Enregistré le 23 février 2022
Invité : Cyril Gambari, docteur en microbiologie. Enseignant en lycée agricole.

Editorial

 

L’agriculture, occupait autrefois plus de la moitié des travailleurs. Nourrir la population était un souci constant, la famine un danger réel, la survie de chacun suspendue aux aléas du climat, des maladies et divers ravages.

Aujourd’hui, le monde agricole emploie 1,5% des travailleurs et produit plus que ce dont nous avons besoin. Entre temps l’agronomie a fait des progrès considérables. Les pratiques agricoles, les variétés améliorées, les matériels adaptés, et l’agrochimie ont rencontré un succès phénoménal. On peut nourrir presque tout le monde sur la planète. De ce point de vue, il y a de quoi se réjouir, mais on a tendance à l’oublier, immergés que nous sommes dans une société de l’abondance où la disette semble appartenir au Moyen-âge.  Nous n’avons plus peur de la faim, alors nous avons l’esprit tout à fait libre pour avoir peur d’autre chose.

Le premier rôle de l’agriculture, c’est de nourrir la population. Le deuxième rôle de l’agriculture c’est de la nourrir bien, avec des produits sains, et là c’est un autre débat, très compliqué que de savoir comment on distingue un produit vraiment, vraiment, sain d’un produit problématique.

La troisième rôle de l’agriculture c’est de s’efforcer de ne plus être l’un des secteurs les plus polluants de notre société, de réduire ses rejet des produits chimiques dans les rivières, et les nappes phréatiques, de réduire l’utilisation de pesticides qui mettent en danger la biodiversité, de réduire l’impact des agrosystèmes sur les paysages en rétablissant du bocage, des parcelles boisées, des lisières, de la variété dans les cultivars, de raccourcir les filières, d’éviter de chauffer des serres en brûlant du pétrole, etc

Bref la marge d’amélioration de l’agriculture est conséquente. Et cela donne de la place à des propositions alternatives : des manières de produire de la nourriture qui répondent à des critères écologiques. Le Bio est au minimum un outil marketing pour mettre la pression sur le monde agricole afin qu’il s’aligne sur les attentes du public. Et au mieux —mais il faudrait le prouver— une manière saine et efficace de nourrir tout le monde tout en respectant l’environnement.

Et puis il y la biodynamie. Très, très à la mode, très chic, la biodynamie, c’est une sorte de philosophie, un pas de côté, une liberté prise avec les certitudes de la science pour se reconnecter au vivant, à ce qui compte vraiment, au fond, à notre place dans le cosmos. La biodynamie, c’est la pratique agricole rêvée par Rudolf Steiner, un ésotérisme du XIXe siècle, auteur d’une œuvre pléthorique, et notamment de centaines de conférences adressant tous les sujets possibles tant son génie universel avait le droit de tous nous éclairer de son anthroposophie, un mouvement spirituel que par souci de concision  je vais ici appeler, un peu abusivement mais pas trop, une secte.

La biodynamie est une image de marque, un produit d’abord cognitif qui permet de croire qu’on est plus écolo, mieux écolo, plus éveillé, plus à l’écoute du vrai sens des choses, une pratique aux théories jamais vérifiées car jamais testées dans lesquelles par exemple de la bouse de vache introduite dans une corne de vache passe l’hiver enterrée dans le sol puis sert à élaborer une préparation ultra diluée dans le l’eau de pluie qu’il faut faire tourbillonner pendant un heure afin que cette solution puisse agir : elle édifie la structure du sol, favorise l’activité microbienne, régule le pH, stimule la germination, et mille autre merveilles.

La biodynamie, vous ne le saviez peut-être pas, ce n’est pas du bio, c’est de l’homéopathie pratiquée en plein champ en respectant un calendrier astrologique.

Mais dit comme ça c’est un peu abrupt, vous n’avez pas forcément envie de me croire.  Prenons notre temps, nous avons deux heures pour examiner d’où vient cette pratique, ce qu’elle dit vraiment, et si peut-être il existe des preuves de son efficacité. Car après tout, même si la théorie est bizarre, la science n’ayant pas réponse à tout, si ça se trouve : ça marche.

Pour en parler Cyril Gambari est docteur en microbiologie. Et il enseigne la biologie dans un lycée du Sud de la France.