Faut-il douter de l’historicité de Jésus ?

Emission enregistrée le 30 juillet 2025.
Invité fil rouge : Nicolas Bourgeois, auteur de « Une invention nommé Jésus »

 

La Tronche est à VOUS est une émission de libre antenne visant à promouvoir la culture du débat.

 

Éditorial – Quelle est la vraie question ?

 

Faut-il poser la question de l’historicité de Jésus ?

 

Pour être parfaitement transparent avec vous : si l’on m’apporte aujourd’hui la preuve catégorique qu’un certain Jésus a bel et bien existé, cela ne changera rigoureusement rien à ma vie. Cela ne pose aucune difficulté à être accepté de mon côté, à tel point que la plupart des non croyants sont indifférents à la question, voire estiment que c’est une perte de temps. Vous n’en verrez pas beaucoup s’investir sur cette question. Vous savez dans que j’ai besoin de vous le dire que la situation n’est pas symétrique du côté des chrétiens où le ton monte très vite à la simple évocation de la question posée dans le titre de cette émission.

Si l’on m’apporte tout à l’heure la preuve qu’il n’y a pas eu de Jésus né à Nazareth, de jésus prêcheur en Galilée, de Jésus crucifié à Jérusalem… Quelle conséquence voulez-vous que cela ait pour moi : aucune. Alors, en fait, cela me surprendrait un peu, qu’on parvienne à produire une preuve formelle de non-existence pour un individu de l’Antiquité. En général, ce n’est pas ainsi que fonctionne l’histoire. On ne prouve pas les absences. On constate des silences, on soupèse des manques, on évalue la pertinence des sources.

Mais cela signifie, logiquement, que la charge de la preuve repose sur ceux qui affirment positivement une existence. Autrement dit : ce sont les tenants de l’historicité de Jésus qui doivent en priorité fournir des éléments probants — pas ceux qui émettent des doutes. Et alors une question légitime se pose : est-ce que le niveau de preuve apporté est réellement suffisant ? Ou bien, compte tenu de l’ancienneté des événements, de la nature des sources, des interpolations connues, des silences gênants, doit-on plutôt conclure que l’affaire reste, au fond, non résolue ?

Je ne suis pas historien. Je suis docteur en biologie. En règle générale, je me fie au consensus des spécialistes — sur les vaccins, sur le climat, sur la mécanique quantique. Je ne suis pas du genre à croire que “tout se vaut” ou que “la science est une opinion parmi d’autres”. Mais je me souviens aussi d’une leçon fondamentale, issue des sciences humaines : les savoirs sont situés. Les chercheurs ont une histoire personnelle, des convictions, des présupposés — et cela vaut aussi pour les historiens du fait religieux. Aucun domaine n’échappe aux biais cognitifs. L’objectivité absolue est un idéal, pas un état de fait. Vous avez bien sûr le droit de penser le contraire, et notamment que les consensus scientifiques d’aujourd’hui sont tous vrais, qu’ils ne bougeront plus, qu’on peut avoir des certitudes absolues ; vous avez le droit d’idolâtrer la science. Il y a des gens qui pensent comme ça ; je ne les entends jamais revendiquer le nom de « zététicien ».

Dans la vraie vie du vrai monde, un consensus n’est jamais un dogme, c’est-à-dire une vérité indiscutable. En tout cas en principe.

Mais les consensus ont de la valeur, ils sont supérieurs à l’opinion d’une personne lambda parce que les chercheurs disposent de méthodes rigoureuses pour limiter les biais qui frappent chacun d’entre eux sans exception. Et s’il y a bien un domaine où les biais sont redoutables, c’est celui de l’histoire religieuse. L’histoire, en tant que discipline scientifique, est d’ailleurs née d’une rupture avec le récit sacré. Elle a commencé, vraiment, lorsque des penseurs comme Spinoza ont osé dire que la Bible n’est pas un témoignage historique infaillible, mais un recueil de textes composites, datables, situés, et parfois mythiques. Cette prise de conscience a mis des siècles à s’imposer. Moïse, Abraham, David… tous ces personnages ont longtemps été tenus pour historiques, avant que l’analyse philologique, l’archéologie et la critique des sources n’imposent un autre regard : celui d’une lecture critique, parfois désenchantée, mais plus rigoureuse.

Alors une question s’impose, et elle mérite d’être posée calmement, sans ironie ni sarcasme :

Peut-on encore, aujourd’hui, interroger librement l’historicité de Jésus sans être taxé d’ignorance, de provocation, ou de complotisme ? Et si ce n’est pas le cas, alors quel genre de consensus avons-nous devant nous ? Un consensus méthodologique fondé sur l’analyse des sources ? Ou un consensus culturel, forgé au contact d’une longue tradition religieuse devenue académique ?

Autrement dit : le consensus sur Jésus est-il un consensus comme les autres ? Ou est-il, par sa nature même, en partie conditionné par l’objet qu’il prétend éclairer ?

C’est parce que j’ai du respect pour l’histoire en tant que discipline scientifique, et dans les historiens en tant qu’experts dédiés à comprendre et à expliquer le passé et notre manière de le reconstruire, de l’interpréter, de lui donner du sens, que je suis un peu étonné par le traitement méprisant réservé à la parole des mythicistes, celles et ceux qui défendent l’idée que l’hypothèse d’un Jésus non existant, entièrement inventé, explique mieux les faits disponibles que l’hypothèse actuellement mise en avant d’un Jésus minimal, mais authentique.

Dans cette émission vous ne m’entendrez pas affirmer que Jésus est un pur mythe, que le consensus est faux, ni l’inverse. Dans ce dossier, j’adopte une posture que ne devrait pas suspendre tant que cela, celle du sceptique, concentré sur une question : comment sait-on ce que nous pensons savoir ? Disposons-nous de raisons suffisantes pour affirmer que l’on sait ?

Je suis totalement indifférent à l’existence ou non d’un jésus historique, en revanche je considère qu’il est très important qu’on sache se poser de bonnes questions sur la validité des « vérités de science », et qu’une telle discussion puisse avoir lieu dans le calme. Le rôle de la zététique n’est pas de remplacer la science ou de jouer à être expert de tout et n’importe quoi pas à rappeler l’importance de l’incertitude et le rôle majeur, crucial, vital du doute dans le progrès de la connaissance. Parce que pour savoir quelque chose avec force et confiance, il faut avoir été capable d’en douter.

1 réponse
  1. Verpin
    Verpin dit :

    Bonjour,
    Le problème fondamental que j’ai avec les mythistes, c’est cette façon de poser la question de l’existence du Jésus de façon isolée. . La véritable interrogation devrait être: d’où vient le christianisme ?, Comment expliquer ses liens avec le judaïsme? Comment comprendre l’ensemble de la littérature testamentaire, les 4 évangiles, les actes des apôtres et les épîtres? C’est en répondant à ces questions qu’on peut éclairer le personnage de Jésus. Au lieu de cela, on prétend d’abord répondre à la question de l’historicité pour ensuite essayer de construire un scénario justifiant l’existence de la religion chrétienne, en oubliant que la question de la vraisemblance de ce scénario est un élément essentiel de la question.
    On a des exemples bien documentés au cours des deux derniers siècles de création de religions(mormonisme, bahaisme, caodaisme, ahmadisme, spiritisme, théosophie etc…) Quasiment la totalité ont pour source l’enseignement d’un personnage, souvent charismatique qui est considéré comme le message de Dieu , un éveillé, ou un médium communiquant avec divers esprits. Si on veut que le christianisme réponde à un autre schéma, c’est à dire ici à la création par une communauté d’un personnage fictif, il faut des arguments, et c’est pourquoi je suis totalement en désaccord avec l’idée que la charge de la preuve revient aux historicistes. En particulier, la thèse qui semble être celle de votre invité, qui admet la présence du christianisme à Rome et en Asie mineure au début du second siècle(c’est ainsi qu’il justifie les témoignages profanes de cette époque), et par conséquent les débuts de cette foi quelques décennies auparavant, et donc l’invention de Jésus très peu de temps après la date de sa supposée existence, donnerait au christianisme une origine tout à fait hors de ce qu’on connait par ailleurs. Par conséquent, ce scénario doit être très solidement argumenté, et ce d’autant plus qu’elle pose d’autres problèmes encore.. Si vraiment on a élaboré un personnage de prophète sans base historique alors que des personnes ayant vécu en l’an 30 étaient encore vivantes, des juifs non chrétiens n’ont pas manqué de le noter pourquoi ne trouve-t-on nulle part de cela dans la tradition juive? Les exemples d’invention de héros qu’on donne pour justifier l’hypothèse(Moïse ou le Roi Arthur) montre un écart de plusieurs siècles entre la création du mythe et l’époque où les supposé se dérouler. Au delà, il semble avéré que les postulants au rôle de messie ne manquaient absolument pas à l’époque( https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pr%C3%A9tendants_juifs_%C3%A0_la_messianit%C3%A9#ier_si%C3%A8cle) pourquoi en imaginer un fictif alors que vous en avez pleins tout prêts à servir?
    Au delà, pour qu’une communauté élabore un mythe, il faut déjà que cette communauté existe, et pour qu’elle existe, il faut une raison. Qu’elle soit constituée d’anciens adeptes d’un prédicateur disparu, et que confrontée à la mort de leur Messie, ils aient (ici on peut se référer à »l’échec d’une prophétie ») construit les bases de la nouvelle religion apparait comme l’hypothèse par défaut.

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