Fake news, post vérité… la pensée critique face au néo-obscurantisme (Conjuration Open source 3)

Enregistré au Festival de Géopolitique de Grenoble le 17 mars 2018

Editorial par Thibault Renard

 

S’il ne saurait en être l’inventeur, Donald Trump et son élection semblent constituer le marqueur d’une entrée dans l’ère de la « post vérité ». Quelle pensée critique face à ce « néo-obscurantisme » ? Où en est la communauté sceptique américaine ?

La notion de « néo-obscurantisme » n’a pas surgit avec Donald Trump. Il s’agit même d’une idée plutôt ancienne. Pour Pierre Bourdieu, « L’obscurantisme est revenu mais cette fois, nous avons affaire à des gens qui se recommandent de la raison. Face à cela, on ne peut pas se taire. »[1] Le néo-obscurantisme renvoie selon les auteurs à des réalités parfois différentes, mais la mutation et l’intégration de la science elle-même dans le discours revient régulièrement. En science-fiction par exemple pour Asimov, le « néo-obscurantisme » doit ses succès à la facilité d’adhérer à une vision du monde toute faite et sécurisante, dogmatique, n’autorisant pas de déviation, et surtout qui « vous évite la pénible nécessité de penser ». Ce simplisme s’oppose à l’esprit scientifique, qui doit être ouvert et attentif à la nouveauté, prêt à remettre en cause son acquis, à le revoir et le modifier, pour l’avancement de la connaissance.[2]

Dans le débat public actuel, les termes sont plutôt utilisés pour désigner des personnes qui seraient réfractaires au « progrès » (OGM, principe de précaution, etc.)[3]. Pour Jean-Michel Blanquer, futur Ministre de l’Education « on ne peut rester à l’écart des progrès de la science et ne pas chercher à bénéficier de ses apports. Ce serait du néo-obscurantisme. Je m’inquiète quand j’entends certains se rapprocher de ce néo-obscurantisme, souvent parce que la démarche scientifique a pu invalider certains de leurs postulats. »

Tous font néanmoins donc le constat d’une profonde mutation. Si les formes et la finalité diffèrent, la pierre angulaire semble l’être le rejet de l’approche scientifique, rejet non pas fondé (au premier abord) sur un dogme auquel il faudrait croire à tout prix, mais sur un discours qui sème le doute plutôt que chercher la conviction, mise sur la confiance plutôt que la compétence, joue les émotions contre la raison, la simplicité contre la complexité, etc.  Plus qu’un renouveau du dogme, le néo-obscurantisme semble se caractériser par un « contre-discours », à l’œuvre aujourd’hui sur les réseaux sociaux.

La « post-vérité » («Post-truth») est un peu plus récente puisque son utilisation date du milieu des années 2000. Mais à l’issue du Brexit et de la victoire de Donald Trump, elle est choisie comme mot de l’année 2016 par l’Oxford Dictionary (et entre en 2017 dans le Petit Larousse et le Robert illustré), où il s’agit «des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles».

Avec l’élection de Donald Trump s’ouvrirait donc l’ère de la « Post vérité ». L’élection de Donald Trump marquée par les fake news, les « faits alternatifs », le discours complotiste contre les médias et le système… semble en effet marquer aux Etats-Unis la victoire d’un néo-obscurantisme entrainant et fédérant dans son sillage les communautés conspirationnistes, climato-sceptiques, créationnistes… Cependant, Donald Trump n’est l’instigateur d’aucune de ces initiatives ou communautés, qui existaient bien avant lui.

Il faut malgré tout reconnaître que 2016 a marqué un tournant : la rencontre entre une volonté et des moyens politiques (Trump, ainsi que la cyberstratégie de la Russie), un contre-discours mûri au fil du temps et dirigé contre l’esprit critique et scientifique, ainsi qu’un nouveau média : les médias sociaux.

Face à ce contre-discours, cette disproportion de moyens, cette prime à l’émotion et l’immédiateté, la pensée critique et la démarche scientifique doivent-elles à leur tour se renouveler et inventer un « néo-scepticisme » ? Quelle attitude adopter sur ce nouveau champ de bataille que sont les réseaux sociaux ? Quelle est la situation actuelle de la communauté sceptique américaine ?

Ces questions seront abordées à travers une table ronde mettant en avant des vulgarisateurs européens et francophones de la pensée critique et de l’esprit sceptique présents sur le web, et particulièrement les médias sociaux :

  • Christophe Michel (France), de la chaine Youtube « Hygiène mentale »
  • Thomas Durand & Vled Tapas (France), de la chaine Youtube « La Tronche en Biais »
  • Jean-Michel Abrassart (Belgique), du balado-podcast « Scepticisme scientifique »
  • Ariane Beldi (Suisse), du site internet « Simplement correct ».

[1] Emission  «Fin de siècle», du 31 janvier 1999.

2 « Le message d’Isaac Asimov », Jean-Pierre Thomas, Sciences et Pseudo Sciences n° 198, juillet-août 1992

3 « La France, malade du néo-obscurantisme », Irène Inchauspé, L’Opinon, 17 Février 2014

1 réponse
  1. Stemy
    Stemy dit :

    Je ne suis pas d’accord avec l’idée de laisser proliférer les fake news au nom de la liberté d’expression, parce que justement, elles tombent très souvent dans ce que la diberté d’expression interdit, tel que la diffamation, la calomnie, l’incitation à la haine, au meurtre, voire au génocide. Ceci en plus d’être un danger extrêmement grave pour la santé publique, la démocratie et les libertés individuelles. J’imagine que si M. Christophe Michel était lui-même la cible d’une fake news particulièrement infâmante, il arrêterait d’en défendre l’existence.

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