Sept petits conseils pour ne pas se faire manipuler
Les discours trompeurs ne cherchent pas d’abord à nous convaincre. Ils cherchent à nous activer. À déclencher une émotion qui court-circuite notre vigilance. À court-circuiter la pensée critique en se branchant directement à ce qu’il y a de plus vif en nous : notre colère, notre dégoût, notre peur, notre indignation. C’est ainsi que fonctionne la manipulation : non pas en nous faisant réfléchir, mais en nous faisant réagir.
La complosphère, les campagnes de harcèlement, les controverses toxiques en ligne… toutes obéissent à cette même dynamique. Une mécanique bien rodée où l’on nous offre des ennemis désignés, des boucs émissaires déjà coupables, des coupables qu’il devient presque délicieux de détester. On nous dresse un tableau en noir et blanc, où il n’y aurait plus que deux camps : les bons d’un côté (les “réveillés”, les “justes”, les “lanceurs d’alerte”), et les méchants de l’autre (les “vendus”, les “traîtres”, les “corrompus”, les “malades mentaux”).
Le piège, c’est celui du manichéisme. L’abandon des nuances. L’extinction de la métacognition. Le triomphe du biais partisan, qui nous pousse à préférer la loyauté à la vérité.
Face à cela, il n’y a qu’un antidote : la pensée critique. Pas celle qui consiste à “penser contre”, ou à tout suspecter. Celle qui consiste à ralentir le train de nos inférences. À poser des questions. À douter avec mesure.
Voici quelques conseils simples pour éviter de devenir les jouets d’une communication qui méprise le réel
- Suspendons notre jugement.
Ne nous fions jamais à une version des faits sans comprendre le contexte et les enjeux. Un conflit a toujours une histoire. Et nous ne comprenons jamais bien une situation si nous n’en connaissons qu’une version. - Analysons la logique derrière l’émotion.
Un récit bouleversant n’est pas nécessairement un récit vrai. Demandons-nous : que nous dit-on précisément ? Quelles sont les prémisses ? Y a-t-il des incohérences ? Des omissions ? Ce qui ne colle pas est souvent la clé pour sortir d’un piège narratif. - Revenons aux faits.
Ne nous contentons pas de la version résumée, indignée, amplifiée. Que savons-nous exactement de ce qui a été dit, fait, décidé ? Qui cite qui ? Où ? Dans quel contexte ? Ce travail demande du temps, mais c’est celui de l’honnêteté intellectuelle. - Prenons le temps d’évaluer la source
Celui ou celle qui s’adresse à nous a-t-il ou elle déjà manipulé l’opinion ? Déformé des propos ? Lancé de fausses accusations ? À l’inverse, si cette personne est connue pour sa rigueur, sa prudence, sa capacité à sourcer et à démontrer, il est raisonnable de lui accorder plus de crédit. C’est du bayésianisme élémentaire. - Ne nous précipitons pas sur les récits à chaud
Ceux qui ont vraiment été témoins d’un événement savent à quel point il est difficile de raconter “la vérité” dans l’instant. La narration nécessite du recul. Les récits les plus fiables arrivent souvent après les emballements. - Soyons lucides face à l’effet de groupe.
Plus une idée est reprise, likée, relayée, plus elle peut nous sembler crédible. C’est le biais de popularité. Mais la vérité n’est pas une affaire de votes. Ne confondons pas viralité et véracité. - Soyons attentifs à notre propre tentation de haïr
La haine partagée est un ciment puissant. Elle donne une sensation d’unité, de cohérence, d’identité collective. Mais elle peut aussi être le carburant du mensonge. Demandons-nous : cherchons-nous à comprendre ce qui est vrai… ou à savourer notre rôle de justicier ?
La zététique n’est pas une posture froide ou désengagée. C’est un effort. Celui de ne pas se laisser tirer par le col vers la pente savonneuse de l’adhésion irréfléchie. C’est choisir de penser plutôt que de réagir.
Ce n’est pas la gratification rapide du confort des certitudes qu’on y trouve, mais quelque chose de plus exigeant : de la dignité, de la responsabilité, et de la liberté.
Chacun d’entre nous peut commencer à croire un récit, une théorie, une version qui résonne à la fréquence de nos priorités, de nos émotions, de nos valeurs… mais qui n’a que des liens très distendus avec la réalité. La vraie force consiste à le reconnaître et à savoir quand une remise en question s’impose.
Acermendax
Salutaire pour quiconque souhaite résister aux discours fallacieux. Pratique pour quiconque souhaite affûter son discernement.
On aurait tort de croire que se renseigner sur la méthode, qu’elle soit scientifique ou zététique, n’apporte jamais rien au lecteur: généralement plus vous vous renseignerez ou vous entraînerez et meilleurs seront vos chances de, par exemple, résister aux biais. Ca ne vous en protégera pas parfaitement, mais apprendre à conduire réduit les risques d’accident de la route 😀
Je plussoie à cent pour cent …