Le 24 avril 2015 a eu lieu en direct une conversation / débat sur la chaîne Top Chrétien avec le philosophe des religions Alexis Masson : « Est-il rationnel de croire en Dieu ? »
Telle est la question du débat. Il s’agit donc d’un débat épistémologique, c’est-à-dire qu’il porte sur la démarche qui permet d’établir une connaissance, et sur la nature des preuves que l’on peut avancer pour prouver l’existence de Dieu.
Le débat se déroule sur environ 1h45, avec une première partie sur la démarche vers la vérité, et une seconde dévolue à l’examen des arguments pour l’existence de Dieu.
Ensuite nous répondons à quelques questions que le public pourra poser via un tchat.
La vidéo du débat sera bientôt mise en ligne (nous nous excusons pour le retard…)
La preuve cosmologique
L’argument cosmologique part du constat que l’univers et tout ce qu’il contient sont contingents : ils auraient pu ne pas exister, ou bien être différents. Pour que l’univers soit ce qu’il est, il faut que quelque chose soit la cause de son existence et de son état actuel.
C’est le Principe de raison suffisante = rien n’est sans raison. On le nomme aussi principe de causalité.
La preuve par le commencement
Les modèles scientifiques actuels sur l’origine de l’univers convergent sur l’idée qu’il a certainement eu un commencement : le Big Bang.
La théorie du multivers prévoit, quant à elle, que notre univers peut très bien n’être qu’un parmi une infinité d’univers qui apparaissent et disparaissent continuellement. Ce multivers pourrait très bien être éternel.
Les apologètes réfutent l’idée d’un multivers éternel et affirment que même lui doit avoir eu un commencement. Ils justifient cette idée avec des argumentaires comme celui-ci :
« Si l’infini existe, cela veut dire qu’il y aura demain autant de jours dans le passé qu’il y en a aujourd’hui. (…) Le passé s’accroit de jour en jour, autrement dit, il ne peut pas être infini, puisque l’infini on ne peut rien lui ajouter, rien lui retrancher. »
A partir du moment où l’on accepterait un point d’origine dans le temps pour l’univers (et l’hypothétique multivers), et compte tenu de la loi de causalité qui veut que tout ce qui commence doit avoir une cause à l’origine de ce commencement (cf preuve cosmologique), cette « preuve » impliquerait une cause immatérielle à tout ce qui existe. Et cela prouverait que Dieu existe.
La preuve téléologique
Cette preuve est aussi appelée le problème du réglage fin de l’univers. Elle consiste à dire que l’univers, tel qu’il se présente, est trop parfait pour être dû au hasard.
A l’appui de cet argument, les apologètes défendent l’idée que les propriétés de la matière, de l’espace et du temps auraient pu être différentes d’une infinité de manières différentes. Or le moindre changement dans ces particularités aurait empêché la vie d’apparaître. Il faut donc que se soit produit un hasard proprement incroyable pour que les constantes physiques adoptent justement la configuration qui autorise la vie.
Les tenants de l’hypothèse de l’existence de Dieu considèrent que seul une volonté créatrice peut être à l’origine de cet agencement particulier.
La preuve ontologique
« Dieu est l’être tel qu’on ne peut pas en concevoir de plus grand. Et s’il n’existe pas, alors je peux en concevoir un encore plus grand, qui lui existe. Donc Dieu existe. »
Il s’agit d’un vieil argument philosophique que l’on doit à St Anthelme au onzième siècle.
La preuve par la raison
La raison est ce qui nous permet d’établir la véracité d’une proposition.
Si Dieu n’existe pas, alors la raison est le fruit du processus aveugle, stochastique de l’évolution des espèces que rien ne dirige en dehors de la sélection naturelle exercée par l’environnement sur le vivant. C’est la position dite « naturaliste ».
Pour certains apologètes, le naturalisme est illogique car il faudrait penser 1) que la raison est le seul instrument fiable pour comprendre l’univers, et 2) que la raison est le produit dérivé d’un processus dont rien ne garantit que son résultat soit le moins du monde fiable, ce qui reviendrait à contredire le point 1.
La preuve par la raison revient à dire que le naturalisme est un « suicide de la pensée ».
La preuve par la morale
Selon la théologie, notre connaissance du bien et du mal nous vient de Dieu. En l’absence de Dieu, nous serions intrinsèquement incapables d’avoir accès à une moralité absolue.
Or, pour les apologètes, tous les êtres humains savent intuitivement ce qui est bien et ce qui est mal, et le nier reviendrait à prêcher le relativisme moral qui ne permet plus de justifier rationnellement qu’on interdise les actes que nous savons êtres mauvais.
Cet argument ne dit pas que les incroyants sont nécessairement immoraux, mais que la morale en elle-même ne peut exister si Dieu n’en est pas la source.
Le pari de Pascal
Parmi les arguments faisant appel à la raison, on compte le fameux Pari de Pascal qui offre deux alternative d’une manière qui parait tout à fait sensée. En effet, vous pouvez commettre deux types d’erreur qui n’auraient selon lui pas du tout les mêmes conséquences.
1) Si vous croyez en Dieu et qu’il existe, à votre mort vous gagnez une éternité de félicité et vous n’avez rien perdu. S’il n’existe pas, vous n’avez rien gagné ni rien perdu.
2) Mais si vous ne croyez pas en lui et qu’il existe… Alors là, à votre mort vous avez tout perdu.
La preuve par les miracles
Pour croire en un Dieu personnel qui intervient dans le monde, c’est-à-dire une entité théiste, il faut croire qu’il se produit dans le monde des évènements directement imputables à ses interventions.
De tels évènements sont des miracles.
Les tenants de cette hypothèse considèrent que les miracles sont des preuves factuelles de l’intervention de Dieu, et donc a fortiori de son existence.
La preuve par les expériences mystiques
La rencontre personnelle avec Dieu, l’appel, est un phénomène intime et quasi-incommunicable. Pour le croyant qui en a fait l’expérience, ce phénomène a valeur de preuve, même s’il est difficile de la faire valoir dans un argumentaire rationnel destiné, justement, à communiquer des raisons objectives de croire.
La preuve par les Écritures
Les Saintes Écritures sont l’œuvre de Dieu si l’on en croit les religions du livre. Les croyants sont donc capables de trouver dans les Écritures les preuves qu’il s’agit d’un récit fidèle des évènements qui valident l’hypothèse de l’existence de Dieu.
Les preuves avancées sont de diverses natures : historiques, prophétiques, numérologiques, symboliques, etc.
L‘argument d’autorité
Au sujet de la croyance en Dieu comme pour toute opinion, un type d’argument consiste à donner une liste d’éminents intellectuels ayant défendu cette opinion. Le message implicite étant : si X, qui est très intelligent, est d’accord avec moi, alors j’ai raison.
Dans un argumentaire en faveur de dieu, X est souvent remplacé (à tort ou à raison) par Einstein, Newton, Descartes, Pascal, Voltaire (déiste), etc.
Toutes ces « preuves » sont susceptibles d’être abordées lors du débat.
Si la stratégie de notre interlocuteur est de les enchainer, nous n’aurons matériellement pas le temps de leur apporter des réponses construites et valides. Vous pouvez d’ors et déjà prendre connaissance de leur existence et vous demander comment vous pourriez les réfuter.
Sachez que chacune d’entre elle est réfutée, parfois depuis mille ans, et qu’aucune ne permet de défendre l’idée que la croyance en Dieu est l’aboutissement d’une réflexion rationnelle.
Cela ne signifie pas que nous avons prouvé l’inexistence de Dieu, mais qu’il est possible de dire, en toute logique et en respectant les principes de la pensée rationnelle, que Dieu est une hypothèse inutile dans notre démarche de compréhension de la nature.
Quelques éléments de réponse…
La vidéo du débat sera bientôt disponible ici (espérons).
L’auteur de ce blog a écrit un livre sur les réponses à ces argument, car les réponses existent. Nous allons très bientôt faire les démarches auprès de divers éditeurs.
D’ici là, nous vous offrons l’un des premiers chapitres, celui qui concerne le problème de la définition de « Dieu ».
Dieu : la charge de la définition.
« Définissez-moi d’abord ce que vous entendez par Dieu et je vous dirai si j’y crois. » Albert Einstein
Il existe des milliers de définitions de Dieu, soutenues par autant de congrégations, d’églises, de sectes, etc. Toutes ne peuvent pas être justes, mais toutes peuvent être fausses. Si vous voulez savoir en quoi le judaïsme a tort, demandez à un Chrétien. Si vous voulez savoir où sont les erreurs du catholicisme, demandez à un Musulman. Si vous voulez savoir où se trompent les Orthodoxes, les Témoins de Jéhovah, les Mormons, les Baptistes ou les Pentecôtiste, demandez à un Méthodiste ou un Anglican. Aucune de ces églises n’est d’accord sur la définition de Dieu et sur son message, le concept le plus important de leurs théologies. Cela illustre une totale absence de méthode dans la recherche de la vérité. Et cela doit, au minimum, éveiller notre suspicion.
Arrêtons-nous sur les qualités classiquement attribuées à Dieu pour tenter une définition grossière sur laquelle les trois grandes religions semblent s’accorder.
1- Dieu est-il Omnipotent ?
Dieu peut-il créer une pierre si lourde qu’il serait incapable de la soulever ? S’il ne peut pas la soulever, il n’est pas omnipotent. S’il ne peut pas la créer, il n’est pas non plus omnipotent. Il semble que la première des qualités de Dieu soit un concept auto-contradictoire, donc intrinsèquement incohérent. Ce constat devrait alarmer ceux qui pensent qu’on peut rationnellement croire en l’existence de cette entité.
Pour échapper aux contradictions de l’omnipotence, les apologètes invoquent parfois le concept de Toute Puissance. Dieu, en fait, ne serait pas réellement omnipotent, mais il serait néanmoins capable de faire tout que ce qui est logiquement possible. Cette concession est très intéressante lorsqu’elle est proposée, car elle montre que ceux qui cherchent à fonder leur croyance sur la raison sont forcés de placer la logique, en quelque sorte, au-dessus de Dieu. Dès lors on attend d’eux qu’ils soient cohérents sur cette position et renoncent à faire appel au « mystère » derrière lequel beaucoup de croyants drapent le dieu dans lequel ils désirent croire.
Mais en réalité ce mouvement de retrait qui limite Dieu à ce qui est logiquement possible est une fausse réponse. Car on peut concevoir de manière parfaitement logique une entité capable de fabriquer un rocher trop lourd pour qu’elle puisse le soulever. Il s’agit d’une proposition parfaitement intelligible, parfaitement traductible en un fait de la nature. La contradiction ne se trouve donc pas dans l’épreuve proposée au concept de Dieu, mais bel et bien dans la définition théologiquement correcte qui a été donnée de ce concept.
2- Dieu est-il Omniscient ?
Un être omniscient, qui sait tout sur tout, sur le passé comme sur l’avenir, ne peut pas faire d’erreur. Il ne peut pas changer d’avis (ni même avoir un avis personnel ou la moindre croyance : il sait tout). Il ne peut pas se repentir d’avoir créé l’Homme et réagir en provoquant le Déluge[1]. Et puisqu’un être omniscient ne peut pas faire tout cela, il ne peut, évidemment pas être omnipotent.
Mais l’omnipotence n’ayant pas besoin qu’on la réfute davantage, intéressons-nous aux autres conséquences de l’omniscience. Si Dieu est omniscient, il ne peut être surpris, impressionné, infléchi, courroucé ou attendri par rien, car il sait exactement tout ce que nous allons faire ; et comme il est tout puissant il nous a forcément façonné dans ce but : tous les évènements du monde se produisent selon son intention. On peut en déduire deux conséquences directes : 1) les prières sont inutiles et constituent du temps de perdu, en particulier quand les croyants prient pour les malheureux au lieu de les aider d’une manière plus directe. 2) Le libre arbitre n’existe pas, car chaque décision que vous prenez est la conséquence des intentions initiales de Dieu : vous n’avez aucun moyen d’échapper à ce qui a été planifié de toute éternité pour vous.
3- Dieu est-il bienveillant ?
On a évoqué la question de la théodicée. Objectivement il y a sur Terre une quantité stupéfiante d’injustices et de souffrances qu’un Dieu tout puissant devrait pouvoir empêcher. Soit Dieu ne peut pas empêcher le mal, et il n’est pas tout puissant. Soit, il ne le veut pas, et alors il n’est pas bienveillant. Soit il n’en a pas conscience et il n’est pas omniscient.
La réponse classique, presque folklorique, des apologètes consiste à dire que le monde actuel est le résultat de la chute d’Adam et Ève de l’Éden. Nous vivons selon eux dans un monde brisé par le péché originel qui a apporté la mortalité et la douleur. Et le libre arbitre laissé aux hommes, seul moyen pour eux de se racheter, les rend capables de faire le mal. Cette réponse est inopérante sur tous les fronts.
D’abord, cette explication n’est pas valable pour le « mal naturel » : la souffrance infligée aux innocents par la nature elle-même (catastrophes, épidémies, maladies génétiques, etc.). Aucune action humaine n’est impliquée dans ces dévastations cruelles. Seul Dieu, s’il existe, ou bien la nature est responsable de ces horreurs. Ensuite une telle explication est incapable de rendre compte de la souffrance animale, et de fait des apologètes comme William Lane Craig nient tout simplement que les animaux connaissent une réelle souffrance, ce qui sonne comme une réminiscence de l’animal-machine de Descartes.
« A travers la quasi-totalité de l’histoire du développement évolutionnaire, aucune créature n’a été consciente de souffrir. D’un point de vue théologique, cette découverte met en évidence la miséricorde et la bonté de Dieu. Dieu a protégé presque tout le règne animal à travers l’histoire contre la conscience de souffrir. Pour ceux d’entre nous qui possédons et aimons des animaux de compagnie, c’est un réconfort phénoménal et une raison de rendre grâce à Dieu pour sa bonté et sa merveilleuse, et même ingénieuse attention apportée à la création. »[2]
Disons simplement en une phrase qu’une telle idée va à l’encontre des connaissances scientifiques sur le sujet. Mais Monsieur Craig éprouve le besoin de croire une telle chose afin de pouvoir continuer à croire dans le Dieu de sa religion. On est en droit d’interpréter sa rhétorique comme la manifestation d’une pensée motivée par le désir de croire.
« A partir de combien de millions d’enfants morts est-on en droit de douter de l’infinie bonté de Dieu ? » Attribué à Pierre Desproges
Précisons que l’histoire d’Adam et Ève est évidemment une fable. Les sciences du vivant sont catégoriques : il ne peut pas exister de couple originel à l’espèce humaine, car ce n’est pas ainsi que fonctionne l’évolution. Les individus (et les couples) ne sont pas l’unité de la transformation des espèces ; les populations et les clans sont les unités de l’évolution. L’histoire du péché originel est un mythe sur lequel il n’est pas raisonnable de faire reposer une réflexion sérieuse sur l’origine de l’univers. Pour mieux voir l’absurdité de ce mythe, rappelons que l’exercice du libre-arbitre implique la connaissance du bien et du mal… connaissance que n’avaient pas les personnages folkloriques Adam et Ève avant de manger au fruit de… la connaissance du bien et du mal. La légende raconte donc qu’ils sont punis pour avoir commis un acte dont ils ne savaient pas, dont ils ne pouvaient pas savoir qu’il était mal de le commettre. Enfin, nous avons vu précédemment que l’omniscience de Dieu est incompatible avec le concept de libre-arbitre. Le libre-arbitre ne peut donc pas être une réponse à l’existence du mal, et cela signifie que nous n’avons aucune raison de penser que l’entité nommée Dieu puisse être qualifiée de bienveillante.
Demandons-nous quelle sorte de Dieu bienveillant aurait inventé l’idée d’une éternité de souffrance en Enfer pour ceux qui refusent de croire en son existence ?
Une Entité omnipotente, omnisciente et bienveillante est une impossibilité logique.
Nous sommes en présence d’un Dieu qu’il est impossible de conceptualiser sans tomber irrémédiablement sur une contradiction. Cela exclut Dieu hors des limites de la logique, ce qui disqualifie d’emblée ce concept en tant qu’outil de production d’une connaissance objective. Et cela devrait donc dissuader quiconque d’entamer une démarche rationnelle tendant à prouver son existence.
En objection à cela, on peut vouloir considérer que Dieu est tout ou partiellement illogique… cela lui permettrait de répondre « mu » ou « osef »[3] au paradoxe de la pierre… mais cela ne serait pas une preuve qu’il est omnipotent, car à propos d’un être au moins partiellement illogique, on ne peut plus rien prouver rationnellement, et on droit renoncer à l’entreprise défendue par ceux qui veulent prouver l’existence de Dieu.
« Il m’était plus facile de penser un monde sans créateur qu’un créateur chargé de toutes les contradictions du monde. » Simone de Beauvoir
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[1] « L’Eternel se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre, et il fut affligé en son cœur.» (Genèse 6:6)
[2] « Viewed theologically, this discovery magnifies the mercy and goodness of God. God has shielded almost the entire animal kingdom throughout its history from an awareness of being in pain! For those of us who are pet owners and lovers of animals, this is a tremendous comfort and a cause of praise to God for His goodness and wondrous, even ingenious, care of creation. » William Lane Craig, sur son site http://www.reasonablefaith.org/animal-suffering#ixzz3TocIgFjn, consulté le 8 mars 2015.
[3] « mu » est un mot zen qui signifie « sans » et que l’on peut utiliser quand une question ne peut admettre de réponse logiquement satisfaisante, comme l’exemple classique « avez-vous arrêté de battre de votre femme ? ». Mu s’impose chaque fois qu’une question risque d’enfermer celui à qui on la pose dans des présupposés qu’il estime infondés. Quant à osef… c’est l’acronyme de on s’en fout.