Le Scepticisme au Moyen-Âge

Voici un épisode tourné en juillet 2015 et qui aura mis 9 mois à atteindre le stade de vidéo publiée sur le net. Une looongue gestation due à ds limites de temps, de technique, de matériel. On ne voulait pas bâcler le travail. Pour nous faire pardonner ce retard, voici en bonus l’intégralité du script sous forme d’article.

Scepticisme médieval 01


Vled                — Quand on vous dit Moyen-Âge, avouez que vous ne pensez pas tout de suite : ouverture d’esprit, science et rationalisme, lumière ! On a plutôt une image négative de cette époque. Pourtant, le Moyen-Âge ne peut pas être réduit à une ère barbare d’inculture, d’ignorance et de peur. Car ces mots s’appliquent terriblement bien à notre propre époque.

Mendax           — Oui, enfin ça n’est parce que nos contemporains sont moyenâgeux qu’il faut trouver que c’est une bonne nouvelle.

Vled            — Ce n’est pas ce que je dis, Mendax. Simplement les gens de cette époque n’étaient pas si différents.  Ils avaient envie de comprendre le monde qui les entoure, et ils se posaient des tas de question.

Mendax        — J’ai comme un doute.

Vled                — Dans ce cas, allons faire un tour au Moyen-Âge !

Arrivée à Montbazon, forteresse médiévale.

Vled                — Nous sommes maintenant au Moyen Âge, bonnes gens. Regardez ce magnifique autochtone.

Nota Bene    — Arrête tes conneries, Vled.

Vled                — Nous ne sommes pas une chaîne d’histoire, et nous ne dresserons pas une liste exhaustive des grands penseurs du moyen âge, mais nous allons profiter de notre visite aujourd’hui de la forteresse de Montbazon qui date du 10ème siècle, pour essayer de voir quelle était la forme médiévale de la pensée critique. Vous allez voir que ce n’est pas exactement  la même chose que notre démarche scientifique actuelle… et que c’est même assez éloigné du scepticisme et de la zététique.

Mendax — Alors, déjà, commençons par dire deux mots du scepticisme.

Le scepticisme, c’est quoi  ?

Au sens strict, c’est une doctrine philosophique selon laquelle la pensée humaine ne peut déterminer une vérité avec certitude. Cela vient du grec skeptikos, « qui examine ». Et ça remonte à l’Antiquité et à un certain Pyrrhon qui n’a rien écrit qui nous soit parvenu. Déjà à l’époque c’est une philosophie méthodologique et non dogmatique qui refuse de poser des hypothèses métaphysiques. Le sceptique laisse toujours la place à la réfutation des idées.

Cette philosophie rejette toute connaissance douteuse afin de ne surtout pas défendre une opinion fausse et trompeuse qui serait source de malheur. Initialement, le scepticisme était un moyen d’arriver à l’ataraxie et à l’acatalepsie : la tranquillité de l’esprit et l’incompréhension. Ce n’est pas exactement une philosophie de l’ignorance, car affirmer que les choses sont insaisissables, fondamentalement inconnaissables, ce serait dogmatique, ce que rejette le scepticisme, mais le Pyrrhonisme n’était pas vraiment une invitation à expliquer le monde.

Ce courant n’est pas étranger à la pensée Socratique « La seule chose que je sais c’est que je ne sais rien. », et il va faire école en Grèce, notamment avec Arcésilas et sa Nouvelle Académie qui propose le concept de suspension du jugement « Épochè » qui consiste à demeurer sans opinion et à n’accepter que le raisonnable. En l’absence d’une vérité absolue, les sceptiques de la Nouvelle Académie favorisent ce qui est le plus vraisemblable.

Agrippa (1er siècle) peaufine l’école sceptique et entend prouver l’impossibilité de la certitude et la subjectivité de la connaissance. C’est un peu le relativisme avant l’heure, et cela interdit à l’humain d’avoir accès à une vérité qui ne dépende pas de ses préjugés.

Les arguments du scepticisme sont plutôt solides, et les grands penseurs du Moyen Âge vont passer leur vie à tenter de le réfuter.  Le Moyen-âge est donc loi de l’image sale qui lui colle à la peau, c’est une époque anti-sceptique.

Scepticisme médieval 02

Comment ça se passe au Moyen-âge ?

Au Moyen-Âge, la science a le sens de « savoir », et il n’y a pas de « scientifique » dont l’activité professionnelle est de produire de la connaissance. Ce métier n’apparaitra qu’au 19ème siècle. A cette époque, l’ancêtre de la science est la philosophie naturelle, et elle est réalisée par des philosophes.

En occident, le scepticisme est battu en brèche par Saint Augustin au 4ème siècle, puis c’est le silence radio pendant huit siècles.

Saint Augustin (354-430) réfute le scepticisme, et notamment l’idée sceptique qu’il faut s’attacher non pas à connaître la vérité (qui serait inatteignable) mais à estimer la vraisemblance des propositions. St Augustin trouve facile de rejeter cette option en disant qu’il est impossible d’estimer la vraisemblance d’une proposition s’il ne connait pas vérité à laquelle elle doit se comparer. Malin.

St Augustin montre les limites du doute en appliquant un doute hyperbolique, comme les sceptiques. Pour lui, si l’on peut douter de l’existence du monde on ne peut en revanche pas douter de l’existence des états mentaux qui nous donnent l’impression du monde. Ne pouvant pas nier ces impressions, il suffit à Augustin de dire que ces impressions constituent le monde, dès lors le monde existe.

Mendax        — Tu trouves ça convaincant ?

Vled                — Le philosophe faisait autorité. Plus tard dans sa vie, il développe une théorie de l’illumination dans laquelle la simple idée de Dieu garantit l’existence de la certitude.

Mendax        — Euh. Et tu trouves ça convaincant ?

(Tête de Vled)

Mendax        — C’est bien ce qu’il me semblait.


Scepticisme médieval 04

Dans les siècles suivants, il se passe peu de choses sur ce terrain-là, et il faut aller au Moyen-Orient aux alentours de l’an mille pour trouver des philosophes qui s’intéressent au scepticisme. C’est le cas de Alhazen (965-1039), né dans l’actuel Irak en 965. Il est contemporain à la construction de la forteresse de Montbazon.

Alhazen s’intéresse aux illusions d’optique. Il a notamment été le premier à expliquer le paradoxe de la Lune (et du soleil) qui parait plus grande quand elle est proche de l’horizon que lorsqu’elle est haut dans le ciel… Il travaille beaucoup sur le fonctionnement de l’œil[1]. Alhazen est l’un des premiers à comprendre que notre perception du monde n’est pas immédiate mais passe à travers des inférences extrêmement fugaces. Il est donc bien conscient de la faillibilité de la perception sensorielle qui dresse une barrière entre l’humain et la connaissance du monde.

Alhazen n’avait pas de lien direct avec la pensée sceptique, mais son travail  a consisté à constamment douter des connaissances établies sur le monde, c’est donc d’une mise en pratique du scepticisme qu’il s’agit ici. Roger Bacon (1214-1294), qui est considéré comme l’un des pères de la méthode scientifique, s’inspirera des travaux d’Alhazen.

Autre savant d’origine persane, Algazel (1058-1111) cherche à atteindre une connaissance absolue et il commence par lister toutes les raisons pour lesquelles on peut douter de nos connaissances. Il faut commencer par douter de nos sens, et Algazel cite par exemple notre ombre au soleil, qui semble immobile aussi longtemps qu’on la regarde et qui pourtant se déplace sous nos yeux. Il émet également des doutes sur la capacité de la raison humaine à rendre compte du réel.

Un peu à la Descartes, il s’autorise à douter de tout, et il doute notamment de la possibilité de relier de manière certaine les causes à leurs effets… et il se retrouve dans une grande détresse, car il lui semble que le point de vue sceptique est vrai, que la certitude ne peut être atteinte. Désemparé, il est soudain guéri de cette maladie par le sentiment de la nécessité de ses croyances grâce à une lumière projetée dans sa poitrine par Dieu tout puissant.

Mendax     — D’accord. C’est très convaincant

Vled               — Le scepticisme va revenir en occident à la faveur des croisades.

Ici s’inscrit la séquence réalisée par Dave de la chaîne Histoire Brève sur la manière dont les penseurs sont « redécouverts » par l’occident.

Vled           — Et donc les philosophes occidentaux redécouvrent Aristote, les académiciens… et les sceptiques en langue arabe, qu’ils retraduisent en latin.

Scepticisme médieval 05

Il est venu le temps des Universités !

Au onzième siècle, la recherche met le pied hors des abbayes et des monastères ; les premières universités européennes sont fondées : Bologne, Montpellier, Sorbonne, Oxford, Cambridge… Elles reçoivent la précieuse liberté académique qui les soustrait à l’autorité des évêques. À cette époque la langue de la science est le latin, et ceux qui ont accès aux études sont bien souvent des clercs et des religieux. Les universités restent intimement liées à l’Église et soumise à un sévère contrôle afin d’éviter toute hérésie.

Mendax        — Par exemple la recherche des sciences naturelles s’est parfois heurtée à l’idéologie religieuse pour laquelle établir des lois régissant la nature, c’est limiter le pouvoir de Dieu, et c’est donc blasphématoire.

Les théologiens et les philosophes européens vont donc étudier les textes antiques rapportés d’orient et s’efforcer d’en faire la synthèse et d’en adapter la pensée au paradigme chrétien. Et c’est le cas de l’école de Chartres ! [Fondée en 1004] qui devient un pôle intellectuel de premier ordre. Au 12ème siècle, les gens allaient à Chartres pour voir la belle cathédrale, ses vitraux incomparables et un morceau de voile qu’on prétend avoir appartenu à la Vierge Marie herself, mais cent ans plus tôt on y venait déjà car s’y trouvait la plus célèbre académie de France et l’élite des théologiens et philosophes de l’époque[2]. On y étudiait les 7 arts libéraux

Mendax        — Le Trivium & le Quadrivium.

Le Trivium concerne le pouvoir de la langue, il rassemble grammaire, dialectique et rhétorique. Le quadrivium se rapporte au pouvoir des nombres et il se compose de l’arithmétique, de la musique, de la géométrie et de l’astronomie.

Les sept arts libéraux sont d’ailleurs représentés par 7 sculptures sur le portail principal de la cathédrale. Mais à cette époque, et pour encore pas mal de temps, la philosophie naturelle est inféodée à la théologie. L’étude rationnelle de la nature doit permettre de confirmer ce que la théologie dit sur le monde.

Et le scepticisme des philosophes de l’antiquité pose comme un petit problème. Si les sceptiques ont raison et que l’on ne peut avoir aucune certitude sur rien du tout, alors pourquoi écouter l’Église ? Pourquoi ne pas douter du dogme ? Le paradigme théologique avait besoin que les sceptiques aient tort. Les philosophes chrétiens ont donc travaillé à cette fin.

Faisons un peu de name dropping, et commençons avec Henri de Gand (1217–1293). Il lit assidûment Aristote, Cicéron , Augustin, Averroès,  et il a un accès indirect aux travaux d’Héraclite, Zénon, Protagoras, Démocrite et Platon. Il prend le scepticisme au sérieux et dresse une liste des arguments en faveur ou contre la connaissance. Il conclut que la connaissance est possible, et son argument le plus intéressant, le plus central, est la loi de non-contradiction. Pour Henri de Gand, quelque-chose de vrai doit être cohérent. Cette loi de non-contradiction est en soi une certitude.

Mais Henri va plus loin, et il pense que la « pure vérité », elle, n’est accessible qu’à travers l’illumination divine. Donc la connaissance n’est accessible qu’à la bonne volonté de Dieu, ce qui est raccord avec la condamnation de 1277[3] dans laquelle Henri a été impliqué en participant à la rédaction de la liste de 219 propositions interdites.

La condamnation de 1277

[Narration par Rigo  de la chaîne Pour la petite histoire]

Scepticisme médieval 06

Etienne Tempier, évêque de Paris et fervent augustinien, est fermement opposé à certaines thèses aristotéliciennes et averroïstes qui circulent chez les philosophes. En 1270 il publie une première condamnation qui interdit 13 propositions philosophiques ou théologiques concernant notamment le déterminisme (et donc le libre arbitre), l’éternité du monde ou la négation de la providence universelle de Dieu.

Cette première condamnation fut insuffisante pour empêcher l’enseignement des thèses incriminées. Il faut savoir que les membres des Universités à cette époque, recevaient interdiction d’expliquer les textes qui semblaient contredire la foi, sinon dans le but de les réfuter. Un parfum d’hérésie planait dans le monde universitaire.

En 1277 une nouvelle condamnation tombe : une liste, longue et désordonnée de 219 propositions « erronées » et donc interdites. Elle touche aussi bien les thèses de Thomas d’Aquin (1224-1274) mort trois ans plus tôt, que celles d’Aristote et Averroès.  La censure marque une opposition non seulement au scepticisme mais aussi au rationalisme, et aux efforts de certains philosophes pour justifier rationnellement la croyance en Dieu.

C’est dans cette condamnation que l’évêque de Paris juge hérétique de croire dans les lois de la nature, car cela empiète sur l’omnipotence de Dieu.

Mendax      — Ben voilà, c’est ce que je disais tout à l’heure.

Voix Off        — C’est assez impoli de couper une voix off pendant qu’elle parle.

Mendax      — Eh bien alors je m’excuse. Je vous en prie, vous pouvez continuer

Voix Off        — J’ai terminé. C’était la condamnation de 1277.

Mendax      — (Tête de Mendax) Ok. Merci beaucoup.

La lutte contre le scepticisme

John Duns Scotus (1265–1308) n’est pas convaincu par les arguments de Henri de Gand, mais il est certain que le scepticisme est faux et il s’emploie à le combattre. Comme les autres, il considère que le monde est compréhensible grâce à l’illumination divine. Il y aurait 4 types de connaissances nécessairement vraies, et notamment : 1) les propositions logiques par nature (l’ensemble est plus grand qu’une de ses parties), 2) ce qui relève de la proprioception (il ne l’appelait pas comme ça): je sais que je suis éveillé, que je suis en vie, que je suis debout, etc.

Il défend ensuite l’idée que les évènements qui se produisent de manière répétée ne peuvent pas être dus au hasard mais sont le résultat de l’agencement du monde par Dieu. Dès lors on peut inférer une connaissance à partir de l’observation répétée des phénomènes. Ce mode d’inférence par induction correspond à notre fonctionnement quotidien, et il est celui qu’emploient les chercheurs en sciences naturelles, en particulier s’ils travaillent sur des échantillons. Mais Scotus admettra plus tard qu’il s’agit du plus bas degré de connaissance, et que cela n’apporte pas une certitude absolue.

Roger Bacon (1214-1294) est reconnu comme l’un des esprits les plus brillants du Moyen-Âge. Docteur en arts [arts libéraux, précurseurs des sciences actuelles], il étudie à Oxford puis enseigne à Paris. On le considère comme l’un des pères de la méthode scientifique car il met en avant, pour la première fois, l’empirisme : « aucun discours ne peut donner la certitude, tout repose sur l’expérience ». Et expérience à l’appui, il ose remettre en cause l’autorité d’Aristote. Ses idées lui valent tracasseries, harcèlement et emprisonnements, et ses thèses sont notamment visées par la condamnation de 1277. Avec lui, un pas important a été franchi : le questionnement des autorités intellectuelles, et la reconnaissance du rôle de l’expérience dans l’évaluation des hypothèses.

Guillaume Durand de Saint-Pourçain (v 1270 – 1332 ou 1334) n’était pas un journaliste, mais un théologien rationaliste pour qui, dans la recherche de la vérité, l’exercice de la raison l’emporte sur toute autorité humaine, y compris celle d’Aristote. Durand de Saint-Pourçain est un nominaliste pour qui les universaux n’existent pas, l’essence ne précède pas l’existence ; il juge que de nombreux concepts de la scolastique sont superflus. Bref, il remet en cause le paradigme de son époque. Et sa démarche n’est pas sans rappeler le rasoir d’Ockham, ce qui tombe bien…

Car Guillaume d’Ockham, (1285 – 1347) était justement son contemporain. Alors disons-le tout de suite, Ockham n’était pas non plus un sceptique au sens où on l’entend de nos jours. Par exemple, il n’admettait pas que la perception humaine soit faillible. Au contraire, il affirmait que nous étions toujours capables de déterminer le réel de l’irréel. Il est tout de même novateur sur plusieurs points. Il prône la séparation de la raison et de la foi ; la philosophie n’est plus la servante de la théologie mais son égale. Il est aussi précurseur de la sécularisation, il refuse que l’église ait un pouvoir politique.

Et puis on lui attribue la fameuse phrase : « entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem » qui signifie« il ne faut pas multiplier les entités sans nécessité ». C’est le principe que l’on nomme désormais le rasoir d’Ockham, cet outil intellectuel avec lequel on peut faire le tri entre les hypothèses utiles et celles qui sont superflues.

Mendax        — Un principe qui est un petit peu présent chez Aristote aussi, en fait, puisqu’il avait écrit : « Frustra fit per plura quod potest fieri per pauciora » . « C’est en vain que l’on fait avec plusieurs ce que l’on peut faire avec un petit nombre »

Scepticisme médieval 07

Après Ockham les choses s’accélèrent un petit peu. William Crathorn (c 1330) pense que nos perceptions peuvent nous tromper, puisque nous n’avons accès qu’aux représentations mentales des objets. Dieu pourrait très bien nous faire voir quelque-chose alors que l’objet n’existe plus, un peu comme le cercle que forme sur notre œil une chandelle que l’on fait tourner rapidement à bout de bras. La connaissance est alors impossible, sauf que Crathorn ose ajouter  une limite au pouvoir trompeur de Dieu : « Dieu ne peut pas faire penser un caillou», ce qui réduit d’autant son pouvoir trompeur. Pouvoir trompeur encore plus limité par la « bonté » de Dieu qui interdit qu’il passe son temps à nous tromper. Dès lors, le scepticisme est faux.

Mendax        — Voilà. Exactement ce qu’il fallait démontrer. Ça tombe bien.

Nicolas D’Autrecourt (1295-98  – 1369)  pense différemment. Il  s’approche dangereusement de la thèse sceptique en considérant que toutes les connaissances (hormis la certitude de la foi) découlent d’un principe fondamental : la non-contradiction. Il nie à l’humain la possibilité de à décrire liens de causalité avec certitude. Toutefois, il ne voit pas de raison valable de douter de la phénoménologie, c’est-à-dire de la manière dont nous faisons l’expérience intime des perceptions de notre corps. Il conclue que chacun peut douter de tout sauf de l’existence de sa propre âme. En se déclarant notamment en faveur de l’atomisme, il s’attaque à des positions aristotélicienne toujours considérées comme la référence par l’Église. Convoqué devant le Pape pour ses écrits et ses enseignements, il est condamné en 1346 pour hérésie. Il doit abjurer publiquement de 66 propositions « erronées » et ses travaux seront brûlés. Mendax, un commentaire ?

Mendax      — Non, merci. De toute façon l’épisode est fini.

Vled           — Eh bien, en fait… Je voulais parler aussi, un peu de Jean Buridan, Marsile d’Inghen,  André de Neufchâteau, Francis Bacon, Descartes, Malebranche, Pierre Bayle[4], et puis…

Mendax      — Non, mais sérieusement ?

Vled                — Oui, je sais bien, tu as raison.Je m’emballe un peu là, mais c’est parce que…

Mendax      — Attends !

Vled                — Quoi ?

Mendax      — Chut. Je profite.

Vled                — De quoi ?

Mendax      — Tu as dit que j’avais raison !

Bref, notre but ici est de montrer que le scepticisme a traversé les âges et en particulier l’époque très défavorable du Moyen Âge sans vraiment perdre de la force. Les arguments des sceptiques sur les limites de nos perceptions, les limites de notre mode de raisonnement par induction et la difficulté que nous avons à nous extraire des paradigmes à l’intérieur desquels nos connaissances ont toutes les apparences de la solidité restent d’actualité. La scolastique a échoué à prouver que la connaissance absolue sur le monde était possible.

Le point de vue sceptique demeure : toutes nos connaissances actuelles, aussi solides soient-elles peuvent être remises en question, et par conséquent elles doivent être remises en question. Mais ne jugeons pas trop sévèrement le Moyen-Âge.

Scepticisme médieval 08

Sommes nous dignes du scepticisme ?

Les penseurs de cette époque n’avaient ni la liberté académique ni les grandes découvertes, ni l’incalculable somme de ce que nous savons ignorer pour les aider à prendre la mesure de la place l’entreprise de la connaissance humaine sur l’univers.

Aujourd’hui nous pouvons avoir tendance à jeter un regard un peu arrogant sur les questions qui se posaient sur la nature  de la matière et de ses quatre éléments ou bien des moyens par lesquels l’œil pouvait voir le monde en émettant des rayons qu’il recaptait ensuite. Et nous pouvons juger un peu psychorigide le réflexe par lequel les philosophes chrétiens et musulman en appellent à Dieu pour contrecarrer  la pensée sceptique qu’ils rejettent sans savoir comment la réfuter. Mais notre propre maladresse vis-à-vis des concepts de l’infini, du néant, de la nature du temps, des relations entre les forces fondamentales, ou encore du hasard seront peut-être source d’autant d’amusement et de sévérités parmi nos lointains descendants. Un peu de pensée critique aujourd’hui, ici sans plus tarder, c’est le meilleur moyen que nous avons pour que l’avenir nous reconnaisse sinon de l’érudition, au moins un peu de sagesse.

Mendax        — J’ai le droit d’avoir comme un doute ?

Scepticisme médieval 03


Références :

[1] Il contredit Ptolémée qui pensait que l’œil fonctionnait en envoyant de la lumière sur les objets en faisant remarquer que si c’était vrai… nous pourrions voir dans l’obscurité. Il revient donc à la théorie de l’intromission d’Aristote ! J Méthodiquement il va prouver que les objets réfléchissent la lumière dans toutes les directions et qu’il faut que les rayons atteignent l’œil avec un angle de 90° pour que nous voyions l’objet.

Il devance les travaux et les découvertes des savants européens. La plupart de ses livres ont disparu, et seuls quelques-uns ont été sauvés grâce à leur traduction en latin à la fin du 13ème siècle.

[2] http://hodiemecum.hautetfort.com/archive/2008/04/10/10-avril-saint-fulbert-eveque-de-chartres-1028.html

[3] http://philosophie_du_moyen_age.fracademic.com/80/Condamnation_de_1277

http://plato.stanford.edu/entries/condemnation/

La condamnation est locale (Paris), une autre est prononcée peu après à Oxford, puis elles sont plus ou moins abrogées.

[4] http://plato.stanford.edu/entries/bayle/#BaySke

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