Le sympathique vidéaste Nicolas Meyrieux a traité le sujet des pesticides dans sa série « La Barbe » le 17 mai 2017.
Sur un ton humoristique réussi, cette vidéo dresse une caricature amusante des gros industriels sans foi ni loi prêts à toutes les bassesses pour peu qu’elles rapportent. On peut souscrire à cette vision du monde. Il y a certainement des êtres humains sordides dans les organigrammes des grands groupes. Certains proposent que les grands patrons cumulent souvent les traits de caractères de psychopathes.
Mais, il y a un mais !
Si critiquer les gros industriels et leurs pratiques pas Charlie mérite d’être fait, cela mérite d’être bien fait, et donc surtout pas en utilisant des arguments moisis, des contre-vérités ou des données parcellaires. Car toute attaque malhonnête ne peut que renforcer la position de la cible qui pourra légitimement discréditer les critiques qu’elle essuie. Ce serait nuire à la cause d’un contre-pouvoir aux grandes industries, en quelque sorte.
Il y a un deuxième mais : entretenir les gens dans la peur de ce qu’ils mangent, ce qu’ils boivent, ce qu’ils respirent avec des mauvais arguments, ce n’est pas éthique, cela dégrade la qualité de vie de ceux qui vous croient et qui s’angoissent pour de mauvaises raisons. Ce n’est pas correct, et on devrait donc éviter de le faire.
Il y a même un troisième mais, c’est celui des conséquences d’une mauvaise appréciation des réalités. On prend de mauvaises décisions, on entreprend des actions contre-productives, et au final on ne rend service à personne quand on pense être très bien informé alors qu’on ne l’est pas.
Dans cet article je vous propose de laisser de côté les caricatures — caricatures pour lesquelles j’ai le plus grand respect— pour nous concentrer sur un certain nombre d’affirmations qui, elles, ne sont pas présentées comme des caricatures mais comme des faits. Je remercie Chèvre Pensante pour son aide dans la préparation de cet article, et surtout Bunker D, qui a quasiment co-écrit ce fact-checking.
« 45% de nos aliments contiennent des taux toxiques de pesticides. »
Ce chiffre vient d’un rapport de l’EFSA (European Food Safety Authority) qui a trouvé des résidus de pesticides quantifiables dans 45% des échantillons. Cela ne veut absolument pas dire que ces taux sont toxiques.
La réalité des résultats, c’est que 1,5% des échantillons testés contiennent des résidus en quantités supérieures aux limites légales avec une marge suffisante pour éviter les imprécisions de mesure (comme pour les dépassements de vitesse), déclenchant alors des sanctions juridiques ou administratives. À cela, il faut ajouter que les limites légales incluent d’énormes marges de sécurité pour la santé.
La publication de cette étude se termine sur : « L’Autorité a conclu qu’il était improbable que la présence de résidus de pesticides dans les aliments ait un effet à long terme sur la santé des consommateurs. En ce qui concerne l’exposition à court terme, le risque pour les citoyens européens d’être exposés à des concentrations nocives de résidus par le biais de leur alimentation a été considéré comme faible. » (avec toujours la marge scientifique qui fait parler de probabilités, non de certitudes).
Enfin, le titre de la publication de l’EFSA est on ne peut plus clair : « Plus de 97 % des aliments contiennent des résidus de pesticides dans les limites légales », et sa simple lecture aurait permis au vidéaste de ne pas se tromper.
Les spectateurs de la vidéo ont reçue une information fausse.
« On classe les pesticides en 3 catégories : herbicides, fongicides, insecticides »
C’est oublier les bactéricides, les virucides, les parasiticides. Et s’il est vrai que « …cide = tuer », rappelons que ces produits n’affectent pas tous les organismes de la même manière (l’avocat est très toxique pour le chat… un félicide donc). Par exemple, le glyphosate agit sur la photosynthèse en inhibant l’enzyme EPSPS indispensable pour alimenter les voies de biosynthèse des acides aminés aromatiques Phe, Tyr et Trp, chez les plantes et les bactéries. Ceux d’entre nous qui ne sont pas des bactéries ou qui ne font pas de photosynthèse n’ont pas tant à craindre cette molécule.
Soulignons que l’analyse de la toxicité – et de l’écotoxicité – tient une place cruciale dans les processus d’autorisation et de réautorisation des pesticides (Heureusement !). Pour en savoir plus, vous pouvez consulter ces liens
- http://ec.europa.eu/food/plant/pesticides/eu-pesticides-database/public/?event=homepage&language=EN
- https://ephy.anses.fr/
- http://www.agritox.anses.fr/
« Sous prétexte que ça file un petit cancer »
Cette phrase est prononcée dans une séquence « caricature » mais c’est l’accusation la plus grave de la vidéo. On ne peut donc pas l’ignorer, car aucun spectateur ne passera à côté, d’autant plus que le sujet revient plus tard en mode sérieux :
« On classe les pesticides dans la catégorie des CMR »
En réalité les pesticides ne sont pas TOUS cancérogènes, mutagènes et/ou reprotoxiques, mais ce n’est pas ce qui est donné à comprendre au spectateur. Le glyphosate, principale cible de toute cette vidéo, est certes classé “cancérogène probable” par le CIRC, mais il n’est pas suspecté de provoquer des cancers aux consommateurs, selon le Joint Meeting OMS et FAO. (Le sujet est approfondi dans cet article de Bunker D).
« Le glyphosate […] à la base c’était DOW et Monsanto qui le fabriquaient pour l’armée américaine […] pendant la Guerre de Vietnam »
En premier lieu, signalons qu’on a ici un sophisme de type déshonneur par association : le glyphosate a été employé pendant la guerre, or la guerre c’est mal, donc le glyphosate c’est mal. À cela s’ajoute une forme d’essentialisme anti Monsanto : Monsanto est malintentionné par définition (comme s’il s’agissait d’une entité consciente et pas d’une entreprise au sein de laquelle les individus changent au fil du temps. Condamnerait-on l’Allemagne d’aujourd’hui pour ses crimes de la Seconde Guerre ?).
Mais surtout, il y a confusion. Le pesticide utilisé au Vietnam (et produit entre autre par DOW et Monsanto sur ordre du gouvernement américain via le Defense Production Act de 1950), c’était l’Agent Orange. Et ce dernier contient du 2,4-D et du 2,4,5-T, mais absolument pas de glyphosate ! Cette confusion se retrouve dans des publications très militantes ; cela pose la question de la manière dont l’auteur de la vidéo a fait ses recherches et questionné ses a priori.
Nicolas Meyrieux, quelle est la source de l’information fausse que vous donnez dans votre vidéo ?
« reprotroxique… ca veut dire que je peux plus bander. »
Non, ça ne veut pas dire ça. Un produit reprotoxique affecte la fertilité des hommes et/ou des femmes, pas leur capacité à avoir des relations sexuelles.
Mais la vraie question est : le glypohosate est-il un reprotoxique ?
En 2015 l’EFSA n’a pas proposé de classer le glyphosate comme toxique pour la reproduction de catégorie 2. La dose quotidienne sans effet négatif pour la reproduction est estimée à 300 mg/kg/jour, ce qui est énorme, du même ordre de grandeur que la dose tout simplement toxique, et à laquelle jamais aucun consommateur n’est exposée dans des conditions à peu près normales [1].
Il semble donc peu raisonnable de prétendre que ce produit est reprotoxique, même si c’est dommage pour les bonnes blagues que cela permet de faire dans la vidéo.
« C’est mauvais pour les sols qui s’appauvrissent »
Il faudrait nous dire ce que signifie précisément « appauvrissement des sols », et également sourcer une telle déclaration. Les pesticides peuvent avoir des effets sur la microflore du sol, mais est-ce le cas du glyphosate ? En fait le glyphosate ne semble pas avoir cet effet aux concentrations attendues en champs. Et lorsqu’on augmente la dose, on constate au contraire une augmentation de l’activité microbienne (étude 1, étude 2, étude 3). Ce qui peut en revanche poser problème, ce sont les résidus qui se dégradent en 2-3 mois et peuvent affecter les cultures suivantes. Cela signifie qu‘il faut améliorer les produits et les pratiques, ce dont nul ne doutait.
Par ailleurs, on peut noter que la diffusion du glyphosate favorise une diminution de la pratique du labour, en permettant de désherber les parcelles sans retourner la terre. Or le labour est l’une des principales causes de mortalité des micro-organismes du sol en les remontant à la surface où il y a trop d’oxygène, et crée une couche imperméable un peu en dessous nommée « semelle de labour« .
Plus encore, le glyphosate favorise l’agriculture de conservation qui consiste à laisser au sol une part voire la totalité des résidus de la récolte précédente. En plus de nourrir la terre, limiter l’érosion, favoriser la biodiversité au sol et améliorer l’absorption de l’eau, cette méthode limite le lessivage des pesticides vers les environnements voisins (il n’y a pas consensus sur ce sujet).
« Depuis 2009, les rendements n’augmentent plus. »
Si c’est vrai, cela ne nous indique rien. Une stagnation peut très bien signaler qu’on arrive au maximum, et donc qu’on a bien travaillé. Pour interpréter cette stagnation comme un signe de mauvaise santé des agrosytèmes, il faudrait des études qui montrent explicitement cela. Ces études existent-elles ?
« Les fruits et légumes sont moins nourrissants : une pomme de l’an 1950 contenait cent fois plus de vitamine C qu’une pomme d’aujourd’hui. »
C’est une information très surprenante. Il serait utile que l’auteur nous fournisse la source d’une telle affirmation. Dans la mesure où on a constaté que d’autres allégations étaient fausses, il faut sans doute se retenir d’y croire juste parce qu’on nous le dit. Et en l’absence de données à réfuter, il nous faudrait nous en tenir à cette posture.
Mais la suspension du jugement que pratiquent les sceptiques est évidemment très insatisfaisante pour la plupart des gens. Vous pourrez donc trouver une réfutation de cette affirmation ici. Vous pourrez y lire
« D’abord, pour remettre les pendules à l’heure, selon les études, le contenu en vitamine C des pommes a augmenté de 16% [en 50 ans]. »
Vous pouvez également consulter cette publication de l’Académie d’agriculture de France : « La valeur nutritionnelle des aliments a-t-elle diminué depuis 60 ans ? »
« La France est le premier consommateur de pesticides en Europe. »
C’est une présentation parcellaire de la réalité. Il manque le contexte. Et le contexte est que la France est aussi l’un des plus grands producteur agricole d’Europe ! Si on divise la quantité de pesticides par la surface agricole, la France est 9ème en Europe, c’est-à-dire dans la moyenne.
« La seule solution contre ça c’est de manger Bio.»
Il est bien compréhensible qu’on veuille y croire. Après s’être fait aussi peur, on veut se rassurer, sauf que le Bio n’est pas du tout une réponse. En effet, les cultures « biologiques » sont parfois traitées avec des pesticides, contrairement à ce que l’on croit souvent (Cf. la liste des intrants en agriculture biologique). Seuls les pesticides de synthèse sont interdits. Or les pesticides utilisés en Bio sont plutôt PLUS toxiques que le glyphosate par exemple. La Bouillie Bordelaise, un fongicide utilisé en bio, est du sulfate de cuivre neutralisé à la chaux. Elle est très toxique pour les poissons, et associée à des maladies du foie chez les viticulteurs (source). De plus le cuivre s’accumule dans le sol, et cette accumulation est toxique.
Conclusion.
L’agroalimentaire est une question d’une importance cruciale, il réclame notre vigilance à tous afin de ne pas avaler n’importe quoi. Mais c’est valable au sujet de la désinformation, d’où qu’elle vienne. La peur que nous inspirent certaines technologies ne doit pas nous faire oublier la balance bénéfice-risque. Certains ont peur des vaccins, peut-être parce qu’ils ont oublié les effets d’une épidémie ; d’autres ont peur des pesticides mais savent-ils combien de disettes et de famines ces produits (dangereux) nous ont épargné. Les bénéfices collectifs que nous tirons de ces produits sont importants, aussi tout en restant critiques et vigilants, exigeants et rigoureux des pratiques qui ont un impact sur l’environnement, n’oublions pas d’être vigilants, exigeants et rigoureux dans l’exercice même de la critique.
Si le but de cette vidéo est d’informer le public, Nicolas Meyrieux aurait tout intérêt à signaler les erreurs qui la parsèment et vont désinformer les spectateurs. Il peut éventuellement le faire en partageant cet article. Il peut également publier un erratum dans lequel il reviendrait sur les erreurs relevées ou bien pourrait argumenter sur la validité de ses affirmations tout en fournissant les sources qui lui permettent de le dire.
Le plus important est que les spectateurs qui aiment et suivent ce vidéaste (comme les autres) fassent preuve d’esprit critique et prennent l’habitude de demander des sources avant de faire confiance à une affirmation, même quand elle va dans le sens de ce qu’ils croient être vrai.
Si vous pensez qu’il faut éviter de croire des choses fausses juste parce qu’on a envie de les croire, partagez cet article partout où la vidéo analysée sera partagée. C’est un passage de relais, sans votre participation active d’internautes citoyens, une telle analyse restera lettre morte
« Tout est bruit pour qui a peur. » Sophocle
Edit.
En octobre 2017, Nicolas Meyrieux récidive avec une vidéo sur les semences très criticable.
NOTE
[1] (On notera DJA la Dose Journalière Admissible ; MRL la Maximal Residue Limit, c’est-à-dire la quantité maximale de résidus autorisés pour chaque pesticide dans chaque produit de consommation ; NOAEL la « No Observable Adverse Effect Limit », c’est à dire la consommation quotidienne maximale de produit jusqu’à laquelle on observe pas d’effet sur les cobayes en laboratoire.)
La DJA du glyphosate fixée par l’EFSA est de 0,5 mg/kg/j (précédemment 0,3 mg/kg/j). Elle est calculée à partir des NOAEL obtenues par expériences, avec un facteur d’incertitude de 100. (Autrement dit, la pire NOAEL trouvée est divisée par 100 pour absorber les éventuelles différences entre humains et cobayes.)
Un calcul des expositions de la population européenne a été opéré sur la base des différents modèles de diètes (adultes et enfants). En supposant que tout produit consommé contient des résidus de glyphosate à la MRL, le pire régime est britannique et atteint 80,1% de la DJA (soit 0,4 mg/kg/j). Et encore ! Le calcul précédent repose sur des hypothèses aberrantes : tout produit récolté contient une quantité de glyphosate résiduel à la MRL, et ce taux de glyphosate n’est pas affecté par la transformation des produits. En prenant les résidus moyens trouvés par l’EFSA au lieu des MRL, et en prenant en compte l’impact de la transformation des produits, le pire cas est irlandais, avec 2,1 % de la DJA (soit 0,01 mg/kg/j).
Bunker D a calculé les quantité de glyphosate consommées à partir des résidus dans les urines mesurés par Générations Futures. Dans le pire cas, on est à 0,58 μg/j/kg ; en moyenne : 0,25 μg/j/kg. L’étude allemande URINALE, sur 2000 cobayes (et non 50 pour Générations Futures), trouvait au pire 4 μg/L de glyphosate dans les urines (contre 2,89 μg/L chez Générations Futures). De là, on obtient une consommation à, au plus, 0,8 μg/j/kg.
Dans ce pire cas, on est à 0,16% de la DJA.
Ces mêmes calculs sont appliqués dans une publication qui à tout un tas d’études. La pire concentration dans l’urine pour un consommateur, 18,8 μg/L, donne 3,76 μg/j/kg, soit toujours < 1% DJA.