Ondes et cancer : où en est réellement la science en 2025 ?
Une expertise massive
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) vient de publier une actualisation majeure de son expertise sur les radiofréquences. L’exercice est considérable : près d’un millier d’études publiées en dix ans, dont 250 examinées en détail après un tri méthodologique strict. Ce travail approfondi livre un état des connaissances qui tranche nettement avec les discours alarmistes souvent associés à la téléphonie mobile.
Les faits sont clairs : les meilleures données disponibles ne montrent pas d’augmentation du risque de cancer aux niveaux d’exposition que connaît le public.
Les grandes études épidémiologiques confortent ce constat. L’enquête internationale Mobi-Kids, qui porte au total sur plus de 4 900 jeunes (1 712 cas et 3 217 témoins), n’observe aucune association entre l’usage du téléphone mobile et les tumeurs cérébrales chez les adolescents (Castaño-Vinyals et al., 2022). De son côté, la vaste cohorte COSMOS, qui suit plusieurs centaines de milliers d’adultes, ne met pas non plus en évidence d’augmentation significative du risque (Toledano et al., 2021). Il s’agit toutefois d’une analyse intermédiaire : la durée moyenne de suivi, environ sept ans, reste courte au regard de la possible latence de certaines tumeurs. Les résultats sont donc rassurants à court et moyen terme, mais devront être prolongés.
Cet ensemble s’inscrit dans un constat plus global : malgré trente années d’explosion de l’usage du téléphone mobile, l’incidence des tumeurs cérébrales reste globalement stable. En épidémiologie, c’est un signal particulièrement robuste.
Ce que montrent les études animales et mécanistiques
Les études animales — en particulier les travaux du National Toxicology Program américain — ont rapporté chez certains rats une légère augmentation de tumeurs, à des niveaux d’exposition extrêmes (jusqu’à 4 W/kg de DAS, soit environ dix fois plus que les limites maximales autorisées pour la tête humaine). Chez la souris, les signaux étaient plus faibles et classés comme « équivoques », sans cohérence dose–réponse. Le NTP lui-même conclut à des résultats partiels, difficiles à interpréter et non généralisables.
Un élément majeur éclaire cette prudence : malgré trois décennies de recherches, aucun mécanisme biophysique plausible n’a été établi permettant d’expliquer comment des radiofréquences non ionisantes, aux niveaux d’exposition réels, pourraient initier un processus cancérogène. Les seules interactions reconnues comme pouvant entraîner un risque sanitaire sont d’ordre thermique. Des effets biologiques non thermiques existent en laboratoire, mais aucun n’a été relié à un mécanisme cancérogène compatible avec l’exposition réelle des utilisateurs. L’IARC elle-même, dans son Monograph 102, rappelait : “no established mechanism of carcinogenesis from RF exposure has been identified” (IARC, 2013).
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la classification de l’IARC. Depuis 2011, les radiofréquences sont classées dans le Groupe 2B : “peut-être cancérogène pour l’être humain”. Il s’agit du niveau de preuve le plus faible parmi les agents classés : les données sont insuffisantes chez l’humain et limitées ou insuffisantes chez l’animal. Cette catégorie ne signifie ni danger avéré, ni démonstration de causalité ; elle indique simplement qu’un doute résiduel existe et qu’il justifie la poursuite de travaux complémentaires. À titre d’exemple, le Groupe 2B inclut également les légumes marinés de certaines traditions asiatiques ou l’extrait d’Aloe vera, ce qui aide à situer l’ordre de grandeur du risque.
Sur le plan technologique, l’ANSES rappelle que la 5G n’introduit pas de mécanisme cancérogène nouveau. Les bandes inférieures à 6 GHz ne se distinguent pas des générations précédentes de ce point de vue. Les bandes millimétriques autour de 26 GHz, encore peu déployées et très faiblement pénétrantes, font l’objet d’une vigilance scientifique mais aucune alerte particulière n’a émergé. Les technologies de multiplexage et de focalisation (MIMO, beamforming) modifient la distribution spatiale de l’exposition sans en changer la nature physique.
L’agence recommande néanmoins une prudence raisonnable, surtout pour les enfants : réduire la durée d’exposition, tenir le téléphone éloigné de la tête, utiliser oreillettes ou haut-parleur. Un point technique mérite d’être compris : ce n’est pas tant le passage entre Wi-Fi, 4G et 5G qui importe que les conditions d’usage. En cas de mauvaise réception, le téléphone augmente automatiquement sa puissance d’émission ; limiter les usages intensifs de données dans ces situations peut réduire l’exposition.
Pour suivre mon travail plus facilement :
Une vigilance méthodique toujours nécessaire
Que faire face à ces informations ?
Les nouvelles données s’alignent avec les anciennes, elles confirment que toutes les paniques agitées sur les effets nocifs des ondes électromagnétiques étaient infondées. Nous voyons que les discours alarmistes et la rhétorique de la peur de certains mouvements ou individus étaient faux, voire trompeurs, et qu’il était pertinent de le dire (même si ça peut coûter cher…). Mais il ne s’agit certainement pas de la réponse scientifique définitive à un dossier désormais clos.
Nous disposons d’un corpus solide, globalement rassurant, mais qui conserve des zones d’incertitude qui doivent recevoir toute l’attention des experts L’histoire récente montre ce qui arrive lorsque la vigilance collective s’affaiblit. Le cas du chlordécone dans les Antilles françaises en est un exemple tragique où un risque avéré a été sous-estimé, mal encadré, parfois minimisé. Ici, au contraire, les radiofréquences font l’objet d’une surveillance exigeante, d’une expertise transparente et d’une pression citoyenne pour la rigueur.
Mais il faut retenir que les conclusions rassurantes de l’ANSES ne sont pas une invitation à baisser la garde : elles sont le produit de cette exigence.
Le jour où nous renoncerions à ces standards élevés — méthodologie stricte, analyses contradictoires, données longues, transparence — nous perdrions la capacité de distinguer un danger réel d’une rumeur infondée. C’est alors que des situations comparables au chlordécone deviennent possibles.
Rien de tel n’apparaît aujourd’hui dans les données sur les ondes. Mais brouiller le débat public avec des scénarios imaginaires, saturer l’espace de fausses alertes ou confondre signaux faibles et signaux forts affaiblit notre capacité collective à protéger la population lorsque de véritables risques émergent.
Les sciences des risques environnementaux ont souvent de mauvaises nouvelles pour nous, elles nous mettent face à des défis complexes, à des urgences indiscutables. Alors quand, de temps à autres, elles nous annoncent qu’une angoisse était inutile, qu’une menace était surestimée, sachons l’entendre pour placer nos efforts dans les dossiers qui important vraiment, ceux dont le déni ou le retard finit, toujours, par coûter des vies.
Acermendax
Références
- Castaño-Vinyals, G., Sadetzki, S., Vermeulen, R., Momoli, F., Kundi, M., Merletti, F., Maslanyj, M., Calderon, C., Wiart, J., Lee, A. K., Taki, M., Sim, M., Armstrong, B., Benke, G., Schattner, R., Hutter, H. P., Krewski, D., Mohipp, D., Ritvo, P., … Cardis, E. (2022). Wireless phone use in childhood and adolescence and neuroepithelial brain tumours: Results from the international MOBI-Kids study. Environmental International, 160, 107069.
- National Toxicology Program. (2018). Toxicology and carcinogenesis studies in Sprague Dawley (Hsd:Sprague Dawley SD) rats exposed to whole-body radio frequency radiation at a frequency (900 MHz) and modulations (GSM and CDMA) used by cell phones (NTP Technical Report No. 595). National Institute of Environmental Health Sciences
- Toledano, M. B., et al. (2021). Cohort Study of Mobile Phone Use and Health (COSMOS): Cohort profile update. International Journal of Epidemiology, 50(5), 1768–1769.
- ANSES (2025). Exposition aux ondes : de nouvelles études précisent les connaissances sur le risque de cancer.
https://www.anses.fr/fr/content/exposition-aux-ondes-de-nouvelles-etudes-precisent-les-connaissances-sur-le-risque-de - IARC (2013). Non-Ionizing Radiation, Part 2: Radiofrequency Electromagnetic Fields. IARC Monographs on the Evaluation of Carcinogenic Risks to Humans, Vol. 102.




Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !