Vos avis sur ‘X’ est-il bien rationnel ?

Nouvel épisode d’une guerre idéologique larvée dans le monde du rationalisme. Stéphane Foucart, Stéphane Horel & Sylvain Laurens sont les auteurs d’un livre qui attaque « Les gardiens de la raison » à travers une  » Enquête sur la désinformation scientifique ». Ils dénoncent une instrumentalisation des sciences pour la remplacer par une autre, la leur. En bref, c’est la même salade que l’article absurde de Bruno Andreotti dans Zilsel auquel j’avais répondu ici. Andreotti figure sans surprise dans les remerciements du livre…

On y trouve essentiellement des anecdotes, une litanie de faits (en mode cherry picking) et de procès d’intentions livrés à la sagacité du lecteur à qui revient la charge de relier les points de ce mille feuilles pour voir apparaître la vérité sous-jacente, profonde, et en quelque sorte indicible puisque suggérée, insinuée, dans les pages du bouquin. La thèse centrale révèle l’existence d’une communauté dévolue à la cause d’un conservatisme libertarien venu d’Amérique et au service (directement ou indirectement) des grandes industries.

Entendons-nous bien : 1) si tout cela était vrai, ce serait grave. 2) Les efforts des grandes puissances économiques pour influencer le public sont réels. 3) La corruption existe (chez les lobbyistes de tous les camps, et même ailleurs). 4) Les experts médiatiques prennent trop souvent la parole sur trop de sujets, et reçoivent d’avantage la parole quand elle s’aligne avec la ligne éditoriale de la structure invitante. 5) Il faudrait limiter et rendre totalement transparents les liens d’intérêt entre les détenteurs de la parole scientifique dans les média et les entreprises. 6) L’écologie est un sujet urgent, brûlant, souvent maltraité par ceux qui se piquent d’en parler. 7) Il existe une crispation déplorable d’une partie du monde « sceptique » envers les sciences humaines et sociales.

Tout cela n’autorise pas les auteurs des « Gardiens de la raison » à tirer à vue sur les acteurs du monde du rationalisme, en particulier ceux qui ont le malheur de ne pas goûter leur manque de scrupule dans la défense de leur propre agenda idéologique. Le chapitre 5  » La trollisation de l’espace public » livre des portraits saisissants de mépris de Bunker D, Matadon, Mathieu « MJE » Rebeaud, Anthony Guihur… Les jugements minables sur leur personne s’y succèdent, et on se demande bien quel but informatif est recherché dans ces pages d’une intense médiocrité.

« Ses yeux roulent comme des billes sombres dans le visage pâle de quelqu’un qui se couche tard et se lève tard. »
« Pour lui, sa « pratique » du scepticisme et le journalisme sont intimement liés. »
« Mathieu « MJE » Rebeaud change souvent de photo de profil ; certaines ont d’ailleurs été prises par Paul Gosselin/Bunker D. »
« (…) on sent chez lui une curiosité pour le métier de journaliste. Une convoitise, presque. »
« Anthony Guihur parle bien. Mathieu Rebeaud gribouille dans un carnet à spirale où une ligne rouge divise la page en deux.»

Parfois on se demande ce que c’est que le « journalisme d’insinuation ». Les auteurs en fournissent de nombreux exemples.

Je recommande la lecture des contributions de ces personnes qualifiées de trolls par nos trois juges. Vous y trouverez des analyses rigoureuses sur la mésinformation chronique de certains médias au sujet, notamment, des pesticides et des OGM ; sujets où la contradiction est tellement mal vécue par Stéphane Foucart qu’il souhaite la faire taire en usant de l’attaque en diffamation.

Stéphane Foucart a publié « La Fabrique du mensonge. Comment les industriels manipulent la science et nous mettent en danger » (Denoël, 2013), et Stéphane Horel, « Lobbytomie. Comment les lobbies empoisonnent nos vies et la démocratie » (La Découverte, 2018). Ce type d’enquête est important. Mais leur grille de lecture du monde, si l’on n’y prend pas garde, est un marteau pour lequel nous sommes tous des clous, puisqu’il suffit de soupçonner un lien quelconque, une connivence, un contrat secret pour juger. Et clou, nous le sommes d’autant plus facilement qu’il n’est pas venu à l’esprit de ces gens de nous contacter avant d’écrire sur nous (la TeB). Ils doivent s’imaginer qu’ils savaient déjà ce que nous avions à dire. La méthode aurait de quoi rendre franchement sceptique si nous ne l’étions déjà par défaut.

Il y a peut-être du vrai dans les liens d’intérêt quasi-mafieux que les journalistes nous dépeignent ; les petites histoires laborieusement égrenées au long de ces 372 pages sont peut-être les indices d’une corruption généralisée du milieu rationaliste (soit par appât du gain, soit par la faute d’une stupidité instrumentalisée par les think tank) :

« Ces dernières années, les amateurs de science ont été convertis en relais zélés et bénévoles de messages essentiellement politiques, manipulés pour propager le contenu dégriffé des industriels du toxique. » (page 322)

Mais alors on souhaiterait que nos trois héros travaillent à en faire la démonstration, c’est leur job, il est important. Le sujet ne peut pas être laissé à des nuls ou à des militants malhonnêtes, qui seraient, pour le coup, les vrais idiots utiles des vrais corrupteurs & corrompus.

Je n’ai pas les connaissances nécessaires pour évaluer la pertinence de toutes les attaques contenues dans ces pages. Il ne me revient pas de porter un jugement sur l’ensemble du livre. Mais sur certains aspects, le texte se distingue tellement peu des élucubrations complotistes dirigées contre notre travail quotidiennement depuis 5 ans, qu’il sera sans nul doute salué par les plus virulents de nos détracteurs, heureux de voir couché sur papier leurs obsessions (comme l’astroturfing ou l’accusation d’appartenir à un bord politique abhorré), et peu regardants sur l’absence de substance permettant de sortir de la lecture avec des informations pertinentes.

Les cibles de ce brûlot sont désignées comme des « défenseurs de la science autoproclamés » ce qui me pousse à m’interroger sur qui pourrait bien embrasser cette vocation autrement que de sa propre autorité. Les auteurs pensent-ils être mandatés, eux, détenir un droit supérieur à défendre la science ? Je ne me perdrai pas en conjecture, mais je souligne cette expression mainte fois répétée, elle doit bien avoir sa raison d’être.

La forte irritation (parfois légitime) provoquée chez les auteurs par les personnages qu’ils attaquent dans ce livre reste à mes yeux leur seul point commun. C’est bien faible, et bien prétentieux d’y voir une raison valable à imprimer du papier.


J’ai reçu une copie pdf du livre qui circule chez les journalistes avant sa sortie, comme c’est de coutume. Mon nom y est cité. Je vous livre ci-dessous l’intégralité des phrases qui me concernent.

Page 202, au sujet de la tribune « La culture scientifique est à reconquérir » de 2018 :

« La liste des signataires s’enrichit des noms de Alexandre, « chirurgien et entrepreneur », de Mathias Dufour et de sa soeur Héloïse, de Thomas C. Durand, « vulgarisateur » de la chaîne YouTube « La Tronche en biais », etc.»

Page 214, au sujet du groupe Humensis, dans une section titrée « Et un éditeur pour les publier tous »  (la comparaison avec le maléfique anneau unique de Sauron ne vous aura pas échappée)

« Vous avez acheté La Démocratie des crédules (2013) ou Cabinet de curiosités sociales (2018) de Gérald Bronner ? Et le livre du youtubeur Thomas C. Durand, dit La Tronche en biais, Quand est-ce qu’on biaise ? (2019) ? Ainsi que le dernier opus de Catherine Bréchignac, l’animatrice du Club Lavoisier, Le Progrès est-il dangereux ? (2019) ? Si oui, alors vos sous sont acheminés vers un seul et même bénéficiaire : Humensis, une filiale de Scor. »

NB : Thomas C. Durand n’est pas « La Tronche en Biais » qui est un projet collectif. Soit ils le savent, soit ils ne le savent pas…

Sur le même sujet, page 220 :

« Mais le premier ouvrage mis à l’honneur est celui du youtubeur Thomas C. Durand. Son livre Quand est-ce qu’on biaise ? reprend la ligne de ses émissions diffusées sous le nom « La Tronche en biais ». Se réclamant de la zététique, courtisé par l’Afis, l’auteur est un « docteur en biologie ayant travaillé sur les stress abiotiques du peuplier », mais il intervient sur bien d’autres sujets, comme l’énergie ou les études de genre. »

La profondeur du portrait vous donne une idée de celle de l’analyse. Je me permets d’indiquer que mon sale caractère personnel (le nom qu’on donne à l’insoumission des autres) n’est un mystère pour personne chez Humensis où je ne me gène pas pour exprimer des critiques sévères à propos de certains choix éditoriaux (Cf. Tronche de Fake sur Jean-Dominique Michel ou mon billet sur l’inquiétude que suscite l’ouvrage de Sylvie Cafardy), critique que je m’autorise quand les ouvrages abordent des sujets où j’ai quelque compétence. Soit dit en passant, il suffirait que tous les auteurs de toutes les maisons d’édition fassent cela pour que le paysage change.

Mon travail au sein de l’ASTEC est évoqué à quelques autres reprises. Page 270, un chapitre évoque « une croisade antigenre au nom de Darwin » et raconte ceci :

« Les partages d’information de Peggy Sastre sur les réseaux sociaux sont une farandole d’acteurs croisés dans les chapitres précédents. Avec Le Figaro, Les Inrocks9, les comptes Twitter des youtubeurs @LaTroncheEnBiais et @DebunkerDesEtoiles, et de @JeromeQuirant, un ingénieur en génie civil membre de l’Afis, Peggy Sastre fait partie des rares personnes qui s’intéressent à l’affaire Sokal au carré. »

Il se trouve que mon compère Vled Tapas est militant LGBT et sur les questions de genre ; et nous ne travaillons pas ensemble par hasard. Il se trouve aussi que le chapitre 23 de Quand est-ce qu’on biaise ? revient longuement sur le sujet du genre et sur les subtilités nécessaires pour aborder cette notion, à la fois depuis les sciences humaines et depuis les sciences du vivant (ce sera le sujet de l’épisode 10 de la Tronche en Biais que nous souhaitons enregistrer avant la fin de l’année). Ou bien les auteurs ne savent pas tout cela, ou bien ils ont fait le choix délibéré d’ignorer ces détails embêtants, de les taire, afin de pouvoir laisser entendre sur cette page que l’équipe de la Tronche en Biais participerait à une « croisade » contre les études de genre. Du journalisme d’insinuation. Je suis bien obligé de constater que les auteurs se livrent à une tromperie de leur lectorat et à une insulte à caractère diffamatoire de notre travail.

Page 145, la naissance d’un grand nombre de chaines de vulgarisation à la même époque (2012-2016) suscite ce paragraphe :

«Le « phénomène AgriSkippy » coïncide avec l’explosion du nombre de chaînes YouTube de vulgarisation scientifique, de « débunking » ou de promotion de l’esprit critique. Les chaînes « Hygiène mentale », « La Tronche en biais », « Science4All », « Science étonnante » (tenue par David Louapre a), les youtubeurs Mr. Sam, Matadon, Jordanix, Débunker des étoiles, Defakator (« On défake sur les fakes ! », proclame l’auteur), Le Réveilleur, Chat sceptique, etc. prétendent y « débunker » les rumeurs, fausses informations et autres idées reçues sur des applications scientifiques de l’industrie, certains se réclamant de la zététique. Chacun son ton et ses sujets de prédilection, mais dès lors que certains sujets sont abordés (OGM, pesticides, nucléaire, vaccins, etc.), ce sont souvent les mêmes arguments qui reviennent inlassablement, les mêmes images, les mêmes invocations de consensus scientifiques, d’ailleurs souvent imaginaires. Une constellation de blogs et de comptes Twitter opèrent en symbiose avec ce petit monde de vidéastes. Afficher un nom rigolo est un passage obligé : « Chèvre pensante », « La Théière cosmique », « Menace théoriste », « Evidence based bonne humeur », etc. »

On est dans le quasi-factuel, le superficiel et le mépris suintant. C’est le climat général de l’ouvrage.

Ce livre est la raison pour laquelle la rédaction d’Arrêt sur Image m’avait invité, en compagnie de Vled Tapas à participer à un plateau face à Stéphane Foucart et Stéphane Horel. Courageusement, ces derniers ont refusé. Ils iront sans doute parler ailleurs sans contradicteur, leurs relais dans le monde médiatique sont bien plus puissants que les nôtres. J’espère qu’ils y répéteront surtout leur phrase de conclusion, à laquelle je souscris sans hésitation :

« La science ne se fait pas sur les plateaux de télévision, dans la zone mondaine de la science ou en 140 signes sur Twitter, elle surgit de la confrontation d’arguments dans les revues, de l’accès aux données, de la transparence sur les conflits d’intérêts. Quand vérité scientifique il y a, elle sort de la bouche des savants, pas de celle des gardiens autoproclamés de la science. »


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Pour aller plus loin : réponses d’autres mis en cause.

J’ai appris, par un journaliste d’Arrêt sur Image, l’existence d’un éditorial de la revue Zilsel où je suis nommément cité. L’auteur : Bruno Andreotti, qui gère le compte Twitter caractériel, élitiste, idéologue, malhonnête et paranoïaque nommé « Groupe JP Vernant », censément canal d’expression de 59 universitaires (anonymes). Son éditorial a pour co-auteur « Camille Noûs », un pseudonyme destiné à rendre hommage à l’esprit collectif de la recherche et qu’il voudrait voir systématiquement dans la liste des auteurs des publications scientifiques. Mais pas au point d’effacer le nom de Bruno Andreotti. Bon, d’accord. N’y voyons pas le désir de B Andreotti de parler au nom de Toûs.

Rappel d’un précédent épisode où, déjà le monsieur vomissait un procès d’intention délirant à l’égard de l’ensemble des vulgarisateurs du net : https://www.linkedin.com/pulse/le-groupe-jp-vernant-insulte-la-vulgarisation-thomas-c-durand/

(J’éprouve un doute personnel sur l’existence des co-auteurs de monsieur Andreotti, car je ne veux pas croire d’emblée que plusieurs cerveaux fonctionnels puissent se rendre coupables, dans un même élan, de ces scorieuses écritures. Extension du principe de charité, en quelque sorte.)

L’éditorial n’est pour l’heure disponible qu’en support papier, mais une version numérique sera accessible tôt où tard, et vous pourrez aisément en comparer le contenu avec ma présente réaction. Le titre « Contre l’imposture et le pseudo-rationalisme » est déjà un problème puisque Bruno Andreotti signe en réalité un brûlot laborieux et fouillis contre le libertarianisme ; ce qui est son droit absolu, mais ne lui accorde pas le privilège de canarder tout le monde à l’aveuglette sans qu’on lui fasse remarquer que ça fait désordre. Je ne m’attarderai pas sur tous les errements de ce pompeux texte de 40 pages, je ne peux pas lui accorder trois jours d’analyse. Vous me pardonnerez donc de pointer seulement les choses qui m’ont sauté aux yeux. Je gage que d’autres s’appesantiront sur les âneries supplémentaires qu’il pourrait bien contenir.

EDIT : l’article est désormais disponible ici.

« La communauté pseudo-rationaliste [Telle qu’il nomme le milieu zététique] y est composée de quelques centaines de personnes, hyperactives en ligne, pour la plupart sans production scientifique (hormis quelques doctorants, souvent en thèse industrielle ou en reprise d’études). »

Bruno Andreotti devrait être familier avec les concepts de sources et de preuves. Ici, on ne sait pas de quelle communauté il parle, comment elle se définit elle-même, quel est son périmètre, et quelles données autorisent à décrire sa composition sociale. Si monsieur Andreotti parle d’une « communauté » imaginaire, qui est dans sa tête, c’est parfaitement son droit d’écrire de la fiction. Mais si, comme on est en droit de l’espérer, il veut nous parler de gens réels, de travaux réels, de problèmes réels, il faudrait qu’il ait la gentillesse de les citer pour accréditer et focaliser sa critique. On ne peut pas le croire sur parole, il devrait le savoir, je ne devrais pas avoir à l’écrire.

« Parmi les figures saillantes du milieu pseudo-rationaliste en ligne, on compte trois journalistes, Emmanuelle Ducros (L’Opinion), Géraldine Woessner, (Le Point) et Peggy Sastre (Le Point et Causeur), un animateur de télévision, Olivier Lesgourgues dit Mac Lesggy, un entrepreneur « libertarien », Laurent Alexandre, des communicants vulgarisateurs de GRDF, d’EDF, d’Orano (ex-Areva), de BASF et de Bayer, ainsi que des youtubeurs du mouvement zététique/sceptique. La tribune #NoFakeScience a récemment servi à fédérer ce milieu. »

Comment Bruno Andreotti définit-il une « figure saillante » ? Aucune explication ne nous est donnée. J’ai une hypothèse : ce sont sans doute des gens qui provoquent chez lui une forte irritation, une irritation saillante, et qu’il trouve à rattacher à la « communauté » (imaginaire ?) qu’il n’a pas su définir correctement plus haut. Je m’autorise cette hypothèse peu charitable parce que je suis membre d’associations, de pages liées au scepticisme scientifique, à la zététique, participant actif à de nombreuses discussions de la « communauté des gens intéressés par ces thèmes et les outils intellectuels proposés ». Et on n’y croise pas beaucoup les gens cités par monsieur Andreotti*. Ce ne serait pas un problème si ce monsieur parlait d’une communauté qui m’est simplement étrangère, mais si je réagis c’est qu’il souhaite me mêler à cette croisade.

* Note : Peggy Sastre a été notre invitée fin 2016 : une vraie erreur de parcours puisqu’il s’avère en effet que j’avais mal interprété sa posture critique des abus de rhétorique de certains féministes derrière laquelle se cachait un authentique travail de sape des luttes sociales. Toutefois, nous n’avons pas eu besoin des services de monsieur Andreotti pour prendre conscience de cette bourde.*


« Sur Twitter, les « Ze », les « Zet » et les autres forment une communauté solidaire mais hétérogène »

Dans le monde où je vis, les « Ze » et les « Zets » n’ont rien à voir entre eux (même si les premiers, parfois, ne se gênent pas pour entretenir une confusion qui n’aurait pas dû perturber un penseur connaissant son sujet). Pourquoi  Monsieur Andreotti ne nous fournit-il pas des éléments nous permettant de croire qu’il sait de quoi il parle ?

Page 44, à propos de Dawkins, Dennett, Hitchens, Harris… l’auteur nous parle de « leur haine de la sociologie ». Le jugement est gratuit, sans appel, sans référence. Sans rien. Merci d’être venu.

Page 23, on peut lire le témoignage d’un « ingénieur de 53 ans » censé représenter le portrait-robot du membre de la communauté [Pseudo-rationaliste]. Il l’a trouvé sur un blog de soutien à Géraldine Woessner. On lit notamment «… À la base mon seul but c’est de lancer la fusion froide…»

Si utiliser un témoignage confessant la croyance dans la « fusion froide » glané sur un blog centré sur une « figure saillante », par ailleurs définie comme cible privilégiée par l’auteur lui-même, pour illustrer ce que serait notre milieu n’est pas un acte consciemment malhonnête de Bruno Andreotti et consort, ce qui anéantirait l’intérêt de la lecture, alors il faudra conclure que le ou les auteurs n’ont aucune idée de la teneur des échanges au sein de la communauté Zet (la fusion froide et autres tocades d’altersciences telles qu’Alexandre Moatti les décrit dans son livre du même nom, y étant volontiers moquées plutôt qu’autre chose)… ce qui en fait anéantit également l’intérêt de la lecture.

La zététique est accusée d’évacuer « la dimension collective du travail de véridiction scientifique ». Rien que ça. Ca se passe page 17 :

« La zététique prétend au contraire transposer la méthode scientifique à l’échelle de l’individu comme mode d’appréhension de son environnement quotidien, le doute méthodique et l’exercice du raisonnement étant supposés lui permettre de réfuter des croyances par leur seul exercice. Comparé au rationalisme, c’est non seulement l’institution scientifique qui est congédiée au profit du seul doute, mais aussi la responsabilité du savant dans le développement technoscientifique. »

Cela aurait des chances d’être vrai si l’on ne faisait pas constamment des efforts pour rappeler l’existence, le fonctionnement, la valeur de la littérature scientifique, la fragilité des résultats isolés, l’importance de l’expertise -mais les risques d’imposture afférents-, le danger de ne pas se confronter aux avis extérieurs, etc. Cela aurait des chances d’être vrai si la « communauté zététique » n’avait pas pour credo de toujours sourcer les affirmations à l’aide de la littérature idoine. La « communauté zététique » a par exemple très bien su réagir au dévoiement de la science version Didier Raoult, précisément parce que les critiques de Bruno Andreotti-et-al sont grotesques.

Deux petites références internes sur ces sujets :

Ensuite, nous avons droit à l’épisode de Blanrue, éternelle épine dans le pied de la zététique des années 1990. Cela date de 10 à 20 ans avant mon arrivée dans le milieu, et je n’accorde aucune confiance à Bruno Andreotti pour en livrer un récit fidèle. Ce que j’observe dans le monde réel, c’est que les idées d’extrême droite sont explicitement rejetées par l’Observatoire Zététique créé après cet épisode noir, qu’elles sont antinomiques avec les valeurs de l’ASTEC que j’ai l’honneur d’avoir co-fondée, qu’elles sont aux antipodes de la pensée des véritables figures saillantes du monde zététique. Paul-Eric Blanrue est largement inconnu des nouvelles générations ; elles n’apprennent souvent son existence qu’au contact des anti-zététique (qui sont en général pro paranormal/pseudo-médecines/complot, etc) qui abusent en l’espèce de la technique du chiffon rouge et du déshonneur par association. La revue Zilsel ne devrait pas vouloir calquer sa ligne éditoriale sur ce type de vitupération.


Exemple : avis sur Blanrue de Jean-Michel Abrassart, véritable « figure saillante » du milieu sceptique.

Extrait de la FAQ de l’Observatoire Zététique : « À la question de savoir si l’Observatoire zététique soutient un mouvement ou une tendance politique liés à un parti, la réponse est non. Hormis l’extrême-droite et ses courants, toutes les tendances politiques sont ou ont été présentes au sein de l’Observatoire zététique, depuis la droite républicaine jusqu’à l’anarchisme de gauche. (…) L’Observatoire zététique désavoue donc fermement toute tentative de récupération idéologique de la zététique, particulièrement celles qui viseraient à fournir un paravent à des visées négationnistes.»


En réalité, la cible de Bruno Andreotti, c’est la technophilie du monde du scepticisme scientifique. Et là-dessus il touche quelque chose d’authentique, et pourrait donc produire une critique intéressante (mais avons-nous des raisons de croire qu’il puisse être pertinent ? Il est peut-être tombé juste par hasard…)

Plus tard, Bruno Andreotti relève un tropisme anti-écologie dans le monde du scepticisme. Et je le constate aussi. C’est un problème en partie lié à la faculté déconcertante de nombreux écologistes (politiques et internautes) à abuser de sophismes sur des questions liées aux sciences, notamment avec l’appel à la nature, et aussi probablement à l’historique de la structuration des mouvements rationalistes jadis constitués de beaucoup d’ingénieurs. Il y a une sorte de tradition de résistance à des discours jugés lénifiants qu’il faudrait interroger. Le monde zététique n’est peut-être pas toujours digne de son objectif, « douter avec raison », quand il faut prendre en considération un large contexte autour de questions complexes comme le nucléaire, les énergies renouvelables ou les OGM. Mais cet effort existe, nous y participons, nous venons de publier une conférence-débat sur l’éolien (en collaboration avec la CNDP), un an après une première portant sur l’énergie solaire (avec le CNRS). À Monsieur Andreotti de faire l’effort à son tour de prendre en considération le contexte dans lequel nous travaillons au lieu de nous traiter commodément comme autant de silhouettes honnies et interchangeables.

Quand le texte en vient à parler de moi, page 26, c’est pour citer ma participation à une table ronde en ligne où j’ai j’essayé de faire comprendre à un royaliste et à des gens aux accointances d’extrême droite ce qu’est la zététique (qu’ils avaient critiquée dans tous les sens sans rien y comprendre dans de précédentes vidéos). Là bas, j’ai défendu l’idée que la méthode scientifique est un bon outil pour corriger ses idées erronées sur le monde. Mettant les pieds dans le plat, j’ai dit frontalement que le féminisme est une chose sérieuse qu’ils devraient cesser de caricaturer, et je crois avoir obtenu d’eux en direct qu’ils acquiescent à certains de mes arguments. En allant, dans ce contexte bien précis, apporter la contradiction à des propos portant sur la zététique et la science, je n’ai jamais affirmé que tout le monde devait accepter de « parler avec l’extrême droite » ou ce genre de sottise. Il faudrait qu’en lieu et place d’un procès par contumace, les critiques soient adressées au moins un peu spécifiquement sur ce qui a été dit durant cette table ronde. Et alors, évidemment j’en tiendrai compte, comme c’est mon engagement.

Mais voici de quelle manière la sentence est expédiée :

« La prétention des zététiciens à dépasser les idéologies et la confiance accordée à leur posture de fact-checkers dans l’exercice individuel du doute(28) agissent comme facilitateurs du confusionnisme politique. Interpellé après une table ronde sur la zététique avec des youtubeurs proches de la Nouvelle Droite d’Alain de Benoist, de la revue Krisis et d’Alain Soral et avec Serge Bret-Morel, ex-président de l’Observatoire zététique, le youtubeur zététicien Thomas C. Durand, de la chaîne La Tronche en Biais, s’est justifié ainsi auprès des « bien-pensants de Twitter » : « Certains militants […], de toute évidence, ont cru que la zététique devait d’une certaine manière leur appartenir. […] Laissez-nous partager avec tout le monde les outils de l’esprit critique. »

Note 28 : « Outre un débat sur la rationalité dans la mise en oeuvre de génocides ou des chambres à gaz, on pouvait y entendre cette définition : «la science c’est la recherche systématique de l’erreur.»

Bruno Andreotti a dépassé les bornes sur Twitter en tronquant délibérément les propos de Serge Bret-Morel pour donner le sentiment qu’il défendait une manière rationnelle de perpétrer un génocide. La réalité du propos de Serge est tout autre : il a rappelé que la rationalité toute seule n’est pas garante de la justesse morale des actes puisqu’elle assure seulement la congruence des moyens avec les buts recherchés, et qu’il est donc nécessaire d’aller plus loin dans sa réflexion que de seulement appliquer une « rationalité » aveugle.

La manipulation à l’œuvre dans la lecture que Bruno Andreotti veut donner à cette conversation est putride, insupportable et parfaitement indigne de la part de qui voudrait en plus donner des leçons d’intégrité scientifique. J’estime que des excuses de sa part seraient bienvenues, au lieu de la surenchère à laquelle il ose s’adonner.

C’est donc à cet événement du 4 octobre 2018 que mon travail des cinq dernières années est réduit, comme une souillure indélébile et révélatrice. Pour mémoire, la Tronche en Biais, c’est plus de 200 vidéos avec plus de 100 chercheurs et chercheuses invités sur des sujets qui vont de l’énergie, à l’éthologie, de l’histoire à l’anthropologie, en passant par le climat, l’archéologie, les pseudo-médecines, la psychanalyse, etc. Les chercheurs qui viennent s’exprimer dans La Tronche en Biais sur leurs spécialités font une œuvre plus utile que l’éditorial de Bruno Andreotti pour incarner la science, susciter la curiosité, rectifier les fausses idées et inspirer de futures carrières. Je les remercie pour leur temps, leur efforts, et suis extrêmement fier de les avoir reçus.

La Tronche en Biais, c’est aussi un travail de démystification sur des croyances plus ou moins répandues mais défendues de façon très virulentes par de nombreux internautes. C’est la résistance aux lames de fond de l’opinion publique sur la chloroquine par exemple, là encore avec l’aide de chercheurs et d’experts. Ce sont aussi des formations accessibles à tous sur les outils de la pensée critique, les biais cognitifs, des conférences souvent gratuites pour stimuler la curiosité et inviter au débat sur l’utilité de la science.

Le climatonégationnisme que Bruno Andreotti  souligne chez certains acteurs (saillants ou pas ?) est étranger à mon travail et à la communauté que je fréquente. Je ne me sens pas concerné par la quasi-totalité du contenu de ce pamphlet qui échoue à poser le périmètre de ce qu’il veut dénoncer. Bruno Andreotti parle d’une « communauté » fantôme en dénonçant des personnalités avec lesquelles je ne travaille pas ou d’épisodes lointains concernant des membres de structures comme l’AFIS avec laquelle nous avons des échanges tout en conservant notre identité et notre ligne éditoriale propres.

On m’assure que ce galimatias qui ne fait pas honneur à Zilsel a été relu par dix personnes, dont des journalistes scientifiques. Cela suscite mon inquiétude sur la qualité du monde intellectuel français. Rendez-vous compte qu’en 40 pages bardées de notes et de références —sauf quand il s’agit de justifier l’existence du groupe censément visé par le papier— Andreotti et compagnie nous parle(nt) des Think tank américains, du deplatforming, des communicants de GRDF et d’EDF, de bureaucratie, de Bayer-Monsanto, des frères Koch, Claire Lehman, Steve Bannon, Alain de Benoist, Michel Onfray, Jeffrey Epstein, et Anders Breivik (!)… Pardon, mais qu’est-ce que mon nom vient faire dans ce merdier ?

Je vais vous dire mon sentiment ; j’ai eu avec l’intéressé des démêlés sur Twitter qui l’ont mis dans un tel état de rage qu’il lui faut (après m’avoir bloqué, bien sûr) m’épingler ab irato dans son bréviaire comme Aria Stark égrenant la liste de ses ennemis à exécuter. Pure interprétation de ma part, n’y croyez surtout pas plus que vous ne souhaitez accorder crédit à l’éditorial en question. Mais pas moins.

Si Bruno Andreotti pouvait organiser mieux sa pensée, il serait en mesure de dénoncer efficacement des abus de rhétorique ou des entrismes idéologiques sans injurier en même temps des personnes non concernées, qui, alors, n’auraient aucune raison de ne pas partager ses constats (moyennant que les personnes qu’il vise ne puissent en retour montrer que les accusations sont fausses. Sait-on jamais…). Mais il fait le choix de se fabriquer un golem : la « communauté des pseudo-rationalistes » sur laquelle il peut déchaîner sans entrave sa vindicte avec pour seul résultat que ceux qui connaissent le « milieu », jugeant ce monsieur mal informé ou malhonnête, ne prêtent aucune attention à ce que son propos pourrait éventuellement avoir de pertinent.

À ma connaissance, Bruno Andreotti n’a jamais eu poliment, de vive voix, pour poser des questions, donner des conseils, se faire une idée, la moindre conversation avec des membres de ce que je reconnais être la communauté zététique. Si cela s’avère, Wittgenstein lui conseillerait de se taire.

Acermendax

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La transition vers le doute, l’autocritique, la métacognition (la pensée à propos de la pensée) peut se faire dans la douleur ou dans la joie. Ou les deux. C’est un peu l’histoire que nous raconte ce témoignage que l’on m’a envoyé par mail et dont j’ai pensé qu’il pouvait être utile aux sceptiques radicaux qui, un peu comme moi, n’ont jamais eu à vivre de déconversion et n’ont qu’une connaissance indirecte des codes et du langage de la croyance. Je veux croire qu’il sera surtout utile aux autres, à ceux qui sont dans la croyance et croisent rarement une parole comme celle-ci, imagée, poétique, habitée de ce qu’un parcours spirituel peut apporter de positif à notre manière de nous parler les uns aux autres. Ce texte aura peut-être le mérite d’exprimer avec justesse le message simple que la zététique cherche à partager : le doute et la pensée méthodiques ne sont pas les ennemis des croyants.
Acermendax

Une situation peut survenir, où avançant dans la vie, nous prenons conscience que le chemin emprunté n’est pas le bon. Pire, que nous sommes en train de nous perdre. Il est ardu de s’en rendre compte et d’autant plus de prendre la seule décision rationnelle, celle de le quitter. Il y a des tas de raisons qui nous en empêchent. Il y a le prix de l’effort déjà fourni, les personnes qui y sont et que nous aimons. La peur de perdre des qualités que la nature même du sentier nous a amené à développer ou la place que nous y occupons. S’y ajoutent la peur de ne plus savoir trouver une autre direction, la peur du vide, de ne plus savoir qui nous sommes et même de ne plus savoir tout court. Bref, il y a une foule de… mauvaises raisons. J’ai moi-même longuement marché sur un tel chemin, un chemin spirituel, que j’ai souvent qualifié d’ésotérique, de mystique et même de magique. J’ai fini par prendre conscience qu’il me perdait et après avoir subi le poids des mauvaises raisons pour y rester… j’ai réussi à le quitter et à marcher librement ailleurs. Cet humble partage d’expérience s’adresse à toutes celles et tous ceux qui y marchent encore. Car si rebrousser chemin peut paraître étourdissant, une alternative s’offre à nous. Nous pouvons, au prix d’un effort certes coûteux, trier nos expériences et nos acquis afin de couper à travers champs et rejoindre, peut-être, un chemin plus proche du réel. Pour ce faire, il nous faudra nous armer d’une méthode rigoureuse et faire face à tout ce qui va à l’encontre de nos connaissances et de ce en quoi nous croyons ou souhaitons croire. Y seriez vous prêts?

Pour nous comprendre, il faut comprendre que nous avons, un jour, cherché à comprendre

Piquons tout de suite, mon parcours est un lieu commun. J’ai commencé à vivre vers vingt ans des expériences que je ne comprenais pas. J’ai cherché à comprendre. J’ai fini par trouver. J’y ai vu un chemin et comme tant d’autres je m’y suis engouffré. De recherches en rencontres, j’y ai approché tous types de gurus, de maîtres, parfois des esprits, des âmes éveillées, des prophètes, de très nombreux guérisseurs ainsi que des milliers d’hommes et de femmes qui ensemble partagent une certaine interprétation du monde et garnissent, par leurs présences loyales et fidèles, des communautés rassurantes, chaleureuses.

Chacun et chacune, à travers leurs confessions, partageaient un vécu similaire. Les explications apportées ne se présentaient cependant jamais seules, toujours causées par un phénomène plus vaste ayant une cause surnaturelle liée à la nature nécessairement divine de nos êtres. Cette supposée rationalisation constituait de fait un corpus de croyance très précis – bien que la plupart de mes compagnons refusaient de s’entendre qualifier de croyants. Ce corpus de croyance je l’ai à chaque fois enfilé sur moi tel un vêtement de soie au travers duquel le monde prend une autre teinte. A chaque nouvelle expérience, j’ai pu enfiler une nouvelle couche de croyance et chaque nouvelle couche de croyance me préparait un peu mieux à la prochaine expérience.

Heres hoping de Niki Hare – 2013

Marchant à leurs côtés j’ai pu affiner mes apprentissages et éclairer ce sentier semblant se déployer devant moi. J’ai eu l’honneur de prendre la mesure de techniques terriblement efficace de méditations, de mouvements énergétiques, de rituels ésotériques, de magie noire et blanche, de canalisation et de pensées créatrices. Sur ce sentier j’ai vécu, au plus profond de mon corps, des expériences mystiques intenses, parfois transformantes, régulièrement subjectives. Écouter les expériences des uns et des autres, y accoler une valeur, dévoilait subtilement les contours d’une lancinante hiérarchie. Être familiarisé à sentir sur commande l’Énergie traverser son corps ou simplement en guérir une partie malade. Ouvrir son troisième œil ou activer sa Kundalini. Lire dans un corps des traumas et des peurs secrètes. Admirer, les yeux fermés, des images en couleurs plus vives encore que lorsque ces mêmes yeux sont ouverts. Sentir son être dépasser son corps, l’envelopper, même le brûler. Le sentir toucher les étoiles. Toucher les morts. Voir les auras, les entités, les démons et les anges. Se battre avec des dragons. Embrasser le choix de son destin, celui aussi de ses proches qui souffrent. Passer commande à l’univers et contempler les synchronicités se succéder. Dans le même temps – et sans cynisme – accueillir la réalisation d’évènements non souhaités pour parvenir en acrobate, à leur dénicher un sens profond et cohérent avec le Tout. Entendre la vie en toutes choses et converser allègrement avec les plus beaux représentants de la nature, tels les arbres ou les oiseaux – très peu avec les tiques ou les virus il faut l’avouer.

Ce voyage pris vingt années durant lesquelles un difficile chemin intellectuel a pu, peu à peu, illustrer sous mes yeux les formes de la vaste et complexe mosaïque des différents mondes invisibles. Comme d’autres, et sur la base de mes intuitions,  je me suis efforcé à la théoriser jusque dans ses détails, à dessiner leurs structures, leurs hiérarchies, leurs panthéons. J’ai tâché non sans peine d’établir l’équilibre entre des concepts venus d’orients ou d’Amérique et leur corollaire christique, de relier les implications délicates et contre-intuitives du karma, du libre arbitre, avec la co-création.

Une ascension personnelle où qualifié tantôt de vieille âme, d’enfant Indigo, d’Atlante ou autre Rimpoche, j’ai pu finalement accepter mon incarnation en Humain, véhicule suprême des formes de l’univers où, fait éloquent, toutes les âmes se pressent pour s’y incarner. S’est peu à peu densifiée l’aura finalement très banale d’un être de Lumière – pas moins que ça – qui avance gaiement sur le chemin spirituel. Celui d’un être qui sait ce dont les gens parlent, lorsqu’ils parlent d’énergie, d’âme, de Dieu, de vivre dans la Joie, dans l’ici et le maintenant. De tout ça, profondément, j’en étais constitué. Ainsi, une fois seul, pourtant au milieu d’autres, j’observais d’en bas, le point culminant de la montagne sacrée au bout du chemin, plus haut encore que là où se posent les illuminés, où ce qui fait sens au dessus du sens de la vie s’éteint pour enfin accueillir en soi l’idée éternelle de la mort et d’avoir à revenir, éternellement aussi, à la vie.

Alors tu le sauras, car cela sonnera juste

Ça sonnait plutôt bien en effet. Ce malgré qu’il fut toujours très coûteux de chercher à tisser une cohérence entre les différents niveaux de croyances. Mais j’avais beaucoup de chance et peu de raisons de remettre ma vision en question. Une certaine sagesse englobait ma vie. Un optimisme régissait mon quotidien et très peu de problèmes m’atteignaient. Ma vie épurée était dénuée des contraintes largement subies par mes contemporains. Mon corps peu exposé aux souffrances physiques. C’étaient comme si des forces agissaient au mieux dans ma vie et donnaient des résultats concrets. Il était confortable de leurs assigner une nature magique et méritoire et de tâcher d’améliorer le monde en méditant depuis le tapis du salon – les facteurs sociétaux, familiaux ou ethniques étant bien trop prosaïques et de plus, embarrassants dans l’effort. Par ailleurs, la confiance dans les expériences vécues, soutenues par des rhétoriques collectives, me soulageait et m’aidait à lâcher-prise du désir de cohérence. Car en réalité, au moindre doute, il n’y avait qu’à simplement arrêter de réfléchir et se rappeler à la plus simple des consignes : écouter et suivre son cœur.

Just because de Niki Hare – 2013

Tous ensemble s’alignant, c’est ainsi que l’édifice se renforce, tout contribue à confirmer la même interprétation quasi-religieuse de nos expériences. Nos perceptions resserrent leurs filtres, confortées par nos rencontres, nos lectures, les algorithmes. Au fil du temps, tels des marcheurs synchronisés, nous tissons, en conscience et pourtant bien malgré nous, des relations dramatiquement hiérarchisées, intéressées et compromettantes. Interactions qu’humblement nous qualifions de relations authentiques.

Je ne suis pas tombé dans une secte, ni dans une religion. Mais je suis devenu croyant, un peu sans m’en rendre compte. Je suis devenu croyant, comme tant d’autres avant moi. Un de ceux qui ratisse large et enfile les perles venant tantôt de l’Hindouisme, du Bouddhisme, du Soufisme, du Nouvel Âge, d’un certain Christianisme, et d’autres influences encore. Entre chacune d’elles, un liant, teinté des plus belles couleurs de la connaissance découlant de la vraie science – celle inspirée par la Lumière et l’Amour –  et comme simple fermoir de ce beau collier, des témoignages et milles rumeurs érigés au rang de preuves. Et en effet tout concordait à ce que cela sonne juste.

Comment tu sais ce que tu sais? Pourquoi tu crois ce que tu crois?

Se présentait pourtant à moi une réalité qui ne sonnait pas juste. Ce sentier est peut-être celui de la Vérité, il n’empêche qu’il est parsemé aussi de mensonges, d’erreurs et de balivernes. Une intense dissonance cognitive me bousculait entre la teneur des faits que j’observais et l’incohérence des modèles spirituels que j’avais accumulés toutes ces années. Une tension interne inconfortable naissait de la contradiction entre la marche du monde et les prophéties qui ne se réalisaient jamais – chaque année devant être la fameuse *Année* avec au choix, l’Apocalypse, la révélation, le déluge, la montée en conscience collective, etc etc…

Ces contradictions interpellaient beaucoup de monde et je n’échappais pas au questionnement. L’édifice de mes croyances s’effritait par endroit, subissant des assauts de  rationalité. Je les ignorais allègrement et tendais même, en réaction, vers des comportements plus radicaux encore. Mais ces questions revenaient comme chuchotées. Ces murmures m’interrogeaient à nouveau, Qu’est ce qui fait que tes pratiques te font grandir ? Quelle y est la place du silence, de la présence, de l’accueil ? As-tu jamais vécu quelque chose de fort qui se soit passé en dehors du corps? Sont-ce tes expériences dans le corps ou tes croyances qui te font grandir ? Que sais tu vraiment de ce qu’est un corps ? Que comprends tu vraiment de ton cerveau, de ses biais, téléologique et anthropomorphique ? Comment fais-tu la différence entre un maître et un charlatan ? Entre ton mental et ta raison ? Tes croyances ne se situent-elles pas dans ton mental ? Que pourraient-elles combler en toi ? Qu’en disent ton corps et ta raison, pas ton mental, ta raison ? De toutes les expériences paranormales que tu as vécues y en a-t-il, ne serait-ce qu’une seule pour laquelle l’explication d’un phénomène corporelle ne serait pas du tout envisageable ? Quel outil pourrais-tu user pour mieux comprendre ce que tu vis ?

Quel outil ?… C’est important de savoir appréhender le monde. Nous avons besoin de savoir si la pomme que nous allons manger ou l’eau que nous allons boire sont bonnes ou mauvaises. Sonner juste et suivre mon cœur sont deux outils qui ne m’empêchaient pas de me tromper. Il me sonnait juste que la pomme et l’eau soient bonnes, de plus mon cœur m’y invitait. Mais des mauvaises pommes et de la mauvaise eau, j’en ai croisées. Et j’ai vu énormément de gens, les porter à leurs bouches.

Je me suis donc mis en quête d’un nouvel outil pour appréhender le monde. J’ai décidé d’utiliser une méthode rationnelle et empirique et de m’attaquer à tout ce que je savais et vivais afin de reprogrammer mon être en conscience et dans la joie. Puis j’ai pris l’intime décision de faire de ma vie une vie sans croyances, sans superstitions et de reconstruire brique par brique sur la seule fondation vraiment à ma portée, qui plus est le siège de toutes mes expériences: Le Corps.

And what now de Niki Hare – 2014

Pour cela, j’ai balayé d’un revers de main toutes mes définitions du réel et celles de la matière, de l’invisible, ainsi que tous ceux et celles que je définissais comme légitimes à enseigner. J’ai brutalement déconstruit tout ce que je savais et tout ce que j’avais vécu. J’ai établi un socle de connaissances plausibles et rationnelles et j’ai affûté une méthode d’évaluation de ce qui peut l’être.

Puis est venu le moment de confronter mes certitudes et mes croyances à l’aune de ce nouveau spectre. J’avais toujours cru posséder un esprit critique mais n’avais jamais questionné ni mes croyances ni mes connaissances. Je revendique des milliers d’heures d’écoutes de grands sages, des centaines de livres lus, mais je n’avais jamais accordé de temps à la contradiction. J’avais toujours été curieux mais je n’avais jamais offert cette curiosité à la science tout court et les messages pourtant clairs qu’elle transmettait. S’est intuitivement imposée l’étude de ce que postulaient vraiment la physique quantique et la médecine scientifique mondiale, les sciences cognitives et la biologie, les sciences du paranormal et les psychologies sociales.

Est apparue fine et fragile, la protection que consentaient aux croyances des lectures symboliques ou métaphoriques, et s’est dévoilé à mes remords grandissants ce qu’elles sont à l’os : des interprétations du monde maladroites absolument déconnectées du réel, anthropocentrées, dogmatiques et réactionnaires. Au mieux, des béquilles malhabiles et au pire des armes dangereuses pour soi-même, limitantes et incapacitantes. Le fait est que je ne pouvais plus admettre que nous ayons besoin de cela pour grandir. 

C’est en suivant mon cœur – mais aussi ma raison- que je l’affirme aujourd’hui : les croyances ne nous font pas grandir. Je suis navré si je blesse, mais nous ne sommes pas des êtres de lumière. Nous ne sommes pas non plus des êtres quantiques. Il n’existe pas d’enfant indigo ou de cristal. Nous n’avons pas choisi nos incarnations, nous n’avons pas de mission de vie, et pire que tout, elle n’a sans doute aucun sens. Nous ne sommes pas traversés par une énergie divine. L’homme n’est pas un être suprême et il n’y a probablement pas de Dieu, encore moins à notre image. La mort inéluctable est parfois évitable et la maladie n’est pas une formidable chance programmée dans notre destin. Il n’y pas de vie après la mort, ni d’au delà, ni de royaume où ressusciter. Quand nos proches meurent, ils meurent. Aucun autre sort ne nous attend. L’âme n’a aucune plausibilité. Quant à la conscience elle n’apparaît probablement qu’après le corps. Le monde invisible et tous ses représentants n’existent que dans nos schémas mentaux et nos schémas mentaux ne créent pas la réalité qui nous entoure. L’univers ne travaille pas pour nous et le karma n’apportera jamais que souffrance et culpabilité. Non, l’observateur ne créé pas le monde qu’il observe et tant mieux, car l’univers n’est ni juste ni injuste et la loi de l’attraction est une fraude. Le Monde Est. La Nature Est. Ni bonne ni mauvaise d’ailleurs. La nature humaine est une illusion, nous sommes tout juste un organisme qui avance. Nous ne sommes rien d’autre qu’un corps. Un corps qui n’est là que pour survivre. Point.

Chassez le corps, il revient au galop

Ce faisant, notre corps explore, il expérimente et s’il vit son existence à travers une conscience de lui même c’est que celle-ci fut un avantage à sa survie justement. Il s’agit là d’une chance inouïe d’apprécier la vie humaine en contraste avec son incroyable improbabilité. De goûter au monde à travers ce corps et cet enthousiasmant privilège de vivre le lever et le baisser de rideau et entre les deux d’être acteur d’un film incroyable et très probablement unique qui prend place seulement en ce moment dans l’univers. De toucher la pureté de cette immense beauté qu’est le fait, pourtant anodin à l’échelle des galaxies, d’être un humain en vie ici et maintenant. De sentir au plus profond de nous même la résonance du big bang, de s’imaginer rempli des souvenirs transportés par chaque brin de notre ADN depuis l’apparition de la vie sur terre. De regarder nos molécules danser en interaction avec le monde qui nous entoure et de comprendre et choisir en conscience que danser dans l’Amour et la Joie ne modifiera pas la marche de l’univers mais sera tout de même vachement plus chouette à vivre. C’est probablement là que se trouve le sens à donner à la vie. Interroger ses connaissances, partir du réel, vivre dans la matière au milieu de ce grand tout est une source d’humilité plus grande encore que tout autre enseignement spirituel.

Dont look back de Niki Hare – 2014

S’y lit également en filigrane la démonstration la plus enthousiasmante des forces et du magnifique potentiel du corps humain, – animal imparfait dont certaines faiblesses et défaillances seront insurmontables – mais l’habiter, y être présent et à l’écoute sont vraisemblablement les attitudes qui nous feront nous sentir plus vivants, plus connecté au monde, aux autres, et capables de mieux vivre.

A titre personnel, mettre à nues mes croyances m’a par ailleurs révélé ce qu’elles comblaient en moi. Les croyances comblent souvent quelque chose en nous. Les confronter c’est d’une part réaliser ce dont il s’agit, d’autres part se prémunir de leurs retours. Aujourd’hui le monde m’apparaît – à certains égards toujours dramatique certes – cependant cohérent. Ne cherchant plus à justifier l’injustifiable ni à trouver un sens à l’insensé, j’ai désamorcé nombre de tensions internes. La sagesse qui englobait ma vie demeure et l’humilité se fait plus grande. L’optimisme est toujours installé dans mon quotidien et ma vie continue à se dérouler épurée et chanceuse. Je tâche toujours de vivre dans l’Amour et au plus proche de l’instant présent.

Je maintiens un certain nombre de pratiques dans des formes plus épurées où priment le silence et la présence, tout simplement. Conséquence enthousiasmante : les effets sont d’autant plus intenses et profonds et je vis toujours des expériences… que je ne comprends pas. Tout en les accueillant je n’y étiquette aucune croyance et je ne cherche plus à les expliquer. Je sais que petit à petit, la connaissance progresse et la science apportera des explications cohérentes et rationnelles sur les phénomènes infiniment complexes qui se déroulent en chacun de nous et saura décrire les forces, éminemment naturelles, qui sont en jeux. En attendant, ces expériences je les vis, je me les réapproprie. Ainsi, au plus profond de mon être, elles me changent, m’allègent et me font grandir.

Cela fonctionne et là, peut-être, se trouve l’essentiel.


Le sacré non religieux et invisible — Billet d’explication post-indignation — Semi-expérience sociale…

Voir la cathédrale Notre Dame de Paris en feu m’a ému. La chute de la flèche est une image déchirante. Je comprends celles et ceux qui vivent ce moment comme un drame, croyants & athées, car ce monument nous appartient à tous, il est un symbole, il suscite des affects. Je le sais bien, puisque je les éprouve moi aussi.

Mais quand j’éprouve un sentiment fort, irrationnel, qui plus est dans une forme de communion unanime où tout le monde éprouve (et se voit intimé l’injonction d’éprouver) ce que les autres éprouvent : je me rebiffe. Mieux, j’estime nécessaire de me rebiffer (au moins un peu) contre la pensée de groupe, de ne pas céder à l’état agentique où j’abdique ma raison au nom d’émotions intensément partagées, qu’il s’agisse de la peine, comme ici, ou bien de la joie de la Coupe du Monde de Foot qu’on est expressément invité à ressentir. Nous avons collectivement intérêt à ce que que certains d’entre nous aient le droit et l’envie de détoner dans le paysage.

Le tweet qui a valu à Hugo d’être harcelé, menacé, etc

Contexte ?

La catastrophe du 15 avril 2019 arrive après un incident violent sur Twitter : un adolescent de 15 ans a lancé une blague de potache sur la Mecque durant le Hajj, la comparant à une émission de TV pour enfant sur Gulli. Il a reçu des centaines de réponses violentes, haineuses, des menaces de mort de la part de musulmans. Beaucoup de non-musulmans (et de musulmans aussi, bien entendu, heureusement) ont été choqués par ces réactions. Cela m’a incité à poster à mon tour pour revendiquer la nécessité du blasphème, en citant notamment un fait divers de 2016 où un adolescent, accusé de blasphème pour avoir levé la main en réponse à la question (qu’il avait comprise de travers) de l’imam d’une mosquée, s’est tranché la main une fois rentré chez lui avant d’apporter cette main sur un plateau à la mosquée avec la bénédiction de ses parents. Cela se passe au Pakistan, on voit bien que le blasphème est une chose très sérieuse quand la religion a du pouvoir. Il n’y a que l’irrévérence assumée et acceptée envers le sacré pour repousser ce genre de dérive. Le blasphème c’est l’injure faite au sacré, c’est le crime sans victime. Cette injure n’a pas vocation à être drôle, de bon goût, acceptable, ni au contraire à blesser quiconque, elle a vocation à exister, à transgresser, et à mesurer l’espace dans lequel on lui octroie le droit à l’existence.

Or, juste après cette défense du blasphème, comme par hasard, la cathédrale en feu me tend l’occasion d’exercer mon droit à une parole inconvenante dans un contexte idéal : une forte émotion commune autour d’un désastre qui n’a tué personne ! Je précise (et c’est nécessaire compte tenu de la propension qu’ont beaucoup à prétendre élucider des intentions qui leur échappent) que je ne cherchais pas le buzz, je pensais que mon petit blasphème en ferait rigoler quelques-uns, grincer les dents à d’autres et serait noyé dans la masse des choses beaucoup plus intéressantes qui se passaient sur Twitter. On peut désirer s’exprimer publiquement sans nécessairement chercher à faire du foin. Le buzz que j’ai suscité : je m’en serais bien passé ! Toutefois, quand la shitstorm a commencé, j’ai choisi d’assumer, et ce par respect pour mon engagement préalable.

Voici le contenu du tweet par lequel commença cette crise comme twitter en a le secret.

D’aucuns trouveront la phrase drôle. D’autres l’auraient trouvée drôle mais à un autre moment, et c’est intéressant. D’autres enfin estiment cela parfaitement déplacé, stupide ou indécent. Personne n’a tort dans son jugement personnel.

Petite précision : La Tronche en Biais n’est pas un organisme officiel qui doit délivrer une parole aseptisée et corporate, mais une chaîne de vulgarisation volontiers caustique, qui provoque ou subit des polémiques depuis ses débuts car son propos a vocation à déranger. Précision 2 : quand je veux adresser sérieusement le sujet de la religion ou des croyances, je ne le fais pas en une phrase lancée à la cantonade mais dans des articles comme celui-ci ou celui-là, ou dans des débats, il y en a eu plusieurs (encore un). Merci de ne pas confondre les registres ; je ne le fais pas.

Mais je reconnais une faute dans ma démarche : avoir utilisé le compte de la TeB (celui qui est toujours actif sur mon smartphone) au lieu de mon compte Twitter personnel. Si c’est le mésusage du compte de la TeB qui vous a déplu, alors je comprends votre déception, et à vous seuls je présente mes excuses.

Au lieu d’assumer et de chercher à mettre à jour la dynamique d’indignation sacrée, il eut été plus facile, plus prudent, plus vendeur de présenter des excuses en mode « Désolé, j’ai juste voulu faire de l’humour, pardon d’avoir offensé, et cetera. » mais je n’ai pas pu m’y résoudre, et cela a des conséquences. Nous avons enregistré un départ d’abonnés suite à cette polémique. Dont acte.



J’avoue avoir été surpris par l’ampleur des réactions, par leur émotivité, et par leur provenance, car beaucoup de twittos sceptiques-rationalistes-zététiques ont exprimé leur indignation très vite. En choisissant d’assumer, je savais que certains m’en voudraient beaucoup sur le moment (j’espère que tous sauront prendre du recul et me pardonner). J’estime néanmoins que ma démarche cherche à leur rendre service, à leur montrer comment on en vient à se comporter dans un moment où le sacré remonte à la surface dans une exaltation nationaliste, quand les médias épouvantés et ravis de pouvoir surfer sur de l’émotion racontent que la France est « attaquée », quand on trouve normal que tout le monde prie partout, quand nos atavismes, nos automatismes, notre tribalisme sont exacerbés, bref au moment où se révèlent des tendances souterraines qui nous habitent et qu’il faudrait oser regarder en face.

La question de mon tweet n’est pas théologique, elle n’a pas vocation à initier un débat à brûle pourpoint. Je n’ai pas la naïveté de croire que ma raillerie, qui n’est rien d’autre que la question d’un enfant auquel on a inculqué que Dieu est bon et tout puissant, ait la moindre chance de déconvertir ou de faire vaciller la foi de quiconque. Un tel drame est au contraire l’occasion pour les croyants de se réfugier dans leurs plus tendres convictions, et elle va sûrement renforcer leurs certitudes (avec ou sans mon tweet). Je sais aussi bien que personne combien le contexte est au contraire propice à un regain de foi (totalement paradoxal mais prévisible) qui rappellera L’échec d’une Prophétie de Leon Festinger. D’ailleurs, je supporterai sans faire d’esclandre les avalanches de prières et de navrantes exclamations sur la bonté du Seigneur qui a épargné la Rosace ou une croix. Il ne faut donc pas me prêter l’intention de chercher à éloigner des gens de Dieu à coup de petits tweets, cette accusation est intensément stérile et à côté de la plaque. Encore une fois, j’ai simplement blasphémé avec une question polie et ordinaire, et je l’ai fait au moment précis où j’ai ressenti comme un interdit. Dans le contexte, cet interdit j’ai fait le choix de l’outrepasser. Or, c’est bien cela qui m’a été reproché.

Aux premières réactions, bien vite, j’ai constaté que j’avais provoqué chez certains une émotion forte. J’avais réellement été sacrilège, et à plus d’un titre. Une église qui s’effondre, c’est bien triste, mais reprenons un peu notre souffle et demandons-nous si 100% de la population est tenue d’y voir un drame interdisant absolument toute forme de prise de recul. Tous ceux qui ont perdu un être cher ont vécu des moments plus durs, et ils le savent. Et pourtant…

Des réactions virulentes, y compris de la part d’athées et de membres actifs sur les réseaux du rationalisme.

Les appels à la suppression (j’en ai reçu un bon nombre) sont littéralement l’expression d’une intolérance face à une agression de ce qui est considéré sacré, mon propos est donc bel et bien reçu comme un blasphème, et traité comme tel. Beaucoup ont revendiqué leur athéisme avant de réagir de manière inconditionnelle à ce qui agresse une valeur sacrée. Force est de constater qu’il peut y avoir un sens du sacré chez les athées. Certains semblent croire que c’est incompatible, impossible, et qu’à ce titre cette affaire n’a rien à voir avec un blasphème.

Je ne veux pas être dupe ou commettre un amalgame. Parmi les réactions, je note des avis colorés de rancune envers la zététique. Leurs auteurs, misant sur un effet d’aubaine ont jugé qu’ils pouvaient sauter sur l’occasion pour me nuire en comptant sur la masse des réactions hostiles. Le présent article ne s’adresse pas à eux, je ne peux ni ne veux leur accorder le temps et l’énergie qu’il faudrait pour espérer avoir un impact significatif. Je m’adresse plus volontiers à ceux qui ont un a priori positif sur la zététique en général, et, pourquoi pas, sur mon travail, mais ont été déçus et ont éprouvé assez de dégoût pour me morigéner publiquement. C’est ce comportement là que je trouve intéressant.

À ceux-là je voudrais dire la chose suivante, et je me permets de penser que c’est important : vous avez éprouvé face à mon tweet ce qu’éprouve un croyant intolérant face à une parole critique de sa religion, une émotion violente, une certitude absolue de supériorité morale. De l’intérieur, l’intolérance religieuse, ça ressemble à votre colère indignée qui produit des condamnations inconditionnelles et indiscutables, et ça procure un sentiment de totale justification : vous avez nécessairement raison, tous vos sens vous le disent. Et en plus vous êtes nombreux à ressentir cette vérité, c’est donc que l’autre n’a plus qu’à s’excuser et se taire. Ce sentiment est le plus dangereux du monde, j’aimerais que vous vous en souveniez pour vous en méfier à l’avenir quand un événement réellement dramatique se produira.

Bien sûr mon tweet peut déranger, comme peuvent déranger toutes les prises de parole. Je reconnais bien volontiers le droit de tout le monde à détester les quelques mots que j’ai écrits et à me le faire savoir. Subir une petite tempête d’offuscations injurieuses n’est rien en regard des vrais risques que courent ceux qui défendent le droit au blasphème sous d’autres latitudes ; je ne demande pas à être plaint. J’ai d’ailleurs reçu du soutien sur le réseau et plus de 700 likes : je ne suis pas un forcené retranché dans son auto-justification. Mais convenons qu’il existe aussi un droit à l’indifférence, et quand un propos vide d’argument, qui n’a vocation à rien prouver, heurte ce à quoi j’accorde beaucoup de valeur, je peux choisir de l’ignorer, c’est encore la meilleure chose à faire afin de ne lui donner aucune importance. Je rends hommage à tous ceux qui ont su faire cela ; dans leur désarroi, ils ont été plus forts que le désir de punir celui qui transgresse le sacré. Et puisque j’observe que peu de croyants sont venus me vilipender, c’est que le pire sacrilège dont je me rendais coupable ne concernait finalement pas Dieu, mais autre chose…

L’intolérance à l’impiété ne concerne pas que les croyances religieuses

À mes contempteurs, je veux tendre le miroir de Twitter, et leur demander si vraiment mon propos méritait autant d’attention, s’ils estiment, aujourd’hui que l’émotion est apaisée, qu’il est légitime d’exiger le silence au prétexte que « ce n’est pas le bon moment ». Tel est l’argument-refrain de cette petite crise : je me serais exprimé au mauvais moment. J’aurais en quelque sorte violé l’unanimité sacrée temporaire dont certains sont en mesure de désigner les contours. Le problème, on me l’a répété, ce n’est pas le blasphème mais le moment. J’ai le droit de blasphémer, mais enfin évidemment m’affirme-t-on, mais seulement au BON moment. Voilà qui est curieux, car chacun pourra tenter l’expérience et s’aviser que ce n’est jamais le moment pour blasphémer, par définition. Aux USA les tueries dans les écoles ne sont jamais le bon moment pour discuter de la circulation des armes si l’on en croit les pro-armes, les attentats intégristes ne sont jamais le bon moment pour parler du rôle des religions dans la pensée extrémiste, aucun moment n’est idéal pour remettre en cause les FakeMed, et la blague nulle de Hugo n’avait aucune chance de tomber au « bon moment ». C’est là qu’est le nœud de l’affaire : je doute qu’il y ait d’un côté les bons blasphèmes et de l’autre les mauvais blasphèmes. Le mauvais blasphème, il est difficile à décrire, à expliciter, mais je crois pouvoir le définir d’une manière toute simple : c’est celui qui nous gène, intimement. Celui-là on ne le tolère pas. Point final.

Depuis des années que je critique le dogmatisme religieux, ses dérives, ses conséquences, je n’ai jamais trouvé la réponse que semblent connaître mes contradicteurs ; aussi je voudrais qu’ils me disent quel est le bon moment, celui qui met tout le monde d’accord, pour proférer un blasphème.

La Une de Hara Kiri du 16 novembre 1970, un « Too soon » historique

Au mauvais goût (subjectif) de ce tweet de nombreuses personnes ont répondu en mode pure émotion, de la mise à l’index débordant du clavier. On retrouve (toute proportion gardée, cela est demeuré sur Twitter) un esprit de meute et un fonctionnement religieux inconscient, et j’ai voulu y résister. Du point de vue de mes intérêts personnels, j’aurais peut-être été plus inspiré de n’en rien faire ; en effet ceux d’entre vous qui ont émis un jugement très dur le 15 avril sont désormais dans une mécanique d’engagement. Ils éprouvent probablement l’envie, le besoin, de continuer à être d’accord avec ce qu’ils ont écrit ce jour-là, et certains vont donc continuer de m’en vouloir, convaincus de la réalité, de la justesse de la posture morale qui les a poussés à réagir (Cf Notre épisode sur la rationalisation).

Certains commentateurs ont voulu argumenter sur la pertinence de ce tweet. Tout en comprenant leur désir constructif d’éclaircir la situation, je veux leur redire qu’on n’a pas à justifier un blasphème, ni le moment où on le fait. Vous pouvez le condamner, le juger odieux, mais pas légitimement attendre qu’on justifie l’existence de la simple expression du sacrilège, même si ici la dimension sacrilège est, finalement, laïque. Mon outrage tire sa justification de son existence même, je n’ai aucun argument à avancer pour le défendre.

J’ai souvent eu l’occasion de dire que je n’envisageais pas de me présenter devant des personnes dans le deuil pour leur délivrer un argumentaire contre la vie après la mort, j’estime que la critique des idées ne peut pas faire l’économie du respect des individus. Envers les croyances publiquement professées, assumées, défendues, on ne saurait toutefois refuser le juste exercice de la satire, de la critique, de la contradiction, voire du dézingage. Mais gardons le sens des proportions : écrire un tweet irrévérencieux, ça reste sur Twitter, ça n’est pas la même chose que se présenter au milieu d’un enterrement pour se moquer des parents éplorés (quelqu’un a osé la comparaison, et je crois que cela montre une forme d’inflation du droit à être outragé). À une question aussi idiote que « Ben où il est Dieu ? » tandis que brûle une église, il n’y a vraiment rien à répondre. On peut s’en agacer et juger cela déplacé, mais qu’espère-t-on accomplir en exigeant honte, contrition et auto-censure de la part de l’auteur ?

Ma position personnelle est, je crois, logique et légitime : on doit avoir le droit, tous les jours, de s’interroger sur les croyances de ceux qui nous entourent, et pas seulement aux heures permises par la morale dominante. Si vous éprouvez de la colère, du dégoût et voulez brandir la justesse universelle de votre jugement moral pour condamner ce qui n’est rien d’autre qu’une question insolente, c’est que, décidément, c’est bien de blasphème dont il s’agit.

Acermendax

NB : Comme d’habitude cet article et le tweet original qui a tout initié n’engagent que moi.



Article à lire…

Je me livre ici à une rétrospective personnelle de mon année 2018. Ce petit bilan est une manière de rendre compte à celles et ceux d’entre vous qui, par votre participation financière, contribuez à rendre possible une bonne partie de ce qui suit.

En 2018, j’ai sorti mon livre sur « l’Ironie de l’évolution » qui a reçu un accueil critique formidable. J’ai pu m’entraîner à prendre la parole sur les grandes antennes de radio. Verdict : il me reste du travail. Pour accompagner ce livre, j’ai présenté ma conférence « Maudite théorie de l’évolution » une demi-douzaine de fois de Chartres à Montpellier (chez le Cercle Zététique).

J’ai donné des formations « Zététique et autodéfense intellectuelle » à l’Université de Lorraine, à celle de Paris Orsay, à l’ITIRI de Strasbourg, à l’EISTI de Cergy, à l’IUT de Lunéville et auprès d’un public de professionnels à Nancy et Toul. Et je suis intervenu dans des lycées, à Armentières, à Dreux, ainsi que dans une prison pour parler de zététique avec des détenus.

En 2018, la TeB a participé à des conventions un peu partout en France, du Play Azur de Nice à la Kamo Con de Dijon en passant par le Japan Festival de Tours. Nous avons même passé plusieurs jours à Grenoble pour le Festival de Géopolitique que nous avons couplé avec deux épisodes de la Conjuration Open Source qui nous ont permis d’échanger avec d’autres acteurs du monde du scepticisme scientifique et d’illustrer la variété des positions, des opinions, des méthodes, loin d’être un bloc monolithique, le scepticisme est une famille de pensée solidaire mais critique d’elle-même. Et nous avons présenté notre film « Les lois de l’Attraction Mentale » à divers endroits, souvent sur des campus universitaires.

En 2018, la TeB a été invitée par Astronogeek à participer à l’expérience du Crop Circle de Sarraltrof, et notre épisode « Les Glyphes de la Nuit » a été l’un des moments forts de la chaîne.

J’ai co-animé 13 Tronche en Live avec des invités dont je suis fier : Joël Swendsen, Nathalie Nadaud-Albertini, Adrien Gontier, Michelle Mielly, Ludovic Jeanne, Didier Gourier, Etienne Klein, Jean-Philippe Uzan, Sebastian Dieguez, Amélie Vialet, Bernard Godelle, Nathan Uytendaele, Astronogeek. Hygiène Mentale. Defakator. Un Monde Riant. Francine Cordier. Patrice Seray, Grégoire Perra et Elisabeth Feytit. Nous nous sommes même déplacés à Tautavel à l’invitation du Musée, et l’expérience était géniale. Nous espérons bien renouveler l’opération dans un musée ou dans un autre.

En 2018, nous avons commencé à réaliser des annonces de live plus artistiques (voire trop artistiques, voire absurdes) sous la direction de Guillaume.

En 2018, j’ai participé au Salon de l’Enseignement, au Festival du film de Sécurité, et à la Fête de la Science de Nantes avec une conférence et un atelier sur les perceptions. Je suis allé en Suisse à l’invitation de l’association de la Libre Pensée Romande.

J’ai visité le site d’enfouissement de déchets nucléaires de Bures, et sur le plan technique j’ai été très impressionné par l’ampleur du projet et le sérieux des études réalisées tout au long du processus (le plan socio-politique est une toute autre affaire).

À l’occasion du Festival Pariscience, j’ai rencontré Bill Nye à l’Institut de Physique du Globe de Paris, et c’était assez génial. J’ai sa carte. Il ne me reste plus qu’à trouver quoi lui proposer et à lui écrire pour mitonner une intéressante interview… J’ai présenté une mini conférence devant l’honorable assemblée des 50 ans de l’AFIS au Palais de la Découverte à Paris.

Il fallait que je partage ça avec vous !

En 2018, j’ai suivi de très près la polémique autour de l’homéopathie suite à la publication d’une tribune dans le Figaro (bravo à Asclépios, Primum Non Nocere et à tous les autres). Sur La Menace Théoriste, j’ai écrit au sujet de l’Effet Mathieu, des « Fake Med », de l’allopathie, du cas Idriss Aberkane, de la connerie… Et j’ai proposé le concept de la Triade zététique.

En 2018, la TeB est passée sur Canal+ dans un sujet malheureusement intitulé « Vidéos complotistes : La guerre est déclarée ». J’ai enregistré une vidéo avec Julien Pain sur les rumeurs et théories du complot dans le décor du journal de France 3. La presse a un peu plus parlé de notre travail que les années passées.

Deux épisodes de la Minute Sapiens ont été mis en ligne par Maxime Ginolin. La production de ces petites vidéos demande beaucoup de travail et de talents, et Maxime doit jongler entre de multiples projets, mais les prochains épisodes devraient voir le jour en 2019, bientôt.

En 2018, j’ai continué à mettre à jour la liste des programmes de l’audiovisuel public qui maltraitent la science (#VigiSciences). Cette liste est restée sans réponse, malgré le soutien et le relai d’élus régionaux.

En 2018, j’ai inauguré un nouveau format, les Entretiens Epistémiques. Le premier invité s’est défilé, un problème technique a frappé la deuxième émission… Et de manière générale le titre ne convient pas au concept. La copie sera revue pour 2019.

Nous n’avons pas pu débattre avec un homéopathe, tous ceux qui ont été contactés ont fini par refuser. Nous n’avons pas pu débattre avec Thierry Casasnovas, chantre des antivax, malgré de nombreux efforts et concessions lors d’échanges de courrier privés qu’il nous a interdit de partager avec vous.

En 2018, notre équipe a été insultée, caricaturée, conspuée par des tas de gens, parfois en vidéo… Mais nous avons aussi , et surtout, reçu des messages d’encouragement, des témoignages de l’effet positif de notre travail, des suggestions… par centaines. La chaîne a eu 4 ans en novembre, et vos messages à cette occasion nous ont mis du baume au cœur.

J’ai dû bannir des gens de mes pages et réseaux malgré mon désir de ne pas créer une bulle de filtre autour de moi. Certains comportements 100% antagonistes sont de toute façon plus aptes à créer de la réactance qu’une saine remise en question. J’ai passé beaucoup trop de temps à avoir des échanges stériles sur les réseaux, mais c’est la rançon de nombreuses heures à lire des commentaires, des critiques, des débats très stimulants auxquels je vous encourage à participer.

J’ai polémiqué sur Twitter, mais moins qu’en 2017.

En 2018, j’ai probablement oublié de répondre à 4 ou 5 mail et à une quarantaine de messages sur les réseaux. J’espère que personne ne m’en veut et que les gens savent qu’ils peuvent me relancer sans complexe.

En 2018, j’ai signé pour la publication de « Quand est-ce qu’on biaise ? » avec Olivia Recasens. Bientôt il vous appartiendra de décider de la carrière de ce livre. La « suite » de l’Ironie de l’évolution, un petit livre sur les arguments anti-évolution et les réponses qu’on peut leur apporter doit toujours sortir au Seuil… un jour. J’ai envoyé le manuscrit d’un livre sur l’homéopathie à une très bonne maison d’édition dédiée à la culture scientifique. Le premier retour est très positif… Vous en saurez plus quand ce sera possible.

Et puis j’ai écrit une chanson pour la TeB. Vled s’est chargé de l’arrangement musical et d’une bonne partie du chant. Pour l’écouter, il faudra attendre 2019. D’ici là, c’est secret, gardez ça pour vous. Ça va s’appeler « L’esprit ouvert ».

Bref, en 2018, j’ai eu la chance de faire des choses très variées, très stimulantes, de rencontrer des gens passionnants et de travailler avec une équipe globalement bénévole qui rend tout cela possible.

Alors oui en 2018, nous n’avons pas tourné toutes les vidéos que nous aurions voulu tourner. Ni publié tout ce qui a été tourné. Je n’ai pas écrit tous les scripts que je voudrais avoir terminé. Et j’aimerais qu’il en soit autrement. Mais si l’année a un bilan plutôt positif, c’est aussi grâce à toutes les activités qui se font autour des vidéos, et dont certaines sont indispensables pour financer l’ASTEC qui produit ces vidéos. Tout ceci étant dit, 2019 a toutes les chances d’être une année plus productive et cela me réjouit.

Acermendax

Petit compte-rendu d’une visite d’un laboratoire préfigurant la structure d’un site de stockage en profondeur…

Un futur « centre industriel de stockage géologique »

À 70km de Nancy, sur le territoire de la commune de Bure, se trouve le laboratoire de l’ANDRA, Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, qui appartenait au CEA 1 jusqu’à son indépendance en 1991.

Ne nous laissons pas abuser par le mot « laboratoire » : c’est un ensemble de plus de 2km de galeries creusées à 500 m de la surface dans une couche d’argile formée voici 160 millions d’années, quand la région était sous la mer.

Il y a 160 millions d’années, nous étions en plein jurassique, au milieu de l’ère des dinosaures… qui ne vivaient pas dans la région, comme vous le savez, puisque les dinosaures sont terrestres. Mais on y trouvait des ichtyosaures par exemple. Cette couche est appelée argilite callovo-oxfordien. Et elle possède des caractéristiques physico-chimiques aptes à limiter la migration des radionucléides. Les modèles prévoient que ceux-ci resteront confinés assez longtemps pour que leur radioactivité décroisse jusqu’à ne plus représenter aucun danger dans le bruit de fond de la radioactivité naturelle. Mais on parle d’une échelle de temps avec 5 zéros, ce qui laisse beaucoup de place pour que les choses tournent mal.

Je me suis rendu sur le site le 25 juillet à l’invitation de l’ANDRA qui souhaite communiquer sur un projet de grande envergure : la construction, tout près du laboratoire, d’un site de stockage définitif (mais réversible) des déchets radioactifs les plus dangereux actuellement sur le territoire français : le projet Cigéo.

Cigéo est un projet à part du laboratoire existant. Celui-ci n’a été autorisé qu’à des fins de recherche scientifique sur la faisabilité du stockage profond. De nouvelles décisions par les autorités politiques sont nécessaires pour la mise en route du chantier dans les prochaines années. Et avec Cigéo, nous sommes dans des proportions pharaoniques. Le budget est de 25 milliards d’euros (ce qui signifie que cela dépassera sans doute les 40 milliards), le site en construction emploiera 2000 personnes, puis 600 durant son fonctionnement, comptera deux cents kilomètres de galeries et il doit pouvoir fonctionner environ un siècle avant d’être fermé définitivement. Il contiendra alors 80.000 m3 de déchets, 10% du volume total, mais plus de 99% de la radioactivité actuellement stockée en France.

Le projet prévoit qu’en 2030 les déchets actuellement vitrifiés et coulés dans de grands fûts de métal seront transportés par voie ferroviaire à l’intérieur de conteneurs en béton et aciers testés pour résister à tous les chocs. Leur stockage ne peut se faire avec une sécurité suffisante que si l’on attend que la température des fûts descende en dessous de 90°C. Cela demande 40 à 70 ans… On mesure les précautions indispensables autour de la manipulation et du transport de telles choses.

Pourquoi ici ?

Tout le monde devrait pouvoir s’accorder raisonnablement pour dire qu’il faut gérer les déchets existants de sorte à limiter leur impact sur l’environnement. Que l’on continue à utiliser l’énergie nucléaire ou que l’on stoppe tout demain, les déchets sont bel et bien là. Les ignorer en espérant bien fort qu’ils disparaissent ne va pas fonctionner. Les balancer à la mer n’est pas non plus une solution responsable, aussi a-t-on abandonné cette option autrefois utilisée. Alternatives écartées : les jeter dans des volcans ou les envoyer dans l’espace ; chaque fois le risque afférent au moindre accident est incontrôlable. Il faut ou bien les traiter par transmutation : utiliser un réacteur qui va transformer les éléments radioactifs en d’autres éléments non radioactifs. Ou bien les stocker à très long terme avec les énormes incertitudes logistiques que ces échelles de temps impliquent.

Mais tous les citoyens ne sont pas d’accord pour que le traitement ou le stockage ait lieu dans leur jardin. On serait plus tranquille si tout ça pouvait se faire loin. Pourtant en 1993 plusieurs conseils généraux votent la candidature officielle de leur département à l’implantation d’un laboratoire. Quatre sites sont initialement sélectionnés dans toute la France : la Haute-Marne, la Meuse, la Vienne et le Gard.

Le site de Bure est retenu  par le comité interministériel du 9 décembre 1998, la construction démarre en janvier 2000. Le laboratoire n’est pas destiné à recevoir le moindre déchet, mais à étudier la stabilité du terrain, des galeries et à prendre de grandes quantités de mesures (1 million par jour) pour obtenir une modélisation du sol et des installations qu’on se propose d’y construire.

Depuis l’an 2000, les chercheurs et les agences chargées d’évaluer ce travail estiment avoir validé la faisabilité du stockage géologique de déchets radioactifs. Du point de vue « recherche et développement », le projet est donc mûr pour se poursuivre.

Une forte opposition s’organise, toutefois, avec notamment la création d’une association visant à « rassembler les élus meusiens et haut marnais aux fins de permettre une expression collective de l’opposition au projet de laboratoire et empêcher par tous les moyens légaux, juridiques et démocratiques tout enfouissement de déchets nucléaires en quelque lieu que ce soit ». Leur argument principal consiste à se fier au progrès et aux générations futures qui sauront trouver un meilleur moyen de disposer de tous ces déchets. Ce serait loin d’être absurde si dans le même temps ces opposants n’étaient pas dans leur grande majorité pour un arrêt total du nucléaire qui signifierait un ralentissement conséquent, voire la fin de la recherche dans le domaine. Il faut toutefois rester attentif à tous les arguments qui pourraient remettre en cause le bien-fondé de ces décisions. Cette association est donc démocratiquement pertinente.

 

Comment se faire une idée ?

Depuis des années l’ANDRA fait de gros efforts de communication envers le public. Les opposants au projet dénoncent une « préoccupante domination informative ». Et de fait, il faut toujours être prudent. Un site aussi controversé que celui-ci, destiné à répondre à des normes draconiennes de sécurité pour éviter une catastrophe écologique potentiellement gravissime doit-il communiquer ? Si oui, comment ? Dans un monde perfusé aux rumeurs, théories du complot et paniques sociales, la moindre opacité réelle ou supposée semble devoir toujours faire le jeu de la peur et de la manipulation. Mais se méfier d’une forme de « propagande » est légitime, et il est raisonnable de chercher à se documenter à une large diversité de sources. Il semblerait que l’ANDRA l’ait compris puisque lors de ma visite de l’installation, j’ai rejoint un groupe de blogueurs, vidéastes et vulgarisateurs intéressés par les questions de l’énergie et/ou de l’environnement. Nous avons posé beaucoup de questions, et vous trouverez sur leurs pages leur propre compte rendu de la visite.

Sur des questions aussi graves, veiller à ce que chacun assume ses responsabilités est primordial, et cela ne peut sans doute pas mieux se faire qu’en ouvrant les vannes du questionnement et de l’information.


À lire chez les collègues présents lors de cette visite

 

Une insécurité géologique ?

L’incertitude insupportable que suscite un tel projet provient de la difficulté à comprendre le fonctionnement de la radioactivité, le niveau de la radioactivité « naturelle » dans nos environnements, le niveau de connaissance ou d’ignorance des chercheurs, des ingénieurs… En somme on n’est jamais totalement certain de faire confiance à la bonne personne, surtout à une époque baignée d’un millénarisme écologique que les ravages déjà perceptibles du changement climatique rendent plus crédible que jamais. Il m’a donc semblé utile de répondre à l’invitation et de rendre ici compte de ce que j’ai pu voir sur place.

La descente via le puits principal prend 7 minutes. Il y a en théorie 14 places dans l’ascenseur, nous y tenions difficilement à 10. Déjà on soupçonne le mensonge !! À une telle profondeur, nous dépendons totalement des ascenseurs, les puits ne contenant aucun autre moyen de remontrer. Il existe des échelles dans les installations dont la profondeur n’excède pas 250 m.  Ici, en cas de problème, il nous faudrait gagner les niches de secours équipées en eau et provision pour 24h.

Dans un décor digne de la base secrète d’un méchant de James Bond, faut-il faire confiance à l’accent québécois puissamment séduisant de notre guide, quand il nous explique l’histoire du site, les diverses expériences réalisées ou en cours sur la stabilité des structures ?

 

Les résultats produits dans le laboratoire et échangés avec des chercheurs internationaux, indiquent que le stockage géologique apporte les garanties de confinement nécessaire pour réduire les risques environnementaux. Et la « vérité de science » semble bien devoir se limiter à cela et à rien de plus. Le plus fort impact environnemental surviendra avec la lente diffusion de la radioactivité. Dans trois cent à quatre cent mille ans, arrivera à la surface une radioactivité correspondant à une fraction de celle qui existe à l’état naturel. Les accidents humains peuvent bien sûr se produire au cours de l’exploitation du site, mais aucun scénario ne permet d’envisager une pollution à long terme par les déchets stockés en profondeur, contrairement aux stockages en surface qui nécessitent un entretien continu des installations.

Un phénomène naturel peut nous éclairer sur le devenir d’une telle dose de radioactivité dans la roche. Cela se passe au Gabon, ou plus exactement dans des roches aujourd’hui situées dans ce pays et qui, deux milliards d’années dans le passé, contenaient tellement d’uranium (dont plus de 3% d’Uranium 235) qu’une réaction en chaîne de fission nucléaire autoentretenue s’y est produite durant 150 à 850 000 ans, impliquant 500 tonnes d’uranium, et produisant 100 milliards de kWh. Ce lieu, ce sont les mines d’OkloCe qui est intéressant dans le cas d’Oklo c’est que les produits de fission non volatiles (les « déchets radioactifs ») n’ont que très peu migré (moins d’un mètre) dans la roche en deux milliards d’années. Bien sûr, un site de stockage fabriqué par l’homme n’est pas totalement comparable à ce type de réacteur naturel, mais il apporte son lot d’informations.

 

 

Une solution sans danger ?

Dans un projet visant à descendre à 500m de profondeur des milliers de tonnes de déchets industriels moyennement ou fortement radioactifs, la partie la plus dangereuse est constituée par… les déchets radioactifs. Le projet est donc dangereux par nature. Beaucoup d’activités humaines, d’ailleurs, sont dangereuses, raison pour laquelle nous mettons en place des stratégies de gestion des risques pour établir ce qui peut être fait et ce qui doit être interdit.

J’ignore si le stockage géologique est définitivement la meilleure solution envisageable, mais on peut être à peu près certain que même la meilleure et la plus définitive des solutions à un tel problème comporte des risques. Exiger une solution sans risque, ce serait commettre le sophisme de la solution parfaite, celui qui écarte toutes les idées comportant des défauts et force à l’immobilisme. Cette posture de rejet de tout ce qui n’est pas une solution parfaite est parfois confondue avec le principe de précaution, et au nom de celui-ci on milite ici et là contre absolument tous les projets qui cherchent à assumer la responsabilité de la gestion des déchets qui déjà s’accumulent.

Néanmoins il ne faut pas escamoter le débat public, puisqu’établir le seuil de risque acceptable n’est pas du ressort de la science, mais bien de la société. Il faut donc que celle-ci soit informée et trouve réponse à toutes les questions que des données factuelles et scientifiques peuvent éclairer. Et le dialogue doit permettre de dégager les lignes de désaccord et de mettre en lumière les arguments pro et anti qu’on est obligé de prendre en considération pour prendre une décision éclairée.

L’ASTEC se propose de suivre le dossier, éventuellement sous la forme d’un court documentaire résumant les informations ci-dessus et contextualisant les raisons de soutenir ce projet et celles de s’y opposer.

Crédit Photos : Rodolphe, alias Le Réveilleur.

Il parait qu’on est tous le con de quelqu’un. Écrire un article sur les cons fait de moi le con tout désigné de ceux qui trouveront anormal qu’on se permette ce genre d’exercice désobligeant. Pour rappel, si cela peut les apaiser, j’ai aussi écrit il y a quelques temps « Vous n’êtes pas des imbéciles ».

C’est mieux d’être gentil

« Con » est un mot désagréable. Il n’est pas indispensable, ni très efficace de traiter de con la personne avec laquelle vous cherchez à avoir un échange. Néanmoins, nul n’est obligé de vouloir dialoguer avec tout le monde, et notamment avec les cons. De leur côté, les cons estiment avoir toujours le droit d’exiger une réponse, de forcer les autres à partager leur passion pour un sport, un jeu vidéo, une question politique, leur théorie du complot favorite, leur offuscation du moment, et leur avis sur tout en général. Notez bien, s’il vous plait, qu’ils ne se comportent pas ainsi parce qu’ils sont cons, mais au contraire, qu’ils sont cons parce qu’ils se comportent ainsi.

Les cons, les vrais, ne méritent pas qu’on perde du temps à essayer de les instruire (Cf Audiard). Il est parfois charitable de le faire malgré tout, mais cette abnégation n’est pas un dû. Le con n’a pas un droit illimité à notre temps et à notre énergie. Et il ne nous appartient pas de le délivrer de sa condition. Attention, ceci n’est pas une invitation à insulter tous les importuns, car l’injure est plus souvent du côté du con. Parfois, appeler un con un con est une bonne manière de clore une conversation. En revanche, seul un con démarre un échange dans l’insulte, c’est un trait distinctif.

« De tous les côtés, casse-couilles, casse-burettes, casse-noix, ribambelle de gonfleurs, pompeurs d’air, suceurs de temps, formidable collection d’emmerdeurs, raseurs de haut niveau, petits porteurs de la connerie humaine, bousculeurs et embouteilleurs d’une vie où l’on se cogne comme à la rambarde d’une patinoire, éternels marcheurs sur le pied d’autrui ! » (Le Bal des Casse Pied – Yves Robert, 1991)

Dans cet article, le con ne désigne pas une personne souffrant d’un déficit d’intelligence telle qu’on pourrait la mesurer avec le QI par exemple. J’ajoute qu’il n’est bien sûr jamais souhaitable d’essentialiser les gens, de leur attribuer des étiquettes indélébiles, il est donc bien entendu que dans ce texte le con est une posture, une conduite, et pas un phénomène sociologiquement établi dans la littérature scientifique.1 Les individus peuvent donc se défaire de leur connerie, changer, et ne plus être con. Ce texte est en fait une invitation à opérer ce changement pour peut qu’on me pardonne cette ambition.

Délicate définition

Le con se définit comme suit. Dans la vie de tous les jours et sur les réseaux, le con est essentiellement celui qui ne se pose pas ces trois questions :

  1. Suis-je mieux informé ou plus compétent que la personne à qui je m’adresse ?
  2. Ai-je raison de supposer telles intentions de la part de mon interlocuteur ?
  3. Ai-je identifié le but de mon commentaire dans le cadre d’une conversation ?

S’il se les pose et répond systématiquement oui dans tous les contextes, on ne peut probablement rien pour lui, mais ce doit être rare. Entendons-nous bien sur ce que la liste ci-dessus ne dit pas.

  1. Suis-je mieux informé ou plus compétent que la personne à qui je m’adresse ?

J’ai le droit de m’adresser à ceux qui en savent plus que moi, de challenger leur expertise en leur demandant de produire les preuves ou les démonstrations sur lesquelles ils fondent leurs énoncés. Rien ne doit m’en dissuader. Mais j’aurai l’air con, évidemment, si j’adopte un ton docte dans le but de rabaisser un interlocuteur en laissant entendre que j’en sais plus que lui, s’il s’avère qu’en fait c’est l’inverse.

« Honnêtement, le changement climatique me terrifie et cela me rend tellement triste de voir ce qui va disparaître à cause de lui.
— Alors peut-être que tu devrais apprendre un peu de vraie SCIENCE et ne plus écouter les criminels qui propagent l’arnaque du #GlobalWarming !
— Je sais pas, mec. J’ai déjà obtenu un doctorat en astrophysique. J’ai comme l’impression qu’en dire plus serait excessif. »

Un malheur ne venant jamais seul, dans une telle situation « l’offenseur ne pardonne pas », et si je passe pour un con (totalement par ma faute), j’ai de bonnes chances d’en vouloir à la personne qu’au départ j’aurais sous-estimée. Cela risque de m’encourager à me comporter comme un fieffé con envers cette personne si je ne fais pas quelques efforts sur moi.

  1. Ai-je raison de supposer telles intentions de la part de mon interlocuteur ?

Parfois, on a raison de soupçonner une intention derrière une posture ou une affirmation. Mais alors ne vaut-il pas mieux agir avec doigté et chercher à démontrer l’intention, notamment à travers des questions ? Ou encore en évoquant explicitement l’hypothèse de ces intentions, de leur manifestation, et de l’intérêt que l’interlocuteur aurait à mieux préciser sa pensée ? Bref, n’est-il pas intelligent d’écarter toute possibilité de quiproquo ?

Bien sûr, si le but de la conversation n’est pas d’apprendre quelque chose, de parvenir à un accord, mais simplement de discréditer l’autre, le procès d’intention n’est plus une marque de connerie, mais une stratégie malhonnête parmi d’autres, et elle est employée quotidiennement par des enfoirés2 dont l’aisance à prendre des postures accusatoires les dispense d’avoir peur de paraître cons.

De manière générale, présupposer une intention implicite dans un énoncé est le meilleur moyen d’agir connement. Le con se fie à sa certitude d’avoir percé à jour la vraie nature de son interlocuteur, oublie de tester son hypothèse, et il se plante souvent sans que cela le dissuade de recommencer. C’est très con. Sous-entendu : si vous évitez de recommencer après un déboire de ce genre, alors il y a de l’espoir pour vous.

  1. Ai-je identifié le but de mon commentaire dans le cadre d’une conversation ?

La censure est basiquement une mauvaise idée. Tous les sujets méritent d’être discutés, et cette troisième question ne doit pas être reçue comme une intimidation. Parfois, ce qu’on peut apporter à un sujet, c’est l’amélioration de notre propre compréhension. Il vaut mieux poser une question et passer pour un con (injustement) plutôt que de ne pas oser et de rester ignorant.

La question du but de la conversation se pose quand, d’emblée, on s’adresse à quelqu’un qui professe une opinion contraire à la nôtre. Dans un tel cas de figure, notre intention peut-être de le convaincre qu’il a tort, et alors on a tout intérêt à se montrer un minimum courtois sans quoi on active la réactance qui empêchera toute évolution de notre interlocuteur. Même quand on a raison, on peut se comporter comme un con.

Le but peut être de debunker une croyance fausse, un discours trompeur, une manipulation, et alors il faut avoir à l’esprit que l’on s’adresse en réalité aux spectateurs de la conversation. Cela peut s’avérer utile, précieux, efficace, mais cela ne signifie pas qu’agonir d’injures le gourou soit la meilleur stratégie pour ne pas passer soi-même pour un con.

On peut aussi chercher à comprendre les raisons pour lesquelles cette opinion est défendue. C’est une démarche honorable que de demander à l’autre de nous expliquer pourquoi il pense ce qu’il pense afin d’avoir la chance d’être convaincu si jamais sa position s’avérait solide. Ceci relève de l’entretien épistémique, et nous devrions tous essayer plus souvent de nous y adonner.

Mais le con est souvent celui qui pense que changer d’avis est une marque de faiblesse, voire de bêtise. Le con est en effet mal armé pour reconnaître la connerie. Il manque de métacognition, c’est-à-dire de l’exercice réflexif de la pensée : penser à comment je pense, à pourquoi  je le pense. Le con est la proie consentante de l’effet Dunning-Kruger.

Nota Bene : des esprits chagrin voudront voir dans cet article le désir de l’auteur de traiter de cons tous ses contradicteurs. D’abord, c’est faux, car je trouve souvent très bénéfique de recevoir des critiques. Ensuite, notez comme cela ressemble à une mauvaise gestion de la deuxième question de ma petite liste.

Socrate n’était pas un con

Ces trois questions, en réalité, reviennent à ce qu’on appelle « les trois tamis de Socrate » sans qu’on soit sûr que la paternité lui revienne. Mais l’Effet Mathieu a fait ici son office.

« Un homme accourut un jour vers Socrate le Sage :

— II faut absolument que je te raconte, dit-il, visiblement excité, aurais-tu jamais cru cela ? Tu sais, ton ami…

— Arrête ! l’interrompt Socrate, as-tu passé ce que tu désires si ardemment me communiquer par les trois cribles ?

— Que veux-tu dire ?

— Le premier crible est celui de la vérité ; ce que tu as à me dire, est-ce absolument vrai ?

— Je le pense, reprit l’autre, mais enfin, je ne l’ai pas vu de mes propres yeux, c’est un camarade, Untel, qui m’a confié sous le sceau du secret que…

— Le deuxième crible, interrompt à nouveau Socrate, est celui de la bonté ; ce que tu vas me dire, est-ce une chose bonne ? Parles-tu en bien de ton prochain ?

— Pas précisément, plutôt le contraire.

— Le troisième crible enfin est celui de la nécessité ; est-il absolument indispensable que je sache ce qui semble te mettre en un tel émoi ?

— Indispensable ? Non, pas tout à fait, mais enfin, je pensais…

— Eh bien, mon ami, si ce que tu as à me dire n’est ni indispensable, ni charitable, ni incontestablement vrai, pourquoi le colporter ? Efface-le de ta mémoire et parlons de choses plus sages. »

(Source Wikipédia)

Débarquer en croyant faire la leçon à qui en sait plus que moi, c’est prendre le risque de m’éloigner du vrai (1). Présupposer des intentions, croire savoir un motif qu’en réalité j’ignore, c’est courir le risque d’agir mal (2). Enfin, ne pas se demander ce que j’apporte avant de prendre la parole, c’est risquer de gaspiller le temps et l’énergie de tout le monde avec des propos tout sauf nécessaires (3).

Beau et con à la fois !

Être simplement un peu con de temps en temps, ce n’est pas grave en soi. D’autant moins quand on l’accepte (sans s’y complaire). Car le con, c’est n’importe qui, c’est tout le monde au moins une fois dans sa vie. Je suis désolé pour les fois où je me suis montré con. Nul n’est à labri de se comporter comme un con. L’admettre, ce n’est pas se ranger soi-même ou quiconque dans une case, mais c’est faire un effort vers plus de rationalité en s’efforçant de se tenir éloigné des comportements, des automatismes, des facilités qui peuvent faire de nous, l’espace d’un instant ou pour toute la vie un con de compétition.

Ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve, disait Euclide. C’est sans doute vrai. On le sent bien que c’est sans doute vrai. Mais il y cette chose que disait Saint Augustin : « Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus. ». S’il en allait de même avec la preuve ?

Si je voulais prouver ici que la Terre est ronde, je trouverais des gens pour n’être convaincus par aucun des arguments que je voudrais appeler preuves. Ces gens, vous pouvez les croiser en quelques clics, ainsi que d’autres qui croient que le Moyen Âge n’a pas eu lieu ou que la science a trouvé un lien de causalité entre vaccination et autisme.

C’est humain.

À certaines personnes, dans certains contextes on ne peut rien prouver. Tenez, vous par exemple. Si je vous dis que vous n’êtes en réalité qu’un cerveau dans un bocal. Branché à un superordinateur, vous recevez tous les influx nerveux qui vous donnent vos sensations. Vous pouvez imaginer n’importe quelle expérience, les résultats seront toujours compatibles avec l’hypothèse du bocal, puisque l’ordinateur est expressément conçu pour vous donner l’illusion d’être dans un monde réel.

L’hypothèse est cohérente, conforme aux faits ; vous n’avez objectivement aucun moyen de l’évacuer juste parque qu’elle est bizarre. La physique quantique a des hypothèses bizarres que nous acceptons. Alors ?!

« Une affirmation extraordinaire requiert des preuves plus qu’ordinaire.» Carl Sagan

Le but n’est pas de vous prouver que vous êtes une cervelle qui baigne dans son jus, mais de convenir avec vous que vous n’avez pas la preuve du contraire. Et rien que ça, c’est déjà difficile à avaler. J’en vois certains là, qui veulent protester, qui ne sont pas d’accord. Et pourtant personne ne vous prouvera jamais que le monde réel et les gens autour de vous existent. Cette existence, vous l’acceptez comme un axiome, une donnée initiale admise pour vraie mais jamais démontrée.

Et c’est raisonnable ; je vous déconseille de douter trop sérieusement de la réalité du monde ! Mais peut-être faut-il se montrer prudent quand on exige des preuves. En science, par exemple, on aurait tort de penser qu’une preuve sert à prouver quelque chose. (regards)

Eh bien oui ! On parle de preuve scientifique quand on réussit à éliminer toutes les explications alternatives. Une preuve, c’est ce qui réfute ce qu’on croyait savoir ou qu’on pouvait supposer. L’explication qui survit, c’est celle contre laquelle on n’a pas trouvé de preuve. Ça implique que l’explication en question n’est pas forcément parfaite. (chuchote) Mais ça vous le saviez déjà, on en a parlé au sujet de la vérité.

Dans la vie de tous les jours, et même dans les laboratoires de pointe, on s’arrange avec ce qu’on sait, tout en acceptant qu’on n’a pas forcément la preuve totalement, complètement, ultimement définitive. Cela ne veut pas dire que la preuve est inutile ; au contraire, prenez l’habitude de demander des preuves lorsque les gens prétendent savoir quelque chose, surtout quand ils se permettent de vendre des produits, des livres ou des conseils (On n’est jamais trop prudent).

A l’écran : « Demandez toujours des preuves, la preuve est la politesse élémentaire qu’on se doit. »

Paul Valéry ; Monsieur Teste (1926)

Cependant, pour les petites choses de la vie, nous fonctionnons en tenant pour vrai ce qui est le plus vraisemblable, sans courir après les preuves. C’est un peu le principe de la présomption d’innocence. Quand on a de bonnes raisons de supposer X et aucune preuve que X est faux, alors on s’autorise à tenir X pour vrai et à agir en conséquence.

Mais tout le monde devrait faire cela en gardant active une petite clause, une note de bas de page dans le contrat qui dit « jusqu’à preuve du contraire ».

 


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La vérité, ça crève les yeux, et puis ça sort de la bouche des enfants. Celui qui aime la vérité sait la reconnaître. Il n’y a que la vérité qui blesse. Tout finit toujours par se savoir, et la vérité triomphe à la fin !

De ces enfantillages vous ne croyez pas un mot. Vous savez bien que c’est plus compliqué que ça. Quand les proverbes ou les grands auteurs parlent de la vérité et essaient de livrer une parole sage à son sujet ils sont souvent moins bons que quand ils écrivent sur l’erreur. Il faut dire qu’on parle mieux de ce qu’on connaît. Mais malgré tout, on aspire à la vérité.

C’est humain.

Mais parce qu’on ne va jamais très loin en suivant une idée fixe, les gens qui cherchent la vérité causent des problèmes quand ils affirment l’avoir trouvée et qu’ils refusent d’en démordre. La vérité d’une idée ne se reconnait pas à la force de conviction de qui la défend.

Non seulement il n’y a pas de force intrinsèque des idées vraies, mais en plus la vérité souffre d’un désavantage terrible : elle n’est pas toujours crédible — C’est trop beau pour être vrai !—, quand la désinformation, elle, habilement menée, sait se faire plus vraie que nature.

Et vous touchez du doigt le dilemme d’une chronique dont le titre est « la vérité ». Si pour faire accepter la vérité, il faut la rendre présentable, aimable, souhaitable, accommodante, on la perd en route. Et si ce que je vous dis vous parle, résonne avec ce que vous pensiez déjà, renforce ce que votre intuition vous chuchote… Alors comment savoir si vous n’êtes pas la victime d’une manipulation, d’une indolore séduction ? Après tout, les gens prêtent sans se faire prier l’oreille aux mensonges, s’ils flattent leurs instincts.

Il y aurait donc des choses indécidables, des vérités inconnaissables. Cela va nous forcer à l’humilité dans nos tentatives d’explication du monde. Il va falloir renoncer à la prétention de détenir une vérité et opter pour la prudence maximale et la vérification perpétuelle de ce que nous croyons savoir. Devant l’effort colossal que cela implique, on comprend l’attrait du dogme, beaucoup plus reposant.

Le monde autour de nous est là. Qu’on le veuille ou non. Ce que je peux apprendre de ce monde, chacun doit pouvoir le savoir aussi bien que moi. Et même dans l’hypothèse –crédible– où le monde serait trop complexe pour que nous le comprenions vraiment, nous pouvons malgré tout construire une représentation approximative de la réalité et nous mettre d’accord sur ses mérites comparés à d’autres représentations moins fidèles.

En conséquence, la forme de « vérité » à laquelle nous avons accès n’est sans doute pas complètement objective, mais elle est au moins transsubjective. Et nous avons donc les moyens de partager nos connaissances. C’est absolument renversant qu’une espèce de gros primate bipède soit capable d’un tel exploit ! N’est-il pas charitable de lui pardonner de se croire détenteur de réponses définitives ?

Or donc la vérité est appelée à changer, comme une immense photographie toujours exposée à la lumière pour que se révèlent de nouveaux détails, lesquels, de temps en temps, changent le sens de la scène que l’on observe.

Le plus sage est de continuer à l’observer.


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Mince ! Je me suis trompé. C’est fort déplaisant.

Un instant avant de réaliser mon erreur, je me sentais exactement comme l’on se sent quand on a raison. Or j’avais tort. Il a fallu que je prenne conscience d’avoir tort pour en sentir les effets.

C’est humain.

On est rarement amoureux de nos erreurs ; on les partage moins que nos succès. L’erreur est une marque de faiblesse que l’on préfère cacher. On a honte de nos fautes d’orthographes. On est embarrassés de se faire corriger sur une information incorrecte. Avoir un jugement précipité sur une personne ou un événement, cela vous est sûrement arrivé parce que personne n’est infaillible. Mais si personne n’est infaillible, alors tous les humains commettent des erreurs. C’est curieux d’avoir honte de faire ce que tout le monde fait. Non ?

Avons-nous un jugement erroné sur l’erreur ?

Beaucoup de grands penseurs ont écrit sur l’erreur. Ils se sentaient très concernés. Après tout, Descartes a dit quelques sottises.  Sur l’animal-machine, il s’est planté. Aristote nous a légué des façons de voir la nature qui ont dû attendre un Darwin pour les remettre en cause. Sur la hiérarchie du vivant selon une échelle des êtres, Aristote a fait une jolie boulette. Et pourtant ces hommes étaient redoutablement intelligents.

Plus vous pensez, plus vous écrivez, plus vous travaillez à décrire le monde, plus vous dites d’inepties, parce qu’il n’y a que ceux qui ne font rien pour ne jamais fauter.

Or, justement l’erreur n’est pas la faute

« J’ai commis une erreur » disent souvent ceux qui se sont rendus coupables d’une faute. La faute, c’est dire une parole ou commettre un acte injuste, mauvais, immoral, illégal en connaissance de cause, là où l’erreur est innocente. Si l’on confond la faute et l’erreur, on ne peut plus pardonner l’erreur. Or on ne fait rien de nouveau, rien de très grand dans la vie si l’on n’accepte pas de se tromper souvent et de se corriger toujours.

Pour éviter de se tromper sans le savoir, on a inventé la science. La science consiste moins à avoir raison, qu’à savoir quand on se plante.

« La science consiste à faire des erreurs en public. » Daniel Dennett

On a d’ailleurs, à cet égard, inventé la marge d’erreur qui porte très mal son nom puisqu’en réalité c’est une marge d’incertitude. Quand les calculs sont bons, et donc exempts d’erreurs, alors on sait que le résultat est contenu dans cette marge d’incertitude.

« La quantité d’incertitude qu’un homme est capable de supporter. », pour Kant, c’est la définition de l’intelligence. C’est en tout cas le bon moyen d’apprivoiser l’erreur et de lui reconnaitre le mérite d’ouvrir la porte à des découvertes insoupçonnées.

Trompez-vous braves gens. Trompez-vous ! Il en restera toujours quelque chose.

 


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