La chaîne aborde sur un ton décalé dans la forme mais sérieux sur le fond les raisons qui font que notre lecture du monde est souvent bancale.

Invités : Clément de la chaîne Climen.

Emission enregistrée le 17 mai 2016.

Editorial

 

Il y a un truc pour flairer le piège, détecter l’entourloupe, débusquer la duperie, c’est l’explication monocausale.

Les pseudomédecines ont généralement leur explication monocausale à tout ce qui vous perturbe. Souvent ce sont les ondes et les énergies, parce que c’est évocateur et invisible, alors c’est pratique pour impressionner à peu de frais. Et donc ce sont vos shakras qui se bouchent, vos méridiens qui s’affaiblissent, votre aura qui périclite, et on peut tout réparer avec de la méditation, des aiguilles plantées là où il faut ou du feng shui, moyennant finance. Mais cela peut aussi être votre psychisme et sa charge émotionnelle qui est en cause, les non-dits, les blessures intimes, et alors la psychologie trans-générationelle va vous soigner à coup de régression vers la vie de vos ancêtres. La psychanalyse, elle, va vous aider à vous inventer de faux souvenirs de maltraitance afin d’avoir enfin une raison d’aller mal. Pour d’autres tous vos problèmes viennent de votre posture, toutes les solutions sont dans votre voûte plantaire ou tout passe par la détoxification.

Chez Thierry Casasnovas et son site Regenere.org, le monde moderne agresse votre corps et toutes les maladies sont dues à l’acidification et aux toxine. Vous pouvez les combattre avec du jus de fruit, ou de légume obtenu à l’aide d’un extracteur de jus vendu sur la boutique du site (jusqu’à 1000 euros). Vous pouvez aussi en profiter pour acheter les DVD ou biens des couteaux, un déshydrateur, des compléments alimentaires et tout un tas de choses, ou bien vous inscrire à des conférences et des formations, le tout géré (c’est écrit en page d’accueil pour éviter les ennuis judiciaires),  par des gens qui ne sont pas des professionnels de la santé ni de la nutrition.

Cette absence de professionnalisme peut se détecter aisément quand on entend monsieur Casasnovas dire que la cellulite est une inflammation due à la toxicité de notre alimentation : que les graisses s’accumulent dans le corps uniquement pour piéger les toxines et les acides que nous consommons, et mille autres choses que nous ne pourrons effleurer ce soir avec notre invité qui a suivi de près les productions de monsieur Casasnovas et estime qu’il est grand temps d’apporter un regard critique et sérieux sur ce qui se dit. Parce qu’on ne fait pas n’importe quoi avec la santé, et que pour savoir si celui qu’on écoute sait de quoi il parle, on n’a pour le moment pas inventé mieux que le diplôme, il faut au moins se méfier de ce monsieur Casasnovas et prêter l’oreille à Climen, qui est vidéaste mais aussi pharmacien. Il a sur ces sujets des lumières que d’autres, comme nous, n’ont pas forcément.

Invités : Dari de la chaîne Temps Mort, la blogueuse Irna, le blogueur Zegatt et Clément Dr en mathématiques.

Emission enregistrée le 19 avril 2016.

Editorial

Scoop ! Nous n’étions pas sur le plateau de Gizeh quand la première pierre de la Grande Pyramide fut posée. Comme vous, sans doute, nous n’avons pas assisté à la construction du Machu Picchu, perché dans les montagnes. Nous n’avons pas vu couler le Titanic, ou se dérouler la bataille d’Austerlitz. Nul ici ne fut témoin de la révolution française ni de l’extinction des dinosaures. Un seul d’entre vous a-t-il seulement jamais posé les yeux sur les Îles Galápagos ?

Cela signifie-t-il que nous ne savons rien sur ces événements ou sur ces lieux éloignés ? Si vous êtes tenté de répondre oui, alors vous vous condamnez vous-même à recommencer tout le travail des savants d’aujourd’hui et d’hier. Vous devrez calculer vous-même le diamètre de la Terre et sa distance à la Lune et au Soleil avant de pouvoir admettre le système héliocentrique. Mais il vous faudra encore retrouver par le calcul et l’expérimentation les règles par lesquelles on établit la température et la composition d’une étoile à partir du spectre de la lumière émise. Vous devrez voyager dans le monde entier pour vous assurer de l’existence de Tokyo, de l’Afrique et du kébab au coin de la rue Jeanne-d’Arc. Et pour ce qui est de Jeanne d’Arc vous la rangerez dans la fiction tant que vous n’aurez pas lu, sans l’aide d’aucun traducteur, la totalité des documents d’archive relatifs à son existence mais aussi les documents qui attestent ou questionnent l’authenticité de ces archives. Naturellement, il vous aura fallu auparavant dater avec certitude les documents et pièces archéologiques à l’aide d’appareils de radiométrie que vous aurez non seulement calibrés mais encore conçus vous-même sur la base des connaissances de physique et d’ingénierie que votre scepticisme absolu vous aura obligé à acquérir tout seul. Il va sans dire que vous aurez dû pour cela inventer le feu, la métallurgie et toutes les techniques permettant de fabriquer les outils nécessaires à la conception de ces machines extrêmement précises.

S’il vous reste du temps, vous pourrez disséquer toutes les animaux et les plantes que vous croiserez pour réapprendre par vous-même les sciences biologiques. Et une chose est sûre et certaine, jamais vous ne direz un traître mot sur la conception des Pyramide si vous n’êtes pas allé en Egypte.

D’un autre côté, si vous admettez que la science est en bonne partie cumulative, qu’elle est un ensemble de propositions cohérentes qui permettent de construire une vision du monde globalement fiable, vous pourrez en référer à la parole des experts. Vous pourrez dire qu’il est à peu près certain qu’un astéroïde tombé dans le Yucatan il y a 65 millions d’année à éradiqué un grand nombre d’espèces de plantes et d’animaux, même si vous n’y étiez pas. Vous pourrez vous appuyer sur les travaux de tous ceux qui vous ont précédé et se sont posé les mêmes questions que vous. Que vous soyez dans le Cantal, en Californie, à Calcutta ou à Caracas il vous suffira d’ouvrir un livre, une revue ou un document scientifique pour connaître les dimensions des Pyramides avec exactitude, l’emplacement et l’orientation des pièces archéologiques trouvées dans telle ou telle tombe, les diverses versions des traductions des cartouches et tout une multitude de faits que des gens intelligents ont interrogés avant vous pour établir des théories. Sans qu’il soit nécessaire de vous déplacer sur la Lune, vous pourrez jouir des connaissances rapportées par ceux qui s’y sont rendus.

Si vous êtes dans cette disposition d’esprit vous aurez alors l’humilité de ne pas prétendre réinventer l’eau chaude à chaque fois que vous ouvrez la bouche. Vous aurez alors un peu plus de considération pour le travail des anciens. Vous aurez sans doute une meilleure compréhension de la nature de ce qu’on appelle une « preuve scientifique », et nous reviendrons ce soir sur ce sujet avec Dari Beliakhov. Vous comprendrez comment on peut donner un âge à un édifice comme la Pyramide de Khéops, et Irna viendra nous l’expliquer. Vous serez en mesure de comprendre pourquoi ce qu’on appelle les pyramides d’Amérique n’ont finalement rien à voir avec les tombeaux géants qui bordent le Nil, et Zegatt viendra dans l’émission nous le montrer.  Vous disposerez d’un vaste corpus de connaissance grâce auquel vous pourrez vous protéger contre les illusions que peut produire le hasard et la rhétorique de ceux qui veulent vous manipuler, et c’est de cela que viendra nous parler notre quatrième invité, Clément.

C’est donc émission en quatre parties à laquelle nous vous convions ce soir.

Invités : Rodolphe Meyer qui a rédigé un article sur ce sujet.

Emission enregistrée le 3 mai 2016.

Editorial

L’an Mil et le jugement dernier, l’an deux mille et le bug géant, l’apocalypse nucléaire de l’affrontement des deux blocs, le choc des civilisations, la théorie du grand remplacement, le 21 décembre 2012… les scénarios de fin du monde ne manquent jamais à l’appel. À chaque époque son lot d’histoires à faire peur. Alors cette histoire de changement climatique, de pollution, de limites des ressources naturelles, finalement voilà qui ressemble à un nouvel avatar du fantasme catastrophiste dont nous aimons nous délecter secrètement, pour éprouver le plaisir coupable de penser vivre les derniers moments de joie de notre si décevante espèce.

Pourtant il se pourrait bien qu’il y ait une réelle différence. Non pas qu’on veuille vous faire peur, car on réfléchit mal quand on a peur et on a plutôt envie que tout le monde réfléchisse correctement, mais… La surpêche, la déforestation, l’accumulation des polluants dans l’eau et le sol et l’impact général de l’activité humaine sur le climat ne sont pas des lubies, il s‘agit d’une réalité constatée par ceux dont le métier est de constater les choses et de vérifier s’ils ont bien constaté sans se gourer ; on appelle aussi ça des scientifiques. Il y  a un an une étude (en partie financée par la Nasa et injustement attribuée à cette agence) annonçait un effondrement de notre civilisation actuellement pour 2040. S’agit-il d’une nouvelle prophétie angoissée, de l’histoire à faire peur sélectionnée par nos contemporains pour avoir l’impression de vivre une époque intéressante ? Ou bien ferions-nous mieux de prendre cela au sérieux ?

Eh bien il y a d’un côté les sciences de l’environnement qui depuis longtemps nous disent que les écosystèmes dont nous dépendons ne sont pas là de toute éternité et qu’ils n’ont aucune obligation légale de continuer à exister dans le seul but de maintenir notre petit confort. Il y a des données scientifiques qui nous disent clairement que nous puisons copieusement dans des ressources que nous ne savons pas renouveler et que nous réussisons à épuiser, petit à petit les renouvelables… Et de l’autre côté il y a l’économie, la science qui étudie la production et la consommation des biens et des services. Et elle nous dit que le mode de fonctionnement de nos sociétés est juste complètement déraisonnable, et que la fragilité des écosytstèmes n’est rien à coté de celle de nos économies.

Tout a une fin, nous sommes dans un monde fini, on peut donc s’attendre à voir chuter notre civilisation. Peut-etre même est-il trop tard pour l’empêcher. Ca ne veut pas dire qu’on ne puisse rien faire aujourd’hui qui ait un réel impact, une réelle importance dans vingt, trente ou cent ans.

Pensons un peu à demain en recevant notre invité, Rodolphe Meyer, qui est doctorant en sciences de l’environnement et qui tient une chaîne YouTube dédiée aux questions que nous allons évoquer ce soir : le Réveilleur.

Invité : Nicolas Vivant de l’Observatoire Zététique.

Emission enregistrée le 8 mars 2016.

Editorial

La zététique ne consiste pas à se jeter sur les gens pour leur interdire de croire dans les esprits, la télépathie ou le vaudou. Etre zététicien, ce n’est pas être un inquisiteur ni un Science Justice Warrior, un prescripteur de ce qu’il faut croire à quelle heure et dans quelle position. La zététique, c’est une méthode que l’on utilise pour distinguer le vrai du faux tout en s’efforçant de se rappeler qu’une vérité absolue ça n’existe que dans les compte de fée et les livres sacrés qui jugent la vie humaine moins importante que le respect d’un interdit alimentaire.


Par définition même, le zététicien ne peut pas être dogmatique et il doit donc douter a priori de ce qui est avancé. Mais le doute n’est pas une fin en soi, sinon autant appeler cela la religion du doute et établir que le dogme est de douter de tout, ce qui ne nous conduirait pas très loin. Le doute n’est qu’un outil dans notre attirail, un outil puissant et tranchant à manipuler avec précaution. Le but de la démarche est de dépasser le doute et d’aboutir à une opinion éclairée.

Or donc quand on vous dit qu’un cataplasme peut soigner une scoliose, que du nitrate d’argent combat les ulcères ou que l’astrologie peut prévoir les cracs boursiers, il s’agit de déclarations sur la manière dont fonctionne le monde, et ce sont des choses que l’on peut tester. La zététique consiste en cela : tester ces allégations. Décrire le phénomène attendu, construire un protocole permettant de vérifier si c’est conforme au réel. Et même mieux que cela, la zététique de terrain, c’est s’adresser à ceux qui pensent pouvoir prouver l’existence d’un phénomène extraordinaire ou franchement paranormal, et leur donner l’occasion de mettre ces idées à l’épreuve de l’expérimentation.

Jusqu’à preuve du contraire, tout ce qui affecte le monde dont nous faisons l’expérience est accessible à l’expérimentation scientifique, pourvu que l’on sache développer un protocole suffisamment subtil et prudent.

Et c’est un peu le travail de notre invité de ce soir. Il gère la préparation et l’exécution des expériences sur des phénomènes présumés paranormaux au sein de l’Observatoire Zététique, et il va nous raconter comment cela fonctionne… Bonsoir, Nicolas Vivant.

Invités : Olivier Bernard, alias le Pharmachien.

Emission enregistrée le 5 avril 2016.

Editorial

L’Amérique !

Nouveau monde, Eldorado, dernière frontière, Terre de tous les possibles. Pour d’autres symbole de la décadende occidentale, terre du créationnisme et des communautarismes… En tout cas l’Amérique laisse peu indifférent de nos jours. Nous, habitants de la vieille Europe, avons quelques complexes envers ces grands pays de l’ouest, anglophones modernes, puissants et c’est peut-etre pourquoi nous sommes si durs dans notre jugement et les accusons trop volontiers de manquer de culture, d’ouverture ou de bon sens.

En matière de scepticisme aussi, des préjugés nous guettent sans doute, et des préjugés sur le scepticisme c’est comme un juron dans la bouche de la reine d’Angleterre, ça n’a pas sa place. On n’est pas forcément sceptique de la même chose de part et d’autres de l’Atlantique parce que les sociétés n’ont pas exactement les mêmes problèmes. Certes, on y trouve le paranormal, les religions, les pseudomédecines, les sectes et quantités de bullshit et de démagogie dans les sphères politiques. On y retrouve le même type de presse de caniveau et des théories du complot. Est-ce qu’on y répond de la même manière ?

Les québecquois ne sont pas n’importe qui, ils ont le forum des sceptiques du québec et un dictionnaire sceptique fort bien fichu (d’ailleurs nous saluons Klod : Salut Klod !). Et ils ont un pharmacien pas comme les autres qui a décidé de prendre les armes contre les superstitions et autres pensées magiques qui ont trait à la santé et au monde médical. Ce pharmacien, c’est le Pharmachien, et il est notre invité ce soir en direct depuis Montréal. Il est l’auteur d’un livre sobrement intitulé le Pharmachien. Et d’un deuxième dont le titre est une jolie trouvaille : le Pharmachien 2. Vous pouvez en tout cas vous régalez des bandes dessinées pertinentes et caustique sur son blog et ainsi partager autour de vous le salvateur esprit critique pour lequel il oeuvre si bien.

Avec lui ce soir, nous allons évoquer le métier de pharmacien qui ne se pratique pas de la, même manière en France et au Canada, mais pas sans dire un mot des choses qui fâchent : ces médecines alternatives auxquelles votre tante Simone ou vous-même avez parfois recours. Nous essaierons d’avoir un regard croisé sur la zététique d’ici et le scepticisme de la bas, et puis nous nous demanderons sur quel ton on doit s’adresser au public et aux personnes qui adhèrent à des croyances qui s’opposent à ce que la science nous apprend.

Entrons dans le vif du sujet avec Olivier Bernard le Pharmachien

Plan de l’émission

  1. La spécificité du pharmacien du canada ?
  2. Regard sur le scepticisme en Europe.
  3. Approche des pseudomédecines : quel ton employer ?

Invitée : Xavier Ristat, Vulgarisateur et auteur du blog Cygnification.

Emission enregistrée le 23 février 2016.

Editorial

 

Parmi les obsessions humaines, celle de comprendre les autres humains occupe une place de choix. Et c’est heureux, car nous comprendre les uns les autres est ce qui rend possible de vivre en société. Mais, évidemment, tout désir de sens, de signification, nous met face au danger de la sur-interprétation, et nous avons ainsi vu passer au fil des siècles et des millénaires, les haruspices, les medium, les astrologues, les phrénologues, les graphologues et quantité d’autres personnes convaincues de lire dans tel détail négligé par les autres les signes qui permettent de décoder ce que pense autrui, ou ce qu’il désire.

L’idée n’est pas absurde, et de fait la science s’intéresse à la manière dont notre corps peut exprimer des choses à notre insu. Malheureusement ce champ disciplinaire est très peu vulgarisé, et on peut constater que ceux qui parlent du non-verbal sur le net ont tous quelque chose à vendre et tout plein de promesses comme vous apprendre à : « vous bâtir un impact irrésistible grâce à votre langage corporel. »

La méfiance est de mise, quand on sait que l’inventeur de la Synergologie, pseudoscience du non-verbal, ne se défend contre les critiques légitimes apportées à sa discipline que sur le terrain judiciaire, jamais sur celui des faits, des études, bref de la science. Cette manière de se défendre et de se victimiser n’est pas sans rappeler la manière dont les dérives sectaires s’organisent.

Petite parenthèse  : gardons-nous d’accuser sans preuve, de jeter l’anathème sur quiconque, car même les dérives sectaires peuvent avoir pour origine une démarche sincère, et le désir de bien faire. Il n’est donc pas question ici d’accuser les uns ou les autres d’escroquerie, de mensonge ou de manipulation, même s’il est légitime d’avoir des doutes à ce sujet.

Nous n’allons pas ici questionner l’honnêteté ou la psychologie des experts auto-proclamés du Non Verbal, mais leur méthode de travail et la manière dont ils apportent des réponses aux questions que pose leur pratique. Il est important de le faire car les pseudosciences sur le décryptage du comportement humain ont leurs entrées dans les tribunaux de certains pays, sont utilisées par certains recruteurs, et séduisent, évidemment, les individus en quête de plus d’estime d’eux-mêmes, et de sécurité. Bref, ces doctrines ont un réel pouvoir et elles sont potentiellement d’autant plus nocives qu’on ne peut pas en prouver ou en réfuter les principes.

Pour y voir un peu plus clair, nous recevons Xavier Ristat, qui connait bien le sujet pour avoir été synergologue lui-même avant de prendre du recul et d’appliquer la pensée critique à ce qu’il pensait savoir.

Une certaine vision du monde

Moins rationnels que nous le pensons, nous défendons nos idées pour tout un tas de motifs affectifs et nous cherchons toujours à conserver une apparence de cohérence dans l’image que nous faisons de nous-même et du monde qui nous entoure. De manière générale cela fait de nous des êtres fonctionnels, capable de nous organiser en sociétés et en civilisations. Bon an, mal an ça marche. Sauf quand ça dérape, sauf quand les préjugés qui sont aux commandes deviennent des barrières à notre épanouissement. Et ces préjugés trouvent une partie de leurs origines et du pouvoir qu’ils ont sur nous dans le biais essentialiste auquel nous ne pouvons espérer échapper qu’au prix d’efforts constants.

Sixième épisode.

Nous voyons le monde à travers une grille de lecture qui n’est pas seulement culturelle et personnelle, mais qui est encodée dès notre plus jeune âge, probablement de manière instinctive : nous rangeons les objets et les êtres qui nous entourent dans des catégories qui nous aident à comprendre le monde. Mais dans le monde contemporain complexe, ces catégories se retournent contre nous, et nous voici les victimes d’un essentialisme qui nous fait croire que la simplicité de notre lecture rend justice de la complexité du monde.
Monumentale erreur !

Pour soutenir la poursuite de notre projet, visitez notre page Tipeee : https://www.tipeee.com/la-tronche-en-biais


Quelques références scientifiques sur le sujet

  • Bloom. P. (2010) Why we like what we like. Observer. 23 (8), 3 online link.
  • Morton, T. A.; Hornsey, M. J.; Postmes, T. (2009). « Shifting ground: The variable use of essentialism in contexts of inclusion and exclusion. ». British Journal of Social Psychology 48 (1): 35–59. doi:10.1348/014466607X270287.
  • Richardson (2011) Against finality: Darwin, Mill and the end of essentialism. Critical Quarterly. Special Issue: Essentialism in Science and Culture. 53:4, 21–44.
  • Shtulman and Schulz (2008) The relation between essentialist beliefs and evolutionary reasoning. Cognitive Science. 32, 1049–1062.

Invitée : Olivier Dodier, Doctorant en Psychologie sociale & cognitive.

Emission enregistrée le 22 mars 2016.

Editorial

Il parait que la justice, c’est comme la cuisine d’un restaurant : il ne faut pas la regarder de trop près. C’est pourtant ce que l’on va faire, parce que le monde judiciaire présente des similitudes avec le monde de la science. Dans un cas comme dans l’autre on cherche à établir si une proposition est vraie ou fausse : Le boson de Higgs existe-t-il ? Raymond a-t-il tué Barnabé ? Il faut donc, nécessairement, que la démarche des enqueteurs et celle des scientifiques empruntent des chemins similaires. On s’attend à ce qu’ils doivent faire face à des difficultés analogues, à des limites comparables, à des pièges communs.  Il est donc raisonnable de penser que les enquêteurs, dans leur démarche vers la manifestation du vrai, appliquent des méthodes qui, in fine sont celles de la science. Or ce n’est sans pas encore tout à fait le cas.

 

On fait appel à des experts dans les procès, et c’est souvent l’image qui nous vient à l’esprit lorsque l’on songe aux rapports qu’entretiennent la justice et la science. Un homme en blouse blanche qui pointe son index en direction de l’accusé en disant « Oui c’est bien son ADN qui a été retrouvé, donc il est coupable. »  (alors qu’en réalité l’expert peut juste dire si l’ADN d’un individu correspond à des éléments de l’enquête, et rien de plus.)

 

On nous pardonnera la caricature ainsi faite car aucun expert, jamais ne commettrait un tel sophisme. Cependant, on pourrait se demander comment sont choisis les experts qui témoignent devant la justice. En particulier les experts en psychologie qui rendent des rapports sur la base desquels on va juger de la crédibilité d’un témoin, de la propension d’un prévenu à commettre un crime, ou de la responsabilité que l’on peut imputer au coupable. Mesure-t-on le taux d’erreurs et de succès de ces experts ? Publie-t-on les protocoles employés, établit-on un état de l’art sur les méthodes qui fonctionnent et celles qu’il faut laisser derrière-nous ? C’est déjà une série de questions plutot compliquées et lourdes de conséquences, mais la réalité est que la place de la démarche scientifique ne se limite pas à cela.

 

En amont du procès se trouve l’enquête, et mile occasions pour les enquêteurs de commettre des erreurs involontaires dans le traitement des informations et dans l’influence qu’ils exercent eux-même sur leur enquête et sur leurs témoins. Les biais de confirmation sont les ennemis de l’objectivité requise pour ce travail.

Dans les procès d’assise le jury et le juge ont le dernier mot et ils doivent rendre un verdict, mais sait-on s’ils sont bienprotégés contre les biais cognitifs et les influences ?

 

Il est bien possible que les sciences cognitives nous donnent des éclairages sur les processus qui conduisent à des erreurs judiciaires. L’erreur est toujours humaine, elle n’en est pas moins évitable si l’on applique les précautions d’une démarche qui, décidément peut se comparer à la science puisqu’il s’agit d’une recherche systématique de l’erreur. La science peut donner aux professionnels des outils qui les aident à se prémunir contre des erreurs universelles mais lourdes de conséquence.

Et pour en parler, nous recevons Olivier Dodier, doctorant en psychologie sociale et cognitive et vulgarisateur de ces questions sur les réseaux sociaux..

 

Invité : François Theurel, alias Le Fossoyeur de Films.

Emission enregistrée le 09 février 2016.

Editorial

La critique a parfois mauvaise presse. « Arrêtez un peu de critiquer – Y fait rien qu’à critiquer. La critique est aisée, etc. » et on la soupçonne facilement. Trop complaisante, trop virulente, entre bashing et fan attitude, elle a tôt fait de déplaire aux artistes, au public, à ceux qui confondent avoir un avis et faire une analyse.

On oublie parfois que critiquer, ça ne signifie pas dire du mal, c’est un mot qui vient du grec  qui veut dire « juger ».

Juger c’est presque mal en soi à en croire certains fragiles qui voudraient que tout se vaille et qu’on n’ait pas un mot plus haut que l’autre parce que des goûts et des couleurs on ne devrait pas discuter. Mais il est bien possible que ce soit pile l’inverse : des goûts et des couleurs : on ne peut que discuter puisqu’il ne saurait y avoir de vérité unique ni d’avis définitif. A moins de vouloir s’agonir d’injures entre pro et anti-Lynch, ou s’ignorer les uns les autres… Il faut bien en passer par du dialogue.

Et la critique, finalement, est-ce autre chose qu’un acte de communication autour d’une œuvre, du message qu’elle contient, de la manière dont elle a été exécutée, de celle dont elle a été reçue… Si ce n’est pas ça, on pourrait se demander à quoi ça sert de rédiger une critique, de la publier. A quoi bon ? Qu’est-ce qu’on espère ?

Il y a ceux dont c’est le métier, les critiques officiels de la presse qui reçoivent des invitations au spectacle, les plumes estampillées, qui font autorité. Les gens achètent les magasines en partie pour connaître leur avis. La critique est un produit de consommation car il offre un regard particulièrement aiguisé sur une œuvre, et permet de la voir autrement.

A l’autre bout du spectre, il y a le commentaire sur Sens critique ou sur les réseaux sociaux, et les forums : la diatribe ou la dithyrambe et tous les stades intermédiaire. Ainsi, chacun apporte sa voix à la chorale du net 2.0, et le bouche à oreille continue d’être le media le plus utilisé sur Terre

Et puis il y a un entre-deux, quelques voix qui sortent du lot, de nouvelles références qui émergent en dehors des références classiques, et notamment les vidéastes, les youtubers.  On ne compte plus les chaines où il est question de cinéma ou de séries TV, où, avec plus ou moins de bonheur quelqu’un partage avec nous ce que lui inspire tel film.

Mais de la même façon que, sur le marché du conseil, l’offre est largement supérieure à la demande, nous n’avons sans doute pas besoin d’entendre l’avis de tout le monde sur le dernier Tarantino ou le prochain Star Wars. Avoir un avis, même très ferme, très arrêté, très étayé, ce n’est pas la garantie qu’il vaille la peine d’être partagé. Car critiquer, ce n’est pas seulement donner son avis sur quelque chose, c’est aussi expliquer pourquoi l’on pense ce que l’on pense, c’est analyser l’intention de l’artiste et son adéquation avec l’effet obtenu, et cela peut devenir un art à part entière. Le critique, quand il est dans une démarche constructive, c’est-à-dire quand il oublie de prendre les uns ou les autres pour des cons, est le partenaire de l’artiste et du spectateur. Il nous aide à mieux nous comprendre.

Et l’un des plus doués dans cet exercice est avec nous ce soir, c’est François, que vous connaissez sous le nom de Fossoyeur de Films.

Voici un épisode tourné en juillet 2015 et qui aura mis 9 mois à atteindre le stade de vidéo publiée sur le net. Une looongue gestation due à ds limites de temps, de technique, de matériel. On ne voulait pas bâcler le travail. Pour nous faire pardonner ce retard, voici en bonus l’intégralité du script sous forme d’article.

Scepticisme médieval 01


Vled                — Quand on vous dit Moyen-Âge, avouez que vous ne pensez pas tout de suite : ouverture d’esprit, science et rationalisme, lumière ! On a plutôt une image négative de cette époque. Pourtant, le Moyen-Âge ne peut pas être réduit à une ère barbare d’inculture, d’ignorance et de peur. Car ces mots s’appliquent terriblement bien à notre propre époque.

Mendax           — Oui, enfin ça n’est parce que nos contemporains sont moyenâgeux qu’il faut trouver que c’est une bonne nouvelle.

Vled            — Ce n’est pas ce que je dis, Mendax. Simplement les gens de cette époque n’étaient pas si différents.  Ils avaient envie de comprendre le monde qui les entoure, et ils se posaient des tas de question.

Mendax        — J’ai comme un doute.

Vled                — Dans ce cas, allons faire un tour au Moyen-Âge !

Arrivée à Montbazon, forteresse médiévale.

Vled                — Nous sommes maintenant au Moyen Âge, bonnes gens. Regardez ce magnifique autochtone.

Nota Bene    — Arrête tes conneries, Vled.

Vled                — Nous ne sommes pas une chaîne d’histoire, et nous ne dresserons pas une liste exhaustive des grands penseurs du moyen âge, mais nous allons profiter de notre visite aujourd’hui de la forteresse de Montbazon qui date du 10ème siècle, pour essayer de voir quelle était la forme médiévale de la pensée critique. Vous allez voir que ce n’est pas exactement  la même chose que notre démarche scientifique actuelle… et que c’est même assez éloigné du scepticisme et de la zététique.

Mendax — Alors, déjà, commençons par dire deux mots du scepticisme.

Le scepticisme, c’est quoi  ?

Au sens strict, c’est une doctrine philosophique selon laquelle la pensée humaine ne peut déterminer une vérité avec certitude. Cela vient du grec skeptikos, « qui examine ». Et ça remonte à l’Antiquité et à un certain Pyrrhon qui n’a rien écrit qui nous soit parvenu. Déjà à l’époque c’est une philosophie méthodologique et non dogmatique qui refuse de poser des hypothèses métaphysiques. Le sceptique laisse toujours la place à la réfutation des idées.

Cette philosophie rejette toute connaissance douteuse afin de ne surtout pas défendre une opinion fausse et trompeuse qui serait source de malheur. Initialement, le scepticisme était un moyen d’arriver à l’ataraxie et à l’acatalepsie : la tranquillité de l’esprit et l’incompréhension. Ce n’est pas exactement une philosophie de l’ignorance, car affirmer que les choses sont insaisissables, fondamentalement inconnaissables, ce serait dogmatique, ce que rejette le scepticisme, mais le Pyrrhonisme n’était pas vraiment une invitation à expliquer le monde.

Ce courant n’est pas étranger à la pensée Socratique « La seule chose que je sais c’est que je ne sais rien. », et il va faire école en Grèce, notamment avec Arcésilas et sa Nouvelle Académie qui propose le concept de suspension du jugement « Épochè » qui consiste à demeurer sans opinion et à n’accepter que le raisonnable. En l’absence d’une vérité absolue, les sceptiques de la Nouvelle Académie favorisent ce qui est le plus vraisemblable.

Agrippa (1er siècle) peaufine l’école sceptique et entend prouver l’impossibilité de la certitude et la subjectivité de la connaissance. C’est un peu le relativisme avant l’heure, et cela interdit à l’humain d’avoir accès à une vérité qui ne dépende pas de ses préjugés.

Les arguments du scepticisme sont plutôt solides, et les grands penseurs du Moyen Âge vont passer leur vie à tenter de le réfuter.  Le Moyen-âge est donc loi de l’image sale qui lui colle à la peau, c’est une époque anti-sceptique.

Scepticisme médieval 02

Comment ça se passe au Moyen-âge ?

Au Moyen-Âge, la science a le sens de « savoir », et il n’y a pas de « scientifique » dont l’activité professionnelle est de produire de la connaissance. Ce métier n’apparaitra qu’au 19ème siècle. A cette époque, l’ancêtre de la science est la philosophie naturelle, et elle est réalisée par des philosophes.

En occident, le scepticisme est battu en brèche par Saint Augustin au 4ème siècle, puis c’est le silence radio pendant huit siècles.

Saint Augustin (354-430) réfute le scepticisme, et notamment l’idée sceptique qu’il faut s’attacher non pas à connaître la vérité (qui serait inatteignable) mais à estimer la vraisemblance des propositions. St Augustin trouve facile de rejeter cette option en disant qu’il est impossible d’estimer la vraisemblance d’une proposition s’il ne connait pas vérité à laquelle elle doit se comparer. Malin.

St Augustin montre les limites du doute en appliquant un doute hyperbolique, comme les sceptiques. Pour lui, si l’on peut douter de l’existence du monde on ne peut en revanche pas douter de l’existence des états mentaux qui nous donnent l’impression du monde. Ne pouvant pas nier ces impressions, il suffit à Augustin de dire que ces impressions constituent le monde, dès lors le monde existe.

Mendax        — Tu trouves ça convaincant ?

Vled                — Le philosophe faisait autorité. Plus tard dans sa vie, il développe une théorie de l’illumination dans laquelle la simple idée de Dieu garantit l’existence de la certitude.

Mendax        — Euh. Et tu trouves ça convaincant ?

(Tête de Vled)

Mendax        — C’est bien ce qu’il me semblait.


Scepticisme médieval 04

Dans les siècles suivants, il se passe peu de choses sur ce terrain-là, et il faut aller au Moyen-Orient aux alentours de l’an mille pour trouver des philosophes qui s’intéressent au scepticisme. C’est le cas de Alhazen (965-1039), né dans l’actuel Irak en 965. Il est contemporain à la construction de la forteresse de Montbazon.

Alhazen s’intéresse aux illusions d’optique. Il a notamment été le premier à expliquer le paradoxe de la Lune (et du soleil) qui parait plus grande quand elle est proche de l’horizon que lorsqu’elle est haut dans le ciel… Il travaille beaucoup sur le fonctionnement de l’œil[1]. Alhazen est l’un des premiers à comprendre que notre perception du monde n’est pas immédiate mais passe à travers des inférences extrêmement fugaces. Il est donc bien conscient de la faillibilité de la perception sensorielle qui dresse une barrière entre l’humain et la connaissance du monde.

Alhazen n’avait pas de lien direct avec la pensée sceptique, mais son travail  a consisté à constamment douter des connaissances établies sur le monde, c’est donc d’une mise en pratique du scepticisme qu’il s’agit ici. Roger Bacon (1214-1294), qui est considéré comme l’un des pères de la méthode scientifique, s’inspirera des travaux d’Alhazen.

Autre savant d’origine persane, Algazel (1058-1111) cherche à atteindre une connaissance absolue et il commence par lister toutes les raisons pour lesquelles on peut douter de nos connaissances. Il faut commencer par douter de nos sens, et Algazel cite par exemple notre ombre au soleil, qui semble immobile aussi longtemps qu’on la regarde et qui pourtant se déplace sous nos yeux. Il émet également des doutes sur la capacité de la raison humaine à rendre compte du réel.

Un peu à la Descartes, il s’autorise à douter de tout, et il doute notamment de la possibilité de relier de manière certaine les causes à leurs effets… et il se retrouve dans une grande détresse, car il lui semble que le point de vue sceptique est vrai, que la certitude ne peut être atteinte. Désemparé, il est soudain guéri de cette maladie par le sentiment de la nécessité de ses croyances grâce à une lumière projetée dans sa poitrine par Dieu tout puissant.

Mendax     — D’accord. C’est très convaincant

Vled               — Le scepticisme va revenir en occident à la faveur des croisades.

Ici s’inscrit la séquence réalisée par Dave de la chaîne Histoire Brève sur la manière dont les penseurs sont « redécouverts » par l’occident.

Vled           — Et donc les philosophes occidentaux redécouvrent Aristote, les académiciens… et les sceptiques en langue arabe, qu’ils retraduisent en latin.

Scepticisme médieval 05

Il est venu le temps des Universités !

Au onzième siècle, la recherche met le pied hors des abbayes et des monastères ; les premières universités européennes sont fondées : Bologne, Montpellier, Sorbonne, Oxford, Cambridge… Elles reçoivent la précieuse liberté académique qui les soustrait à l’autorité des évêques. À cette époque la langue de la science est le latin, et ceux qui ont accès aux études sont bien souvent des clercs et des religieux. Les universités restent intimement liées à l’Église et soumise à un sévère contrôle afin d’éviter toute hérésie.

Mendax        — Par exemple la recherche des sciences naturelles s’est parfois heurtée à l’idéologie religieuse pour laquelle établir des lois régissant la nature, c’est limiter le pouvoir de Dieu, et c’est donc blasphématoire.

Les théologiens et les philosophes européens vont donc étudier les textes antiques rapportés d’orient et s’efforcer d’en faire la synthèse et d’en adapter la pensée au paradigme chrétien. Et c’est le cas de l’école de Chartres ! [Fondée en 1004] qui devient un pôle intellectuel de premier ordre. Au 12ème siècle, les gens allaient à Chartres pour voir la belle cathédrale, ses vitraux incomparables et un morceau de voile qu’on prétend avoir appartenu à la Vierge Marie herself, mais cent ans plus tôt on y venait déjà car s’y trouvait la plus célèbre académie de France et l’élite des théologiens et philosophes de l’époque[2]. On y étudiait les 7 arts libéraux

Mendax        — Le Trivium & le Quadrivium.

Le Trivium concerne le pouvoir de la langue, il rassemble grammaire, dialectique et rhétorique. Le quadrivium se rapporte au pouvoir des nombres et il se compose de l’arithmétique, de la musique, de la géométrie et de l’astronomie.

Les sept arts libéraux sont d’ailleurs représentés par 7 sculptures sur le portail principal de la cathédrale. Mais à cette époque, et pour encore pas mal de temps, la philosophie naturelle est inféodée à la théologie. L’étude rationnelle de la nature doit permettre de confirmer ce que la théologie dit sur le monde.

Et le scepticisme des philosophes de l’antiquité pose comme un petit problème. Si les sceptiques ont raison et que l’on ne peut avoir aucune certitude sur rien du tout, alors pourquoi écouter l’Église ? Pourquoi ne pas douter du dogme ? Le paradigme théologique avait besoin que les sceptiques aient tort. Les philosophes chrétiens ont donc travaillé à cette fin.

Faisons un peu de name dropping, et commençons avec Henri de Gand (1217–1293). Il lit assidûment Aristote, Cicéron , Augustin, Averroès,  et il a un accès indirect aux travaux d’Héraclite, Zénon, Protagoras, Démocrite et Platon. Il prend le scepticisme au sérieux et dresse une liste des arguments en faveur ou contre la connaissance. Il conclut que la connaissance est possible, et son argument le plus intéressant, le plus central, est la loi de non-contradiction. Pour Henri de Gand, quelque-chose de vrai doit être cohérent. Cette loi de non-contradiction est en soi une certitude.

Mais Henri va plus loin, et il pense que la « pure vérité », elle, n’est accessible qu’à travers l’illumination divine. Donc la connaissance n’est accessible qu’à la bonne volonté de Dieu, ce qui est raccord avec la condamnation de 1277[3] dans laquelle Henri a été impliqué en participant à la rédaction de la liste de 219 propositions interdites.

La condamnation de 1277

[Narration par Rigo  de la chaîne Pour la petite histoire]

Scepticisme médieval 06

Etienne Tempier, évêque de Paris et fervent augustinien, est fermement opposé à certaines thèses aristotéliciennes et averroïstes qui circulent chez les philosophes. En 1270 il publie une première condamnation qui interdit 13 propositions philosophiques ou théologiques concernant notamment le déterminisme (et donc le libre arbitre), l’éternité du monde ou la négation de la providence universelle de Dieu.

Cette première condamnation fut insuffisante pour empêcher l’enseignement des thèses incriminées. Il faut savoir que les membres des Universités à cette époque, recevaient interdiction d’expliquer les textes qui semblaient contredire la foi, sinon dans le but de les réfuter. Un parfum d’hérésie planait dans le monde universitaire.

En 1277 une nouvelle condamnation tombe : une liste, longue et désordonnée de 219 propositions « erronées » et donc interdites. Elle touche aussi bien les thèses de Thomas d’Aquin (1224-1274) mort trois ans plus tôt, que celles d’Aristote et Averroès.  La censure marque une opposition non seulement au scepticisme mais aussi au rationalisme, et aux efforts de certains philosophes pour justifier rationnellement la croyance en Dieu.

C’est dans cette condamnation que l’évêque de Paris juge hérétique de croire dans les lois de la nature, car cela empiète sur l’omnipotence de Dieu.

Mendax      — Ben voilà, c’est ce que je disais tout à l’heure.

Voix Off        — C’est assez impoli de couper une voix off pendant qu’elle parle.

Mendax      — Eh bien alors je m’excuse. Je vous en prie, vous pouvez continuer

Voix Off        — J’ai terminé. C’était la condamnation de 1277.

Mendax      — (Tête de Mendax) Ok. Merci beaucoup.

La lutte contre le scepticisme

John Duns Scotus (1265–1308) n’est pas convaincu par les arguments de Henri de Gand, mais il est certain que le scepticisme est faux et il s’emploie à le combattre. Comme les autres, il considère que le monde est compréhensible grâce à l’illumination divine. Il y aurait 4 types de connaissances nécessairement vraies, et notamment : 1) les propositions logiques par nature (l’ensemble est plus grand qu’une de ses parties), 2) ce qui relève de la proprioception (il ne l’appelait pas comme ça): je sais que je suis éveillé, que je suis en vie, que je suis debout, etc.

Il défend ensuite l’idée que les évènements qui se produisent de manière répétée ne peuvent pas être dus au hasard mais sont le résultat de l’agencement du monde par Dieu. Dès lors on peut inférer une connaissance à partir de l’observation répétée des phénomènes. Ce mode d’inférence par induction correspond à notre fonctionnement quotidien, et il est celui qu’emploient les chercheurs en sciences naturelles, en particulier s’ils travaillent sur des échantillons. Mais Scotus admettra plus tard qu’il s’agit du plus bas degré de connaissance, et que cela n’apporte pas une certitude absolue.

Roger Bacon (1214-1294) est reconnu comme l’un des esprits les plus brillants du Moyen-Âge. Docteur en arts [arts libéraux, précurseurs des sciences actuelles], il étudie à Oxford puis enseigne à Paris. On le considère comme l’un des pères de la méthode scientifique car il met en avant, pour la première fois, l’empirisme : « aucun discours ne peut donner la certitude, tout repose sur l’expérience ». Et expérience à l’appui, il ose remettre en cause l’autorité d’Aristote. Ses idées lui valent tracasseries, harcèlement et emprisonnements, et ses thèses sont notamment visées par la condamnation de 1277. Avec lui, un pas important a été franchi : le questionnement des autorités intellectuelles, et la reconnaissance du rôle de l’expérience dans l’évaluation des hypothèses.

Guillaume Durand de Saint-Pourçain (v 1270 – 1332 ou 1334) n’était pas un journaliste, mais un théologien rationaliste pour qui, dans la recherche de la vérité, l’exercice de la raison l’emporte sur toute autorité humaine, y compris celle d’Aristote. Durand de Saint-Pourçain est un nominaliste pour qui les universaux n’existent pas, l’essence ne précède pas l’existence ; il juge que de nombreux concepts de la scolastique sont superflus. Bref, il remet en cause le paradigme de son époque. Et sa démarche n’est pas sans rappeler le rasoir d’Ockham, ce qui tombe bien…

Car Guillaume d’Ockham, (1285 – 1347) était justement son contemporain. Alors disons-le tout de suite, Ockham n’était pas non plus un sceptique au sens où on l’entend de nos jours. Par exemple, il n’admettait pas que la perception humaine soit faillible. Au contraire, il affirmait que nous étions toujours capables de déterminer le réel de l’irréel. Il est tout de même novateur sur plusieurs points. Il prône la séparation de la raison et de la foi ; la philosophie n’est plus la servante de la théologie mais son égale. Il est aussi précurseur de la sécularisation, il refuse que l’église ait un pouvoir politique.

Et puis on lui attribue la fameuse phrase : « entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem » qui signifie« il ne faut pas multiplier les entités sans nécessité ». C’est le principe que l’on nomme désormais le rasoir d’Ockham, cet outil intellectuel avec lequel on peut faire le tri entre les hypothèses utiles et celles qui sont superflues.

Mendax        — Un principe qui est un petit peu présent chez Aristote aussi, en fait, puisqu’il avait écrit : « Frustra fit per plura quod potest fieri per pauciora » . « C’est en vain que l’on fait avec plusieurs ce que l’on peut faire avec un petit nombre »

Scepticisme médieval 07

Après Ockham les choses s’accélèrent un petit peu. William Crathorn (c 1330) pense que nos perceptions peuvent nous tromper, puisque nous n’avons accès qu’aux représentations mentales des objets. Dieu pourrait très bien nous faire voir quelque-chose alors que l’objet n’existe plus, un peu comme le cercle que forme sur notre œil une chandelle que l’on fait tourner rapidement à bout de bras. La connaissance est alors impossible, sauf que Crathorn ose ajouter  une limite au pouvoir trompeur de Dieu : « Dieu ne peut pas faire penser un caillou», ce qui réduit d’autant son pouvoir trompeur. Pouvoir trompeur encore plus limité par la « bonté » de Dieu qui interdit qu’il passe son temps à nous tromper. Dès lors, le scepticisme est faux.

Mendax        — Voilà. Exactement ce qu’il fallait démontrer. Ça tombe bien.

Nicolas D’Autrecourt (1295-98  – 1369)  pense différemment. Il  s’approche dangereusement de la thèse sceptique en considérant que toutes les connaissances (hormis la certitude de la foi) découlent d’un principe fondamental : la non-contradiction. Il nie à l’humain la possibilité de à décrire liens de causalité avec certitude. Toutefois, il ne voit pas de raison valable de douter de la phénoménologie, c’est-à-dire de la manière dont nous faisons l’expérience intime des perceptions de notre corps. Il conclue que chacun peut douter de tout sauf de l’existence de sa propre âme. En se déclarant notamment en faveur de l’atomisme, il s’attaque à des positions aristotélicienne toujours considérées comme la référence par l’Église. Convoqué devant le Pape pour ses écrits et ses enseignements, il est condamné en 1346 pour hérésie. Il doit abjurer publiquement de 66 propositions « erronées » et ses travaux seront brûlés. Mendax, un commentaire ?

Mendax      — Non, merci. De toute façon l’épisode est fini.

Vled           — Eh bien, en fait… Je voulais parler aussi, un peu de Jean Buridan, Marsile d’Inghen,  André de Neufchâteau, Francis Bacon, Descartes, Malebranche, Pierre Bayle[4], et puis…

Mendax      — Non, mais sérieusement ?

Vled                — Oui, je sais bien, tu as raison.Je m’emballe un peu là, mais c’est parce que…

Mendax      — Attends !

Vled                — Quoi ?

Mendax      — Chut. Je profite.

Vled                — De quoi ?

Mendax      — Tu as dit que j’avais raison !

Bref, notre but ici est de montrer que le scepticisme a traversé les âges et en particulier l’époque très défavorable du Moyen Âge sans vraiment perdre de la force. Les arguments des sceptiques sur les limites de nos perceptions, les limites de notre mode de raisonnement par induction et la difficulté que nous avons à nous extraire des paradigmes à l’intérieur desquels nos connaissances ont toutes les apparences de la solidité restent d’actualité. La scolastique a échoué à prouver que la connaissance absolue sur le monde était possible.

Le point de vue sceptique demeure : toutes nos connaissances actuelles, aussi solides soient-elles peuvent être remises en question, et par conséquent elles doivent être remises en question. Mais ne jugeons pas trop sévèrement le Moyen-Âge.

Scepticisme médieval 08

Sommes nous dignes du scepticisme ?

Les penseurs de cette époque n’avaient ni la liberté académique ni les grandes découvertes, ni l’incalculable somme de ce que nous savons ignorer pour les aider à prendre la mesure de la place l’entreprise de la connaissance humaine sur l’univers.

Aujourd’hui nous pouvons avoir tendance à jeter un regard un peu arrogant sur les questions qui se posaient sur la nature  de la matière et de ses quatre éléments ou bien des moyens par lesquels l’œil pouvait voir le monde en émettant des rayons qu’il recaptait ensuite. Et nous pouvons juger un peu psychorigide le réflexe par lequel les philosophes chrétiens et musulman en appellent à Dieu pour contrecarrer  la pensée sceptique qu’ils rejettent sans savoir comment la réfuter. Mais notre propre maladresse vis-à-vis des concepts de l’infini, du néant, de la nature du temps, des relations entre les forces fondamentales, ou encore du hasard seront peut-être source d’autant d’amusement et de sévérités parmi nos lointains descendants. Un peu de pensée critique aujourd’hui, ici sans plus tarder, c’est le meilleur moyen que nous avons pour que l’avenir nous reconnaisse sinon de l’érudition, au moins un peu de sagesse.

Mendax        — J’ai le droit d’avoir comme un doute ?

Scepticisme médieval 03


Références :

[1] Il contredit Ptolémée qui pensait que l’œil fonctionnait en envoyant de la lumière sur les objets en faisant remarquer que si c’était vrai… nous pourrions voir dans l’obscurité. Il revient donc à la théorie de l’intromission d’Aristote ! J Méthodiquement il va prouver que les objets réfléchissent la lumière dans toutes les directions et qu’il faut que les rayons atteignent l’œil avec un angle de 90° pour que nous voyions l’objet.

Il devance les travaux et les découvertes des savants européens. La plupart de ses livres ont disparu, et seuls quelques-uns ont été sauvés grâce à leur traduction en latin à la fin du 13ème siècle.

[2] http://hodiemecum.hautetfort.com/archive/2008/04/10/10-avril-saint-fulbert-eveque-de-chartres-1028.html

[3] http://philosophie_du_moyen_age.fracademic.com/80/Condamnation_de_1277

http://plato.stanford.edu/entries/condemnation/

La condamnation est locale (Paris), une autre est prononcée peu après à Oxford, puis elles sont plus ou moins abrogées.

[4] http://plato.stanford.edu/entries/bayle/#BaySke