La zététique consiste à questionner les raisons pour lesquelles nous pensons que quelque chose est vrai.

Tout le monde n’a pas la chance de passer plusieurs heures à échanger de manière courtoise avec un homme qui croit à l’existence de complots extraordinaires impliquant des civilisations extraterrestres, des entités d’autres dimensions, une guerre intergalactique, et plus généralement un monde qui n’a rien à voir avec celui que le commun des mortels voit tous les jours.

C’est ce qu’il m’a été donné de vivre il y a quelques temps au cours d’une conversation en direct avec le fondateur de Stop Mensonges. J’aimerais revenir sur ces heures passées avec Laurent Freeman et tenter d’en tirer des réflexions utiles.

Dialoguer, c’est possible.

D’abord nous avons montré qu’il est possible d’être d’opinions très contrastées, de défendre deux manières de comprendre le monde diamétralement opposée sans passer son temps en vociférations, insinuations, injures ou accusations. C’est en soi très important, parce qu’à tenir autrui pour un ennemi on s’empêche d’envisager qu’il puisse avoir raison, or notre position de sceptique nous oblige à veiller scrupuleusement au maintien de cette option.

Sur les sujets liés au conspirationnisme (noyau central des publications de Stop Mensonges et des idées défendues par Laurent) force est de constater que les horions pleuvent dans les échanges virtuels, que les noms d’oiseau volent bas, et que les claviers débordent d’ad hominem, d’ad personam et d’accusations croisées d’être l’idiot utile, le mouton crédule ou le pigeon stupide. L’argumentation est hélas la grande absente de ces échanges brutaux. Quand argumentation il y a, c’est souvent une enfilade de sophismes qui n’a pour but que de discréditer la position adverse sans faire l’effort de la comprendre. Or, il est intéressant que ces quelques heures de discussion aient pu se dérouler en écartant griefs et soupçons afin de se concentrer sur les raisons pour lesquelles chacun des intervenants défendait sa position. Soyons honnêtes : je n’envisageais pas concrètement de convaincre mon interlocuteur qu’il avait tout faux, et je ne m’attendais pas moi-même à me trouver soudain illuminé par une vérité nouvelle. J’imagine qu’il en allait de même pour Laurent. Mon intention était de mieux comprendre son raisonnement. Comment il se fait qu’il tient la position qui est la sienne ? Comment en est-il arrivé à ses conclusions ? Pourquoi est-il si fortement convaincu que je suis, en tant que zététicien, dans l’erreur ?

Un entretien épistémique ?

L’entretien épistémique (EE) est une méthode dialectique qui permet l’examen des croyances, des opinions d’une personne. Héritière de la maïeutique de Socrate, elle consiste d’abord à questionner les arguments, à en examiner les prémisses pour demander à son interlocuteur le sens qu’il donne aux mots qu’il utilise, la source des informations qu’il juge fiables, les étapes de ses raisonnements. Ce questionnement doit être honnête et ne pas se résumer à une tentative de piéger l’autre ou de le « déconvertir ». Un entretien épistémique bien mené doit aboutir à un accord, pas forcément sur le fond, mais au moins sur la manière de décrire, de délimiter les positions de chacun.

La difficulté de l’EE réside dans l’évitement de notre réflexe correcteur (corriger la moindre erreur nous place en position de juge et incite à nous catégoriser en antagoniste), dans une forme de douceur du propos afin d’atténuer la violence épistémique que représente notre incrédulité face à la vision du monde défendue par notre interlocuteur et dans l’obligation qu’on se donne de ne pas apporter d’argument extérieur. La pratique de l’EE revient à prêter à autrui notre esprit critique, afin qu’avec cette aide auxiliaire, il examine lui-même la valeur de ses arguments, la solidité de ses prémisses et la cohérence de ses propos. Il faut pour cela réunir des conditions un peu spéciales. Il faut d’abord savoir écouter, éviter tout procès d’intention, se mettre d’accord sur l’objectif : quelle idée est soumise à examen ? Quelle place donne-t-on à la logique ? etc. Il faut au moins un peu de confiance et de considération pour celle ou celui à qui vous parlez. Et il faut surtout valoriser la possibilité de changer d’avis, s’accorder sur le bénéfice que représente notre capacité à abandonner des idées fausses.

Quand vous échangez en direct, en public avec l’auteur d’un blog qui partage des informations invérifiables ou majoritairement fausses et qui jouit d’un succès assez considérable pour influencer des dizaines de milliers de gens et devenir la principale source de revenu de son auteur, il est difficile de considérer que les conditions soient pleinement réunies.

On ne peut pas ne pas se demander si l’échange ne va pas légitimer la parole que l’on souhaite remettre en cause et ainsi accroître son influence. Et il semble difficile d’attendre une pleine remise en question, car comme disait Upton Sinclair :

Il est difficile de faire comprendre quelque chose à un homme lorsque son salaire dépend précisément du fait qu’il ne la comprenne pas.

Pour ces raisons, ma discussion avec Laurent de Stop Mensonges n’était pas un véritable entretien épistémique. Si cela avait été le cas, alors je l’aurais fort mal mené. Mais alors quel était donc le but de cet entretien qui a traîné en longueur sur près de 4 heures ?

 

L’ère du soupçon

Stop Mensonges (SM) fait vibrer la corde du soupçon, rendue trop sensible par une société où l’impunité des corrompus semble la règle, et où l’ascenseur social est en panne, comme on dit. Le rejet de la parole officielle suscité par l’ambiance de défiance générale autorise SM à faire feu de tout bois, à tenir pour vrai tout ce qui a des chances de déranger l’establishment, et à marquer ainsi des points dans l’adhésion d’une certaine population.

J’ai tenté plusieurs fois de poser la question centrale de la méthode avec laquelle SM décide de la fiabilité et de la pertinence des informations qu’ils partagent. Là se situe le grand hiatus de cette conversation, car de méthode il n’y a point, et le problème béant que cela pose n’apparaît pas du tout aux yeux de mon interlocuteur. La ligne éditoriale de SM est tout entière posturale, intuitive et relativiste. À chacune de mes questions, le concept de preuve est rejeté. « Je n’ai rien à prouver » répond Laurent quand on lui demande de justifier sa croyance dans l’existence du complot illuminati par exemple.

Il y a au moins une imposture dans cette affaire, c’est celle qui consiste à s’attribuer une plus grand ouverture d’esprit quand on tient pour vrai tout ce qui nous plait assez pour qu’on veuille que ce soit vrai tout en rejetant les arguments et preuves qui indiquent le contraire sans se donner la peine de les comprendre. C’est en réalité faire preuve d’une fermeture d’esprit complète que d’embrasser la pensée conspirationniste, irréfutable par excellence. J’ai eu l’occasion de le dire la sujet de la théorie de l’évolution que Laurent rejette pour des motifs qui s’avèrent faux quand on lui demande de les expliciter, sans qu’il manifeste l’élémentaire curiosité intellectuelle de vérifier l’information, de chercher à se corriger si jamais il avait tort. N’est-ce pas cela qu’on doit appeler de la fermeture d’esprit ?

Forteresse d’irréfutabilité

SM s’adonne à un raisonnement circulaire. Le complot intergalactique existe par définition, et on en trouve des indices partout, pour peu qu’on en accepte l’augure, jusque dans les propos de médium qui se prétendent en contact avec des entités extraterrestres, lesquelles racontent des histoires assez vagues pour pouvoir être rattachée à la cosmogonie adéquate. Un tel raisonnement circulaire donne à celui qui est dans la boucle l’illusion de la solidité, car il a réponse à tout. La réponse est toujours la même. Celui qui demanderait des preuves serait rappelé à sa condition de consommateur formaté, de sceptique borné ou de séide contrôlé par un pouvoir occulte. De preuve il n’en est nul besoin une fois qu’on s’est « ouvert » à la vérité.

Chacun peut trouver sur Internet ou en librairie le livre qui lui confirmera qu’il avait tout compris sur l’Univers et que le reste de la population le déteste pour ça (biais de confirmation). Cela permet d’avoir une explication pratique et indolore à nos échecs. La pensée conspirationniste séduit les perdants et ceux qui ont le sentiment de n’avoir pas de contrôle sur les événements de leur vie, qui subissent. Elle transforme le mécontentement légitime envers une société injuste, brutale et pleine de fausses promesses, de fausses solutions et de populisme en un soupçon constant qui réussit à se prendre pour de la perspicacité. Soupçonner tout le monde devient le moyen de se croire immunisé contre la manipulation. Mais c’est oublier le point aveugle, cet invariant humain qui veut que chaque individu se croit moins biaisé que les autres, et échoue à identifier tout seul les angles morts de sa pensée critique. C’est oublier, surtout,  notre capacité sans cesse renouvelée à nous abuser nous même, à nous enferrer dans l’erreur, et la faiblesse de notre jugement quand il n’est pas adossés à des faits vérifiables, à des raisonnements valides, bref  à un esprit critique en état de marche.

Le cadre local de cohérence.

Dans une logique comme celle de Laurent, il semble que rien ne peut lui montrer qu’il se trompe. Il semble également pouvoir accepter pour vraies des propositions incompatibles entre elles. Dans ces conditions tout peut être à la fois vrai et faux. Et il s’en accommode. Cela rend évidemment discutable la possibilité même d’un débat argumenté, et l’on pourrait juger inutile et stérile notre échange. Certains commentateurs ne se privent pas de le dire, et on peut les comprendre.

Néanmoins, pourquoi ne renoncerait-on pas à l’objectif de convaincre ou de déconvertir qui que ce soit dans ce genre d’opération pour se contenter, faute de mieux, d’essayer de comprendre la logique de l’autre. Cette discussion, malgré les atermoiements, les redites, les cul-de-sac et les diversions, n’est pas sans mérite. Elle permet, me semble-t-il, de prendre la mesure des conséquences d’une croyance dans le « script du mensonge » cité par Laurent et à travers lequel tout argument fort, toute question dérangeante se voit désamorcé sans coup férir.

Il y a de la facilité et du confort à s’en remettre à ce genre de pensée protéiforme, et cela représente sans doute l’une des raisons de l’attraction qu’elle exerce sur l’esprit. Mais évidemment, c’est une voie sans issue, car privée du dialogue avec le monde extérieur qui seul permet de se débarrasser des prémisses erronées.

Je dis « évidemment », mais nous avons pu constater que je n’ai pas réussi à le faire comprendre (ou du moins admettre) à Laurent. Je n’ai pas réussi à convenir avec lui de ce qu’on peut raisonnablement classer dans les connaissances et de ce qui relève de la spéculation ou de la fiction. J’ai échoué également à lui faire admettre l’importance du débat contradictoire où plusieurs visions du monde se confrontent et peuvent s’éclairer l’une l’autre, et où éventuellement la moins correcte s’efface devant celle que les faits et les preuves étayent plus solidement.

Ces échecs étaient prévisibles, mais ils nous donnent matière à penser. Il me semble donc que l’expérience vaut la peine d’être tentée, car l’alternative est l’absence de dialogue dans laquelle on peut fonder peu d’espoir. Le dialogue, toutefois, est une ouverture à travers laquelle un certain nombre de points d’accord peuvent être trouvés.

Naïvement peut-être, j’estime que tout « chercheur de vérité » peut accepter la chose suivante : le respect des individus n’est assuré qu’à la condition d’accepter qu’une idée, même chère, puisse être fausse. Celui qui refuse cette prémisse ferait aveu de dogmatisme ; et si cette prémisse est acceptée, alors l’esprit critique peut jouer son rôle.

 

 

Entre les hommes il n’existe que deux relations : la logique ou la guerre. Demandez toujours des preuves, la preuve est la politesse élémentaire qu’on se doit. Si l’on refuse, souvenez-vous que vous êtes attaqué et qu’on va vous faire obéir par tous les moyens.
(Paul Valéry, Monsieur Teste, L’Imaginaire/Gallimard n°29)

La science n’explique pas tout !

Vous avez déjà entendu, lu ou prononcé cette sentence. Elle tombe dans un débat ou dans une discussion au moment où il faudrait avouer que l’on n’a pas d’argument pour soutenir une opinion sur un phénomène non expliqué (voire non avéré).

Elle abonde à la bouche de ceux qui veulent croire aux voyages astraux ou au pouvoir de guérison des pierres. Puisque la science n’explique pas tout, il faudrait accepter que leur conviction personnelle, souvent fondée sur des ouï-dire, est raisonnable. Il faudrait respecter leur opinion. Respecter est ici le maître mot, mais dans ce contexte il a le sens un peu particulier que l’on est prié de se retenir de critiquer, de questionner, de demander des preuves. Puisque la science a ses limites, alors on veut pouvoir croire à l’existence du Monstre du Loch Ness, mais surtout on veut pouvoir le dire sans recevoir de contredit. Au nom de la liberté.

Sauf que non. Cela ne fonctionne pas de cette manière.

« Moi j’ai raison, parce que la science n’explique pas tout. » N’est pas un argumentaire très puissant.

Tout ne s’explique pas ?

Expliquer, ce n’est pas produire une agréable narration, un récit confortable, c’est décrire la chaîne causale d’événements qui produit le phénomène dont il est question. Expliquer est donc une tâche ardue qui nécessite de franchir d’innombrables obstacles entre la nature telle qu’elle existe dans son infinie complexité et notre compréhension de ce qui s’y passe. La science implique un travail laborieux, lent, et elle affiche des résultats imparfaits, souvent approximatifs. Mais ce sont des résultats fiables, et ce n’est pas rien. Pour frustrante que soit notre ignorance, il serait sage de ne pas oublier que le peu que l’on sait n’a pas été acquis par la transcommunication instrumentale, par le chamanisme, l’astrologie, la méditation ou la prière, mais bien par l’utilisation d’une méthodologie rationnelle et sans cesse raffinée. La science n’explique pas tout, mais ce qu’elle n’explique pas, on se demande bien qui saurait l’expliquer mieux, et comment l’on pourrait évaluer la validité de ce savoir.

En effet une connaissance que l’on ne sait pas justifier est-elle toujours une connaissance ? Quand, deux fois par jour, une montre cassée indique l’heure exacte, en devient-elle fiable ?

Science sans conscience, etc. Oui, nous connaissons Rabelais aussi.

Celui qui dit « la science a ses limites », pose souvent ce préambule à une affirmation sans preuve (parfois elle est improuvable du reste) que l’on devrait accepter pour vraie au nom de tout ce qu’on ignore sur l’univers. Ce sophisme se nomme l’appel à l’ignorance. On peut toujours se dire « oui mais si jamais X est vrai, alors... » et imaginer des litanies de conséquences toute parsemées d’hypothèses ad hoc. Sur la base de ce que l’on ignore à propos de phénomènes hypothétiques, on peut construire des histoires cohérentes, c’est d’ailleurs le point de départ de beaucoup d’œuvres de fiction. Or, on ne demande pas à la fiction de nous décrire comment marche le monde, et en échange elle ne prétend pas le faire.

On explique quand même pas mal de choses.

Tout phénomène que les sens humains nous permettraient d’observer est accessible à l’expérimentation scientifique. Ce n’est pas forcément facile, cela peut nécessiter des protocoles complexes, longs, rébarbatifs, mais il n’y a aucune raison pour dire par exemple que la communication avec les défunts ou le voyage astral échapperait à la règle. Même des phénomènes réputés immatériels peuvent être étudiés, puisque ceux qui les rapportent sont faits de matière, possèdent un cerveau également fait de matière, et que l’on peut observer cette matière et mettre en place des protocoles dans lesquels le phénomène présumé a une action sur cette matière.

« La science n’explique pas tout » est alors un faux-fuyant qu’emploient ceux qui veulent continuer de croire en s’exonérant de tout effort pour prouver ce qu’ils disent. Bien sûr, rien ne les oblige à prouver ce qu’ils pensent, rien ne doit empiéter sur leur liberté de le penser. C’est un droit primordial. De même nous devons jouir de la liberté primordiale de rappeler à ceux qui voudraient convaincre les autres de la justesse de leurs thèses sur tel ou tel phénomène, qu’il existe un moyen connu, reconnu, éprouvé, pour eux de le faire. Ce n’est pas en vendant des livres, des conférences ou des films. Ce n’est pas en racontant des histoires sympathiques. Ce n’est pas non plus en dénigrant le travail des autres ou en jouant la victime offensée par le scepticisme légitime qui accueille leurs prétentions. Non, ce moyen de faire leurs preuves, c’est la pensée méthodique, rigoureuse, expérimentale, ouverte, réfutable.

Bref, c’est la science qui prouvera l’existence de l’âme si l’âme existe ; c’est la science qui prouvera l’éventuelle existence de n’importe quel phénomène paranormal. On peut le dire avec une certaine assurance parce que c’est ce que nous enseigne l’histoire du savoir humain. Aucune connaissance apportée par la science n’a jamais été réfutée par une méthode magique ou par l’intuition. Quand une connaissance scientifique devient caduque, c’est toujours le résultat de plus de science.

… Jusqu’à preuve du contraire.

C’est pour ces bonnes raisons que vous ne pouvez vous attendre à voir les gens rationnels épouser votre opinion si vous ne vous astreignez pas à l’étayer avec des arguments vérifiables, avec des preuves réfutables. Et c’est pourquoi encore, si vous échouez à convaincre les sceptiques, la raison de cet échec est à rechercher en premier lieu dans l’hypothèse que votre opinion mérite d’être revue et corrigée.

Des raisons qui nous dépassent.

Nous voulons croire que nos actions ne dépendent que de nous. Même si nous reconnaissons souvent volontiers les influences de nos amis, de nos parents, professeurs, de quelques artistes ou penseurs, nous gardons en nous un petit bastion de conviction que nous prenons pour ce qui fait de nous qui nous sommes : l’idée que nous sommes responsables de ce qui nous arrive.

Surtout quand ce qui nous arrive est positif. Quand des choses mauvaises arrivent, on en trouve plus aisément la cause à l’extérieur. C’est le bais d’internalité, aussi appelé erreur fondamentale d’attribution (et la tronche en Biais en parlera dans son épisode 9).

Nous savons bien que beaucoup de choses échappent à notre contrôle, mais nous acceptons difficilement l’idée que des forces invisibles puissent façonner nos désirs et jusqu’à la manière dont nous nous percevons nous-mêmes. Ces forces invisibles ne sont pas le fruit de conspirations diablement bien orchestrées, mais tout simplement le résultat des influences, subtiles ou non, de notre environnement. C’est ce qu’on appelle le déterminisme social.

Votre lieu de naissance, vos attributs physiques, le nom qu’on vous donne, l’éducation que vous recevez, la langue qu’on vous inculque, tout cela échappe à votre volonté et conditionne les décisions que vous prenez, les actes que vous posez.

C’est un sujet très complexe, et Sisyphe a invité plusieurs personnes à en discuter sur sa chaîne. Retrouvez la vidéo ci-dessous.

Les invités :

* La chaîne de Histony : https://www.youtube.com/channel/UCt8c…
* La chaîne de Juris Planet : https://www.youtube.com/channel/UC8ZF…
* La chaîne de Vled Tapas : https://www.youtube.com/user/LeSetBarre
* La chaîne de Loki Jackal : https://www.youtube.com/user/LokiJackal

C’est avec une certaine déception que nous annonçons l’annulation du débat sur la scientificité de la synergologie®. En effet, M. Turchet, après avoir oralement accepté la tenue d’un débat lors de la conférence du 29 septembre 2016, puis confirmé par la voix de sa directrice [1], a finalement préféré se désister.

Monsieur Turchet a conclu que nos demandes étaient déraisonnables et dignes d’un « harcèlement insidieux ». Nous laissons à chacun la possibilité de lire les courriels que nous lui avons adressés [2]. Au fond, nous ne souhaitions que voir des demandes scientifiques légitimes aboutir, et établir les règles d’un débat équitable pour chacun.

À plusieurs reprises nous avons demandé à M. Turchet de recadrer les échanges sur la préparation de ce débat et des demandes légitimes. Nous vous laissons seuls juges du niveau de harcèlement de nos requêtes :

  1. Le partage des documents, sources d’informations, les vidéos de conférences et les publications de M. Turchet qui étaient citées par lui ou les synergologues.
  2. Les rapports d’étapes des synergologues qui sont considérés comme de qualité et permettent de prouver la validité de la synergologie®.
  3. M. Turchet ayant refusé un débat dans des délais raisonnables (1 an), arguant que les preuves seraient disponibles à l’issue de ce délai, nous lui avons proposé de suspendre temporairement ses activités de formation dans les milieux judiciaires et médicaux. En effet, enseigner des pratiques dont la validité n’est pas prouvée nous semble peu déontologique au regard des conséquences possibles.
  4. Enfin, nous avons demandé à publier l’ensemble des mails afin que chacun puisse se montrer transparent dans ses démarches et propos.

 

Toutes ces demandes ont été refusées sans exception. Nous ne pouvons donc fournir les messages de M. Turchet mais uniquement nos réponses [2]. Bien entendu, il vous est parfaitement possible de les demander à M. Turchet (avec courtoisie et politesse), ceci étant laissé à sa discrétion. Nous serions ravis qu’il publie l’ensemble des échanges afin que chacun puisse se faire une idée.

 

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Concernant les documents produits par les synergologues, M. Turchet nous a donné deux justifications à son refus. La première invoquait une absence de prise en compte des travaux de manière sereine. Or, nous sommes restés parfaitement cordiaux et avons abordé les écrits des synergologues avec le plus grand calme académique, mais non sans “sens critique”. Nous avons tenté d’expliquer à M. Turchet qu’il semblait difficile de pratiquer une rétention d’information tout en nous reprochant de rien connaitre des méthodes de la synergologie®. En vain.

 

La seconde justification, plus intéressante encore, affirmait en substance que le travail des synergologues était confidentiel. Ces informations seraient utilisées dans le but de commercialiser un logiciel. Bien entendu nous avons tenté de vérifier cette information. Nous n’avons pas trouvé de brevet/patente [3,4] concernant la production d’un tel logiciel. Par ailleurs, nous n’avons trouvé aucune clause signée par les synergologues concernant la non-communication de telles informations [5]. Il est parfaitement possible que certains synergologues aient signé un tel document, mais cela ne semble pas le cas de l’ensemble des quelques 200 synergologues.

 

En somme, l’indisponibilité des sources, mais surtout les raisons avancées, nous semblent problématiques, manquent de transparence et nous poussent donc à douter fortement de l’idée du secret industriel global. Bien entendu, nous invitons tous les synergologues, s’ils le souhaitent, à nous faire parvenir de tels documents ou leur rapport d’étape.

 

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Malgré le désistement de M. Turchet, nous avons essayé d’ouvrir le débat avec l’un de ses directeurs de thèse, Monsieur Parisse. Celui-ci n’a pas souhaité répondre à notre invitation. Selon M. Parisse, ce débat n’aurait d’intérêt qu’après la production de suffisamment de données sérieuses et la démonstration par M. Turchet de la validité de son approche lors de sa thèse.

 

“La thèse de Mr Turchet est en cours de réalisation. Il s’attache dans cette thèse à faire ce que demandent Denault et collègues, c’est à dire réaliser un travail scientifique reproductible et démontrant la validité ou non des principes qu’il défend, en utilisant les méthodes classiques citées par Denault: validation Popperienne et Kappa de Cohen. […] Est-ce que Mr Turchet s’inscrira dans cette recherche (en faisant référence aux principes de publication scientifique de revues telles que Gesture), où échouera t il à démontrer la validité de sa méthode, une première réponse arrivera à la fin de sa thèse.”

 

Ceci implique que les preuves scientifiques n’existent pas encore. Une réponse qui détonne fortement avec les propos de M. Turchet et de ses collaborateurs qui affirment la validité scientifique de la synergologie® [6-8]. Les propos du directeur de M. Turchet vont même à contre-pied de la méthodologie que souhaite appliquer le fondateur de la synergologie®. Par exemple, M. Turchet voulait intituler le débat « Face à l’échec de l’expérimentation traditionnelle du langage corporel : réflexion sur les nouvelles voies de recherche« , allant de fait à l’encontre de la position publiée par Denault et al. (2015) [9] concernant la synergologie®. Par ailleurs, M. Turchet avait publié un article de blogue qui se voulait la réfutation de la publication de Denault et al. (2015)  [10].

Nous ne doutons pas de l’honnêteté des propos du directeur de thèse de M. Turchet qui nous semblent modérés, raisonnables et représentatifs de la suspension de jugement à l’égard de la validité de la synergologie®. Cependant, l’incohérence entre les propos de M. Turchet et de son directeur de thèse nous interpelle quant à la démarche que suivra M. Turchet. Le message de M. Parisse nous semble donc cohérent avec notre position qui consistait à demander, pour des raisons éthiques (voir la demande numéro 3), l’arrêt des formations dans l’attente de preuves tenant compte des critiques de Denault et al. (2015).

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Comme vous le constatez, nous n’avons donc pas reculé, contrairement à ce qu’avait prédit la directrice de l’Institut de synergologie® [1], mais le débat a, semble-t-il, fait reculer M. Turchet. Au vu de ce refus, nous envisageons donc de réaliser une série d’articles sur la synergologie®, permettant d’expliquer notre point de vue sur la discipline, ainsi que les dangers potentiels liés à la pratique de la synergologie®. Toutefois, cet article de blogue n’est pas synonyme de fermeture quant à la possibilité de débattre publiquement ou d’échanger des documents.

 

 

Nicolas Rochat

Frédéric Tomas

 

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  1. https://www.facebook.com/InstitutEuropeenDeSynergologie/posts/724379797711506
  2. PDF lettre mail
  3. http://bases-brevets.inpi.fr/fr/resultats-recherche-simple/1482427837026/result.html
  4. http://www.ic.gc.ca/opic-cipo/cpd/fra/recherche/resultats.html?query=Turchet&start=1&num=50&type=basic_search&newSearch=0
  5. licence pour les Synergologues juin 2012
  6. De Blois, N. Annabelle Boyer décode le langage nonverbal L’Écho de la Lièvre, 2013
  7. Gagnon, C. (s. d.-a). Langage non verbale, langage universel du corps la synergologie. Consulté le 2015-09-24, sur http://www.christinegagnon.ca/fr/synergologie/synergologie-et-science
  8. Bagoe, F. (s. ). Synergologie : une discipline critiquée ? Consulté le     2015-09-24, sur             http://www.ds2c.fr/blog/synergologie-une-discipline-critiquee.html
  9. Denault, V., Larivée, S., Plouffe, D., & Plusquellec, P. (2015). La synergologie, une lecture pseudoscientifique du langage corporel. Revue de psychoéducation, 43 (2), 427-457.
  10. http://philippe.turchet.synergologie.org/2015/06/10/la-synergologie-et-les-faits
Cet article est tiré du manuscrit La vie après la mort – Une approche rationnelle, paru aux éditions book-e-book, collection Une chandelle dans les ténèbres dirigée par Henri Broch, dont il constitue une annexe.

L’idée que la physique quantique prouverait l’existence d’un au-delà se propage, se répète et se défend sur bien des supports livresques ou électroniques qui n’ont qu’en apparence des liens avec la démarche scientifique. Ce mélange des genres est parfaitement illustré par la théorie du biocentrisme.

Qui est le Dr Lanza ?

Lanza fortune-magazine-coverMédecin et chercheur en biotechnologies, Robert Lanza est a priori quelqu’un de sérieux, même s’il s’amusait à faire des expériences génétiques sur des poulets dans son sous-sol quand il était adolescent… (ce qui ne relève pas d’un sens de l’éthique particulièrement poussé). Il travaille sur les cellules souches et le clonage dans des laboratoires solides, a une carrière de haut standing avec des articles qui lui sont consacrés dans Fortune ou Time Magazine (qui le classe dans les 100 personnes les plus influentes du monde en 2014). Il n’est pas question de douter de ses compétences pour le plaisir de douter ; admettons par conséquent que le Dr Lanza est un chercheur en biologie largement qualifié.

En 2007, il publie dans la revue littéraire American Scholar un article sobrement intitulé « A New Theory of the Universe » dans lequel il place la biologie au-dessus des autres sciences, ce qui est un peu trop flatteur pour les biologistes qui se passent volontiers de ce genre de prétention. Deux ans plus tard il sort un livre « Biocentrisme : comment la vie et la conscience sont les clefs de la compréhension de l’univers »[1]. On constate qu’il est question ici d’une théorie sur… tout. Et cela sort de l’ordinaire pour dire le moins. Lanza dit carrément qu’il pense réussir l’unification qu’Einstein aurait échoué à réaliser : « Einstein croyait qu’il pouvait construire à partir d’un côté de la nature – le coté physique, sans l’autre côté — le vivant. Mais il était physicien, et en tant que tel, il ratait ce qui n’était pas dans sa fenêtre. »[2]

biocentrism_bookCover

Que dit la théorie du biocentrisme ?

Beaucoup et très peu à la fois, à telle enseigne que le nom de « théorie » est abusif. Sans en trahir l’esprit ni le tourner le moins du monde en ridicule, en respectant la manière dont Lanza exprime ses idées, voici ce que dit le biocentrisme : la conscience crée l’univers. Le temps et l’espace n’existent pas mais sont de simples manifestations dans notre esprit. La réalité est déterminée par l’observateur. Les particules voyagent dans un « champ de conscience ». Le biocentrisme et la relativité prévoient les mêmes phénomènes, mais le biocentrisme est supérieur car il n’a pas besoin d’imaginer une dimension supplémentaire ni de nouvelles mathématiques pour être formulé.

Lanza donne à l’échec d’Einstein une explication qui ne s’embarrasse pas du langage généralement employé en science, celui des faits expérimentaux, de la justesse des prévisions, de la cohérence du modèle théorique, voyez plutôt : « Si seulement en rentrant du bureau, Einstein avait jeté un œil par-dessus l’étang et regardé les poissons percer la surface pour contempler le vaste univers dont ils ne représentent qu’une partie infime et complexe. « Nous sommes là, nous sommes là ». Mais il ne vit pas au-delà des équations, les poissons ridant la surface de l’eau, les oiseaux et les papillons mariant leurs couleurs avec celle du ciel. »[3]

Le biocentrisme prétend que la science actuelle a tout faux et que c’est la vie qui est au centre de l’existence, de la réalité et du cosmos. En d’autres termes, c’est la pensée magique avec un nom savant : « Quelque part dans la poussière de l’univers, il y a peut-être des trous noirs et des quasars, mais sans vie, ils n’ont pas le pouvoir de bouger des planètes et des systèmes solaires quand l’ensemble de l’espace et du temps est enfermé dans notre propre tête. »[4]

Quel rapport avec la question de la vie après la mort ?

 

Le nom de Lanza ressort à la moindre requête internet sur ce que la science peut dire sur la mort et ce qui se trouve au-delà. Lanza défend l’idée que le biocentrisme est une théorie réfutable (et donc scientifique) et il place ses espoirs de validation dans la… physique quantique. Il prétend que le biocentrisme est le paradigme dans lequel on expliquera au mieux le principe d’indétermination d’Heisenberg, l’expérience des fentes d’Young et le « réglage fin » des forces de l’univers. Et surtout, il répète que la physique quantique permet de dire que la mort n’existe pas.

Autant vous dire qu’avec ce genre de prétention on a trois cas de figure. Ou bien la communauté scientifique adopte la nouvelle idée car elle est cohérente et étayée, et parce qu’elle explique mieux le monde que les anciennes théories (ça arrive, c’est ce qui s’est passé avec la Relativité d’Einstein). Ou bien la communauté est divisée ; certains reconnaissent les mérites de la nouvelle idée, mais d’autres n’y adhèrent pas, ne sont pas convaincus, et cela produit une période de débat et de controverse dans la communauté scientifique (ça arrive souvent ; en ce moment la théorie des supercordes est dans ce cas de figure). Ou bien l’idée est si faiblement construite, si pauvrement prouvée ou si peu originale que les experts ne voient pas vraiment de raison d’en débattre (ça arrive tout le temps, et ces idées-là sont jetées aux oubliettes sans même passer par la poubelle de la science, comme la théorie des anciens astronautes). Dans le cas du Dr Lanza, le niveau de prétention de sa théorie qui existe depuis huit ans et le désintérêt profond qui l’accueille chez les scientifiques augurent assez nettement de la catégorie dans laquelle on peut le ranger. Mais ne préjugeons pas trop, et accordons-nous à penser qu’il peut avoir raison, après tout.

Sur quoi s’appuie cette « théorie » ?

Lanza n’a pas vraiment fait de travaux visant à prouver ou réfuter sa théorie, mais sa déclaration que la physique quantique a prouvé l’existence de la vie après la mort lui vaut d’être l’une des pseudo-autorités dans le domaine de l’au-delà.

Nos connaissances actuelles indiquent assez clairement que pour qu’il y ait conscience, il faut réunir beaucoup de conditions, et notamment il faut avoir à sa disposition un univers localement assez bien organisé où la matière va former des structures capables de s’auto-organiser, de se reproduire, et, en un mot, d’évoluer. Mais c’est pile l’inverse que propose M. Lanza. Pourquoi ? À cette question, nous n’obtenons de réponse que sous la forme de platitudes et d’élucubrations qu’on pourrait traduire par « Ta gueule, c’est quantique. »[5]

Une vision du monde irrationnelle.

Et Lanza de publier dans le Huffington Post un article en collaboration avec Deepak Chopra, le gourou de la pensée magique sauce quantique qui pratique probablement la forme de langage la plus creuse accessible à l’être humain[6]. Cet article vise à tourner Darwin en ridicule à grand renfort d’appels à l’ignorance et du fallacieux principe anthropique. Nous avons donc affaire à un biologiste anti-darwinien qui ne publie ce genre de propos que dans la presse non scientifique.

Pour vous faire une idée du type de raisonnement à l’œuvre, ils défendent l’idée que le temps ne peut pas exister car cela voudrait dire que vous êtes en ce moment au dernier jour, à la dernière minute, à la dernière seconde produite par l’univers après une éternité d’instants empilés les uns à la suite des autres. Or, quelle est votre chance d’être là, précisément à ce moment ? Une chance sur une infinité : vous n’avez donc aucune chance d’être là, vous ne devriez pas être là. Notre existence et celle du temps seraient donc incompatibles. Or, comme le temps et l’espace n’existent pas, la conscience ne peut pas s’éteindre, personne ne peut mourir, et la vie est éternelle… Voilà.[7]

Alors bien sûr, on peut vouloir que cela soit vrai. C’est compréhensible, et d’une certaine manière c’est même ‘naturel’, au sens des propensions intuitives de notre psyché à vouloir prolonger notre existence. Mais vouloir que cela soit vrai n’est pas une preuve que cela l’est vraiment. Et évoquer les principes de la physique quantique, en dehors du contexte bien précis dans lequel ils décrivent des phénomènes bien réels, n’est pas un argument scientifique. Le physicien Sean Caroll a une réponse à ce genre de propos : « La conscience est compliquée et déroutante, la physique quantique est compliquée et déroutante, alors certains nous disent que les deux doivent être la même chose. »

Depuis deux siècles, la science contrarie nos intuitions narcissiques en nous éjectant du centre du cosmos, du sommet de l’évolution et en nous considérant comme un épiphénomène de l’univers. Le biocentrisme de Lanza est un moyen de revenir là-dessus et de placer la conscience (humaine) au cœur du cosmos. C’est en fait un égocentrisme.

Bien sûr Lanza n’est que l’un des multiples théoriciens de l’au-delà qui à défaut de preuves scientifiques construisent des narrations qui feraient de potentiels bons livres s’ils avaient le courage de les nommer fictions.

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Vous pouvez retrouver ce texte  et d’autres réflexions sur le concept d’au-delà et sur les Expériences de Mort Imminente dans ce livre.

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Références

[1] Biocentrism: How Life and Consciousness are the Keys to Understanding the Universe. http://www.robertlanza.com/biocentrism-how-life-and-consciousness-are-the-keys-to-understanding-the-true-nature-of-the-universe/

[2] « Einstein believed he could build from one side of nature — the physical, without the other side — the living. But he was a physicist, and as such, missed what was outside his window. » dans l’article intitule : Did Einstein Set Science Back 100 Years? http://www.robertlanzabiocentrism.com/did-einstein-set-science-back-100-years/, consulté le 15.12.2015.

[3] Ibidem

[4] Toujours Ibidem…

[5] http://www.tvqc.com/2013/12/la-physique-quantique-prouve-quil-ya-une-vie-apres-la-mort/

[6] Il existe un site : « Wisdom of Chopra » où le visiteur est invité à deviner si des phrases sont tirées du compte twitter de Chopra ou d’un générateur aléatoire d’absurdité. Exemple : « Le temps est la continuité de la mémoire qui utilise l’égo comme un point de référence interne ». (Time is the continuity of memory using ego as an internal reference point)

[7] http://www.robertlanzabiocentrism.com/life-is-forever/*

En ce 21 décembre, solstice d’hiver, nuit la plus longue de l’année, et date traditionnellement choisie pour fêter la victoire de la lumière, du Soleil, sur les ténèbres (Sol Invictus) nous avons choisi, dans l’émission La Tronche en Biais de questionner l’existence du Père Noël. Et pas seulement.

 1 – De l’existence du Père Noël

À ce sujet, il est peut-être utile de rappeler que les enfants ne sont pas juste des idiots. S’ils y croient, ce n’est pas sans raison. Leurs parents, les personnes auxquelles ils font le plus confiance, leur parlent du Père Noël : l’argument d’autorité est écrasant pour un petit enfant. Les autres adultes sont complices de l’histoire, ainsi que les enfants assez âgés pour être du côté des « grands ». La télévision, le cinéma, les dessins-animés, les livres, les films, et même les journaux télévisés relaient cette histoire. Les enfants peuvent VOIR le Père Noël sur les écrans, et même dans les galeries marchandes. C’est une croyance fondée sur des preuves : les cadeaux sont bel et bien là à la date prévue. Tout est organisé pour qu’ils y croient, et sans surprise cela fonctionne. Le Père Noël est sans doute la conspiration la mieux organisée du monde occidental.

Naturellement de nombreux obstacles logiques se dressent contre la croyance. D’autres avant nous ont traité la question de la possibilité (ou non) pour le Père Noël d‘exister. La chaîne Balade Mentale a même consacré deux épisodes à la question. Il y a la difficulté de faire tenir en une nuit le travail titanesque attendu du personnage, la masse des cadeaux (près de 10 fois celle du Titanic) à faire voyager sur un traîneau tiré par des animaux uniques en leur genre. Mais ces obstacles ne sont généralement pas ce qui est déterminant dans l’abandon de la croyance. C’est plus souvent le discours incrédule des autres enfants ou des adultes qui va créer un basculement.

Le fonctionnement de la croyance dans le PN

L’abandon de la croyance au Père Noël a fait l’objet d’un très bon article de recherche par Gérald Bronner : « Contribution à une théorie de l’abandon des croyances : la fin du Père Noël ». En moyenne on cesse d’y croire à 7 ans, notamment parce qu’avant 5 ans (environ) un enfant ignore tout simplement qu’on peut mentir, car il n’a pas encore développé une théorie de l’esprit.

Dans 45% des cas, l‘abandon de la croyance se passe de manière abrupte, tandis que pour 55%, elle est plus progressive. Les ruptures soudaines sont plus souvent accompagnées de « crise » : une déception forte, violente, et l’image d’un monde où règne le mensonge. La rupture de la croyance passe par 3 modes possibles :

  • La dissonance (47 % des évocations) : un élément externe à la croyance vient contredire, affaiblir, réduire à rien la crédibilité du mythe.
  • La concurrence (39 % des évocations) : l’élément cognitif « le PN existe » n’est plus monopolistique, mais mis en balance avec un autre élément « le PN n’existe pas, ce sont les parents qui offrent les cadeaux »
  • L’incohérence (14%) : c’est un élément interne du mythe qui, remis en question par l’individu, entraîne (ou contribue à) l’abandon de la croyance.

Mentir / pas mentir ?

Il y a un débat intéressant autour du Père Noël : est-il éthique de mentir aux enfants ? La magie de Noël vaut-elle ce mensonge ? Sans chercher à trancher, il me semble utile de noter que la croyance et son abandon ne sont pas sans mérite. D’abord on parle de « mensonge pro-social » car il est utilisé pour obtenir des enfants un comportement plus exemplaire, pour mettre en avant la valeur de la générosité, etc. Ensuite la question de l’existence du Père Noël peut constituer pour l’enfant la première expérience de la pensée critique.

Et c’est donc pour les parents une  occasion en or pour faire de la zététique à la maison. Le jour où l’enfant émet des doutes, on peut lui demander ce qu’il croit et pourquoi il croit ainsi, ce qui le fait douter ou au contraire l’encourage à croire. On peut mener avec l‘enfant un entretien épistémique, c’est-à-dire l’aider à explorer le contenu de ses croyances et à aller au bout de ses questionnements.

  • Autre exemple : « Qu’est-ce-qui te fait penser que la petite souris n’existe pas ? »

C’est l’occasion d’apprendre le registre du vraisemblable et de commencer à quitter celui des certitudes absolues… Car personne ne peut prouver qu’il n’existe pas quelque part un Père Noël authentique qui offre des cadeaux à certains enfants. Cette démarche permet d’aborder le raisonnement bayésien : les propositions sont examinées et reçoivent un degré de crédibilité qui va déterminer quel niveau de preuve sera nécessaire à leur acceptation. C’est une méthode que nous pouvons tous utiliser aisément, puisque le raisonnement bayésien est le mode de fonctionnement normal de notre cerveau.

 

2 – De l’existence des personnages historiques ?

Une fois posée la question de l’existence du Père Noël et de la méthode intellectuelle permettant d’apporter une réponse vraisemblable, on est armé pour réfléchir à ce qui nous prouve l’existence de… N’importe qui. Michel Drucker existe-t-il ? Et Victor Hugo ? Et Ramsès 2 ? Et cetera ? On peut imaginer des scénarios où toute l’histoire a été inventée. Et c’est ce qui arrive aux récentistes qui rejettent l’existence du Moyen-Âge.

Remettre en cause l’existence de tout ce dont on ne peut pas tenir une preuve personnelle, c’est s’adonner à la méthode hypercritique, et ce n’est pas très efficace pour se faire une représentation fiable du monde. Car vous n’aurez jamais une preuve absolue des premiers pas de l’humain sur la Lune, de la place de la Terre dans l’univers ou de l’efficacité du vaccin contre Ebola. Même ce que vous avez vécu peut être altéré dans votre mémoire ; les faux souvenirs sont indiscernables des vrais. Il faut donc trouver un moyen de se débrouiller SANS preuve absolue.

Et on en revient au mode bayésien et à l’idée de vraisemblance. À chacun de considérer l’ensemble des hypothèses nécessaires pour préférer une thèse ou une autre en l’absence d’une preuve absolue. Et à partir de là, le curseur vraisemblance permet de rendre un verdict (toujours modifiable selon que de nouvelles informations deviennent disponibles).

Cas d’école : Monsieur Socrate

L’homme derrière la légende de Socrate a-t-il réellement existé ? Il est indéniablement un personnage de première importance dans l’histoire des idées. Il a influencé d’innombrables penseurs, son œuvre a eu un impact réel sur le monde. Mais il n’y a nulle part trace de ses écrits, et pour source de ses actes et déclarations nous n’avons guère que les mots de Platon, des allusions chez Aristophane, et quelques textes des « petits socratiques ». Aristote, déjà, n’arrive à Athènes que 30 ans après la disparition de Socrate.

En sommes, nous ne disposons pas de suffisamment d’éléments pour dire avec certitude que Socrate a existé. Il est vraisemblable qu’il ait vécu, mais en douter reste un acte raisonnable. Il est intéressant de noter, que l’existence de Socrate –ou son absence d’existence– est sans effet sur la valeur de sa doctrine, de ses discours, de sa pensée méthodique. À cet égard la question de l’existence de Socrate ne revêt donc d’intérêt que pour les historiographes, car quoi qu’on trouve, cela ne changera pas fondamentalement la manière dont l’histoire de sa pensée peut être analysée, comprise et mise en œuvre.

Il en va tout autrement de l’existence d’un autre personnage célèbre des fêtes de fin d’année.

 

3– La thèse mythiste. Jésus n’aurait pas existé ?

AVERTISSEMENT — Ceci correspond à la partie 3 de l’émission.

Des milliers de nuances dans les écritures, leur exégèse, les traditions, les rites et les pratiques vont être passées sous silence parce que nous ne sommes pas experts en théologie. Ça tombe bien, nous ne parlerons pas de théologie. En revanche, nous adopterons un point de vue rationaliste sur l’histoire, et sur cet aspect-là non plus nous ne sommes pas experts et allons donc commettre des raccourcis et des approximations. Rien de ce qui sera dit ne doit être tenu pour parole d’évangile (c’est drôle parce que…) mais on espère que cela piquera assez votre curiosité pour que vous vous documentiez plus avant sur ces questions.

 

La thèse mythiste propose que le Jésus de la religion ne doit rien à un personnage historique, mais tout à des traditions préexistantes, notamment la figure du « sauveur qui meurt puis ressuscite » et d’autres concepts qui ont été condensés dans une seule et même histoire, laquelle tire son succès de ce recyclage habile.

Cette thèse est abandonnée par le milieu académique depuis plus de 80 ans, et pour tout dire, elle n’est pas toujours défendue par des gens sérieux. Par exemple les récentistes font parfois référence à la thèse mythiste, mais en dehors de leur négation de l’historicité du personnage, ils ne partagent aucun véritable argumentaire avec cette thèse. Par ailleurs, sur le sujet de la thèse mythiste, nous ne vous conseillons pas de visionner le film (très approximatif et allègrement conspirationniste) Zeitgeist ; à la place préférez « The God who wasn’t there ».

La thèse remonte au 18ème siècle en France avec Volney et Dupuis. Le premier théologien à défendre cette idée est Bruno Bauer au 19ème siècle. Il écrit en 1842 :

« Tout ce qu’est le Christ historique, tout ce qu’on dit de lui, tout ce qu’on sait de lui, appartient au domaine de l’imagination, l’imagination de la communauté chrétienne, et n’a par conséquent rien à voir avec aucun homme du monde réel. »

Depuis Bauer, la thèse mythiste repose sur trois principes qui n’ont à ce jour pas reçu de réfutation.

  • Le Nouveau Testament n’a pas de valeur historique.
  • Il n’existe pas de référence non chrétienne à Jésus Christ datant du premier siècle.
  • La chrétienté a des racines mythologiques et païennes.

Pourquoi questionner l’historicité ?

On a très longtemps tenu à l’historicité d’Abraham et de Moïse pour des raisons de tradition et de politique. Et quand je dis très longtemps, cela veut dire jusque dans les années 1980. Il y avait un véritable tabou à remettre en question l’historicité des textes. Avant cela, rappelons-nous, il a été longtemps impossible de douter de l’existence d’Adam et Ève. Pourtant il est aujourd’hui pleinement acté que ce couple originel ne peut pas avoir eu d’existence physique, car les lignées biologiques ne marchent pas comme ça. Evidemment, une vision théiste du monde s’accommode mal de l’abandon de ce mythe, d’autant que sans Adam et Ève, on est privé du concept de péché originel sur lequel repose tout entier la mission de… Jésus Christ, mort en sacrifice pour répondre à ce péché originel.

Le monde académique des disciplines liées à la théologie a donc très longtemps fonctionné d’une manière qui a empêché certaines questions d’être posées sérieusement. Je me permets de noter en sus que la plupart des théologiens sont aussi des croyants, ce qui implique une motivation personnelle à tenir pour authentique l’existence de Jésus, puisque (encore une fois) la grande différence entre Jésus et Socrate, c’est que le message de Socrate resterait indemne si on prouvait que son auteur est fictif, là où l’essentiel du message religieux de Jésus n’a de sens qu’au travers de la réalité de son passage sur terre. Ceux qui ne veulent pas renoncer au message ont tout intérêt à vouloir croire que l’homme a bien vécu.

Depuis quelques années, la thèse mythiste regagne de la respectabilité avec par exemple le travail de Robert Price, de Richard Carrier ou d’Earl Doherty. S’impose donc la nécessité d’aborder cette question avec méthode, c’est-à-dire avec un scepticisme a priori sur les faits : éviter de prendre pour point de départ la conclusion de l’enquête. Il convient donc d’examiner les preuves de l’existence de Jésus… Puisqu’on ne peut attendre aucune preuve d’inexistence.

 

Que valent les preuves de l’existence de Jésus ?

L’essentiel des sources sur Jésus sont de nature religieuse, les premières d’entre elles sont les épîtres de Saint Paul. Mais elles ne sont pas contemporaines des faits rapportés, car elles furent écrites au moins 20 ans plus tard. Sur les 13 épîtres, 6 sont désormais reconnues comme n’étant pas de Saint Paul, ce qui incite à la prudence sur la véracité de ce qu’on peut en tirer. Plus intéressant encore, ces textes émanant du personnage de la chrétienté précoce le plus ancré dans l’histoire ne mentionnent jamais aucun événement de la vie de Jésus. Rien sur sa naissance, sur ses parents, ses origines, son ministère, des miracles… Jésus y est crucifié par des démons sans aucun contexte historique explicite ou biographique. Si on ajoute les éléments de syncrétisme judéo-hellénistique, on peut voir dans ces lignes un être céleste, un Jésus revenu des morts, qui apparaît aux hommes. En cela l’histoire du message du Christ s’apparente à ce qui est connu dans d’autres contextes : la révélation reçue par Mahomet ou celle de Joseph Smith.

Après les épîtres vinrent les évangiles. Ils datent d’au moins 40 après les faits, souvent davantage (jusque l’an 110). La valeur historique de ces textes est très pauvre, sinon inexistante, et aucune objectivité ne peut être attendue de témoignages qui sont rédigés dans le but de propager une religion. Les textes sont incohérents entre eux, notamment sur la date de naissance de Jésus. Pour l’évangile de Matthieu, Jésus est né sous Hérode (donc au plus tard en -4 av JC) quand pour Luc c’est sous Quirinius (donc au plus en 6 après JC). Luc et Matthieu ne donnent pas la même généalogie à Jésus, mais chacun réussit à le faire remonter à David et donc à Abraham afin de satisfaire les prophéties nécessaires pour lui attribuer le titre de Messie. L’évangile de Luc remonte même jusqu’à Adam, et cette généalogie a été le matériau de base avec lequel James Ussher a daté la création du monde à l’an -4004. Tout au long des siècles, les théologiens ont déployé de lourds efforts pour concilier ces deux généalogies afin de ne surtout pas pouvoir douter de leur lien avec la réalité historique.

Si l’on songe qu’il existe plus d’une quarantaine d’évangiles dont seuls 5 ont été retenus pour ce qui est devenu le canon Biblique, choix opéré sur la base de considérations théologiques et sans réel souci de cohérence (Matthieu vs Luc), il devient pour le moins spécieux de vouloir regarder ces textes comme des sources d’une quelconque fiabilité sur l’historicité de Jésus.

Sur les liens entre les « Écritures » et le monde réel, voir  « La bible dévoilée ».

 

 

Heureusement, il existe des sources non chrétiennes, comme par exemple le Testimonium flavianum, c’est-à-dire quelques phrases écrites par l’historien juif Flavius Josèphe. Pourtant ce témoignage est loin d’être considéré comme une preuve solide, car d’une part on sait que des ajouts y ont été apportés par des copistes au fil des siècles, ce qu’on appelle une « interpolation ». La manière dont Jésus y est décrit comme le Messie est peu crédible de la part d’un juif orthodoxe qui de sa vie ne se convertit jamais et éduque ses enfants dans sa foi. La place de cet extrait dans le texte laisse aussi très perplexe, car il détone de ce qui le précède et le suit.

Voltaire, déjà, expliquait qu’il ne fallait pas se fier à cette version :

« Les chrétiens, par une de ces fraudes pieuses, falsifièrent grossièrement un passage de Flavius Josèphe. Ils supposent à ce juif, si entêté de sa religion, quatre lignes ridiculeusement interpolées ; et au bout de ce passage ils ajoutent : Il était le Christ. Quoi ! Si Josèphe avait entendu parler de tant d’événements qui étonnent la nature, Josèphe n’en aurait dit que la valeur de quatre lignes dans l’histoire de son pays! Quoi ! ce Juif obstiné aurait dit : Jésus était le Christ. Eh ! si tu l’avais cru Christ, tu aurais donc été chrétien. Quelle absurdité de faire parler Josèphe en chrétien! Comment se trouve-t-il encore des théologiens assez imbéciles ou assez insolents pour essayer de justifier cette imposture des premiers chrétiens, reconnus pour fabricateurs d’impostures cent fois plus fortes ! » — Voltaire, Dictionnaire philosophique, rubrique « Christianisme »

 

Autre source, romaine cette fois, Tacite est souvent cité comme une autorité de l’époque validant l’historicité de Jésus. Précisons que Tacite n’est pas contemporain des faits. Il écrit vers 116  à propos des chrétiens dont le nom « venait de Christ qui sous Tibère, fut livré au supplice par le procureur Ponce Pilate ». D’abord on peut remarquer qu’il ne fait que relayer les revendications des chrétiens de l’époque sans nullement les prouver, et surtout ce passage est considéré par beaucoup comme une interpolation, c’est-à-dire une forgerie. Un hoax !

Suétone est la troisième source souvent citée. Vers 120, il mentionne des événements instigués par un certain Chrestos. Si l’on veut y voir Jésus Christ, il faut admettre que le personnage est présent à Rome dans les années 40, ce qui ne plaide pas en faveur de sa crédibilité.

De sérieux doutes

Les éléments de preuve les plus souvent cités sont partisans ou probablement déformés. La motivation religieuse est une explication suffisante à leur existence, et c’est un mauvais plaidoyer pour l’historicité de Jésus. S’il l’on considère que le personnage a une existence réelle, l’on s’attend à un certain nombre de choses. Certes, qu’aucun historien ne mentionne le « massacre des innocents » ordonné par Hérode peu après la naissance de Jésus, les miracles réalisés par ce dernier, le tremblement de terre censé accompagner son trépas, ou encore les morts de Jérusalem quittant leurs tombeaux, cela peut se comprendre car ces épisodes se situent résolument sur le terrain de la légende et des prophéties. Mais d’un prophète suscitant tant de passions, on s’attend à ce que d’autres hommes de cette époque aient à des choses à dire. Les Romains Sénèque, Pline l’Ancien, Juvénal ou Quintilien, le Grec Plutarque, le Juif Philon d’Alexandrie n’en pipent mot. On nous parle des chrétiens, mais jamais de Jésus autrement qu’en tant qu’objet de culte. Quand en 106, Pline le Jeune écrit à l’empereur Trajan, iI évoque les chrétiens sans dire un mot sur Jésus.

Parmi les innombrables détails qui fissurent l’idée d’une authenticité historique, citons la ville de Nazareth, qui n’existait pas à l’époque alors que le Nouveau Testament parle d’une synagogue dans cette ville. Citons les reconstitutions successives des théologiens qui ont décrit le Jésus historique comme un philosophe cynique, un religieux juif orthodoxe charismatique, un Pharisien libéral, un rabbin conservateur, un zélote révolutionnaire, un pacifiste non violent, etc. Tous ne peuvent pas être vrais en même temps, mais tous peuvent être faux.

La thèse mythiste n’est pas toujours défendue par des approches sérieuses, et c’est un argument sérieux : les experts en théologie, en histoire des religions et de l’Antiquité ont peu d’affinités publiques pour cette thèse, mais qu’il soit permis de souligner que parmi les tenants de l’historicité de Jésus et des biographes que les médias prennent au sérieux, certains comme Jean-Chritian Petitfils croient à l’authenticité… du Suaire de Turin. Cela doit au minimum éveiller des soupçons sur la méthode par laquelle ces gens parviennent à leurs conclusions.

 

 

Un problème de définition.

La question de l’historicité d’un tel personnage a toutes les chances de s’avérer insoluble étant donné l’immense place de la légende et le peu de traces que certains pensent voir de la vie de l’individu.

À partir de quand un personnage réel, de chair et de sang peut-il être considéré comme le vrai Jésus ? Doit-il avoir prêché ? Doit-il avoir chassé les marchands du Temple ? Prononcé le sermon sur la montagne ? S’il n’a pas fait l’une de ces choses, est-il vraiment Jésus ? Doit-il être né d’une vierge (comme Pythagore ou Mithra) d’une conception divine (comme Platon, Alexandre… ou Hercule et d’autres figures mythologiques) ? Doit-il être mort crucifié ? Doit-il s’être appelé Jésus ?

Le nom Jésus vient de yeshua = Dieu Sauve. C’est un nom performatif, taillé sur mesure, comme peut l’être celui de Batman. Et l’on se trouve en butte avec ce qui demeurera sans doute l’insondable seuil flou derrière lequel l’imagination prend le relai. Le Jésus historique, s’il a eu la moindre substance, est au mieux inconnaissable. Il faut donc avoir l’humilité de le reconnaître. N’est-il pas raisonnable, au minimum, de rester sceptique, de garder et d’exprimer des doutes ? En tout cas, il semble préférable de ne pas tenir pour certaine son existence à partir de laquelle on sélectionnera les scénarios qui agencent commodément les quelques faits avérés et les innombrabes couches de légende, mais au contraire de contempler les faits et d’évaluer les mérites des différentes alternatives.

Ou bien les Écritures disent vrai, Jésus est Dieu, mort et ressuscité, auteur de miracles. Où bien elles exagèrent le destin d’un prophète mort sur la croix. Ou enfin elles racontent une histoire à laquelle ont eu envie de croire bien plus de gens qu’il ne s’en trouvait pour douter et chercher des preuves.

En conclusion : prudence et méthode.

On a vu par le passé, il n’y a pas si longtemps que ça,  le rejet violent rencontré par la remise en question de l’historicité d’autres personnages, d’Adam et Eve à Remus & Romulus en passant par Abraham et Moïse. Il y a évidemment autour de la figure de Jésus des passions immenses, en proportion de l’importance du personnage dans la vie de millions de personnes.

Il est logiquement impossible de prouver l’inexistence de quoi que ce soit. La charge de la preuve n’incombe donc pas à celui qui doute de l’existence de Jésus. Outre l’absence de preuves de son existence, il faut constater la profusion d’informations fausses, douteuses ou incohérentes à son propos, et l’intense motivation de beaucoup à traiter avec mépris la thèse mythiste.

Tout cela ne prouve nullement que la thèse mythiste est vraie. On peut toutefois s’étonner de l’absence totale de cette thèse dans les médias mainstream et dans la majorité de la littérature scientifique. Je me permets de conjecturer que les années à venir apporteront leur lot de changement sur la place accordée à ce questionnement et au sain exercice du doute, même en regard de figures que la susceptibilité des croyances voudrait garder à l’abri de l’exercice de la pensée critique.

 

Ressources

http://www.dailymotion.com/video/xgx92d_origines-du-christianisme-8-15_school

http://www.slate.fr/story/104227/cinq-raisons-jesus-jamais-existe

— Le Balado Sceptique avec Bruno Van de Casteele: http://www.scepticisme-scientifique.com/episode-177-sitp-bruxelles-jesus-de-nazareth-a-t-il-existe/

— Jesus the Nazarene: Myth or History. Maurice Gaugel (1926) http://www.christianorigins.com/goguel/ch1.html

Voici un court billet pour revenir sur la carrière scientifique d’Idriss Aberkane. Nous publierons bientôt un article qui décrypte l’art du storytelling, le vrai talent d’Aberkane. Mais avant cela il fallait que nous partagions avec vous une petite découverte.

Pour un historique des faits, revenir sur ce premier article et sur ce deuxième. Oui, il est navrant de s’attarder autant sur cette histoire, mais de toute évidence, les mensonges convainquent pas mal de gens…

Le 31 octobre, il publiait sur son site une réaction aux critiques et questions sur son CV et les nombreuses imprécisions ou soupçons d’imposture. Et dans ce texte, il y avait cette information :

« J’ai ensuite été invité en 2006 comme assistant de recherche rémunéré au département de psychologie expérimentale de l’Université de Cambridge, co-auteur final d’une publication en psychoacoustique. Je retournerai à Cambridge comme assistant de recherche en 2009, cette fois pour étudier des données de MagnétoEncéphaloGraphie (MEG). » Dominance region for pitch at low fundamental frequencies: Implications for pitch theories », Brian C.J. Moore, Brian Glasberg,  Idriss Aberkane, Samantha Pinker,  Candida Caldicot-Bull in The Journal of the Acoustical Society of America (Impact Factor: 5).01/2007.Cambridge » 

 

Co-auteur final, un concept intéressant.

Habituellement, l’auteur final d’un article est celui dont le nom apparaît à la fin de la liste des auteurs (quand il y a au moins 3 auteurs) et c’est la place réservée au chef d’équipe. Le premier auteur réalise les travaux et rédige le papier ; le dernier auteur encadre et dirige ce travail, c’est en général la place d’un chercheur déjà avancé en carrière. Idriss Aberkane avait 21 ans en 2007 : difficile de croire qu’il ait dirigé cette recherche alors qu’il n’avait pas encore de doctorat.

Quand deux auteurs participent à part égale en tant que premier ou dernier auteur, par convention, cela est mentionné par un petit signe dans la liste des auteurs, juste sous le titre de l’article, renvoyant vers une annotation qui apporte cette précision. Pour le vérifier, procurons-nous l’article… Et là nous faisons une découverte que nous n’aurions pas fait n’eut été le mensonge manifeste sur la place de « co-auteur final » : cet article n’est pas un article !

Il s’agit d’un abstrat soumis à un congrès : PROGRAM ABSTRACTS OF THE 153RD MEETING OF THE ACOUSTICAL SOCIETY OF AMERICA », cf ce document, page 3091. La valeur scientifique de ce papier, le seul publié par Idriss Aberkane dans une revue internationale à comité de lecture, est donc celle d’un poster… ce qui dans les disciplines en question est proche de zéro. Il ne contient aucune référence, il est cité seulement 2 fois dans la littérature. On mesure le poids d’un article dans la communauté scientifique au nombre de fois où il est cité par les autres chercheurs. Un bon article a plusieurs dizaines de citations, un papier très important en a plusieurs centaines.

Il existe bien un article avec quasiment le même titre qui sortira un peu après[1]… Mais Idriss Aberkane n’apparait plus dans les auteurs ! Il n’a donc pas été jugé très important par les véritables auteurs de l’étude. On a en tout cas la preuve que son implication ne peut pas être celle d’un « co-auteur final ».article-sans-aberkane

Idriss Aberkane a menti dans sa mise au point du 31 octobre. Ce mensonge contribue à aggraver le diagnostic sur son parcours. En réalité monsieur Aberkane ne comptabilise donc aucun article scientifique dans une revue spécialisée à comité de lecture. Comment savoir si ses propos ont un lien réel avec les disciplines scientifiques dont il se dit expert malgré tout ?

Qui veut faire confiance à un menteur ?

_________

NB : Merci à Sceptom qui a aidé à découvrir le pot aux roses !

[1] https://www.researchgate.net/publication/255713475_The_dominant_region_for_the_pitch_of_complex_tones_with_low_fundamental_frequencies


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Article écrit en collaboration avec Primum Non Nocere.

 

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Buvez du jus de citron pour abaisser l’acidité de votre corps et vous débarrasser des maladies !

Ou alors… non !

On lit et on entend beaucoup de chose sur le web et dans des magazines dédiés à la santé. Beaucoup de ces médias s’émancipent de la méthode scientifique, jugée obtuse et technophile, conformiste et étriquée. On vous y propose des soins alternatifs et (évidemment) « naturels ». Il est tentant d’y croire, d’autant plus qu’on y croise lapalissades, sophismes, simplifications, bonnes intentions et beaux sentiments. 

Parmi les évidences pseudo-profondes, on feint de nous dévoiler que l’alimentation est importante pour être et demeurer en bonne santé. En fait, bien sûr, personne n’a jamais dit le contraire, il y a même une discipline dédiée à la question : la nutrition. Mais une fois la chose dite, les promoteurs des « médecines » alternatives, hostiles à la médecine scientifique, en perpétuelle dénonciation d’un complot orchestré par Big Pharma, se mettent à inventer des théories de leur cru pour créer un cadre cognitif qui assure une meilleure captation des individus.

 

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Oui, une alimentation équilibrée, c’est une bonne chose !

Le thème de l’équilibre acido-basique jouit ainsi d’un curieux succès. On le retrouve à toutes les sauces, y compris dans les propos de Thierry Casasnovas. L’astuce consiste à dire aux gens qu’ils doivent faire attention à ce que leur organisme ne soit pas trop acide. En effet les protéines contribueraient à rendre notre corps plus acide, et il faudrait pour y remédier consommer des aliments qui vont alcaliniser le corps, par exemple le citron, en raison des minéraux qu’il contient. On retrouve cette idée que le citron a un pouvoir sur le pH de l’organisme sur beaucoup de pages du web. Quand on se permet d’en douter, les zélateurs nous parlent du citrate (qu’on retrouve dans le citron) et de son rôle dans la cellule, notamment dans certaines réactions acido-basiques. Et l’argument peut bien paraître solide, mais l’est-il réellement ?

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Monsieur Primum Non Nocere

Primum Non Noceremédecin de son état et vulgarisateur sur Youtube, nous a concocté une petite réponse à cette thèse, et cela commence avec quelques explications sur l’équilibre acido basique de notre corps.

« L’équilibre acido-basique dans le corps humain c’est pas juste compliqué, C’EST PUTAIN DE COMPLIQUÉ ! C’est pas juste, je rajoute de la base : c’est basique ; je rajoute de l’acide : c’est acide. C’est beaucoup plus complexe que ça.

Les minéraux n’ont juste aucun rôle dans l’équilibre acido-basique. Les minéraux sont des ions chargés positivement comme le calcium Ca2+ le potassium K+ le sodium Na+ ou négativement comme le Cl-. Le seul ion qui joue sur l’acidité, c’est l’ion H+, c’est même LA DÉFINITION de l’acidité (c’est le H dans pH = potentiel Hydrogène). Un acide, c’est quelque chose qui peut donner un ion H+ à une solution. Une base, c’est quelque chose qui peut prendre un ion H+ à une solution. Ensuite, les éléments que l’on ingère ne traversent pas tout seuls la membrane du tube digestif. Il faut des transporteurs, c’est pourquoi tout ce qu’on mange ne passe pas la barrière digestive (sinon on se ferait pas chier à perfuser les gens, on leur ferait avaler ce qu’on a besoin de faire entrer). Je ne connais pas, malgré toutes les recherches que j’ai faites sur le sujet et les gens que j’ai interrogés, de transporteur pour le citrate. Mais je sais que le citrate est produit dans l’organisme lors de la dégradation du glucose dans le cycle de Krebs à l’intérieur des cellules et qu’il est présent dans le sang à des doses extrêmement faibles, donc je vais considérer qu’il ne passe pas la barrière digestive. Mais on s’en fout un peu.

Et même s’il passe la barrière digestive, rien ne dit que le citrate joue un rôle dans le pH du corps humain. C’est là qu’on rentre dans la notion d’équilibre acido-basique. Le pH du corps humain DOIT être situé entre 7,38 et 7,42, ce qui est une toute petite fourchette. Inférieur à 7 ou supérieur à 7,8 c’est incompatible avec la vie. Le problème, c’est que rien n’est acide et que tout est acide. Un acide organique sera donneur ou capteur de proton en fonction du pH ambiant ; soit il donne un ion H+ et acidifie la solution, soit il le reprend et alcalinise la solution. C’est un équilibre délicat qui se fait dans un couple acide/base, et il doit respecter des règles précises. »

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« Il y a pour chaque molécule une zone d’équilibre, une valeur de pH où elle passe de l’un à l’autre, de l’acide vers la base et inversement. C’est valable pour tout, le phosphate, le nitrate, le sulfate, bicarbonate ou le citrate. Sauf que le citrate sa zone de transition c’est entre 3 et 6,4 de pH pour faire simple. Or, pour jouer un rôle, il faut pouvoir passer de l’acide à la base dans une fourchette de pH des 7 à 7,8 mentionnée plus haut (le bicarbonate par exemple change entre 6,3 et 10,3 et le phosphate entre 2,1 et 12). Sinon, bah il ne peut rien échanger donc on il ne peut pas jouer un rôle.

Donc le citrate, dans le corps humain est essentiellement sous forme de base, a concentration faible et ne récupère donc quasiment jamais d’ion H+. Il n’aura donc, en dehors de situation pathologique, pas d’action sur le pH.

Même s’il est absorbé en grande quantité, il n’aura très probablement jamais aucun rôle. À part de se combiner avec un ion quelconque positif comme le Na+ ou le Ca2+pour donner du citrate de sodium ou de calcium, formes les plus classiques si je ne m’abuse.

Ce qui régule l’acidité du corps humain c’est le rein et le poumon. Le rein en éliminant ou en re-capturant les ions H+ ou HCO3- (bicarbonate), et le poumon en éliminant du CO2 (qui combiné avec de l’eau H20 donne un truc comme H20 + CO2 <=> HCO3- (bicarbonate) + H+ (acide)). Les sources les plus importantes d’acide dans le corps humain sont :

– les acides aminés (animales ET végétales), les acides gras, et leur produit de dégradation, les corps cétoniques, le CO2, l’acide lactique produit par les muscles. Et les bases plus puissantes sont : le phosphate, le bicarbonate, l’ammoniaque, et… les protéines ! Oui, à ces niveaux d’acidité qu’on trouve dans le corps humain, les protéines sont basiques et donc font baisser l’acidité.

Voilà pour une introduction hyper succincte de l’équilibre acido-basique. Pour aller plus loin, vous pouvez consulter les liens ci-dessous (mais c’est du costaud) :

Vous allez peut-être vous dire que je complique tout volontairement, que c’est du jargon et que c’est plus simple avec Thierry Casasnovas. Oui, c’est plus simple, mais c’est aussi faux. Le jus de citron n’a aucune influence sur l’équilibre acido-basique de l’organisme. »

Primum Non Nocere

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Et l’indice PRAL alors ?

L’idée que les aliments ont un effet sur l’acidité du corps ne vient pas de nulle part. On la trouve sur d’innombrables blogs, dans des articles de naturopathie et autres pages d’obédience parascientifique, mais on échoue en général à trouver une référence sérieuse sur la question. Celui qui cherche une information de nature scientifique est systématiquement renvoyé vers l’indice PRAL. Intéressons-nous à cet indice qui a droit à sa page wikipédia. Elle est très succincte, mais finalement  on y trouve exactement ce dont on a besoin, et notamment le lien vers l’article scientifique où cet indice est créé.

  • THOMAS REMER et FRIEDRICH MANZ, « Potential Renal Acid Load of Foods and its Influence on Urine pH », Journal of the American Dietetic Association, vol. 95, no 7,‎ 1995, p. 791–797 (Cliquez pour le pdf)

L’article, cité plus de 400 fois, est tout à fait sérieux. Les auteurs partent du constat déjà connu d’un lien entre pH de l’urine et apparition de certaines pathologies (les calculs rénaux, notamment). Ils posent la question du lien possible entre le régime alimentaire et ce pH de l’urine. Dans leur étude, ils constituent donc deux groupes de sujets, et notamment des bodybuilders (forte absorption de protéines) qu’ils comparent à des lacto-végétariens. La prudence oblige à rappeler que l’étude ne porte que sur des hommes nord-américains (16-30 ans). Leur conclusion est la suivante : OUI certains aliments ont un effet sur le pH de l’urine. Je répète : de l’urine. Pas du corps, pas du sang, mais seulement de l’urine.

Le tableau page 793 montre que le jus de citron a un PRAL négatif (-2,5), donc alcalinisant sur les urines… mais 10 fois moins que le raisin (-21), moins que les épinards (-14) le haricot vert (-3,1) ou la pomme de terre (-4)… Mais gardez à l’esprit que PRAL signifie Potential Renal Acid Load  (charge acide rénale potentielle), et il est donc hors de question de lier cet indice à l’acidité de l’ensemble du corps, pour des raisons données par Primum dans la première partie de cet article.

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En conséquence les discours sur le pouvoir alcalinisant des fruits et légumes détournent profondément un fait avéré, l’effet de ces aliments sur le pH des urines, pour lui faire dire autre chose : un prétendu effet sur l’équilibre acido-basique du corps, avec derrière l’idée que ce paramètre aurait un effet sur la santé des individus. Nous sommes bel et bien en présence d’une foutaise, mais d’une foutaise bien dosée pour être crédible. Il serait donc inutile de traiter d’imbéciles ceux qui veulent y croire ; en revanche, il faut les informer. En partageant cet article par exemple.

Suite à notre article sur le problème de la valeur de la parole scientifique dans l’espace public, et des « autorités » construites sur les médias, de nouvelles informations nous ont été apportées sur les références d’Idriss Aberkane.

Fact checking !

Cet article est la quasi retranscription d’un travail de fact checking qui nous a été communiqué et que vous pouvez consulter ici.

Lorsqu’on se trouve face à un curriculum vitae dont le contenu est remis en cause par diverses personnes, la bonne réaction est de se donner les moyens de vérifier l’adéquation entre ce document et les faits tels qu’ils sont vérifiables auprès des sources les plus solides.

Il s’agit de s’intéresser purement aux faits pour tenter d’évaluer la crédibilité des éléments listés sur ce CV. Ce n’est pas le procès d’Idriss Aberkane, qui pourra d’ailleurs s’exprimer ici s’il désire répondre à l’analyse proposée, mais un exercice lié directement à l’esprit critique.

Il est tentant, lorsqu’une personne tient un discours qui résonne avec nos valeurs, de lui accorder du crédit, et de ne pas douter suffisamment de ce qu’il peut dire, ou des références dont il se réclame. Ceux qui sont intéressés par les sujets que traite Monsieur Aberkane ont raison d’être intéressés par ces sujets ! Mais leur devoir de vigilance reste entier. Tout comme il était du devoir des journalistes et de tous ceux qui ont mis Idriss Aberkane sur une scène ou un plateau de télévision de réaliser le travail de vérification ci-dessous.

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Article du Monde en ligne qui brosse un portrait élogieux et sans aucun esprit critique sur Idriss Aberkane.

Dans le but d’être le plus complet et le plus objectif possible dans cet exercice, nous sommes ouverts à toutes les suggestions, critiques et remarques dûment sourcées.

Etudes et diplômes

Université Paris Sud

« DEUG, Biologie théorique, option Chimie, mention Très Bien.»

Non vérifié, mais il n’y a pas de raison d’en douter.

Entré en Biologie (Bio ’05)

Vrai. Pour être précis, il a été admis à préparer le diplôme de l’ENS (sur dossier), non sur concours.

L3, M1, M2, spécialisé en neurosciences cognitives:

Vrai et faux.

Il est vrai qu’il a eu une L3 en biologie, puis un M1 en sciences cognitives (Cogmaster), dans la filière neurosciences cognitives. En revanche il est faux qu’il ait obtenu un M2 de l’ENS, que ce soit en neurosciences cognitives (sur son CV) ou en Systems Biology (sur Linkedin).

Vérification faite auprès du Service des Admissions et des Etudes de l’ENS, Aberkane n’a pas effectué de M2 à l’ENS. Il n’a donc pas de diplôme de master issu de l’ENS. Il n’a pas non plus obtenu le Diplôme de l’ENS. Il ne figure pas sur l’annuaire des anciens élèves de l’ENS, ni sur la liste des anciens élèves du Cogmaster.

À noter, son CV a maintenant été corrigé (version du 29/10/2016) et indique comme M2 le master AIV.  Cette précision a le mérite d’être correcte, si ce n’est qu’elle est toujours placée fallacieusement sous la catégorie Ecole Normale Supérieure, alors qu’il s’agit d’un master de l’université Paris Diderot, qui n’est pas co-habilité par l’ENS. Aberkane continue donc à revendiquer à tort un diplôme de master de l’ENS.

Aberkane peut-il se dire normalien (comme n’hésitent pas à le présenter certains journalistes) ?

Le titre de normalien n’est pas réglementé, on ne peut donc se référer qu’à l’usage. L’usage en vigueur lors de la scolarité d’Aberkane (2005-2008) voulait qu’il soit réservé aux élèves issus du concours d’entrée. Depuis 2016, l’ENS de Paris a défini les « élèves  normaliens» (admis sur concours) et les « normaliens étudiants » (admis sur dossier). Aberkane pourrait donc, à la rigueur, se définir de manière rétroactive comme « normalien étudiant ». En revanche l’usage n’établit pas clairement si la seule admission vaut titre de normalien, ou bien si celui-ci ne peut être acquis qu’à l’issue de l’obtention d’un diplôme (master, et/ou Diplôme de l’ENS, ce qui n’est pas le cas d’Aberkane).

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Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

Cogmaster, coaccrédité avec l’ENS (dans son CV) : Vrai, faux et redondant.

Il est vrai qu’il a validé le M1 du Cogmaster, mais il s’agit de la même formation que celle citée sous l’entrée ENS (le master est co-habilité par l’ENS, l’EHESS, et l’université Paris Descartes). Elle n’a donc pas à constituer une ligne supplémentaire sur un CV. Et il reste bien sûr faux qu’il ait validé le M2 et obtenu le diplôme de ce master.

C’est maintenant corrigé dans la version du 29/10/2016 de son CV, avec la précision « M1 »

Docteur en Diplomatie et Noopolitique. Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques de Paris (2013).

Pas clair.

Le CEDS n’est pas habilité à délivrer le doctorat en France. Sa page web précise les conditions d’obtention d’un PhD en relations internationales et diplomatie. Le CEDS se dit accrédité par l’organisation britannique ASIC, ce qui semble être le cas, sans que le niveau du diplôme accrédité ne soit précisé. Bref, difficile de se faire une idée de la valeur de ce PhD. En tous cas un parchemin mentionnant PhD a été délivré.

De la thèse elle-même, Aberkane n’a mis en ligne que le résumé et la couverture. Elle n’apparaît dans aucune base de données en ligne. Le directeur de thèse Mahmoud M. Musa apparaît dans la liste des professeurs et conférenciers du CEDS, mais en dehors de cette page il est difficile à trouver. Le Centre Canadien d’Etudes Culturelles Comparatives dont il est censé être directeur académique ne semble pas avoir de page web. Mystère… Deuxième membre du jury affiché, Michael Strauss, apparaissant également dans la liste du CEDS comme journaliste et directeur de collection littéraire. Sur la base de ces informations, il est difficile de se faire une idée de sa compétence à siéger dans un jury de thèse de doctorat. Troisième et dernier membre du jury, Paul Bourgine, directeur de recherches au CNRS, le seul à avoir un statut universitaire clairement établi. En revanche, sa compétence sur le sujet de la thèse paraît moins évidente. Par ailleurs, trois membres pour un jury de thèse, c’est peu, a fortiori quand deux sur les trois sont internes à l’institution (la plupart des universités imposent un nombre ou une proportion minimale de membres extérieurs, pour assurer une évaluation un minimum indépendante).

Bref, s’il est probable (au regard des nombreux articles déjà écrits) qu’Aberkane ait pu soumettre le mémoire de 300 pages nécessaire pour soutenir une thèse selon les critères du CEDS, la réalité et la valeur du diplôme de PhD revendiqué restent incertaines.

Addendum. Nous avons reçu un message de l’Agence Bibliographique de l’Enseignement Supérieur (Voir dans les commentaires de cet article.

« Pour information, le site theses.fr est un site ministériel qui recense l’ensemble des thèses de doctorat soutenues en France. Les données de theses.fr se veulent exhaustives, mais sont sous la responsabilité des établissements de soutenance. (…) La page de M. Aberkane signale deux thèses de doctorat : http://theses.fr/183588231, celle de 2014 (http://theses.fr/2014STRAC005) et celle de 2016 (http://www.theses.fr/2016SACLX005). La thèse de 2013 n’est donc pas une thèse de doctorat aux yeux de l’Etat français. Il existe néanmoins d’autres types de thèses, qui n’ont pas valeur de doctorat : thèse d’exercice pour les médecins, thèses de l’Ecole des chartes, thèses de doctorat « canonique » de l’Institut Catholique de Paris, etc. »

 

Docteur en Etudes méditerranéennes et Littérature comparée. Université de Strasbourg (2014).

Exact.

Notons que l’on retrouve Paul Bourgine dans le jury, bien que sa compétence en littérature comparée ne soit pas plus attestée qu’en relations internationales. Le jury a été présidé par Pierre Collet, un professeur en informatique dont la compétence sur ce sujet est tout aussi mystérieuse.

Docteur bidisciplinaire en Neurosciences cognitives et Economie de la connaissance. Ecole Polytechnique Université Paris Saclay (2016).

Exact pour l’essentiel (source), même si ce doctorat avait été annoncé de manière anticipée bien avant sa soutenance (on en retrouve la trace par exemple ici). En revanche, le doctorat a été apparemment soutenu dans la discipline « Sciences de gestion », comme l’indique d’ailleurs le diplôme récemment mis en ligne sous la pression des contestations. La notion de doctorat bidisciplinaire est donc fantaisiste et le nom des disciplines citées correspond plus à une description par l’auteur du contenu de sa thèse que des disciplines officielles de cette école doctorale, qui d’ailleurs ne comporte ni l’une ni l’autre.

Cette fois Paul Bourgine est co-directeur de la thèse. On retrouve Pierre Collet dans le jury.

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Parcours professionnel

Ambassadeur du Campus Numérique des Systèmes Complexes Unesco-Unitwin

Voilà un titre qu’il est intéressant.
Le Campus Numérique des Systèmes Complexes est un réseau universitaire international sponsorisé par l’Unesco via son programme Unitwin. Ce campus virtuel est porté par les universités de Strasbourg et du Havre. Si l’on cherche bien sur le site de Strasbourg, on trouve qu’Idriss Aberkane est l’un des participants à l’un des multiples projets décrits par le laboratoire strasbourgeois. Le campus numérique étant dirigé, pour la partie strasbourgeoise, par Pierre Collet, Anne Jeannin et Paul Bourgine. Qu’est-ce qui pourrait donner à Aberkane ce statut spécial d’Ambassadeur que n’ont pas les coordinateurs strasbourgeois ? Lui seul le sait.
De fait, si l’on cherche sur internet « Ambassadeur du Campus Numérique des Systèmes Complexes Unesco-Unitwin », on ne trouve que des pages concernant Idriss Aberkane. Il doit donc être le seul. Si l’on cherche « ambassadeur Unesco Unitwin », on trouve soit des pages consacrées à Aberkane, soit des pages de l’Unesco sans rapport avec lui (mais mentionnant de véritables ambassadeurs d’états). Il semble que les programmes Unesco-Unitwin (il y en a beaucoup) n’aient pas de personnes désignées comme ambassadeurs. On peut s’en convaincre en consultant la page d’accueil d’Unitwin et les documents qui y sont joints. Le mot d’ambassadeur n’y figure nulle part.

L’explication la plus plausible, c’est que ce titre d’ambassadeur d’un programme Unesco-Unitwin a dû être inventé par Idriss Aberkane, pour Idriss Aberkane, et pour lui seul.

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Professeur d’Economie de la Connaissance et de Silicon Valley studies dans le MBA de la Mazars University USA (accrédité CLIP)

Quelle est donc cette grande et prestigieuse université américaine appelée Mazars University, dans laquelle Idriss Aberkane serait Professeur ?

Si l’on cherche sur internet, on ne trouve pas de Mazars University aux USA. On trouve Mazars qui est un groupe international d’audit. En creusant un peu on trouve une mention sur le site français et une mention sur le site néerlandais qui permettent de comprendre que ce qui se fait appeler Mazars University est en fait… le service de la formation continue du groupe Mazars. Cette entité organise des cours, des séminaires et des ateliers pour des cadres du groupe, ainsi que probablement aussi des prestations similaires pour les externes. Quant à l’accréditation CLIP, il s’agit visiblement d’une accréditation propre aux formations « corporate ». On est donc bien loin d’une véritable université. Le nom d’Idriss Aberkane n’apparaît sur aucun de ces sites, mais on peut néanmoins lui accorder qu’il a bien dû donner un ou plusieurs séminaires à des cadres de Mazars. Néanmoins, il n’y a là rien qui puisse justifier, de près ou de loin, le titre de professeur ni même d’ailleurs le nom d’université.

Au fait, c’est quoi, les « Silicon Valley studies » ? Quelque chose qui n’existe visiblement que dans le monde d’Idriss Aberkane.

Professeur chargé de cours en Géopolitique et Economie de la connaissance à l’Ecole Centrale Paris, dans le Master Spécialisé stratégie et développement des affaires internationales

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Formulé tel quel, ça a été démenti par Centrale-Supélec, avec la précision toutefois qu’il enseigne dans un master spécialisé co-habilité par Centrale-Supélec (et l’EM Lyon). Il est donc chargé de cours, mais pas professeur (sous-entendu des universités, puisqu’il s’agit de l’enseignement supérieur).

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Cela a été corrigé dans le CV du 29/10/2016, qui déclare maintenant « enseignant chargé de cours ».

Chercheur ou enseignant-chercheur à Polytechnique

Cette allégation n’apparaît plus telle quelle dans son CV (peut-être depuis que l’Ecole Polytechnique a publié un démenti sur Twitter), mais reste dans les présentations faites de lui par de nombreux journalistes et sur diverses vidéos (comme celle sur le biomimétisme).

Ayant effectué un doctorat dans un laboratoire de l’Ecole Polytechnique, il est correct de dire qu’il y a effectué des recherches. Dire qu’il y a été chercheur n’est pas littéralement faux, mais suggère un statut de chercheur qu’il n’a pas. Doctorant ou étudiant-chercheur serait plus juste.

Quant à être enseignant-chercheur, Aberkane ne l’est pas, comme l’a indiqué l’Ecole Polytechnique. Tout au plus a-t-il peut-être fait quelques séances de travaux dirigés pendant son doctorat.

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Affiliate Scholar du Kozmetsky Global Collaboratory de l’Université de Stanford

Chercheur affilié à un laboratoire d’une prestigieuse université? Pas tout à fait. Ce Kozmetsky Global Collaboratory est plutôt un réseau et laboratoire virtuel en sciences sociales, formellement affilié à Stanford. On y trouve bien Idriss Aberkane dans la liste des membres (sous l’étiquette Centrale Paris !). Sans contester le rôle qu’Aberkane a pu jouer et joue peut-être encore au sein de ce réseau, c’est un rôle tout de même un peu différent que d’être chercheur affilié à un laboratoire de Stanford.

Co-fondateur et Président, Scanderia (Paris, Melbourne) société conceptrice et éditrice de jeux vidéo neuroergonomiques.

Idriss Aberkane a-t-il fondé et dirige-t-il l’Ubisoft du jeu sérieux (serious game) ? D’après son site, « Scanderia is the first company to develop brain ergonomic games » (rien que ça !). Peut-on voir un de ces jeux ? Visiblement, non. Le site paraît plutôt à l’abandon, n’ayant pas été mis à jour depuis août 2014. Seule une page pour les entreprises évoque quelque chose qui ressemble à un réel produit, qui est peut-être utilisé dans les multiples animations qu’Aberkane propose aux entreprises. À chacun d’apprécier l’ergonomie cérébrale unique au monde du produit présenté

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Co-fondateur et Président, Eirin International SARL (Richard-Toll, Sénégal), microcrédit agricole à taux zéro.

Indécidable.

L’existence de cette société n’apparaît que sur les pages d’Idriss Aberkane ou celles qui parlent de lui comme l’atteste une recherche sur google.

Conseiller scientifique de la mission SeaOrbiter

Vrai!

 

Sources consultées :

http://idrissaberkane.org/index.php/cv/ (version du 25/10/2016; des copies de cette page et des autres ont été conservées pour prévenir toute contestation)

https://fr.linkedin.com/in/idriss-aberkane-ph-d-87511628 (version du 25/10/2016)

https://wikimonde.com/article/Idriss_Aberkane (version du 25/10/2016)

 

« L’ego est le premier destructeur de valeur dans un projet » Idriss Aberkane


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Une petite polémique enfle sur les réseaux qui s’intéressent à la science et à la communication scientifique. C’est une parfaite occasion d’analyser le problème récurrent de la valeur que revêt la parole scientifique. Tout au long de cet article, je parlerai bien sûr d’un cas particulièrement frappant, mais sans perdre de vue qu’il n’est qu’un symptôme parmi d’autres et que son succès s’explique par de nombreux facteurs contextuels. L’exemple traité dans cet article n’est que l’un des produits d’un dysfonctionnement systémique. La malhonnêteté de l’individu, ingrédient indispensable, ne doit pas nous faire oublier tous les autres paramètres qui rendent cette histoire, au fond, tristement banale.

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Le CV en ligne d’Idriss Aberkane (25/10/16)

Idriss Aberkane

Idriss Aberkane a 30 ans. Vous l’avez peut-être vu à la télévision « TF1 : Les extraordinaires, M6 : E=M6, Canal + : Le grand journal, France 4 : On n’est pas des pigeons, BFM TV, France 5 la quotidienne, France 2 télématin, », entendu à la radio « France inter, Europe 1, Atlantico, Radio 702 en Afrique du Sud » ou croisé en conférence puisqu’il a donné, notamment, 5 TEDx.

Ce « consultant international » a 3 doctorats (littérature, « neurosciences cognitives », « diplomatie »). Il est « professeur d’économie de la connaissance », « professeur à Centrale Supélec, chercheur à Polytechnique, chercheur affilié à Stanford », mais aussi « interne à Cambridge » et « éditorialiste au journal Le Point ». Il a fondé plusieurs sociétés (formation, jeux vidéos, microcrédit), dirigé « plus d’une vingtaine de thèses de Master » et donné à travers le monde « plus de 160 conférences sur quatre continents ». Il est l’auteur d’un livre à succès chez Robert Laffont et d’un certain nombre d’articles dans des revues sans comité de lecture.

C’est à peine croyable ! Mais tels sont les faits rapportés dans les présentations de ses interventions et sur le CV qu’il a publié sur son site web, et dont l’agencement ergonomique fait forte impression. C’est un CV époustouflant au premier abord. Lui-même ne s’y trompe pas qui se présente dans son profil twitter comme « Hyperdoctor » et « polymath », rien que ça.

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Hyperdoctor et Polymath. (c’est très la modestie)

Vous ne trouverez pas ces informations sur Wikipédia, toutefois, car sa page a été supprimée le 11 novembre 2015. À cette occasion, il avait demandé à sa communauté d’agir pour défendre l’existence de cette page, ce qui implique qu’il validait son contenu et les concepts mis en avant. [Edit : la page Wikipédia d’Idriss Aberkane existe de nouveau].

Quand on se renseigne auprès des institutions mentionnées dans son CV ou sur sa page Wikipédia, on ne retrouve pas de confirmation des titres ou fonctions qu’il prétend avoir. Par exemple il n’est pas docteur en neurosciences, mais en gestion. Il n’a pas le titre de professeur comme il le laisse entendre, ni celui de journaliste qu’il utilise parfois.

De nos jours, la valeur d’une carrière scientifique se mesure notamment (et avant tout) par la qualité et la quantité des publications scientifiques. Dans beaucoup de disciplines, on ne peut soutenir une thèse sans avoir publié au moins, en tant que premier auteur, un article issu de ces travaux doctoraux dans une revue internationale à comité de lecture. On peut retrouver n’importe quel article scientifique en utilisant divers moteurs de recherche [Google Scholar est le plus simple], et constater qu’Idriss Aberkane a certes publié un certain nombre de résumés de conférences, mais qu’en termes de travaux de recherche, on ne trouve qu’un seul article datant de 2007, dont il n’est même pas premier auteur (c’est-à-dire qu’il n’a pas écrit l’article et qu’il a seulement participé aux travaux ayant produit les données sur lesquelles l’article se fonde). Le fonctionnement actuel de la publication scientifique est très loin d’être optimal, et des études de très mauvaise qualité sont publiées tous les jours. Pourtant Idriss Aberkane n’a rien publié en 9 ans.

Avec un seul article scientifique, et zéro en tant que premier auteur, on ne comprend plus les impressionnantes références susmentionnées, car on découvre que des 3 doctorats d’Idriss Aberkane, aucun article scientifique n’est sorti, ce qui a priori signe une mauvaise qualité de ces doctorats. Trois doctorats, l’un en « littérature », le deuxième en « sciences de la gestion », et le troisième en… rien qui soit reconnu par la communauté scientifique, donc sans lien avec les neurosciences. Cela ne cadre pas avec l’image d’excellence et d’expertise des sciences cognitives donnée au début de cet article. Avouez.

L’enquête sur twitter

Sur Twitter, plusieurs personnes ont mené l’enquête (@frestagn, @sacquin_mo, @b_abk6, @a_berut, @mrgxprz, @mixlamalice) et Mathieu Leocmach l’a résumée tel que ci-dessous.

Idriss Aberkane

– se présente comme professeur à Polytechnique, ce qu’a démenti officiellement l’institution. En fait il a été doctorant à Paris-Saclay, dans un laboratoire basé sur le campus de Polytechnique.

– se présente comme affilié au CNRS, ce que dément une recherche dans l’annuaire du CNRS qui pourtant comprend même les personnels des universités qui font leur recherche dans un labo où le CNRS a des billes.

– se présente comme enseignant-chercheur à Centrale Supélec alors que cette institution aussi l’a démenti officiellement. Il est en fait enseignant au MS Stratégie et développement d’affaires internationales de EM Lyon, co-accrédité par Centrale-Supelec https://t.co/ArJEXdPDBd

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– se présente comme chercheur affilié à Stanford alors qu’il est « affiliate scholar » du Kozmetsky Global Collaboratory, qui est lui-même une organisation philanthropique affiliée à Stanford. Au final il n’est pas dans l’annuaire de Stanford.

– se présente comme « interne à l’université de Cambridge », c’est à dire qu’il a été stagiaire (« intern » en anglais) là-bas un été.

– se présente comme émissaire de l’UNESCO. Il est en fait Ambassadeur de UniTwin CS-DC, un organisme faisant le lien entre UNESCO et université dont font partie les directeurs de sa 2eme thèse.

– se présente comme Normalien, ce qui veut dire avoir réussi le concours d’entrée à l’école Normale Supérieure (concours d’entrée dans la fonction publique) et y avoir suivi ses études comme fonctionnaire stagiaire. Il y a bien suivi des études, mais en tant qu’auditeur admis sur dossier. Je connais des auditeurs des ENS très biens, c’est le plus petit abus de langage de la liste.

– dit avoir fait le « Cogmaster », le Master Recherche en Sciences Cognitives co-habilité entre autre par l’ENS de la rue d’Ulm. Il n’est pas recensé dans la liste des anciens élèves.

– se présente comme comme ayant 3 « PhD » dans des domaines très différents soutenus à un an d’intervalle. En anglais PhD veut dire doctorat et correspond à une thèse d’au moins 3 ans, mais le terme n’est pas légalement protégé en France. Le premier « PhD » a été obtenu auprès d’une institution non agrémentée par l’État. Elle demande des droits d’inscription très élevés (8 650 € par an pour s’inscrire puis 600€ de « droit de soutenance »). Je n’ai pas dit que ce diplôme bidon a été « acheté », mais bon, on sait tous ce que valent les écoles qui ont des pubs dans le métro.

– le second doctorat soutenu le 16-06-2014 en littérature comparée avec comme président du jury un prof d’informatique. En tant que physicien j’ai du mal à juger de la pertinence de la thèse, mais l’informaticien a dû avoir du mal aussi. Pourtant il a dû apprécier puisque lui comme plusieurs autres membres de ce jury se sont retrouvés dans le jury de son 3ème doctorat.

– Il n’a qu’une seule publication recensée et il s’agit d’un résumé pour une conférence quand il avait 21 ans et qui n’a pas donné lieu à un article ensuite. »

Ce décorticage du CV est très factuel, sans procès d’intention ni attaque ad hominem, et il n’offre pas beaucoup de lectures cohérentes en dehors d’un trucage délibéré visant à impressionner en donnant une image en total décalage avec les mérites de l’individu (qui au demeurant pourrait être compétent malgré tout, nous questionnerons cela ensuite). En l’état, on peut considérer qu’il s’agit d’une forme de fraude, d’imposture.

Pour une analyse complète et sourcée de son CV, je vous renvoie vers cet autre article.

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C’est pas grave, gonfler son CV tout le monde le fait, non ?

Non, tout le monde ne le fait pas (moi, je ne le fais pas, mes amis non plus). Et OUI c’est grave. Pourquoi ?

Un CV est la transcription codifiée du parcours personnel d’un individu. Chaque grand corps de métier a sa façon de présenter les expériences professionnelles accumulées. Dans le monde scientifique comme ailleurs les postes, les fonctions, les missions sont décrits de manière précise afin que le spécialiste n’ait qu’un œil à jeter au document pour se faire une idée fidèle de ce que la personne a fait et des compétences qu’elle possède. Un professionnel lisant le CV d’I. Aberkane, s’il ne se montrait pas suspicieux au vu des incohérences entre les postes revendiqués et les publications effectivement produites (et franchement peu de scientifiques aguerris se laisseraient berner), serait fortement induit en erreur, trompé sur le niveau de compétence en neurosciences du propriétaire de ce CV. Cela signifie que des personnes plus compétentes et pourvues de CV honnêtes seraient écartées au profit du fraudeur.

Il serait audacieux de chercher à justifier pareille tromperie et pareil préjudice potentiel au nom de l’idéologie ou du talent d’Aberkane, voici pourquoi.

La chose la plus importante pour un scientifique, mais aussi pour un vulgarisateur, c’est sa réputation. Le scientifique est la personne qui produit des données via des expériences ou des observations, en effectue une analyse dont il rend compte dans des articles de recherche évalués par d’autres scientifiques en vue de rejoindre la littérature et contribuer à l’état de l’art. Le vulgarisateur (ou popularisateur, ou médiateur, etc.) est celui qui réalise le travail d’explication des connaissances ainsi acquises et de leur élaboration.

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On ne doit pas pouvoir croire que le scientifique ne fournit pas des données et des analyses exactes et honnêtes à la communauté, car sinon son travail perd toute valeur. Un scientifique doit tout faire, dans sa carrière, pour cultiver une réputation de parfaite probité intellectuelle. Il en va de même pour le vulgarisateur dont la tâche est d’être le sachant qui propose des explications simples à un public en partie profane. Le public n’est par définition pas formé, pas équipé, pas en position d’avoir un jugement « autorisé » sur le travail du scientifique ou du vulgarisateur. La production de connaissances dans le monde est telle que d’années en années les experts ne peuvent savoir qu’une partie de plus en plus réduite des connaissances totales de leur discipline. Ce qui est vrai des experts l’est encore plus des profanes. Le public doit donc faire confiance, faute d’être en mesure de savoir. La confiance que l’on peut avoir dans la parole du scientifique, de l’expert, ou du vulgarisateur équivaut à la valeur de cette parole.

Dans le monde scientifique, et a fortiori dans une économie de la connaissance dont I. Aberkane se prétend expert, il n’y a donc pire faute que celle de flagrant délit de manipulation. Ceux qui accordent du crédit à son discours devraient donc être les premiers à constater, à déplorer son total discrédit. Pourtant ce n’est pas ce à quoi nous assistons car beaucoup prennent déjà sa défense et vilipendent les critiques qu’ils jugent « jaloux » ou « conformistes » par opposition au fraudeur qui, lui, est brillant, hors des cases officielles, novateur, voire visionnaire, etc. Mais si le système académique est mauvais, pourquoi s’en réclamer ? Pourquoi s’affubler de références ronflantes ? Pourquoi tout miser sur l’apparence ?

Lu sur facebook :

« Arrêtez de faire vos sainte n’y touche pour un CV optimisé ! Tout le monde sait qu’aujourd’hui il faut optimiser son CV, même les formateurs en recherche d’emploi le disent (en off, mais ils le disent). Même les ministres le font, qu’est-ce que vous croyez ! Ils s’inventent même des diplômes qu’ils n’ont jamais obtenus, alors, voyez ? Naaaaan, faut pas sauter au porte chapeau pour si peu. On vit dans un monde où il faut se vendre, un monde où les apparences sont essentielles et où il faut se magnifier. Déconnez pas : adaptez-vous »

NB : l’auteur de ce commentaire m’informe qu’il était ironique. Sur les réseaux sociaux l’ironie est parfois indiscernable d’une vraie position extrême, et de vrais fans ont sur les réseaux des propos similaires, raison pour laquelle nous le laissons en place.

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Pourquoi défend-on les baratineurs ?

La dissonance cognitive explique probablement au moins en partie ces réactions de rejet. Quand la personne suscite un intérêt enthousiaste, que les gens s’engagent publiquement en partageant ses statuts, ses contenus, en achetant ses livres, il se créée un lien dont le reniement n’est pas indolore. Les personnes qui apprécient le fautif peuvent être tentées de se réserver le droit de continuer à l’apprécier en rejetant les critiques, ce qui peut leur sembler un choix plus confortable que la remise en question de leur (mauvais) jugement.

Ajoutons tout de même que si le CV a joué un rôle dans l’accès d’Aberkane aux médias et au public, le public lui-même n’a pas forcément ressenti le CV comme un élément important du propos auquel il a adhéré. Démontrer la malhonnêteté de ce CV peut sembler impertinent aux yeux de ceux qui admirent le discours et qui ne voient aucune raison de le remettre en question, et ce en dépit du lien direct montré ci-avant entre la valeur de la parole et le niveau de confiance que mérite celui qui parle. Cela signifie que la parole en question est évaluée à l’aune de l’assentiment quelle inspire (y compris à des gens érudits et intelligents) plutôt qu’à celle de la véracité qu’elle peut légitimement revendiquer. Un phénomène similaire se produit autour du discours idéologique végan de Gary Yourofsky.

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Les conférences d’Idriss Aberkane valent-elles quelque chose ?

Le plan de comm d’Idriss Aberkane, très efficace, est d’occuper le terrain, d’intervenir auprès des publics les plus prestigieux. C’est un homme intelligent qui a tout compris aux médias. Aux organisateurs de tels événements, il se présente avec cette signature en bas de ses email :

« Idriss J. Aberkane, Ph.D Ambassador of the CS-DC UNESCO-UniTwin Associate scholar – KGC Stanford University Research engineer in biomimical & cognitive engineering – Ecole Polytechnique Lecturer in the Knowledge Economy – Ecole Centrale Paris CEO – Scanderia SAS »

(Polytechnique est écrit dans une police plus grande)

Quand son interlocuteur lui demande s’il présentera des données, c’est-à-dire un travail de scientifique, sa réponse est étonnante et ressemble à : « c’est de la conférence certes scientifique mais « why-based » c’est à dire qu’elle s’intéresse au pourquoi des neurotechnologies. »

Ce surprenant principe de « why based » doit ici être entendu comme une opposition au format « evidence based » qui est celui de l’exercice de la science. Sans signifier que le contenu de la conférence soit nécessairement de mauvaise qualité, cela est toutefois suffisant pour constater que ce qui est présenté en conférence n’a pas de lien direct avec des faits, avec des données, et en premier lieu avec des travaux réalisés par le conférencier lui-même. Et, bien sûr, rien de tout cela n’a de lien avec ses diplômes. Or, s’il n’y a pas de lien entre le contenu et les références du curriculum vitae, il devient doublement indéfendable d’enjoliver ce CV.

Les conférences « why based » d’Idriss Aberkane ne sont pas des comptes-rendus d’activité scientifique, mais on aurait bien de la peine à pouvoir même les qualifier de vulgarisation scientifique (laquelle nécessite de remonter aux travaux et aux données ayant permis d’acquérir les connaissances vulgarisées). Il s’agit ni plus ni moins de storytelling, de raconter des histoires jalonnées d’un jargon inventif (« neurosagesse », « hyperécriture »), d’approximations et de péripéties captivantes mais sans lien avec un quelconque travail de recherche. Le monsieur est passé maître dans l’art de l’anecdote et de l’analogie, très efficace pour séduire un auditoire, mais pauvre en connaissance. C’est un travail de communicant qui utilise les codes des communicants afin d’abuser les communicants qui sont ceux qui lui ouvrent les portes de la visibilité et de la crédibilité par l’argument d’autorité que représente le simple fait d’avoir donné 5 conférences TEDx.

Détachons-nous à présent de ce qui a déclenché cette polémique : le CV trafiqué. Après tout l’important ce n’est pas le diplôme, mais l’intelligence, le talent, le travail et la connaissance partagée. Faisons donc une brève critique de sa conférence sur le biomimétisme, également critiquée dans ce court article.

Aberkane offre une lecture du biomimétisme idéologisée et défendue d’emblée par un pur sophisme qu’il répète à d’autres occasions : « toute révolution passe systématiquement pas trois étapes. D’abord c’est considéré comme ridicule. Ensuite c’est considéré comme dangereux. Enfin c’est considéré comme évident. » Cette prétendue loi générale est illustrée à plusieurs reprises, comme si une série d’exemples pouvait attester de l’universalité d’une telle règle. Le sous-texte est digne d’un grand communicant : si ce que je vous dis vous parait ridicule, c’est que j’ai raison.

Le développement de sa conférence mélange allègrement faits et opinions personnelles sans jamais les distinguer, ce qui est la marque de la très mauvaise vulgarisation ou de la très bonne manipulation.

« L’économie bleue », économie de la connaissance, telle qu’il la prône n’implique pas forcément comme il semble le laisser entendre la libre circulation des savoirs. Au contraire, puisque les exemples de sa conférence ont donné lieu à des brevets. Le propos d’Aberkane néglige complètement la question de la production des matériaux dont il parle, et il prétend qu’une croissance infinie est possible si elle est découplée de la production… sans se donner la peine de nous le démontrer. Il faudrait le croire.

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Bien entendu, les problèmes ici soulevés n’invalident pas automatiquement toutes les idées proposées dans cette conférence. Et on peut défendre rationnellement les positionnements axiologiques de l’économie bleue : l’importance de la recherche fondamentale pour aider à exploiter de manière durable les ressources, en particulier les non-renouvelables. Seulement, avons-nous besoin que ce soit le talentueux mais frauduleux monsieur Aberkane qui nous le dise avec des belles histoires, du name dropping et zéro autorité scientifique ? Avons-nous envie que ces idées et ces valeurs soient associées à sa personne, qu’il en fasse commerce dans les librairies ?

Séduction et soupçons

Ces dernières semaines, la sonnette d’alarme a été tirée plusieurs fois. Dans un article du 6 septembre, un dénommé Thibaut nous parlait des « dangers de la poudre aux yeux »

«Idriss est le spécialiste du fait ou du chiffre invérifiable sur le moment, voire de la donnée dissoute dans un jargon scientifico-technique, mais sur lequel il s’appuie pour démontrer le reste de son discours.»

On apprenait aussi que les « très belles » équations présentées par M Aberkane dans ses conférences sont… de lui. Et qu’elles n’ont jamais été validées par le processus de la revue par les pairs. En d’autres termes c’est un prêche qu’il donne, alors même qu’il prétend distribuer de la connaissance (il le dit à de nombreuses reprises). Ces équations sont une invention d’Aberkane, une narration qui prend une forme mathématique sans qu’il y ait à cela aucune raison valable, si ce n’est l’effet d’intimidation par les maths qu’on retrouve chez des orateurs versés en pseudosciences. Car c’est là que le bât blesse, la méthode de M Aberkane n’a rien à envier à un Deepak Chopra, lui aussi scientifique de formation, et désormais chantre de la métaphysique la plus débridée et la plus lucrative de ces dernières années. L’image de la science donnée au public par Idriss Aberkane et ceux qui lui donnent la parole est trompeuse, elle accentue les risques pour le public de se faire amadouer par des discours tout aussi flous mais plus dangereux.

« Un homme c’est comme un fruit, soit tu le presses et tu as un jus, soit tu le plantes et tu as un arbre, choisis ton camp.»

Idriss Aberkane ou Deepak Chopra ?

L’article de Thibaut montre aussi la coloration politique très subjective imbriquée avec des concepts présentés comme des vérités générales. Là encore, ce n’est ni de la science ni de la vulgarisation scientifique fiable. Alors qu’est-ce donc que M Aberkane entend faire en se réclamant des exemples de Steve Jobs, Bill Gates et Jimmy Wales ?

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La vraie question : comment est-ce possible ?

Peu importe qui est vraiment Idriss Aberkane, et ce qu’il a vraiment voulu faire en trichant. Il n’est pas pire qu’une moitié du duo Bogdanov, pas plus dangereux qu’un Professeur Joyeux, pas plus idéologique qu’un Lorant Deustch, pas plus surévalué qu’un Montagnier. Mais on doit se demander ce que signifie son succès pour tous les autres, les scientifiques et les médiateurs qui ne trichent pas sur leurs références.

 « Il est entré dans l’écosystème par la mauvaise porte, et la vraie question qui se pose maintenant c’est celle de savoir si les « bonnes » portes existent pour permettre aux « bons » chercheurs de trouver leur audience et de transmettre leurs savoirs. » (source)

Ce qui est en cause c’est la médiocrité de la compréhension du monde scientifique par les médias qui se laissent abuser par de faux experts, voire en inventent eux-mêmes de toutes pièces pour les besoins d’un plateau, puis piochent sans relâche dans le même petit réservoir des « bons clients » au gré des sujets à traiter, en déconnexion quasi-totale avec le monde de la recherche.

Mais le monde académique a sa part de responsabilité en cultivant (peut-être malgré lui) une insularité qui a ses avantages en terme de confort de travail –surtout quand les impératifs de l’enseignement et de la bureaucratie dévorent déjà votre emploi du temps– mais qui ne rend pas service à ceux qui ne savent pas comment fonctionne la recherche et ont peu de chance de l’apprendre si personne ne le leur explique.

De toute évidence la plupart des gens, et peut-être les journalistes ne savent pas lire un CV de chercheur. Ils ne savent pas que « Professeur des Universités » est un grade, et qu’il ne suffit pas d’enseigner quelques heures à l’université pour le posséder. Ils ne savent sans doute pas ce qu’est un « chargé de recherche », un « doctorant », un Impact Factor, un consensus scientifique, ni qu’une publication dans Le Point n’a pas le même poids qu’un article dans, au hasard parmi mille et mille revues, Advances in experimental social psychology ou Photochemistry and photobiology. (Cf : La Publication Scientifique, TenL#61)

Et puisqu’ils ne savent pas tout cela, ils ne peuvent pas faire le choix éclairé d’écouter une personne plutôt qu’une autre quand elle se réclame du monde scientifique.

Lu sur facebook

« Moi je dis encore MIEUX si vous avez pas de diplômes !! L’essentiel c’est le savoir pas le CV !! 😛 »

« En tout cas peut importe ce qu’on dit, l’interêt qu’on porte à ses diplomes démontre la sacro sainteté qu’on accorde à des institutions préstigieuses au dépit de l’évaluation des idées …il aurait été docteur de l’université de dunkerque il aurait eut moins de capacités ou moins de légitimité? Cest etonnant de voir ce qu’une personne critique justement se produire…en tout cas ça ferait un bon sujet: le ralentissement du partage de connaissances par le devoir de prouver de manière erronée la légitimité de celles ci. »

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Qu’est-ce qu’on fait mal ?

On doit se demander la part de responsabilité des uns et des autres. Les stars des pseudosciences (synergologie, homéopathie, archéomanie, etc.) sont évidemment coupables des fraudes, trucages et autres libertés prises avec le réel, mais leurs succès indéniables auprès des médias sont imputables aux défauts d’un système médiatique qui ne sait pas distinguer un scientifique sérieux d’un habile marchand d’histoires. Et la perpétuation de ces trajectoires médiatiques n’est possible que grâce au laisser-faire d’un monde académique qui ne réagit pas à l’usurpation des titres pour lesquels beaucoup de gens honnêtes et talentueux travaillent dur des années durant.

L’image fausse de la science véhiculée par ces personnages médiatiques dont la parole est sans lien avec le vrai corpus de la science ni avec la méthodologie indispensable à la validation des connaissances a des répercussions, et peut-être est-elle en partie à blâmer pour la défiance du public envers la science, les technologies, le progrès…

Dans l’attente d’un fonctionnement systémique plus vertueux où l’audacieux fraudeur n’est pas mieux récompensé que le travailleur scrupuleux, nous n’avons qu’une trousse à outil à notre disposition pour éviter d’accepter erronément pour vraies ou fausses les choses qu’on nous dit, celle de l’esprit critique.


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