Un mot sur l’apostasie et les conflits (in)utiles

Le contexte appelle, je crois, une petite mise au point et je me permets d’apporter mon humble éclairage parce que je crois que certains conflits méritent d’être évités.

Quitter une religion ça peut se faire en toute décontraction, nous vivons dans une société multiculturelle où l’autodétermination est une règle générale. En théorie tout se passe bien. En France la loi est de votre côté : vous avez le droit de croire ou de ne pas croire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer. C’est garanti.

Dans la réalité, c’est souvent au moins un peu compliqué parce que cesser de croire ça peut être angoissant, ça élimine des réponses toutes trouvées (même si elles sont alambiquées, illogiques et immorales) à des questions existentielles. Cela peut vous éloigner de votre famille et des gens que vous aimez, un phénomène qui e concerne pas que les sectes. Et puis ça peut vous mettre en danger dans tous les sens du terme. Dans certains textes religieux l’apostasie est punie de mort. Dans les pays où l’islam est religion d’état l’apostasie est théoriquement passible de mort, parfois dès l‘âge de 7 ans.

 

Ne nous mentons pas : prendre son autonomie intellectuelle en s’écartant des religions, c’est une des conséquences habituelles de l’utilisation des outils de la pensée critique. Les mouvements sceptiques à travers le monde ont pour origine la résistance aux discours autoritaires des religions, comme le siècle des Lumières doit son nom à une révolte intellectuelle contre l’obscurantisme chrétien (et l’arbitraire du système féodal). La zététique n’est pas l’amie des textes religieux ni des croyances, mais elle n’est pas l’ennemie des personnes qui croient. C’est important de le redire, il existe des scientifiques, des zététiciens, des défenseurs de la pensée critique qui par ailleurs sont croyants. Evidemment il s’agit d’une croyance modérée, pleine de nuances qui accepte les influences de la société et prend une distance critique vis-à-vis des textes et des traditions. La plupart d’entre nous sont des non-croyants.

Il faut peut-être rappeler que sur le mariage forcé, les crimes d’honneur, les mutilations génitales des jeunes enfants, l’esclavage, les droits des LGBT, les droits des femmes, le droit au corps en général, les religions n’ont jamais été sur le front du progrès et ont toujours été des forces en retard sur les changements de la société. Attention aux nuances : il y a toujours eu des croyants du bon côté de ces combats, mais ils s’opposaient alors à des croyants qui pouvaient bien plus aisément citer les textes sacrés à l’appui de leur position. Qui étaient les bons et les mauvais croyants ? Ca n’est pas à moi de le dire.

À travers l’histoire, les religions s’accommodent parfaitement des dictatures, les institutions religieuses n’ont jamais combattu les fascismes. Les religions constituent une force qui s’oppose constamment aux efforts des mouvements politiques attachés au progrès, que ci et là on appelle le wokisme. Par conséquent si vous voyez un « woke » défendre une religion, c’est que quelque chose cloche dans votre analyse de la situation ou dans la sienne.

De cela on peut tirer quelques conclusions : les apostats sont en lutte contre un pouvoir qui a des ambitions intégrales, qui croit être en relation directe avec le créateur du cosmos et estime donc être en droit d’imposer sa volonté partout où elle le peut : les théocraties sont leur régime fétiche. Les apostats sont du côté de l’autodétermination. Ça ne les oblige pas à devenir des gauchistes furibards, mais a priori ça les met du même côté quand au combat contre les oppressions, les injonctions, les jugements, les menaces perpétrées au nom de la croyance.

 

La démarche de l’apostat a cela d’intéressant qu’il ou elle peut porter une parole interne, qui vient du terrain, qui est chargée d’un vécu, qui sait à quoi ressemble les contraintes imposées au croyant et la composition du corpus idéologique inoculé à la population. C’est un concerné.

Mais les concernés n’ont pas toujours raison, ce serait étrangement dogmatique de penser le contraire.

 

Les apostats en retour, s’ils ont la volonté de ne pas simplement se défouler contre un ennemi mais espèrent faire œuvre utile pour tout le monde, auront à cœur d’écouter comment leur parole est reçue et comprendront que leur mouvement d’émancipation n’intéresse pas sincèrement les identitaires qui ne jurent que par leurs propres récits collectif, leur propres légendes et traditions.

Je parle ici tout particulièrement des apostats de l’Islam ; iIs verront, j’en suis sûr, que leur combat est au contraire proche de celui des défenseurs de la laïcité et des libertés individuelles. Ils prendront donc soin de répondre clairement aux tentatives de récupération de ceux qui cachent tant bien que mal leur racisme derrière une critique de ce qu’ils considèrent comme la religion des immigrés. Les apostats n’ont pas vraiment de mouvement structuré, ils sont en train de se construire, j’espère qu’ils sauront trouver de bons alliés.

Et pour être un bon allié, je crois fermement qu’il ne faut pas prétendre savoir mieux qu’eux où doit porter leur critique, ou connaître plus justement la rhétorique à laquelle ils doivent faire face.

Je voudrais ne plus entendre qu’ils sont caricaturaux et anachroniques en s’attaquant au texte du Coran. Pardon, mais c’est bien au texte qu’il faut revenir, et c’est pareil pour la Bible, la Torah et tous les textes qui se veulent sacrés, puisque c’est dans le texte que les criminels, les gourous, les oppresseurs, les puissants trouvent à foison des phrases qui justifient leurs avantages, leurs décisions et leur violence.

Il s’agirait de regarder en face la responsabilité de la « croyance modérée » qui reste incapable d’amender les textes et se contente de chercher à imposer une interprétation compatible avec la morale du siècle et conserve donc en l’état un texte qui dit, littéralement, des horreurs, et qu’on est prié de ne pas comprendre. Et il faudrait laisser des enfants se faire endoctriner dans une croyance modérée qui les expose à adhérer à des textes qu’ils risquent, un jour ou l’autre, de comprendre un peu trop bien.

 

Pour conclure

L’autodéfense intellectuelle, l’indépendance mentale, la métacognition, la vigilance épistémique, l’humilité épistémique, l’ouverture d’esprit et l’autocritique n’appartiennent à personne, ce sont des valeurs universelles que les apostats découvrent souvent sans que personne ne soit là pour prétendre les leur enseigner. Mais s’ils veulent s’entraîner à l’usage de ces outils et en devenir des ambassadeurs, ils contribueront à améliorer le monde.

Chers émancipés de tous horizons, j’encourage chacun d’entre nous à mettre de l’ordre dans ses priorités et à ne pas marcher sur le combat du voisin quand il choisit une trajectoire qui ne vous semble pas suffisamment orthodoxe, parce qu’alors on pourrait se demander si nous savons pourquoi nous nous battons.

 

Acermendax

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