Dans le travail de sceptique, de zététicien, on est amené à critiquer des idées, des conceptions, des discours qui revêtent une importance considérable pour certaines personnes. L’expression du scepticisme face aux croyances représente une violence intrinsèque, ce que j’ai appelé la violence épistémique. Il faut donc que la pratique de la zététique se fasse toujours en ayant conscience que notre action peut être perçue comme une agression. Cela ne signifie pas qu’il faille accepter les réactions violentes à notre action, et surement pas de la part de personnes qui tirent profit (pécuniaire ou symbolique) de la diffusion d’ouvrages traitant de phénomènes présumés paranormaux sous un angle non rationnel.
Le croyant, surtout quand il est engagé dans un processus coûteux vis-à-vis de sa croyance, comme des pratiques ésotériques ou une enquête conduisant à la sortie d’un livre, peut réagir de façon totalement disproportionnée aux critiques.
Depuis les débuts de la Tronche en Biais, nous avons reçu des dizaines de menaces d’agression physique et autres modes de représailles. Souventes fois par des internautes camouflés derrière l’anonymat d’un avatar, des haters lambda, mais aussi parfois par des personnages ayant une vie publique, publiant sous leur nom, qu’il s‘agisse d’un récentiste, d’un blogueur sur la culture SF ou d’un tenant du paranormal auteur de deux livres. Dans de telles situations, il n’y a sans doute pas de formule magique de la bonne réaction et de la bonne gestion d’olibrius ingérables. Sans grand espoir, on peut les aiguiller vers cet appel à la raison.
Récit d’un échec
Dernièrement, une nouvelle mésaventure de cette nature s’est produite. Voici le récit d’un échec du débat d’idées.
Laurent K est docteur en sociologie et auteur de deux livres. Son titre académique signifie qu’il a passé un diplôme de doctorat, diplôme sans rapport avec les sujets dont parlera cet article. Il est l’auteur de deux livres. Le premier « Un coup de fil de l’au-delà » a pour accroche sur sa couverture :
« Depuis la nuit des temps, on vous cache la vérité. Il existe bien des faits et des phénomènes inexplicables. Certains, que vous pourrez vérifier vous-mêmes, remettent absolument tout en question. »
Le second « Quand les morts nous contactent » traite en gros du même sujet : les appels téléphoniques post-mortem. Après la mort d’un proche, les gens reçoivent des coups de téléphone où ils entendent la voix du défunt, si l’on en croit les témoignages. Pour l’auteur, les coups de fil ont suivi la mort de… sa chienne. Je n’ai pas lu ces livres, ni n’en ai l’intention. Ils m’apparaissent peu honnêtes pour des raisons qui se feront jour d’ici la fin de l’article. Je les mentionne parce que leur auteur s’est invité grossièrement dans mon environnement numérique jusqu’à provoquer une effervescence aussi fugace que futile.
Acte zéro
Tout commence sur mon mur facebook. Dans une publication, je commente la réaction de Geneviève Delpech (veuve du chanteur) envers Guy Carlier. Ce dernier a vertement critiqué les allégations de Jean-Jacques Charbonier et de Madame Delpech sur la vie après la mort et la communication avec les défunts. Dans cette petite publication (reproduite ci-après), je m’étonnais notamment de la virulence des admirateurs du Dr Charbonier, très heureux de le croire et fort mécontents qu’on se mêle de douter de leurs croyances.
« Intéressante réponse au scepticisme qui ose s’exprimer contre les croyances dans l’au-delà (mais pas seulement… car dans ce cas il y aussi croyance de contact, de communication avec les disparus).
Une réponse très incohérente qui prétend que la position sceptique serait fausse mais rassurante… Car visiblement croire que la mort signifie l’extinction totale serait rassurant. Les études en psychologie prouvent le contraire : c’est la croyance dans une après vie qui rassure.
JJ Charbonier y est qualifié de « scientifique », ce qui n’est guère étonnant, mais rappelle la méconnaissance du monde de la science dans le grand public. Les médecins sont des praticiens, des techniciens, des gens souvent super compétents, mais pas forcément (et souvent pas beaucoup) formés à l’usage de la méthode scientifique.
La dame s’offusque du mépris qu’elle perçoit chez Carlier et dans sa phrase suivante parle des « gogos ».
On retrouve une posture victimaire habituelle, et l’habituel talent à dénoncer une chose tout en la commettant. Et comme souvent, on note la vacuité totale du propos : 100% d’offuscation et 0% d’argument.
Dans tous les cas, un commentaire sceptique à ce message a toutes les chances d’être disqualifié d’emblée puisque douter, cela revient à agresser certains croyants. Et cela, quel que soit la gentillesse avec laquelle vous douterez, car il y a une forme de violence intrinsèque à tenter de dissoudre les illusions et les incompréhensions. Quand en plus la croyance touche au deuil et à la souffrance qui l’accompagne, autant dire que le terrain est miné. »
C’est sous cette publication qu’intervient Monsieur K :
Il est très important de préciser que la plupart des gens qui croient en la vie après la mort sont fréquentables et normaux, avec souvent un vécu singulier qui mérite qu’on lui apporte une explication scientifique là où ils doivent généralement se contenter de récits accessibles, attractifs, vendeurs, mais sans fondement, sans méthode et donc très certainement illusoires et potentiellement dangereux. Les tenants qui prennent le plus la parole dans les médias et les réseaux ne sont que la partie émergée d’un groupe de gens qui n’ont pas de raison d’être plus stupides, bornés ou irrationnels que les autres. Malheureusement, nous allons voir que monsieur K participe à sa manière à décrédibiliser les tenants des hypothèses paranormales.
J’ai jugé utile d’afficher la hauteur de l’argumentaire de monsieur K sur ma page facebook. C’est là que l’aventure commence. Je voudrais vous présenter une miniature du post où je regrette le niveau où le débat est placé par un individu qui, auteur qu’il est, devrait pouvoir se comporter mieux, mais cela m’est techniquement impossible. Vous allez comprendre pourquoi.
Acte 1 – La vitupération
Rendu furieux par ma description de ses livres (pendant plusieurs jours, et pour une raison mystérieuse, il a systématiquement mis une majuscule au mot Livre quand il s’agissait des siens avant d’incriminer son téléphone… qui toutefois ne mettait pas de majuscule aux livres écrits par d’autres que lui… est-ce paranormal ?), monsieur K a exigé que je supprime ma publication. Il n’a guère laissé la place à une explication des raisons de sa fureur avant de se lancer dans divers insultes et vociférations sur mon incompétence et ma malhonnêteté, les deux explications que l’on jette facilement à la tête de ceux qui ne sont pas convaincus par notre manière de voir le monde.
J’ai cessé de lui répondre. Les visiteurs de ma page ont tenté de dialoguer avec lui, de lui faire comprendre que ce n’est pas ainsi qu’il faut procéder pour échanger des idées et tester ses hypothèses.
J’en profite pour emprunter à Hygiène Mentale et partager avec vous l’illustration des règles d’un débat d’idées convenable. Il s’agit d’un contrat tacite entre deux interlocuteurs qui s’engagent à ne pas rendre impossible tout changement d’avis à la lumière d’arguments convaincants.
Au lieu de reprendre ses esprits face à des réponses argumentées, monsieur K a multiplié les promesses de représailles corporelles à mon endroit, avec allusions à ma ville de résidence. Pendant plusieurs jours. Cet épisode m’a permis d’apprendre l’existence d’une page sur laquelle on peut signaler les faits de menace et de harcèlement sur Internet. Partagez auprès des gens qui pourraient en avoir l’usage l’adresse de cette page : https://www.internet-signalement.gouv.fr/PortailWeb/planets/Accueil!input.action
Sans conviction que la chose puisse réellement apporter quelque sérénité dans mon environnement virtuel, j’ai donc signalé la page sur laquelle Monsieur K a proféré menace et injures de manière répétée et ostentatoire. Si la zététique porte en elle une part de violence psychologique, cette violence est toute entière contenue dans la remise en question qu’elle enjoint, et nul n’a à tolérer de la vraie violence en retour. Bien sûr, dans aucun cas il n’est judicieux de répondre aux injures par l’insulte, ou inversement. Mais à ce stade, il n’était évidemment plus question de débattre, les conditions nécessaires n’étant pas réunies.
Acte 2 – Le dilemme
La santé mentale de Monsieur K me semblait discutable, et mon éthique personnelle m’incite à ne pas débattre publiquement avec une personne mentalement perturbée ou ne disposant pas de toutes ses facultés intellectuelles. C’est un service à rendre aux individus diminués que de ne pas profiter de leur situation. Ma position était donc aussi bienveillante et stoïque que possible.
Puis arrive un remarquable « t’es vraiment une pédale » en réaction à mon signalement de son comportement. Et l’on constate qu’il est difficile de savoir comment réagir. Faut-il considérer que Monsieur K est dérangé ? Le bannir de la page ? Lui répondre ? Par amour pour la liberté d’expression, et parce que l’observation de ce genre de personnage fait partie de la mission que je me suis bêtement confiée, j’ai laissé Monsieur K en liberté sur mes réseaux.
Y avait-il un moyen pour les sceptiques de désamorcer cette agressivité ? J’ai tendance à penser que non. On ne peut pas convaincre tout le monde, et un diplôme de doctorat ne suffit pas à faire d’un homme quelqu’un de sensé et sensible aux arguments. Parfois il n’est tout simplement pas possible d’entamer un dialogue constructif. Et des signes avant-coureurs l’indiquaient clairement avec Monsieur K : son vocabulaire du jugement, de l’accusation, son agressivité envers tout le monde, les menaces et rodomontades trahissaient un désir d’imposer son point de vue et de ne surtout pas laisser à l’autre une chance de s’exprimer réellement.
Pourtant je pourrais bien avoir eu tort, me disais-je, car Marc Doridant, internaute zététicien, entame avec Monsieur K une discussion sur le projet Aware, une étude sur les rescapés d’arrêt cardiaque ayant pour but d’explorer les Expériences de Mort Imminente. Ignorant les provocations, protestations et divagations de son interlocuteur, il réussit à obtenir quelques réponses sur l’interprétation que monsieur K en fait : ce projet aurait prouvé l’existence d’une conscience hors du cerveau. C’est malheureusement une interprétation erronée, comme Marc le lui explique patiemment, en montrant que l’étude ne permet pas de soutenir cette conclusion. Silence radio de Monsieur K sur le plan des preuves et de la méthode ; il préfère revenir sur la manière dont j’ai, selon lui, mal présenté son travail dans mon post initial.
Acte 3 – Quand accepter le débat s’avère être un faux pas
Devant le ton apaisé qu’ont pris les échanges et les demandes répétées de Monsieur K, j’accepte de débattre avec lui. Je commets l’erreur d’oublier la violence haineuse du personnage ; j’imagine qu’il y a dans sa démarche une réelle envie de confronter des idées.
Spoiler : il n’en est rien.
Parfois les gens veulent juste s’imposer, dominer, écraser les autres. Souvent, ils ne parviennent guère qu’à vriller les nerfs et gaspiller le temps de leurs contradicteurs, mais c’est déjà une nuisance plus que suffisante.
J’entame donc un dialogue au cours duquel je questionne sa méthodologie et sa définition de « paranormal » puisque son discours est « les phénomènes paranormaux existent, je le SAIS ». Pour lui le paranormal est irréductiblement inexplicable, un principe étranger à la démarche scientifique. Ses preuves sont des témoignages glanés en l’absence de toute méthodologie scientifique. Il est difficile d’obtenir de lui une réponse sur la nature des phénomènes paranormaux en question. Intentionnellement ou par incapacité, Monsieur K reste dans le flou artistique.
Par exemple, il se prétend sceptique, mais les titres de ses ouvrages et leur présentation s’adressent clairement aux croyants qu’ils brossent dans le sens de leurs attentes. Dans les interviews disponibles sur le net, la position défendue n’est jamais celle du scepticisme scientifique.
On parle de « coups de téléphone passés par les proches décédés », et les seules précautions obtenues après un intense questionnement sont un simple « tout se passe comme si… ». Bref, nous sommes en présence d’un croyant qui s’ignore ou qui feint de s’ignorer.
Une fois établi ce « tout se passe comme si… » (entendu : comme si des personnes décédées contactaient leurs proches via le téléphone), je lui propose de revenir sur le sujet du projet Aware qu’il m’accuse de travestir quand je cite une phrase de son auteur principal, Sam Parnia. Mais aussitôt le ton change et l’agressivité reparaît.
Acte 4 – Le bonheur d’être une victime
À ce moment précis Facebook m’annonce qu’il censure le post dans lequel je présentais Monsieur K et son drôle d‘argumentaire anal (Et vous savez maintenant pourquoi je ne pouvais vous donner un aperçu de ce post). Il a apparemment suffi à Monsieur K de se plaindre auprès de Facebook que son nom était mentionné dans la publication. La politique de publication de facebook n’est pas réputée pour sa logique. Sont donc perdus les 400 commentaires au milieu desquels se cachaient les injures et menaces qui m’avaient poussé à le signaler. Voilà.
En réaction, Monsieur K déclare aussitôt qu’il m’a « battu à plate couture ». Tel était donc son objectif. Je choisis à nouveau —mais un peu tard— de cesser d’interagir avec ce monsieur. De son côté, il s’obstine à répondre aux commentaires des autres intervenants. Les échanges se perdent dans l’amphigouri répétitive des mêmes bravades et invectives et dans le trollage joyeux et désinhibé des visiteurs de la page qui ont décidé que, de toute façon, tout ça n’avait aucun sens.
Epilogue – C’est bien triste, mais : et alors ?
Quelle leçon tirer de cette aventure, de cet échec de la discussion avec un tenant (qui se dit sceptique) ?
Dans la vraie vie, beaucoup de gens sont soumis quotidiennement à ce niveau de violence de la part de proches, de camarades, de collègues, de supérieurs… La brutalité vulgaire de celui qui n’a aucun égard pour la liberté de conscience d’autrui est une cause de souffrance considérable. J’ai la chance de ne la subir que de mon plein gré sur des réseaux où je prends délibérément la parole sur des sujets qui fâchent. Cette expérience n’est qu’un pâle aperçu de ce que subissent les personnes qui n’ont pas d’autre choix que de fréquenter des individus semblables à Monsieur K.
La violence du croyant est d’une nature bien plus perverse que celle du zététicien, car contrairement à ce dernier, il ne dispose d’aucun outil lui permettant de mesurer le mal qu’il fait, et aucune empathie épistémique n’est à espérer de la part de celui qui croit détenir une vérité absolue.
« L’offenseur ne pardonne pas » dit l’adage.
Le croyant frustré par la contradiction, en se lançant dans une agression de ses contradicteurs, met en place tous les ingrédients qui vont faciliter son enfermement doxastique. Plus il insulte, plus il s’immunise contre la remise en question de la part de ceux qu’il vient d’agonir, puisqu’il rabaisse aussi bien leur personne que leurs paroles. L‘agressivité explosive du croyant contredit, c’est la réaction d’une croyance qui ne veut pas mourir et resserre son emprise sur sa proie. La position épistémique est terriblement faible, mais elle est compensée par une charge affective et un capital symbolique qui ne nourrissent de la frustration et de la colère suscitées par la résistance des contradicteurs. C’est un peu le côté obscur de la rhétorique.
Les limites de l’argumentation.
Il n’est pas possible de raisonner avec tout le monde, tout le temps, notamment parce qu’il faut pour cela être dans une disposition d’esprit propice au dialogue. En toute rigueur, seule compte la logique, mais nous ne sommes pas des entités purement rationnelle. Les émotions, souvent, vont affecter notre capacité à accepter la contradiction et à nous plier aux règles du débat.
C’est pourquoi qui veut pratiquer la zététique doit se demander si son interlocuteur est en mesure d’entendre la contradiction qu’il désire lui porter (et si lui-même en est capable, point de départ évident). Entamer un débat d’idées quand les bonnes conditions ne sont pas rassemblées, c’est un peu scier la branche sur laquelle on est assis. L’autre risque de se sentir purement et simplement jugé, provoqué, agressé, ce qui le fermera à des débats futurs. Forcer l’autre à entrer dans un débat sans qu’il ne consente pleinement aux règles qui garantissent un bon déroulement est contre-productif. Cela risque de compliquer la tâche des autres zététiciens, laquelle consiste à déconstruire les représentations, assouplir les paradigmes, prendre en considération les déterminismes, et abaisser le niveau d’agressivité sur des questions épineuses.
Dans tous les cas, préparez-vous à l’échec. Vous ne « déconvertirez » jamais personne. Au mieux, vous pouvez aider les gens à comprendre qu’ils sont dans la croyance, mais c’est une découverte que personne ne fera à leur place. Charge à vous, dès lors, de savoir quand arrêter un échange d’idées et de ne surtout pas avoir pour but d’arracher une quelconque victoire.
La victoire est l’illusion après laquelle courent les trolls de l’internet ignorant que leur attitude est leur unique ennemie.