La question des documenteurs – réponse d’Alexis Seydoux au Cortecs

Monsieur Viven Soldé sur le blog CORTECS a publié un commentaire sur l’intervention de madame Szczepanska (Paris-1), Thomas Durand (ASTEC) et moi-même (ALDHHAA), sur les documenteurs.

 

La critique première de monsieur Soldé serait que nous manquons de culture du cinéma et de l’image. Elle est parfaitement gratuite et ne repose que sur cette intervention, sans qu’il ne connaisse nos formations et notre connaissance du sujet. Contrairement à ce que dit monsieur Soldé, nous nous sommes intéressés au “régime de l’image” pour considérer que les programmes récents produits et diffusés sur internet ne répondent pas aux mêmes critères que ceux produits pour les réseaux de distribution classique. Et que c’est pour cela que des définitions nouvelles sont nécessaires.

 

L’auteur nous parle de la perception des milieux zététique ou sceptique des sciences de la communication. D’abord, je ne me considère pas comme étant issu de la zététique ou des milieux sceptiques, mais comme un chercheur en histoire travaillant entre-autre sur la pseudo-histoire. C’est donc un regard d’historien que je pose sur l’usage de documentaire trompeur diffusant de la pseudo-histoire[1].

 

C’est à ce titre que j’apporte ma propre définition d’un documenteur, définition qui doit être discuté. Cette définition est issue d’un travail de recherche en cours. Elle a pour objet justement de sortir d’un débat intra-cinématographique pour se pencher d’abord sur le contenu et son effet dans un univers différent, notamment celui du régime de post-vérité[2].

Monsieur Soldé prend comme définition celle donnée par François Niney en 2009, définissant le documenteur comme une œuvre de fiction prenant le format d’un documentaire, mais volontairement trompeur, voire satirique[3]. Cette définition nous parait ancienne et ne correspond plus à la réalité d’une production destinée à révéler une “vérité” dans ce monde de post-vérité.

Justement, dans le documenteur tel que je le définis, les intentions de convaincre ne sont plus vraiment dans la forme – même si elle y contribue, mais dans le message et son articulation. Ils se rapprochent du documentaire de propagande, car, comme l’indique François Niney, position auquel nous adhérons, le documentaire de propagande s’affranchit des points de vue pour n’en montrer qu’un, et remplace la réalité par le dogme, ici le complotisme[4].

Ce qui distingue pour nous le documentaire de propagande du documenteur, ce sont plusieurs aspects : l’émetteur, le circuit, le financement. La propagande est issue, pour nous, d’un état ou d’une institution, dans le but de convaincre du bien-fondé de leur démarche, de leur politique, de leurs institutions[5]. La propagande est une démarche active pour persuader un grand nombre de personnes[6]. Nous mettons en avant que cette propagande émane d’un état ou d’une institution, comme l’église au sein de la Congrégation pour la promotion de la foi (Congregatio de Propaganda Fide), réactivé en 1817[7].

Les documenteurs s’affranchissent de ces circuits habituels de production et de distributions, et ne sont plus l’émanation d’institutions. C’est à ce titre que des exemples comme Loose Change, La Révélation des Pyramides ou Hold-Up nous semble pertinents.

Par le terme de documenteur, nous essayons d’apporter une vision plus large pour décrire un phénomène nouveau, celui de documentaires trompeurs, réalisés dans une sphère restreinte et destinés à apporter une explication radicalement différente de celle qui fait consensus. Ils ont en effet une vérité à révéler et mettent en avant un contenu complotiste, en affirmant que la “vérité” est occultée. Cette dichotomie agent étatique/agent privé demande sans doute à être précisée, mais elle indique clairement que le documenteur est une affaire de milieux complotistes.

Si la définition de François Niney correspond bien à un mockumentary, elle ne parait plus correspondre à celle d’une nouvelle classe d’objet filmé dont l’objectif n’est pas la moquerie, mais la révélation. Cette définition nous paraissant correspondre à l’objet de cette recherche, nous la maintenons pour le moment, alors que monsieur Soldé semble rester dans le milieu restreint du cinéma.

 

La question de l’adhésion du spectateur au discours du film par l’image n’est pas ici l’objet du film. Comme l’auteur de cet article entend rester dans le strict domaine du cinéma, il installe une grille de lecture limitée, pour un objet qui désormais dépasse le cinéma. Par ailleurs, tout documentaire cherche l’adhésion du spectateur à son récit, à sa vision formelle, à ses positions. Elle n’est pas l’apanage des documentaires de propagande.

 

Si Le triomphe de la volonté est considéré par Viven Soldé comme un film qui est dans le vrai, c’est que sa connaissance du contexte de production et de celle de l’Allemagne de 1935 est très lacunaire[8]. En effet, le film prétend montrer une adhésion totale de l’Allemagne au Parti nazi, et du Parti nazi à son chef, Adolf Hitler. Une lecture des travaux de Pierre Ayçobery, de Detlev Peukert ou de Ian Kershaw permet de savoir que l’image de cette union parfaite est loin d’être la réalité ; elle n’est que le point de vue du Parti et du Führer. Mais, évidemment, si on ne contextualise la réalisation d’un film, documentaire ou non, il est difficile de relativiser.

Quant à dire que les films de propagande utilisent peu de mensonges, c’est évidemment avoir une vision irénique de la propagande. Même Why we fight produit par les studios américain pour justifier l’entrée en guerre des États-Unis, comprend des biais et de mensonges, à la fois parce qu’un documentaire n’est pas la réalité, mais surtout parce que ces documentaires de propagande cherchent à montrer une seule réalité[9]. Si l’objectif est d’emporter l’adhésion, ce à quoi je souscris volontiers, on s’appuie sur une vision volontairement tronquée de la réalité. Il y a là une différence de perspective, qui marque une différence nette entre l’analyse de l’image et celle du contenu.

 

Tout une partie de l’article de monsieur Soldé est consacrée au documentaire. C’est fort intéressant, mais ce n’est pas le sujet. Le cadre que je définis n’est pas celui du documentaire, mais bien du documenteur, et l’ensemble de cette démonstration montre, me semble-t-il, qu’il convient de marquer une différence entre les deux définitions.

La critique sur la méconnaissance du médium pourrait se justifier si son économie de production était la même. Mais c’est justement sur quoi nous insistons : un documenteur, sauf exception ancienne ou commande de plateformes, suit un circuit distinct de la production documentaire. L’exemple de Loose Change a été largement mis en avant pour montrer cette différence. La conscientisation au film ou à l’image, si elle existe, n’est pour nous que secondaire, par rapport au discours et à son contenu complotiste. Mais, c’est un débat qui mériterait d’être tenu.

 

Terminons sur la question de la formation à l’image. C’est bien un sujet qui a été abordé dans ce débat, et nous avons insisté sur son importance. Mais, nous voyons que monsieur Viven Soldé insiste sur la forme et néglige le fond et la composition du discours, notamment le choix des intervenants.

 

Alexis Seydoux

NB : La réponse de Thomas Durand au même article de Vivien Soldé est disponible ici.

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[1] Ici, en tant que vice-président de l’Association de Lutte contre la Désinfomation en Histoire, Histoire de l’Art et Archéologie.

[2] Marius GUIDONIS et Benjamin JONES, “Who controls the Past ?”, in Marius GUIDONIS et Benjamin JONES (edit), History in a post-truth World. Theory and Praxis, Londres, Routledge, 2021, page 8.

[3] François NINEY, Les documentaires et ses faux semblants, Paris, Klincksieck, 2009, pages 158 à 164.

[4] François NINEY, Les documentaires et ses faux semblants, op. cité, page 128.

[5] Sinisa MALESEVIC, The Sociology of War and Violence, Cambridge, CUP, 2010, page 202.

[6] Sinisa MALESEVIC, The Sociology of War and Violence, op. cité, page 203.

[7] Mary HEIMAN, “Catholic Revival in Worship and Devotion”, in Sheridan GILEY et Brian STANLY (edit), The Cambridge History of Christianity, vol 8, World Christianities c.1815-c.1914, Cambridge, CUP, 2006, page 75.

[8] Robert KOLKER, Politics goes to the Movies, New-York et Londres, Routledge, 2018, pages 38 à 47.

[9] Voir notamment les effets de l’Office for War Information, voir notamment Carl BOGGS et Tom POLLARD, US Militarism and Popular Culture, New-York et Londres, Routledge, 2016, page 84.

 

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