Raciste n’est pas une insulte
Parmi les mots qu’on s’envoie à la figure, « raciste » revient souvent, à bon ou mauvais escient, ce qui créée un flou autour de sa signification. Raciste est un adjectif, il sert à qualifier des idées, des discours ou des actes. Une table peut être blanche et/ou carrée, un programme politique peut-être capitaliste et/ou raciste, c’est factuel.
Il y a donc une précaution à prendre dans l’usage de ce terme, c’est d’éviter de le confondre avec d’autres mots comme connard, pouffiasse, ordure ou fumier. Ce sont là des insultes, des mots employés pour exprimer le mépris ou le dégoût que nous inspire une situation, un comportement, un individu. Les injures sont utiles pour faire état de notre jugement personnel, de notre ressenti, pour manifester notre forte opposition, pour charger d’affect ce que nous avons à dire.
Le mot raciste ne sert pas à ça. Le raciste est un partisan du racisme. Obviously.
Le racisme est une idéologie fondée sur la croyance en l’existence des races et (surtout) sur l’existence d’une hiérarchie entre elles. Il existerait des humains supérieurs aux autres, en vertu de quoi on doit les traiter différemment et leur octroyer des droits et des devoirs particuliers. Comme par hasard le raciste appartient invariablement à la catégorie supérieure de son classement favori et développe volontiers un discours ethnocentrique et xénophobe teinté d’agressivité. Il s’autorise alors des jugements subjectifs qui ont valeur d’évidences impossibles à remettre en question dans son cadre local de cohérence : le racisme est un dogmatisme.
À cela on peut répondre sereinement que les « races humaines » ne sont pas un concept scientifiquement solide, les différences entre les groupes ethniques étant de très loin inférieures aux différences moyennes qui séparent les individus au sein des groupes (cela est lié à la forte variabilité individuelle ; Cf notre interview d’Evelyne Heyer). Ces différences inter-groupes ne permettent certainement pas un classement selon l’intelligence (qu’il faudrait commencer par définir « objectivement » avant d’oser entreprendre un tel projet) et c’est la même chose pour n’importe quel caractère complexe. Mais il faut immédiatement compléter cette réponse d’un « Et alors ? », car l’existence des races si elle s’avérait, ne constituerait pas ipso facto une raison de traiter différemment les individus, de les hiérarchiser, de leur octroyer plus ou moins de droits. La doctrine humaniste affirme même l’exact contraire en disposant que « les humains naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Notez bien qu’ici il n’est pas question de dogmatisme, puisque cette déclaration ne se place pas sur le plan ontologique mais sur celui des droits ; on établit une règle qui engage les humains les uns envers les autres, on pose un contrat entre nous.
Certes il y a bien un cadre idéologique à l’humanisme, c’est le même que celui qui nous permet de dire « sois gentil avec ta sœur », « prête tes jouets », « ne crache pas sur les gens », « s’il te plait, ne sois pas un sale con », des injonctions et des conseils dont on peinerait à « démontrer » la valeur universelle. Mais j’attire votre attention sur le fait que personne n’est obligé de vous prouver qu’être altruiste est préférable à défendre l’exploitation des plus faibles. Si vous n’en êtes pas déjà convaincu, on est en droit de renoncer à investir temps et énergie dans les débats que vous voudriez amorcer.
Je dis ça, je dis rien.
Il reste donc au raciste, qui penserait « savoir » que les races existent, bien du travail pour démontrer que sa doctrine est valable, et la réponse à lui apporter ne se limite pas à « les races n’existent pas », mais bien : « ne cherche pas à naturaliser les différences qui, à toi, te paraissent justifier qu’on classe les gens dans des catégories ».
Le racisme est corrélé à certains traits de caractère et attitudes, et notamment au sexisme et à l’homophobie (source). Dans le cas qui nous occupe ici, c’est en réaction à des échanges sur l’homophobie que notre raciste a trouvé l’inspiration et la motivation pour intervenir. Cela n’a rien de surprenant.
Mais l’humain étant ce qu’il est, nous sommes tous le con de quelqu’un, et vous trouverez facilement une âme charitable pour vous traiter de raciste au débotté et pour pas un rond. Utilisé comme une insulte, raciste peut servir à disqualifier l’adversaire, c’est un procédé rhétorique fallacieux, un ad hominem. Pour éviter cet écueil, il faut, je crois, veiller à qualifier de raciste une parole ou un acte plutôt que la personne qui émet cette parole ou cet acte. J’y vois un autre avantage, celui de ne pas essentialiser l’autre, de ne pas l’enfermer dans une boite qui le définirait à jamais et l’empêcherait de changer son opinion, et à nous-même de faire évoluer notre opinion sur lui.
Entendons-nous bien : les personnes qui adhèrent au racisme peuvent effectivement se comporter comme des connards et mériter les épithètes injurieuses qu’elles reçoivent. Volontiers agressive, voire violente, leur attitude ne m’inspire aucun respect. Mais il pourrait bien être dangereux de croire que tous les racistes sont forcément de gros connards, parce qu’un jour viendra où le racisme saura s’incarner dans des personnages sympathiques, séduisants, enjôleurs, et alors nous serons démunis si le mot « raciste » devient antonyme de ces attributs. Le mot raciste sera impuissant à décrire le réel, il ne sera plus qu’une insulte parmi d’autres, bien incapable de lutter contre ce qu’il dénonce.
N’est-ce pas le destin qu’est en train de vivre le mot facho ?
C’est vrai. On entend souvent « je ne suis pas raciste, mais… »
Je ne sais plus où j’ai lu, que 100% de la population humaine était raciste. En gros, comme notre cerveau ne fonctionne que par analogie, il est obligé de cataloguer les individus selon des critères. La « race » devenant alors un critère de classification, et potentiellement de hiérarchisation, nous aurions donc tous (puisque nous avons tous un cerveau constitué à peu près de la même façon) cette même tendance.
Différents biais cognitifs faisant le reste du boulot (autocomplaisance, validation subjective, etc…), nous voyons donc notre « race » au-dessus des autres, et donc, les autres en dessous.
C’est une tendance naturelle, et la conclusion en est: le vrai « raciste » est celui qui est incapable de prendre du recul sur ses préjugés. Celui qui sait qu’il a un « biais raciste » (appelons-le comme ça), et qui ajuste ses comportements et raisonnements en en tenant compte (sans surcorriger, bien sûr), ne sera donc pas raciste.
« des injonctions et des conseils dont on peinerait à « démontrer » la valeur universelle. […] personne n’est obligé de vous prouver qu’être altruiste est préférable à défendre l’exploitation des plus faibles. Si vous n’en êtes pas déjà convaincu, on est en droit de renoncer à investir temps et énergie dans les débats que vous voudriez amorcer. »
Faillait-il espérer d’un « anti-spéciste » une exploration honnête et profonde des raisons pragmatiques, sociales, d’être altruiste avec les autres (humains) ? Je ne suis pas surpris que vous choisissiez plutôt d’éluder la question en la décrétant « évidente ».
En général c’est pourtant un signe qu’il faut creuser… Je dis ça, je dis rien 😉
L’usage de « raciste » comme insulte est un cas particulier d’une situation plus générale, qui est que la valeur d’insulte n’est souvent pas contenue dans le sens du mot: elle reflète simplement la valeur que celui qui l’utilise attribue au mot.
Par exemple, pédé, homo, lesbienne, etc., ont un sens purement factuel, relatif à l’orientation sexuelle des personnes. Le seul fait que certains de ces mots soient issus de l’argot ne les rend pas intrinsèquement insultants (bien d’autres mots argotiques ne sont pas des insultes). Ces mots ne deviennent des insultes que dans la mesure où ceux qui les utilisent considèrent l’homosexualité comme une abomination.
De même, prostituée, pute, salope, fils de pute, etc., sont des descriptions factuelles d’une manière possible pour une femme de vivre sa sexualité (ou de l’utiliser comme moyen de subsistance), et de sa descendance. Ces mots ne deviennent des insultes que dans la bouche de ceux qui considèrent la prostitution ou la sexualité libre des femmes comme honteuses.
Idem pour raciste. Ce sont les valeurs de l’insulteur qui font l’insulte.
Bien observé.
Oui on peut le voir comme ça, mais la merde c’est qu’on peut faire mal à quelqu’un d’autre que la personne visée avec cette « stratégie ».
Perso, je n’ai jamais compris pourquoi ces mots sont considérés comme des insultes, en quoi c’est insultant. J’entends souvent dire « gogole » ou « consanguin ». Et je ne pige pas. En quoi attaquer quelqu’un sur ce qu’il est (et dont il n’est pas responsable) est censé être insultant. Par contre, je comprends très bien, les ravages que ces mots peuvent créer.
Je suis le fruit d’un rapport consanguin, bien évidemment ce n’est pas un truc que je crie sur tous les toîts. La seule personne que j’ai informé est mon ex mari. A chaque fois que j’entends « consanguin » balancé comme une insulte, ça me fait horriblement mal (même si ce n’est pas à moi qu’on le dit). Tout le dégoût que j’ai pour « mes origines » et la honte de mon existence, dont j’essaye de me défaire, me reviennent en pleine gueule à chaque fois.
Hello !
Je me pose quelques questions aussi sur le fait qu’il n’y aurait pas besoin de démontrer qu’être altruiste serait mieux. Si quelqu’un à des études pour prouver que l’altruisme est positif etc, je serai très intéressé (non pas que je sois contre l’altruisme du tout ! Mais c’est sympas de baser ses croyances sur des faits :)).
Ensuite. Pour l’étude linké sur les liens entre sexisme et racisme, il n’est pas du tout étudié la réaction à l’homophobie même si, de ce que j’en sais, c’est lié à une certaine forme de sexisme (les hommes gays « seraient moins hommes que les autres »). Donc je trouve tout de même un peu étrange d’avoir lié sexisme, homophobie et racisme dans l’article alors qu’il n’était – dans l’étude – que question du sexisme et du racisme. En tout cas ça m’a donné de mauvaises idées avant de cliquer sur le lien et je trouve ça dommage.
Aussi je suis curieux de voir toutes leur définitions dans cette étude, puisque le sexisme est défini comme « a dislike of women ». Ça me semble assez léger et flou et du coup difficile pour moi de réellement avoir confiance dans la méthodologie de l’étude. Ne pas aimer les femmes et/ou leur compagnie me semble très différent qu’avoir une haine ou les considérer comme inférieures. Peut-être que je me trompe et j’aimerai bien en savoir plus du coup.
Quand j’ai fais des recherches, malheureusement, on ne trouve pas grand chose de bien sérieux qui ne soit pas biaisé par une idéologie quelconque, donc c’est difficile de savoir ce qui est vraiment scientifique là-dedans. Je n’ai pas trouvé de trucs sérieux en tout cas, mais peut-être que j’ai loupé quelque chose.
L’une des sources (biaisée) que j’ai trouvé est celle-ci https://www.avoiceformen.com/feminism/livescience-stop-spreading-lies/ et dans sa critique, ils émettent le fait que l’étude a été conduite dans la région de Basque en Espace, qui est apparemment très nationaliste (avec un groupe terroriste nommé ETA, j’ai vérifié), et donc, semble peu représentative d’un échantillon intéressant pour réellement comprendre le sexisme ou le racisme. Du coup… Ouais, bof.
Après cela dit je ne dis pas que racisme et sexisme sont pas liés, je pense qu’ils le sont, notamment parce que la théorie de traits de caractère évoqués dans l’étude me semble plausibles mais… Je sais pas, je trouve ça très léger et très peu scientifique pour le coup comme étude. Je trouve ça dommage de la citer, parce que cela donne moins de poids au texte qui se serait suffit de lui-même (minus le fait de dire que sexisme, racisme et homophobie étaient liés, parce qu’au final, rien est indiqué dans l’article que ce soit réellement le cas). Mais c’est mon avis.
Et finalement, tout ce fact-checking n’empêche pas que je ne peux que me sentir profondément mal à l’aise pour Vled qui ne mérite pas ce genre de traitements et mots. Je lui souhaite du courage car être une figure publique gay n’a pas l’air facile face au nombres d’ignares se pavanant dans le monde avec leurs idées idiotes. 🙁 Je suis admiratif devant sa résilience.
Merci Mendax d’être là pour lui et de dénoncer ces choses-là aussi. J’ai un entourage vraiment positif donc je vois rarement ce genre de personnages abject mais avoir une piqûre de rappel qu’ils existent ne peut être que bon pour se protéger et être conscient des dangers. 🙂
Bonne journée.
Excellent conclusion ! C’est vrai que considérer que le raciste, c’est toujours l’autre, c’est facile… Surtout quand on sait que des gens qui se prétendent antiraciste (du moins selon leur biographie Twitter… pour ce que ça vaut) ont parfois tendance à tenir des propos vraiment limites à l’égard d’une minorité qu’ils n’appartiennent pas ou des personnages blanches.
Je me demande si ce n’est pas de manière plus large, une question de haine ou d’intolérance, où on fini par devenir semblable à ceux qu’on finit par dénoncer :-/
TU fais l´impasse sur le fait que le mot racisme, comme d´autre « isme », est un mot galvaudé. Dans l´usage courant du terme, il marque tant l´affirmation de l´existence de race, soit uniquement la question de la hiérarchisation de celle-ci et principalement en France le rejet des cultures étrangères et non pas des races. Concepts qui sont quelques peu différents si ce n´est pas contradictoire.
Bonjour,
Ne faut -il pas faire un distinguo plus net entre être raciste et considérer qu’il existe des « races ».
Une race est un sous-ensemble d’une espèce ayant des traits communs « significatifs ». Évidemment, le génotype de tout humain est très majoritairement commun à l’humanité tout entière. Au plan génétique, ce qui réunit l’espèce sera toujours supérieur à ce qui sépare des sous-groupes quels qu’ils soient. Il n’empêche qu’une population partageant la même géographie depuis des siècles aura, de facto, davantage de traits communs en terme de phénotype qu’un échantillon aléatoire d’humains sur la planète, comme les membres d’une même fratrie ont plus de traits communs que N individus pris au hasard.
Autre point, la race, comme l’ethnie, existe de fait, au plan anthropologique, dans les représentation que l’humanité se fait d’elle même. Le racisme n’est-il pas plutôt l’idéologie qui s’appuie sur le concept de race pour fonder une hiérarchie de groupes humains. Je suis persuadé, par exemple, que le QI moyen des gens qui aiment Game of Thrones est différent du QI moyen des gens qui détestent les cornichons. Mais si j’en déduis qu’il faut être con pour ne pas aimer les cornichons, je deviens cornichophobophobe… et c’est mal.
Je ne vois pas trop ce que fait cet article sur un site de zététique. Quant à l’opinion disant que l’altruisme est forcément une valeur supérieur à l’égoïsme, ça fait longtemps que les sciences sociales et économiques ont démontré le contraire. Un livre comme Freakonomics arrive à prouver par a+b que ceux considérés comme les méchants de l’histoire ont un rôle positif démontré, l’histoire nous montre que les bonnes intentions (communisme) ont fabriqué les pires drames, et pas mal d’études montrent que les attitudes charitables peuvent être contre productive (comme par exemple embaucher un cas social dans son entreprise pour l’aider, ce qui systématiquement nuit au groupe).
Ah oui, la bonne vieille insulte de raciste, qu’on balance à tout va. Les allochtones l’affectionne aussi.
Je me souviens d’un Tunisien qui me traitait de raciste pcq je l’ai envoyé se faire voir…il me faisait chier en fait.
Est-ce qu’il voulait jouer la victime ou j’en sais rien, toujours est-il que le mec me « traite » de raciste.
Moi, raciste ? J’ai été mariée pendant 7 ans avec un Togolais avec qui j’ai eu 3 enfants métisses. Quelle abnégation de ma part.
Aux USA, dire que les races existent c’est considéré comme factuel, et ça fait partie des données démographiques. Pour devenir citoyenne américaine, j’ai du cocher plusieurs fois ma race et, séparément, si j’étais hispanique ou non-hispanique. Ça a sans doute joué dans la rapidité relative de ma demande, qui a été accordée en seulement 5 ans (les autres personnes qui se sont faites naturaliser en même temps que moi attendaient pour beaucoup depuis 15-20 ans, et certains depuis encore plus longtemps).
Je comprends donc pourquoi ce n’est pas demandé dans les formulaires français, pour éviter d’en faire une donnée discriminante.
Le problème c’est que du coup c’est parfois difficile d’avoir des données scientifiques à ce sujet. Aux USA quand les gens se plaignent que les blancs sont « en voie de disparition », on a les données démographiques qui prouvent qu’ils racontent n’importe quoi. A ma connaissance le recensement ici ne pose pas ce genre de question et du coup c’est plus dur de répondre, non ? Il me semble que c’est aussi plus difficile de parler du racisme systémique sans ce genre d’information.
Je connais très mal le sujet et les États-Unis n’ont de leçons à donner à personne en terme de racisme, c’est évident, nos parents sont nés alors que la ségrégation existait encore. Mais comment est-ce qu’on dit « Black Lives Matter » si on refuse le concept de »black » au départ ?