L’expertise pour les nuls

Comment dois-je réagir si je suis un expert, un spécialiste, voire un chercheur* dont les compétences sont remises en cause publiquement ? Il sera question ici d’experts qui prennent la parole, qui exercent explicitement leur expertise dans le cadre des médias, des réseaux sociaux, de conférences ou de livres.

 

Quelques comportements attendus

Notez bien qu’il s’agit d’une liste de critères qui n’ont pas vocation à être systématiquement présents mais qui représentent une matrice permettant d’évaluer si une personne entre un peu, beaucoup ou pas du tout dans ce qu’on peut reconnaître sous le mot expert.

  1. Le plus simple, le plus évident, mais pas le meilleur :  je rappelle mes titres académiques, les postes que j’ai occupés, les médailles et les hommages reçus. C’est la preuve sociale que mon expertise est largement reconnue. (Evidemment ça ne prouve pas que j’ai raison sur un point en particulier qui serait en question à l’instant t —voir deuxième liste—, mais ici nous cherchons des indices d’expertise)
  2. Je montre mes travaux validés par les pairs, les autres spécialistes. Le format idéal, qui constitue la forme la plus fiable (mais pas totalement fiable non plus) est l’article de recherche publié dans une revue à comité de lecture.
  3. Je montre mes collaborations passées ou en cours avec des institutions spécialisées du domaine, des chercheurs reconnus, etc.
  4. Je montre mes travaux, mes contributions et leur impact : si je suis cité par d’autres acteurs du champ dans leurs propres travaux, cela plaide pour le fait que j’y ai apporté quelque chose. Si personne ne me cite, je suis peut-être un fin connaisseur, mais puis-je me dire « expert » ?
  5. Je montre que dans mon travail je sais faire référence à l’état des connaissances du domaine, je fournis des sources à mes propos, j’aiguille le public vers les travaux d’autres spécialistes. En somme : mes contributions contiennent d’abondantes références à la littérature spécialisée.
  6. Si j’ai participé à des controverses scientifiques sur un sujet, je montre que j’ai su ne pas substituer mon avis d’expert avec une vérité établie par tout un champ disciplinaire. Cette forme d’humilité est le gage que je sais de quoi je parle lorsque je suis assertif.
  7. J’accepte de revenir sur les imprécisions ou erreurs que j’ai pu faire. Être un expert ne me protège pas de tenir des propos qui mériteraient d’être corrigés.
  8. Je demeure dans les limites de mon champ de compétence, ou bien je précise quand j’évoque des sujets qui s’en éloignent. De manière générale, je ne fais pas évoluer le périmètre de mon expertise au gré des besoins du moment.
  9. J’évite de m’exprimer (en tout cas à répétition) dans des médias qui par ailleurs désinforment le public, prennent des positions anti-science ou laissent libre cours à la parole d’imposteurs, baratineurs et autres magouilleurs.
  10. Je comprends que dans le champ social la confiance des autres n’est pas un dû et que je dois la mériter en donnant des gages. Je reconnais qu’il peut arriver qu’un expert doive défendre son expertise dans des polémiques, et même parfois faire face à des attaques injustes dont on sort par le haut en apportant des éléments qui permettent de rétablir ou de maintenir la confiance.

 

Parenthèse : On n’a évidemment pas besoin de se dire expert pour avoir le droit d’émettre un avis sur un sujet, pour partager ses connaissances, pour vulgariser une étude ou un concept, pour remettre en question des paroles officielles ou pour demander à un expert comment il sait telle ou telle chose.

 

Les propos et attitudes qui seront moins pertinents (même s’ils peuvent être vrais)

  • « C’est moi le meilleur. Je suis l’élite. »
  • « On s’en prend à moi car je mets en danger un business. »
  • « Tout le monde est corrompu sauf moi. »
  • « Je n’ai aucun conflit d’intérêt, donc je suis un expert »
  • « Les critiques sont orchestrées par un groupe qui me veut du mal. »
  • « On me critique parce que je me coiffe bizarrement, parce que je suis malade, parce que je suis moche, parce que je suis une femme. »
  • « Je me sens pas bien, je veux faire une pause. Vous devez garder vos critiques pour quand je vous dirai que je me sens mieux. »
  • « J’étais le premier à parler de ce sujet, j’ai le droit de le dire puisque je ne connais pas ceux qui en parlaient avant. »
  • « Défendez-moi ! Exprimez votre soutien inconditionnel. Faites taire les critiques ! »

 

Voici des sources scientifiques à propos de l’expertise (et de la pseudo-expertise) :

  • Caley MJ, O’Leary RA, Fisher R, Low-Choy S, Johnson S, Mengersen K. What is an expert? A systems perspective on expertise. Ecol Evol. 2014 Feb;4(3):231-42. (lien)
  • Michel Croce, On What it Takes to be an Expert, The Philosophical Quarterly, Volume 69, Issue 274, January 2019, Pages 1–21, (Lien, hélas derrière un paywall)
  • Fuhrer J, Cova F, Gauvrit N, Dieguez S. Pseudoexpertise: A Conceptual and Theoretical Analysis. Front Psychol. 2021 Nov 11;12:732666. (Lien).

 

 

Acermendax

(qui n’est plus un chercheur et qui ne se dit pas expert)

______

* Chercheur n’est pas un titre protégé, mais la plupart des gens s’accordent à dire qu’un chercheur est une personne qui produit de la connaissance en publiant des travaux dans des revues à comité de lecture. C’est le sens que je lui donne.

 

8 réponses
  1. Juju
    Juju dit :

    Facile, l’expertise est proportionnel à l’espace déboutonné de la chemise, au temps de bavardage et à l’espace occupée dans le débat.

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  2. BERTRAND DELEPORTE
    BERTRAND DELEPORTE dit :

    Bonjour, Peut-être ajouter dans la liste des indices invitant à se méfier : l’entourage ou le soutien de personnes problématiques. Participation aux médias discrédités. et Possibles mesures passées, par exemple. Une personne experte en médecine qui fut radiée de l’ordre des médecins, ou condamnée pour exercice illégale de la médecine, ce sont des indices.
    Merci pour le travail.

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  3. Djinn
    Djinn dit :

    Hyper-expert : Je n’abuse pas mon auditoire en m’exprimant en dehors de mon champ d’expertise tout en prétendant le faire en tant qu’expert.
    Par exemple un prix Nobel de Médecine invité à s’exprimer sur la Physique théorique.

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  4. Guillaume Tixier
    Guillaume Tixier dit :

    Faut-il intégrer à cette nomenclature les experts d’usage ? L’avis d’un coursier à vélo sur les aménagements cyclables, celui d’une mère de famille nombreuse sur la parentalité, d’une personne handicapée sur l’accessibilité vient souvent éclairer utilement les positions des urbanistes, pédagogues, aménageurs… bref vous voyez l’idée…

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  5. CABAD
    CABAD dit :

    Je connais un « expert » sans travaux académiques mais beaucoup de références dans Le Monde, Libération, etc. qui s’appuie sur les travaux d’un ami « ingénieur ». Or « l’ingénieur » n’a pas non plus de références académiques et change de domaine d’expertise d’un article à l’autre

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  6. MangaTD
    MangaTD dit :

    Pourquoi pas… mais je pense que certains points dans les « moins pertinents » sont trop contextuels (je pense ne pas avoir le contexte pour tous).
    Mais sur le « On me critique parce que je me coiffe bizarrement, parce que je suis malade, parce que je suis moche, parce que je suis une femme. », le droit de réponse de la personne dont ça fait référence montre que ça n’a pas de lien avec une histoire d’expertise. Ce n’est pas la question, ici. Du coup, c’est un troll maladroit. Et ce serait dommage de te lancer dans un concours de maladresses avec elle (qui de base est incompréhensible).

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