Pourquoi faut-il PUNIR l’incroyant ?

Ce texte est le script de la vidéo du même titre dans la série Ne nous fâchons pas.

Criminaliser la pensée

Dans bien des régimes normatifs — religieux ou non — on ne se contente pas d’exiger une conformité des conduites : on exige une conformité des esprits. L’adhésion doctrinale devient une épreuve d’allégeance et la non-adhésion se mue en faute morale. Dès lors, le dissident n’est pas seulement celui qui se trompe ; c’est celui qui « est » mauvais, parce que ses croyances — ou son refus de croire — sont vues comme l’expression d’une essence.

L’hérésie, l’apostasie, le « blasphème », la « déviation idéologique », le « défaitisme » sont autant d’étiquettes pour sanctionner une opinion et, par glissement, marquer son porteur comme criminel. Ce schéma découle d’un même cœur cognitif : l’humain a tendance à être essentialiste, à sur-détecter des agents et à réifier certaines idées ou normes intangibles. Cette réification alimente un glissement fatal : si l’idée est une chose réelle, la contester revient à l’abîmer, et celui qui la conteste devient, lui, un « abîmeur ». C’est ainsi que la pensée-crime fabrique le criminel.

Ce travers n’est pas qu’un tic de langage ; il a des fondements bien connus en sciences cognitives. Les humains essentialisent spontanément : ils supposent que catégories et identités possèdent une « nature profonde » qui les rend ce qu’elles sont (Gelman, 2003). Cette essentialisation psychologique apparaît tôt chez l’enfant et persiste chez l’adulte ; elle facilite la croyance que des idées morales ou politiques seraient porteuses d’une substance quasi naturelle. Lorsque des doctrines exigent l’orthodoxie, cette disposition rend intuitif le passage de « tu ne crois pas X » à « tu es le genre de personne qui trahit X ».

Deux autres mécanismes renforcent la réification : d’une part, la métaphore conceptuelle structure notre pensée abstraite à partir de schémas concrets (on parle d’« attaquer » des idées, de les « blesser », de les « profaner », comme si étaient matériellement fragiles). D’autre part, nous commettons des erreurs de catégorie : nous traitons des propriétés relationnelles ou institutionnelles comme des choses, puis nous leur prêtons causes et volontés (Lakoff & Johnson, 1980 ; Ryle, 1949). Ce qui devient une source régulière de confusion pratique, au cœur de l’amalgame entre personnes et propositions.

À ce socle s’ajoutent des penchants évolués pour la détection d’agence (nous voyons des intentions derrière l’ambiguïté) et pour la protection identitaire (nous déformons l’information quand elle menace l’appartenance au groupe). Le premier rend crédible l’idée que « quelqu’un » — démons, « ennemis du peuple », « traîtres » — agit derrière le désaccord ; le second lie la croyance à la loyauté, et transforme l’argumentation en épreuve d’allégeance. Les normes exigeantes mais bien établies deviennent alors valeurs sacrées : des objets non négociables dont on juge la moindre critique comme profanation (Barrett, 2004 ; Baron & Spranca, 1997 ; Ginges, Atran, Medin, & Shikaki, 2007 ; Kahan, Peters, Dawson, & Slovic, 2017).

Ces ressorts se lisent aussi dans le cerveau : face à des contre-arguments qui menacent des convictions identitaires, on observe l’activation de réseaux impliqués dans le soi et l’émotion, signe que le désaccord est traité comme une atteinte à l’intégrité personnelle plutôt que comme une simple information (Kaplan, Gimbel & Harris, 2016). Cela explique la résistance acharnée, y compris chez des personnes par ailleurs rationnelles.

De l’intuition au châtiment

Une fois la croyance réifiée et sacralisée, l’étape institutionnelle vient vite : on punit l’esprit. Ce n’est pas l’apanage des religions. Les idéologies séculières ont leur propre théologie implicite. Dans les régimes totalitaires du XXe siècle, l’orthodoxie idéologique a souvent puni l’expression dissidente comme si elle révélait une “mauvaise essence”

Sous Staline, la génétique « bourgeoise » fut hérétique : le généticien Nikolai Vavilov est arrêté, condamné, et meurt de faim en prison en 1943 pour avoir persisté à penser contre la ligne lyssenkiste (Birstein, 2008 ; Embryo Project Encyclopedia, 2014).

La Chine maoïste codifia la « réforme de la pensée », faite d’aveux, d’autocritiques et de détentions pour les esprits rétifs d’où l’on extirpe les idées « défectueuses »  (Lifton, 1989).

Les Khmers rouges, à S-21, torturaient jusqu’à la confession idéologique avant l’exécution : extirper l’« hérésie » était la condition d’une mise à mort « propre ». (Chandler, 1999).

Dans l’Allemagne nazie, le Wehrkraftzersetzung (« corrosion de la force défensive ») et l’extension de la peine de mort criminalisent le doute et le défaitisme. (USHMM)

En Corée du Nord aujourd’hui, les « Dix principes » exigent une orthodoxie totale, et l’écart mène aux camps politiques. Dans tous ces cas, la police de la pensée ne se contente pas d’interdire ; elle assimile la personne à l’« erreur » réifiée qu’elle abrite. (OHCHR, 2014).

 

Les États confessionnels montrent la même architecture, avec un vocabulaire différent. Les lois d’apostasie et de blasphème punissent la non-adhésion ou la critique : amendes, prison, parfois mort. En 2019, près de quatre pays sur dix avaient des lois anti-blasphème, et un compendium 2023 recense 95 législations nationales en vigueu (Pew Research Center, 2022 ; USCIRF, 2023a).

La peine capitale pour blasphème est toujours en vigueur, au moins théorique, dans plusieurs pays, notamment le Pakistan, Iran, Arabie saoudite et la Mauritanie (USCIRF, 2023b ; Human Rights Watch, 2018).

En Iran, la communauté bahá’íe subit depuis des décennies arrestations, spoliations, détentions et exécutions ; des organisations de défense des droits qualifient cette répression de crime contre l’humanité (Human Rights Watch, 2024; Amnesty International, 2022).

Ici encore, on juge le porteur à l’aune de l’idée réifiée qu’il incarne (Pew Research Center, 2022 ; USCIRF, 2023a ; Human Rights Watch, 2024.)


Parenthèse sur l’apostasie en Islam

Selon la doctrine juridique classique de l’islam, l’apostasie (ridda) est traditionnellement sanctionnée par la peine de mort pour tout musulman adulte quittant volontairement et publiquement sa religion (Çelebi, Oulddali, & Chauvin, n. d., USCIRF, 2023b). Ce consensus se retrouve dans les principales écoles juridiques sunnites et chiites, avec certaines nuances : par exemple, l’école hanafite préconise l’emprisonnement pour les femmes apostates, tandis que la peine de mort reste la règle pour les hommes. En plus de la peine corporelle, la loi islamique prévoit la perte des droits civils : confiscation des biens, dissolution des liens de mariage, retrait de la garde des enfants, etc. La procédure classique propose une invitation au repentir avant l’application de la sanction (istitāba).

Dans certains États contemporains, la peine capitale pour apostasie figure toujours dans la législation ou la jurisprudence religieuse (Arabie Saoudite, Iran, Mauritanie, Afghanistan…), tandis que d’autres pays musulmans ne l’appliquent plus et recourent à des peines alternatives (prison, déchéance civile) ou n’imposent aucune sanction pénale (Maroc, Tunisie, Turquie), (USCIRF, 2023)

Le débat reste vif parmi les juristes modernes, notamment parce que le Coran, bien que mentionnant l’apostasie à plusieurs reprises, ne prescrit aucune peine terrestre explicite pour celle-ci. La sanction de l’apostat y est présentée comme relevant uniquement du jugement divin et de l’au-delà, non d’une sanction humaine immédiate.

Si vous avez du mal à suivre, je réexplique : ce n’est pas parce que le Coran ne le dit pas explicitement que cette peine n’existe pas historiquement et dans les pratiques juridiques, même si elle fait débat aujourd’hui. La peine de mort pour apostasie est bien inscrite dans la doctrine juridique classique de l’islam, issue des interprétations des hadiths et de la jurisprudence des écoles de droit sunnites et chiites. C’est un consensus académique.


La logique commune à ces systèmes normatifs de croyance, celle de l’orthodoxie idéologique est l’affirmation d’une essence morale dont toute déviation est une trahison sociale.

L’hérésie n’est pas un désaccord mais une souillure à purifier. C’est le crime-pensée de 1984, et nous devrions en avoir retenu quelques leçons.


Seconde parenthèse

Les guerres de religion chrétiennes et les peines contre l’hérésie

Dans la chrétienté médiévale et moderne, l’hérésie a été définie juridiquement et réprimée pénalement. Le IVe concile du Latran (canon 3) confie aux pouvoirs séculiers la tâche d’extirper l’hérésie (Latran IV, 1215). Au XIIIe siècle, la bulle Ad extirpanda encadre l’action inquisitoriale et autorise, sous conditions, le recours à la question par les autorités civiles (Innocent IV, 1252). En Angleterre, l’Acte De heretico comburendo prévoit explicitement le bûcher pour les hérétiques obstinés (Parlement d’Angleterre, 1401).

Ces textes ne sont pas restés lettre morte. L’Inquisition espagnole, documentée pour 1540–1700, enregistre environ 44 674 jugements et plusieurs centaines d’exécutions, attestant une répression pénale de l’hérésie (Contreras & Henningsen, 1986). Sous Marie Tudor, environ 284 protestants sont brûlés pour hérésie (Duffy, 2009). Du côté protestant, Michel Servet est exécuté à Genève en 1553 pour antitrinitarisme. En France, le massacre de la Saint-Barthélemy (1572) coûte la vie à des milliers de huguenots, et la révocation de l’Édit de Nantes (1685) s’accompagne de dragonnades, bannissements et destruction des temples réformés (Van der Linden, 2022).

Conclusion. Le bûcher, la torture et les peines civiles pour non-conformité doctrinale n’ont pas été l’apanage d’une seule religion : ils relèvent d’un régime de criminalisation de la croyance que l’on retrouve, à des périodes et sous des régimes chrétiens différents.


Les horreurs ci-dessus mentionnées ne sont pas l’apanage de la religion, mais des régimes qui placent les droits de l’Humain en dessous de la défense des normes, des traditions et des dogmes. Les théocraties sont la plus pure des formes de tyrannie idéologique, elles sont intrinsèquement hostiles aux libertés individuelles, mais le mécanisme au cœur de leur nocivité se retrouve dans d’autres formes de culte à l’autorité ou à des normes qui éclipsent les personnes.

 

Défaire le court-circuit : dissocier personnes et idées

Pourquoi ces systèmes se ressemblent-ils tant ? Parce que la réification essentialiste fait sauter la digue conceptuelle entre proposition et personne. Si « l’amour », « la patrie » ou « Dieu » sont traités comme des choses en soi, contestables seulement au prix d’une profanation, alors critiquer l’idée, c’est blesser quelqu’un ou quelque chose de réel ; et blesser, c’est punissable. C’est ce court-circuit que l’on doit rompre.

Les sciences du langage et de la cognition montrent comment s’y prendre : dés-réifier (rappeler que les abstractions sont des constructions opératoires, non des substances), dés-essentialiser (remettre l’accent sur les mécanismes et les preuves), et encadrer les controverses pour protéger les personnes tout en exposant les idées à la critique.

L’expérience enseigne aussi qu’on raisonne mieux quand la menace identitaire est abaissée, et par conséquent quand chacun peut ne pas se sentir personnellement visé quand une idée à laquelle il tient est critiquée. On sait que lorsque identité et croyance fusionnent, les comportements extrêmes deviennent pensables « pour le groupe » (Kaplan et al., 2016); Swann et al., 2009.)

 

Au fond, la problématique est assez simple. Nous sommes câblés pour voir des essences, des agents et des entités bien concrètes là où il n’y a que des modèles, des règles, des accords, des conventions. Cette pente naturelle donne du pouvoir aux systèmes coercitifs qui se prétendent les champions de la défense de ces entités en criminalisant la pensée. S’extraire de cette logique demande des dispositifs culturels et juridiques patients : rendre saillantes les preuves plutôt que les identités, mettre au clair la charge de la preuve, instaurer des formats où l’on peut « ne pas croire » sans payer de sa liberté — ou de sa vie, mettre en place un système de justice où sont protégés les droits des individus et pas ceux des idées.

 

En pratique : un plan d’action sobre et opérant

Je n’ai pas envie de m’arrêter là après avoir décrit une situation alarmante et le besoin de nous défaire de tout un tas de réflexes mentaux qui n’épargnent personnes. C’est important de le faire, mais je voudrais aller un peu plus loin, parce que si je prends a parole publiquement sur ces sujets depuis longtemps, c’est parce que je pense qu’on peut faire quelque chose, et que la parole a du pouvoir sur ce terrain.

Chacun d’entre nous peut jouer un petit rôle dans la lutte contre les raccourcis mentaux qui donnent du pouvoir aux ennemis de la liberté de pensée. Je ne vais pas vous donner mon avis personnel, ni mes grandes et géniales idées, mais un résumé de ce qu’on trouve dans la littérature scientifique, dûment sourcé. Le script de cette vidéo est disponible en version texte sur La Menace Théoriste, le lien est en description.

Pour mieux nous entraider à conserver une liberté maximale envers les idées, les énoncés, les propositions, les normes et les croyances, voici un plan d’action en 5 points.

 

1) Parler en modèles et en données plutôt qu’en « entités » peut aider à éviter la sacralisation implicite des idées. Concrètement : « ce modèle prédit X », « il échoue quand Y », « on le remplace si Z ». Ce cadrage rappelle qu’une théorie est un outil révisable, non une chose qu’on offense. Les sciences du langage montrent en effet que les cadres orientent le raisonnement ; adopter un schéma « modèle–preuve–erreur » limite la tendance à réifier l’abstrait que produisent certaines métaphores (Lakoff & Johnson, 2003 ; Thibodeau & Boroditsky, 2011, 2013)[1].

 

2) Pour rendre l’essentialisme « coûteux », on peut expliciter la variabilité interne aux catégories et les mécanismes causaux (par exemple l’interaction gènes-environnements) au lieu d’attribuer une « nature » aux personnes ou aux opinions (Gelman, 2003). La psychologie développementale et sociale a montré que l’essentialisation des catégories favorise des inférences rigides ; l’enseigner en termes de mécanismes et de diversité de cas atténue ces biais  (Haslam, Rothschild, & Ernst, 2000).

— Demander des explications mécanistes (« comment, étape par étape ? ») plutôt que des justifications partisanes (« pourquoi avez-vous raison ? ») aide à dégonfler l’illusion de profondeur explicative et à limiter l’escalade affective.

— L’illusion de profondeur explicative désigne le fait que les gens se croient capables d’expliquer le fonctionnement d’un objet ou d’une politique… jusqu’au moment où on leur demande de le faire pas à pas. En tentant l’explication mécaniste (causes, étapes, contraintes), ils découvrent leurs lacunes et révisent à la baisse leur confiance (Rozenblit & Keil, 2002). Transposé au débat public, ce simple déplacement de « pourquoi j’ai raison » vers « comment ça marche exactement » modère les jugements et réduit l’extrémisme d’attitude : dans des expériences sur des politiques publiques, le fait d’exiger une explication causale détaillée a rendu les positions moins tranchées et a même diminué la volonté de financer la cause défendue, signe d’une surconfiance corrigée (Fernbach, Rogers, Fox & Sloman, 2013). Autrement dit, faire expliciter le mécanisme mobilise la métacognition, désamorce l’affect identitaire et ouvre la porte à une évaluation plus sobre des preuves et des compromis.

 

3) Nous devons dé-nominaliser les désaccords. Cela consiste à parler d’actions et d’hypothèses plutôt que d’identités. Dire « soutenir ou rejeter l’hypothèse H » plutôt que « être un H-iste » réduit la saillance identitaire, avec elle, la cognition défensive qui fige les positions. Les travaux sur le framing nominal vs verbal montrent en effet que les formulations en nom (« être un votant », « être un helper ») lient le comportement au concept de soi et renforcent l’engagement — utile pour des conduites prosociales, mais potentiellement délétère quand il s’agit d’opinions qui peuvent devenir identitaires et rigides (Bryan, Walton, Rogers, & Dweck, 2011 ; Bryan, Master, & Walton, 2014). À l’inverse, des formulations en verbe (« voter », « aider », « examiner/mettre à l’épreuve une thèse ») maintiennent le désaccord au niveau des actes et des raisons, ce qui laisse plus d’espace à la révision et au compromis. En pratique : remplacer « vous êtes X » par « vous défendez l’hypothèse X » peut suffire à calmer le réflexe identitaire et à rouvrir la discussion sur les preuves et les mécanismes.

 

4) Il serait grandement utile de caler un cadre public explicite à nos conversations, avec des règles visibles, une charge de la preuve clairement énoncée, des plages dédiées à la vérification et au droit de réponse. Dans une expérience randomisée sur 2 190 discussions du subreddit r/science (≈ 13,5 millions d’abonnés), le simple fait d’afficher en tête de fil un rappel des normes a augmenté de 70 % la probabilité que des nouveaux venus participent et a amélioré de plus de 8 points leur conformité aux règles ; les conversations dérivaient moins vers le harcèlement ou l’invective (Matias, 2019). Ces effets portent surtout sur les primo-participants : rendre les attentes visibles attire un public plus enclin à se conformer et dissuade une partie des comportements hostiles, à contenu informatif constant.

Au-delà de ce cas, l’idée générale est que formaliser et rendre publiques les normes change qui parle, comment on parle, et ce qui est dit. D’autres travaux indiquent que la transparence des règles et leur application renforcent l’adhésion ultérieure aux standards (Horta Ribeiro, Cheng, & West, 2022). Autrement dit, un cadre explicite ne bride pas le fond : il organise les interactions et ouvre l’espace d’un désaccord argumenté.

 

5) Enfin, un bon débunkage reste une chose cruciale. Il commence en amont par l’inoculation (ou pré-bunking) : on prévient l’audience des procédés de manipulation qu’elle risque de rencontrer (cherry-picking, faux dilemme, corrélation-cause, appel à l’émotion, etc). Ce « vaccin cognitif » n’attaque pas tant une thèse qu’une technique ; il fournit de petits « anticorps » argumentatifs qui permettent de reconnaître le stratagème lorsqu’il se présente (van der Linden et al., 2017). Vient ensuite une réfutation concise assortie d’une explication de remplacement : on rappelle brièvement l’assertion, on identifie la ficelle, puis on propose le mécanisme qui explique mieux les faits, en évitant de marteler la fausseté (Lewandowsky et al., 2020).

Il est à noter que la cible prioritaire n’est presque jamais l’adversaire, mais l’audience. On parle aux observateurs indécis, pas au polémiste décidé. Pour eux, tout ce qui stimule le raisonnement analytique — demander comment plutôt que pourquoi, expliciter les étapes, juxtaposer proprement les séries de faits — diminue la crédulité et la contagion des contenus douteux (Pennycook & Rand, 2019). Le ton aide : factuel, sobre, respectueux des personnes, ferme sur les preuves. En pratique : pré-bunker la ruse, réfuter brièvement en offrant une explication de remplacement, signaler la technique utilisée, puis laisser la porte ouverte à la révision — non pour « faire plier » l’adversaire, mais pour équiper celles et ceux qui regardent.

 

Pour conclure

J’ai un intérêt personnel à vivre dans une société qui me garantis la liberté de conscience et d’expression ; cela passe par la défense de ce même droit chez tous mes semblables, et par le refus de placer au-dessus de ce droit des concepts qu’il serait défendu de critiquer, ou l’interdiction d’un vocabulaire qui serait offensant envers des normes, des traditions, des corpus théoriques, des dogmes ou des groupes.

Le Siècle des Lumières nous a montré que la défense de la raison pouvait changer profondément le monde, et plutôt pour le mieux. Mais les lumières ne resteront pas allumées indéfiniment si personne n’en prend soin.

Nous vivons avec des gens infestés par des idées qui ne survivront que si elles peuvent salir et détruire les concepts liés à la pensée critique. Et nos ennemis, ce ne sont pas ces gens, mais les idées pourries dont ils sont les hôtes ; et ces idées ont une grande fragilité : elles sont irréfutable ou fausses, cela peut se démontrer. Les personnes qui les croient sont en général cognitivement en mesure de le comprendre si elles sont placées dans le bon contexte.

 

Dans notre lutte contre les systèmes de croyances qui criminalisent les libres penseurs, nous devons nous garder de l’erreur capitale de penser que le « croyant » est notre ennemi, alors que c’est bien le système de croyance qui doit être mis à l’épreuve et que l’on peut anéantir si la vérité le permet. Et cela parce que les idées n’ont aucun droit.

 

Acermendax

Références

  • Amnesty International. (2022). Iran: Stop ruthless attacks on persecuted Bahá’í religious minority. https://www.amnesty.org/en/latest/news/2022/08/iran-stop-ruthless-attacks-on-persecuted-bahai-religious-minority/
  • Baron, J., & Spranca, M. (1997). Protected values. Organizational Behavior and Human Decision Processes, 70(1), 1–16.
  • Barrett, J. L. (2004). Why Would Anyone Believe in God? AltaMira Press.
  • Birstein, V. (2008). Famed biologist lost to Stalin’s terror. Nature Genetics, 40(8), 820–822.
  • Bryan, C. J., Walton, G. M., Rogers, T., & Dweck, C. S. (2011). Motivating voter turnout by invoking the self. Proceedings of the National Academy of Sciences, 108(31), 12653–12656.
  • Bryan, C. J., Master, A., & Walton, G. M. (2014). “Helping” versus “being a helper”: Invoking the self to increase helping in young children. Child Development, 85(5), 1836–1842. https://doi.org/10.1111/cdev.12244
  • Chandler, D. P. (1999). Voices from S-21: Terror and History in Pol Pot’s Secret Prison. University of California Press.
  • Çelebi, E., Oulddali, A., & Chauvin, C. (n. d.). Notice n° 252632 (ridda). Projet RELMIN – IRHT/CNRS. https://telma.irht.cnrs.fr/outils/relmin/extrait252632/ —  Traduction d’un texte juridique médiéval.
  • Contreras, J., & Henningsen, G. (1986). Forty-four thousand cases of the Spanish Inquisition (1540–1700): Analysis of a historical data bank. In The Inquisition in Early Modern Europe: Studies on Sources and Methods (pp. 100–129). Blackwell.
  • Duffy, E. (2009). Fires of Faith: Catholic England under Mary Tudor. Yale University Press. https://yalebooks.yale.edu/book/9780300168891/fires-of-faith/
  • Embryo Project Encyclopedia. (2014). Nikolai Ivanovic Vavilov (1887–1943). https://embryo.asu.edu/pages/nikolai-ivanovic-vavilov-1887-1943
  • Fernbach, P. M., Rogers, T., Fox, C. R., & Sloman, S. A. (2013). Political extremism is supported by an illusion of understanding. Psychological Science, 24(6), 939–946.
  • Gelman, S. A. (2003). The Essential Child: Origins of Essentialism in Everyday Thought. Oxford University Press.
  • Ginges, J., Atran, S., Medin, D., & Shikaki, K. (2007). Sacred bounds on rational resolution of violent political conflict. Proceedings of the National Academy of Sciences, 104(18), 7357–7360.
  • Haslam, N., Rothschild, L., & Ernst, D. (2000). Essentialist beliefs about social categories. BJSP.
  • Horta Ribeiro, M., Cheng, J., & West, R. (2023). Automated content moderation increases adherence to community guidelines. In Proceedings of the Web Conference 2023 (WWW ’23).
  • Human Rights Watch. (2018). Mauritania: Mandatory death penalty for blasphemy. https://www.hrw.org/news/2018/05/04/mauritania-mandatory-death-penalty-blasphemy
  • Human Rights Watch. (2024). “The Boot on My Neck”: Iranian Authorities’ Crime of Persecution Against Bahá’ís in Iran. https://www.hrw.org/report/2024/04/01/boot-my-neck/iranian-authorities-crime-persecution-against-bahais-iran
  • Innocent IV. (1252). Ad extirpanda (trad.). Documenta Catholica Omnia. https://www.documentacatholicaomnia.eu/01p/1252-05-15%2C_SS_Innocentius_IV%2C_Bulla_%27Ad_Extirpanda%27%2C_EN.pdf
  • Kahan, D. M., Peters, E., Dawson, E. C., & Slovic, P. (2017). Motivated numeracy and enlightened self-government. Behavioural Public Policy, 1(1), 54–86.
  • Kaplan, J. T., Gimbel, S. I., & Harris, S. (2016). Neural correlates of maintaining one’s political beliefs in the face of counterevidence. Scientific Reports, 6, 39589. https://doi.org/10.1038/srep39589
  • Lakoff, G., & Johnson, M. (2003). Metaphors We Live By (new ed.). University of Chicago Press. (Orig. 1980.)
  • Latran IV. (1215). Canon 3 : De haereticis (trad.). Fordham Internet Medieval Sourcebook. https://origin.web.fordham.edu/halsall/source/lat4-c3.asp
  • Lewandowsky, S., Ecker, U. K. H., Cook, J., et al. (2020). The Debunking Handbook 2020. https://www.climatechangecommunication.org/debunking-handbook-2020/
  • Lifton, R. J. (1989). Thought Reform and the Psychology of Totalism (rev. ed.). W. W. Norton.
  • Matias, J. N. (2019). Preventing harassment and increasing group participation through social norms in 2,190 online science discussions. Proceedings of the National Academy of Sciences, 116(20), 9785–9789.
  • OHCHR. (2014). Report of the detailed findings of the Commission of Inquiry on human rights in the DPRK (A/HRC/25/CRP.1). https://www.ohchr.org
  • Parlement d’Angleterre. (1401). De heretico comburendo (2 Hen. IV c. 15). Statutes of the Realm. https://statutes.org.uk/site/the-statutes/fifteenth-century/1400-2-henry-4-c-15-de-heretico-comburendo/
  • Pennycook, G., & Rand, D. G. (2019). Lazy, not biased: Susceptibility to partisan fake news is better explained by lack of reasoning than by motivated reasoning. Cognition, 188, 39–50.
  • Pew Research Center. (2022). Four-in-ten countries and territories worldwide had blasphemy laws in 2019. https://www.pewresearch.org/short-reads/2022/01/25/four-in-ten-countries-and-territories-worldwide-had-blasphemy-laws-in-2019-2/
  • Rozenblit, L., & Keil, F. C. (2002). The misunderstood limits of folk science: An illusion of explanatory depth. Cognitive Science, 26(5), 521–562. https://doi.org/10.1207/s15516709cog2605_1
  • Ryle, G. (1949). The Concept of Mind. Hutchinson.
  • Swann, W. B., Jr., Gómez, Á., Seyle, D. C., Morales, J. F., & Huici, C. (2009). Identity fusion and extreme pro-group behavior. Self and Identity, 8(1), 44–62.
  • Thibodeau, P. H., & Boroditsky, L. (2011). Metaphors we think with: The role of metaphor in reasoning. PLOS ONE, 6(2), e16782. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0016782
  • Thibodeau, P. H., & Boroditsky, L. (2013). Natural language metaphors covertly influence reasoning. PLOS ONE, 8(1), e52961.
  • USCIRF. (2023a). Blasphemy Law Compendium. https://www.uscirf.gov/sites/default/files/2023-09/2023%20Blasphemy%20Law%20Compendium.pdf
  • USCIRF. (2023b). Legislation Factsheet: Blasphemy (2023 update). https://www.uscirf.gov/sites/default/files/2023-09/2023%20Blasphemy%20Legislation%20Factsheet.pdf
  • USHMM. (s. d.). Law for the Imposition and Implementation of the Death Penalty (1933). https://encyclopedia.ushmm.org/
  • Van der Linden, D. (2022). The Revocation of the Edict of Nantes. Routledge Encyclopedia entry (PDF). https://research.rug.nl/files/261272520/10.4324_9780367347093_RERW31_1_webpdf.pdf

[1] L’étude Thibodeau & Boroditsky (2011) montre qu’une seule métaphore insérée dans la première phrase d’un bref rapport sur la criminalité (ville « ravagée par une bête » vs « infectée par un virus ») modifie les solutions politiques que proposent les participants : « bête » pousse davantage vers des mesures punitives/répressives ; « virus » vers des mesures de type diagnostic/prévention. Il s’agit d’effets observés à contenu factuel constant, au-delà de l’orientation politique, et largement non conscients (les sujets attribuent leurs réponses aux statistiques, pas à la métaphore). C’est une démonstration causale que le cadrage métaphorique influence le raisonnement pratique.

Elle appuie directement l’idée que certains cadrages réifient l’abstrait (crime-bête) et conduisent à des inférences différentes d’un cadrage processuel (crime-virus).

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *