Nous vivons tous dans un monde de concepts construit par notre cerveau à partir de nos perceptions de notre environnement. Nous le faisons assez efficacement, car la sélection naturelle s’est assuré d’éliminer continuellement ceux qui n’en étaient pas capables.

 

Dans le travail de sceptique, de zététicien, on est amené à critiquer des idées, des conceptions, des discours qui revêtent une importance considérable pour certaines personnes. L’expression du scepticisme face aux croyances représente une violence intrinsèque, ce que j’ai appelé la violence épistémique. Il faut donc que la pratique de la zététique se fasse toujours en ayant conscience que notre action peut être perçue comme une agression. Cela ne signifie pas qu’il faille accepter les réactions violentes à notre action, et surement pas de la part de personnes qui tirent profit (pécuniaire ou symbolique) de la diffusion d’ouvrages traitant de phénomènes présumés paranormaux sous un angle non rationnel.

Le croyant, surtout quand il est engagé dans un processus coûteux vis-à-vis de sa croyance, comme des pratiques ésotériques ou une enquête conduisant à la sortie d’un livre, peut réagir de façon totalement disproportionnée aux critiques.

Depuis les débuts de la Tronche en Biais, nous avons reçu des dizaines de menaces d’agression physique et autres modes de représailles. Souventes fois par des internautes camouflés derrière l’anonymat d’un avatar, des haters lambda, mais aussi parfois par des personnages ayant une vie publique, publiant sous leur nom, qu’il s‘agisse d’un récentiste, d’un blogueur sur la culture SF ou d’un tenant du paranormal auteur de deux livres. Dans de telles situations, il n’y a sans doute pas de formule magique de la bonne réaction et de la bonne gestion d’olibrius ingérables. Sans grand espoir, on peut les aiguiller vers cet appel à la raison.

 

Récit d’un échec

Dernièrement, une nouvelle mésaventure de cette nature s’est produite. Voici le récit d’un échec du débat d’idées.

Laurent K est docteur en sociologie et auteur de deux livres. Son titre académique signifie qu’il a passé un diplôme de doctorat, diplôme sans rapport avec les sujets dont parlera cet article. Il est l’auteur de deux livres. Le premier « Un coup de fil de l’au-delà » a pour accroche sur sa couverture :

« Depuis la nuit des temps, on vous cache la vérité. Il existe bien des faits et des phénomènes inexplicables. Certains, que vous pourrez vérifier vous-mêmes, remettent absolument tout en question. »

Le second « Quand les morts nous contactent » traite en gros du même sujet : les appels téléphoniques post-mortem. Après la mort d’un proche, les gens reçoivent des coups de téléphone où ils entendent la voix du défunt, si l’on en croit les témoignages. Pour l’auteur, les coups de fil ont suivi la mort de… sa chienne. Je n’ai pas lu ces livres, ni n’en ai l’intention. Ils m’apparaissent peu honnêtes pour des raisons qui se feront jour d’ici la fin de l’article. Je les mentionne parce que leur auteur s’est invité grossièrement dans mon environnement numérique jusqu’à provoquer une effervescence aussi fugace que futile.

Acte zéro

Tout commence sur mon mur facebook. Dans une publication, je commente la réaction de Geneviève Delpech (veuve du chanteur) envers Guy Carlier. Ce dernier a vertement critiqué les allégations de Jean-Jacques Charbonier et de Madame Delpech sur la vie après la mort et la communication avec les défunts. Dans cette petite publication (reproduite ci-après), je m’étonnais notamment de la virulence des admirateurs du Dr Charbonier, très heureux de le croire et fort mécontents qu’on se mêle de douter de leurs croyances.

 

« Intéressante réponse au scepticisme qui ose s’exprimer contre les croyances dans l’au-delà (mais pas seulement… car dans ce cas il y aussi croyance de contact, de communication avec les disparus).

Une réponse très incohérente qui prétend que la position sceptique serait fausse mais rassurante… Car visiblement croire que la mort signifie l’extinction totale serait rassurant. Les études en psychologie prouvent le contraire : c’est la croyance dans une après vie qui rassure.

JJ Charbonier y est qualifié de « scientifique », ce qui n’est guère étonnant, mais rappelle la méconnaissance du monde de la science dans le grand public. Les médecins sont des praticiens, des techniciens, des gens souvent super compétents, mais pas forcément (et souvent pas beaucoup) formés à l’usage de la méthode scientifique.

La dame s’offusque du mépris qu’elle perçoit chez Carlier et dans sa phrase suivante parle des « gogos ».

On retrouve une posture victimaire habituelle, et l’habituel talent à dénoncer une chose tout en la commettant. Et comme souvent, on note la vacuité totale du propos : 100% d’offuscation et 0% d’argument.

Dans tous les cas, un commentaire sceptique à ce message a toutes les chances d’être disqualifié d’emblée puisque douter, cela revient à agresser certains croyants. Et cela, quel que soit la gentillesse avec laquelle vous douterez, car il y a une forme de violence intrinsèque à tenter de dissoudre les illusions et les incompréhensions. Quand en plus la croyance touche au deuil et à la souffrance qui l’accompagne, autant dire que le terrain est miné. »

 

C’est sous cette publication qu’intervient Monsieur K :

 

 

Il est très important de préciser que la plupart des gens qui croient en la vie après la mort sont fréquentables et normaux, avec souvent un vécu singulier qui mérite qu’on lui apporte une explication scientifique là où ils doivent généralement se contenter de récits accessibles, attractifs, vendeurs, mais sans fondement, sans méthode et donc très certainement illusoires et potentiellement dangereux. Les tenants qui prennent le plus la parole dans les médias et les réseaux ne sont que la partie émergée d’un groupe de gens qui n’ont pas de raison d’être plus stupides, bornés ou irrationnels que les autres. Malheureusement, nous allons voir que monsieur K participe à sa manière à décrédibiliser les tenants des hypothèses paranormales.

 

J’ai jugé utile d’afficher la hauteur de l’argumentaire de monsieur K sur ma page facebook. C’est là que l’aventure commence. Je voudrais vous présenter une miniature du post où je regrette le niveau où le débat est placé par un individu qui, auteur qu’il est, devrait pouvoir se comporter mieux, mais cela m’est techniquement impossible. Vous allez comprendre pourquoi.

 

Acte 1 – La vitupération

Rendu furieux par ma description de ses livres (pendant plusieurs jours, et pour une raison mystérieuse, il a systématiquement mis une majuscule au mot Livre quand il s’agissait des siens avant d’incriminer son téléphone… qui toutefois ne mettait pas de majuscule aux livres écrits par d’autres que lui… est-ce paranormal ?), monsieur K a exigé que je supprime ma publication. Il n’a guère laissé la place à une explication des raisons de sa fureur avant de se lancer dans divers insultes et vociférations sur mon incompétence et ma malhonnêteté, les deux explications que l’on jette facilement à la tête de ceux qui ne sont pas convaincus par notre manière de voir le monde.

J’ai cessé de lui répondre. Les visiteurs de ma page ont tenté de dialoguer avec lui, de lui faire comprendre que ce n’est pas ainsi qu’il faut procéder pour échanger des idées et tester ses hypothèses.

J’en profite pour emprunter à Hygiène Mentale et partager avec vous l’illustration des règles d’un débat d’idées convenable. Il s’agit d’un contrat tacite entre deux interlocuteurs qui s’engagent à ne pas rendre impossible tout changement d’avis à la lumière d’arguments convaincants.

 

Au lieu de reprendre ses esprits face à des réponses argumentées, monsieur K a multiplié les promesses de représailles corporelles à mon endroit, avec allusions à ma ville de résidence. Pendant plusieurs jours. Cet épisode m’a permis d’apprendre l’existence d’une page sur laquelle on peut signaler les faits de menace et de harcèlement sur Internet. Partagez auprès des gens qui pourraient en avoir l’usage l’adresse de cette page : https://www.internet-signalement.gouv.fr/PortailWeb/planets/Accueil!input.action

 

Sans conviction que la chose puisse réellement apporter quelque sérénité dans mon environnement virtuel, j’ai donc signalé la page sur laquelle Monsieur K a proféré menace et injures de manière répétée et ostentatoire. Si la zététique porte en elle une part de violence psychologique, cette violence est toute entière contenue dans la remise en question qu’elle enjoint, et nul n’a à tolérer de la vraie violence en retour. Bien sûr, dans aucun cas il n’est judicieux de répondre aux injures par l’insulte, ou inversement. Mais à ce stade, il n’était évidemment plus question de débattre, les conditions nécessaires n’étant pas réunies.

Acte 2 – Le dilemme

La santé mentale de Monsieur K me semblait discutable, et mon éthique personnelle m’incite à ne pas débattre publiquement avec une personne mentalement perturbée ou ne disposant pas de toutes ses facultés intellectuelles. C’est un service à rendre aux individus diminués que de ne pas profiter de leur situation. Ma position était donc aussi bienveillante et stoïque que possible.

Puis arrive un remarquable « t’es vraiment une pédale » en réaction à mon signalement de son comportement. Et l’on constate qu’il est difficile de savoir comment réagir. Faut-il considérer que Monsieur K est dérangé ? Le bannir de la page ? Lui répondre ? Par amour pour la liberté d’expression, et parce que l’observation de ce genre de personnage fait partie de la mission que je me suis bêtement confiée, j’ai laissé Monsieur K en liberté sur mes réseaux.

 

Ceci n’est pas une réaction appropriée à un signalement pour menaces physiques.

 

Y avait-il un moyen pour les sceptiques de désamorcer cette agressivité ? J’ai tendance à penser que non. On ne peut pas convaincre tout le monde, et un diplôme de doctorat ne suffit pas à faire d’un homme quelqu’un de sensé et sensible aux arguments. Parfois il n’est tout simplement pas possible d’entamer un dialogue constructif. Et des signes avant-coureurs l’indiquaient clairement avec Monsieur K : son vocabulaire du jugement, de l’accusation, son agressivité envers tout le monde, les menaces et rodomontades trahissaient un désir d’imposer son point de vue et de ne surtout pas laisser à l’autre une chance de s’exprimer réellement.

 

Pour le plaisir des homophobes

 

Pourtant je pourrais bien avoir eu tort, me disais-je, car Marc Doridant, internaute zététicien, entame avec Monsieur K une discussion sur le projet Aware, une étude sur les rescapés d’arrêt cardiaque ayant pour but d’explorer les Expériences de Mort Imminente. Ignorant les provocations, protestations et divagations de son interlocuteur, il réussit à obtenir quelques réponses sur l’interprétation que monsieur K en fait : ce projet aurait prouvé l’existence d’une conscience hors du cerveau. C’est malheureusement une interprétation erronée, comme Marc le lui explique patiemment, en montrant que l’étude ne permet pas de soutenir cette conclusion. Silence radio de Monsieur K sur le plan des preuves et de la méthode ; il préfère revenir sur la manière dont j’ai, selon lui, mal présenté son travail dans mon post initial.

 

Acte 3 – Quand accepter le débat s’avère être un faux pas

Devant le ton apaisé qu’ont pris les échanges et les demandes répétées de Monsieur K, j’accepte de débattre avec lui. Je commets l’erreur d’oublier la violence haineuse du personnage ; j’imagine qu’il y a dans sa démarche une réelle envie de confronter des idées.

Spoiler : il n’en est rien.

Parfois les gens veulent juste s’imposer, dominer, écraser les autres. Souvent, ils ne parviennent guère qu’à vriller les nerfs et gaspiller le temps de leurs contradicteurs, mais c’est déjà une nuisance plus que suffisante.

J’entame donc un dialogue au cours duquel je questionne sa méthodologie et sa définition de « paranormal » puisque son discours est « les phénomènes paranormaux existent, je le SAIS ». Pour lui le paranormal est irréductiblement inexplicable, un principe étranger à la démarche scientifique. Ses preuves sont des témoignages glanés en l’absence de toute méthodologie scientifique. Il est difficile d’obtenir de lui une réponse sur la nature des phénomènes paranormaux en question. Intentionnellement ou par incapacité, Monsieur K reste dans le flou artistique.

Par exemple, il se prétend sceptique, mais les titres de ses ouvrages et leur présentation s’adressent clairement aux croyants qu’ils brossent dans le sens de leurs attentes. Dans les interviews disponibles sur le net, la position défendue n’est jamais celle du scepticisme scientifique.

On parle de « coups de téléphone passés par les proches décédés », et les seules précautions obtenues après un intense questionnement sont un simple « tout se passe comme si… ». Bref, nous sommes en présence d’un croyant qui s’ignore ou qui feint de s’ignorer.

Une fois établi ce « tout se passe comme si… » (entendu : comme si des personnes décédées contactaient leurs proches via le téléphone), je lui propose de revenir sur le sujet du projet Aware qu’il m’accuse de travestir quand je cite une phrase de son auteur principal, Sam Parnia. Mais aussitôt le ton change et l’agressivité reparaît.

 

Acte 4 – Le bonheur d’être une victime

À ce moment précis Facebook m’annonce qu’il censure le post dans lequel je présentais Monsieur K et son drôle d‘argumentaire anal (Et vous savez maintenant pourquoi je ne pouvais vous donner un aperçu de ce post). Il a apparemment suffi à Monsieur K de se plaindre auprès de Facebook que son nom était mentionné dans la publication. La politique de publication de facebook n’est pas réputée pour sa logique. Sont donc perdus les 400 commentaires au milieu desquels se cachaient les injures et menaces qui m’avaient poussé à le signaler. Voilà.

En réaction, Monsieur K déclare aussitôt qu’il m’a « battu à plate couture ». Tel était donc son objectif. Je choisis à nouveau —mais un peu tard— de cesser d’interagir avec ce monsieur. De son côté, il s’obstine à répondre aux commentaires des autres intervenants. Les échanges se perdent dans l’amphigouri répétitive des mêmes bravades et invectives et dans le trollage joyeux et désinhibé des visiteurs de la page qui ont décidé que, de toute façon, tout ça n’avait aucun sens.

La logique de la censure sur Facebook est un grand classique.

 

 

Epilogue – C’est bien triste, mais : et alors ?

Quelle leçon tirer de cette aventure, de cet échec de la discussion avec un tenant (qui se dit sceptique) ?

Dans la vraie vie, beaucoup de gens sont soumis quotidiennement à ce niveau de violence de la part de proches, de camarades, de collègues, de supérieurs… La brutalité vulgaire de celui qui n’a aucun égard pour la liberté de conscience d’autrui est une cause de souffrance considérable. J’ai la chance de ne la subir que de mon plein gré sur des réseaux où je prends délibérément la parole sur des sujets qui fâchent. Cette expérience n’est qu’un pâle aperçu de ce que subissent les personnes qui n’ont pas d’autre choix que de fréquenter des individus semblables à Monsieur K.

Les abus psychologiques sont monnaie courante. Une bonne raison de les rejeter partout.

La violence du croyant est d’une nature bien plus perverse que celle du zététicien, car contrairement à ce dernier, il ne dispose d’aucun outil lui permettant de mesurer le mal qu’il fait, et aucune empathie épistémique n’est à espérer de la part de celui qui croit détenir une vérité absolue.

« L’offenseur ne pardonne pas » dit l’adage.

Le croyant frustré par la contradiction, en se lançant dans une agression de ses contradicteurs, met en place tous les ingrédients qui vont faciliter son enfermement doxastique. Plus il insulte, plus il s’immunise contre la remise en question de la part de ceux qu’il vient d’agonir, puisqu’il rabaisse aussi bien leur personne que leurs paroles. L‘agressivité explosive du croyant contredit, c’est la réaction d’une croyance qui ne veut pas mourir et resserre son emprise sur sa proie. La position épistémique est terriblement faible, mais elle est compensée par une charge affective et un capital symbolique qui ne nourrissent de la frustration et de la colère suscitées par la résistance des contradicteurs. C’est un peu le côté obscur de la rhétorique.

 

Les limites de l’argumentation.

Il n’est pas possible de raisonner avec tout le monde, tout le temps, notamment parce qu’il faut pour cela être dans une disposition d’esprit propice au dialogue. En toute rigueur, seule compte la logique, mais nous ne sommes pas des entités purement rationnelle. Les émotions, souvent, vont affecter notre capacité à accepter la contradiction et à nous plier aux règles du débat.

C’est pourquoi qui veut pratiquer la zététique doit se demander si son interlocuteur est en mesure d’entendre la contradiction qu’il désire lui porter (et si lui-même en est capable, point de départ évident). Entamer un débat d’idées quand les bonnes conditions ne sont pas rassemblées, c’est un peu scier la branche sur laquelle on est assis. L’autre risque de se sentir purement et simplement jugé, provoqué, agressé, ce qui le fermera à des débats futurs. Forcer l’autre à entrer dans un débat sans qu’il ne consente pleinement aux règles qui garantissent un bon déroulement est contre-productif. Cela risque de compliquer la tâche des autres zététiciens, laquelle consiste à déconstruire les représentations, assouplir les paradigmes, prendre en considération les déterminismes, et abaisser le niveau d’agressivité sur des questions épineuses.

 

Dans tous les cas, préparez-vous à l’échec. Vous ne « déconvertirez » jamais personne. Au mieux, vous pouvez aider les gens à comprendre qu’ils sont dans la croyance, mais c’est une découverte que personne ne fera à leur place. Charge à vous, dès lors, de savoir quand arrêter un échange d’idées et de ne surtout pas avoir pour but d’arracher une quelconque victoire.

La victoire est l’illusion après laquelle courent les trolls de l’internet ignorant que leur attitude est leur unique ennemie.

 

Le discours sceptique est irritant. Tel un solvant universel, il s’attaque aux objets de croyances et même aux récipients qui veulent le contenir (les paradigmes). L’existence du sceptique, sa simple présence est une forme de violence envers la croyance.

Ceci ne sera pas le dernier article sur Idriss Aberkane, car il s’agit d’un cas beaucoup plus intéressant qu’il peut sembler au premier abord. Ici nous allons nous intéresser à sa manière de répondre aux critiques, mais bientôt nous reviendrons sur ses « travaux » pour voir quelle vision de la science l’anime. Autant vous lâcher le morceau tout de suite : nous ne partageons pas cette vision.

Cet article aura deux parties, d’abord un passage en revue de l’histoire racontée par Idriss Aberkane et sa traduction en version réaliste, puis je vous proposerai une réflexion sur le succès de cette histoire, ce qu’elle dit de notre rapport aux faits et aux récits.

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Une réaction habile face à la polémique

Aux critiques et questions suscitées par son CV et le contenu jugé peu scientifique de ses conférences disponibles en ligne, Idriss Aberkane n’a pas répondu. Il a simplement réagi en publiant une nouvelle forme d’autofiction dans laquelle il se présente comme un héros de la science et corrige imperceptiblement, sans jamais les reconnaître, les grossiers bidonnages des versions antérieures de son CV.

Sa seconde réaction, est de bloquer sur twitter les comptes des gens un peu trop sceptiques à son égard. Toute interaction a donc été par lui refusée, et il ignore purement et simplement les critiques au lieu d’y apporter des réponses argumentées. Il impose un discours duquel il n’est pas permis de discuter avec lui. Le but est sans doute de décourager la critique en empêchant le débat, afin d’étouffer la polémique. Cela ne saurait nous interdire de continuer à disséquer cet intéressant cas d’école.

Tout d’abord disons une chose : Idriss Aberkane n’est pas un imbécile. Il a été un étudiant brillant et a obtenu de vrais diplômes. Il eut pu choisir, peut-être, avec le goût de l’effort et de l’abnégation, une carrière de chercheur. Mais il a moins un profil de chercheur que de chercheur de diplômes, et il feint admirablement bien de ne pas comprendre l’inadéquation mise en exergue sur les réseaux entre ses prétentions d’expertise, d’excellence et ses véritables publications et réalisations. Ce qui sera questionné ici, ce n’est pas l’intelligence de monsieur Aberkane, ni son talent à dire des choses enthousiasmantes, à captiver son auditoire, mais la confiance que l’on peut concéder à ses dires une fois examinée la véracité d’un certain nombre de ses affirmations. Ce qui est questionné ici, c’est la valeur de sa parole.

Avant de questionner le fond, dissipons le nouveau nuage de fumée jeté le 31 octobre vers 23h sur son site http://idrissaberkane.org (peu d’éminents chercheurs ont assez d’égo pour posséder un site avec leur nom suivi d’un « .org »). Les lecteurs pourront consulter in extenso ce qu’il appelle « une sorte de constitution professionnelle ». On ne va pas s’arrêter sur tous les points, car nul ne l’accuse de mentir sur tous les détails de son parcours.

Idriss Aberkane a-t-il déjà publié un article scientifique ?

Nous avons publié il y a peu le résultat d’une petite enquête au sujet d’un extrait de cette réaction du 31 octobre. Dans le but de vérifier une allégation de statut de « co-auteur final » nous avons découvert que le seul article universitaire d’Idriss Aberkane… n’existe pas réellement. C’est en fait un poster de congrès, et ce qu’il dit à son sujet est inconciliable avec les faits.

Fact-checking, le retour

En 2005 j’ai obtenu un DEUG Biologie option chimie Mention Très Bien de l’Université Paris-Sud d’Orsay (l’ancêtre de Paris-Saclay) top 1%, sept lettres de recommandation, et effectué deux stages dont un dans une équipe du CNRS avec laquelle j’ai dû signer un contrat de propriété intellectuelle couvrant la durée du stage. »

4ème sur 209, c’est un excellent résultat, mais ça ne fait pas le top 1%. Alors pourquoi le dire ?

J’ai été admis par concours sur dossier comme prédoctorant à l’Ecole Normale Supérieure…

Notons la confusion de la formule : « par concours sur dossier » semble dire qu’il a passé le concours d’entrée, voie royale. La réalité est qu’il a été admis sur dossier (ce n’est pas donné à tout le monde il était donc un bon étudiant). La distinction (qu’elle soit légitime ou non) réside en ce que les élèves admis au concours peuvent se dire « Normaliens », et les autres non.

Il s’agit d’un texte en réaction à des accusations de bidonnage de CV, alors pourquoi ne pas faire le choix de la clarté et préférer au contraire une formulation pouvant prêter à confusion ?

J’ai ensuite été invité en 2006 comme assistant de recherche rémunéré au département de psychologie expérimentale de l’Université de Cambridge, co-auteur final d’une publication en psychoacoustique. Je retournerai à Cambridge comme assistant de recherche en 2009, cette fois pour étudier des données de MagnétoEncéphaloGraphie (MEG). » Dominance region for pitch at low fundamental frequencies: Implications for pitch theories », Brian C.J. Moore, Brian Glasberg, Idriss Aberkane, Samantha Pinker, Candida Caldicot-Bull in The Journal of the Acoustical Society of America (Impact Factor: 1.5).01/2007.Cambridge

 

Le mot « invité » est intéressant. Il y avait probablement le mot « guest » ou « invited » sur sa convention, son badge ou son trousseau de clef, cela ne veut pas dire que sa présence a été sollicitée par le laboratoire, or c’est exactement ce que semble dire le paragraphe ci-dessus. Il s’agissait d’un stage d’été de 2 ou 3 mois. Que suggère Idriss Aberkane quand il précise qu’il a été invité et qu’il a été rémunéré : que d’autres ne le sont pas, et que son cas est exceptionnel. Ce n’est pas tout à fait exact.

Quant au terme co-auteur final, il est celui qui nous a mis sur la voie d’un scoop : l’article dont il se vante n’est pas un article mais un abstract de poster. Idriss Aberkane ne figure pas dans la liste des auteurs du papier final qui sortira en 2012, preuve que son implication n’a pas été cruciale dans ces travaux, et qu’en l’espèce il a commis un mensonge peu habile.

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J’ai été invité à l’Université de Stanford en 2006, d’abord comme “Visiting Scholar” (que l’on traduit souvent comme chercheur invité) par le Professeur…

Là encore il se dit « invité », et on est en droit de faire remarquer que ce n’est pas vraiment comme ça que ça marche ; c’est certainement lui qui a fait les démarches pour se rendre là-bas (comme c’était son droit). Aucun document fourni n’atteste en tout cas la thèse de l’invitation spontanée par Stanford telle qu’implicitement rapportée par Idriss Aberkane. Mais peut-être peut-il produire le nom de la personne qui l’y aurait « invité » pour rendre sa version crédible, s’il y tient.

– j’ai donné trois conférences à l’Université –

Conférence est un mot plus vendeur mais moins exact que séminaire, mais séminaire était le bon mot à employer. Un as de la communication peut-il involontairement faire autant d’erreurs qui vont toujours dans le sens de donner une image plus flatteuse et importante de sa personne ?

Les chercheurs industriels professionnels, en général, publient très peu en dehors de leurs produits finis ou de leurs brevets, mais je suis contre le brevet logiciel.

C’est souvent vrai. Cela dit, Idriss Aberkane publie beaucoup. On compte 25 publications dans son CV : trois thèses, un article qui n’en est pas un… et des tas de publications sans valeur universitaire reconnue, sans lien avec sa recherche industrielle. On est plutôt dans du discours en sciences sociales molles. Notez que là encore l’effet produit par une telle liste est une confusion profitable à monsieur Aberkane ; elle donne l’illusion d’une grande productivité universitaire. Le but d’un CV est-il de faire illusion ?

Je suis enseignant chargé de cours à l’école CentraleSupélec (Université Paris-Saclay) depuis 2011

Rappel : sur son CV et sur son site, il se disait professeur (un grade qu’il n’a pas) ce qui a forcé l’école Supélec à démentir officiellement son statut d’enseignant-chercheur. M Aberkane ne revient nullement sur cette usurpation-là (qui n’est vraiment, vraiment pas innocente quand on sait de quoi on parle), comme si cela n’était l’une des raisons pour lesquelles son CV a attiré les foudres des gens attachés à la probité des scientifiques.

j’ai dirigé un si grand nombre de mémoires de Mastère Spécialisé (formation sélective inscriptible uniquement après un Mastère) que je ne peux m’en souvenir de tête.

Son CV mentionnait qu’il avait dirigé « plus d’une vingtaine de thèses de master » or l’utilisation du mot est rare dans le cas d’un master et on le réserve d’ordinaire au doctorat. Par anglicisme il peut s’employer, mais alors il prête à confusion. Quelle surprise que ce soit le choix de la confusion encore une fois qui ait prévalu dans ce texte.

J’ai d’ailleurs été stagiaire dans un laboratoire du CNRS dès 2005 et ce n’était pas pour apporter des cafés mais faire de la recherche.

Comme des milliers d’étudiants ! Tous ne prétendent pas avoir été « chercheurs » juste parce qu’ils ont été « stagiaires ». Mais il fallait qu’Idriss Aberkane se juge plus digne qu’eux de cette adresse.

Le premier doctorat (Thèse rédigée en anglais)  a fait suite à mon éducation militaire comme officier de marine de réserve, il portait sur la géopolitique de la connaissance, au Centre d’études diplomatiques et stratégiques de Paris.

Seules les écoles doctorales des universités peuvent délivrer des diplômes de doctorat. Le titre « PhD » pour Philosophiæ doctor est moins encadré. Idriss Aberkane peut donc vraisemblablement se dire PhD du Ceds, mais pas revendiquer un doctorat. Cela ne l’empêche pas de nous dresser un véritable panégyrique à la gloire de ce travail :

« Le mérite et l’originalité de ce doctorat ont donné lieu à une publication soumise à la revue d’un comité éditorial de trois personnes, “Noopolitique: le pouvoir de la connaissance” chez Fondapol, puis à sa republication aux Presses Universitaires de France. Fait rarissime, cette publication a été traduite en Chinois, Coréen et Anglais (voir site de Fondapol) »

La Fondapol est un think tank qui produit des analyses, des études, des points de vue. Même si elle possède des comités éditoriaux, leurs publications ne sont pas équivalentes à des revues scientifiques expertisées par les pairs. C’est cependant l’impression que donne le phrasé d’Idriss Aberkane, qui gauchit la vérité juste assez pour permettre aux gens de croire qu’il jouit d’une reconnaissance académique dont il est dénué.

Ce doctorat n’a donc malheureusement donné lieu à aucune publication universitaire permettant de valider le travail du doctorant. On a dit dans un article précédent l’étrangeté de la composition du fort restreint jury de thèse.

SECRET STORY

Le deuxième doctorat est en Littérature Comparée et Études Méditerranéennes à l’Université de Strasbourg.

Une thèse de 259 pages abondamment illustrée dont le résumé déborde d’analogies entre le cerveau et le monde littéraire. À toutes fins utile précisons que l’analogie est l’outil favori des pseudosciences, qu’elle est utile en médiation scientifique, mais qu’elle ne peut jamais être un mode de description du réel dans le cadre d’un travail scientifique.

Un article entier devrait être réservé à l’analyse de cette thèse, tant on y trouve d’extraits qui témoignent d’une prétention hallucinante à révolutionner la science, à en rejeter les codes, à en mépriser la démarche. Pour le dire en trois mots, Idriss Aberkane y développe une pensée mystique, scientiste et relativiste qui devrait faire bondir n’importe quel épistémologue.

  • Extrait du résumé : « Ainsi comme il existe une cartographie dynamique des connexions cérébrales, la connectomique, il existe une connectomique des littératures et une biologie des littératures. Une partie du corps calleux des littératures, le faisceau de connexions directes entre Orient et Occident, est la « chaîne de la gâtine », un linéament de textes qui se fascinent pour l’interaction entre le monde et la conscience.»

et le troisième [doctorat], donc à l’école Polytechnique, a pour objet la neuroergonomie et la bio-inspiration logicielle appliquée, dont un chapitre a donné lieu, aussi, à une publication sous comité éditorial chez Fondapol, puis republication aux Presses Universitaires de France, traduite encore une fois en Chinois, Anglais et Coréen.

Nous nous bornerons à dire que cette thèse (obtenue à l’Université Paris-Saclay et non à Polytechnique) n’a pas non plus été l’occasion pour Idriss Aberkane de publier enfin un article dans une revue scientifique, comme c’est la règle pour valoriser un travail de recherche. On peut légitimement penser qu’il n’y a pas eu de véritable travail de recherche derrière la rédaction de ce mémoire. Le titre le souligne d’ailleurs de manière singulière par sa formulation très vague : « Neuroergonomie et Biomimétique logicielle pour l’économie de la connaissance: Pourquoi? Comment? Quoi? »

Idriss Aberkane ne s’est jamais soumis à l’examen de ses travaux par des pairs.

Sur les entreprises qu’il aurait créées et qui auraient planté plus de 10 000 arbres au Sahel, ne disons rien. Nous n’avons pas le temps de vérifier ces informations. Cela peut être vrai, et cela indique le talent d’entrepreneur de l’individu, sans rien dire sur ses connaissances dans les domaines où il se dit expert. Cela peut aussi être faux pour autant que nous le sachions.

Déontologiquement et légalement, il n’est pas possible d’être dirigeant d’entreprise et fonctionnaire titulaire en même temps. En créant et dirigeant ma première entreprise sociale en 2009, juste avant de me lancer dans mes recherches doctorales, et en sachant que j’en créerait deux autres par la suite, je savais donc que je ne ferai jamais carrière comme fonctionnaire-chercheur et c’est pour cette raison que j’ai choisi la recherche industrielle et appliquée, un secteur où le professionnel ne publie quasiment jamais ses travaux.

C’est inexact. Il existe des procédures facilitées pour qu’un chercheur CNRS puisse monter et diriger une entreprise. En fonction du temps consacré et des revenus perçus, ça peut exiger de se mettre en disponibilité totale ou partielle. La manière dont Idriss Aberkane présente la chose laisse croire qu’il avait toutes les chances d’avoir un poste au CNRS mais qu’il a décliné cette possibilité car un choix s’imposait à lui. Inexact. Ajoutons que dans le privé aussi règne le publish or perish, et que c’est un faux semblant d’expliquer de cette manière l’absence de publication.

Dans une version datée du 3 octobre, le point suivant a été ajouté, probablement en raison de ma propre insistance sur les réseaux sociaux à lui demander qui l’avait nommé « Ambassadeur du Campus Numérique de Systèmes complexes Unesco Unitwin ».

Je suis également « Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire » du Complexe Systems Digital Campus (CS-DC) UNESCO UniTwin. ambassadeur-unesco-unitwin

Que constate-t-on ? Qu’un tel titre n’existe nulle part ailleurs dans le monde académique. Idriss Aberkane est le seul à le posséder. Qu’il est délivré par Pierre Collet, un chercheur en informatique qu’on retrouve dans le jury non pas d’une mais de deux thèses d’Idriss Aberkane en Littérature et en Sciences de Gestion. Si vous avez le mot complaisance sur le bout de la langue, on ne nous en blâmera pas. On se demande au nom de quels travaux ce titre lui est accordé.

storytelling

Contactés, les présidents des jurys de thèse et le Centre d’études diplomatiques et stratégiques de Paris n’ont pas donné suite à notre courrier leur demandant des informations sur la qualité de ces thèses, notamment l’accès aux rapports de soutenance qui contiennent les critiques académiques adressées au manuscrit et à la soutenance orale par les rapporteurs, normalement membres du monde universitaire.

Une mystification.

La réaction du 31 octobre est une autofiction. Idriss Aberkane nous raconte une success story à laquelle on croit volontiers, car c’est une belle histoire. Les thématiques sont exaltantes, les décors sont étincelants, les ambitions sont à la mesure de l’excellence des références, et les diplômes sont à la démesure de ces ambitions empressées. On a quelqu’un de brillant qui nous parle d’échec (celui de l’école), lui qui n’a connu que des réussites ; qui nous promet de « libérer notre cerveau » lui qui de toute évidence utilise si bien le sien. On veut y croire, même quand certains faits ne cadrent plus, même quand on comprend qu’il y a des arrangements avec la réalité, car après tout quel héros est totalement parfait ? Les exagérations peuvent sembler pardonnables dans un monde féroce où les vraies vocations, les vraies valeurs ont maille à partir avec les conflits d’intérêt et l’immobilisme intellectuel. Le plan marketing consiste à nous parler d’un pouvoir d’achat égal pour tous : celui de la connaissance qui ne dépendrait que du temps et de l’attention, et ce au mépris de tout ce que la sociologie et la psychologie nous disent sur les déterminismes sociaux et sur l’inégalité radicale entre les humains qui ne s’effaceront pas d’un vœu pieux. Mais c’est gaiement qu’avec lui nous nions des réalités indésirables pour nous cramponner à l’espoir que la science a les réponses à tout, surtout quand elle est mise en équations.

Ф(k) α At

Le flux de connaissance (k) est proportionnel au temps (t) et à l’attention (A)

Cette équation est une profonditude, selon le mot inventé par Daniel Dennett (deepity en anglais). Une profonditude est une proposition qui peut avoir au moins deux sens. L’un est vrai mais trivial ; l’autre semble profond mais il est essentiellement faux et serait bouleversant s’il était vrai.

Ici, ce que nous dit-on ? Que le flux de connaissance dépend du temps disponible et de l’attention consacrée. C’est une évidence qui n’a pas besoin d’une équation : c’est à la fois vrai et trivial, et donc ça n’a aucun intérêt. Sans temps ou sans attention, nulle connaissance n’est transmise, personne ne l’ignorait.

Mais l’équation dans son contexte semble dire autre chose : du temps et de l’attention, tout le monde en a, et on peut transformer les millions d’heures passées sur les jeux vidéos en un immense flux de connaissances qui va alimenter l’économie (il parle de le transformer en « cash flow »). Cela est bouleversant si c’est vrai, mais c’est faux. Les individus ne sont pas maîtres du temps qu’ils peuvent consacrer à des serious game, ils subissent d’innombrables contraintes dans leur vie quotidienne qui ôtent à certains la simple possibilité de consacrer du temps à ces activités ; et leurs parcours personnels aboutissent à des inégalités cruelles sur la quantité d’attention dont sont capables les uns et les autres. Pour rendre compte du réel, il faudrait une équation autrement plus complexe que celle proposée par Idriss Aberkane, et jamais soumise par lui à la critique de la communauté scientifique. Les « pauvres » et les « chômeurs » ne sont pas réellement plus riches de temps et d’attention que les autres, mais on nous dit le contraire, et on veut le croire, car cela rend possible la belle histoire qui nous est narrée.

Il y a un coté e=mc² dans cette petite équation qui, sous une forme toute simple, nous donne l’illusion d’avoir compris une chose compliquée. Rien d’étonnant à ce que la séduction opère. Donner l’illusion de rendre plus intelligents des gens à qui vous voulez vendre l’idée que vous savez comment rendre tout le monde plus intelligent est en effet prodigieusement futé.

Chalkboard drawing - From Story to Success

Cachez ce scientisme !

Idriss Aberkane a un discours scientiste déconnecté des réalités de la démarche scientifique et du corpus de connaissance des sciences cognitives et sociologiques. Mais pour certains, ça n’a aucune importance puisqu’ils sont touchés, émus par ce qu’il leur dit. Il leur dit des choses qui ressemblent à de qu’ils veulent entendre, et que d’autres pourraient dire en respectant davantage les faits et la rigueur scientifique qui permet d’isoler et de corriger une éventuelle erreur. Mais Idriss Aberkane est passé avant, il est passé partout, sur toutes les ondes, et désormais c’est lui le propriétaire des concepts de « neurochronologie », « neuronaissance », « neurofascisme », « neurodatasome » dont certains sinon tous sont dénués de véritable définition et de toute validation par le processus de la revue par les pairs, processus qui permet aux scientifiques d’éprouver la solidité de leurs concepts avant toute éventuelle promotion. Le chercheur en neurosciences cognitives Sebastian Dieguez a spontanément inventé le terme de « neuro-impasse » pour parler de ce vocabulaire (communication personnelle).

Le Syndrome de Galilée n’est pas un cliché pour rien : nous adorons l‘histoire du génie solitaire qui doit s’opposer à la médiocrité ambiante. On la retrouve dans la plupart des films à succès qui abordent de près ou de loin le monde scientifique. La manière dont la science est présentée dans la culture populaire et dans certaines formes de vulgarisation alimente cette idée fausse que la science progresse par les coups de boutoir que donnent des héros de comics contre les certitudes indéboulonnables de savant poussiéreux hostiles aux idées nouvelles.

En vrai, la science, c’est une démarche collective. Les génies qui vivent parmi nous ont assez d’intelligence pour travailler en équipe. Ils ont le talent de se faire comprendre par les experts de leur domaine, au minimum par les moins obtus (car oui il y a des scientifiques obtus, fermés et sclérosés, pourquoi le nier ?) car c’est le meilleur moyen de faire avancer les choses et de déboucher sur de vraies découvertes. La révolution de nos modes de vie, de l’école, de la connaissance ne viendra pas de l’initiative d’un coach de développement durable auteur d’un livre dopé aux analogies douteuses, même s’il est bardé de quatorze doctorats en tétrapilectomie, mais d’un processus bien plus complexe qui implique que les gens s’approprient la méthode qui produit de la connaissance afin de mieux distinguer le savoir de la simple idéologie, afin de mieux respecter ce savoir et de le transmettre, afin de faciliter l’émancipation des individus grâce à l’amélioration de la société.

Ce paragraphe que vous venez de lire, enthousiaste, enivrant peut-être, n’est pas moins vrai que tout ce que vous pourrez lire chez Idriss Aberkane. La différence en est que l’auteur d’icelui ne prétend pas être l’individu par qui viendra la délivrance de notre si désespérante condition humaine. Inventer des mots et aligner des bons sentiments peut suffire à faire un écrivain, et les écrivains sont des gens utiles. Mais l’écrivain qui se veut au moins un peu scientifique ne le sera qu’à la condition de respecter ce qui fait qu’une connaissance est une connaissance.

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La science, ce n’est pas l’art de raconter des histoires, c’est la méthode autocorrectrice qui propose des modèles réfutables sur le fonctionnement du monde. Dans la course à la séduction, la science perdra toujours contre le storytelling, alors changeons le game.


Articles liés : Dossier Aberkane.
  1. — Qui parle pour la science ? Idriss Aberkane ?
  2. — Idriss Aberkane à l’épreuve des faits
  3. Idriss Aberkane a menti
  4. Le triomphe du Storytelling
  5. — Idriss Aberkane, icône d’une fausse ère
Agitateur d’idées, amuseur éclairé, aventurier des concepts, le vulgarisateur (qui peut être une vulgarisatrice, et le plus sera le mieux) est par définition un personnage public. Il s’adresse aux curieux, aux néophytes, pour partager avec eux une information de nature scientifique.

Avec du travail et de la chance, il rassemblera autour de lui des gens nombreux et attentifs à ses publications. Le développement du web offre d’ailleurs de plus en plus d’opportunités. Les contenus internet en lien avec la science se multiplient, et, fatalement, se pose la question de ce qu’est une bonne vulgarisation. Dans tous les métiers, toutes les activités, on trouve des gens honnêtes, talentueux, et des moins bons, voire de véritables imposteurs. Il est donc souhaitable de savoir quelles caractéristiques signalent la vulgarisation de bonne qualité.

A qui se fier ?

« Alors le mauvais vulgarisateur, il voit un concept là, qu’à rien demandé, et hop il le vulgarise. Alors que le bon vulgarisateur…»

Comment distinguer le bon vulgarisateur du mauvais ? Aucune réponse honnête ne sera simple, parce que le monde est compliqué, et parce que rendre compte de ce que la science démontre n’est pas une mince affaire. Aucune recette ne marchera à tous les coups, et aucun point de vue dogmatique ne peut espérer être valide. C’est à celui qui visite les pages qu’incombe la tâche de se poser quelques questions avant d’accepter ou de rejeter les informations qui lui sont présentées.

Nous vous proposons ici une liste indicative de ce que devraient être les principales préoccupations du vulgarisateur scientifique, et donc les critères à l’aune desquels il semble juste de juger son niveau de crédibilité.

Les 5 critères de la bonne vulgarisation

Le public a tout intérêt à s’assurer que le vulgarisateur prend soin :

  1. De présenter un contenu accessible et scientifiquement correct
  2. D’être attentif à la manière dont son travail est compris
  3. De créditer ses sources
  4. D’expliquer la méthode mise en œuvre pour obtenir les connaissances
  5. D’être exemplaire dans son rapport aux faits et aux théories scientifiques

Développons un peu

Les listes, c’est bien joli, mais ça manque toujours de nuances et de contextualisation. Alors évidemment : ça dépend. Ca dépend de la discipline, ça dépend du sujet, ça dépend du format, ça dépend de mille choses… Mais toutes choses étant égales par ailleurs, on serait bien inspirés de ne point trop se fier à ceux qui n’émargent pas aux critères proposés.

1 — Présenter un contenu accessible et scientifiquement correct

C’est le critère le plus évident. Il faut fournir des explications au plus proche de ce que dit la science, sous une forme débarrassée du jargon technique, éventuellement ludique ; en tout cas qui encourage la curiosité et le partage. Quand le propos n’est pas clair, c’est qu’il est peut-être mal compris ; pire peut-être n’est-il pas scientifique. Et pour reconnaître si ce premier critère est respecté, on a besoin des 4 qui suivent…

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2 — Être attentif à la manière dont son travail est compris

Cela veut dire lire les commentaires et les critiques faits sur son travail. Il faut corriger et expliquer les éventuelles erreurs. Si l’information est mal comprise, il faut probablement changer sa manière de l’expliquer. Bref, le passeur de science doit savoir se remettre en question. Les articles et les vidéos qui ne sont pas ouverts aux commentaires, et ceux où les commentaires pointent des problèmes sans recevoir de réponse doivent susciter la prudence.

Accessoirement le vulgarisateur n’est pas seul dans l’univers, et s’il est dans l’impossibilité de lire tous les commentaires (ça arrive), il peut néanmoins souvent compter sur une communauté de scientifiques prêts à relire ses brouillons et à lui suggérer reformulations et corrections (cf critère n°3).


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3 — Créditer ses sources

Si la publication est l’explication d’un ou plusieurs articles de recherche, l’auteur doit citer ces articles. Si des ouvrages l’ont aidé à rédiger son contenu, il est préférable de les citer également, non seulement par respect de leur travail, mais aussi de manière à retracer toute erreur potentielle. Il faut également créditer les experts qu’il aura sollicités pour compléter / corriger son travail. Créditer les sources est aussi le meilleur moyen de rendre compte du fonctionnement collectif de la science, et d’écarter les clichés sur les découvertes providentielles et les génies incompris.

Je suis très sceptique.

Je suis très sceptique.

4 — Expliquer la méthode mise en œuvre pour obtenir les connaissances vulgarisées

C’est-à-dire ne pas se limiter à des collections de fun facts (pour distrayantes ou passionnantes qu’elles puissent être) mais partager aussi avec le public une partie du cheminement des chercheurs, les raisons pour lesquelles on peut avoir confiance dans la connaissance ainsi produite. Cet aspect est important, car c’est la méthode de validation des connaissances qui rend la science différente des autres activités humaines.

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5 — Être exemplaire dans son rapport aux faits et aux théories scientifiques

La science produit des connaissances imparfaites et provisoires sur le monde. Les théories scientifiques n’ont rien de dogmatique, et certaines sont solidement étayées quand d’autres sont fragiles. L’évolution des connaissances passe nécessairement par la remise en question des « vérités de science » admises par le passé. La confiance que l’on peut accorder à la démarche scientifique dépend de la compréhension que l’on a de ses mécanismes d’autocorrection.

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Pourquoi une telle liste de critères ?

On pourrait considérer qu’il suffit d’être passionné et honnête pour faire de la bonne vulgarisation, sans s’encombrer d’autant de principes rébarbatifs dont les lecteurs-spectateurs n’ont que faire. L’article ou la vidéo de vulgarisation n’est pas un mémoire universitaire, on pourrait arguer que des sources n’apportent rien de plus. Pire, on pourrait considérer que le consommateur a la responsabilité de bien choisir ce qu’il consomme ; charge à lui de ne pas confondre une publicité ou un message à caractère sectaire avec une véritable publication de vulgarisation scientifique.

Mais il n’est pas raisonnable d’argumenter de la sorte, puisque c’est réclamer de la part de l’audience un comportement qui est précisément celui que la vulgarisation a pour but de susciter. Quel pourrait être l’intérêt d’exiger du public qu’il possède une compétence qui est celle qu’on se propose de l’aider à acquérir ?

Le vulgarisateur, surtout s’il a une large audience, est un influenceur. Sa parole acquiert une autorité qui n’est pas corrélée à sa qualité mais à la familiarité du public envers lui, à sa popularité. Un lien affectif s’établit entre le vulgarisateur et son public. On appelle effet de halo le phénomène par lequel une qualité que possède un individu modifie la perception que l’on a de ses autres qualités. Le public peut s’habituer à croire le vulgarisateur simplement parce que c’est lui. Sa responsabilité est alors de dissoudre cet effet de halo et de rappeler aux gens les vraies raisons pour lesquelles ils peuvent croire ce qu’il leur dit.

C’est en donnant les sources des informations / découvertes / théories qu’il partage qu’il peut le mieux assumer la responsabilité de la confiance qu’il inspire aux gens. Naturellement, rien ne le contraint légalement à assumer cette responsabilité, et seule l’éthique personnelle de l’influenceur lui dictera sa conduite ; mais alors revient au public la responsabilité d’être exigeant envers ceux à qui il veut pouvoir faire confiance.

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De l’utilité d’une telle précaution pour le vulgarisateur.

Tôt ou tard, le vulgarisateur commettra une erreur, car nul ne peut prétendre à l’infaillibilité. Que cette erreur soit une simple mésaventure, un impondérable événement, ou au contraire une retentissante catastrophe dépend en partie de la manière dont son public aura appris à recevoir sa parole, à en douter raisonnablement, et à garder en mémoire que les erreurs arrivent, qu’elles font partie intégrante du processus scientifique, et qu’elles ne sont pas graves en soi dès lors qu’on peut les identifier, retracer leur origine et leur apporter une juste correction.

Le vulgarisateur n’est pas un perroquet ou un traducteur, il communique avec les gens, il passe avec eux un contrat tacite de confiance, et il doit en donner les gages, sinon comment serait-il différent des gourous, des vendeurs de billevesées, des médiums, des charlatans, des télévangélistes qui prétendent savoir des choses qu’ils ne savent pas, et vendent très cher ce faux savoir ?

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La médiation des savoirs implique une responsabilité partagée. En dernier recours, c’est toujours le public qui est juge. Charge à lui, par conséquent, de se donner les moyens de ne pas croire n’importe qui n’importe comment.

***
Pour leurs commentaires ayant aidé à améliorer ce texte, je tiens à remercier les membres de l’ASTEC, de Vidéosciences et de la Vidéothèque d’Alexandrie. (Cela n’implique en rien qu’ils soient complètement d’accord avec le contenu de cet article).

Nous croyons mille et mille choses tous les jours. Nous croyons à la constance du monde, que les mêmes causes produisent les mêmes effets, et que le jour se lèvera demain. Nous croyons que nos choix nous appartiennent, que nous sommes rationnels. Nous croyons à nos valeurs morales. Nous croyons certaines histoires qu’on nous raconte. Nous croyons aux compétences de nos plombiers, de nos infirmières, comptables, garagistes et pilotes de ligne. Nous croyons que nos superstitions ont des effets sur le monde réel. Nous croyons à notre destin (ou pas), nous croyons en Dieu (ou pas)*. Nous croyons que nous connaissons des choses qu’en fait nous ignorons plus ou moins… Nous sommes des êtres de croyance.

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Le dogme scientifique !

On accuse volontiers les défenseurs de la méthode scientifique de croire immodérément « la science » comme d’autres croient aux Écritures. On entend des gens dire que les scientifiques croient dans les théories. On entend même des scientifiques dire eux-mêmes qu’ils « croient »en la parole d’experts qui exercent hors de leur domaine de compétence. Ils seraient donc dans la croyance.

La science est-elle une croyance comme une autre ?

En réalité, les scientifiques et les experts de différents domaines ne se contentent pas de « croire ».

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Une ancienne manière de voir ce qu’est une connaissance.

La délégation du savoir.

Aucun d’entre nous n’a accès à 100% des informations, personne ne maîtrise toutes les disciplines qui interviennent dans notre représentation du monde. Combien comprennent réellement les théories des sciences physiques, de la chimie, de la médecine, de la sociologie, de l’économie, de la psychologie ? Plus que cela encore, combien d’experts connaissent la totalité de leur discipline, ont lu tous les auteurs, tous les ouvrages, compulsé toutes les données, vérifié tous les résultats ?

Fichtre ! Cela veut-il dire qu’en réalité nous ne savons rien, que toute connaissance n’est qu’illusion ?

Chacun d’entre nous est bien forcé de se fier à ce que d’autres que lui savent mieux. On ne va pas passer notre temps à inventer l’eau chaude, alors nous utilisons les connaissances produites par d’autres, avant nous. Nous pouvons le faire, car par bonheur l’humanité a mis au point une manière de valider les connaissance indépendante des individus, c’est la méthode scientifique.

Et là est la nuance. Il n’est pas nécessaire de croire que e=mc² quand on n’est pas physicien et que la formule est en réalité opaque à notre compréhension. Pour l’accepter, il suffit d’avoir confiance dans la méthode qui a permis de produire et de valider cette équation.

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Croire ou ne pas croire ?

En l’absence d’une vérité absolue et accessible, nous sommes réduits à ne posséder que des connaissances imparfaites sur le monde. On peut alors vouloir considérer que tout n’est que croyance, une position qu’autorise l‘étonnante polysémie du verbe croire illustrée au tout début de cet article.

Aucune réelle frontière ne sépare d’un côté les connaissances indéniables et de l’autre les croyances douteuses. Il y a au contraire un continuum, et donc une infinité de nuances, entre d’un coté « je sais » et de l’autre « j’en sais rien du tout, mais je vais supposer X de manière totalement arbitraire ». Mais cette infinité de nuances est bel et bien une nuance, et la différence existe ! Ce qui sépare le choix arbitraire de croire X de la connaissance raisonnable en Y, c’est la confiance qui existe dans la méthode mise en oeuvre pour conclure.

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C’est pourquoi il n’y a pas de dogmatisme scientifique chez ceux qui comprennent la science. Mais cela implique non seulement de faire confiance à la méthode scientifique pour produire des savoirs, mais encore de savoir pourquoi on lui accorde cette confiance. Et pour cela, il faut savoir comment elle marche. C’est plus exigeant que de se contenter de « croire » mais c’est aussi le seul moyen de ne pas sombrer dans l’anti-science imbécile ou le scientisme absurde.

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* Et ne pas croire en Dieu n’est pas obligatoirement une croyance.

Dans le documentaire « La Révélation des Pyramides », nous assistons à une fantastique démonstration de numérologie : la narratrice nous dévoile la présence de nombreuses coïncidences numériques. Par exemple, on retrouverait dans les dimensions de la pyramide des approximations de pi, du nombre d’or, ou de la longueur en mètres de la coudée égyptienne (plus de détails ici).

 Le documentaire défend l’idée qu’il s’agit d’une volonté des constructeurs de la pyramide – qui essaieraient ainsi de délivrer un message caché. Beau joueur, le réalisateur donne tout de même la parole à un scientifique, qui explique que ces coïncidences n’ont rien de surprenant : « Si vous prenez un tabouret de cuisine, s’il est bien proportionné, vous trouverez sans doute aussi des valeurs intéressantes ». Ce que la narratrice résume par « Autrement dit, (encore) le hasard ».

Et là, je dis « non ». Mais pour comprendre pourquoi, il faut revenir un peu en arrière.

Hasard, mot mirage.

Il arrive que l’être humain soit confronté à des phénomènes intrigants, trop complexes pour être dus au hasard, mais dont les causes nous dépassent. Dans ce cas, la réaction naïve est de penser que ces phénomènes ne peuvent qu’être dus à une volonté consciente : une main qui guide les éclairs, une colère qui provoque les tempêtes, un architecte qui prévoit volontairement les coïncidences numériques.

 Le travail scientifique consiste à chercher les causes de ces phénomènes – et leurs explications, souvent, mettent fin à ces croyances en l’anthropomorphisme de l’univers : si les choses sont comme elles sont, ce n’est pas forcément parce que quelqu’un l’a voulu, c’est peut-être tout simplement la conséquence logique d’un enchaînement de causalités. C’est ainsi que la météorologie a tué l’idée d’une volonté divine cachée derrière le beau ou le mauvais temps.

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Quelle déception.

Cette lourde tâche d’explication du monde est souvent contrariée par la déception qu’elle engendre chez l’homme, ruinant le mythe d’un monde conçu pour lui par des êtres qui lui sont similaires. Il est infiniment plus gratifiant de penser, par exemple, que les saisons ont été faites pour permettre à l’humain de faire des récoltes une fois par an, plutôt  que de se rendre compte qu’il s’agit de simples conséquences de l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre. Alors, au début, l’ego humain s’insurge : « Quoi ? Ce n’est pas quelqu’un qui a mis en place les saisons ? Ce n’est donc que du hasard ? », commettant ainsi un contresens en confondant l’absence de volonté consciente et le hasard. Car la régularité des saisons n’est pas, nous le savons tous, due au hasard.

Mais, au final, après avoir cramé un Galilée ou deux, la raison finit par l’emporter. Cependant, les saisons expliquées, la vision anthropomorphique s’en trouve souvent, non pas anéantie, mais simplement déplacée : si c’est l’inclinaison de la Terre qui crée les saisons, alors c’est que quelqu’un l’a incliné exprès pour nous – pour pouvoir faire des saisons. Parce que bon, « les saisons, c’est quand même pas du hasard ». Et ça, chers amis, ça s’appelle du créationnisme (version « Intelligent Design »).

Le désir d’une causalité simple.

Mais revenons à nos pyramides. Le problème de la numérologie, c’est que l’explication scientifique n’est pas décevante seulement pour l’ego : elle est aussi décevante pour l’esprit humain rationnel. Car l’explication n’est pas « il y a une cause, et la voici » mais « il n’y a pas vraiment besoin de cause, car ça arrive tout le temps ». En effet, ce que montre Acermendax ici, c’est que si  ces coïncidences se produisent, c’est qu’il est quasi certain que, purement par déterminisme statistique, elles finissent par se produire. Si l’on prend une pyramide au hasard, ce qui serait très surprenant serait de ne pas trouver plein de valeurs pouvant évoquer pi. Si les théories des numérologues prospèrent, c’est que les numérologues croient, ou font semblant de croire, que l’explication des mathématiciens fait appel au hasard, et que l’homme de la rue ne fait pas la différence entre déterminisme statistique et hasard. C’est l’absence d’explication scientifique bien comprise qui permet à l’idée d’une volonté extérieure de subsister.

Ainsi donc, l’argument « pas-du-hasard » est un élément récurrent dans les argumentaires contre l’explication scientifique du monde, parfois accompagné d’une revendication de « vraie scientificité » : c’est les scientifiques qui ne font pas de la bonne science, à insister pour dire que les révélations des numérologues sont dues au hasard (ce que, si vous avez suivi, ils ne disent pas)…

 De la même manière, dans La Révélation des Pyramides, cet argument du hasard revient souvent, par exemple, pour parler des points communs entre les civilisations maya et égyptienne. « Est-ce vraiment un hasard ? » – non, vous répond la communauté scientifique, c’est du déterminisme anthropologique, et il existe toute une discipline (l’ethnologie) qui étudie ces déterminismes.

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Pour terminer, une mise en application : vous avez remarqué que tous les dessins d’enfant se ressemblent ? Même des groupes d’enfants qui n’ont jamais communiqué entre eux, même indirectement, font des dessins similaires. Comment est-ce possible ?

1 –  C’est du pur hasard.

2 –  C’est orchestré par des gens mystérieux avec une technologie avancée, appelés « les gribouilleurs ».

3 –  C’est un déterminisme cognitif : leur cerveau se construit plus ou moins de la même manière.

A vous de voir ce qui vous semble le plus rationnel et le plus crédible. En tout cas, maintenant, vous savez : non, ce n’est tout de même pas du hasard.

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Cher commentateur…

Vous lisez probablement cet article parce que quelqu’un vous a suggéré ce lien suite à l’un de vos commentaires.

Les chaînes et les blogs sceptiques comme celui-ci reçoivent des commentaires de toutes sortes, certains positifs, enthousiastes, voire flatteurs, d’autres outrés ou accusateurs, parfois pertinents, mais hélas qui donnent trop souvent dans l’ad hominem, l’affect, l’injure et le soupçon d’appartenir à une conspiration ou à une autre.

Devant de tels messages, le blogueur est amené à faire des choix. Certains ferment les commentaires pour éviter tout débordement, mais cela tue le dialogue et aseptise un milieu qui devait être propice aux échanges d’idées. C’est donc généralement concéder une défaite que de recourir à ce procédé ; il faut trouver une autre solution.

Ma solution privilégiée est de répondre sur le terrain des faits tout en soulignant les artifices rhétoriques dont nos chers commentateurs les plus remontés abusent trop souvent. Mais une fois que l’on a démontré la fausseté d’un argument ou bien le biais à l’oeuvre dans un discours, que l’on a clairement posé les questions qui permettraient à la discussion de devenir constructive, si notre interlocuteur s’entête à répéter les mêmes erreurs en variant le ton, il n’est plus temps de s’acharner, et c’est ici que je vous propose, cher commentateur, de vous poser ces questions.

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Vous apportez un avis différent ? Votre commentaire est le bienvenu. Ca ne veut pas dire que c’est vous qui avez raison.

§ 1. Pensez-vous que certaines personnes se font de fausses idées sur le monde ?

  • Oui. Allez au §2.
  • Non. vous ne pouvez pas répondre « non » puis me reprocher d’avoir tort sur quoi que ce soit. En conséquence, renoncez à débattre ou rendez-vous au §2.

 

§ 2. Pensez-vous qu’il existe des méthodes meilleures que d’autres pour évaluer la valeur d’une proposition sur le monde ?

  • Oui. Allez au §3
  • Non. Si vous répondez non, mais que vous confiez votre voiture à un garagiste ou bien votre chien à un vétérinaire, vous n’appliquez pas ce principe dans la vie de tous les jours, car vous admettez que le garagiste et le vétérinaire ont une méthode plus efficace que la votre pour détecter un problème et le résoudre. Il serait plus sage d’aller au §3.

§ 3. Comment proposez-vous de distinguer les bonnes méthodes des moins bonnes ?

  • La démarche scientifique fondée sur le test empirique des hypothèses : la recherche systématique de l’erreur.
  • Le tirage au sort.
  • Le choix selon l’humeur.
  • La tête du client.
  • Avec un pendule.
  • Avec le test de Rorschach.
  • etc.

La question centrale aux sujets abordés par les blogs sceptiques-zététiques est celle du choix de la méthode pour établir si une proposition est vraie ou fausse. Sur ce blog, et de manière générale dans notre civilisation, on fait le choix de se fier à la méthode scientifique, non parce qu’elle serait parfaite, mais parce qu’elle est celle qui présente le moins de défauts, et surtout parce qu’elle est auto-correctrice par nature.

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Avoir tort peut rendre un peu colérique. Mais être colérique n’aide pas à avoir raison.

Le choix de la démarche scientifique.

La démarche scientifique est la seule qui garantisse de parvenir au résultat le plus sûr possible compte tenu de nos connaissances. Certains voudront voir du scientisme dans cette affirmation, une sorte de « religion de la science ». Et cette accusation est souvent le refuge du contradicteur qui refuse de considérer la science comme ce qu’est elle, à savoir : une pensée méthodique.

Cette méthode permet d’écarter les hypothèses fausses. Souvenons-nous que toutes les pseudo-sciences et les pseudo-médecines, même les plus bizarres, ont leurs défenseurs (par définition ! celles qui n’en ont pas, ben on ne les connait même pas). Idem pour toutes les théories du complot les plus absurdes. Votre croyance vous semble correspondre au réel, mais c’est également le cas de tous ceux qui défendent une croyance qui vous semble ridicule à vous. À moins d’accepter d’employer l’esprit critique et la démarche rationnelle du test d’hypothèse, vous devez accepter toutes les croyances : l’astrologie, l’acupuncture, l’origine extraterrestre des agroglyphes, les dangers du gluten, la théorie de la Terre Creuse, l’hypothèse exotique de Roswel, l’existence des reptiliens, le créationnisme, les complots sur le Sida, les vaccins, le 11 septembre et Lady Di, etc.

Dans les cas particulièrement répandus et dangereux des pseudomédecines, libre à chacun de se soigner avec des saignées, des ventouses, de l’homéopathie, de l’urine, de la corne de rhinocéros, de la lithothérapie, du shamanisme, du prâna, etc. Mais celui qui doute d’une seule de ces pratiques : 1) Il a raison 2) Ca veut bien dire qu’on doit faire le tri, et 3) Il est utile de se rappeler que les malades ne sont pas forcément les mieux placés pour savoir ce qui les soigne ; il y a des gens dont le métier est de tester des hypothèses sur les causes des maladies et le meilleur moyen de s’en débarrasser. Chacun son expertise.

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À la seconde où vous vous énervez, vous inhibez les zones de votre cerveau qui vous aident à prendre conscience que vous pouvez avoir tort. Mauvaise stratégie.

 

Merci pour votre commentaire.

À présent que vous avez accepté de lire ces quelques lignes, cher commentateur, vous comprenez peut-être mieux ce qui vous dérangeait dans l’article où vous avez posté un commentaire. Pour un échange de qualité, intéressez-vous au fonctionnement de la science en vous gardant bien de vous battre contre une image d’Épinal de la Science avec une majuscule. N’oubliez pas que vous discutez avec un être humain qui a peut-être des choses à vous apprendre, surtout s’il est partisan d’une méthode qui a priori lui permet d’accepter de changer d’avis dès qu’il s’aperçoit qu’il peut avoir tort, et qui par conséquent doit avoir de bonnes raisons de penser ce qu’il pense. Inversement, n’oubliez pas qu’il est lui même ouvert au dialogue et donc demandeur de bonnes raisons de changer d’avis.

Les blogueurs sceptiques, y compris celui qui écrit ces mots peuvent se planter royalement sur tout un tas de choses, et si c’est le cas ils se montreront très reconnaissants envers celui ou celle qui les corrigera (même s’ils passent par une phase désagréable d’inconfort à un moment donné).

Ne cherchez pas à gagner le débat, mais à gagner au débat. Or celui qui gagne le plus, c’est celui qui a acquis de nouvelles cognitions.

Que vos futurs échanges soient fructueux.

 

« Pour juger quelqu’un, jugez les intentions qu’il vous prête. »
Paul Valéry, Mélange (1934)

Conférence du 16 mai 2015 à la convention Néocast.

Pour notre première conférence en tant que Vled & Mendax de la Tronche en Biais,  nous vous proposons une présentation de la zététique qui ne sera pas sans vous rappeler notre première vidéo.

De la méthode

Pour bien mettre en évidence l’efficacité unique de la méthode hypothético-déductive, nous montrons de quelle manière elle est utilisée par Gandalf en personne pour déterminer si oui ou non l’anneau de Bilbon et l’Unique ne font qu’un. Si même un magicien de ce calibre emploie la méthode scientifique fondée sur la production d’hypothèses réfutables et leur vérification, alors on peut défendre l’idée que c’est une démarche profitable à tout le monde.

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Quelques biais…

Ensuite nous procédons à un tour d’horizon des biais cognitifs, tout ce qui ressemble à des défauts dans notre rationalité, des bugs ou des bizarreries qui rendent nos comportements difficiles à prévoir et impossibles à justifier. Pour illustrer le biais nommé cécité d’inattention, nous utilisons la vidéo créée par les psychologues Simon et Chabris (pour les références, voir leur site). Désormais célèbre, cette vidéo demande au spectateur de compter le nombre de fois que le ballon passe de main en main entre les joueurs de l’équipe blanche…

C’est l’occasion pour le public de faire l’expérience du point aveugle : cette tendance que nous avons tous à nous penser moins biaisés que les autres.

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Les hémisphères cérébraux

A l’aide des expériences de split brain (cerveau dissocié) de Gazzaniga*, on peut se rendre compte que le cerveau n’a pas un fonctionnement aussi unifié que l’on pourrait le croire. Nous avons tous l’impression que notre personnalité est une entité indivisible qui d’un côté ressent son environnement de manière continue, et de l’autre produit des réactions qui mettent en jeu l’entièreté de qui nous sommes. La vérité est sensiblement différente. Les multiples parties du cerveau assurent différentes fonctions, et on sait notamment que les hémisphères traitent différemment les informations. Notre hémisphère gauche gère le langage et il est donc capable de verbaliser les objets qu’il reconnait. L’hémisphère droit n’a pas cette capacité et il doit passer par des moyens détournés pour exprimer ce dont il a conscience. La conférence présente les expériences passionnantes qui le démontrent et qui mettent en évidence des cas particulièrement frappant de rationalisation.

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Paréidolies.

La faculté de reconnaissance des formes de notre cerveau, extraordinairement développée, nous rend apte à voir des choses invisibles. J’ai évoqué ces phénomènes  dans un article sur les apophénies publié sur le blog de Xavier Ristat. La conférence est l’occasion de faire en grandeur nature ces expériences de biais de perception et d’horizon d’attente. C’est la mise en pratique, sensorielle, de concepts un peu abstraits concernant la manière dont le cerveau reconstruit le monde qu’il perçoit imparfaitement.

 

Qu’en dit l’évolution ?

On peut se demander si l’existence de toutes ces imperfections cognitives n’est pas contradictoire avec la théorie de l’évolution qui prédit un châtiment sévère pour tous les organismes un tant soi peu inefficaces… Et il s’avère que la question est intéressante car elle montre que nos biais cognitifs sont loin de constituer des désavantages dans un environnement naturel ; ce sont au contraire des caractères activement sélectionnés, et nous verrons pourquoi.

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Le problème qui se pose à nous, c’est que nous avons hérité d’un organe cérébral raffiné par des millions d’années de sélection naturelle, un organe qui a maximisé les chances de survie de nos ancêtres, a boosté notre capacité à produire de la culture et à faire des powerpoint… sauf que ce qui occupe notre crâne aujourd’hui est quasiment identique à ce qui se trouvait dans celui de Cro-Magnon. Nous avons le même cerveau que l’Homme des cavernes, mais plus vraiment les mêmes problèmes à résoudre. Les cerveaux d’aujourd’hui ont donc plutôt intérêt à s’armer de méthode et de rigueur pour faire face aux pièges de la vie contemporaine.

C’est pourquoi nous avons besoin de science !

 

 

Merci aux organisateurs de la Néocast pour leur invitation.

— Pour aller plus loin au sujet des split brain experiments (en anglais) : http://www.nature.com/news/the-split-brain-a-tale-of-two-halves-1.10213

 

Une nouvelle couche ?

 

Les personnes ne possédant qu’une faible connaissance sur un domaine sont sujets à une double peine. Non seulement elles souffrent des effets de leur ignorance dans le domaine, mais en plus il leur manque précisément les connaissances nécessaires pour savoir à quel point elles sont ignorantes (Cf article portrait robot de l’ignorance). C’est l’effet Dunning-Kruger. Eh bien, il se pourrait qu’il y ait une troisième couche à la malédiction de l’ignorance… et elle serait due à une forme de politesse.

 « Nous avons tendance à penser que chacun mérite un droit à la parole équivalent dans un débat. »[1]

Ainsi commence un article tout juste paru dans PNAS qui met en évidence un biais apparenté à l’effet Dunning-Kruger et qu’on pourrait appeler le biais d’égalitarisme. L’article est le fruit d’expériences réalisées en Iran, au Danemark et en Chine.

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Ce que dit l’étude.

Dans ces travaux, les sujets ont travaillé en binômes sur une tâche de reconnaissance visuelle : deux images successives leur étaient présentées durant une fraction de seconde. Ils devaient déterminer sur laquelle des deux apparaissait une cible. Chaque binôme assortissait sa réponse de son degré de certitude. Si les deux binômes ne donnaient pas la même réponse, l’un des deux était tiré au hasard pour choisir au nom du groupe. Ensuite on leur donnait la bonne réponse. Là où c’est intéressant c’est que l’opération était répétée 256 fois pour chaque binôme.

binomeQuand il existait une réelle différence de compétence entre les deux individus, la logique voudrait qu’au bout d’un certain nombre d’itérations, ils s’en aperçoivent, et surtout qu’ils jugent en conséquence. On s’attend à ce que l’individu le moins compétent accorde plus de poids à l’avis de son binôme qu’au sien, et inversement le plus compétent devrait réduire le poids du jugement de l’autre. Or ce n’est pas ce qu’il se passe. Les deux membres d’un binôme avaient toujours tendance à faire comme s’ils étaient aussi bons ou aussi mauvais que leur partenaire.

Les chercheurs ont fait varier les conditions, notamment en affichant le score des partenaires, en rendant la tache objectivement plus difficile pour l’un des sujets ou en assortissant l’expérience d’une gratification pécuniaire, sans jamais faire disparaitre le biais qui semble donc être bien installé.

L’explication d’un tel résultat semble résider dans la dimension sociale de notre espèce. Nous cherchons tous une intégration idéale parmi nos pairs. Les expériences sur la preuve sociale (travaux de Esch notamment) ont montré notre besoin de trouver dans le comportement d’autrui une confirmation que nous avons raison de penser ce que nous pensons.

Dans le cadre de ce paradigme, les nouveaux résultats peuvent être interprétés comme suit : les sujets moins doués, qui ont surestimé leur compétence, ont essayé de demeurer socialement pro-actifs ; les plus doués, qui ont sous-estimé les leurs, ont cherché à ne pas ignorer leurs partenaires.

Où est le mal ?

Ces comportements ne sont pas fallacieux en soi, ils ont même des vertus pro-sociales qui représentent des avantages dans la plupart des contextes. Mais dans les super-groupes qui composent nos sociétés (communautés, nations, réseaux sociaux affranchis des frontières) cette tendance naturelle à accorder du crédit à toutes les paroles indépendamment de leur connexion avec la réalité nous met souvent dans l’embarras.

Excellence

Tous les avis se valent-ils ?

Quand une personne -ou un groupe de personnes- apparait comme objectivement plus qualifiée que le super-groupe auquel elle appartient sur une question précise (plus d’expérience, plus d’aptitude ou plus de connaissance), le super-groupe tend malgré tout à évaluer les points de vue sous forme de compromis, c’est-à-dire en accordant une importance (illégitime) à l’avis des personnes clairement identifiables comme moins expertes du domaine.

 Les conséquences de ce genre de politesse sont multiples. Les gens bien élevés de nos sociétés modernes répugnent à humilier ou à rabaisser qui que ce soit. C’est une bonne chose, sauf quand cette volonté charitable de vivre en bonne intelligence nous retient de dire à l’ignorant qu’il est ignorant, car c’est un geste qui n’est charitable qu’en apparence.

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On ne gagne rien à humilier quiconque.

Le citoyen poli et cultivé y trouvera son compte en se donnant à lui-même l’image d’un d’esprit ouvert et tolérant envers l’ignorance d’autrui. Mais l’ignorant n’y aura rien gagné. En voulant éviter ce qui est considéré comme un moment gênant : la mise en évidence d’une fausse croyance, d’un raisonnement erroné ou d’une vision caduque d’un sujet en particulier, on prive la personne en situation d’ignorance de se corriger.

Le corollaire automatique de cette politesse bien installée veut que celui qui la transgresse en mettant en évidence les erreurs et les errements des autres est perçu négativement, ce qui complique le travail du zététicien et doit le forcer à prendre en considération les réactions que suscite le questionnement socratique qu’il pratique envers les croyances de notre temps.

 

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La connaissance inspire l’humilité. Trop, peut-être…

Vers le relativisme…

 L’effet Dunning-Kruger et le biais d’égalitarisme sont des phénomènes naturels qui contribuent à affaiblir la parole des experts dans un monde où la méfiance envers les élites est exacerbée par quantité de facteurs politiques. Pourtant nous avons besoin que ceux qui savent soient entendus par ceux qui décident, lesquels exécutent trop souvent les désidérata de ceux qui croient.

Le danger devant lequel nous nous trouvons est celui de la banalisation du relativisme : l’idée que toutes les opinions se valent, que l’ignorance des uns vaut largement la connaissance des autres au nom de la démocratie et de notre amour de l’égalité.

 

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Référence de l’étude : Mahmoodi et al. Equality bias impairs collective decision-making across cultures PNAS 2015 ; published ahead of print March 9, 2015. http://www.pnas.org/content/early/2015/03/05/1421692112.abstract

[1] « We tend to think that everyone deserves an equal say in a debate »

De quoi Bureaucratie est-il le nom ? KRAUZE-UE-bureaucracy

 

 

 

Dans un livre de 1970, le Principe de Peter, les pédagogues Laurence Peter et Raymond Hull proposent une loi empirique de « hiérarchologie » (la science de la structuration des organisations hiérarchiques). Le principe est rédigé sur un ton satirique et parodique, mais des études universitaires ont ensuite montré qu’il était partiellement valide.

 

Les auteurs ont posé deux principes de base :

  • Un employé compétent est promu à un niveau hiérarchique supérieur.
  • Un employé incompétent donné n’est pas promu à un niveau supérieur, ni rétrogradé à son ancien poste.

(Les principes considèrent également que le niveau n+1 requière plus de compétences que le niveau n, ce qui n’est pas nécessairement vrai mais constitue une approximation suffisante)

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La conclusion est immédiate, imparable, implacable : « Dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence »

 

Le principe est aussi appelé « syndrome de la promotion Focus » et il a pour corolaire que : « Avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d’en assumer la responsabilité. » En conséquence, bien sûr, l’essentiel du travail est réalisé par des employés n’ayant pas atteint leur seuil d’incompétence.

Le principe de Dilbert va un peu plus loin en précisant que l’on promeut les employés incompétents à leur tâche pour mettre à leur place quelqu’un qui sera capable de faire le travail.

 

Bureaucracy

 

Dans une société qui a de nombreux niveaux hiérarchiques, les employés ont de fortes chances d’atteindre leur niveau de stagnation. Dès lors, et surtout si leur niveau est élevé dans la hiérarchie, les éléments pleinement incompétents vont passer leur temps en réunions, en colloques, séminaires et symposiums. Ils entrent en « lévitation » : ils sont indéboulonnables parce que seul un hiérarque plus gradé peut les renvoyer/rétrograder, et qu’il ne peut pas le faire sans avouer qu’il a fait une erreur de management.

 

 

 

Le principe de Peter est impitoyable envers les hauts gradés, car plus un poste est élevé dans la hiérarchie:

 

  • Plus il y a de chances qu’il soit occupé par quelqu’un ayant atteint son niveau d’incompétence.
  • Plus son impact est grand sur l’organisation de la société.

 

Si on osait, on en conclurait bien vite que les postes hauts gradés sont nocifs pour la société, mais quelle personne en possession d’un peu de pouvoir a envie d’entendre vanter les mérites de l’anarchie ?

 

Ce triste constat est valable dans le privé, mais il l’est surtout dans le public où l’absence de compétition soustrait l’administration aux phénomènes de sélection darwinienne, seuls capables de sanctionner une organisation vraiment désastreuse. Il va de soi que la Loi de Murphy s’arrange pour que le niveau d’incompétence des instances dirigeantes les empêche de détecter la totale incompétence des personnes promues dans les niveaux inférieurs.

 

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En 2010, Pluchino et al. reçoivent le prix Ig Nobel pour leur démonstration qu’une promotion fondée totalement sur le hasard est le meilleur moyen de déjouer le principe de Peter, (dont la validité scientifique, nous le rappelons n’est pas attestée puisqu’il s’agit d’un exemple de raisonnement quasi absurde)[1].

 

 

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[1] Alessandro Pluchino; Andrea Rapisarda; Cesare Garofalo (2009). « The Peter Principle Revisited: A Computational Study ». Physica A 389 (3): 467–472. arXiv:0907.0455.