; Li et al., 2016 ; Lucchetti et al., 2021 ; Vitorino et al., 2018). Mais attention : ces résultats sont corrélationnels, et il est essentiel d’aller au-delà de la surface.

Les bénéfices observés viennent très probablement de facteurs psycho-sociaux et culturels. Dans beaucoup de sociétés, la religion offre un tissu communautaire : des rituels collectifs, un entourage stable, des solidarités concrètes. Or, nous savons que l’isolement est un facteur de risque majeur pour la santé mentale. Autrement dit, ce n’est pas la croyance en une doctrine surnaturelle qui fait du bien, mais l’environnement social qui l’accompagne. La preuve en est que, lorsque la religion prend une forme culpabilisante ou punitive, on observe l’effet inverse : dépression et anxiété accrues. On appelle cela le coping religieux négatif (negative religious coping) (Pargament, Feuille & Burdzy, 2011), et il est associé à davantage de symptômes psychiques (dépression, anxiété) (Ano & Vasconcelles, 2005; Cheng and Ying, 2023), avec des effets prospectifs défavorables mis en évidence sur plusieurs indicateurs de bien-être (Park et al., 2018).

Ces bénéfices apparents de la religion ne disent donc rien sur la valeur intrinsèque des croyances spirituelles (de nature non rationnelle). Ils soulignent simplement le rôle protecteur d’un entourage stable et bienveillant, rôle que d’autres formes de communautés non religieuses pourraient tout autant jouer si nous décidons collectivement d’investir dans cette direction.

Les croyances irrationnelles : placebo et préjudice

Les pratiques reposant sur des croyances non fondées – Reiki, astrologie, énergies invisibles – n’ont jamais montré d’efficacité spécifique (Zadro et al., 2022 ; Rosa et al., 1998). Leur seul effet est de type placebo, et même cet effet est difficile à isoler : le bénéfice est pour ainsi dire nul. Mais en contrepartie, elles exposent à un risque clair. Lorsqu’elles remplacent des traitements validés, les conséquences sont graves. Dans une étude emblématique, les patients qui ont choisi une approche « alternative » exclusive pour traiter leur cancer (sans traitement conventionnel) ont présenté une surmortalité nette (Johnson et al., 2018a). Dans une autre étude, ceux qui utilisaient des médecines complémentaires en parallèle des traitements classiques n’avaient pas de surmortalité… mais ils pouvaient avoir tendance à refuser certains protocoles conventionnels (Johnson et al., 2018b).

A lire également, cet article « Connaissez-vous la kinésiologie ? »

Pourquoi alimenter une croyance est un risque

Renforcer une explication magique n’est jamais neutre. Les travaux de Steffen Moritz et de son équipe sur le metacognitive training (MCT) montrent que la vulnérabilité aux biais cognitifs – comme la tendance à « sauter trop vite aux conclusions » – favorise la rigidité de croyances infondées et s’associe à une moins bonne santé mentale (Moritz & Woodward, 2007 ; Eichner & Berna, 2016).

Plus une personne fragilisée s’accroche à des explications irrationnelles, plus elle devient dépendante de praticiens non régulés, avec des risques financiers, psychologiques et sectaires. À l’inverse, les programmes qui développent la capacité à questionner ses intuitions et à assouplir ses croyances améliorent les perspectives cliniques (Moritz et al., 2013).

 

Conclusion

La science ne dit pas que toute croyance est nocive. Mais elle ne valide pas la croyance comme traitement. Les bénéfices observés sont en réalité des effets sociaux et culturels : la force du groupe, le sentiment d’appartenance, la réduction de l’isolement.

Ce qui soigne vraiment, ce sont les méthodes testées, transparentes et reproductibles. Alimenter une croyance irrationnelle chez une personne fragile, c’est l’exposer à des risques désormais connus, et c’est donc lui porter préjudice.

La place de l’accompagnement, dès lors, est claire : proposer des thérapies validées, offrir un entourage fiable et une explication rationnelle du monde. Car c’est cela qui permet de se reconstruire. Lorsque l’on apprend à savoir pourquoi l’on croit ce que l’on croit, on devient capable de changer d’avis sans se renier, d’écouter les avis divergents et de se défendre contre les discours qui multiplient les allégations douteuses. Cette souplesse cognitive, qui consiste à remettre en question ses propres intuitions et à ajuster ses croyances en fonction des faits, n’est pas seulement un idéal philosophique : elle est au cœur d’interventions thérapeutiques efficaces comme le metacognitive training, dont les bénéfices démontrent qu’entraîner l’esprit critique protège la santé mentale autant qu’il éclaire la raison.

Acermendax

Références

  • Aggarwal, S., Wright, J., Morgan, A. J., Patton, G. C., & Reavley, N. J. (2023). Religiosity and spirituality in the prevention and management of depression and anxiety in young people: A systematic review and meta-analysis. BMC Psychiatry, 23, 729. https://doi.org/10.1186/s12888-023-05091-2
  • Ano, G. G., & Vasconcelles, E. B. (2005). Religious coping and psychological adjustment to stress: A meta-analysis. Journal of Clinical Psychology, 61(4), 461–480. https://doi.org/10.1002/jclp.20049
  • Cheng, C., & Ying, W. (2023). A meta-analytic review of the associations between dimensions of religious coping and psychological symptoms during the first wave of the COVID-19 pandemic. Frontiers in Psychiatry, 14, 1097598. https://doi.org/10.3389/fpsyt.2023.1097598
  • Cuijpers, P., Quero, S., Noma, H., Ciharova, M., Miguel, C., Karyotaki, E., Cipriani, A., Cristea, I., & Furukawa, T. A. (2021). Psychotherapies for depression: A network meta-analysis covering efficacy, acceptability and long-term outcomes of all main treatment types. World Psychiatry, 20(2), 283–293. https://doi.org/10.1002/wps.20860
  • Eichner, C., & Berna, F. (2016). Acceptance and efficacy of metacognitive training (MCT) for schizophrenia: A meta-analysis. Schizophrenia Bulletin, 42(4), 952–962. https://doi.org/10.1093/schbul/sbv225
  • Johnson, S. B., Park, H. S., Gross, C. P., & Yu, J. B. (2018a). Use of alternative medicine for cancer and its impact on survival. Journal of the National Cancer Institute, 110(1), 121–124. https://doi.org/10.1093/jnci/djx145
  • Johnson, S. B., Park, H. S., Gross, C. P., & Yu, J. B. (2018b). Complementary medicine, refusal of conventional cancer therapy, and survival among patients with curable cancers. JAMA Oncology, 4(10), 1375–1381. https://doi.org/10.1001/jamaoncol.2018.2487
  • Kuyken, W., Warren, F. C., Taylor, R. S., Whalley, B., Crane, C., Bondolfi, G., Hayes, R., Huijbers, M., Ma, H., Schweizer, S., Segal, Z. V., Speckens, A., & Teasdale, J. D. (2016). Efficacy of mindfulness-based cognitive therapy in prevention of depressive relapse. JAMA Psychiatry, 73(6), 565–574. https://doi.org/10.1001/jamapsychiatry.2016.0076
  • Li S, Stampfer MJ, Williams DR, VanderWeele TJ. (2016) Association of Religious Service Attendance With Mortality Among Women. JAMA Intern Med. 176(6):777–785. doi:10.1001/jamainternmed.2016.1615
  • Lucchetti, G., Koenig, H. G., & Lucchetti, A. L. G. (2021). Spirituality, religiousness, and mental health: A review of the current scientific evidence. World Journal of Clinical Cases, 9(26), 7620–7631. https://doi.org/10.12998/wjcc.v9.i26.7620
  • Mavranezouli, I., Dixon, S., Shearer, J., Hunter, R. M., Marshall, C., Zhelev, K., Delgadillo, J., et al. (2024). A systematic review and network meta-analysis of psychological, psychosocial, pharmacological, physical and combined treatments for adults with a new episode of depression. eClinicalMedicine, 75, 102780. https://doi.org/10.1016/j.eclinm.2024.102780
  • Moritz, S., & Woodward, T. S. (2007). Metacognitive training for schizophrenia: From basic research to knowledge translation and intervention. Current Opinion in Psychiatry, 20(6), 619–625. https://doi.org/10.1097/YCO.0b013e3282f0b8ed
  • Moritz, S., Veckenstedt, R., Bohn, F., Hottenrott, B., Scheu, F., Randjbar, S., Aghotor, J., Köther, U., Woodward, T. S., Treszl, A., Andreou, C., Pfueller, U., & Roesch-Ely, D. (2013). Complementary group metacognitive training (MCT) reduces delusional ideation in schizophrenia. Schizophrenia Research, 151(1–3), 61–69. https://doi.org/10.1016/j.schres.2013.10.007
  • Pargament, K. I., Feuille, M., & Burdzy, D. (2011). The Brief RCOPE: Current psychometric status of a short measure of religious coping. Religions, 2(1), 51–76. https://doi.org/10.3390/rel2010051
  • Park, C. L., Holt, C. L., Le, D., Christie, J., & Williams, B. R. (2018). Positive and negative religious coping styles as prospective predictors of well-being in African Americans. Psychology of Religion and Spirituality, 10(4), 318–326. https://doi.org/10.1037/rel0000124
  • Pearce, M. J., Koenig, H. G., Robins, C. J., Nelson, B., Shaw, S. F., Cohen, H. J., & King, M. B. (2015). Religiously integrated cognitive behavioral therapy: A new method of treatment for major depression in patients with chronic medical illness. Psychotherapy, 52(1), 56–66. https://doi.org/10.1037/a0036448
  • Rosa, L., Rosa, E., Sarner, L., & Barrett, S. (1998). A close look at therapeutic touch. JAMA, 279(13), 1005–1010. https://doi.org/10.1001/jama.279.13.1005
  • Vitorino, L. M., Lucchetti, G., Leão, F. C., Vallada, H., & Peres, M. F. P. (2018). The association between spirituality and religiousness and mental health. Scientific Reports, 8, 17233. https://doi.org/10.1038/s41598-018-35380-w
  • Zadro, J. R., Shirley, D., Quinn, T. J., Pope, R., & Shirley, R. (2022). Is Reiki more effective than placebo? A systematic review and meta-analysis. Frontiers in Psychology, 13, 816700.

 

Je souhaite alerter publiquement l’Université de Lille, l’Ordre des Médecins et la MIVILUDES à propos d’une formation actuellement diffusée sous le titre : « Expérience de Mort Approchée, NDE et thérapie selon Jung ».

 

Ce n’est pas par les canaux académiques ou scientifiques que j’ai découvert cette formation, mais via une publicité sponsorisée sur Facebook[1]. Cela dit tout du positionnement réel de cette initiative : une offre commerciale ciblant le grand public comme les professionnels de santé, et non une démarche universitaire ou de recherche. La logique est clairement mercantile ; la publicité mène à une page de vente détaillée, où l’on découvre une formation en ligne de 14 heures, proposée par Bruno Traversi (présenté comme “enseignant-chercheur à l’Université de Lille” mais qui fournit une adresse yahoo) et un Dr Nicolas Drouet, au sein d’un dispositif appelé Réseau Thêta, au tarif de 290€ (au lieu de 360€, précise-t-on !). Monsieur Traversi a bien un doctorat, sa thèse s’intitule : « La danse comme spontanéité – hypothèse d’une structure inconsciente du mouvement. » Sans commentaire.

 

Cela pose plusieurs problèmes :

Présenter une EMI comme un “savoir” à maîtriser, et promettre une capacité à l’analyser après 14h de formation, est non seulement scientifiquement fallacieux, mais potentiellement dangereux. Cela exploite un moment de grande fragilité psychologique chez les patients et leurs proches.

La formation mélange des éléments symboliques et spirituels (archétypes, renaissance, accompagnement de la mort) avec des prétentions d’analyse psychologique, voire clinique. Cela crée un glissement de terrain constant entre discours scientifique, ésotérisme et auto-légitimation thérapeutique.

Le message s’adresse directement aux professionnels de santé, leur laissant entendre qu’ils pourraient, après cette formation, exercer une forme d’accompagnement thérapeutique spécifique. Or, ni la psychologie jungienne, ni la notion de “thanatose”, ni le “réseau Thêta” ne sont reconnus comme fondements cliniques ou validés scientifiquement dans la prise en charge des patients.

Le nom de l’Université de Lille est mis en avant sans qu’il soit possible de vérifier l’existence d’un rattachement officiel. Le visuel du certificat délivré, les formulations utilisées et le nom de l’institut donnent l’apparence d’un diplôme universitaire ou d’une spécialisation, alors qu’il ne s’agit que d’une auto-certification privée sans reconnaissance légale ni académique. Et sur ce certificat le nom de l’Université de Lille… disparait.

Par son organisation en réseau fermé, sa promesse d’accès à un “savoir caché”, son flou terminologique (entre “spécialiste”, “accompagnant”, “thérapeute”) et l’absence de garde-fous rigoureux, le système mis en place présente plusieurs caractéristiques typiques des dérives pseudo-thérapeutiques et sectaires recensées par la MIVILUDES.

 

Au cœur du propos se trouve la méthode MIDAS (Méthode d’Induction de Dissociation Avancée Sensitive), inventée par Bruno Traversi au sein du « Réseau Thêta ». Elle prétend induire des états de conscience comparables à ceux des EMI et produire des effets thérapeutiques profonds (réduction de la peur de la mort, traitement de troubles psychiques, etc.)[2]. Pourtant, aucune publication scientifique indépendante, évaluée par les pairs, ne vient étayer ces allégations. Les descriptions méthodologiques sont vagues, les résultats sont rapportés exclusivement sous forme de témoignages internes, sans protocole expérimental rigoureux ni données vérifiables. Aucun cadre clinique, éthique ou universitaire reconnu n’encadre la pratique. Le vocabulaire employé (« certification », « spécialiste », « analyse d’EMI ») est trompeur, laissant croire à une reconnaissance académique ou médicale inexistante.

En l’état, la méthode MIDAS relève clairement d’une construction pseudo-thérapeutique dénuée de validation scientifique, et ne peut en aucun cas être légitimement présentée ou promue dans un cadre universitaire.

 

Bruno Traversi se présente comme chercheur à l'université de Lille et de Paris

Bruno Traversi se présente comme chercheur à l’université de Lille et de Paris

 

Je demande par conséquent :

À l’Université de Lille

De clarifier publiquement si elle cautionne, héberge ou soutient cette formation. Si ce n’est pas le cas, il est impératif qu’elle demande expressément à ce que son nom ne soit plus utilisé pour légitimer une initiative qui relève d’une approche non scientifique, hors des cadres universitaires habituels.

À l’Ordre des Médecins

De s’interroger sur la communication du “Dr Drouet” et les risques de confusion avec une compétence médicale ou psychothérapeutique reconnue. Le cadre déontologique n’autorise pas l’usage ambigu de titres ou de fonctions auprès du public dans des contextes commerciaux ou pseudo-scientifiques.

À la MIVILUDES

D’examiner en détail les activités du Réseau Thêta, de l’Institut de Psychologie Analytique et Thanatose, et de la formation en ligne sur les EMI, afin d’évaluer si les conditions d’une dérive sont réunies. Les ingrédients sont là : public ciblé en situation de détresse, promesse de transformation, absence de contrôle institutionnel, certification symbolique, vocabulaire thérapeutique, habillage scientifique, proximité avec des croyances métaphysiques, réseautage interne opaque.

À qui de droit

De se pencher sur l’omniprésence sur FACEBOOK de publicités mensongères, trompeuses et souvent en lien avec des pratiques thérapeutiques présentant un risque de dérive sectaire.

 

Ces pratiques constituent un enjeu de santé publique, de rigueur scientifique, et de protection des usagers face aux dérives pseudo-thérapeutiques. Elles brouillent les repères, fragilisent la frontière entre soin et croyance, et compromettent la confiance envers les institutions universitaires comme médicales.

 

Si les EMI vous intéressent, des informations fiables existent :

 

Thomas C. Durand
Vice-président de l’ASTEC

[1] https://www.facebook.com/100083385450107/posts/761869643269211/?mibextid=wwXIfr&rdid=6hRwydIeFKyrryKq#

[2] Source : https://psychologie-analytique.com/methode-midas/

Témoignage

Julien* apprend que sa mère est atteinte d’un myélome multiple. Très vite, elle est prise en charge par une équipe hospitalière compétente, humaine, réactive. Les documents d’information sont clairs, sourcés (notamment ceux de l’ARC), et tout semble mis en œuvre pour accompagner au mieux la patiente dans cette épreuve.

Dans ce parcours sans faute, on propose à sa mère un ensemble de soutiens complémentaires : coiffeur spécialisé, accompagnement psychologique… et une consultation de « médecine chinoise », dans le cadre de la fameuse médecine intégrative. L’intitulé interpelle Julien. Il prévient sa mère : aucun soin invasif ne doit être accepté, surtout avec un système immunitaire affaibli. Il insiste aussi sur l’absence de preuves scientifiques solides concernant cette pratique.

Sa mère le rassure : elle ira « voir ce que c’est », sans s’engager davantage.

Le rendez-vous a lieu. Le praticien prend le pouls, évoque un « déséquilibre énergétique du foie » et affirme que la chimiothérapie provoque des « inflammations dans les organes ». Il lui recommande d’éviter des aliments comme le poivre ou le piment. Aucun suivi. Pas d’autres conseils. Le praticien est cordial, la séance s’achève.

Mais pour Julien, la pilule ne passe pas : comment une patiente sous chimiothérapie peut-elle se voir proposer un “diagnostic énergétique” non fondé, au sein même d’un hôpital ? Comment un simple flyer, estampillé du logo de l’établissement, peut-il donner autant de crédit à ce qui relève de la croyance plus que de la médecine ?


Le flyer de l’hôpital de Mercy : une caution institutionnelle à des pratiques non scientifiques

Le document remis à la mère de Julien est un tract publicitaire à en-tête du Centre Hospitalier Régional Metz-Thionville – site de Mercy, affichant clairement l’offre de « médecine traditionnelle chinoise ». Ce flyer vante les vertus du bilan énergétique, une prétendue évaluation en quatre étapes (interrogatoire, observation de la langue, perception de la voix, palpation des méridiens) permettant de détecter des déséquilibres « des fonctions énergétiques » d’organes.

On y lit que ces bilans peuvent déboucher sur des recommandations alimentaires, ou des pratiques comme l’acupuncture, la moxibustion, les ventouses ou la phytothérapie. Le langage employé entretient une confusion grave entre médecine fondée sur les preuves et pratiques issues d’une cosmologie ancienne, sans validation clinique.

Pire encore : le flyer associe nommément plusieurs médecins hospitaliers, certains exerçant en réanimation ou dans des services critiques, à ces pratiques énergétiques, leur conférant une autorité médicale apparente. Ce brouillage de légitimité est renforcé par la mention de Doctolib, qui donne l’illusion d’un soin reconnu, validé, remboursé — alors qu’il ne s’agit que d’un habillage marketing.

Aucune mention explicite n’est faite de l’absence de preuve d’efficacité de ces méthodes. À l’inverse, le flyer affirme que l’acupuncture est « sûre », que les effets secondaires sont rares, et évoque des indications comme les nausées liées à la chimiothérapie, ce qui contredit les recommandations de la HAS (HAS, 2019).

 


Une évidence à rappeler d’urgence : la médecine énergétique n’est pas de la médecine

Les concepts utilisés dans ces consultations — « bilans énergétiques », « méridiens », « déséquilibre du foie », etc. — ne correspondent à aucune réalité mesurable en médecine scientifique. Il ne s’agit pas d’une médecine complémentaire, mais d’un système de représentation sans preuve d’efficacité au-delà de l’effet placebo.

Des revues rigoureuses l’ont établi : les bénéfices attribués à la médecine traditionnelle chinoise (MTC), y compris l’acupuncture, ne résistent pas à une évaluation fondée sur les standards de la science clinique (Colquhoun & Novella, 2013 ; Ernst, Lee & Choi, 2011). Les études qui prétendent montrer l’efficacité de ces approches souffrent très souvent de biais méthodologiques majeurs, d’absence de groupe témoin, ou d’effets non spécifiques (Zhang et al., 2010).

Présenter un diagnostic non médical, dans un contexte de grande vulnérabilité psychologique, n’est pas un acte neutre : cela peut orienter des choix alimentaires, thérapeutiques, voire inciter au rejet partiel ou total du protocole médical établi.


Enjeux sanitaires, éthiques et légaux

Même si le praticien ne propose pas de soin actif, le simple fait d’annoncer un “déséquilibre énergétique” constitue un diagnostic, au sens large du terme. Cela expose les patientes à un double risque :

  1. Un brouillage cognitif : le patient ne sait plus distinguer ce qui relève du symbolique ou du médical. Cela peut engendrer confusion, inquiétude, voire rejet de certains traitements.
  2. Un risque d’emprise douce : le recours à des discours ésotériques, surtout lorsqu’ils émanent d’un personnel apparemment validé par l’hôpital, peut fragiliser le discernement critique et ouvrir la porte à d’autres dérives.

Sur le plan légal, l’article L4161-1 du Code de la santé publique interdit l’exercice illégal de la médecine, y compris l’établissement de diagnostics ou la prescription de conduites à tenir sans diplôme médical. Le cadre hospitalier ne dispense pas de cette obligation. Si le praticien n’est pas médecin et donne des consignes à visée thérapeutique, il outrepasse la loi.

La présence de ces consultations dans l’offre hospitalière donne aussi l’illusion d’un adoubement institutionnel. Le réflexe du père de Julien — « Si c’est dans l’hôpital, c’est que c’est fiable » — est parfaitement compréhensible… et précisément ce que les charlatans exploitent depuis toujours.


Conclusion

L’histoire de Julien n’est pas une anecdote. Elle illustre le glissement dangereux d’un hôpital vers une médecine “intégrative” qui n’est plus de la médecine, qui n’offre plus aucune garantie quant à sa balance bénéfices/risques. Sous prétexte de confort et d’ouverture, certains établissements tolèrent des pratiques qui contredisent l’éthique de la médecine fondée sur les preuves.

Dénoncer ces pratiques n’est pas une question d’idéologie, mais de rigueur, de santé publique, et de respect pour les patients & patientes qui méritent une information claire, honnête et fondée sur ce que la science nous permet de savoir, et pas sur les fantasmes des praticiens, fussent-ils diplômés.

 

Acermendax

NB : si l’hôpital de Mercy souhaite un droit de réponse, il lui sera accordé volontiers.


Références

  • Colquhoun, D., & Novella, S. P. (2013). Acupuncture is theatrical placebo. Anesthesia & Analgesia, 116(6), 1360–1363. https://doi.org/10.1213/ANE.0b013e31828f2d5e
  • Ernst, E., Lee, M. S., & Choi, T. Y. (2011). Acupuncture: does it alleviate pain and are there serious risks? Pain, 152(4), 755–764. https://doi.org/10.1016/j.pain.2010.11.004
  • Zhang, Q. et al. (2010). Methodological issues in acupuncture trials: a systematic review. Trials, 11, 22. https://doi.org/10.1186/1745-6215-11-22
  • Code de la santé publique, article L4161-1.
  • HAS. (2019). Acupuncture : état des connaissances et conditions de son usage. Synthèse en ligne sur has-sante.fr.

*Le prénom a été modifié à la demande du témoin pour garantir l’anonymat.

En mai 2025, le Pew Research Center publiait une enquête révélant que 54 % des personnes LGBTQ+ américaines consultent régulièrement l’astrologie, contre 28 % des adultes en général (Pew Research Center, 2025)[1].  La différence est également notable dans la consultation du tarot : 33% contre 11% dans la population générale.

Ces chiffres spectaculaires méritent qu’on leur trouve une explication. Pourquoi ces pratiques séduisent-elles davantage certaines minorités ? Que recherchent celles et ceux qui s’y adonnent ? Et quelles conséquences peut entraîner cette adhésion à une croyance infondée ?

 

Spiritualité alternative et exclusion religieuse

L’intérêt accru des personnes LGBTQ+ pour certaines pratiques ésotériques, comme l’astrologie s’explique d’abord par une réalité sociale : leur marginalisation historique dans les religions traditionnelles.

Des travaux récents confirment que les expériences religieuses adverses ont des effets délétères sur la santé mentale des personnes LGBTQ+. Une étude en preprint par Goodwin et Ruggiano (2022) publiée dans le dépôt institutionnel de l’Université de l’Alabama, souligne un lien clair entre ces expériences et l’augmentation des troubles de santé mentale[2]. Une autre étude, menée par Salway et al. (2022) et publiée dans Social Science & Medicine montre que les pratiques de conversion religieuse sont fortement corrélées à des expériences d’abus, des diagnostics psychiatriques et des comportements suicidaires[3]. Ces données permettent de comprendre pourquoi certaines personnes LGBTQ+ cherchent à reconstruire un espace symbolique en dehors des institutions religieuses traditionnelles.

L’astrologie semble alors offrir une spiritualité sans hiérarchie ni jugement moral, une cosmologie malléable où chacun et chacune peut se projeter. Nancy Ammerman (2013) analyse cette tendance comme une manière de réinvestir la quête de sens, sans passer par les structures religieuses dominantes[4]. Mais il n’est pas évident que la présence de l’astrologie dans les discours s’accompagne d’une adhésion authentique, il y a d’autres dimensions au phénomène.

 

Introspection, codes communautaires et besoin de lien

L’astrologie ne se limite pas à une croyance : elle est aussi un langage, un jeu, un prétexte à l’introspection. Elle offre une matrice symbolique pour raconter son identité, sa sensibilité, ses relations. L’astrologie est devenue dans de nombreux milieux LGBTQ+ un marqueur culturel partagé et un langage identitaire structurant.

Mais l’effet de groupe, s’il renforce l’appartenance, peut aussi induire une pression implicite : il peut devenir à la fois nécessaire et gênant pour certaines personnes de feindre d’adhérer à des croyances astrologiques pour « faire partie du groupe ». Le rejet du scepticisme devient alors une nouvelle forme d’exclusion.

 

Illusions cognitives et faux savoirs

L’efficacité subjective de l’astrologie repose sur des mécanismes bien identifiés : l’effet Forer (1949), le biais de confirmation, ou la tendance à interpréter des coïncidences comme significatives. Ces biais donnent l’illusion d’une justesse, d’une révélation personnelle, alors qu’il s’agit d’adaptabilité psychologique[5].

Cela devient très problématique lorsque l’on commence à prendre des décisions importantes — relationnelles, professionnelles ou médicales — en se fondant sur une cosmologie arbitraire. Des travaux comme ceux de Pennycook et Rand (2018) montrent que l’adhésion à des croyances infondées est souvent liée à une moindre capacité de raisonnement analytique, et donc à une plus grande vulnérabilité face aux fausses informations[6]. Blackmore & Troscianko (1985) ont montré que la croyance en l’astrologie est souvent associée à une vision magique du monde et à une plus grande vulnérabilité aux pseudosciences[7].

 

Espaces ésotériques queer : entre émancipation symbolique et impasse épistémologique

Les pratiques magiques et ésotériques (Wicca, sorcellerie, paganisme) offrent aux personnes queer un espace de réinvention identitaire, de résistance aux normes et de réappropriation du pouvoir symbolique. Dans son mémoire de maîtrise, Martin Lepage écrit : « Le paganisme contemporain offre une alternative à la binarité du genre, en termes de représentation et de pratique religieuse, à celles véhiculées au sein de la culture judéo-chrétienne et dans les sociétés occidentales en général. » (Lepage, 2017, p. 104)[8]. Ces espaces valorisent la fluidité, la non-binarité et l’expérimentation identitaire, en rupture avec les modèles religieux traditionnels souvent exclusifs ou normatifs.

 

Subversion ou reconduction des stéréotypes ?

Certaines et certains astrologues queer, comme Alice Sparkly Kat, promeuvent une astrologie décoloniale, dégenrée, militante. Leur démarche consiste à détourner les symboles astrologiques pour critiquer l’ordre établi. Mais même dans ce cadre critique, les risques demeurent : essentialisation des traits de personnalité, simplification des dynamiques relationnelles, projection arbitraire de récits intimes sur des configurations planétaires.

Comme le rappelle Nancy Fraser (2001), la politique de reconnaissance n’est pas durable si elle repose sur des représentations fausses du réel. La subversion ne justifie pas la confusion entre subjectivité et vérité[9].

 

Un marché de la croyance

L’astrologie contemporaine est aussi une industrie. Les applications, les livres, les consultations, les coachings en ligne ciblent explicitement les jeunes, les femmes et les personnes LGBTQ+. Ce capitalisme spirituel répond à une demande de sens — mais en vendant de l’illusion. Il confond soin et croyance, empathie et superstition. Et plus les institutions traditionnelles échouent à inclure, plus ces marchés prospèrent. Là où les services publics devraient apporter reconnaissance, écoute et accompagnement, d’autres remplissent ce vide avec des récits séduisants mais infondés.

 

Conclusion : comprendre sans céder

Il est indispensable de comprendre pourquoi l’astrologie attire. Mais il est tout aussi indispensable de rappeler qu’elle ne dit rien de vrai sur le monde. Aucune revendication identitaire ou spirituelle ne justifie d’abdiquer l’exigence de vérité. Les croyances infondées ne sont pas inoffensives : elles affaiblissent les défenses critiques, brouillent le rapport au réel, et ouvrent la voie à toutes les dérives.

Mais au-delà de cette vigilance générale, il est crucial de souligner les dangers spécifiques qui guettent les personnes LGBTQ+. Leur marginalisation historique, l’accès limité à des ressources de santé mentale réellement inclusives, la méfiance légitime vis-à-vis des institutions et la quête identitaire constante créent un terrain favorable aux systèmes de croyance séduisants mais fallacieux. C’est précisément cette conjonction de vulnérabilités que ciblent, consciemment ou non, les industries de l’ésotérisme, les influenceurs mystiques et les marchands de sens.

Loin de leur offrir une véritable émancipation, ces croyances peuvent enfermer les individus dans des récits magiques, détourner des parcours thérapeutiques validés, ou encore générer des sentiments de culpabilité, d’impuissance ou de dépendance cognitive. Il ne s’agit donc pas simplement de combattre une erreur intellectuelle, mais de protéger des personnes concrètes contre des mécanismes d’exploitation symbolique et économique.

Cultivons le doute méthodique.

 

Acermendax

Références

[1] Pew Research Center. (2025, May 21). 3 in 10 Americans consult astrology, tarot cards or fortune tellers. https://www.pewresearch.org/religion/2025/05/21/3-in-10-americans-consult-astrology-tarot-cards-or-fortune-tellers/

[2] Goodwin, L., & Ruggiano, N. (2022). The Impact of Religious Trauma on the LGBTQ+ Community: A Systematic Review. University of Alabama Institutional Repository. https://ir-api.ua.edu/api/core/bitstreams/2ed055d9-bb8f-4b9a-a576-384b5c02f50d/content

[3] Salway, T., Ferlatte, O., Gesink, D., & Lachowsky, N. J. (2020). Prevalence of exposure to sexual orientation change efforts and associated sociodemographic characteristics and psychosocial health outcomes among Canadian sexual minority men. The Canadian Journal of Psychiatry, 65(7), 502–509. https://doi.org/10.1177/0706743720902629

[4] Ammerman, N. T. (2013). Spiritual but not religious? Beyond binary choices in the study of religion. Journal for the Scientific Study of Religion, 52(2), 258–278. https://doi.org/10.1111/jssr.12024

[5] Forer, B. R. (1949). The fallacy of personal validation: A classroom demonstration of gullibility. Journal of Abnormal and Social Psychology, 44(1), 118–123.

[6] Pennycook, G., & Rand, D. G. (2018). Lazy, not biased: Susceptibility to partisan fake news is better explained by lack of reasoning than by motivated reasoning. Cognition, 188, 39–50.

[7] Blackmore, S. J., & Trościanko, T. (1985). Belief in the paranormal: Probability judgements, illusory control, and the « chance baseline shift. » British Journal of Psychology, 76(4), 459–468. https://doi.org/10.1111/j.2044-8295.1985.tb01969.x

[8] Les pratiques magiques et ésotériques (Wicca, sorcellerie, paganisme) offrent aux personnes queer un espace de réinvention identitaire, de résistance aux normes et de réappropriation du pouvoir symbolique. Dans son mémoire de maîtrise, Martin Lepage écrit : « Le paganisme contemporain offre une alternative à la binarité du genre, en termes de représentation et de pratique religieuse, à celles véhiculées au sein de la culture judéo-chrétienne et dans les sociétés occidentales en général. » (Lepage, 2017, p. 104). Ces espaces valorisent la fluidité, la non-binarité et l’expérimentation identitaire, en rupture avec les modèles religieux traditionnels souvent exclusifs ou normatifs.

[9] Fraser, N. (2001). Recognition without Ethics? Theory, Culture & Society18(2-3), 21-42. https://doi.org/10.1177/02632760122051760