Qu’est-ce qui pourrait sauver la science ? [TenL 147]

Emission enregistrée le 13 avril 2025 – Aux Rencontres de l’Esprit Critique de Toulouse

 

Éditorial

 

L’heure est-elle grave ? Je ne veux pas sombrer dans le catastrophisme, mais je me sens contraint de vous proposer un éditorial un peu chargé ce soir. Car je veux poser une question préoccupante : sommes-nous en train d’assister à l’effondrement silencieux d’une civilisation fondée sur la connaissance ?

Un effondrement ne prend pas toujours la forme d’un cataclysme soudain. Il peut se produire lentement, insidieusement, lorsque la pensée libre est méthodique­ment affaiblie, quand les fondements intellectuels d’une société sont minés de l’intérieur, souvent sous couvert de bon sens populiste ou de prétendue efficacité économique.

Ce que l’on voit aujourd’hui, ce sont des puissants qui redoublent d’ingéniosité pour diviser les sociétés, pour désigner des ennemis de l’intérieur, de commodes boucs émissaires à la colère des peuples : minorités, migrants, chercheurs, journalistes, enseignants, tous soupçonnés de saboter la « grandeur » d’un pays, de trahir les valeurs traditionnelles, ou de corrompre les esprits… ou de manger nos chiens et nos chats.

Les intellectuels, et parmi eux les chercheurs et universitaires, ont les outils pour contrer cela. Ils sont formés pour enquêter, pour éclairer le réel, pour dissiper les brumes de la manipulation. C’est leur rôle dans une démocratie saine, de détecter et de dénoncer les discours trompeurs qui touchent leur domaine de compétence. Mais cela suppose du courage, et je ne suis pas certain que le courage figure explicitement dans les fiches de poste. Un oubli à réparer peut-être. Dans un monde où les grandes plateformes d’information appartiennent aux puissances économiques, où la parole critique est assimilée à de l’élitisme, et où l’anti-intellectualisme fait recette, les universitaires deviennent des cibles.

En 2025, le régime Trump franchit un nouveau seuil de violence symbolique et matérielle contre le monde académique. En qualifiant publiquement les professeurs « d’ennemis du peuple », en orchestrant des coupes budgétaires massives dans les universités publiques, en encourageant des projets de lois interdisant l’enseignement de certaines thématiques (climat, genre, racisme systémique), il ne se contente pas de gouverner : il construit un régime de suspicion et d’intimidation intellectuelle. Des chercheurs sont menacés pour avoir publié des travaux jugés « anti-américains ». Certains étudiants étrangers sont arrêtés ou expulsés. Des mots comme equity, climate change, ou structural racism disparaissent des documents officiels. Certains établissements obéissent, par peur ou par opportunisme.

Et pourquoi tant de haine ? Parce que la science n’est pas seulement une usine à brevets ou à innovations technologiques. C’est une méthode. Une culture. Un espace de doute structuré, d’hypothèses vérifiables, de débat public éclairé. Une démocratie a besoin de science non pas uniquement pour produire, mais pour penser librement.

Ce qui se passe en Amérique ne restera pas en Amérique. L’histoire nous enseigne que les croisades idéologiques ont des effets systémiques. Et nous commençons déjà à entendre des échos chez nous : dans certains cercles politiques européens, on relaie des discours appelant à « désidéologiser » l’université, à « décoloniser la science », ou à revoir l’utilité des sciences humaines. Sous des mots polis, l’étau se resserre doucement. Les efforts de censure, les attaques contre l’autonomie des savoirs, la volonté de contrôle politique de la production scientifique ne sont plus marginaux. Ils ne viennent pas que des extrêmes. Ils sont portés parfois par des gouvernements modérés qui cherchent à plaire à une base électorale sensible à la rhétorique anti-intello. Nous vivons peut-être le moment où il faudra choisir : défendre la science comme un bien commun, ou la laisser être confisquée, réduite à un instrument de production, d’endoctrinement ou de récriture du réel.

Bon… J’espère sincèrement que les intervenants de ce soir —chercheurs, chercheuses, conférenciers et conférencières engagés— m’expliqueront que j’exagère, que je dramatise, que je cède au pessimisme. Peut-être. J’aimerais qu’ils me disent que j’ai tort et qu’ils débunkent complètement cet éditorial tourmenté. Mais surtout je porterai à leur attention et à leur sagacité une série de questions qui n’appellent pas nécessairement des réponses définitives, mais qui peuvent nourrir une vigilance collective. Car si l’on s’endort sur ces questions, il pourrait être bientôt trop tard pour les poser.

Je pose immédiatement la première : Faut-il s’inquiéter, nous ici en Europe, de la manière dont le régime Trump traite les université et le monde de la recherche ?

Participants : des chercheurs et chercheuses invités du REC, et notamment Florence SEDES, Pauline DELAHAYE, Pascal MARCHAND et François-Marie BRÉON

 

 


0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *