Parler sérieusement de La Vie après la Mort
Que peut vraiment la raison ?
Il existe peu de questions aussi universelles que celle-ci : que reste-t-il de nous quand tout s’arrête ? Depuis la nuit des temps, les humains ont inventé des récits pour apaiser l’angoisse de la finitude. Les mondes souterrains d’Hadès, les jardins célestes des religions du Livre, les cycles de renaissance asiatiques : chaque culture a tenté d’apprivoiser la mort. Aujourd’hui, l’imaginaire de l’au-delà circule à travers les témoignages d’expériences de mort imminente (EMI), les récits de médiums et une littérature abondante, où l’on promet parfois des certitudes. Pourtant, au vu des récits foisonnants et éclectiques, il faut se demander ce que nous savons réellement.
C’est là que commence le travail zététique : examiner les affirmations extraordinaires avec méthode, confronter les hypothèses, distinguer ce que l’on ressent de ce que l’on peut établir.
Un terrain saturé de récits, rare en preuves
Les EMI occupent le cœur des discours contemporains sur la survie de la conscience. Beaucoup de personnes rapportent des expériences bouleversantes : sensation de sortir de son corps, vision globale de la scène, tunnel lumineux, rencontres d’entités bienveillantes. L’un des mérites de la recherche — et sans doute l’une de ses surprises — est de montrer que le « récit classique » popularisé par Raymond Moody (1975) est en réalité minoritaire. La plupart des expérienceurs n’en vivent que quelques fragments (Greyson, 2000 ; Martial et al., 2020) .
De plus, ces expériences varient selon les cultures. Là où les témoins occidentaux décrivent un tunnel, les Japonais rapportent une rivière lumineuse. On observe également des influences religieuses, sociales, et même médiatiques (Kellehear, 1993 ; Greyson et al., 2009) . Il serait absurde d’en déduire que les témoins sont malhonnêtes ; mais il serait naïf d’ignorer que la mémoire humaine reconstruit, complète et ajuste — comme le montrent les travaux d’Elizabeth Loftus sur la suggestibilité (2005) .
Le témoignage est précieux pour saisir les vécus subjectifs, mais ne constitue pas une preuve objective
Mourir, c’est un processus
Un point essentiel, souvent ignoré, est que la mort n’est pas un évènement ponctuel, une frontière claire et nette. On distingue l’arrêt cardio-respiratoire, la mort circulatoire irréversible, la mort cérébrale, puis la mort biologique des tissus. Les personnes que l’on « ramène » n’étaient pas mortes au sens irréversible du terme (Bernat, 2014) . Ce constat ne retire rien à la force émotionnelle de leurs témoignages ; il rappelle seulement que l’on ne peut pas s’en servir pour affirmer un aller-retour entre deux mondes.
Parallèlement, la neurophysiologie du cerveau mourant progresse. Lorsque la circulation s’effondre, une onde de dépolarisation terminale traverse le cortex : un emballement électrique massif, désormais bien documenté. C’est la grande avancée scientifique en la matière des dix dernières années. Lorsque la réanimation est rapide, une « onde de récupération » inverse le processus. Il est plausible — sans que l’on puisse encore le prouver — que ces fenêtres bioélectriques favorisent des expériences subjectives intenses, parfois interprétées comme une sortie de corps ou une rencontre mystique. Ces résultats, évoqués dans mon livre de manière plus approfondie, ouvrent une voie explicative naturaliste sérieuse, et surtout testable.
L’approche zététique : poser des hypothèses et regarder le monde
L’une des exigences idées du scepticisme scientifique consiste à confronter une hypothèse non pas à ce que l’on ressent, mais à ce que l’on devrait observer si elle était vraie. Le réel devient l’arbitre des thèses en concurrence pour expliquer un phénomène.
Sur la question de l’après-vie, nous avons essentiellement deux conjectures:
L’hypothèse naturaliste : la conscience est produite par le cerveau vivant.
⇒ On s’attend à ce que les expériences extraordinaires surviennent dans des contextes où le cerveau est perturbé, sous stress extrême, sous hypoxie, sous anesthésie, sous intoxication, voire stimulé électriquement.
C’est précisément ce que montrent les études sur l’autoscopie induite (Blanke et al., 2002) et, plus largement, sur les illusions perceptives en état critique.L’hypothèse survivaliste : une composante immatérielle de la personne perdure après la mort.
⇒ On s’attend à ce que des informations vérifiables, inconnues des témoins, puissent être rapportées. Les médiums devraient pouvoir fournir des données que seuls les défunts possédaient.
Or, un siècle d’enquêtes rigoureuses — dont certaines sont détaillées dans le livre — montre l’absence de résultats reproductibles (Radford, 2004 ; Nickell, 2005) .
L’approche naturaliste n’est ni plus réconfortante ni plus séduisante que l’autre ; elle est simplement plus cohérente avec les observations. Et surtout, bien sûr, elle est amendable : toute nouvelle preuve solide la ferait évoluer. Ce critère de révisabilité — hérité de la logique poppérienne (Popper, 1959/2002) — est l’un des fondements de la démarche défendue en zététique.
Pour suivre mon travail plus facilement :
Pourquoi ces récits nous touchent-ils autant ?
Les sciences cognitives fournissent plusieurs indices. Nous séparons spontanément l’esprit du corps ; nous voyons des intentions partout ; nous relions des coïncidences en histoires cohérentes ; nous supposons qu’une justice immanente s’impose dans le monde (Lerner, 1980) ; nous sommes téléologiques par nature (Kelemen, 1999) ; et nous vivons sous le poids d’une angoisse existentielle que Becker (1973) a magistralement décrite. En somme, nous vivons avec un cerveau qui penche très clairement en faveur de présupposés que les concepts surnaturels sont capable de mobiliser dans des narratifs à forte teneur identitaire.
Dans ce paysage mental, La vie après la mort parle à nos intuitions, à notre besoin de sens, à notre peur de la fin. Loin d’être une anomalie ou une marque de stupidité, la croyance dans ce phénomène est tout simplement une conséquence logique des interactions entre la biologie et la culture. Le comprendre cela permet déjà de reprendre une part de liberté.
Rationnel pour quoi faire ?
La zététique n’a pas pour vocation de trancher des questions métaphysiques. Elle sert à clarifier ce que nous savons, à évaluer ce que nous pouvons légitimement croire, et à pointer ce que nous ignorons encore. Elle évite l’arrogance de ceux qui affirment savoir sur la base de leur seul ressenti, et celle de ceux qui prétendent que la science aurait déjà tout expliqué.
Ce livre, réédité dernièrement dans seconde édition augmentée, prolonge cette exigence : prendre les témoignages au sérieux, les analyser sans les sacraliser ; examiner les études, leurs forces et leurs limites ; comparer les hypothèses de manière équitable ; et accepter de suivre les faits, où qu’ils mènent.
Sur la question de la mort comme sur tant d’autres, il faut regarder le doute en face et en faire un assistant dans notre une démarche lucide et humble face à l’inconnu.
Acermendax
Références
- Becker, E. (1973). The Denial of Death. New York, NY: Free Press.
- Bernat, J. L. (2013). Controversies in defining and determining death in critical care. Nature Reviews Neurology, 10(3), 164–173.
- Blanke, O., Ortigue, S., Landis, T., & Seeck, M. (2002). Stimulating illusory own-body perceptions. Nature, 419(6904), 269–270.
- Greyson, B. (2000). Near-death experiences. Journal of the American Medical Association, 283(23), 3185–3186.
- Greyson, B., Kelly, E. W., & Kelly, E. F. (2009). Explanatory models for near-death experiences. In The Handbook of Near-Death Experiences.
- Kellehear, A. (1993). Mortality and Immortality: The Anthropology and Archaeology of Death.
- Kelemen, D. (1999). Why are rocks pointy? Children’s preference for teleological explanations of the natural world. Developmental Psychology, 35(6), 1440-1452.
- Lerner, M. J. (1980). The Belief in a Just World. Plenum.
- Loftus, E. F. (2005). Planting misinformation in the human mind. Learning & Memory, 12(4), 361–366.
- Martial, C., Cassol, H., Laureys, S., & Gosseries, O. (2020). Near-Death Experience as a Probe to Explore (Disconnected) Consciousness. Trends in Cognitive Sciences, 24(3), 173-183.
- Moody, R. (1975). Life After Life. Atlanta: Mockingbird Books.
- Nickell, J. (2005). Psychic sleuthing: The myth-making process. Skeptical Inquirer.
- Popper, K. (1973). La logique de la découverte scientifique. Paris : Payot.
- Radford, B. (2004). Police psychics: Do they really solve crimes? Skeptical Inquirer.




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