Ostéo-kinésithérapie = une mafia ?

Article invité

Cannelle m’a contacté pour me faire part de son avis sur l’état de son métier. Je lui ai demandé de mettre tout cela sous la forme d’un texte publiable. Le texte est publié sous pseudonyme car elle estime que le signer avec son nom la mettrait professionnellement en danger. Le lecteur est invité à le recevoir comme un témoignage. Mon souhait est qu’il mette sur la table des questions que la profession a probablement besoin d’éclaircir autant en interne que vis-à-vis du public.

Acermendax

 

 

Si l’ostéopathie est inefficace, pourquoi cette discipline est-elle si plébiscitée en France ? Etant kinésithérapeute depuis de nombreuses années et ayant pratiqué dans différents types de structures au cours de ma carrière, j’ai accès à des informations de l’intérieur.  Pour prendre un angle différent, je vais donc partager avec vous les informations que j’ai sur l’organisation de cette « mafia » en France et comment elle prospère.

 

Les hautes sphères de la kiné

Les ostéopathes ont infiltré toutes les « hautes sphères » de la kinésithérapie, donc on ne peut plus rien contre eux en tant que kinésithérapeute. Les kiné-ostéopathes ont des postes clés dans les syndicats de kinés, l’ordre des kinésithérapeutes, les écoles de kinésithérapie etc. Il est devenu bien trop dangereux de les critiquer publiquement.

 

Les écoles de kiné

De plus en plus d’écoles de kinésithérapie ont créé des écoles d’ostéopathie qui leur sont rattachées, et incitent leurs étudiants à « approfondir » leur pratique en continuant avec une formation d’ostéopathe avec des tarifs préférentiels une fois diplômés en tant que kinésithérapeute. C’est devenu un business très lucratif pour les écoles.

 

Un intérêt pécunier certain pour les kiné-ostéo

Être kiné + ostéopathe est beaucoup plus avantageux financièrement que d’être simplement kiné. Le prix de base d’une séance de kinésithérapie est de 16 euros environ et le kinésithérapeute est obligé de déclarer aux impôts tout l’argent qu’il touche car tout passe par la CPAM lors des télétransmissions. Il lui est impossible de tricher : tous ses revenus sont taxés.

 

A contrario, le prix moyen d’une séance d’ostéopathie est de 60 euros et il suffit à l’ostéopathe de dire au patient qu’il ne possède pas de lecteur de carte bancaire pour prendre l’argent en liquide. Il a alors la possibilité de ne pas déclarer cet argent aux impôts.

C’est la raison pour laquelle beaucoup de kinésithérapeutes ont un grand intérêt à avoir cette double casquette de kiné-ostéo et ont tout intérêt à protéger leurs intérêts financiers. Certains ont peu d’esprit critique et croient réellement à l’ostéopathie, mais beaucoup le font sans y croire ou bien finissent par être convaincus par l’argent. Après avoir échangé avec beaucoup de collègues, je peux vous assurer que nous sommes nombreux à avoir hésité à faire la formation sans y croire et beaucoup de ceux qui hésitaient entre plusieurs formations post diplôme ont choisi l’ostéopathie pour cette raison.

 

 

Lobbying sous différentes formes

Cette inégalité de revenus entre les kinés et les kiné-ostéo a poussé les kiné-ostéo à faire du lobbying et à se protéger des attaques de kinés anti ostéopathie. Ils peuvent se payer des avocats, ils ont des appuis dans les syndicats, dans l’ordre des kinés… S’opposer à eux est bien trop dangereux et personne n’oserait le faire de façon franche comme l’ont fait les médecins contre les médecins homéopathes.

Le pouvoir de nuisance du conseil de l’ordre est bien trop puissant. Ils peuvent ralentir ou empêcher notre installation lorsque l’on change de cabinet, ils peuvent interdire à un titulaire de prendre de nouveaux assistants dans son cabinet, nous empêcher d’exercer etc.

 

Un bon kiné honnête est un kiné pauvre. En cas d’attaque en justice, il ne s’en sortira jamais. Et j’exagère à peine sur l’emploi du mot « pauvre ».

Il faut bien se rendre compte que la seule façon pour un kiné de gagner sa vie, c’est d’être un peu malhonnête. La séance de base étant fixée par la CPAM à un peu plus de 16 euros, si l’on prend un patient par demi-heure (et il est dur de faire du bon travail autrement) et que l’on se fait taxer à mort comme vous ne pouvez pas l’imaginer, il ne reste pas grand-chose à la fin du mois, même en faisant de gros horaires.

On se retrouve donc avec de très nombreux kinés qui se dirigent vers des médecines parallèles pour faire plus d’argent, tandis que d’autres kinés se retrouvent à prendre plein de patients en même temps et font donc du mauvais travail.

Les kinés qui se retrouvent « forcés » de faire du mauvais travail pour gagner leur vie correctement font donc une très mauvaise image à la kinésithérapie, et les patients se retrouvent à aller voir des praticiens de médecines parallèles ou des kiné-ostéo car ils peuvent se permettre de passer plus de temps avec eux. Au final, le bon plan pour un kiné ostéo est de faire de la kinésithérapie pour que le patient aille mieux, faire un peu craquer le patient pour le folklore et l’effet placebo en justifiant son tarif comme cela.

La seule vraie solution pour remettre de l’ordre là-dedans serait soit d’augmenter le tarif de base d’une séance de kinésithérapie ou bien de tolérer les dépassements d’honoraires dans toute la France comme ils le font déjà à Paris. On ne pourra pas s’en sortir sans cela.

 

L’influence et la publicité

Les influenceurs : les kiné-ostéopathes ont tout intérêt à devenir influenceur car cela leur permet d’augmenter grandement leurs tarifs par la suite. Cela permet aussi un « matrixage » global de la population qui les voit partout sur les réseaux et finit par penser que l’ostéopathie est une profession sérieuse avec une assise scientifique.

Il faut noter que même les influenceurs simples kinésithérapeutes ou coach sportifs se revendiquant EBP (evidence based practice) sont obligés de jouer le jeu des collaborations pour gagner des abonnés et il leur est très difficile de refuser une collaboration avec des ostéopathes ou étiopathes ayant autant ou plus d’abonnés qu’eux. L’influence est un business et il faut parfois accepter de faire des choses avec lesquelles on n’est pas en accord pour pouvoir en vivre correctement et le faire évoluer. On voit donc beaucoup de médecins, kinésithérapeutes et autres produire des vidéos instagram/tiktok en collaboration avec des praticiens de médecines parallèles. Cela ne les empêche pas toujours d’être pertinent dans leur contenu, mais ils mettent en avant des professions qui elles, ne le sont pas vraiment (certains influenceurs kiné font un travail exceptionnel et je ne remets pas cela en question, mais ce n’est pas l’objet de mon témoignage aujourd’hui).

On voit même apparaitre sur les réseaux des influenceurs se revendiquant « ostéopathe EBP » ce qui est un comble lorsqu’on sait sur quoi repose l’ostéopathie. Tout cela s’entremêle avec aussi le business des influenceurs kiné vendeurs de formation, mais j’y reviendrai plus bas.

L’image et l’influence se gagnent aussi dans les écoles : certains kiné-ostéopathes  mettent en avant le fait qu’ils sont professeurs dans des écoles de kinésithérapie. Même si les quelques heures qu’ils font en tant que prof ne leur rapportent pas grand-chose, pouvoir dire qu’ils enseignent leur permet de jouir d’une réputation et d’augmenter le tarif des séances de façon conséquente.

 

Idem pour les kinésithérapeutes dans les équipes de sport pro. Les équipes de sport pro aiment beaucoup recruter des kinés qui sont aussi ostéopathes car ils pensent que c’est un plus alors que c’est un simple argument commercial (mais les sportifs adorent cela, ils sont très croyants). Cela pousse les kinés à faire cette formation en plus. Des très nombreux patients pensent d’ailleurs que les kiné-ostéo sont meilleurs que les « simples kinés », c’est une réflexion qu’on reçoit souvent.

Le bon plan qu’ont trouvé beaucoup de kiné-ostéo d’équipes de sport est de travailler à mi-temps en tant que kiné de l’équipe de sport et à mi-temps dans un cabinet libéral où ils peuvent demander des tarifs beaucoup plus intéressants en tant qu’ostéopathe aux sportifs envoyés par les équipes et aux patients qui seront ravis d’avoir le même kiné qu’un sportif pro et souvent de pouvoir croiser ces sportifs professionnels au cabinet de leur kiné-ostéo.

 

La publicité pour les kinésithérapeutes est interdite (code de déontologie « R. 4321-67 Interdiction de la publicité »). Ce qui n’est pas le cas pour les ostéopathes qui peuvent donc occuper tout l’espace pour se mettre en avant. La vérité est que peu de kinés feraient de la pub même si c’était autorisé car nous avons beaucoup trop peu de kinésithérapeutes en France et beaucoup trop de patients donc nous ne pouvons déjà pas accepter tout le monde. Cela reste un facteur à signaler car cela rend d’autant plus visible les praticiens de thérapies alternatives.

 

Vous aurez remarqué que je parle essentiellement des kiné-ostéopathes et pas des simples ostéopathes car je pense que le métier d’ostéopathe survit grâce aux kiné-ostéopathes (par les différents moyens que j’ai cités plus haut). Le fait d’être kiné apporte naturellement énormément de patients car les séances sont remboursées par la CPAM donc même sans être influenceur, il est facile de se faire connaitre et de convertir une partie de ses patients vers l’ostéopathie pour gagner plus. Les simples ostéopathes ont plus de difficulté à se constituer une clientèle s’ils ne sont pas influenceurs, mais les choses semblent tout de même évoluer favorablement pour eux « grâce » à doctolib. Il est intéressant de noter au passage que doctolib a retiré de son site énormément de praticiens de médecines alternatives mais pas les ostéopathes. J’ai d’ailleurs remarqué que beaucoup de médecins croyaient également à l’ostéopathie. La mise en avant permanente des ostéopathes et l’impossibilité pour les kinés se rendant compte de la supercherie de dire publiquement ce qu’ils en pensent réellement fait que tout le monde est un peu perdu et pas seulement le grand public.

J’ai tout de même l’impression que les patients ayant certaines connaissances en science se rendent mieux compte de la supercherie. Je me souviens d’un patient docteur en biologie que j’avais laissé se changer dans une salle à côté de la salle où travaillait un collègue ostéopathe et il m’avait demandé à mon retour si nous avions un chamane dans le cabinet (on l’entendait à travers le mur). Il était étonné quand je lui ai dit que non, c’était simplement l’ostéopathe.

Je précise aussi qu’il y a une grande différence entre le discours public ou tenu sur les réseaux et le discours réellement tenu aux patients durant la séance ; j’ai pu le constater au contact des ostéopathes avec qui j’ai pu travailler.

 

Fonctionnement des écoles

La façon de juger de l’efficacité d’une thérapie n’est vraiment expliquée aux étudiants kinésithérapeutes que lors des deux dernières années du cursus, et je pense que tous n’ont pas le temps de réellement comprendre et peuvent rester très influençables aux thérapies alternatives. J’ajoute que très peu font preuve d’esprit critique de façon globale. Les étudiants en médecine et en kiné sont surtout des personnes avec de grandes capacités de mémorisation mais pas forcément de grandes capacités de réflexion. Une bonne mémoire est souvent suffisante pour obtenir son diplôme. J’ai été surpris à de nombreuses reprises par des confrères et j’ai de nombreuses anecdotes à ce sujet.

Comme je l’ai expliqué plus haut, les profs d’école de kiné s’évertuent à normaliser le raisonnement illogique de l’ostéopathie dans la tête des étudiants en kiné. Beaucoup d’étudiants en kiné sortent de l’école de kiné avec un syndrome de l’imposteur assez prononcé, et croient réellement aux discours des kiné-ostéo. Les kinés tout juste diplômés ressentent d’ailleurs la plupart du temps le besoin de faire tout un tas de formations supplémentaires pour se rassurer dans leur pratique. Je pense pour ma part qu’en sortant d’école, on a surtout besoin d’expérience et d’échange avec les collègues.

Les bonnes formations sont un plus et il est important de mettre à jour ses connaissances. Mais quand on voit les kinés influenceurs starifiés insister en permanence sur l’importance des formations complémentaires en se servant de chaque fait d’actualité pour redire que la formation initiale de kinésithérapeute n’est pas bonne… J’y vois une manière de renforcer ce syndrome de l’imposteur des nouveaux diplômés dans le but de leur vendre plus de formations (et les prix sont souvent très élevés). Ce sont principalement les jeunes diplômés qui achètent toutes les formations post diplôme.

Je me souviens qu’un très bon professeur que j’avais eu se moquait ouvertement des ostéopathes en cours… Quelques années plus tard, il devenait directeur de l’école d’ostéopathie de l’école d’ostéo rattachée à son école de kiné avant de devenir directeur de l’école de kiné elle-même. Comme il disait, « c’est de la politique ». Je me rappelle d’une phrase marrante qu’il avait prononcé en nous montrant une technique d’ostéopathie « et là vous fermez les yeux, ça vous donnera un air plus intelligent ».

Quand les étudiants qui suivent ce genre de formations pendant des années se rendent finalement compte que ce n’est que du placébo, c’est bien compliqué pour eux de trouver le courage d’arrêter et d’entamer une autre formation. Surtout pour un ostéopathe qui n’est pas kiné, ce sont des années de sa vie qu’il ne pourra pas rattraper. Et un investissement perdu.

 

Il existe une différence fondamentale dans la manière de s’adresser au patient. En école de kiné, on apprend à expliquer les choses avec un vocabulaire aussi simplifié que possible pour qu’il puisse comprendre ; on évite les termes trop scientifiques. Mes collègues kiné-ostéopathes avaient tendance à faire totalement l’opposé et à noyer leurs patients sous des termes incompréhensibles pour un non averti, alors qu’il est souvent aisé d’expliquer la même chose avec un langage classique.

J’ai demandé plusieurs fois à accompagner des collègues kiné-ostéo pendant leurs séances pour voir ce qu’ils faisaient. Je ne me suis jamais permise de critiquer leurs raisonnements car je ne voulais pas être irrespectueuse après qu’ils avaient gentiment accepté de passer une journée ou une demi-journée de travail avec moi. Par ailleurs je sentais bien qu’ils étaient plutôt susceptibles donc il valait mieux éviter de mettre une mauvaise ambiance dans le cabinet. Ce que j’ai remarqué tout de suite :

Ils posent énormément de questions en début de séance, des questions en grande partie totalement inutiles mais d’une apparence très technique ce qui donne l’impression au patient d’être bien pris en charge. La partie interrogatoire est assez longue.

En fin de séance, systématiquement, ils demandent au patient de ne pas faire de sport pendant un jour ou deux. Et surtout la phrase magique prononcée avec assurance « alors ce soir vous allez vous sentir fatigué, tout raplapla, c’est normal votre corps a besoin de relâcher blabla » histoire de jouer sur la suggestion, renforcer l’effet placébo et faire d’autant plus croire à l’efficacité de leur technique. Il est facile de suggérer à un adulte qu’il sera fatigué le soir suite à ces mystérieuses techniques et ça marche très bien (ça ressemble assez à une technique d’hypnose au final). Mais pour un enfant c’est différent donc la phrase est un peu adaptée : « alors soit il va être tout fatigué soit il va péter la forme et être tout excité », ensuite le parent n’a plus qu’à interpréter le comportement de son enfant dans un sens ou dans l’autre, ça fonctionne tous les coups.

 

Les dangers des techniques d’ostéopathie 

Concernant les dangers de l’ostéopathie, je reçois chaque année 2 ou 3 patients qui viennent me voir car un ostéopathe leur a fait sortir une hernie discale. Etant donné qu’il est difficile d’avoir des chiffres exacts, il est intéressant de noter que les assurances professionnelles obligatoires (RCP) font payer plus cher les kiné-ostéopathes que les simples kinésithérapeutes. On peut donc en déduire logiquement que les ostéopathes provoquent une quantité d’accidents bien plus importante. Les assurances doivent posséder ces chiffres.

 

 Pour conclure

On entend souvent l’argument du nombre d’années d’études qui revient aussi régulièrement chez les ostéopathes et chiropracteurs. Or, c’est très bien d’étudier quelque chose pendant longtemps mais vous pourrez étudier la sorcellerie aussi longtemps que vous voudrez, vous n’en développerez pas pour autant des pouvoirs magiques. Il faut que ce que vous étudiez soit solide. On notera que pour entrer en école de kiné, le concours est très sélectif alors qu’il suffit de payer l’école pour entrer en école d’ostéopathe, chiropracteur ou étiopathe. Les étudiants en ostéopathie ont d’ailleurs souvent échoué pour entrer en école de kinésithérapie ou ne se sentaient pas capables d’y arriver.

Les gens pensent souvent qu’il y a une guerre entre les kinés et les ostéopathes lorsqu’on essaie de leur expliquer pourquoi l’ostéopathie ne fonctionne pas… Mais retenez que les kinésithérapeutes ont déjà largement trop de patients et nous passons notre journée à nous faire engueuler par des personnes qui veulent des rendez-vous alors que nous n’avons plus de place. En jouant les naïves je dirais qu’à partir du moment où ces 4 métiers (kiné, ostéopathe, étiopathe et chiropracteur) prétendent soigner avec les mains et le mouvement, il n’y a aucune raison pour que ces 3 là ne soient pas un seul et même métier. La seule différence réelle est que le métier de kinésithérapeute s’appuie sur la preuve scientifique. Les autres métiers cités utilisent un langage scientifique mais sont purement empiriques et ne se basent que sur des croyances issues de raisonnements souvent tirés par les cheveux. À une époque c’était sans doute justifiable, mais plus en 2024. Je ne vois pas en quoi les métiers d’ostéopathe ou de chiro seraient jugés différemment des homéopathes à notre époque. S’ils n’ont pas été capables d’apporter la preuve de leur efficacité depuis le temps qu’ils existent, on a toutes les raisons de penser qu’ils n’ont simplement pas d’efficacité autre que l’effet placébo/contextuel.

J’ajoute qu’à partir du moment où une technique de chiro ou d’ostéopathie prouvera son efficacité, les kinés se mettront aussi à l’utiliser !

Cannelle
2 réponses
  1. Personnic
    Personnic dit :

    Beaucoup de points communs avec la psychanalyse par rapport à la psychologie : un lobbying efficace, une niche fiscale et la nécessité de « faire de la politique » pour pouvoir bosser ou être diplômé.

    Répondre

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