Trump vs Musk vs le RÉEL

Il fallait s’y attendre. Quand deux des figures les plus adulées de la complosphère entrent en conflit, une partie de leurs fans se retrouve dans l’embarras. Elon Musk, le milliardaire visionnaire, autoproclamé défenseur de la liberté d’expression ; Donald Trump, l’homme providentiel censé renverser l’État profond. Quand ces deux « héros » s’affrontent publiquement, que faire ? Choisir un camp ? Reconnaître que l’un d’eux ment ? Accepter que leurs récits ne tiennent pas ensemble ?

Cela reviendrait à admettre qu’on avait tort d’en faire des icônes. Or le complotiste ne se trompe jamais. Il ne peut pas se tromper. Il a vu ce que les autres n’ont pas vu. Il a compris ce que les autres refusent de voir. Alors, forcément, c’est autre chose qui va se passer.

 

 

Rappel des faits

Mardi 3 juin 2025

Début des hostilités : Elon Musk critique publiquement sur X le « big, beautiful bill » de Trump, le qualifiant d’« abomination dégoutante».

Mercredi 4 juin 2025

Musk intensifie ses attaques : Il multiplie les posts sur X contre le projet de loi budgétaire, s’en prenant aussi aux Républicains qui le soutiennent.

Jeudi 5 juin 2025 — Explosion publique du conflit :

Trump, à la Maison-Blanche, lors d’une conférence avec le chancelier allemand Merz se dit « très déçu » par Musk, dont il dit qu’il savait exactement ce que contenait le projet de loi. Il affirme avoir aidé Musk à plusieurs reprises, mais que ce dernier « manque de gratitude ». — Sur Truth Social, Trump accuse Musk d’être devenu dingue.

Musk réplique sur X : Il accuse Trump d’« ingratitude » et de mensonge. Il écrit « Sans moi, Trump aurait perdu l’élection, les Démocrates contrôlaient la Chambre et les Républicains seraient à 51-49 au Sénat. » Il affirme avoir dépensé près de 277 millions de dollars pour soutenir Trump et les Républicains lors des élections.

Trump contre-attaque sur Truth Social : Il menace de mettre fin aux contrats fédéraux de Musk et de supprimer les subventions à Tesla et SpaceX : « Le moyen le plus simple d’économiser des milliards dans notre budget, c’est de supprimer les subventions et contrats d’Elon. »

Réaction de Musk « Make my day ! » (Fais moi plaisir !) — Enfin Musk lâche une bombe sur X « Donald Trump est dans les dossiers Epstein. C’est cela la vraie raison pour laquelle ils ne sont pas rendus public. Bonne journée, DJT ! » — Plus tard Musk retweet un message qui appelle à la destitution de Trump.

Steve Bannon a aussitôt appelé à expulser Musk qui serait un étranger en situation irrégulière. Musk en retour le traite de criminel. Etc.

 

Quelle réaction dans la « MAGA-sphère » complotiste ?

Une option serait d’être d’accord avec Trump dans ses critiques de Musk. Un autre d’être d’accord avec Musk dans ses critique de Trump. Une troisième serait de trouver que chaque critique est justifié. La complosphère fait le choix d’une option impossible : continuer d’aduler l’un et l’autre en considérant que cette dispute n’en pas vraiment une.

Sachez donc que Trump et Musk ne s’opposent pas : ils coopèrent en secret. Ils simulent leur querelle pour tromper leurs ennemis, détourner l’attention, tester la fidélité des suiveurs, manipuler les masses. Et seuls les « éveillés » peuvent voir le plan. Mieux encore : toute évolution du conflit — son intensification comme son apaisement — pourra être justifiée a posteriori. La théorie est conçue pour résister à toute falsification. C’est un bunker mental.

 

Une logique où la vérité devient secondaire

La complosphère n’est pas intéressée par la vérité, car elle n’est pas facilement exploitable aux dépends de ses ennemis. Ce qui compte, ce n’est pas que Trump ou Musk ait véritablement raison. Ce qui compte, c’est qu’ils suscitent la haine du « camp d’en face », qu’ils fassent enrager les journalistes, les intellectuels, les experts, les scientifiques.

Tant que Musk ou Trump feront hurler la bien-pensance, tant qu’ils choqueront le monde, alors peu importe qu’ils mentent, qu’ils trahissent, ou qu’ils se déchirent entre eux. Ils resteront des champions à défendre, ils décideront des sujets qui font le buzz, qui attirent l’attention, qui occupent tout l’espace démocratique et apportent aux supporter un sentiment de pouvoirs dans l’horreur que la situation suscite chez les ennemis idéologiques.  Leur efficacité se mesure à la haine qu’ils provoquent chez leurs opposants. Ils deviennent des armes identitaires plus que des porteurs de projet. Des catalyseurs de colère, des distributeurs de ressentiment.

Et cela passe par une étrange soumission, en réalité.

Il y a là une étrange soumission mentale. En affirmant que le conflit est simulé, les complotistes reconnaissent en creux que Trump et Musk sont des menteurs. Des manipulateurs. Des cyniques capables de trahir même leurs alliés. Et pourtant, ils les admirent. Ils les défendent. Ils les servent avec une dévotion qui frôle le fanatisme. Ils placent leur confiance aveugle dans des figures qu’ils savent fondamentalement déloyales — tout en traitant les autres de moutons.

On pourrait juger cela irrationnel, incohérent, presque pathologique. Mais ce serait rater l’essentiel : ce comportement n’est pas stupide, il est tribal.

 

La dynamique de la haine utile

Le dégoût que cette posture provoque chez leurs adversaires est précisément ce qui la renforce. Plus vous êtes choqué par leur cynisme, plus ils sont confortés dans leur certitude d’avoir raison. La polarisation est telle qu’il ne s’agit plus de proposer un projet viable, mais de faire mal au camp d’en face.

Et cette stratégie n’est pas sans efficacité : elle renforce la cohésion du groupe. Elle donne un sentiment d’appartenance, de résistance, de survie. C’est une version politique et numérique de l’instinct de meute. Dans un monde perçu comme hostile, tout ce qui resserre les rangs est vu comme une force.

L’instinct de survie en mode paranoïaque

Nous sommes les descendants de ceux qui ont survécu aux conflits, aux guerres, aux persécutions. Notre cerveau est équipé pour détecter des menaces et pour réagir par l’affiliation au groupe. Quand ce groupe croit qu’il est menacé par le fluor, le graphène, la 5G ou le wokisme, alors il se regroupe autour de celui qui crie le plus fort. Peu importe que ce soit un charlatan. L’important, c’est qu’il nomme l’ennemi.

Notre attirail cognitif compte des raccourcis mentaux plaidant pour des stratégies radicales, extrêmes qui visent la destruction de ceux dont on croit qu’ils veulent nous détruire. Et c’est dangereux.

 

Le culte de la personnalité comme prélude à la barbarie

Le culte de la personnalité n’est pas une stratégie politique : c’est une maladie. Une maladie de la démocratie, une pathologie de la pensée critique. Elle transforme des figures autoritaires en totems d’identification. Et elle prépare les esprits à tout accepter — l’arbitraire, le mensonge, la violence — dès lors qu’ils viennent « du bon camp ».

Ce n’est pas avec un « combat des chefs » que l’on soigne un peuple intoxiqué à ce degré. C’est avec un traitement de fond. Une désintoxication lente. Une reconquête du réel. Et une critique lucide de tous les discours qui transforment la défiance légitime en foi aveugle.

Acermendax
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