Rhétorique, relativisme et coups bas : l’anti-critique selon Berna et Perrier
Dans un article publié le 11 juin 2025 sur Raison sensible, Fabrice Berna, relayé par Brice Perrier, m’accuse successivement de « xénophobie », « incompétence scientifique » et même de « complotisme », en réaction à une critique argumentée que j’ai publiée à propos d’une conférence universitaire à Strasbourg, où des pratiques de soins non conventionnelles (PSNC) ont été défendues en dépit de la rigueur méthodologique et de nombreuses alertes épistémologiques.
Ces accusations ne relèvent pas du débat d’idées. Elles procèdent d’un renversement où celui qui critique devient le suspect, et où la défense d’un principe de vigilance rationnelle se voit discréditée par amalgame, insinuation et rhétorique d’intimidation.
Une accusation détournée et moralement disqualifiante
Fabrice Berna parle dans le corps du texte de « xénophobie scientifique », expression déjà discutable mais limitée à un champ épistémologique. Brice Perrier, lui, choisit de titrer : « C’est de la xénophobie et de l’incompétence scientifique », supprimant l’adjectif pour ne conserver que l’injure (le mot scientifique est ici au singulier, la xénophobie se retrouve désignée en tant que telle). Ce glissement transforme une critique de posture en une accusation morale grave, sans preuve, sans citation, sans fondement.
Or je n’ai jamais présenté les PSNC comme des « pratiques étrangères » au sens identitaire. J’ai dénoncé des approches étrangères à la méthode scientifique, c’est-à-dire non compatibles avec les critères d’une évaluation rigoureuse. Il n’y a là aucun rejet culturel ou ethnique. Détourner ce propos, c’est refuser de débattre en préférant la disqualification ad hominem.

L’article de Perrier réagit à mon billet du 28 mai 2025
Des mots inventés pour construire un épouvantail
On me reproche aussi d’avoir parlé d’une « explosion » des dérives sectaires, pour m’accuser de catastrophisme. Non seulement ce mot ne figure nulle part dans mes écrits, mais il n’apparait pas non plus dans les travaux auxquels Berna et al reprochaient de l’utiliser (Source 1, pour plus de détails, source 2). On le trouve simplement dans un billet de l’AFP. Il s’agit d’un pur procédé de fabrication d’homme de paille : prêter un mot à l’adversaire pour mieux le réfuter ensuite. Cela ne relève ni de la rigueur, ni de l’intégrité intellectuelle.
Une lecture partiale de l’écosystème médiatique
Selon Berna, les PSNC seraient injustement diabolisées par les médias qui relaient les alertes de la Miviludes. Cette analyse occulte un fait massif : la parole favorable aux “médecines douces” est omniprésente dans la presse, les émissions de santé, les magazines bien-être et les réseaux sociaux. L’exposition médiatique de ces pratiques est marquée par une complaisance systémique, tandis que la parole critique — pourtant fondée sur des données scientifiques — est marginalisée ou caricaturée.
Un canal médiatique qui n’est pas anodin
Il n’est pas anodin non plus que Fabrice Berna ait choisi de s’exprimer par l’intermédiaire de Brice Perrier, dont le positionnement est loin d’être neutre. Ce journaliste s’est distingué pendant la crise du Covid par une posture critique envers les institutions scientifiques, relayant des hypothèses marginales comme celle de la fuite de laboratoire, et surtout la thèse de la manipulation mise en avant par Luc Montagnier, et adoptant une rhétorique typique des milieux se présentant comme censurés par la pensée dominante.
Il a également publié une série d’articles critiques à l’égard de la Miviludes et des associations de vigilance, donnant une place importante à Laurent Mucchielli — figure bien connue pour sa remise en cause de la zététique et de l’anti-sectarisme organisé — sans offrir de mise en perspective contradictoire. C’est Mucchielli lui-même qui, dans un billet de blog promouvant le livre ded Perrier sur « l’obscurantisme au pouvoir », qualifie « les deux animateurs de la plus influente chaîne zététiste » de « suiveurs de doxa incapables de débattre » — et Perrier s’en fait le relai implicite. Le choix par Berna ce canal pour porter des accusations aussi graves n’est pas innocent : il s’inscrit dans un univers idéologique où le scepticisme rationnel est systématiquement dénigré, et où toute critique des discours pseudo-médicaux est soupçonnée d’orthodoxie dogmatique.
Relativisme épistémologique et renoncement au savoir
Mais le cœur du problème est ailleurs. Fabrice Berna semble revendiquer, dans la lignée de Paul Feyerabend, un relativisme radical selon lequel il serait inapproprié d’évaluer certaines pratiques comme l’acupuncture selon les standards scientifiques classiques. Il propose de leur reconnaître une efficacité sur la seule base du vécu des praticiens — sans protocole, sans contrôle, sans méthode.
Ce raisonnement est intellectuellement dangereux. Il revient à disqualifier les outils mêmes qui permettent de produire un savoir fiable, au profit d’un “ressenti d’efficacité” invérifiable. Or, les données issues de la littérature scientifique montrent que, pour nombre de PSNC comme l’acupuncture, les effets cliniques spécifiques ne dépassent pas ceux du placebo (Colquhoun & Novella, 2013 ; Hróbjartsson & Gøtzsche, 2010 ; Kaptchuk et al., 2008). Renoncer à les évaluer, c’est renoncer à savoir.
Non, refuser une joute oratoire n’est pas « fuir le débat »
Berna me reproche enfin de « faire le mort » face à des propositions de débat « en face à face ». Mais la culture scientifique n’a jamais consisté à régler une controverse épistémique par duel verbal. Les débats légitimes ont lieu dans l’espace public par l’écrit, les données, les analyses contradictoires, et non dans des confrontations ad hoc destinées à produire du spectacle.
Qualifier de fuite ce qui est en réalité une défense des formes de débat rationnelles, c’est participer à cette confusion délétère où le savoir se juge à l’applaudimètre. Et c’est, là encore, une posture plus qu’un argument, qui confine à l’imposture.
Conclusion – Défendre les exigences du débat scientifique
Cette polémique ne révèle pas seulement un désaccord de fond. Elle met en lumière un refus d’ancrer la discussion là où elle a toute sa légitimité : dans la littérature scientifique, où la robustesse méthodologique, la reproductibilité des résultats et le poids cumulé des données empiriques constituent les seuls critères valides pour évaluer l’efficacité d’une pratique. Or, sur ce terrain, les PSNC échouent systématiquement. Ce que montrent les synthèses d’études, c’est qu’elles ne produisent pas d’effet spécifique reproductible au-delà des effets contextuels.
Dans ce cadre, les accusations de xénophobie, de complotisme ou d’incompétence scientifique n’ont aucune valeur. Elles ne remplacent ni un protocole, ni un essai contrôlé, ni une méta-analyse. Ce sont des tentatives de disqualification morale qui n’ont pas leur place dans un débat sérieux.
Le rôle du vulgarisateur, du zététicien ou de tout acteur de la pensée critique est de rappeler que la seule autorité qui vaille en science découle du respect de la méthode, de l’adhésion aux preuves disponibles, et de l’humilité épistémique. Aucune conviction, aucun ressenti, aucune expérience individuelle ne justifie de dire que l’on sait, quand ce savoir n’a pas été établi collectivement. Les PSNC défendues par Fabrice Berna — si elles ont un effet thérapeutique — devront en faire la démonstration. À ce jour, ce n’est pas le cas.
Croire n’est pas interdit. Mais faire passer ces croyances pour des savoirs dans un cadre universitaire, en engageant la responsabilité d’un établissement public, est une dérive. Et cela mérite d’être critiqué — fermement, publiquement, rationnellement.
Acermendax
Edit
Quelques heures après la publication de cet article, sur Twitter/X, Brice Perrier redouble d’injure
Références
- Colquhoun, D., & Novella, S. P. (2013). Acupuncture is theatrical placebo. Anesthesia & Analgesia, 116(6), 1360–1363. https://doi.org/10.1213/ANE.0b013e31828f2d5e
- Hróbjartsson, A., & Gøtzsche, P. C. (2010). Placebo interventions for all clinical conditions. Cochrane Database of Systematic Reviews, (1). https://doi.org/10.1002/14651858.CD003974.pub3
- Kaptchuk, T. J., et al. (2008). Components of placebo effect: Randomised controlled trial in patients with irritable bowel syndrome. BMJ, 336(7651), 999–1003. https://doi.org/10.1136/bmj.39524.439618.25
Monsieur Durand,
Cette itw de Fabrice Berna relève complètement du débat d’idées, et vous pourriez au moins inviter vos lecteurs à en juger par eux même. Quand je mentionne vos articles ou vidéos, il n’y a qu’à cliquer pour voir ce que vous racontez. Voici donc le lien : https://raisonsensible.substack.com/p/cest-de-la-xenophobie-et-de-lincompetence
Dans le titre de l’itw (une bonne synthèse du propos de Fabrice Berna vous concernant ainsi que la Miviludes), scientifique concerne évidemment à la fois votre xénophobie et votre incompétence. La faute (discutable) est donc corrigée pour éviter tout malentendu.
Vous êtes quand même gonflé de dire qu’il y aurait un refus de débattre alors que vous n’avez pas répondu à l’invitation, mais vous n’avez visiblement pas de limites.
Tout ce que vous dites de moi est faux, comme ce que vous disiez sur Fabrice Berna ou son co-auteur et la méthode Hamer dans votre article sur son étude sur la Miviludes et la supposée explosion des médecines alternatives, article que vous ne citez pas ici. C’est pourtant à cet article que Fabrice Berna commence à répondre en y percevant votre paranoïa et votre esprit complotiste.
Me concernant, je n’ai pas relayé d’hypothèse marginale sur la fuite du laboratoire mais écrit un livre sur l’origine du Covid (chez Belin) qui s’avère quatre ans après toujours pertinent. A moins que vous ne le contestiez sur un quelconque point ? Sinon, je n’ai aucunement soutenu la thèse du professeur Montagnier, mais montré qu’elle ne tenait pas.
Je n’ai jamais non plus donné une place importante à Laurent Mucchielli, où que ce soit. Dans sa recension de mon dernier livre (que vous avez réclamé à mon éditeur pour le recenser, ce dont vous vous êtes bien gardé, peut-être parce qu’il montre lui aussi votre incompétence et votre dogmatisme, voire votre malhonnêteté), Mucchielli remarque d’ailleurs que je ne le cite même pas. Bref, vous êtes vraiment pathétique.
J’adore quand vous évoquez ma « série critique sur la Miviludes et les association de vigilance », sans visiblement oser écrire le nom de son sujet, Grégoire Perra, honte de la zététique lui aussi, ou plutôt des zététiciens qui comme vous ont accordé un crédit aveugle à cet odieux personnage. Et je ne pratique aucunement l’insulte, c’est purement factuel, comme ce que je dis dans ces tweets que vous venez d’ajouter à votre article, ce dont je vous remercie car il est vrai que votre lâcheté et votre refus de débattre en face des gens que vous attaquez vous permet de mentir sans contradiction. Mais là, je vous en donne quand même.
Concernant Fabrice Berna, j’invite encore vos lecteurs à aller le lire pour voir ce qu’il vous reproche très justement plutôt que de s’en tenir à votre baratin, et je ne perdrais pas davantage de temps à le commenter.
Bien à vous.
Et à quand vous voulez un débat ou une interview, sur Raison sensible ou ailleurs.