Emission enregistrée le 24 novembre 2021.
Invité : Yves Gingras
Editorial
Nous vivons dans une époque en crise. On a probablement toujours dit ça, mais aujourd’hui c’est plus vrai qu’avant. C’est en tout cas l’impression que nous avons et la cause en est peut-être qu’aujourd’hui est justement le jour que nous sommes obligés de vivre. Le nez collé dessus, nous voyons les problèmes actuels avec une acuité sans pareil.
Vous aurez compris qu’il faut se méfier de ses impressions sur les spécificités du temps présent, mais tout de même, quand on voit les théories du complot, les rumeurs, les ravages de la pensée extrême, la polarisation de la société, les shitstorms, les bad buzz, les scandales sanitaires, les fraudes scientifiques, les faux experts, les vrais dérapages, les pseudo-théories, les remèdes illusoires, les paniques morales, les chiffres qu’on manipule, la vérité qu’on brandit et qu’on brade sur les chaines d’info continue, on sent bien qu’il y a comme un problème avec la confiance qu’on voudrait accorder aux informations que l’on croise et même à son propre jugement qui résulte nécessairement de ce que notre environnement nous fournit à penser, à considérer, à évaluer.
Certains y verront de la naïveté, mais la science a justement pour rôle de simplifier les choses, de nous fournir certaines explications de bonne qualité. On n’est pas censé débattre entre citoyens de la taille de la grande tache de Jupiter. On se fie aux mesures des spécialistes, on ne va pas refaire les calculs. Quand la communauté scientifique nous dit : « sur ce sujet, voilà ce qu’on a de plus solide », on attend de nous que nous acceptions l’information à partir de laquelle on pourra délibérer autant qu’on veut sur les meilleures décisions.
Cette vision est un peu idéale, j’en conviens. Et surtout, elle est peut-être en passe d’être complètement périmée. Si la crise de la confiance — qui ne repose pas que sur une mentalité complotiste mais aussi sur de vrais abus de pouvoir, des cachotteries, du pipeautage et des manipulations— Si cette crise continue, après les politiques, les journalistes, et diverses élites, il faut s’attendre à ce que la confiance dans la science s’étiole à son tour. Certains disent que c’est déjà le cas, que la confiance dans la science s’écroule. Mais avant d’émettre un avis sur une telle phrase, il faudrait se mettre d’accord sur le sens des mots, sur ce que c’est que la science et ce que c’est que la confiance.
Parce qu’il y a une chose qu’un zététicien est spécialement bien placé pour dire, c’est à quel point les atours de la science sont convoités. On nous vend de l’eau énergétisée avec des mots savants, on agite des graphiques et des pourcentage pour valider sa politique, on enfile des blouses blanches pour vendre du dentifrice, de la lessive ou des téléphones portables. La science a l’air de faire recette sur le marché de la caution du sérieux, de la rigueur et de l’exigence. Tout le monde ou presque veut pouvoir dire que la science est de son côté, même de la manière la plus vulgaire et la plus inepte… comme ceux qui veulent nous faire croire que la science prouve l’existence de Dieu (montrer le bouquin de Bolloré)
C’est un sujet en soi, on y reviendra croyez-le bien, mais disons seulement que ceux qui y croient n’ont pas besoin de la science pour le faire, que la science ne fonctionne qu’en écartant l’hypothèse Dieu et les miracles, et que sur un tel sujet on devrait vouloir la jouer profil bas au lieu de faire du ramdam autour d’un gros livre qui prouve avant tout à quel point les auteurs et les acheteurs désirent que des équations et des savants cajolent leurs appréhensions métaphysiques.
Le succès des pseudo-sciences, des faux experts, des jargonneux, des hyperdocteurs est une calamité, mais peut-être faut-il aussi y voir combien le public attribue toujours à la science une importante valeur. Hélas, il nous reste encore bien du travail pour savoir tous distinguer les productions de la science et les postures d’autorité qu’ont en commun les esbrouffeurs et certains mandarins, pathologie du système, qui sucent le sang du monde académique et font déshonneur à leur profession.
Comment, pourquoi, à quelle condition faire confiance à la science ? allons nous demander à notre invité de ce soir, Yves Gingras, Diplômé en physique, puis docteur en histoire des sciences, aujourd’hui professeur d’histoire et de sociologie à l’Université du Québec à Montréal.