Miracle de Fatima : l’hallucination collective
J’ai rédigé un chapitre sur cet évènement de 1917 dans m, et écrit un documentaire visible sur La Tronche en Biais : « Les secrets du miracle de Fatima »
Parmi les croyants, certains apologètes zélés comme Olivier Bonnassies affirment que seul le surnaturel peut expliquer ce qui s’est passé : que le concept d’hallucination collective a été inventé pour tenter de répondre au mystère de Fatima, et que jamais aucun évènement équivalent ne s’est produit nulle part dans l’histoire, donc le christianisme est vrai ![2] Et Olivier Bonnassies affirme tout ça avec un tel aplomb tranquille qu’il est difficile de le soupçonner de baratiner. Et pourtant il baratine, il mythonne.
Fatima : un événement hors du commun, mais pas inexplicable
Un petit rappel des faits : le 13 mai 1917, trois jeunes bergers portugais — Lúcia dos Santos et ses cousins Francisco et Jacinta Marto — affirment avoir vu une « dame vêtue de blanc » dans un champ près de la Cova da Iria, non loin de Fatima. L’apparition se répète chaque mois. Le 13 octobre, après l’annonce prophétique d’un « grand miracle », entre 30 000 et 70 000 personnes affluent. Ce jour-là, selon les récits, le soleil aurait « dansé », changé de couleur, chuté vers la terre avant de remonter dans le ciel. L’événement deviendra central dans l’imaginaire catholique du XXe siècle.
Mais cette interprétation surnaturelle n’est ni exclusive, ni la plus probable. L’histoire des phénomènes collectifs, des troubles psychogènes de masse et des illusions perceptives fournit des clés d’analyse rationnelles bien établies.
Le concept d’hallucination collective est antérieur à Fatima
Contrairement à l’affirmation de Monsieur Bonnassies, l’idée d’hallucination ou de contagion perceptive partagée par un groupe n’est pas une invention ad hoc destinée à décrédibiliser Fatima. Dès le XIXe siècle, les psychiatres et psychologues s’intéressent à des formes de délires partagés. Le concept de folie à deux est formalisé par Lasègue et Falret (1877), celui de folie communiquée par Baillarger (1860), et les psychoses collectives décrites par Legrand du Saulle (1871)[3]. Gustave Le Bon (1895) popularisera dans Les foules le rôle de la suggestion et de la contagion émotionnelle[4].
Ces phénomènes ont été observés dans des contextes très variés : hystéries dans des couvents[5], crises de possession, peurs panique d’empoisonnements ou d’attaques invisibles, épidémies de rires, etc. Ce corpus théorique et empirique est donc antérieur à Fatima, et a été régulièrement mobilisé pour éclairer des événements perçus comme surnaturels, religieux ou non.
Fatima, cas typique de trouble psychogène collectif ?
Plusieurs facteurs font de Fatima un terreau idéal pour un trouble psychogène collectif : attente intense, effet de foule, climat anxiogène (c’est la guerre, on est en pleine instabilité politique), promesse d’un événement exceptionnel, contexte religieux. Ces ingrédients sont ceux que les recherches modernes associent à ce type de phénomènes[6].
De plus, les témoignages recueillis divergent fortement : certains rapportent avoir vu un disque multicolore tournoyer, d’autres une pluie de lumière, d’autres encore ne remarquent rien d’inhabituel. Notamment Lucia dos Santos, qui, elle aurait vu la vierge, contrairement aux milliers de gens présents.
Ce type de variabilité perceptive, conjugué à l’absence de toute anomalie astronomique ou météorologique enregistrée à l’échelle planétaire, plaide pour une explication psychophysiologique : illusion d’optique, persistance rétinienne due à la fixation du soleil, effet Purkinje, ou simple contagion perceptive.
Un événement unique ? L’histoire en témoigne autrement
L’argument apologétique qui fait de Fatima un événement sans précédent ne résiste pas à l’examen. De Lourdes (1858) à Zeitoun (Égypte, 1968-71), en passant par Knock (Irlande, 1879), d’autres apparitions mariales ont généré des rassemblements massifs et des récits de phénomènes lumineux. Autrement dit : il y a une culture de l’apparition de la vierge qui porte même un nom : la mariophanie. C’est le truc à la mode en Europe à cette époque-là, plus de vingt mille sont répertoriées, et seuls les cas les plus marquants sont restés dans les livres d’histoire ; toutes les fois où les promesses de miracle n’ont pas débouché sur des témoignages extatiques sont oubliées, ce qui nous plonge dans l’erreur statistique de trouver étonnant les quelques cas qui paraissent sortir de nulle part.
Par ailleurs, au-delà du christianisme, les exemples abondent dans d’autres traditions :
- Islam soufi : Les rituels de dhikr ou de hadra provoquent chez les participants des états de conscience altérés, visions lumineuses et sensations collectives de présence divine (During, 1992)[7].
- Hindouisme : Le Kumbh Mela est le théâtre de récits de transes collectives et de « signes divins » souvent liés à des interprétations culturelles amplifiées par l’émotion du rassemblement.
- Religions animistes : Les cérémonies de possession vaudou ou ouest-africaines déclenchent des épisodes où la transe et les visions collectives sont centrales (Boddy, 1994)[8].
- Bouddhisme tantrique : Des témoignages rapportent des perceptions partagées de lumière, notamment lors de méditations de groupe (Samuel, 2012)[9].
Même dans les sociétés sécularisées, ces dynamiques persistent sous des formes profanes :
- Il y a des paniques liées aux OVNI : Des phénomènes inspirés par Roswell (1947) à la vague belge (1989-90), des milliers de personnes affirment avoir vu des objets ou lumières inexpliqués — souvent en l’absence de toute trace physique.
- Phénomènes optiques mal compris : Le spectre de Brocken, les halos solaires, les mirages comme la Fata Morgana, ont souvent été pris pour des signes surnaturels (Minnaert, 1954)[10].
La perception humaine se construit aussi socialement, elle est encline à de nombreuses erreurs, biais et illusions.
Une preuve de Dieu ? Un raccourci dangereux
L’argumentaire apologétique qui érige Fatima en preuve indiscutable de la vérité du christianisme repose sur un double malentendu : une ignorance des sciences sociales et cognitives, et une méconnaissance de l’histoire comparée des religions et de l’irrationnel collectif.
Ceux qui prétendent fonder rationnellement l’existence de Dieu sur un phénomène collectif mal documenté et très interprété ne rendent pas service à la respectabilité de la foi. L’évènement de Fatima ne disparaît pas dans l’explication naturaliste ; il change simplement de nature — derrière l’histoire de miracle, nous découvrons le symptôme fascinant de dynamiques sociales, psychologiques, culturelles et perceptives humaines qui méritent qu’on les prenne au sérieux.
L’acharnement avec lequel les apologètes tiennent à défendre idée que Fatima est un miracle inexplicable, une preuve de l’action de Dieu, nous rappelle combien leur tâche est désespérée : ils ne reculent devant rien pour tenter de faire passer pour raisonnables leurs croyances bizarres.
Et cela renforce d’autant la posture sceptique qui juge que Dieu n’existe pas jusqu’à preuve du contraire.
Sur le même sujet :
Notre Dame de Fatima et la preuve par les miracles
Est-il sage de douter du miracle de Fatima ? [Absinners répond à Archidiacre]
Références
[1] Vidéo sur La Tronche en Biais
[2] Van Rillaer, J. (2021). Le miracle du soleil, argument de Bolloré & Bonnassies pour le Dieu des catholiques. In Scepticisme & religion, 34(2), 65-76.
[3] Lasègue, C., & Falret, J.-P. (1877). La folie à deux ou folie communiquée. Annales médico-psychologiques.
Baillarger, J. (1860). Sur la folie communiquée. Annales médico-psychologiques.
Legrand du Saulle, H. (1871). Études cliniques sur les maladies mentales. Paris: Baillière.
[4] Le Bon, G. (1895). Psychologie des foules. Paris: Félix Alcan.
[5] Wessely, S. (1987). Mass hysteria: Two syndromes?. Psychological Medicine, 17(1), 109–120.
[6] Bartholomew, R. E., & Wessely, S. (2002). Mass Hysteria in Schools: An International History Since 1566. McFarland.
[7] During, J. (1992). Musique et extase dans les traditions soufies d’Iran. Paris: CERF.
[8] Boddy, J. (1994). Spirit Possession Revisited: Beyond Instrumentality. Annual Review of Anthropology, 23, 407–434.
[9] Samuel, G. (2012). Introducing Tibetan Buddhism. Routledge.
[10] Minnaert, M. (1954). La lumière et les phénomènes célestes. Paris: Payot.
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