Paniques & Croisades Morales — Tronche en Live #29

Invité : Clément Charpentier.

Emission enregistrée le 14 juin 2016.

Editorial

« Pas de panique ! »

Douglas Adams en fait le message le plus important de son Guide du Voyageur Galactique. La Panique, c’est la peur sourde, la terreur totale et incompréhensible inspirée par le dieu Pan, le dieu des mystères. La panique est contagieuse, la panique est galopante, et la panique éteint complètement notre esprit critique, elle règle notre cerveau en mode “survie” et l’empêche d’élaborer la moindre pensée réflexive.

Alors, bien sûr, les dangers existent, et la panique peut avoir gardé en vie nos ancêtres quand leurs cousins un peu plus nonchalants passaient l’arme à gauche. Mais une réaction intuitive de cette sorte, si elle fut peut-être adaptée au mode de vie tribal qui a perduré pendant quelques centaines de siècles, n’est pas très efficace dans le monde moderne où des situations complexes réclament de notre part des réponses au moins un peu structurées.

La Panique Morale est une réaction de ce genre, que l’humain manifeste face à des pratiques, à des comportements “déviants” qui le mettent mal à l’aise et qui remettent en cause l’ordre des choses, sa jolie et délicate vision du monde. Puisqu’il se sent attaqué, il faut bien qu’il y ait un agresseur, un coupable, et l’humain raffole de l’idée du bouc émissaire, du coupable désigné contre lequel déchaîner sa frustration et son angoisse.

Il n’est pas nécessaire que l’humain se sente réellement menacé, qu’il éprouve de la peur. Il suffit qu’il soit offensé, outragé, dégoûté par quelque chose. Il suffit qu’il éprouve le besoin de faire disparaître ce qui le dérange.

Comme souvent on n’a pas besoin que quiconque soit à la manœuvre. Le phénomène suit la loi des boules de neige et s’auto-entretient. Il n’est pas nécessaire que quelqu’un ait provoqué la panique, que qui que ce soit l’ait désirée. Mais ceci étant, bien sûr, il est des situations où il est bien pratique d’éteindre l’esprit critique des individus, des situations où des humains en position de pouvoir vont chercher à attiser la haine des étrangers, l’indignation contre les casseurs, la suspicion contre les grandes industries, etc. pour que l’attention des gens soient obnubilée loin des affaires qu’on souhaite garder discrètes. Les manipulations de ce genre existent, c’est indéniable, mais pour mesurer leur efficacité il faudrait toutes les repérer, ce qui pose un petit problème d’échantillonnage.

Dans le paysage de ces dernières années, on trouve sans peine des exemples de la panique morale et de sa version pugnace et organisée : la croisade morale. C’est la Manif Pour Tous, c’est le soupçon permanent contre les jeux vidéos ou les jeux de rôle, c’est la guerre contre la drogue définie par principe comme la seule stratégie possible ; c’est aussi une composante de mouvements d’opinion contre les OGM, le nucléaire, une certaine forme de progrès. Et bien sûr la logique de la Panique Morale est parente incestueuse des théories du complot qui n’existent que par l’aversion qu’elles savent susciter envers leur bouc émissaire particulier.

Nous allons regarder d’un peu plus près ce que ces concepts peuvent nous apprendre sur notre manière de réagir individuellement et collectivement aux idées, aux comportements, aux propositions qui chagrinent notre vision du monde. Et pour cela nous recevons Clément Charpentier : mathématicien, informaticien et gesticuleur de conférence.

 

Références

2 réponses
  1. Sylvain Com
    Sylvain Com dit :

    Vidéo très intéressante. Cependant je me demande si votre invité, en mentionnant les positions de Riss assimilant le voile au terrorisme, ne fait pas référence à un édito paru dans Charlie Hebdo le Mercredi suivant les attentats à l’aéroport. Le 16 Mars 2016. Cet édito très précisemment :

    « Depuis une semaine, les spécialistes essaient de comprendre les raisons des attentats de Bruxelles. Une police défaillante ? Un communautarisme débridé ? Une jeunesse au chômage ? Un islamisme décomplexé ? Les causes sont nombreuses et chacun choisit celle qui l’arrange selon ses convictions. Les partisans de l’ordre dénoncent l’inefficacité de la police, les xénophobes accusent l’immigration, les sociologues rappellent les méfaits de la colonisation, les urbanistes fustigent les ghettos, les économistes désignent la crise et les hommes politiques menacent Daesh. À vous de choisir. En réalité, les attentats sont la partie émergée d’un gros iceberg. Ils sont la dernière phase d’un processus enclenché depuis longtemps à grande échelle.

    On nous colle le nez sur les gravats de l’aéroport de Bruxelles, sur les bougies à fondue allumées devant des bouquets de fleurs sur les trottoirs. Pendant ce temps-là, personne ne regarde ce qui se passe à Saint-Germain-en-Laye. La semaine dernière, l’institut de Sciences-Po de cette ville recevait Tariq Ramadan. C’est un professeur, il y a donc sa place. Il vient parler de son sujet d’étude, l’islam, qui est aussi sa foi. Un peu comme si un professeur d’allemand était en même temps fabricant de saucisses de Francfort. Juge et partie.

    Qu’importe, Tariq Ramadan ne fait rien de mal, et ne fera jamais rien de mal. Il parle de l’islam, de l’islam et encore de l’islam. Il se présente comme un homme de dialogue, ouvert au débat. Au débat sur la laïcité, qui devrait selon lui s’adapter à la nouvelle place des religions, aux démocraties occidentales, qui devraient aussi accepter toutes les traditions importées par les populations issues de l’immigration. Rien de très grave dans tout ça. Car Tariq Ramadan ne prendra jamais une kalachnikov pour tirer sur des journalistes dans leur salle de rédaction et ne confectionnera jamais de bombes destinées à des halls d’aéroport. D’autres le feront à sa place. Ce n’est pas son rôle. Le sien, sous prétexte de débattre, est de dissuader ses interlocuteurs de critiquer sa religion. Les étudiants en sciences politiques qu’il a devant lui, quand ils seront devenus journalistes ou élus locaux, conserveront ce petit malaise que Tariq Ramadan leur avait distillé ce jour-là. Ils n’oseront plus écrire ou dire quoi que ce soit de négatif sur l’islam, trop peureux d’être taxés d’islamophobie.

    Le rôle de Tariq Ramadan s’arrête ici. D’autres prennent alors le relais :
    La femme voilée est admirable. Elle est courageuse, dévouée à ses enfants et à sa famille. Pourquoi l’embêter, elle qui ne fait de mal à personne ?

    Même celles qui portent le voile intégral n’utiliseront jamais leurs vêtements pour cacher une bombe, comme certains le pensaient quand une loi fut votée pour en interdire l’usage sur la voie publique. Elles non plus ne feront jamais rien de mal. Alors, pourquoi critiquer encore le port du voile et heurter ces femmes dignes en les montrant du doigt ? Taisons-nous, regardons ailleurs, fuyons les polémiques et les esclandres de rue. Leur rôle, même si elles ne se rendent pas compte qu’elles en jouent un, ne va pas au delà.

    Le boulanger qui a remplacé le précédent, parti à la retraite, fait de bons croissants. Il est aimable et a toujours un sourire pour le client. Il est parfaitement intégré au quartier, sa longue barbe et son petit cal sur le front qui indiquent sa grande piété ne gênent pas sa clientèle, qui apprécie aussi ses sandwichs à midi. Ceux qu’il propose sont très bons, même s’il n’y en a désormais plus aucun au jambon de pays ou aux rillettes. Ce n’est pas grave, il y en a d’autres au poulet et au thon qui feront aussi bien l’affaire. Alors, ne râlons pas et évitons d’inutiles polémiques dans sa boulangerie appréciée de tous. On s’y fera. Comme le prêche Tariq Ramadan, on s’adaptera. Le rôle de ce boulanger travailleur est ainsi rempli.

    Pourtant, tout ce qui va arriver ensuite à l’aéroport et dans le métro de Bruxelles ne pourra avoir lieu sans le concours de tous. Car tous inspirent la crainte et la peur. La peur de contredire, la peur de polémiquer, la peur de se faire traiter d’islamophobe et même de raciste. La peur, tout simplement.

    Ce qui va se passer dans quelques minutes est l’étape ultime de la peur : la terreur. Le terrorisme. Il n’y a pas de terrorisme possible sans l’établissement préalable d’une peur silencieuse généralisée.
    Ces jeunes terroristes n’ont pas besoin de cumuler les qualités des autres, d’être érudits ou travailleurs. Leur rôle est uniquement de conclure ce qui a été commencé et consiste à nous dire : « Taisez-vous pour toujours, vivants ou morts, arrêtez de discuter, d’argumenter, de contredire ou de contester. »

    Et surtout, plus personne ne doit oser réfléchir en se posant ces questions : « Qu’est-ce que je fous là ? » « Qu’est-ce que je fous là à me trimbaler toute la journée avec un voile sur la tête ? » « Qu’est-ce que je fous là à faire cinq prières par jour ? » « Qu’est-ce que je fous là dans un taxi avec trois sacs de voyages remplis de bombes ? » Les seuls à se poser cette question sont malheureusement les victimes. « Qu’est-ce que je foutais là, à trois mètres de cette bombe ? »

    La première mission des coupables, c’est de culpabiliser les innocents. C’est d’inverser les culpabilités. Depuis la boulangerie qui vous interdit de manger ce que vous aimiez jusqu’à cette femme qui vous interdit de lui dire que vous la préféreriez sans voile, on se sent coupable d’avoir ces pensées. Dès cet instant, le terrorisme commence son travail de sape. La voie est alors tracée pour tout ce qui arrivera ensuite. »

    L’avis formulé par Riss est critiquable. Le site Acrimed ne s’est pas privé de (mal) le faire : http://www.acrimed.org/Iceberg-voile-et-jambon-a-propos-d-un-editorial.
    Pour autant, il ne me semble pas voir dans cet édito (si il s’agit bien de cet édito) une crainte de voir le voile précéder le terrorisme. L’idée générale de Riss est me semble t-il que chaque croyant à son petit rôle à jouer dans la destruction de l’esprit critique. Que le but de la femme voilée, du boulanger hallal et du terroriste est commun, mais que leur rôle ne sont pas interchangeables. Ils sont au contraire très cadrés et non-évolutif. On fait peut être dire à Riss (qui a des positions critiquables) ce qu’il ne dit pas.

    De plus, la comparaison de ce phénomène à celui des piercings (« premier stade vers le suicide ») ne me parait pas pertinente. Les deux mouvements s’articulant autour d’époques et de contextes différents.

    Cordialement.

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    • Acermendax
      Acermendax dit :

      Merci pour le partage de l’édito. J’ignore si c’est à lui que Clément faisait référence. Si c’est le cas, je partage votre avis.

      M.

      Répondre

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