Réponse aux critiques sur les zététiciens

La pratique de la zététique n’améliore pas beaucoup les individus. Ils restent biaisés, ils gardent leurs défauts, ils raisonnent parfois (comme tout le monde), avec leur émotions*. De temps en temps, ils jugent trop vite, ils sont récalcitrants à admettre leur torts, et même, quelquefois, ils perdent patience. Je m’inclus dans tout cela.

[* Et ce n’est pas forcément un problème d’ailleurs, mais on en parlera une autre fois…]

Certains ont un humour désolant et refusent de comprendre que l’humour peut aussi être le véhicule de stéréotypes et d’agressions plus ou moins involontaires. Ils se prennent alors un peu vite pour des Pierre Desproges en travestissant son « on peut rire de tout » et en qualifiant de fragiles ceux qui aimeraient qu’on garde les blagues oppressives et dépréciatives à l’intérieur d‘un cercle où l’on connait au moins un peu ce que vivent les personnes qui sont réceptrice de ces blagues, parce qu’il faudrait éviter de croire qu’on est totalement non-responsable du mal qu’on fait aux autres en balançant des blagues qui réveillent des traumas. En somme le Zét peut être un beauf. J’en ai vu. Mais il y a des beaufs, des insensibles, des « on peut plus rien dire » dans toutes les strates de la société. Le zététicien est un mec assez normal finalement. Et la zététicienne aussi. Comme tout le monde, ils devraient faire un peu plus d’effort dans ses rapports avec les autres.

Cela étant admis, n’oublions pas que les praticiens de la zététique ne prétendent pas être parfaits ou non biaisés ou plus savant que les autres, et qu’il suffit de se rappeler qu’on est tous humains pour se pardonner nos petites défaillances.

Néanmoins, je constate qu’il y a un comme un contentieux avec le mot zététique. En tout cas sur Twitter. Et d’emblée je tiens à rappeler que Twitter n’est pas le fidèle reflet du monde, mais un lieu où l’on entend d’abord les plus motivés, les plus polarisés, les plus clivants ou les plus toxiques. Je ne veux donc pas donner à ces critiques une importance qu’elles n’ont pas, mais je pense utile de voir ensemble si on est en mesure de leur apporter une réponse.

Sur ce réseau, on s‘engueule beaucoup et quand le mot zététique est décoché, c’est quasiment à chaque fois soit par quelqu’un qui se réclame de cette démarche, soit par quelqu’un qui la critique.

Le problème c’est que se réclamer de la zététique sur un réseau où la parole est morcelée en petits ilots de 280 caractère si facilement exploitables hors contexte, c’est courir le risque d’adopter un style beaucoup trop abrupt, faute d’avoir l’espace nécessaire pour affiner sa pensée avec tous les modulateurs qui ajoutent les nuances sans lesquelles on a vite l’air pédant et fermé.

On a tôt fait par exemple d’avoir un propos qui ressemble à un appel à l’autorité « je suis zététicien, donc… » ou alors « je connais la zététique, moi, alors je sais que…». Pire, on se rend parfois réellement coupable de raccourcis fautifs et de jugements hâtifs en raison des bris de mots auxquels sont réduites les conversations. J’invite donc chacun, moi y compris, à prendre soin de ne pas tomber dans ces travers. Et j’invite ceux d’entre vous qui ont eu quelques malheureuses expériences avec quelqu’un se réclamant de la zététique de se retenir d’en conclure que « ces gens-là, ils sont tous pareils, on les connait. Ils ne valent rien, moi je le sais bien j’en ai vu deux ! » parce que ce faisant votre jugement en rappelle d’autres auxquels vous n’avez pas envie d’être comparé·e.

Si on cherche les mots zététique ou zététicien sur Twitter, on tombe sur quelques catégories de critiques auxquelles je souhaite répondre.

1. Les vitupérations

Il y a d’abord les flots de vitupérations ordurières de la complosphère qui a identifié assez finement que la zététique est l’antithèse du conspirationnisme, et que s’ils veulent avoir raison, il faut que nous ayons tort. Je vous rappelle cette nuance à laquelle je tiens : « la zététique c’est l’art du doute. Le conspirationnisme c’est la mécanique du soupçon » (Quand est-ce qu’on biaise, 2019). Mine de rien c’est très différent. Les vitupérations et agressions viennent aussi des tenants-croyants dans les récits ou théories que la sphère sceptique égratigne ou atomise.

On ne pourra pas faire grand-chose contre ce tribalisme, puisque ce jugement repose sur un diagnostic d’opposition qui me semble plutôt exact. Mais je dois préciser qu’à titre personnel je ne suis pas l’ennemi de ceux qui croient dans un complot farfelu ou une théorie saugrenue ; je pense qu’ils sont en quelque sorte infectés par un virus mental qui les pousse à rejeter la parole sceptique. Et mon ennemi, si j’en ai un, c’est ce virus, cette baliverne toxique. Dans notre travail, nous nous autorisons à critiquer toutes les idées et nous devons les distinguer des individus.

2. « Les zététiciens croient détenir la vérité et parler pour la science »

Je ne connais pas de gens qui prennent la parole et vous disent : « ne tenez pas compte de ce que je raconte, c’est rien que des conneries » Evidemment quand on déclare quelque chose publiquement, on a tendance à penser qu’on a raison de le faire. Faire croire que les zététiciens auraient pour trait distinctif de penser avoir raison plus que les autres, c’est mal comprendre ce qu’est la parole zététique, puisque justement elle est avant tout une parole prudente, une prise de recul, une analyse, une critique d’un propos qui contient une assertion sur le réel.

Aucun zététicien ne viendra, en tant que tel, vous embêter si vous n’affirmez rien. Ou alors vous avez affaire à un con. Dans ma bouche con n’est pas une insulte gratuite, ça désigne quelqu’un qui oublie de se poser 3 petites questions avant de parler.

Je dis que c’est un con parce que l’art du doute s’exerce en réponse à des allégations, à la prétention qu’ont certains de savoir une chose. Si les zététciens vous agacent c’est peut-être parce que lorsque vous vous aventurez à affirmer des trucs publiquement, ils ont le culot de vous faire remarquer qu’on pourrait en douter, ils vous demandent des sources pour vos certitudes, voire ils vous mettent sous le nez des travaux qui vous contredisent.

Alors oui ça fait d’eux (ça fait de nous) des gens agaçant. Et à cause de ça il faut qu’on prenne bien soin de ne pas affirmer des choses douteuses nous-mêmes. Mais la relation des zététiciens à la « vérité » passe, par définition, à travers le doute, ce qui fait que ce genre de récrimination tape à côté. La récrimination est valide si avez à faire à quelqu’un qui se prétend zététique pour le seul plaisir de se donner une étiquette sans faire l’effort de se comporter en conséquence. Je propose de ne pas laisser s’installer l’idée qu’ils ont raison de s’approprier ce mot.

Regardez la version vidéo de ce billet de blog

3 « Les zététiciens détestent les sciences humaines et sociales.»

Dans la communauté sceptique, on compte plusieurs courants avec des cultures et des histoires distinctes. Beaucoup de membres ont une formation académique de bon niveau. Il y a des gens issus des sciences exactes / dures appelez-les comme vous voulez… Et qui manquent probablement de culture au sujet des contenus et des méthodes des sciences humaines et sociales. Et puis il y a des gens issus des sciences humaines et sociales qui manquent probablement de culture au sujet des contenus et des méthodes des sciences dures. Tous ces gens sont normalement capables de discuter entre eux et d’échanger sur les nuances de leur perception des questions liées au scepticisme. Dans la réalité des faits, je constate que ces échanges sont parfois compliqués, c’est bien vrai. Il y a peut-être ici un chantier qu’on devrait faire avancer pour que les idées circulent mieux.

Sur la Tronche en Biais, par exemple, nous avons reçu plus d’une centaine de chercheurs et chercheuses, et la majorité sont issus des sciences humaines et sociales. J’estime, en humble docteur ès biologie, que cela contribue peu ou prou à la résolution du problème dont je viens de parler. Les créateurs et créatrices de contenu de la sphère sceptique sont d’horizons variés, ils donnent de la place à diverses disciplines en fonction de leurs affinités et compétences. Et cette diversité est également un élément de réponse, il faut contribuer à sa visibilité.

Pour tout vous dire je ne me sens pas concerné par la critique d’un prétendu mépris des sciences humaines. Quand elle m’est adressée, je comprends que j’ai affaire à quelqu’un qui ne connait pas mon travail. Et alors je passe mon chemin.

4. « Les zététiciens sont des lâches ou des nuls qui ne s’intéressent pas aux vrais sujets ; C’est facile de débunker la terre plate ou l’homéopathie. Où est la critique du gouvernement ou des grandes industries ? »

Si c’était facile de débunker l’homéopathie, on n’en verrait pas dans toutes les pharmacies, à la télévision tous les jours, et dans la moitié des maisons françaises. Cette croyance réfutée perdure, et ce phénomène de persistance est en soi digne d’intérêt. Cet intérêt peut vous échapper, auquel cas on ne vous force pas à regarder, mais évitez d’avoir l’air aussi dépassé que Ronald Reagan qui se plaignait des programmes de recherche en biologie en disant : « Un arbre est un arbre ; combien d’autres arbres avez-vous besoin de contempler ? ». Ce qui est très con, parce qu’un arbre c’est un truc foutrement complexe.

S’intéresser à la croyance dans l’homéopathie c’est utile. Les gens n’y croient pas juste parce qu’ils pensent que ça marche, sans quoi ils demanderaient des preuves ou seraient attentifs aux démonstrations de leur absence. Ils y croient pour autre chose, pour des raisons que vous n’avez aucune chance de comprendre si vous traitez ça par-dessus la jambe.

Et débunker la Terre Plate, ça ne sert pas juste à rappeler des évidences mais au contraire à dire à quel point nos connaissances sur le monde heurtent les évidences. Si on se fie à ses seules perceptions, à son bon sens et à ses expériences personnelles : la Terre est plate, aucun doute possible. Or, la réalité est autre et c’est tout l’intérêt du sujet. Vous avez le droit de ne pas trouver ça intéressant, mais souffrez qu’on vous fasse remarquer que vous loupez l’essentiel et qu’on va continuer à traiter des sujets qui vous semblent inutiles parce qu’il se trouve que nous avons des raisons de penser que c’est en prenant au sérieux les croyances des gens qu’on peut les aider à les remettre en question.

Quant à s’attaquer à la rhétorique des industries ou à la parole gouvernementale, je vous y encourage si vous avez les compétences requises. À notre niveau, sur cette chaîne, nous devons éviter d’avoir la prétention de pouvoir démêler les intentions des gens, nous n’avons pas les ressources pour faire des enquêtes journalistique, alors, nous nous penchons sur les sujets où nous pensons pouvoir faire œuvre utile. Le périmètre de notre action, c’est le terrain sur lequel la science est mobilisée, travestie, instrumentalisée ou niée. Conséquence : nous abordons le champ politique seulement quand la science y est malmenée. Ne nous demandez pas de faire autre chose que ce que nous savons faire.

5. « Les zététiciens sont des idiots utiles du fascisme, ils sont d’une grande naïveté politique. Ils prétendent tous être apolitiques »

Pour finir, il y a cette critique à la mode inspirée par le mantra « tout est politique ». Or, il se trouve que je ne suis pas apolitique. Plus précisément je ne sais pas ce que ça veut dire pour quelqu’un comme moi qui s‘exprime publiquement, prend des positions et a pour profession de militer pour la promotion des sciences et de l’esprit critique. Mon travail est hélas pollué depuis quelques temps par des gens qui exigent, ou bien qu’on politise nos contenus, ou bien à l’inverse qu’on déserte complètement les sujets de société. De vous à moi, ces demandes sont un peu étranges puisque si tout est politique, alors il est impossible de ‘politiser’ ce qui l’est déjà ou de se retenir d’être politique quand on ouvre la bouche.

On ne va pas demander la sensibilité politique d’un chercheur avant de l’écouter nous parler de son sujet de recherche, ça ne veut pas dire qu’on va le croire 100% neutre et objectif. Au contraire, on se doute que ce n’est pas le cas, et c’est pourquoi il sera attentif, et nous aussi, à tous les signes que sa parole repose bien sur des données fiables, sur une démarche honnête, sur des protocoles validés… Bref on va pouvoir se fier à sa parole si elle répond aux exigences de la méthode la mieux établie pour la débarrasser des biais potentiels. Et ça, ce n’est pas être apolitique, c’est être méthodique et prudent.

J’aimerais revenir sur la prétendue naïveté politique de la zététique et du scepticisme. Les croyances sur lesquelles nous travaillons partagent des mécanismes communs.

  • Le créationnisme, le conspirationnisme, le négationnisme, la pseudo-archéologie et la réécriture de l’histoire à travers des récits nationaux sont des phénomènes plus proches qu’on pourrait le croire à première vue. Ce serait peut-être une bonne idée d’essayer de les comprendre.
  • Le recours à l’homéopathie, aux médecines alternatives est fortement lié à certaines dérives sectaires, à l’antivaccisme, à l’opposition aux masques en pleine pandémie, aux récits alternatifs sur le virus,… etc. Et tout cela a des conséquences très sérieuses sur la santé publique. En zététique on l’a compris depuis pas mal de temps.
  • Analyser l’homéopathie ou les croyances dans les « preuves du paranormal » ça éclaire les mécanismes d’adhésion à des discours qui nient la réalité. Si ça se trouve, ce serait utile politiquement. Les militants politiques pourraient apprendre des choses de ces mécanismes.
  • Analyser la contagion psycho-sociale des récits d’ovnis, la sociologie des adhésions aux théories farfelues comme l’énergie libre ou la biodynamie nous en dit long sur la manière dont circulent les idées, indépendamment de leur véracité mais conformément à l’attrait qu’elles exercent.

Quand on prend tout ça en considération, on se demande où est la naïveté. Parce qu’à trop vouloir rappeler que « tout est politique » on en oublierait presque que le politique n’est qu’une instance d’un ensemble plus global que sont les représentations du réel. En réalité tout est croyance et certaines croyances seulement ont des modalités qui se développent dans le champ politique. Or, comprendre la dynamique des croyances, les phénomènes de contagion, de réactance, de fermeture doxastique, c’est quelque chose qui intéresse la zététique et qui pourrait sans doute aider des militants à éviter de croire que leur grille de lecture personnelle est en mesure de couvrir tout le champ du réel.

Quand on met ainsi les choses en perspective, on en a peu marre de l’arrogance de certains militants politiques qui agissent tels des adeptes éveillés, certains d’avoir compris mieux que tout le monde les rapports de force entre les humains, et qui cherchent à imposer à tous la géométrie de leur grille personnelle d’analyse du monde

Moi je pense que vous devriez douter de votre grille de lecture. Comme nous. Il se trouve que c’est notre vocation. Je ne vous ferai pas la leçon sur la manière dont fonctionne la dimension politique de la société, j’admets mon ignorance relative sur ce chapitre. En retour j’apprécierais qu’on nous lâche un peu quand on s’intéresse à des aspects de la réalité dont le champ politique n’est qu’une facette mineure qui ne mérite pas de tout phagocyter.

Il est bien possible que je manque de culture politique pour aborder de la manière la plus pertinente possible certains sujets. Heureusement, les zététiciens prétendent rarement avoir totalement épuisé les tenants et aboutissants d’un thème. Mais il est fort possible également que ceux qui focalisent leur critique du mouvement sceptique sur la dimension politique qu’ils veulent le voir assumer manquent un peu de compréhension sur ce que ce mouvement est en réalité.

Le mot « zététique »

Un dernier point pour vous demander de ne pas renoncer à utiliser le mot zététique juste parce certains l’emploient mal ou que d’autres cherchent à le diaboliser. Ne laissons pas les nuisibles décider du sens des mots. Les militants le savent bien du reste, c’est une leçon qu’ils peuvent nous donner. Ils ne renoncent pas au mot féminisme par exemple, quand bien même il provoque parfois des réactions de rejes à cause des caricatures dont il fait l’objet. Je continuerai à utiliser le mot zététique pour décrire ce que je fais, et si vous avez envie de faire quelque chose qui mérite d’être appelé zététique, alors faites-en autant. Mais si vous voulez juste vous fritter sur les réseaux sociaux avec des gens dont vous voulez moquer les idées, alors s’il vous plait, choisissez un autre mot.

Inventez le vôtre. L’alternative est féconde !

2 réponses
    • Romain
      Romain dit :

      intéressant, ton blog, mais très (trop?) incisif, du débunking au bulldozer. Mais certains l’auront cherché…
      C’est à Hypatie que fait référence Mendax dans « réponse à une maman antivax »?

      Répondre

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