SCOOP : le covid sort-il d’un laboratoire chinois ?
Depuis le déclenchement de la pandémie, l’origine du SARS-CoV-2 reste discutée, et c’est un champ miné où s’entrecroisent politique, désinformation et passions collectives. Dernièrement, un nouveau chapitre s’est ouvert avec la publication d’un rapport de l’Académie nationale de médecine française, qui prend clairement position en faveur de l’hypothèse d’un accident de laboratoire à Wuhan, la présentant comme l’explication la plus vraisemblable, en citant notamment un communiqué de la CIA allant en ce sens, mais sans qu’aucune preuve directe ne vienne l’étayer. Cette affirmation marque une rupture dans le paysage scientifique français, jusque-là plus prudent.
Le lien vers ce rapport ne fonctionne plus au moment où j’écris ces lignes.
L’Académie évoque un « faisceau d’indices » : la proximité du Wuhan Institute of Virology (WIV), les travaux menés sur des coronavirus proches du SARS-CoV-2, et certaines zones d’ombre dans la chronologie des événements. Elle appelle à ne pas disqualifier cette hypothèse, tout en recommandant de renforcer la biosécurité des laboratoires et la surveillance des zoonoses. Ce sont là des propositions prudentes, mais leur réception a provoqué des rodomontades dans les milieux qui sachaient la vérité avant tout le monde.
Notons déjà que des voix scientifiques se sont élevées contre ce rapport, le qualifiant d’« indigent scientifiquement », selon Florence Débarre (CNRS), qui souligne l’absence de données nouvelles et le manque de rigueur dans l’évaluation des sources. Car malgré les années de recherche, aucune preuve directe ne vient appuyer la thèse du laboratoire. Malgré la prise de position de l’Académie, le consensus scientifique international — certes moins unanime qu’à l’origine — continue de privilégier l’hypothèse d’une émergence naturelle via un hôte intermédiaire. C’est l’explication jugée la plus probable par la majorité des chercheurs dans le domaine, en raison de la similarité avec les précédentes émergences de coronavirus (SARS-CoV-1, MERS), et en l’absence de preuve directe venant accréditer la thèse d’un accident de laboratoire.
Une question de confiance
Mais au-delà du fond scientifique, ce débat reflète une tension plus profonde. Le manque de transparence des autorités chinoises a alimenté les soupçons, tout comme les obstacles aux enquêtes indépendantes. Par ailleurs, la politisation de l’hypothèse du laboratoire – notamment aux États-Unis où elle a été instrumentalisée dans des discours partisans – a radicalisé les positions. Les réseaux sociaux, quant à eux, ont servi de caisse de résonance à des récits extrêmes, entre confusion volontaire et recherche de bouc émissaire.
C’est dans cette zone grise que prospèrent les récits complotistes. Très tôt, des théories infondées ont circulé : virus conçu comme arme biologique, libéré délibérément, voire monté de toutes pièces par des élites occultes. Ces narrations jouent sur la défiance envers les institutions et exploitent les zones d’incertitude pour tisser des récits simples, séduisants, mais totalement fallacieux. Nous devons donc veiller à être prudent face aux inévitables « les complotistes avaient raison depuis le début ! » qui jaillissent depuis la publication de ce rapport, comme à chaque information plus ou moins corroborée allant un tant soit peu dans le sens de l’un des innombrables récits alternatifs qui ont leurs faveurs.
Soyons clairs : une hypothèse scientifique, même controversée, doit pouvoir être explorée. Mais elle doit l’être avec méthode, transparence, et sans céder à la tentation du sensationnalisme. Ce que réclame ici la prudence épistémique, c’est la reconnaissance de l’incertitude comme composante inhérente à la démarche scientifique – et non comme un vide à combler par des convictions ou des récits préfabriqués. L’approche zététique – scepticisme méthodique, évaluation critique des sources, refus de tirer des conclusions prématurées – s’impose comme boussole. Elle permet de ne pas confondre le doute rationnel avec la suspicion paranoïaque. L’hypothèse d’un accident de laboratoire ne doit ni être diabolisée, ni érigée en vérité alternative à défaut de mieux. À l’inverse, refuser de l’examiner sous prétexte qu’elle alimente des théories extrêmes serait une erreur tout aussi grave (et naturellement certains sont prompts à accuser les autres d’avoir fait cette erreur… mais ils sont moins diligents pour prouver que tel fut le cas)
La vérité ?
En somme : le virus vient-il d’un laboratoire ? C’est possible, mais toujours pas prouvé. Les complotistes ont-ils aidé à la manifestation de la vérité ? Non. Ils ont sécrété leurs soupçons et leurs accusations sans jamais travailler à tester leurs hypothèses. Les complotistes concluaient sans savoir à une origine humaine parce qu’ils sont constamment en train de produire des narratifs désignant des organisations coupables de sombres desseins et de méfaits perpétrés sur commande. Les horloges cassées donnent l’heure exacte deux fois par jour : les complotistes, en imaginant des coupables organisations derrière tous les drames, ne peuvent pas manquer d’avoir raison de temps à autres. Voltaire savait que « les astrologues ne sauraient avoir le privilège de se tromper toujours ».
L’hypothèse du virus sorti d’un laboratoire de Wuhan doit être retenue comme possible aussi longtemps que les vérifications qui permettraient de l’écarter ne pourront être réalisées, notamment à cause de l’opacité des autorités chinoises. Mais prétendre que c’est la vérité et qu’on le savait depuis le début, c’est-à-dire au moment où de telles affirmations étaient faites sans aucune bonne raison, c’est manquer d’esprit critique.
Quelques références
- Fondation Descartes. (2020). Covid-19: une pandémie de théorie du complot. https://www.fondationdescartes.org/2020/05/covid-19-une-pandemie-de-theories-du-complot/
- Gogarty, B., & Hagle, J. (2022). Antecedents and consequences of COVID-19 conspiracy beliefs. https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC8920084/
- Nature. (2023). Exploring COVID-19 conspiracy theories: education, religiosity, trust in scientists. https://www.nature.com/articles/s41598-023-44752-w
- Science. (2024). House panel concludes that COVID-19 pandemic came from a lab leak. https://www.science.org/content/article/house-panel-concludes-covid-19-pandemic-came-lab-leak
- Le Monde. (2025). Covid-19: Five years on, search for origin of SARS-CoV-2 remains fruitless. https://www.lemonde.fr/en/science/article/2025/01/01/covid-19-five-years-on-search-for-origin-of-sars-cov-2-remains-fruitless_6736629_10.html
C est très juste!
Les complotistes tirent à la mitraillette dans tout les sens. Et quand par hasard une balle tombe plus ou moins proche de la cible, ils ont tôt fait de se prendre pour des tireurs d’elite.
3 hypothèses :
– L’accident de laboratoire : possible mais je doute que le CHINE le confirme
– la fuite intentionnelle : pas impossible mais très peu vraisemblable. Et n’oubliez pas les 200 M de morts de la COVID en Chine
– une origine naturelle, par exemple un virus apparu dans une colonie de chauve-souris : très vraisemblable
Démontage Express – version « ça commence bien, ça finit en ronflement »
1. Le début : solide, posé, raisonnable.
L’auteur fait un bon point : oui, l’hypothèse de la fuite de labo a été surmédiatisée, souvent sans preuve directe, juste parce qu’elle est plus “sexy” qu’un pangolin flippé dans un marché.
C’est vrai : des journalistes et influenceurs ont sauté dessus comme sur une pizza chaude — parce que c’est vendeur, pas parce que c’est prouvé.
Verdict : jusqu’ici, rien à dire. C’est du bon scepticisme.
2. Puis vient le ton condescendant, version « j’ai raison parce que j’ai lu un thread Twitter de virologue »
L’auteur bascule vite dans une attitude passive-agressive où tout ce qui n’est pas l’hypothèse zoonotique est traité comme une folie médiatique ou complotiste molle.
Le problème ? Il ne s’en prend pas à des fake news directes, mais à des scientifiques légitimes qui posent des questions ouvertes, genre Alina Chan ou d’autres virologues américains, qui n’ont pas dit “C’EST SÛR”, mais juste “on doit explorer toutes les pistes”.
Tu veux être rigoureux ? Ne traite pas toute prudence comme une hérésie.
3. Le scientisme non assumé : “On sait que la zoonose est plus probable”
L’auteur ne dit pas « la zoonose est plausible », il dit « c’est plus probable », sans fournir de données comparatives sérieuses, comme s’il avait assisté à la genèse du virus personnellement.
En science, l’hypothèse zoonotique a certes plus d’antécédents (SARS, MERS), mais la possibilité d’une fuite de labo n’est pas invalide, juste incomplètement documentée.
Donc affirmer une “probabilité supérieure” dans un débat non tranché, c’est juste… se faire plaisir intellectuellement.
4. L’ironie de la “dérive médiatique” traitée par un site… médiatique.
L’article fustige la manière dont les médias amplifient l’hypothèse sensationnaliste, mais il oublie qu’il fait lui-même partie du système de production d’opinion.
Oui, Menace Théoriste est un blog sceptique, mais ça reste un média qui sélectionne ses angles, son ton, son storytelling. Tu dénonces les flammes pendant que tu tiens la torche.
Analyse structurée – version “l’arrogance en blouse blanche”
La fuite de labo : pas un complot, une hypothèse scientifique
Beaucoup de scientifiques sérieux (pas des chamanes) demandent qu’on n’écarte pas la piste de la fuite accidentelle. Le problème n’est pas la question, c’est ce qu’on fait avec :
Est-ce qu’on l’utilise pour faire du buzz ou du racisme ? -> NON.
Est-ce qu’on a le droit de la poser sans être traité de débile ? -> OUI.
Mais dans l’article, toute mention de cette hypothèse est traitée comme un glissement vers le complotisme ou l’incompétence médiatique.
Rappel : poser des hypothèses ≠ être anti-science.
Biais zététique auto-immun
Le sceptique rationnel devrait dire : “on ne sait pas, mais on enquête.”
L’auteur dit en gros : “on sait assez pour que ce soit chiant d’en reparler.”
C’est le même mécanisme que les dogmatiques religieux, sauf que là on te vend ça en robe de laboratoire avec un graphique en arrière-plan.
Verdict:
Tu veux défendre la rigueur scientifique ? Super. Mais commence par ne pas faire de zététique une chapelle où les questions deviennent suspectes dès qu’elles dérangent la ligne majoritaire.
La fuite de labo est peut-être fausse. Peut-être pas. On s’en fiche. Ce qui compte, c’est que le doute raisonné ne soit pas écrasé par le confort idéologique de ceux qui se croient “plus lucides que les autres”.
Ce n’est pas du tout ce que j’ai lu dans cet article.
Oui, il faut « explorer toutes les pistes », mais oui, l’hypothèse zoonotique est la plus probable car les éléments à disposition (séquences, proximité phylogénétique avec d’autres souches, timing, origine de l’infection, …) collent avec elle. Est-ce que ça interdit la fuite accidentelle d’un labo ? Non, car les scientifiques se servent dans la nature alentour et peuvent involontairement faire sortir un virus, mais ça reste moins probable. L’article ne dit pas autre choses, et toutes les majuscules du monde n’y changeront rien.