Maxence est interne en médecine générale et doctorant en sciences médicales à l’Université de Liège. Son sujet de thèse porte sur le concept de syndémie et en quoi il peut permettre de mieux comprendre et lutter contre les infections sexuellement transmissibles chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes.
Il est l’auteur d’un premier billet HYDROXYCHLOROQUINE ET COVID-19 : LA MÉTHODE RAOULT NE NOUS AIDE PAS sur les deux premières études publiées par l’équipe Raoult. Je lui ai demandé s’il voulait bien continuer le travail sur la dernière allégation à propos d’une efficacité de 91% du protocole marseillais.
Acermendax
Préambule
Ce papier fait suite à l’article portant sur les deux premières études marseillaise concernant l’usage de l’hydroxychloroquine (HCQ) en combinaison avec l’azithromycine (AZ) dans le traitement du COVID-19. Toutefois, avant de passer en revue ce tableau, il me semblait pertinent de revenir sur la mortalité du COVID-19 et son impact psychologique.
Le COVID-19 a pris possession de notre imagination
Lors d’une garde, j’ai récemment dû annoncer une suspicion de COVID-19 à une jeune patiente. Moins de quarante ans, aucun facteur de risque et des symptômes mineurs compatibles avec un gros rhume de saison. Lorsque la nouvelle tombe, la patiente fond en larmes. Elle a peur de mourir et ne veut pas laisser son fils seul au monde. J’ai passé le quart d’heure suivant à la consoler et à lui expliquer que ça allait bien se passer et qu’à son âge, les chances pour que ça tourne mal étaient vraiment faibles. Cette expérience m’a rappelé un paragraphe de l’excellent livre de Siddhartha Mukherjee[1] : « « Si un homme meurt », écrivit un jour William Carlos Williams, « C’est parce que la mort a d’abord pris possession de son imagination. » La mort avait pris possession de l’imagination de mes patients ce mois et ma tâche était de la reposséder. C’est une tâche presque impossiblement difficile à décrire, une opération bien plus délicate et complexe que l’administration d’un médicament ou la réalisation d’une opération chirurgicale. Il était facile de reposséder l’imagination avec de fausses promesses mais beaucoup plus difficile de le faire avec des vérités nuancées. Il s’agissait d’un acte exquis de mesures répétées ; gonfler et dégonfler un respirateur psychologique avec de l’oxygène. Trop de « repossession » et l’imagination enflait pour se changer en illusion. Trop peu, et cela pouvait asphyxier l’espoir. » (traduction personnelle)
Le COVID-19 a pris possession de notre imagination collective, et l’exceptionnalité des mesures actuelles renforce cette emprise. En étant informé chaque jour sur les décès de la veille et la détresse bien réelle en milieu hospitalier ou en maison de repos, nous nous focalisons sur un aspect spécifique de la maladie et la perception du COVID-19 devient sa propre entité, parfois très déconnectée d’une réalité dont notre connaissance reste encore parcellaire. Or, s’il est vrai que le COVID-19 est plus mortel et plus contagieux qu’une grippe saisonnière, voir cette maladie comme un fléau mortel n’est pas avéré et risque de fausser notre jugement.
En effet, un concept central de la médecine est la balance entre les bénéfices et les risques d’une intervention. Surestimer la gravité de la maladie pourrait nous faire accepter ou promouvoir des interventions aux bénéfices maigres et/ou aux risques disproportionnés. Bien comprendre cela est indispensable pour étudier critiquement le protocole de Marseille.
Balance bénéfices-risques et usage compassionnel
On parle d’usage compassionnel pour se réfèrer à l’emploi d’un médicament non approuvé dans des cas où la survie du patient est de toute manière mise à mal à court termes. Popularisé grâce au militantisme d’ACT-UP dans la lutte contre le SIDA et surtout utilisé en oncologie actuellement[1], elle a tout son sens dans ces contextes. Lorsque l’on sait que le patient n’en a plus que pour quelques semaines et que tout ce qu’on a essayé a échoué, il devient licite, si le patient est d’accord, de tester des médicaments dont on ne connait pas encore l’efficacité ni la sûreté réelle. Après tout, que reste-t-il à perdre ?
Toutefois, le COVID-19, contrairement à la perception que l’on peut en avoir, n’est ni un cancer ni le SIDA. La majorité des patients ont des formes légères ou sont asymptomatiques et il serait totalement aberrant de donner un protocole expérimental à des patients asymptomatiques ou présentant un simple rhume ou un léger état grippal. Nous sommes ici face à un problème de narratif : le protocole marseillais, d’après ses concepteurs, devrait être donné le plus tôt possible pour éviter la survenue de complication. Si l’intention est parfaitement louable, en revanche nous n’avons pas la preuve que ce protocole fonctionne.
Se focaliser sur l’idée de ne pas attendre d’être en réanimation mais de commencer à prendre le traitement dès les premiers symptômes donne une image faussée de l’histoire naturelle de la maladie. Comme si, sans traitement, l’évolution vers les soins intensifs était la possibilité la plus probable. Ce n’est pas le cas, comme nous développerons dans le point suivant. Or, il faut en revenir à la balance bénéfices risques : est-il licite de donner une combinaison de médicaments connus pour provoquer des arrêts cardiaques lorsqu’ils sont utilisés ensemble[2] pour traiter une maladie bénigne ? En dehors du climat de peur actuel, qui accepterait que son médecin lui prescrive un tel traitement pour un rhume ou un mal de gorge ?
La mortalité réelle du COVID-19
Pour rassurer la patiente lors de ma garde, je lui ai expliqué dans des termes simples les statistiques de mortalité de sa tranche d’âge afin qu’elle ne sente plus une épée de Damoclès planer au-dessus de sa tête. Cela me semble également nécessaire, à la fois pour replacer la discussion dans la réalité mais également parce que, faute d’un groupe contrôle, cela permettra de mettre en perspective les derniers résultats marseillais.
Déterminer le vrai taux de létalité d’une pandémie est impossible en plein milieu de ladite pandémie. En effet, on ne connait pas avec certitude le nombre réel de patients décédés et, encore moins, le nombre de patients réellement atteints. Le mieux que l’on puisse faire, ce sont des estimations et celles-ci ne sont pas aisées. Pour commencer, il faut distinguer le « case fatality ratio » que l’on pourrait traduire par « taux de létalité par cas » et l’ «infection fatality ratio », que l’on pourrait traduire par « taux de létalité par infection ».
- Le taux de létalité par cas correspond au pourcentage d’individus avec des symptômes ou une maladie diagnostiquée qui vont finir par mourir de la maladie. Dans des pays comme la France ou la Belgique, ce nombre est grandement surestimé car, faute de réactifs, ce sont les cas les plus sévères qui bénéficient généralement d’un diagnostic.
- Le taux de létalité par infection correspond au pourcentage de tous les individus infectés qui vont mourir de la maladie. Quand on parle de tous les individus infectés, on parle donc également des individus asymptomatiques et des individus qui n’ont pas été dépistés.
La figure ci-dessous illustre bien l’aspect d’iceberg du COVID-19 dont nous ne voyons en France et en Belgique qu’une faible proportion, celle des cas les plus sévères devant se rendre à l’hôpital, tel un iceberg dont on n’aperçoit que la partie émergée. Calculer un taux de létalité à partir de ces cas connus sera donc trompeur, puisque ce sont hélas les cas qui ont le plus de chance de décéder. Pour dire les choses simplement, si on pense qu’il n’y a que 100 malades et que 20 meurent, le taux de mortalité est élevé. S’il y avait en réalité 1000 personnes infectées pour le même nombre de morts, ce taux de mortalité serait bien moindre.
Une récente étude du Lancet[3] s’est attelée à la tâche complexe de déterminer les taux de létalité du COVID-19. En utilisant les données disponibles en Chine et dans 37 autres pays, les auteurs ont réussi à calculer une estimation de ces deux taux en fonction de l’âge. Celui-ci serait de 1,38% pour le taux de létalité par cas et de 0,657% pour le taux de létalité par infection. Par ailleurs, ce taux variait fortement en fonction de l’âge, n’atteignant respectivement que 0,318% et 0,145% chez les moins de 60 ans et 6,38% et 3,28% chez les plus de 60 ans. Les plus vulnérables étaient les plus de 80 ans qui avaient respectivement un taux de létalité par cas et par infection de 13,4% et de 7,8%. Les taux de létalité généraux ne sont donc pas aussi catastrophiques que ce que l’on en voit en divisant simplement l’important nombre de décès par le nombre de cas connus, faibles par rapport à la réalité. Toutefois, comme nous le rappelle un autre chercheur du Lancet, comparer le COVID-19 à une grippe serait malhonnête car le COVID-19 est beaucoup plus mortel, et ce dans presque toutes les tranches d’âge[4] :
La troisième étude marseillaise
Les résultats
Maintenant que le contexte est bien établi, parlons de la dernière étude de l’IHU Marseille[5]. Celle-ci ne se résume, à l’heure d’écrire ces lignes qu’à un maigre abstract et un tableau de données. Cette prépublication porte sur 1061 patients âgés en moyenne de 43,6 ans et en légère majorité féminins (53,6%). Parmi ceux-ci, 91,7% ont obtenu une PCR négative en 10 jours, 2,92% ont dû être hospitalisés de manière prolongée (>10J), 0,94% ont été transférés aux soins intensifs et 0,47% sont décédés. Les patients décédés avaient entre 74 et 95 ans. Les auteurs signalent enfin qu’une mauvaise évolution clinique était significativement associée à l’âge, à une maladie initialement plus sévère et à des concentrations plus faibles en hydroxychloroquine. En outre, une mauvaise évolution clinique était également associée à l’usage de β-bloquants et de sartans, deux médicaments utilisés pour l’hypertension.
Un traitement qui ne soigne que les gens qui ne sont pas malades
Passons rapidement sur le premier constat et le plus important de tous : il n’y a aucun groupe contrôle. Aucune comparaison directe n’est donc possible et toute la malhonnêteté du papier provient du fait qu’il cherche à nous faire comparer ce 0,47% au taux de mortalité par cas du reste de la France ou du monde. Or, dans un tweet, le Pr. Raoult s’est fendu que Marseille ait le taux de dépistage le plus élevé du monde.
En pratique, il a donc accès à une partie beaucoup plus large de l’Iceberg, celle des cas les plus faibles voire asymptomatiques qui seraient passés entre les mailles du filet ailleurs. Il est donc logique que la mortalité soit bien plus faible à Marseill. Si on regarde son échantillon, outre un âge moyen de 43,6 ans, on remarquera un score clinique de gravité faible pour 95% des patients et un scanner thoracique normal ou très légèrement anormal dans 77,3% des cas. Autrement dit, les auteurs ont un échantillon de patients jeunes, peu ou pas malades et se réjouissent qu’ils ne meurent pas grâce à leur traitement. Partout ailleurs que dans cet institut, ces patients auraient été traités à la maison avec du Doliprane et auraient sans doute connu la même évolution. Notons à ce titre que la mortalité de 0,47% est à mettre en lien avec la mortalité par cas attendue de 0,32% pour les moins de 60 ans[3], qui représentent la majorité de l’échantillon marseillais. Une remarque partagée par Prescrire qui cite le taux de létalité par infection de 0,37% mis en évidence dans la commune allemande de Gangelt[6]. Une fois encore, sans groupe contrôle, aucune comparaison directe n’est possible, mais la mortalité n’est pas inférieure à celle attendue.
Au niveau virologique, nous rappellerons l’étude de Liu[7] qui montrait que, sans traitement, 90% des formes modérées avaient une PCR négative dans les 10 jours suivant l’apparition de la maladie. Les chiffres annoncés sont ici de 91,7% soit exactement la même chose que sans HCQ+AZ. De plus, la durée moyenne entre le début des symptômes et le début des traitements était de 6,4J. Cela signifie que le J10 de l’étude correspond en moyenne au J16 des symptômes soit bien après les 90% de négativité décrits par Liu. On aurait pu s’attendre à des résultats encore meilleurs et on n’est pas très loin de l’adage : « Un rhume bien traité, ça dure une semaine. Un rhume non traité, ça dure 7 jours. »
En outre, le fait que les patients aient attendu en moyenne 6,4 jours entre les premiers symptômes et le début des traitements permet de relativiser l’affirmation souvent entendue selon laquelle il faudrait utiliser le protocole marseillais dès le tout début de la maladie pour éviter les complications. D’autant plus que les patients dont l’état a empiré n’ont pas reçu le traitement plus tard que ceux qui ont guéri (5,9 jours pour ceux ayant mal évolué contre 6,5 jours pour ceux qui ont guéri ; différence non statistiquement significative). Ces résultats suggèrent donc que commencer ce protocole plus tôt n’a pas d’impact sur l’évolution des patients, contrairement à ce qui est fréquemment asséné.
Aucune analyse statistique digne de ce nom
Au niveau des statistiques employées, celles-ci sont très maigres et je ne prendrai pas la peine de dresser une liste exhaustive de tout ce qui ne va pas. Commençons par le fait qu’on n’ait aucune idée des critères d’inclusion alors que seuls 1061 patients sont pris en compte sur 3155 patients positifs passés à l’IHU Marseille durant l’étude. Pourquoi les 2000 autres n’ont-ils pas été inclus ? C’est une information que l’on devrait déjà avoir à ce stade puisque les critères d’inclusion sont (normalement) définis avant une étude.
En outre, aucune analyse statistique multivariée n’a été réalisée. En français, cela signifie que les auteurs ont regardé les variables une par une plutôt que d’en prendre plusieurs en compte à la fois et d’ajuster pour les variables confondantes. Par exemple, ils ont mis en évidence que l’usage d’anti-hypertenseur était associé à une mauvaise évolution clinique. Est-ce dû aux anti-hypertenseurs en eux-mêmes ou au fait qu’ils sont donnés à des patients hypertendus, lesquels ont plus de chance d’avoir une forme plus sévère ? Une bonne analyse statistique aurait répondu à la question, mais c’était trop demander. Dans le même ordre d’idée, de plus faibles concentration en HCQ sont associées à une moins bonne évolution clinique mais sans prendre en compte les autres facteurs, impossible de savoir si c’est la concentration en HCQ qui est en cause ou s’il y a un facteur confondant derrière. Enfin, il est étonnant qu’ils n’aient mesuré que les concentrations en hydroxychloroquine et non celle en azithromycine alors que, d’après les auteurs, c’est l’association des deux molécules qui serait efficace.
Conclusion
Cette étude n’apporte rien de plus par rapport aux précédentes. L’intérêt d’avoir des données sur autant de patients est entaché par l’absence de groupe contrôle et d’une réelle analyse statistique de ces données pour déterminer les facteurs de mauvaise évolution clinique.
Rien à partir des données publiées jusqu’à présent par l’équipe marseillaise n’autorise à affirmer que le traitement permet d’éviter des complications ou qu’il raccourcit la durée de contagiosité. En attendant des éléments probants, prescrire un médicament aux bénéfices inconnus et aux risques bien établis à des patients qui guériraient spontanément dans l’écrasante majorité des cas serait irresponsable.
Références
1 Mukherjee S. The Emperor of All Maladies: A Biography of Cancer. New York (USA): : Scriber 2010.
2 Tisdale JE. Drug-induced QT interval prolongation and torsades de pointes: Role of the pharmacist in risk assessment, prevention and management. Can Pharm J (Ott) 2016;149:139–52. doi:10.1177/1715163516641136
3 Verity R, Okell LC, Dorigatti I, et al. Estimates of the severity of coronavirus disease 2019: a model-based analysis. The Lancet Infectious Diseases 2020;0. doi:10.1016/S1473-3099(20)30243-7
4 Ruan S. Likelihood of survival of coronavirus disease 2019. The Lancet Infectious Diseases 2020;:S1473309920302577. doi:10.1016/S1473-3099(20)30257-7
5 Million M, Lagier J-C, Gautret P, et al. Early treatment of 1061 COVID-19 patients with hydroxychloroquine and azithromycin, Marseille, France (pre-print). 2020.
6 Covid-19 et hydroxychloroquine : pas encore de résultats probants. https://www.prescrire.org/fr/203/1845/58630/0/PositionDetails.aspx?fbclid=IwAR1nYJ4TxTlCPUhkNpmNTx-IAIXJkeHqCThuK2i7yRW40VIk-n9rEdQe-pk (accessed 13 Apr 2020).
7 Liu Y, Yan L-M, Wan L, et al. Viral dynamics in mild and severe cases of COVID-19. The Lancet Infectious Diseases Published Online First: March 2020. doi:10.1016/S1473-3099(20)30232-2