« Une invention nommée Jésus » : Recension et réponse

Ce billet contient la critique d’Alexis SEYDOUX, publiée le 22 septembre 2025, et la réponse de Nicolas Bourgeois, publiée le 29 septembre.

 

Critique d’Alexis Seydoux

Le 31 juillet dernier, j’ai répondu à l’invitation de Thomas Durand sur La Tronche en Biais à Nicolas Bourgeois, un auteur mettant doute l’historicité de Jésus et avant l’hypothèse que le personnage de Jésus est une invention[1]. Lors de ce débat en direct, j’ai mis en avant les arguments qui construisent le consensus des historiens attestant de l’existence d’un Jésus historique. Cette période n’est pas ma spécialité, mais d’une part, je l’ai étudiée dans mon cursus universitaire et j’ai continué à travailler dessus, et d’autre part, j’ai présenté une conférence pour l’AFIS sur ce sujet[2].

L’hypothèse de monsieur Bourgeois a été présentée dans un livre, Une invention nommée Jésus, qu’il m’a fait parvenir depuis et dont je présente ici une recension[3].

 

 

L’historicité de Jésus a fait l’objet de débat entre historiens. Pour certains, les sources permettant d’attester de l’existence de Jésus ne sont pas assez solides pour assurer de l’historicité du personnage ; et si Jésus n’existe pas, alors les fondements du christianisme comme religion révélée s’écroulent. Aujourd’hui, le consensus des historiens penche nettement en faveur de l’existence de Jésus. Ce débat est assez bien résumé notamment par Maurice Sartre, un antiquisant spécialiste de l’Orient romain[4].

La première chose qui frappe dans cet ouvrage, c’est la faiblesse de la bibliographie présentée. Une quarantaine d’auteurs est cité, essentiellement autour de la vie Jésus ; il manque, à mon sens, d’une part une grande partie des ouvrages anglo-saxons sur la question, notamment les grandes synthèses comme le premier volume de la Cambridge History of Christianisme ou les ouvrages analysant les sources du premier christianisme[5]. C’est aussi le cas d’une partie des synthèses publiés en français, tel que le premier volume l’Histoire du Christianisme, ou la L’Histoire générale du Christianisme[6]. Ces ouvrages sont actuellement les synthèses les plus complètes présentant le consensus historique. D’autre part, il manque les ouvrages qui mettent en avant le contexte historique et religieux de cette période[7]. De fait, monsieur Bourgeois ne s’intéresse ni au contexte historique de la Judée ou de l’Empire romain au Ier siècle, ni au contexte du judaïsme ; cette partie court sur deux pages de la première annexe de l’ouvrages, et ne met en avant qu’une rapide chronologie des débuts du judaïsme à la révolte de 135. Du coup, Nicolas Bourgeois n’aborde jamais le contexte de production et de réception des textes dont il fait la critique.

Il emploie également un argument ad hominem, en indiquant que les auteurs qui travaillent sur l’existence de Jésus sont des croyants. Ceci n’est pas exact et il aurait fallu que Nicolas Bourgeois présente une historiographie du sujet.

L’essentiel de l’argumentation de monsieur Bourgeois repose sur une critique serrée des textes qui évoquent Jésus. Trois sont essentiellement mis en avant : les sources, essentiellement les Évangiles, sont incohérentes, donc faux ; les autres textes sont inspirés par des chrétiens, sont orientés et donc non recevables ; les textes non chrétiens sont trop éloignés ou douteux, donc peu acceptables.

Ces arguments sont en réalité faibles et ont déjà été présentés par les historiens. Le fait que les Évangiles manquent de cohérence et ne permettent pas de reconstruire une biographie de Jésus est une évidence que les historiens ont longtemps mise en avant, puisque c’est en grande partie sur cela que l’exégèse s’est fondée dès le XVIIIe siècle. Les Évangiles ne sont pas des biographies de Jésus, mais des textes militants cherchant à montrer aux autres factions juives de la validité du message de Jésus.

L’autre arguments, c’est que la plupart des textes qui parlent de Jésus sont chrétiens donc orientés. Là encore, c’est enfoncer une porte ouverte ; et c’est mal connaître ce qu’est la critique des sources sur laquelle la méthode en Histoire. Toute source écrite est orientée et subjective. Que les Évangiles soient produits par des proches du groupe qui reconnait Jésus n’enlèvent pas leurs valeurs. Que les textes parlant de Jésus – ce qui n’est pas forcément le cas, trouvent leur source parmi les suiveurs de Jésus, ne démontre pas que Jésus est une invention. Si on écartait d’emblée toutes les sources produites par une entité politique car elles sont “militantes”, alors on ne connaitrait rien de la religion des Grecs car on aurait écarté Homère et Hésiode, rien des Carolingiens, car on ne s’appuierait pas sur leurs lois et rien sur Magellan car on écarterait le récit de Pigafetta. Le travail de l’historien consiste à comprendre et à critiquer ces textes, notamment en s’appuyant sur leur contexte de production et de diffusion.

L’analyse des ouvrages de Flavius Josèphe est sans doute le plus représentatif du manque d’analyse de ces textes. Nicolas Bourgeois s’interroge dans son ouvrage du manque de mention de Jésus dans son premier ouvrage, La guerre des Juifs, pourtant plus anciens. En revanche, l’auteur juif cite Jésus dans le deuxième dans le passage appelé le Testimonium Flavianum. Pour l’auteur, c’est un argument montrant que la “propagande” chrétienne a influencé Flavius Josèphe. Mais, il ne prend pas en compte les intentions de l’auteur : le premier ouvrage de Flavius Josèphe a pour objet d’expliquer la guerre des Juifs, donc les événements de 67 à 70 en Judée et spécialement le propre rôle de l’auteur ; c’est donc, avant tout, un texte justificatif. Le second, Antiquités Judaïques est écrit par Flavius Josèphe pour expliquer aux Romains ce qu’est le judaïsme. Et dans ce cadre, il décrit les différents groupes juifs, dont ceux qui croient en la résurrection de Jésus. Il ajoute que pour que le Testimonium Flavianum soit valable, il faudrait s’assurer qu’il soit bien écrit, du moins en parti, par l’auteur juif et que sa source ne soit pas chrétienne. Or, si ce passage connaît bien une interpolation bien étudiée par les chercheurs, on sait qu’il est bien de la main de Flavius Josèphe, notamment du fait de son style et par une copie de ce texte non interpolé qui a été retrouvé[8]. Que sa source soit chrétienne, c’est possible, mais cela n’invalide pas la mention de Jésus comme personnage historique.

Du coup, ne prenant pas en compte le contexte politique et religieux de la Judée, particulièrement entre 66 et 135, et ne mettant pas en avant le contexte de production et de réception de ces textes, Nicolas Bourgeois se livre dans son ourvrage, à un exercice d’hypercritique.

La démonstration de Nicolas Bourgeois est donc uniquement fondée sur la critique des textes. Mais, jamais il ne cherche à expliquer comment le personnage de Jésus a été inventé par les Chrétiens et en quoi on comprend mieux la naissance de la religion chrétienne est mieux expliqué par l’inexistence de Jésus que par son existence ?

 

La critique des sources de Nicolas Bourgeois est donc assez faible, car elle ne se fonde que sur une hypercritique de ces textes, sans jamais tenir compte du contexte historique, du contexte de production, des intentions des auteurs et de l’intertextualité. Cette critique est très éloignée des méthodes actuelles de l’histoire. De plus, dans cet ouvrage, il n’explique pas pourquoi et comment le personnage de Jésus aurait été inventé. Du coup, il ne propose pas une explication meilleure que celle du consensus actuel.

 

Alexis Seydoux
Références

[1] https://www.youtube.com/watch?v=VNwJw5VSlG0&t=4822s, consulté le 15 août 2025.

[2] https://www.youtube.com/watch?v=U1_fzHdFYkY&t=4964s, consulté le 15 août 2025.

[3] Nicolas BOURGEOIS, Une invention nommée Jésus, autoédité, 2023.

[4] Maurice SARTRE, “L’historien face au christianisme : quelques réflexions”, in Pierre GEOLTRAIN (edit), Aux origines du Christanisme, Paris, Gallimard, 2000.

[5] Margaret MITCHELL et Frances Young (edit), The Cambridge History of Christianity, vol 1, Origins to Constantine, Cambridge, CUP, 2006 ; Andrew RADDE-GALLWITZ, The Cambridge editions of Early Christians Writings, Cambridge, CUP, 2017 ;

[6] Jean-Marie MAYEUR, Charles PIETRI, Luce PIETRI, André VAUCHEZ et Marc VENARD, Histoire du Christianisme, tome 1, Le Nouveau Peuple (des origines à 250, Paris, Desclée, 2000 ; Jean-Robert ARMOGATHE, Pascal MONTAUBIN, Michel-Yves PERRIN, Histoire générale du Christianisme, tome 1, Des origines au XVe siècle, Paris, PUF, 2010.

[7] David WENHAM, Jesus in Context. Making Sense of the Historical figure, Cambridge, CUP, 2021 ; Gillian CLARK, Christianity and Roman Society, Cambridge, CUP, 2004 par exemple.

[8] Simon Claude MIMOUNI et Pierre MARAVAL, Le Christianisme des origines à Constantin, op. cité, page 75.

 


Réponse de Nicolas Bourgeois

 

Vous venez de lire une critique très défavorable de mon livre Une invention nommée Jésus par Alexis Seydoux. Je crois que mon contradicteur a mal lu mon livre. Commençons par les erreurs factuelles.

 

Alexis Seydoux écrit : « dans cet ouvrage, il n’explique pas pourquoi et comment le personnage de Jésus aurait été inventé ». J’ai écrit : « Au cours des chapitres précédents, nous avons vu comment Jésus a été fabriqué : d’après les Écritures. Nous allons maintenant voir pourquoi ». Voir le début du chapitre 10 sur le Messie.

 

Alexis Seydoux me reproche à plusieurs reprises de ne pas tenir compte des contextes historiques et religieux de la Judée, du judaïsme et de l’Empire romain ni de l’intertextualité. Je m’y intéresse dès l’introduction : « Pourquoi a-t-on inventé Jésus ? On ne voit pas. On ne voit pas car l’histoire de Jésus est née dans une culture différente de la nôtre et dans un contexte historique particulier. Une fois tout cela exploré, l’invention de Jésus paraît beaucoup moins étonnante »… jusqu’à à la conclusion : « Jésus est le fruit de l’espoir de salut du peuple juif. Cet espoir s’est exprimé de façon religieuse, comme il était normal pour ce peuple et pour cette époque » … en passant par un chapitre consacré au Messie largement consacré au contexte religieux de la Judée du premier siècle et à la comparaison de textes de provenances différentes.

 

Alexis Seydoux me reproche des raisonnements que je n’ai pas tenus.  J’aurais écrit « que les auteurs qui travaillent sur l’existence de Jésus sont des croyants. Ceci n’est pas exact… » Bien sûr que ce n’est pas exact mais j’ai écrit autre chose : « beaucoup de spécialistes sont des croyants, assez souvent des prêtres » (voir, dans l’introduction, le dernier paragraphe de L’avis des spécialistes), ce qui apparaît clairement à quiconque a fréquenté la bibliographie du sujet.

 

On me reproche ce propos : « les Évangiles, sont incohérentes, donc faux ». Oui les évangiles sont incohérents, et Alexis Seydoux le dit aussi, mais je n’en conclut pas qu’ils sont faux : « Sans disqualifier définitivement les évangiles, cela montre que leurs auteurs étaient mal renseignés ou qu’ils ont inventé ». Voir le début du chapitre 5 sur les contradictions entre les évangiles.

 

Et celui-ci : « les autres textes sont inspirés par des chrétiens, sont orientés et donc non recevables ». Je ne sais pas à quel endroit d’Une invention nommée Jésus Alexis Seydoux a trouvé cet élément.

 

En revanche, Alexis Seydoux relève un argument que j’ai effectivement avancé : pour que le Testimonium Flavianum atteste l’existence de Jésus, il faut deux conditions ; que ce texte ait effectivement été écrit par Josèphe et que Josèphe ne tire pas son information des chrétiens. Pour abréger la discussion, admettons que la première condition est bien vérifiée, que Flavius Josèphe a bien écrit ce texte. En ce qui concerne la deuxième condition, je suis d’accord avec Alexis Seydoux, on n’en sait rien. Il est possible que Flavius Josèphe tire son information des chrétiens. Pour Alexis Seydoux, ce n’est pas un problème : « Que sa source soit chrétienne, c’est possible, mais cela n’invalide pas la mention de Jésus comme personnage historique ». Pour moi, c’est grave, si Josèphe a été renseigné sur Jésus par des chrétiens (que ce soit certain ou seulement possible), alors ce témoignage s’explique aussi bien que Jésus ait existé ou pas, et il n’atteste pas l’existence de Jésus. Ce n’est pas un problème de contexte, de méthode ou d’érudition mais seulement de logique.

 

Je suis aussi d’accord avec Alexis Seydoux quand il écrit : « Aujourd’hui, le consensus des historiens penche nettement en faveur de l’existence de Jésus ». Là, oui, l’argument est impressionnant. Enfin, c’est l’argument d’autorité. Rien de plus. Alors, on peut essayer de creuser, on peut essayer d’examiner les arguments que les historiens spécialistes de Jésus avancent en faveur de son existence. Ça fait longtemps que je creuse et j’ai constaté que tous leurs arguments sont mauvais. Alexis Seydoux vient de nous en donner un exemple avec Flavius Josèphe qui, peut-être, n’est renseigné que par les chrétiens mais qui atteste quand même que Jésus a existé. Les historiens spécialistes de Jésus avancent une dizaine d’autres arguments qui sont devenus des classiques et dont aucun n’est valable. Je les ai examinés dans mon livre, il suffit de le consulter. Vous pouvez aussi en avoir un aperçu sur ma chaîne YouTube.

Vous ne me croyez pas ? Vous ne pouvez pas admettre que quelques mythistes aient raison contre des centaines d’historiens reconnus, admirés, surdiplômés et hyper-compétents ? Regardez leurs arguments, ils ne valent rien. Alors, bien sûr, c’est quand même étonnant et c’est là qu’il faut signaler que beaucoup d’entre eux sont des croyants, que beaucoup d’entre eux sont employés par une université catholique ou protestante, que beaucoup d’entre eux ont obtenu leurs diplômes d’histoire et parfois de théologie dans une université catholique ou protestante. Alors, sans être exagérément soupçonneux, on peut craindre un conflit d’intérêts : il y a sans doute des choses qu’un chercheur n’a pas intérêt à dire, du moins s’il est soucieux de sa foi et/ou de son employeur et/ou de la considération de ses confrères et/ou de sa carrière.

Il faut se mettre à la place des spécialistes croyants. Ils seraient dévastés s’ils devaient admettre que Jésus n’a pas existé. Alors, quand ils s’aperçoivent que la documentation sur Jésus n’est pas fiable, ils cherchent des raisons de penser qu’on peut quand même lui faire confiance. Et s’ils ne trouvent pas de bonnes raisons, ils se contentent d’arguments très faibles. C’est mieux que rien.

 

Alexis Seydoux conclut par « il ne propose pas une explication meilleure que celle du consensus actuel ». Les quatre évangiles sont la principale source d’information sur Jésus. Alexis Seydoux  nous rappelle que : « les Évangiles manquent de cohérence » , « les Évangiles ne sont pas des biographies de Jésus, mais des textes militants cherchant à montrer aux autres factions juives de la validité du message de Jésus ». Dans mon livre j’ai expliqué que

  • les évangiles racontent des histoires invraisemblables ;
  • les auteurs des évangiles sont prêts à inventer n’importe quelle histoire pourvu que cela les arrange ;
  • les auteurs des évangiles avaient de bonnes raisons d’inventer le personnage de Jésus ;
  • au Ier siècle, les chrétiens sont les seuls à avoir remarqué le personnage de Jésus ;
  • les historiens spécialistes du Jésus historique sont souvent en situation de conflit d’intérêts car ils défendent leur foi ou celle de leur employeur ;

Désolé, je n’ai rien de plus, mais cela me semble bien plus convaincant que les mauvais arguments des spécialistes.

Ajoutons aussi qu’Alexis Seydoux garde le silence sur une partie importante de mon livre : la réfutation de tous les arguments que j’ai rencontrés chez les spécialistes. Cela devrait être discuté, avant d’estimer que je « ne propose pas une explication meilleure que celle du consensus actuel ».

 

Quelques liens :

Mon livre, Une invention nommée Jésus : https://www.amazon.fr/gp/product/B0DNQZYZHH/ref=ox_sc_saved_image_2?smid=A1X6FK5RDHNB96&psc=1

Ma chaîne YouTube : https://www.youtube.com/@NicolasBourgeois-ps5gv

 

Nicolas Bourgeois

 

1 réponse
  1. Laurent Tlacuilo
    Laurent Tlacuilo dit :

    « Dans mon livre j’ai expliqué que
    les évangiles racontent des histoires invraisemblables ;
    les auteurs des évangiles sont prêts à inventer n’importe quelle histoire pourvu que cela les arrange ;
    les auteurs des évangiles avaient de bonnes raisons d’inventer le personnage de Jésus ;
    au Ier siècle, les chrétiens sont les seuls à avoir remarqué le personnage de Jésus ;
    les historiens spécialistes du Jésus historique sont souvent en situation de conflit d’intérêts car ils défendent leur foi ou celle de leur employeur ; »

    J’extrapole à un autre univers, si vous le voulez bien. Mexico-Tenochtitlan, 1520 – Cortés et ses troupes sont rentrés dans la capitale avec des alliés indiens Tlaxcaltèques, et font face aux Mexicas (Aztèques) et leur tlatoani (empereur) Moctezuma.
    Tlaxcaltèques et Mexicas ont une dent les uns contre les autres. Les Mexicas font dans l’expansion de masse depuis 2 siècles environ, avec tribut en productions diverses et sacrifiés. Les Tlaxcaltèques (pas si éloignés par rapport à d’autres provinces annexées) font de la résistance forcée, et tapent sur la gueule des Espagnols au premier contact, avant de saisir l’opportunité d’en faire des copains, et d’aller ensemble poutrer la tronche de Moctezuma et sa clique. Problème secondaire, Cortés agit en son nom propre pour conquérir les lieux au nom du roi, et contre le but initial fixé par le gouverneur de Cuba (et donc autorité du roi pour le coin), Velazquez. Qui décide donc, pour reprendre la main, de faire monter une autre expédition avec un certain Narvaez à sa tête (et à l’époque, ça met du temps à se faire, comptez donc près d’un an pour qu’après que Cortés ait abordé le Mexique, ce soit au tour de Narvaez).
    Dans les grandes lignes : février 1519, Cortés part de Cuba. Il fonde Vera Cruz en juillet. Septembre il se heurte aux Tlaxcaltèques. Novembre il entre dans Mexico-Tenochtitlan. Avril 1520 Narvaez arrive dans les parages de Vera Cruz.

    Voilà pour les bases, c’est maintenant que ça se corse. Cortés informé embarque une partie des troupes et fin mai 1520, c’est la confrontation, Narvaez perd (une dizaine de morts), et Cortés revient au pas de course à Mexico-Tenochtitlan avec ses hommes renforcés des troupes de Narvaez (et les alliés Tlaxcaltèques).
    Pourquoi revient-il au pas de course ? Son capitaine Alvarado laissé en arrière à Mexico-Tenochtitlan a été confronté aux Mexicas, il y a eu des morts, soulèvement de la population et ils ne doivent probablement leur survie qu’au fait qu’ils ont Moctezuma en otage.
    Cortés revient donc, tente de calmer le jeu. Moctezuma intervient pour parler à la foule, se prend des pierres en réponse, meurt peu après. Situation désespérée, fuite de la dernière chance, les Espagnols et les Tlaxcaltèques fuient la ville comme ils peuvent (plus grande défaite de toute la Conquête du Mexique – 500+ morts espagnols), c’est la Noche Triste fin juin 1520.

    Les sources : 1- Cortés, qui envoie des lettres à Charles Quint. 2- Bernal Diaz del Castillo, troufion qui livre le plus beau récit dans une version datée de 1568 environ, première édition imprimée en 1632. 3- Gomara, un Espagnol pas foutu de traverser l’Atlantique, à qui Cortés et d’autres racontent leurs péripéties. 4- Andrés de Tapia ou Francisco de Aguilar (ils font partie de l’expédition) pour quelques éléments en plus. 5- des codex indiens. Pour les témoignages directs, c’est tout, fermez la boutique.

    Maintenant on fait comme pour Jésus (sauf que Jésus, c’était sur du parchemin – ça se conserve moins bien que le papier ; et y a 2000 ans le sagouin !). Ici, on est sur un évènement il y a 500 ans, avec 2500+ Espingouins, des centaines de milliers d’Indiens, et quelques 200+ auxiliaires (Amérindiens des îles Caraïbes et Africains).
    Histoire invraisemblable ? 1- Un saut, effectué par Alvarado, sur lequel ce tatillon de Bernal Diaz del Castillo passe près de deux pages à douter de la véracité, tout comme il doute d’une apparition de la Vierge pendant que les troupes hurlaient « Santiago ! » lors d’un affrontement. [catégorie douteux] 2- Des prophéties mexicas qui font douter de l’état de paranoïa de Moctezuma, et des Mexicas lorsqu’ils voient débouler des canons, des maisons sur l’eau, des chiens de guerre, et des chevaux. [catégorie douteux] 3- deux Espingouins paumés lors d’une expédition précédente, le premier qui servira de traducteur principal (Espagnol-Maya) avec Malinche, une jeune femme (parlant Maya et Mexica) [avéré, mais sacré coup de bol] 4- le second Espingouin, marié à une Maya avec des gosses, qui refuse de rejoindre la bande, et mènera une résistance maya peu après contre les Espagnols [avéré, dans la catégorie improbable, ça place la barre haut] 5- les sacrifices humains, avec des brochettes de 6000+ crânes sur la place centrale de Mexico, avec cardiectomie et cannibalisme en supplément [avéré]

    Les auteurs des chroniques sont prêts à truander l’histoire pourvu que cela les arrange. Cortés veut damer le pion à Velazquez auprès de Charles Quint, donc il embellit, il triche, voire il ment. Gomara écrit en partie pour Cortés, la fiabilité, on oublie (surtout que ce débile n’a jamais vu un tatou, ne s’est pas fait pisser dessus par un singe hurleur ou n’a pas idée de la mâchoire d’un jaguar). Tapias ou Aguilar, on peut suspecter un effet Gomaresque de best-seller, comme avec le « Naufrage » de Cabeza de Vaca (un autre conquistador, qui a fait une expédition dans le nord avec Narvaez – décidément partout – qui n’aura que 4 survivants -!!!-) ou le « Nus, féroces et anthropophages » de Hans Staden, un Chleuh chez les Castillans qui a manqué de finir en pot-au-feu chez les Tupinamba du Brésil (paye ton multiverse). Les codex, déjà qu’ils se comptent sur les doigts d’une main, on peut douter des intentions des auteurs amérindiens, selon qu’ils penchent pour les Tlaxcaltèques, les Mexicas, ou qu’ils veulent brosser le pouvoir colonial espagnol dans le sens du poil. Reste donc Bernal Diaz del Castillo, et le fait que son récit soit connu de façon posthume qui ajoute un point à la fiabilité du monsieur.

    Nos auteurs sont tous d’accord sur les protagonistes, pas de raison d’inventer. Par contre, pour ce qui est d’être d’accord sur qui dirige le bal, bonjour les embrouilles. Est-ce que Cortés se mêle à une guerre civile, ou est-ce qu’il mène une conquête ? Est-ce Cortés qui manipule les Tlaxcaltèques pour s’en faire des alliés, ou plutôt l’inverse, pour détruire l’empire mexica ?
    Il se passe quoi à Mexico-Tenochtitlan, pendant que Cortés éborgne Narvaez : là, on a au minimum 3 ou 4 options. Alvarado est un imbécile et réprimande une séance de sacrifice pleine de liesse et d’hémoglobine ; Alvarado fait une crise de parano et bute du Mexica sans distinction ; l’aristocratie mexica en a marre des intégristes chrétiens dans leurs murs et décide de secouer le cocotier ; l’aristocratie mexica voit Moctezuma comme un pleutre et tente un coup de bluff pour imposer un autre loustic ; les Tlaxcaltèques sur place manigancent de l’espionnage pas net pour s’assurer un renversement ; etc (et chaque option n’est pas exclusive). TOUS les témoignages du bordel de Mexico-Tenochtitlan sont de sources absentes (Cortés et Bernal Diaz tapent sur Narvaez, sur les côtes mexicaines).
    Pourquoi Moctezuma meurt ? Est-ce qu’il est bel et bien blessé gravement au point d’en mourir par son propre peuple (et comment ? pierres, flèches, autre ?) ? Est-ce qu’un agent tlaxcaltèque n’a pas tenté une Poutine pendant qu’il regardait à gauche ? Et si Cortés avait jugé qu’il était devenu inutile, et qu’on pouvait aussi bien le zigouiller ?

    Un siècle plus tard, on n’a pas vraiment suivi qui est allé où, alors que tout le monde est bien d’accord pour dire qu’une partie de ces gens sont quand même bien importants… Elle est morte où, Malinche, et comment ? Si quelqu’un peut me le dire… parce qu’elle a tout de même un fils métis avec Cortés, la dame ! Au-delà d’être une alliée inespérée et une super traductrice, elle a aussi sa place dans la petite famille. Et Cortés, allez demander au Mexicain moyen où il est, vous croyez qu’il le sait ? eh bien il est à 500m de la place centrale, planqué dans une église où on n’aime pas trop rappeler que le grand conquérant a ses os incrustés dans le mur parce que depuis, le roman national a eu tendance à en faire un trucideur sans vergogne. Et Moctezuma ? Vous saviez, vous, que parmi les plus riches familles d’Espagne, vous avez des Moctezuma ? Parce que l’immigration, ma bonne dame, mon bon monsieur, ça marche dans les deux sens. Et Bernal Diaz del Castillo tiens, on a un historien français (Duverger) qui a tenté de faire croire qu’il n’avait rien écrit, et qu’en fait c’est un prête-nom de Cortés pour raconter dans le détail la conquête (et vous imaginez pas le raffut que ça a fait, avec une décoration du monsieur en Espagne, et un séminaire de 2 jours au Mexique pour démonter sa théorie avec un autre Français pour la présider, histoire de pas faire dans la discrimination, le tout pas si loin de l’affaire Florence Cassez et de l’annulation de l’année du Mexique par un multi-récidiviste appelé Sarkozy). Donc vous êtes sympa, Jésus était-il juif, chrétien, et la terre locale c’est quoi comme caillou, vous authentifiez ça sous le nom de l’empire romain, de la Palestine, de la colonie ottomane, de la colonie britannique, de l’Israël – pas de problème, y a les mêmes outre-Atlantique, dans une version revisitée. Pas besoin d’angelots qui montent au ciel et de cadavre qui sort après trois jours frais comme un gardon… D’ailleurs, il est où le corps de Moctezuma ? Personne n’a été foutu de dire s’il avait été cramé comme pour les autres empereurs, dans la tradition.

    Les historiens spécialistes de la Mésoamérique, côté français, sont un microcosme avec deux grandes écoles accessibles au public, la version de gauche, grille marxiste, avec Nathan Wachtel (« La vision des vaincus », ah et pour ne rien arranger, le titre a été potentiellement emprunté à un historien mexicain). La version de droite, avec Jacques Soustelle, gaulliste et gouverneur général de l’Algérie – excusez du peu. Manquerait plus qu’en plus de vagues querelles idéologiques ou de clocher (mais globalement, ça va, tout le monde se parle même si on aime dire du mal parfois), on aille faire un parallèle avec le fait qu’un responsable politique d’une colonie s’intéresse à une propriété française. Parce que, figurez-vous que le Mexique, c’est la France : un certain Napoléon III a eu la brillante idée d’y envoyer de la famille, en la personne de l’empereur (c’est de famille) du Mexique Maximilien. Lui aussi adepte de la pilosité faciale surprenante, et comme les Mexicains sont des gens de goût, ils ont fait une Louis XVI avec les moyens modernes, exécution par balle du barbu après trois années d’empire…
    Bon, ça c’est pour la France. Mais l’Espagne. Vous imaginez ? Des types à qui le Mexique demande parfois encore réparation !
    Et les Mexicains ? Vous avez des révisionnistes, qui nient le cannibalisme ou la brochette de crânes (ils font moins de bruit depuis qu’on a exhumé les 6000+ têtes il y a quelques années). Côté roman national et hommages, on a trouvé un Vercingétorix local avec le tout dernier empereur, Cuauhtémoc : « En 1521 après J.C., nos ancêtres les Aztèques avaient été vaincus par les Espagnols, après une longue lutte… Des chefs tels que Cuauhtémoc doivent déposer leurs armes aux pieds de Cortés… La paix est installée, troublée par quelques attaques de Mayas, vite repoussées… Tout le Mexique est occupé… Tout ? Non ! car une région résiste victorieusement à l’envahisseur. » (Copyright Goscinny sauce guacamole et piments, chocolat en supplément).

    Voilà un trop long développement, une trop longue extrapolation. Tout ça pour dire que si ça marche pour un évènement vieux de 500 ans, et que ça ne remet pas en cause l’existence des protagonistes ni des évènements majeurs, je ne vois pas où cela devient révélateur pour un bonhomme crucifié il y a 2000 ans sur lesquels personne n’arrive à être d’accord, avec tous les enjeux qui vont avec (théologiques, politiques, et autres) : il est juif ou chrétien le type ? On a gardé 4 textes, mais les autres faut les jeter, ou bien on peut picorer dedans ? qui l’a condamné : les Ritals adeptes du pilate, le conseil des barbus de Jérusalem, le seul et unique Judas qui se suffit à lui-même, ou alors c’est un suicide assisté puisque Jésus n’arrête pas de dire qu’il doit mourir ? Ou les quatre à la fois (et plus si affinités) selon que le Pape crèche à Avignon, que le Reich a des idées un peu trop fixes sur les races, qu’on doit bâtir les bases d’une religion au milieu de fichus polythéistes (mais la statue d’Isis au fond du salon, ça donne du charme à la croix du mur gauche), ou qu’on répond à un témoin de Jéhovah un peu trop insistant après le Mormon de la veille ?

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