Sociologie & « nature humaine » (TenL#71)

Invité : Laurent Cordonier
Enregistré le mercredi 13 février 2019 dans le théâtre du Saulcy, Espace Bernard-Marie Koltès, Metz

Editorial

Bonjour à tous, chers amis et curieux ; chers sceptiques et rageux, mais qu’est-ce qu’une émission de vulgarisation de la zététique peut bien avoir à dire sur le racisme ? N’est-ce pas un sujet politique où s’affrontent des postures partisanes et où chacun se voit intimé l’ordre de prendre parti ? Est-ce notre rôle de prendre parti ?

Toutes les personnes présentes ici ce soir sont (à priori) des êtres humains, et nous sommes tous humains sans avoir eu à apprendre ce que c’est qu’un être humain. Personne ne peut vous apprendre à être vous, pas plus qu’un potamochère n’apprend à être un potamochère (les requêtes Google pour « potamochère » n’ont pas sponsorisé cette émission).

Nous sommes humains sans avoir appris à l’être, nous existons sans être spécialistes en métaphysique, nous respirons même dans la plus totale ignorance de ce qui se passe dans nos poumons et nos cellules. Tout cela se fait sans que personne ne se soit concerté. Nous avons en nous, ou quelque part entre nous, le programme pour faire un humain, et ce programme a une histoire. Personne ici n’existe en l’absence de relations sociales : avec nos parents, notre cercle de connaissance, nos pairs, nos collègues, nos clients, et cetera. Nul ne devient humain seul dans son coin.

D’un côté nous sommes des êtres sociaux et acculturés : mais de l’autre nous naissons avec le potentiel d’apprendre. Nous avons tous, et dans toutes les cultures, des intuitions sur la manière dont fonctionne le monde, c’est ce qu’on appelle des « théories naïves », et ce sont des approximations tout à fait remarquables ; elles nous permettent d’anticiper les conséquences de nos actes et de ceux d’autrui avec une efficacité qui nous rend parfois un peu trop sûrs de la qualité de nos prédictions.

Si vous parlez français, il est probable qu’on vous ait appris le français, mais en revanche personne ne vous a appris à savoir apprendre à parler français. D’ailleurs la langue française est née avant qu’on bâtisse des écoles : les enfants apprennent en grande partie tout seul (ce qui n’est pas une façon de dire que les profs ne servent à rien, cette profession est juste cruciale pour éviter les catastrophes tapies dans l’ombre. Et tout le monde sait qu’ajouter des drapeaux dans les salles de classe ne va pas les aider beaucoup). Personne n’a décidé de la forme de la grammaire française ou des autres langues humaines. Pourtant ces grammaires existent. Dès lors peut-on les qualifier de « naturelles » ? Vous savez la prudence que nous recommandons dans l’utilisation de ce mot. Mais utilisons-le là où il a du sens.

Nous sommes tous le résultat, l’aboutissement temporaire, de l’histoire d’une lignée de primates qui ont été sélectionnés pour leurs caractères avantageux. Dans certaines lignées c’est la vitesse, la force ou la capacité à supporter des températures extrêmes ou à lutter contre les parasites. Chez nous ce fut notamment la cohésion sociale, l’entraide, la bonne intelligence, la culture. La nature a fait de nous des êtres sociaux et nous n’avons pas réellement le choix d’être autre chose que ce que nous sommes.

On peut s’en réjouir ou s’en désoler. On a bien le droit. Mais ce n’est pas ce que nous ferons ce soir.

Ce soir nous allons nous demander comment on peut essayer de bien décrire, de bien comprendre le fonctionnement de l’être humain, avec ses spécificités, sans en faire un être complètement à part de la nature, car cela nous priverait d’explications tout à fait valables sur nos comportements, nos préférences, nos choix, nos problèmes et leurs éventuelles solutions.

Nous allons questionner les disciplines qui tentent de donner une lecture sensée à ce que font les humains. Sociologie, anthropologie et sciences cognitives sont-elles en concurrence, en porte-à-faux, en contradiction ? Y a-t-il une guerre entre ces disciplines ? Est-ce que j’exagère délibérément dans le but de faire du sensationnalisme et de vous inciter à cliquer et partager ?

Laurent Cordonier est sociologue, il est l’auteur de « La nature du social » qui traite exactement du sujet de ce soir, et il va nous éclairer sur ce que son approche peut apporter à notre effort collectif de mieux nous comprendre.

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