Pierre Chaillot chez Tocsin+ : une mise en scène de la dissidence pseudo-scientifique
Pierre Chaillot, connu sur Internet sous le pseudonyme « Décoder l’éco », est une figure montante de la complosphère française depuis la pandémie de Covid-19. Présenté comme statisticien, il multiplie les interventions pour défendre une lecture alternative — voire négationniste — de la crise sanitaire. Opposant farouche aux vaccins à ARN messager, critique des mesures de confinement, et dénonciateur présumé d’un mensonge d’État, il est devenu une référence dans les sphères méfiantes envers la science institutionnelle. Il a notamment été invité à plusieurs reprises par des médias proches de la mouvance antivax ou conspirationniste (RéinfoCovid, Nexus, FranceSoir, etc.).
L’émission « Science » de Tocsin+, animée par Alexandre Cuignache, l’accueille dans un format de 70 minutes censé questionner la gestion de la crise sanitaire. Le nom du programme et le cadre visuel suggèrent une approche rationnelle et critique. En réalité, on assiste à un exemple caractéristique de désinformation idéologique masquée sous un vernis scientifique.
Les précédents épisode avaient pour invités le délirant Jean-Pierre Petit et sa Physique alternative et le créationniste Dominique Tassot. Que pourrait-on bien espérer ?
Passons en revue quelques extraits de cet entretien de 70 minutes.
La pseudoscience de Pierre Chaillot
Affirmation 1
« Ils ont testé qui ils avaient envie quand ils avaient envie. […] Vous avez 20 000 personnes vaccinées, vous allez éviter de les tester, et vous avez mis 20 000 personnes à qui ils ont donné des placebos qu’ils vont tester très souvent, jusqu’à avoir suffisamment de tests positifs. » (25:11 – 26:06)
Résumé : Pierre Chaillot affirme que les laboratoires ont truqué les essais cliniques Pfizer/Moderna en testant davantage les non-vaccinés que les vaccinés, ce qui aurait faussé les résultats d’efficacité.
✅ Réfutation :
Les essais de phase 3 de Pfizer (Polack et al., 2020) et Moderna (Baden et al., 2021) ont été conduits en double aveugle et randomisés : ni les participants ni les investigateurs ne savaient qui recevait le vaccin ou le placebo. Les tests PCR étaient déclenchés en cas de symptômes signalés par les volontaires, selon un protocole uniforme. Les résultats ont été validés par des comités indépendants (DSMB) et les autorités réglementaires (FDA, EMA). Il n’existe aucune preuve solide d’un déséquilibre volontaire dans la détection des cas.
Certaines allégations critiques ont toutefois été popularisées, notamment par Peter Doshi (rédacteur associé au BMJ), et reprises en France par Christine Cotton dans son rapport à l’OPECST. Ces accusations ont été réfutées en détail par plusieurs chercheurs, notamment en raison de leur lecture sélective des protocoles et de l’omission de données publiées.
Débunks utiles :
- Science-Based Medicine : https://www.covid-datascience.com/post/refuting-peter-doshi-s-claims-doubting-trustworthiness-meaningfulness-of-covid-vaccine-results
- Skeptical Raptor : https://www.skepticalraptor.com/skepticalraptorblog.php/anti-vaccine-peter-doshi-attacking-about-covid-19-vaccine-clinical-trials/
- Respectful Insolence : https://www.respectfulinsolence.com/2021/05/21/why-is-peter-doshi-still-an-editor-at-the-bmj-rfk-jr-version/
- Analyse du dossier Cotton : https://rechercheindependante.blogspot.com/2022/05/desinformation-scientifique-de-mme.html
Références :
- Polack, F. P., Thomas, S. J., Kitchin, N., Absalon, J., Gurtman, A., Lockhart, S., … & Gruber, W. C. (2020). Safety and efficacy of the BNT162b2 mRNA Covid-19 vaccine. New England Journal of Medicine, 383(27), 2603–2615. https://doi.org/10.1056/NEJMoa2034577
- Baden, L. R., El Sahly, H. M., Essink, B., Kotloff, K., Frey, S., Novak, R., … & Zaks, T. (2021). Efficacy and safety of the mRNA-1273 SARS-CoV-2 vaccine. New England Journal of Medicine, 384, 403–416. https://doi.org/10.1056/NEJMoa2035389
- European Medicines Agency. (2021). Assessment report: Comirnaty. https://www.ema.europa.eu/en/documents/assessment-report/comirnaty-epar-public-assessment-report_en.pdf
Affirmation 2
« Il n’y a pas de définition scientifique du Covid-19. […] Le test Covid-19 n’a pas de référence médicale. Et donc c’est le test qui est devenu la référence. » (34:06 – 35:47)
Résumé : Le test PCR ne vaudrait rien, car il aurait été construit sans standard de référence ; la maladie Covid-19 ne serait même pas scientifiquement définie.
✅ Réfutation :
La maladie Covid-19 a été définie dès début 2020 par l’OMS, avec une symptomatologie clinique, biologique et radiologique. Le virus SARS-CoV-2 a été isolé et séquencé par plusieurs équipes (Zhu et al., 2020), ce qui a permis la conception de tests RT-PCR ciblant des séquences génétiques spécifiques (Corman et al., 2020). Ces tests ont été validés par des panels de référence et éprouvés en conditions réelles avec des évaluations de sensibilité et de spécificité.
Il est exact qu’un test PCR seul ne permet pas d’établir un diagnostic médical : il indique la présence d’un fragment génétique du virus, mais ne dit rien sur l’état clinique du patient. Cette distinction est fondamentale et connue de tous les cliniciens. Le diagnostic de Covid-19 repose toujours sur une combinaison entre les symptômes, l’examen clinique, les antécédents et les tests. C’est précisément l’exploitation abusive de cette nuance que Pierre Chaillot et d’autres figures complotistes exploitent, en laissant entendre que le test PCR n’aurait « aucune valeur ».
Ce discours trouve un écho dans des propos de Karry Mullis, l’un des inventeurs de la PCR, connu pour ses prises de position iconoclastes, dont la contestation de la responsabilité du VIH dans le sida, ou des prises de position proches de groupes réactionnaires comme l’AAPS. Mullis affirmait que la PCR ne permettait pas de diagnostiquer une maladie, ce qui est littéralement vrai, mais dévoyé ici : le test PCR n’est qu’un élément parmi d’autres d’une démarche diagnostique complète.
À noter : l’OMS a effectivement élargi en cours de pandémie la définition de « cas » à toute PCR positive, incluant les porteurs asymptomatiques. Cela n’invalide pas la valeur épidémiologique du test, mais modifie le champ de ce qu’on appelle un « cas » dans les statistiques.
Références :
- Zhu, N., Zhang, D., Wang, W., Li, X., Yang, B., Song, J., … & Tan, W. (2020). A novel coronavirus from patients with pneumonia in China, 2019. New England Journal of Medicine, 382(8), 727–733. https://doi.org/10.1056/NEJMoa2001017
- Corman, V. M., Landt, O., Kaiser, M., Molenkamp, R., Meijer, A., Chu, D. K., … & Drosten, C. (2020). Detection of 2019 novel coronavirus (2019-nCoV) by real-time RT-PCR. Euro Surveillance, 25(3), 2000045. https://doi.org/10.2807/1560-7917.ES.2020.25.3.2000045
- World Health Organization. (2020). Diagnostic testing for SARS-CoV-2: Interim guidance. https://www.who.int/publications/i/item/diagnostic-testing-for-sars-cov-2
NB : Si les allégations de Pierre Chaillot étaient exactes, toute la carrière de Didier Raoult sur les microorganisme et les épidémies serait à jeter à la poubelle. Pourquoi Tocsin qui a déjà reçu Raoult n’organise-t-elle pas un débat sur le sujet de l’existence des virus pathogènes ?
Affirmation 3
« Il y a un pic de mortalité qui arrive en France […] après le début du confinement. […] C’est peut-être pas terrible de faire des confinements si on remarque que la mortalité augmente quand on confine les gens. » (13:24 – 13:51)
Résumé : Le confinement aurait causé l’excès de mortalité observé au printemps 2020, non le virus lui-même.
✅ Réfutation :
La hausse de la mortalité en mars-avril 2020 précède de quelques jours l’effet réel du confinement, lequel met environ 2 semaines à infléchir une courbe épidémique. Cette mortalité est fortement corrélée à la circulation du SARS-CoV-2, documentée par les tests, les hospitalisations et les études de séroprévalence (Salje et al., 2020). Plusieurs pays ayant confiné plus tardivement ou moins sévèrement ont connu des pics plus durables et plus élevés, ce qui contredit l’hypothèse d’une mortalité due aux mesures elles-mêmes.
Dans un autre espace-temps Chaillot affirmait que de nombreux décès pourraient être imputables à une prétendue politique d’« euthanasie des vieux » via le Rivotril. Ce discours conspirationniste entre en contradiction directe avec son affirmation précédente : ou bien il n’y a pas de pic de mortalité (thèse 1), ou bien il y en a un massif dû à l’État (thèse 2), mais les deux ne peuvent coexister.
Références :
- Salje, H., Kiem, C. T., Lefrancq, N., Courtejoie, N., Bosetti, P., Paireau, J., … & Cauchemez, S. (2020). Estimating the burden of SARS-CoV-2 in France. Science, 369(6500), 208–211. https://doi.org/10.1126/science.abc3517
- Flaxman, S., Mishra, S., Gandy, A., Unwin, H. J. T., Mellan, T. A., Coupland, H., … & Bhatt, S. (2020). Estimating the effects of non-pharmaceutical interventions on COVID-19 in Europe. Nature, 584, 257–261. https://doi.org/10.1038/s41586-020-2405-7
Affirmation 4
« Ce petit pic de mortalité qu’on voit […] ne peut absolument pas être dû à un phénomène de virus qui se transmettrait d’humain en humain. » (17:25 – 17:50)
Résumé : Le virus SARS-CoV-2 ne serait pas responsable des décès de 2020. Le modèle de transmission interhumaine serait invalide.
✅ Réfutation :
Des dizaines d’études épidémiologiques ont démontré que le SARS-CoV-2 se transmet d’humain à humain, avec des reproductibilités régionales, des clusters familiaux, et des modèles de dispersion classiques. L’effet de contagion a été modélisé, observé dans des environnements clos, et confirmé par des analyses génétiques montrant la chaîne de transmission (Volz et al., 2021).
Par ailleurs, des études d’inoculation volontaire (CHIM – Controlled Human Infection Models) ont été menées dans des contextes contrôlés. Elles ont confirmé qu’une personne saine exposée au SARS-CoV-2 développe bien les symptômes caractéristiques de la maladie. Cela invalide l’idée selon laquelle le virus ne serait pas contagieux ou pathogène (Kilingley et al. 2022).
Références :
- Volz E, Mishra S, Chand M, Barrett JC, Johnson R, Geidelberg L, Hinsley WR, Laydon DJ, Dabrera G, O’Toole Á, Amato R, Ragonnet-Cronin M, Harrison I, Jackson B, Ariani CV, Boyd O, Loman NJ, McCrone JT, Gonçalves S, Jorgensen D, Myers R, Hill V, Jackson DK, Gaythorpe K, Groves N, Sillitoe J, Kwiatkowski DP; (2021) COVID-19 Genomics UK (COG-UK) consortium; Flaxman S, Ratmann O, Bhatt S, Hopkins S, Gandy A, Rambaut A, Ferguson NM. Assessing transmissibility of SARS-CoV-2 lineage B.1.1.7 in England. Nature. 593(7858):266-269. doi: 10.1038/s41586-021-03470-x. Epub 2021 Mar 25. PMID: 33767447.
- World Health Organization–China Joint Mission. (2020). Report of the WHO-China Joint Mission on Coronavirus Disease 2019 (COVID-19). https://www.who.int/docs/default-source/coronaviruse/who-china-joint-mission-on-covid-19-final-report.pdf
- Killingley, B., et al. (2022). Safety, tolerability and viral kinetics during SARS-CoV-2 human challenge. Nature Medicine, 28(5), 1031–1041. https://doi.org/10.1038/s41591-022-01780-9
Affirmation 5
« Le problème de la modélisation, il vient d’une croyance […] que la fin du monde viendra d’un virus tueur. […] On lance le modèle jusqu’à ce qu’on ait le résultat de la peur qu’on a envie d’avoir. » (42:56 – 46:35)
Résumé : Les modèles épidémiologiques seraient construits pour alimenter des récits de peur irrationnels, sans valeur scientifique.
✅ Réfutation :
Les modèles épidémiologiques utilisés pendant la pandémie (notamment ceux de l’Imperial College ou de l’Institut Pasteur) reposent sur des bases mathématiques solides, héritées du modèle SIR (Kermack & McKendrick, 1927) et ses développements ultérieurs. Leur fonction n’est pas de prédire l’avenir de manière certaine, mais de simuler différents scénarios en fonction des paramètres d’entrée : taux de reproduction, temps d’incubation, efficacité des mesures de distanciation, etc. Ces modèles sont utilisés pour guider les politiques publiques dans un contexte d’incertitude.
Les critiques sérieuses de ces modèles portent sur leurs hypothèses ou leur interprétation politique, mais les accuser de manipuler volontairement les résultats pour générer la peur relève de la théorie du complot. En réalité, ces outils sont soumis à évaluation constante, analysés dans des publications scientifiques, et ouverts à la réfutation.
Références :
- Holmdahl, I., & Buckee, C. (2020). Wrong but useful—What COVID-19 epidemiologic models can and cannot tell us. New England Journal of Medicine, 383(4), 303–305. https://doi.org/10.1056/NEJMp2016822
- Kermack, W. O., & McKendrick, A. G. (1927). A contribution to the mathematical theory of epidemics. Proceedings of the Royal Society A: Mathematical, Physical and Engineering Sciences, 115(772), 700–721. https://doi.org/10.1098/rspa.1927.0118
En plus de propager des mensonges et des erreurs, le discours de dissidence de Pierre Chaillot est perlé d’accusations et d’attaques contre le monde de la recherche.
Attaque 1 — Disqualification globale des scientifiques et des experts médicaux
« Des mathématiciens, des chercheurs, des statisticiens vont prétendre que cette hausse de décès est due au Covid. » (13:51)
Résumé : Les scientifiques qui expliquent la surmortalité par le Covid seraient soit incompétents, soit manipulés.
✅ Réfutation :
Cette formulation rhétorique délégitime d’un bloc les analyses épidémiologiques des plus grandes institutions (Inserm, Insee, Santé Publique France, etc.) sans proposer d’argument méthodologique sérieux. Les hausses de décès en 2020 et 2021 ont été quantifiées, corrigées selon l’âge, le sexe, les tendances de fond, et attribuées au Covid-19 par croisement avec les données hospitalières, les tests PCR, et les certificats de décès (Pison, 2021 ; Kontis et al., 2020).
Références :
- Pison, G. (2021). La mortalité en France pendant la pandémie de Covid-19. Population et Sociétés, (589), 1–4. https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/31218/587.populations.societes.mars.2021.deces.supplementaires.covid.19.1.fr.pdf
- Kontis, V., Bennett, J. E., Rashid, T., Parks, R. M., Pearson-Stuttard, J., Guillot, M., … & Ezzati, M. (2020). Magnitude, demographics and dynamics of the effect of the first wave of the COVID-19 pandemic on all-cause mortality in 21 industrialized countries. Nature Medicine, 26, 1919–1928. https://doi.org/10.1038/s41591-020-1112-0
Attaque 2 — Assimilation des médecins à des complices d’un système frauduleux
« On a mis en place la même escroquerie intellectuelle dans la population que du côté des laboratoires. » (29:00)
Résumé : Médecins, soignants, autorités sanitaires et gouvernements auraient poursuivi sciemment une manipulation du public fondée sur des biais statistiques.
✅ Réfutation :
Accuser sans preuve les institutions sanitaires d’« escroquerie intellectuelle » revient à basculer dans la rhétorique conspirationniste. Les décisions sanitaires ont été prises dans des conditions d’incertitude, souvent débattues, révisées, documentées. S’il existe des critiques légitimes (retards, approximations), l’accusation d’intention frauduleuse généralisée n’est étayée par aucune documentation probante.
Références :
- Larson, H. J. (2020). Stuck: How Vaccine Rumors Start and Why They Don’t Go Away. Oxford University Press.
- Stuart, R. M., Abeysuriya, R. G., Kerr, C. C., et al. (2021). Modelling the impact of relaxing COVID‐19 control measures during a period of low viral transmission. Medical Journal of Australia, 214(2), 79–83. https://doi.org/10.5694/mja2.50845
Attaque 3 — Disqualification des médecins de terrain
« Ça n’a pas empêché des chercheurs, des médecins, des scientifiques de tout bord […] de nous raconter des histoires. » (41:23)
Résumé : Les discours médicaux sur le Covid auraient relevé de la fiction, même de la part de praticiens.
✅ Réfutation :
L’invalidation globale de tous les récits épidémiologiques en bloc comme « histoires » est une tactique de discrédit classique (Bratich, 2008). Elle empêche toute hiérarchisation entre discours fondés sur des données cliniques, des expériences de terrain, et des spéculations. Or, les déclarations de médecins, notamment ceux en soins intensifs, ont été cruciales pour alerter sur la gravité de la situation en l’absence de données complètes en temps réel.
Références :
- Bratich, J. Z. (2008). Conspiracy Panics: Political Rationality and Popular Culture. SUNY Press.
- World Health Organization Regional Office for the Eastern Mediterranean. On the front line of COVID-19: inspiring stories of health care workers. https://www.emro.who.int/patient-safety/patient-news/on-the-front-line-of-covid-19-inspiring-stories-of-health-care-workers.html
Attaque 4 — Médicalisation assimilée à de la « magie »
« J’ai eu l’impression d’assister à la même chose que les flyers du marabout du quartier […] qui promet de faire revenir l’être aimé ou de guérir l’impuissance. » (20:17)
Résumé : Les annonces télévisées sur les vaccins auraient relevé du charlatanisme magique, sans fondement scientifique.
✅ Réfutation :
La métaphore du marabout vise à ridiculiser les messages de santé publique. Pourtant, l’efficacité des vaccins à ARN a été validée selon des standards internationaux. Les communications officielles se sont appuyées sur les résultats des essais cliniques et les données de vie réelle (Lopez Bernal et al., 2021). Si certains messages ont pu être trop rassurants (notamment sur la transmission), les assimiler à de la magie est une distorsion rhétorique.
Références :
- Lopez Bernal, J., Andrews, N., Gower, C., Gallagher, E., Simmons, R., Thelwall, S., … & Ramsay, M. (2021). Effectiveness of Covid-19 vaccines against the B.1.617.2 (Delta) variant. New England Journal of Medicine, 385(7), 585–594. https://doi.org/10.1056/NEJMoa2108891
- Steven Lloyd Wilson, Charles Wiysonge – Social media and vaccine hesitancy: BMJ Global Health 2020;5:e004206.
ℹ️ Pour un travail de vérification systématique des affirmations de Pierre Chaillot, on pourra se référer au travail minutieux d’Ari Kouts, vulgarisateur critique qui a patiemment déconstruit, semaine après semaine, les vidéos de la chaîne « Décoder l’éco ». https://x.com/arikouts/status/1531310872928391168 .
Analyse de la posture de l’interviewer
Après avoir examiné les principales affirmations de Pierre Chaillot, il est nécessaire d’observer le rôle déterminant joué par l’interviewer dans la structuration du message transmis. Loin de limiter son rôle à celui d’un médiateur ou d’un vulgarisateur, Alexandre Cuignache agit ici comme un relais enthousiaste, validant les thèses de son invité sans jamais proposer de mise en perspective critique. Son comportement, son langage et son cadre idéologique transforment l’interview en une scène d’adhésion. Il ne s’agit plus d’un échange contradictoire mais d’un dispositif de légitimation, où le journaliste s’efface derrière une figure présentée comme visionnaire ou résistante.
1. Validation immédiate et absence de contradiction
« Je suis même pas sûr de bien comprendre tellement ça me semble énorme. » (25:38)
L’interviewer exprime une admiration incrédule, mais ne cherche pas à comprendre ou vérifier. Il amplifie l’effet de sidération au lieu de poser une question critique.
✅ Analyse : Cette attitude transforme une hypothèse infondée (ici, un protocole biaisé par Pfizer) en « révélation », sans jamais chercher à la confronter à des faits ou documents. Le journaliste joue le rôle de spectateur admiratif, et non celui d’un médiateur exigeant ou d’un filtre rationnel.
2. Utilisation d’un registre mystique ou religieux
« On se retrouve avec des nouveaux religieux, des nouveaux inquisiteurs […] des prédictions qu’il faut croire. » (55:26 – 56:01)
L’interviewer relaie une métaphore religieuse où les scientifiques modernes sont assimilés à des dogmatiques, sans contrepoids.
✅ Analyse : Cette vision paranoïde du savoir (science = croyance imposée) est validée sans nuance, alors qu’elle repose sur une inversion complète de la réalité : la science est précisément falsifiable, révisable, et fondée sur des preuves publiques. Ce glissement lexical alimente la défiance envers les institutions scientifiques et naturalise le discours complotiste.
3. Encouragement explicite à l’analogie conspirationniste
« Ça, j’ai quand même vaguement l’impression de me retrouver en URSS. » (37:38)
Le journaliste établit un parallèle entre la situation sanitaire française et la falsification des statistiques soviétiques.
✅ Analyse : Cette comparaison est intellectuellement malhonnête : elle suggère que les données produites en France pendant la pandémie auraient été manipulées pour répondre à une idéologie d’État. Or, les données de mortalité, de sérologie ou de vaccination ont été publiées, croisées par plusieurs organismes indépendants (Insee, Santé Publique France, DREES, Inserm). Cette analogie délégitime toute statistique officielle comme suspecte, sans démonstration.
4. Rôle de passeur militant
« C’est un honneur de vous recevoir. […] L’un des rares qui a sauvé l’honneur suite à la crise Covid. » (00:02 – 00:38)
Dès l’introduction, le ton est hagiographique, avec glorification morale de l’invité.
✅ Analyse : Le cadre est posé dès les premières secondes : l’invité est un résistant héroïque, et non un acteur parmi d’autres du débat scientifique. Ce type d’introduction verrouille toute possibilité de contradiction : critiquer l’invité reviendrait à trahir une forme d’honneur. L’interview devient ainsi une célébration, non un échange d’idées.
Un dispositif de désinformation sous habillage scientifique
L’attitude de l’interviewer, loin d’être neutre ou professionnelle, repose sur quatre biais majeurs :
- Adhésion émotionnelle (admiration, proximité idéologique)
- Validations symboliques (religion, marabouts, URSS)
- Absence de cadrage critique (aucune reformulation sceptique, aucune source contradictoire)
- Positionnement politique implicite (l’État ment, la science est soumise, seule la dissidence voit clair)
Ce n’est donc pas une interview journalistique, mais une mise en scène de légitimation idéologique, dans laquelle la science devient un décor rhétorique au service d’un discours pseudo-contestatire. Ce type de dispositif alimente la défiance, fragilise la pensée critique et transforme l’émotion en preuve.
Conclusion : Les conséquences d’un tel dispositif médiatique
L’émission Science diffusée par Tocsin+ et consacrée à Pierre Chaillot n’a pas pour fonction d’informer, de débattre ou d’instruire le public. Elle constitue un exemple abouti de dispositif de désinformation à prétention scientifique, dans lequel les signes extérieurs de la rationalité (chiffres, jargon, posture critique) sont mobilisés pour produire l’effet inverse de la démarche scientifique : la certitude infalsifiable.
Pierre Chaillot s’y livre à une attaque systématique des institutions de santé, de la méthode scientifique et des acteurs médicaux, sans jamais produire de démonstration rigoureuse ni admettre les limites de ses analyses. L’interviewer, loin de jouer un rôle de médiateur ou de contradicteur, valide chaque propos, amplifie les analogies complotistes et installe un cadre messianique : celui de la révélation d’un mensonge d’État par un dissident lucide.
Les conséquences sont profondes.
Atrophie du discernement — Lorsque l’on donne une légitimité médiatique à des raisonnements circulaires, des corrélations interprétées à l’aveugle, et des soupçons généralisés contre toute expertise institutionnelle, on abîme les outils mêmes qui permettent de distinguer le vrai du faux. Le doute méthodique, pilier de l’esprit critique, cède la place au soupçon paranoïde.
️ Affaiblissement des institutions scientifiques — En assimilant chercheurs et médecins à des propagandistes ou des escrocs, l’émission mine la confiance dans les institutions publiques. Elle ne propose pas une réforme de la science ou de sa communication, mais son rejet pur et simple, au profit d’une lecture pseudo-statistique biaisée, inaccessible à la contradiction.
Contamination de l’espace public — En propageant une vision du monde fondée sur la suspicion, l’émission contribue à la fragmentation de l’espace démocratique. Elle remplace les conflits d’idées par des récits de guerre : entre les « éveillés » et les « endormis », entre les « résistants » et les « vendus ». Cette dramaturgie manichéenne compromet toute possibilité d’échange argumenté.
Risque sanitaire réel — Sur le plan de la santé publique, ces discours dissuadent la population de recourir aux vaccins, de faire confiance aux soignants, ou d’accepter des mesures de prévention fondées sur les données. Ils fragilisent l’adhésion collective dans les crises futures, où l’action coordonnée est cruciale.
L’émission « Science » de Tocsin apparait donc comme une trahison à son titre : la mise en scène héroïque d’une pseudo-expertise qui rassure un auditoire méfiant en l’enfermant davantage dans une posture anti-science et paranoïaque, anxiogène et propice aux pires manipulations idéologiques et politiques. Il est urgent, face à ce phénomène, de promouvoir une vulgarisation rigoureuse, pluraliste et falsifiable, qui traite le public en citoyen — non en troupeau à « réveiller ».
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