L’épistémologie opportuniste de Didier Raoult
The Extended Director’s Cut
Cet article est la « version longue » de celui publié par l’auteur sur le site medium.com (à lire ici)
Auteur. Florian Cova — Département de Philosophie, Université de Genève
Les médecins les plus dangereux sont ceux qui, comédiens nés, imitent le médecin-né avec un art consommé d’illusion.
– Nietzsche, Humain, Trop Humain
Dans l’affaire de l’hydroxychloroquine (avec azithromycine), la méthodologie médicale et les statistiques n’auront pas été les seules disciplines à subir les derniers outrages – la philosophie (et en particulier la philosophie des sciences) a elle aussi été durement touchée. En effet, elle a été instrumentalisée par Didier Raoult, “épistémologiste” auto-proclamé[1], qui s’en est servi à la fois pour se faire passer pour un grand penseur et pour justifier ses exactions contre la méthode scientifique. Mais, comme je vais le montrer ici, Didier Raoult ne se soucie pas de la philosophie – en fait, on peut même dire qu’il n’y comprend rien et qu’elle n’est pour lui qu’un simple instrument de communication. Autrement dit, son rapport à la philosophie (et à la philosophie des sciences) est purement opportuniste.
A titre d’exemple et pour donner le ton, on peut se pencher sur le rapport de Didier Raoult à Paul Feyerabend, philosophe des sciences connu pour avoir défendu un certain anarchisme méthodologique. On a pu voir Didier Raoult et des journalistes peu critiques affirmer à plusieurs endroits que Feyerabend aurait constitué une influence majeure sur la pensée et la méthode du microbiologiste marseillais.[2] Ainsi, en février 2020, l’IHU Méditerranée Infection organisait une soirée scientifique “Contre la Méthode”, en référence à l’oeuvre du même nom de Paul Feyerabend. On pourrait y voir une trace de plus de l’influence de Feyerabend sur la pensée épistémologique de Didier Raoult – et pourtant on ne trouve aucune trace de Feyerabend dans le livre que Raoult a consacré à l’épistémologie (i.e. à la philosophie des sciences), qui date pourtant de 2015.[3] Et pour cause : dans sa conférence inaugurale à la soirée “Contre la méthode”[4], Raoult admet lui-même avoir récemment découvert Feyerabend (sur un conseil de lecture de son fils).[5] Cela montre bien que Raoult n’a rien d’un disciple de Feyerabend et que sa façon de pratiquer la science (qui n’a pas l’air d’avoir beaucoup changé au cours des cinq dernières années) ne doit rien à l’anarchisme épistémologique – même s’il a réussi à le faire croire. Mais surtout, Raoult explique les raisons personnelles qui l’ont poussé à s’intéresser à Feyerabend : il avait récemment été “embêté” par les “méthodologistes” qui ont instauré une véritable “dictature”.[6] Autrement dit, de son propre aveu, Raoult ne s’est intéressé à Feyerabend que “parce [qu’il] était en colère contre les méthodologistes”.[7] Et on verra que c’est une grille de lecture qu’il applique à tous les philosophes : il n’en retient que ce qui sert ses intérêts ou permet de se donner une bonne image de lui-même, quitte à les interpréter de travers ou même à leur prêter des propos qu’ils n’ont jamais tenu.
L’épistémologie naïve de Didier Raoult : une vision inductiviste de la science
Mais pour mieux voir comment Didier Raoult déforme les pensées des auteurs dont il se réclame, il faut d’abord comprendre sa propre vision de la méthode scientifique (son “épistémologie” personnelle). C’est pourquoi, faisant preuve en cela d’une certaine abnégation, je me suis plongé dans ses diverses conférences sur le sujet – et surtout dans son ouvrage intitulé De l’ignorance et de l’aveuglement : Pour une science postmoderne. Autant le dire tout de suite, l’épistémologie de Didier Raoult n’a rien de bien original : il s’agit en fait de cette épistémologie naïve que j’appelle dans mes cours “l’épistémologie pré-moderne” ou encore “l’épistémologie à papa” et que l’on associe généralement à Francis Bacon, un philosophe anglais des XVIe et XVIIe siècles (sans surprise, Francis Bacon est abondamment cité dans le traité “d’épistémologie” de Didier Raoult).
Il est donc utile de commencer par rappeler les grandes lignes de cette épistémologie. Le premier principe est le suivant : l’erreur en science est une faute. Autrement dit : si un scientifique se trompe et défend une théorie fausse, c’est qu’il a mal fait son travail. Ceci implique un deuxième principe : qu’il existe une méthode quasi-infaillible pour découvrir la vérité. Mais quelle méthode ? C’est là qu’intervient un troisième principe, le plus important : la méthode scientifique est inductive. Qu’est-ce que cela signifie ? Que la recherche scientifique part de l’observation pour arriver aux théories, par généralisation de notre expérience à des cas futurs. Exemple trivial : je vois une poule pondre un oeuf, puis une autre, puis une autre… et j’en conclue que, en général, les poules pondent des oeufs. Francis Bacon préconisait ainsi de construire des listes d’observation pour ensuite en tirer, par comparaison des observations, des conclusions générales sur la nature.[8] Son oeuvre majeure, le Novum Organum, illustre ainsi la manière dont, selon lui, la nature de la chaleur devrait être étudiée – en compilant des listes d’observation sur ce qui est chaud (“les rayons du soleil, surtout à l’été et à midi”, “les bains chauds naturels”, “les étincelles qui jaillissent du silex et de l’acier”, “les aromates et les herbes chaudes, comme l’estragon”, “un vinaigre fort et tous les acides”) et sur ce qui n’est pas chaud (“l’air confiné dans les cavernes pendant l’été”).[9]
Or, faire de la méthode scientifique une méthode inductive a une conséquence importante. En effet, dans l’induction, on va de l’observation aux théories. Ce qui signifie que les théories ne doivent pas venir avant l’observation. Il faut que le scientifique se présente nu, vierge de toute hypothèse et de toute théorie préalable devant la nature : autrement dit, il faut qu’il soit objectif. Que signifie dans ce cas objectif ? Que dans l’observation scientifique, il y a rencontre entre un sujet d’observation (le scientifique) et un objet d’observation (la nature) et que le scientifique ne doit pas perturber (ou “souiller”) les informations que lui fournit la nature en y ajoutant des suppositions ou des préjugés qui viendrait de son propre esprit. Autrement dit, le scientifique doit se “purifier” de tout élément subjectif et se présenter devant la nature comme un réceptacle vierge et neutre, prêt à recevoir les faits que lui délivre la nature.[10] Chez Bacon, cette idée se retrouve dans son opposition à l’anticipatio mentis (le fait d’aborder la nature avec des hypothèses sur ce qui va se passer), à laquelle il préfère l’interpretatio naturae (le fait de partir de l’observation pure, neutre de la nature).[11]
Dans ce cadre épistémologique, une partie importante de la méthode scientifique consiste ainsi à se “purifier” de ses préjugés et de ses “anticipations” avant de se lancer dans l’observation de la nature.[12] C’est ainsi que Bacon propose une liste de quatre “idoles”, c’est-à-dire de quatre grands types de préjugés qui peuvent venir interférer avec l’observation neutre et conduire le scientifique à “fauter” en laissant sa subjectivité prendre le dessus : les idoles de la tribu (inhérentes à la nature humaine et son fonctionnement cognitif), les idoles de la caverne (les conceptions et les théories transmises par la société), les idoles de la place publique (les préjugés véhiculés par le langage) et les idoles du théâtre (qui viennent du respect à la tradition et l’autorité).[13] Un bon scientifique doit donc commencer par un travail sur lui-même afin de se débarrasser de ces préjugés pour ensuite se faire le miroir objectif de la nature.[14]
Connaissant ce cadre historique, il est intéressant de constater que Didier Raoult commence précisément son ouvrage d’épistémologie par une description des quatre idoles de Francis Bacon, auxquelles il ajoute une cinquième idole (l’idole du pourquoi, le désir “scientiste” de trouver une explication à tout).[15] Pour Raoult (comme pour Bacon), la méthode scientifique se résume avant tout à l’observation objective et neutre de la nature.[16]
Mais cette conception assez primaire de la méthode scientifique entraîne assez facilement un certain nombre de conséquences que l’on retrouve sans surprise dans la vision du monde de Didier Raoult :
1) La première, c’est qu’elle amène à considérer qu’un scientifique qui s’attache trop à sa théorie est forcément fautif et biaisé. Pour Raoult, le fait de croire en sa propre théorie peut même être assimilé à un conflit d’intérêt[17].
Toutefois, il est naïf de ne voir dans les conflits d’intérêts que celui du financement, il en existe bien d’autres. Un des conflits les plus importants est le conflit idéologique, certaines personnes ont une approche religieuse des théories scientifiques. Celles-ci peuvent leur avoir permis de développer leur carrière, leur pensée, la remise en cause de ces théories les met en danger de leur croyance et peut déclencher des réactions extraordinairement violentes.[18]
Didier Raoult
Contre cet attachement, Raoult préconise une attitude de détachement vis-à-vis de nos propres théories, qu’il résume très élégamment (et de façon pas du tout sexiste) de la façon suivante :
Je vois comme Sydney Brenner (prix Nobel), les théories scientifiques avec un détachement très important y compris quand c’est moi qui les ai émises. S. Brenner dit : « Je traite les théories scientifiques comme des maîtresses, je les désire mais ne les aime pas. Et je les abandonne lorsqu’elles ne me donnent plus de plaisir ». Je n’ai aucun scrupule à avoir une théorie scientifique qui me permet, à un moment, d’expliquer les données de ce que j’ai sous les yeux, et en avoir une autre quelques mois après, car les données sont différentes de ce qu’elles étaient.[19]
Didier Raoult
2) Une autre conséquence de cette conception inductiviste de la méthode scientifique, c’est l’instrumentalisme – c’est-à-dire la conception selon laquelle les théories scientifiques ne sont pas “vraies” mais de simples instruments pour prédire de nouvelles observations :
Les théories scientifiques n’ont pas besoin d’être « vraies » ni d’être durables. Elles ont besoin d’être utiles à un moment donné pour organiser la pensée face à des données nouvelles.[20]
Didier… Raoult
En effet, les théories scientifiques font appel à de nombreuses entités qui ne sont pas observables directement (ou, du moins, qui ne l’étaient pas quand ces théories ont été formulées pour la première fois) : forces, particules, macro-évolution, mécanismes psychologiques, courbure de l’espace-temps, etc. C’est embêtant pour l’inductiviste, pour qui le scientifique ne doit rien postuler qui n’ait pas d’abord été donné dans l’expérience. De plus, nombre de théories scientifiques formulent des lois universelles. Là encore, c’est embêtant pour l’inductiviste qui ne peut pas prétendre avoir fait l’expérience de tous les cas possibles (après tout, peut-être que les lois de la relativité ne fonctionnent pas partout dans l’univers). Dans ces deux cas, le scientifique ne peut pas prétendre avoir tiré l’existence de ces entités ou l’universalité de ces lois de la seule observation pure, sans aucune supposition de sa part. Une solution consiste alors pour l’inductiviste à dire qu’il n’affirme ni ne croit à la vérité des théories scientifiques, mais que celles-ci sont de simple outils pour prévoir de futures observations. La primauté de l’observation est donc sauve, au détriment de la vérité des théories scientifiques.[21]
3) Il est aussi intéressant étant donnée la situation actuelle que cette conception de la science a tendance à conduire au culte du génie.[22] En effet, nous avons vu que cette conception de la méthode scientifique met l’accent sur les dispositions des scientifiques, c’est-à-dire sur leur capacité à observer le monde objectivement, sans préjugé. Or, on peut légitimement supposer que cette capacité varie d’un individu à l’autre et donc que certains individus seront meilleurs que d’autres. À cela s’ajoute l’importance donnée à l’observation, donc à l’expérience personnelle. De là, on est naturellement conduit à penser que les personnes qui ont plus d’expérience et ont fait preuve de leur capacité à “saisir” la vérité par le passé sont mieux à même de percevoir la vérité objective que nous présente la nature et que les grands scientifiques sont ceux qui associent capacité à percevoir le monde de façon neutre et grande expérience passée de la vérité. On en viendra donc à faire reposer la crédibilité des conclusions scientifiques sur le pedigree et les vertus de ceux qui les énoncent, et ainsi à verser dans une forme très personnalisée d’argument d’autorité (“je suis un grand scientifique”, “j’ai inventé une douzaine de traitements”).[23] C’est cette façon de penser qui conduit à citer Einstein à tout va, en supposant que même ce qu’il dit en-dehors de son champ d’expertise aura de la valeur – après tout, les succès d’Einstein en physique ne prouvent-ils pas qu’il est doté de cette capacité mystérieuse de voir le monde tel qu’il est ?[24]
4) Couplée à l’idée selon laquelle le bon scientifique est celui qui est capable de rejeter les idées reçues et tout ce qui fait autorité, ce culte du génie aboutit à une vision purement individualiste de la recherche scientifique, dans laquelle un petit nombre d’individus particulièrement doués font avancer la science en se battant contre une foule de médiocres qui ne cherchent qu’à maintenir un “consensus pétainiste”[25] qui bride toute créativité, et donc toute découverte[26] :
Le consensus est d’ailleurs quelque chose dont je me méfie terriblement. Je préfère être du côté du savoir, tout en en connaissant les limites dans le temps et dans l’espace, que du côté de l’accord qui remplace le savoir. Quand il s’agit de faire une loi, le consensus peut avoir un sens encore que savoir qu’il existe des positions minoritaires. Quand il s’agit de connaissances le consensus n’a pas de signification. C’est probablement la volonté de consensus qui est une des idoles les plus terribles de notre théâtre.[27]
Didier Raoult
5) Dernière conséquence de cette conception de la science : ce que Karl Popper appelle “la théorie conspirationniste de l’erreur” dans son introduction à Conjectures et Réfutations. En effet, comme énoncé plus haut, cette conception de la science a pour conséquence que celui qui est dans l’erreur se trompe par sa propre faute : s’il ne peut pas voir la vérité, c’est parce que son esprit est vicié et empoisonné par ses préjugés. Et s’il persiste dans son erreur, c’est alors qu’il refuse de voir la vérité pour des raisons inavouables (par exemple parce qu’il a tout intérêt à ce que cette vérité ne se sache pas). Quand l’erreur est collective, il faut donc l’expliquer par une influence néfaste qui vient volontairement obscurcir l’intelligence des gens pour les empêcher de connaître la vérité (pour Francis Bacon, c’était l’aristotélisme et les autres écoles philosophiques ; pour les Lumières, ce fut la religion ; aujourd’hui c’est Big Pharma).
Comment Didier Raoult ne retient de la philosophie des sciences que ce qui l’arrange
Nous venons donc de voir que “l’épistémologie” personnelle de Didier Raoult n’a rien de très originale et qu’elle peut être identifiée à une forme assez naïve d’empirisme inductiviste. Faut-il voir seulement un manque de sophistication épistémologique de la part de Didier Raoult ? Pas seulement ! L’épistémologie inductiviste est aussi l’épistémologie parfaite si l’on cherche à valoriser les travaux passés de Didier Raoult contre les critiques qui en ont été faites. En effet, si – comme on va le voir sous peu – l’épistémologie inductiviste échoue à décrire correctement la façon dont avance la plupart de la recherche scientifique, il n’empêche que certains domaines ont nécessairement recours à une méthode qui y correspond. C’est particulièrement le cas des domaines où l’activité consiste non à développer des théories explicatives mais à collecter des observations, par exemple sur l’existence de tel ou tel organisme, pour en faire diverses listes ou catalogues (on peut prendre comme exemple l’activité d’un naturaliste répertoriant de nouvelles espèces de plantes).
Or, ce qui a été reproché aux travaux de Didier Raoult, c’est de se contenter à faire du simple catalogage de bactéries et autre micro-organismes, sans aucune théorie intéressante derrière. C’est là que son épistémologie inductiviste lui permet de retourner cette critique pour faire de ce que ses détracteurs considèrent comme un défaut une preuve de plus de son génie scientifique. En effet, si – comme le soutient son épistémologie inductiviste – les observations constituent le seul point d’ancrage solide de la science alors que les théories ne sont que des divagations qui peuvent éventuellement se révéler utiles comme instruments de prédiction, alors il est tout à fait normal et même plus scientifiquement rigoureux de se contenter d’observer les bactéries sans chercher à développer des théories. C’est d’ailleurs une attitude que Raoult revendique explicitement :
Une forme particulière de l’idola species [sic] en est un dérivé: l’idole du pourquoi. Certains individus du fait à la fois probablement de leurs interrogations internes et de leur culture amène à ne pouvoir voir qu’à la condition de trouver une explication. C’est « l’idole du pourquoi ». C’est probablement celle qui a joué un rôle tellement important dans les tentatives d’explication du monde par des créateurs qui tentent d’expliquer les malheurs ou les bonheurs par des interventions extérieures. Certains juifs ultra religieux considèrent que la Shoah est la punition de Dieu comparable à celle de l’exil afin de punir le peuple juif de ne pas avoir suffisamment aimé son Dieu. Cette « idole du pourquoi » joue aussi un rôle important dans la science. Chaque fois que je fais une présentation il y a toujours un étudiant qui me demande pourquoi et je réponds généralement en anglais c’est dans cette langue que je fais le plus souvent mes conférences « I’m not a why man, I’m a what man », c’est-à-dire je ne suis pas un homme du pourquoi, je suis un homme du quoi. C’est ma propre personnalité qui m’a amené à ne pas me poser la question de savoir pourquoi mais à développer le goût de l’observation.[28]
Didier Raoult
C’est une vraie séparation des scientifiques entre les découvreurs (les « pêcheurs» qui s’embarquent sans savoir ce qu’ils vont trouver) qui ont les yeux ouverts, et ceux qui bâtissent leur science sur des hypothèses. Ils pensent que les observations sont susceptibles d’avoir une explication commune et unique et bâtissent leurs travaux sur cette hypothèse. Les deux ont fait progresser la science, je suis clairement plus du côté des découvreurs que des théoriciens.[29]
Lui-même
Autrement dit, la conception inductiviste de la méthode scientifique “arrange bien” Raoult : elle lui permet à la fois d’expliquer pourquoi il est meilleur que la plupart des autres scientifiques (aveuglés par l’idole du “pourquoi”) tout en répondant aux critiques qui lui sont faites.
Problème : si on met de côté Francis Bacon, la plupart des philosophes des sciences sur lesquels Didier Raoult s’appuie dans ses conférences et dans ses cours (Popper, Kuhn, Feyerabend) sont précisément connus pour avoir rejeté cet inductivisme naïf et montré pourquoi il était intenable et ne correspondait pas à la façon dont la science progresse (si on se penche un tant soit peu sur l’histoire des sciences). Comment Didier Raoult se sort-il de cette contradiction ? Simplement en travestissant et en déformant complètement les pensées de ces philosophes, en les tordant de façon à ce qu’elles contribuent à glorifier l’auguste de Didier Raoult et à justifier son rapport très “libéral” à la méthode scientifique. Comme on le verra, il y a aussi de fortes chances pour que processus soit dû en partie au fait que Didier Raoult ne comprend pas ce qu’il prétend avoir lu. Mais, dans tous les cas, il est frappant que l’interprétation qu’il en fait est systématiquement celle qui lui permet de se peindre dans une lumière favorable.
1) Karl Popper et la falsifiabilité des théories scientifiques
Commençons par Karl Popper. Didier Raoult en retient deux choses.[30] La première est que, selon Popper, “de nouveaux instruments [d’observation] donnent naissance à de nouvelles théories” (new tools create new theories)[31] et qu’il faut donc “changer d’instrument” (change the tool) pour faire progresser la science par de nouvelles découvertes.[32] Autrement dit, selon Popper “chaque outil nouveau change la perception du monde”[33] et la science progresserait avant tout par la mise au point de nouveaux instruments d’observation :
Ainsi, pour Popper les outils changent plus les théories que les hypothèses. L’évolution de la science (même si les scientifiques doivent avoir un motif pour regarder, une induction) est due aux scientifiques qui participent aux nouvelles découvertes permises par ces outils.[34]
D. Raoult
Cela va clairement dans le sens d’une approche inductiviste de la méthode scientifique : on ne progresse pas en spéculant mais en améliorant notre capacité à observer le monde de manière neutre et impartiale. Et, surtout, cela arrange bien Raoult, qui peut vanter les nombreux nouveaux instruments dont dispose son IHU et ainsi expliquer qu’il fait avancer la science :
Dans la recherche de la découverte, nous, on a fait beaucoup de travaux utilisant des outils nouveaux et ça a été… Notre course, nous, à la découverte, a été basée sur des outils nouveaux.[35]
Didier R.
Problème : Popper ne dit pas ça – en tout cas pas dans l’ouvrage que Didier Raoult cite dans chacune de ses conférences (The Logic of Scientific Discovery).[36] D’ailleurs il n’est même pas connu pour avoir dire ça : autrement dit, même en admettant que Popper ait écrit cela quelque part, ce que fait Raoult revient à citer Platon pour dire que la neige est froide[37] – c’est-à-dire réduire la pensée d’un auteur à une partie complètement anecdotique de celle-ci. Mais surtout, Popper a en fait affirmé l’inverse de ce qui lui fait dire Raoult :
It is often claimed that the history of scientific discoveries depends only (or mainly) upon the purely technical inventions of new instruments. By contrast, I believe that the history of science is essentially a history of ideas. Magnifying lenses had been around for a long time before Galileo had the idea of using them in an astronomical telescope. (Traduction : “On entend souvent dire que l’histoire des découvertes scientifiques dépend seulement (ou principalement) de l’invention purement technique de nouveaux instruments. En contradiction avec cette idée, je pense que l’histoire des sciences est essentiellement une histoire des idées. Les lunettes grossissantes existaient depuis longtemps quand Galilée a eu l’idée de les utiliser pour faire un télescope astronomique.”)[38]
Karl Popper
Mais Raoult retient une deuxième chose, bien plus connue de Karl Popper[39] : la réfutabilité (falsifiabilité dans le jargon philosophique) des théories, selon laquelle une théorie ne peut être dite scientifique que si l’on peut imaginer une expérience qui pourrait éventuellement la contredire (par exemple, la théorie de Newton est réfutable parce qu’elle serait reconnue comme incorrecte si on observait un objet matériel qui ne subit pas d’attraction gravitationnelle de la part des autres objets matériels). Tout ce qui ne satisfait pas ce critère – et est donc compatible avec n’importe quelle expérience possible – tombe hors du domaine de la science (pour atterrir dans un autre domaine que Raoult réduit à la religion, alors que Popper accepte l’idée qu’il existe des discours rationnels qui échappent au critère de falsifiabilité, comme la philosophie par exemple). Raoult trouve l’idée intéressante parce qu’elle lui permet de tacler la théorie de l’évolution de Darwin au passage (Popper a en effet soutenu un moment que la théorie de l’évolution était irréfutable, avant de changer d’avis) et qu’il a écrit un livre contre l’évolution darwinienne (Dépasser Darwin, publié chez Plon). Mais Raoult échoue à saisir le caractère radical de la proposition de Popper et la dilue dans son cadre instrumentaliste et inductiviste en interprétant cela comme signifiant que “si vous présentez votre théorie comme une vérité absolue, ça a cessé d’être de la science”.[40]
Ce que ne comprend pas Raoult (alors même qu’il s’agit de quelque chose de basique en philosophie des sciences, et quelque chose d’explicitement indiqué par Popper dans The Logic of Scientific Discovery), c’est que le principe de réfutation ne sert pas juste à Popper de critère de démarcation entre les théories scientifiques et celles qui ne le sont pas – c’est aussi une attaque directe et dévastatrice contre l’inductivisme qui sous-tend l’épistémologie de Raoult. On a vu plus haut que l’inductivisme souffrait de plusieurs difficultés insurmontables : en faisant de la science une activité qui procède de l’expérience vers la théorie et en donnant un poids considérable à l’expérience “neutre”, l’inductivisme ne pouvait expliquer ce qui autorisait les scientifiques à accepter l’existence d’entités non-observables (l’existence des atomes a fait consensus chez les physiciens longtemps avant qu’il soit possible de les observer) ou à poser l’existence de lois universelles.[41] Contre l’inductivisme, Popper propose une autre vision de la méthode scientifique : une méthode dite “falsificationniste” dans laquelle les scientifiques abordent la nature avec une théorie et des hypothèses précises en tête et confrontent ces théories et hypothèses aux données de l’observation. Pour le dire plus simplement, on pourrait décrire la méthode scientifique selon Popper de la façon suivante : (1) les scientifiques sont confrontés à certaines observations pour lesquelles ils cherchent une explication, (2) ils imaginent une théorie qui permettrait d’expliquer ces observations (et dans laquelle ils peuvent postuler l’existence de lois et d’entités qui n’apparaissent pas directement dans l’observation), (3) ils tirent certaines prédictions spécifiques de cette nouvelle théorie, (4) ils mettent à l’épreuve la théorie en testant ces prédictions. Si les observations contredisent ces prédictions, alors la théorie est réfutée et doit être abandonnée.[42] Si elles confirment ces prédictions, alors la théorie est corroborée, ce qui signifie qu’elle peut être conservée jusqu’au prochain test.
On peut voir qu’il y a de grandes différences entre cette conception falsificationniste de la science et la conception inductiviste de Bacon et de Raoult. La première est que, dans la conception falsificationniste, la science ne va pas juste de l’observation à la théorie : elle va de l’observation à la théorie (recherche d’explication et construction de théorie) puis de la théorie à l’observation (test d’hypothèse), puis de l’observation à la théorie (révision ou non de la théorie en fonction des tests), et ainsi de suite dans un aller-retour incessant. La deuxième, c’est qu’elle ne réclame pas du scientifique qu’il soit un être neutre et dépourvu de toute attente : bien au contraire, la recherche scientifique progresse parce que les scientifiques, au lieu d’écouter passivement la nature, vont interroger activement celles-ci pour tester leurs théories qui guident leurs observations et leurs recherches.
L’un des avantages de cette conception, c’est qu’elle permet d’expliquer la révolution scientifique des XVIe et XVIIe siècles (époque à laquelle on voit naître la physique moderne). Dans le cadre inductiviste, il est difficile de comprendre pourquoi la science moderne a mis autant de temps à émerger : il faudrait en conclure que les hommes n’ont jamais observé le monde de façon “objective” avant cette époque.[43] A l’inverse, l’épistémologie falsificationniste a une réponse plus plausible : elle dira que la science moderne naît justement quand les scientifiques arrêtent de se contenter d’observer le monde de façon neutre et passive pour aller activement l’interroger et tester leurs théories – en bref, le simple passage de l’observation à la science expérimentale. La science moderne naît ainsi quand Galilée ne se contente pas de contempler la chute des corps dans la nature mais construit un dispositif ingénieux de plans inclinés pour l’observer “en laboratoire” et quand Harvey conclut que le sang circule dans le corps non en se contentant d’observer mais en calculant à l’avance la quantité de sang que devrait contenir le corps pour que les théories concurrentes soient vraies et en comparant celles-ci à la quantité de sang véritablement présente dans le corps.[44] Elle requiert en outre d’aller au-delà de l’expérience quotidienne, par exemple en supposant qu’un corps en mouvement continue sans jamais s’arrêter sur sa lancée si rien ne l’en empêche, alors même que nous n’observons jamais de nos propres yeux de tels cas.
La conception “falsificationniste” de la science entraîne un certain nombre de conséquences qui sont diamétralement opposées à celles que l’on pouvait tirer de la conception inductiviste :
1) La première, c’est que l’erreur n’est pas une faute : cela fait partie de la démarche normale de la science de se tromper et c’est même comme ça que la science avance. En effet, pour chaque ensemble d’observations que les scientifiques cherchent à expliquer, un grand nombre d’explications et de théories pourront être imaginées. Il faudra ensuite les tester pour voir lesquelles sont réfutées par l’expérience et lesquelles valent le coup d’être maintenues. Autrement dit : on teste plein de trucs, et on voit ce qui marche. Mais comme il n’y a pas de moyen de savoir avant de tester quelles théories passeront le test, le fait de défendre une théorie fausse ne reflète pas une erreur de jugement ou un problème de la part de ceux qui la soutenaient. C’est juste qu’ils n’ont pas eu de chance.[45]
2) La seconde, c’est la fin du culte de l’objectivité, au sens où cette notion n’a plus vraiment de sens dans le cadre falsificationniste. Il ne faut pas voir là un quelconque slogan relativiste qui nierait l’existence d’une vérité indépendante de nous, mais juste l’affirmation selon laquelle cela n’a pas de sens de demander aux scientifiques d’être objectifs. Cette injonction avait un sens dans le cadre inductiviste dans lequel on demandait au sujet de s’effacer et de rester passif devant l’objet (la nature) qui devait être source de toute hypothèse. Dans le cadre falsificationniste, au contraire, on demande au sujet d’être actif et inventif, d’inventer des hypothèses et de postuler l’existence de lois et d’entités, avant de confronter ces hypothèses à la nature. Et la subjectivité du scientifique peut jouer un rôle important dans la création desdites hypothèses. Certains exemples célèbres incluent Kepler, qui postula que l’orbite des planètes autour du Soleil était elliptique sur la base d’une vision du monde très… “personnelle” (qui l’amenait à considérer que l’Univers était soumis à des lois d’harmonie qui permettaient une correspondance entre astronomie et musique) ou Pasteur, dont l’hostilité envers l’idée de génération spontanée était en partie guidée par ses conceptions religieuses (l’idée d’une génération spontanée était populaire chez les athées, parce qu’elle permettait d’expliquer l’apparition de la vie sans Dieu).
Mais si les préjugés et les orientations personnelles des scientifiques influencent leurs hypothèses, comment la science peut-elle fonctionner ? C’est là que la conception falsificationniste permet l’introduction d’une distinction qui n’existait pas dans la conception inductiviste : la distinction entre contexte de découverte (le contexte dans lequel on en vient à construire une théorie ou à formuler une hypothèse) et le contexte de justification (l’ensemble des éléments qui conduisent à accepter ou rejeter une théorie). Dans la conception inductiviste, ces deux contextes étaient confondus : l’observation “pure” et neutre de la nature constituait à la fois le processus par lequel le scientifique venait à formuler une hypothèse (= contexte de découverte) et les données soutenant cette hypothèse (= contexte de justification). Mais dans la conception falsificationniste, ces deux contextes sont séparés : d’abord les scientifiques conçoivent une hypothèse et ensuite ils la testent (en mettant à l’épreuve ses prédictions). On peut donc accepter que le contexte de découverte (la création des hypothèses) dépende en grande partie de la subjectivité et des particularités individuelles des scientifiques, tout en maintenant que les procédures utilisées dans le contexte de justification (pour tester les théories) doivent être assez robustes pour résister aux biais et aux préférences personnelles des scientifiques. Bien entendu, cela a pour conséquence que la validité de la science dépend en grande partie de la rigueur des méthodes utilisées dans le contexte de justification et de leur capacité à prévenir un certain nombre de biais. C’est pourquoi les questions méthodologiques sont d’une importance extrême et pas un carcan inutile et encombrant.
A ce propos, la distinction entre contexte de découverte et contexte de justification permet de répondre à une critique formulée à maintes reprises par Didier Raoult “contre la méthode” (et les “méthodologistes”) et selon laquelle l’insistance sur la méthode en sciences irait à l’encontre de la créativité, en enfermant le scientifique dans le “carcan” de règles immuables. On voit qu’il n’en est rien : l’existence de règles strictes et sévères dans le contexte de justification (et dans les procédures qui permettent de tester les théories) cohabite parfaitement avec une totale liberté et une absence de règles dans le contexte de découverte (et donc dans la construction des hypothèses et l’imagination de nouvelles théories). Dans la conception falsificationniste, qu’importe d’où vient votre hypothèse (si vous l’avez eu en contemplant la nature, sur le coup d’une intuition géniale, en lisant Nietzsche ou en vous bourrant de LSD), dès lors que celle-ci passe ensuite le test de l’expérience.
3) Une dernière conséquence de cette conception, c’est qu’elle met l’accent sur le fonctionnement nécessairement collectif de la science. En effet, l’intuition géniale d’un scientifique ne vaut rien tant qu’elle n’a pas été mise à l’épreuve de façon répétée (Einstein a eu plusieurs intuitions géniales, mais toutes ne se sont pas révélées bonnes). Sa validation requiert donc l’existence d’une communauté scientifique prête à l’examiner sous toutes les coutures. De plus, comme les observations que l’on cherche à expliquer sont souvent compatibles avec plusieurs hypothèses, la science ne peut progresser qu’en opposant ces différentes hypothèses les unes aux autres et en les comparant, ce qui implique l’existence de plusieurs camps scientifiques prêts à s’affronter, donnant ainsi naissance à un processus “darwinien” dans lequel les théories les plus faibles sont éliminées les unes après les autres.
Ainsi, la science ne requiert pas du scientifique qu’il soit objectif, mais qu’il soit honnête et qu’il accepte de jouer les règles du jeu scientifique, c’est-à-dire (i) ne pas crier victoire et aller clamer dans les médias qu’il a découvert la vérité en l’absence de consensus scientifique clair sur la question, (ii) ne pas voir dans la critique de ses collègues scientifiques une forme d’agression mais un processus nécessaire pour faire surgir la vérité et (iii) tout faire pour que son hypothèse soit testée de la façon la plus sévère et la plus rigoureuse possible. On est donc loin de l’image du génie solitaire qui nage à contre-courant de la médiocrité et du dogmatisme de la plupart de ses collègues (ce qui devrait en inciter certains à la modestie).
Comme on le voit, donc, les concepts fondamentaux de la philosophie de Popper vont directement à l’encontre de la conception que Didier Raoult se fait de l’activité scientifique. Qu’il ne semble même pas le réaliser nous fournit un premier indice de son incapacité à lire les philosophes des sciences et à les relire à sa sauce.
2) Thomas S. Kuhn et les révolutions scientifiques
Passons maintenant au deuxième auteur que massacre Didier Raoult – il s’agit de Thomas Kuhn, historien et sociologue des sciences célèbre pour son ouvrage sur La Structure des Révolutions Scientifiques. Comment Didier Raoult l’interprète-t-il ? Il y a un point sur lequel Didier Raoult ne se trompe pas : il comprend bien que Kuhn pointe certaines limites du falsificationnisme de Popper en faisant remarquer que les théories scientifiques peuvent continuer à vivre et à être utilisées par les scientifiques longtemps après qu’on ait trouvé des phénomènes qui semblent les contredire. (En fait, Kuhn va encore plus loin en disant que certains paradigmes scientifiques sont adoptés alors même qu’ils sont incapables d’expliquer toute une gamme de phénomènes.) Et, effectivement, l’histoire des sciences semble confirmer que tel est le cas : par exemple, nombre d’astronomes ont adopté le système de Copernic (selon lequel la terre tourne autour du soleil et sur elle-même) alors que les prédictions qu’il faisait au sujet de la trajectoire des planètes étaient loin d’être parfaites et qu’il devait faire face à des objections pour lesquelles il n’avait pas de réponse convaincante. (Par exemple : si la terre tourne sur elle-même, pourquoi une pierre lâchée du haut d’une tour tombe-t-elle au pied de cette tour et pas des kilomètres plus loin ?) Comme l’explique Kuhn, cette stratégie peut se révéler parfois payante, car une théorie peut, en se développant, finir par résoudre ces problèmes. (Par exemple, la découverte des principes d’inertie et de relativité du mouvement ont permis de rendre la théorie de Copernic compatible avec le fait que nous retombons au même endroit après avoir sauté. Et la queue du paon, qui semblait constituer une objection fatale à la théorie de la sélection naturelle, a finalement été expliquée par l’introduction du concept de sélection sexuelle.)
Mais qu’en déduit Didier Raoult ? Que cela montre la tendance de l’establishment scientifique à s’accrocher irrationnellement à ses théories favorites, quitte à rejeter dogmatiquement les observations qui vont à leur encontre :
L’autre grand épistémologiste du siècle, Kuhn est celui qui explique l’aveuglement et particulièrement illustre le principe de l’idole du théâtre. Il exprime que les théories scientifiques sont prisonnières d’un modèle dominant et qu’il faut un changement de paradigme, de modèle, brutal, pour pouvoir réanalyser les choses dans leur nouvelle réalité. Bien entendu le changement de paradigme est rendu souvent nécessaire par le fait que les théories scientifiques deviennent instables du fait de l’accumulation d’éléments nouveaux et d’exceptions à la règle.[46]
Le Didier Raoult
Ainsi, pour Raoult, la tendance des scientifiques à ne pas réviser leur théorie à la moindre observation contraire relève de “l’idole du théâtre” – de la soumission à l’autorité et à la tradition scientifique. Du coup, ce qu’en retire Raoult, c’est que la découverte et le progrès en science ne peut venir que des “renégats” qui rejettent la théorie dominante :
Au début d’une nouvelle phase de recherche, les chercheurs sont des révolutionnaires. C’est la période de la révolution scientifique. Il s’agit là de pionniers, de découvreurs (souvent un peu caractériels !). La proportion de ce qui est à découvrir avec le nouvel outil et dans le nouveau paradigme diminue au fur et à mesure. Les chercheurs, comme la recherche elle-même dans ce domaine, deviennent plus « normaux » avec des personnalités plus soucieuses d’améliorer progressivement plutôt que de remettre brutalement en cause les choses. Personnellement j’ajouterai volontiers une dernière phase académique où les chercheurs deviennent les gardiens du temple de l’ancienne théorie jusqu’à ce qu’elle soit bouleversée par un nouveau paradigme.[47]
Toujours lui.
On voit donc qu’on revient à l’idée du génie solitaire (et forcément un peu caractériel) qui fait progresser la science en rejetant le consensus aveugle de ses collègues plus “normaux” (et forcément plus médiocres). Dans sa conférence inaugurale à la soirée Contre la Méthode, il en déduit donc la chose suivante : que cela doit devenir une “stratégie” pour le “bon” scientifique de dire “puisque tout le monde pense ça, je vais dire que c’est pas vrai” (08:53).
Mais est-ce vraiment ce que dit Kuhn ? Pas vraiment. Pour comprendre la pensée de Kuhn, il faut faire deux distinctions, une que Raoult élude, et une autre qu’il déforme. La première, c’est la distinction entre les simples théories et les paradigmes scientifiques. L’un des concepts clés de l’oeuvre de Kuhn est la notion de paradigme : un ensemble de croyances métaphysiques, de concepts, de principes de base et d’exemples à suivre qui sont communs à une communauté scientifique et constituent la base à partir de laquelle les scientifiques d’un domaine vont pouvoir débattre et résoudre différents problèmes. Par exemple, deux scientifiques qui sont en désaccord sur la fonction d’un gène vont avoir des théories différentes (sur la fonction de ce gène), mais ils partageront un arrière-plan commun (sur ce qu’est l’ADN, sa fonction, sur les méthodes à suivre pour départager leurs théories respectives, sur la forme que doit prendre la présentation de résultats scientifiques, etc.). Leur désaccord diffère en cela de celui qui opposerait un véritable scientifique à un anthroposophe, dont l’arrière-plan commun se réduit à peau de chagrin et ne permet pas une confrontation féconde de leurs différents points de vue.
Cela nous amène à la seconde distinction : celle entre les révolutions scientifiques et la science normale. La “science normale”, selon Kuhn, caractérise l’activité des scientifiques à l’intérieur d’un paradigme stable qu’ils partagent en commun : c’est ce que font la plupart des scientifiques la plupart du temps. Les “révolutions scientifiques”, contrairement à ce que dit Raoult, ne sont pas de simples changements de théories, mais des situations dans lesquelles les concepts et les méthodes de base qu’utilisent les scientifiques d’une communauté se révèlent insuffisants et doivent être changés de fond en comble parce qu’il devient impossible, malgré des tentatives répétées, de résoudre certains problèmes avec les instruments existants (deux exemples célèbres utilisés par Kuhn sont la révolution copernicienne et les difficultés qui ont conduit à l’invention de la relativité par Einstein).
Dans l’esprit de Raoult, la science normale est inféconde, dogmatique, sclérosée, tandis que les révolutions scientifiques sont des périodes fécondes et créatives. Il faudrait donc en permanence chercher à rejeter le paradigme dominant pour faire progresser la science. Mais ce n’est pas du tout ce que pense Kuhn. En effet, pour Kuhn, les périodes de sciences normales sont des périodes qui non seulement se révèlent très fécondes, mais sont indispensables à la bonne marche de la science. Pour Kuhn, l’existence de périodes de science normale, pendant lesquelles les scientifiques s’accordent sur un paradigme qui leur permet de travailler en commun, est précisément ce qui distingue la science d’autres domaines qui se révèlent incapables de progresser, faute d’un paradigme commun (comme, par exemple, la philosophie).[48] Chercher la révolution permanente reviendrait ainsi à rendre tout progrès scientifique impossible. Comme l’écrit Kuhn :[49]
L’acquisition d’un paradigme et des types plus ésotériques de recherche qu’il permet est un signe de maturité dans le développement de n’importe quel domaine scientifique donné.
Thomas Kuhn
Ainsi, Kuhn ne recommande absolument pas au scientifique de chercher à tout prix à provoquer une révolution scientifique, ou de rejeter le paradigme à la moindre observation incompatible. En effet, pour qu’une observation incompatible ou inexpliquée puisse vraiment fournir la base d’une révolution, il faut d’abord que les scientifiques aient poussé le paradigme dans ses derniers retranchements pour voir ce qu’il était capable d’expliquer une fois développé à son maximum (parfois, certaines anomalies inexplicables dans un premier temps parviennent à être expliquées). Contrairement à ce qu’affirme Raoult, Kuhn accorde donc au consensus (sur les paradigmes) une véritable vertu, et en fait même un moteur indispensable de la marche de la science (même si les révolutions qui entraînent des changements de paradigme sont également tout aussi indispensables). A tel point que les individus qui refusent de se rallier à ce consensus finissent selon lui par cesser d’être des scientifiques à proprement parler :
l’homme qui continue à résister après la conversion de son groupe tout entier a cessé ipso facto d’être un homme de science.[50]
Thomas Kuhn
Mais bien entendu, Raoult n’est pas en mesure d’entendre ça. Déjà parce que, comme nous l’avons vu, sa conception de la science fait de tout consensus une “idole”, un argument d’autorité dont doit se défaire le vrai scientifique pour contempler les faits tels qu’ils sont. Mais surtout parce qu’il a construit son image autour du fait d’être un renégat, un rebelle toujours en opposition avec l’establishment. Il lui faut donc valoriser le désaccord et l’exception au détriment du consensus et de la recherche commune (ou “en meute”, pour reprendre ses termes). Enfin, l’effacement de la distinction entre théorie et paradigme (qui conduit à faire de chaque changement de théorie une révolution) lui permet de présenter les quelques découvertes qu’il a faites (comme celle des “virus géants”) comme des “révolutions scientifiques”[51]. Cependant, comme l’explique Kuhn, toute découverte ne constitue pas immédiatement un changement de paradigme (un des exemples qu’il prend est le tableau périodique : une fois la théorie atomiste mise en place par une révolution, chaque nouvelle découverte d’élément ne constituait pas une révolution supplémentaire, mais une simple contribution de la science normale).
3) L’anarchisme méthodologique de Feyerabend
Enfin, nous passons à Feyerabend. Feyerabend est bien connu pour son ouvrage Contre la Méthode, dans lequel il défend ce qu’il appelle un anarchisme épistémologique. Bien entendu, Raoult, qui est en guerre contre les “méthodologistes”, y voit un allié de choix. Il interprète donc Feyerabend comme invitant les scientifiques à remettre en cause la “méthode” et comme critiquant les scientifiques qui, médiocres et aveugles, sont incapables de remettre en cause leur façon de procéder.
Le problème, c’est qu’il y a une ambiguïté dans le terme “méthode”. Il y a d’un côté les méthodes (au pluriel) : c’est-à-dire la diversité des techniques utilisées par les scientifiques dans la construction de leurs études (les diverses méthodes expérimentales) et dans l’analyse de leurs résultats (les diverses méthodes statistiques). C’est clairement, dans ce sens de méthode que Raoult choisit d’interpréter Feyerabend, vu qu’il est en lutte contre les statisticiens et les défenseurs des essais en double aveugle (il suffit pour s’en rendre compte de voir le sommaire des conférences de la soirée Contre la Méthode de l’IHU Méditerranée). Cependant, l’ouvrage de Feyerabend ne porte jamais sur “les” méthodes prises en ce sens – il porte sur la méthode, c’est-à-dire la méthode scientifique en général, telle que conçue par Popper et son successeur, Imre Lakatos (le falsificationnisme). Sans rentrer dans les détails, Feyerabend rejette l’idée selon laquelle il existerait une méthode scientifique générale qui permettrait au scientifique de savoir quand rejeter ou conserver une théorie ou à quel paradigme s’affilier. On l’a déjà vu avec Kuhn : il peut être parfois avantageux pour la science que certains scientifiques cherchent à conserver et améliorer une théorie alors qu’elle semble faire face à des objections insurmontables. On ne peut donc pas dire au scientifique que sa tâche consiste à abandonner une théorie dès lors qu’une autre théorie semble être moins en difficulté : au contraire, le fonctionnement de la science se nourrit d’un certain pluralisme qui permet la confrontation constante de différentes théories. Ainsi, pour le scientifique, le fait de continuer à défendre une certaine théorie ou, au contraire, de la rejeter est un choix arbitraire pour lequel la philosophie des sciences ne peut lui fournir de réponse. La philosophie des sciences ne fournit donc pas de méthode scientifique générale au scientifique.
Feyerabend critique aussi le “falsificationnisme” (encore une fois : Popper et Lakatos) sur la base de l’histoire des sciences. Sur la base d’une étude historique approfondie des stratégies utilisées par Galilée pour convaincre ses contemporains du bien-fondé de ses positions, Feyerabend en conclut que l’histoire des sciences n’avance pas comme le prédiraient les “falsificationnistes”. Les scientifiques ne révisent pas leurs théories quand surgissent des observations contraires et ne défendent pas leurs théories sur la seule base de tests expérimentaux : ils font aussi usage de rhétorique, de tricheries, d’arguments philosophiques – bref, tous les coups sont permis et il est impossible de dire au scientifique ce qu’il doit faire. C’est pourquoi, brandissant haut et fort son slogan “tout se vaut”, Feyerabend encourage un pluralisme radical en sciences – ce qui le conduit à considérer la mythologie grecque ou le vaudou comme des candidats aussi sérieux que la relativité générale ou le darwinisme. Notons toutefois que Feyerabend admet lui-même que son pluralisme n’est pas tant motivé par la vérité que par un désir de défendre une certaine forme d’humanisme libertaire contre l’autorité (selon lui excessive) que nos sociétés accordent à la science (il trouve ainsi aberrant que l’école puisse décider quelles théories scientifiques doivent être enseignées).
Comme on le voit, on est très loin de ce dont parle Raoult : à aucun moment Feyerabend ne critique l’adhésion à des méthodes scientifiques spécifiques, qu’elles soient expérimentales ou statistiques. Le propos de Feyerabend n’est pas de critiquer la méthodologie, les modèles statistiques ou les exigences d’essais en double-aveugle pour réhabiliter l’intuition et l’observation directe, ni de défendre “la vraie vie” contre les “Big Data”. Au contraire, Feyerabend met toutes ces choses sur un pied d’égalité – il n’y a plus de méthode générale, chacun choisit la sienne : c’est l’anarchisme épistémologique. Difficile donc de croire que Didier Raoult, qui croit tellement aux vertus de “l’observation directe” et prend tant de plaisirs à décerner des points “pieds nickelés” ou “Marx brothers” aux scientifiques soit un anarchiste au sens de Feyerabend, surtout quand on sait que Feyerabend passe une bonne partie de Contre la Méthode à défendre l’impossibilité de toute observation qui ne soit pas déjà influencée par des considérations théoriques.[52]
De l’ignorance de Didier Raoult concernant les concepts de base de l’épistémologie (le cas de l’abduction)
Ce petit panorama de l’histoire de la philosophie des sciences par Didier Raoult (qui semble considérer que l’épistémologie se réduit à trois auteurs) semble justifier la conclusion suivante : Didier Raoult est incompétent en épistémologie. Pour le lecteur qui n’est pas initié, ce jugement peut sembler un peu sévère et refléter un manque de charité de la part d’un spécialiste intransigeant qui ne supporterait pas la moindre erreur sur tout ce qui touche son domaine, mais ce n’est pas le cas : déjà parce que je ne suis pas “épistémologiste”, et surtout parce que Didier Raoult n’a pas le niveau que l’on serait en droit d’attendre d’un étudiant de première année qui validerait un cours d’introduction à l’histoire des sciences. C’est à ce point.
N’importe quelle personne un tant soit peu de bonne foi qui ouvrirait les ouvrages que Didier Raoult cite à longueur de conférence se rendrait vite compte de l’écart qui existe entre leur contenu et “l’interprétation” (très libre) qu’il en fait. Mais comment expliquer cette ignorance et cet aveuglement ? Comme nous l’avons vu jusqu’ici, c’est avant tout parce qu’il choisit d’y lire ce qui l’arrange et ce qui le sert.
À l’appui de cette dernière hypothèse (selon laquelle Raoult lit les auteurs afin d’y trouver une validation de sa pratique et une raison de plus pour aimer ce qu’il voit dans son miroir tous les matins), on peut se pencher sur la façon dont Raoult réinterprète trois concepts de base de la philosophie des sciences : la déduction, l’induction et l’abduction, qui constituent trois catégories différentes de raisonnement. On ne perdra pas de temps ici à discuter les définitions hautement fantaisistes que donne Raoult de la déduction et de l’induction – et qui vaudraient à tout étudiant en philosophie un zéro pointé.[53] Mais penchons-nous sur ce qu’il dit de l’abduction qui constitue selon lui la démarche scientifique par excellence. En philosophie des sciences, l’abduction constitue en général le raisonnement par lequel on part d’une observation pour ensuite en chercher une explication. Par exemple, si je vois de la lumière en rentrant chez moi (= observation), j’en conclus que ma femme est déjà rentrée (= conclusion par abduction). L’abduction se distingue de l’induction par le fait que l’induction est limitée aux entités et aux propriétés qui sont données dans l’expérience (si je vois dix cygnes blancs, les prédictions que l’induction me permettra de faire se limiteront aux prochains cygnes que je verrai et à leur couleur, sans me permettre d’introduire de nouvelles entités). Si vous avez bien suivi, vous aurez vite compris que l’abduction est le type de raisonnement que met en avant et valorise la conception falsificationniste de la science (au détriment de l’induction). C’est pourquoi l’abduction jouit d’une bien meilleure réputation que l’induction dans la philosophie des sciences contemporaine. On comprend donc pourquoi Didier Raoult donne le beau rôle à l’abduction (cela est cohérent avec le discours de l’épistémologie contemporaine), mais on peut aussi s’étonner : en effet, cela semble aller directement à l’encontre de sa vision inductiviste naïve de la science. Comment se sort-il de cette contradiction ?
Tout simplement en redéfinissant complètement l’abduction de manière à la faire rentrer dans sa théorie préalable. Dans son pseudo-cours d’épistémologie, Raoult définit l’abduction de la façon suivante : “la découverte par hasard” – et dans sa conférence inaugurale à la soirée Contre la Méthode, il rajoute : “y a pas de raisonnement derrière” (11:56). C’est bien évidemment absurde, parce que l’abduction est précisément une forme de raisonnement, mais cette vision déformée lui permet de coller parfaitement à sa vision du monde : l’abduction c’est bien (il a entendu les philosophes le dire), ce qui est bien, c’est d’approcher le monde sans théorie préalable (c’est ce qui découle de son épistémologie naïve), et donc l’abduction, c’est le fait de découvrir les choses par hasard, autrement dit d’aborder la nature sans théorie ou raisonnement préalable qui viendrait parasiter la pure passivité du scientifique réceptacle de la sagesse de la nature.[54]
Une épistémologie pré-moderne plus que post-moderne
On a donc vu (1) que Raoult était incapable de lire les philosophes des sciences et (2) qu’il ne maîtrisait pas les concepts de base de l’épistémologie – ceux dont on est droit d’attendre d’un étudiant en philosophie qu’il les comprenne. Et j’ai montré en long, en large et en travers que cette incompréhension n’était pas seulement due à de potentielles limitations cognitives de la part de Didier Raoult, mais en grande partie à une forme de raisonnement motivé : il défend l’épistémologie qui l’arrange le plus, celle qui lui permet de se faire valoir.
Mais c’est là que certaines voix charitables pourraient s’élever pour défendre Didier Raoult : plutôt que d’interpréter toute cette débâcle épistémologique comme une incapacité (motivée) à comprendre ce qui ne l’arrange pas, ne faudrait-il pas plutôt y voir un projet révolutionnaire de remettre au goût du jour, envers et contre tout, une forme d’épistémologie qu’on aurait trop tôt enterrée ? Et plutôt que de fustiger sa méconnaissance des concepts de base de l’épistémologie, ne faudrait-il pas voir, dans la réinterprétation qu’il fait de ces notions, une conséquence de cette approche décidément iconoclaste?
La réponse est tout simplement : non ! Pourquoi ? Parce que Didier Raoult n’a pas conscience de véhiculer une épistémologie datant des XVIe et XVIIe siècles. Bien au contraire, en bon renégat et révolutionnaire autoproclamé, il est persuadé de faire de l’épistémologie “post-moderne”. Il suffit pour le constater de regarder le titre de son ouvrage sur le sujet : De l’ignorance et de l’aveuglement : Pour une science post-moderne. Ou le nom de la rubrique dans laquelle il a rédigé des chroniques pour Le Point pendant plusieurs années : La médecine post-moderne. Problème : sa conception de la science est aux antipodes mêmes de ce que serait une épistémologie (ou une science) post-moderne. On a vu que l’un des principes de base de l’épistémologie de Didier Raoult, c’est le culte de l’observation pure, neutre et dépourvue de théorie de la nature. Or, l’un des principes de base de l’épistémologie post-moderne (qu’on y adhère ou non), c’est qu’une telle observation pure et a-théorique est impossible : toute observation scientifique suppose déjà un cadre conceptuel théorique dont il est impossible de se défaire pour revenir à un mythologique “donné” pur et dépourvu de tout engagement théorique (cette idée était déjà présente chez Kuhn et Feyerabend, mais Raoult ne semble pas y avoir prêté attention).[55] En fait, si on veut voir dans Popper le représentant d’une épistémologie “moderne” qui serait ensuite dépassé par un Feyerabend “post-moderne”, il faut en conclure que l’épistémologie de Didier Raoult, parce qu’elle est “pré-Popperienne” et ignore nombre de leçons cruciales de l’épistémologie moderne, est une épistémologie qui est surtout “pré-moderne”.[56]
Mais alors, pourquoi Raoult s’identifie-t-il comme un penseur “post-moderne” ? Là encore, on peut y voir le désir de vouloir passer pour un penseur en marge, toujours en rupture avec le consensus (représenté, on ne sait pourquoi, par l’épistémologie “moderne”). On peut aussi y voir le désir de trouver une justification pour son laxisme en matière de méthodologie : le post-modernisme est souvent présenté (à tort ou à raison, là n’est pas le sujet) comme un rejet du primat de la raison. Or, la méthode n’a-t-elle pas vocation à rendre plus rationnelle la pratique scientifique, à la soumettre aux principes de la raison ? Si le post-modernisme rejette la raison, c’est donc qu’il doit aussi rejeter la méthode.[57] Donc se proclamer post-moderne pourrait éventuellement donner un vernis “philosophique” et “intellectuel” à ce qui n’était jusque-là que de la mauvaise science (les post-modernes apprécieront).
Mais il existe aussi des raisons philosophiques – ou plutôt des malentendus philosophiques – qui conduisent Didier Raoult à rapprocher sa “pensée” de thèmes fréquemment trouvés dans le post-modernisme :
1) Le premier, c’est le constructivisme de Raoult, dont nous avons parlé plus haut. En effet, l’épistémologie post-moderne va souvent nier aux théories scientifiques la capacité de décrire le monde tel qu’il est, soit parce qu’elle juge qu’une telle objectivité est impossible, soit parce qu’il n’existe tout simplement pas de réalité objective auxquelles ces théories pourraient correspondre (selon les versions). Pour Raoult, ces affirmations peuvent être ramenées à l’idée instrumentaliste selon laquelle les théories ne sont que des instruments qui permettent de faire des prédictions et dont il faut se débarrasser une fois leurs limites atteintes. Cependant, cette dernière idée n’a rien de spécifiquement post-moderne. On la retrouve chez des auteurs plus classiques, comme Berkeley.
2) Deuxième thème : la généalogie et la déconstruction. Il est indéniable que nombre de philosophes post-modernes ont cherché à déconstruire les grands systèmes de pensée de leur époque en cherchant les présupposés parfois cachés qui pouvaient les structurer. La déconstruction constitue d’ailleurs pour Raoult l’essence même de la “French Theory”, comme il l’explique lui-même dans sa conférence inaugurale à la soirée Contre la Méthode (10:57). Et il est tout aussi indéniable que, dans cette recherche de déconstruction, certains des philosophes représentatifs de ce mouvement (par exemple Foucault) ont utilisé une méthode généalogique qui consiste à revenir à la genèse desdits systèmes de pensée. C’est pourquoi Raoult est persuadé qu’il fait de l’épistémologie post-moderne quand il explique comment, selon lui, la théorie darwinienne de l’évolution porte en elle certaines croyances d’origine biblique :
Chez Darwin, il ne faut pas sous-estimer l’importance de la vision biblique et de la Genèse dans sa théorie. La théorie du dernier ancêtre commun est une théorie qui est proche de celle d’Adam et Eve. C’est une théorie qui n’est pas soutenable scientifiquement, les espèces ne se créent pas instantanément avec un couple qui apparaîtrait ex-nihilo […] la théorie Darwinienne est toute empreinte de sa formation religieuse.[58]
Le célèbre Didier Raoult
De même quand il fait une genèse de notre amour pour les dichotomies et pour le système décimal :
Diviser le monde en deux est quelque chose qui est naturel chez un être symétrique comme nous et ceci ne correspond pas la plupart du temps à la réalité. A côté de cette dichotomie les autres modes de classification sont aussi dépendants de notre être profond.
Ainsi, le système décimal est lié au fait que les humains ont dix doigts qui les ont amenés à compter sur leurs doigts et à transformer le monde environnant en le segmentant en dix parties. Cette manière de compter, séparer, quantifier nous a aussi amené à la notion de seuil.[59]
Dans ces deux cas, Raoult fait une “généalogie” (historique et/ou psychologique) de certaines croyances et – ce faisant – attire notre attention sur certains préjugés qui pourraient “biaiser” notre réflexion. Cependant, il n’y a là rien de spécifiquement post-moderne et c’est une stratégie argumentative que l’on retrouve chez nombre de philosophes clairement “modernes”. Ainsi Pascal explique que l’homme qui refuse d’accepter que l’espace est divisible à l’infini le fait par orgueil et Hume propose une genèse psychologique de notre croyance en Dieu et en la causalité. De même, Malebranche (un auteur moderne que l’on pourrait difficilement qualifier de “post-moderne”) consacre une bonne partie de son ouvrage La Recherche de la Vérité à décrire les sources psychologiques des erreurs de jugement (il y fait entre autres une généalogie psychologique de l’idée selon laquelle les hommes ne sauraient connaître la vérité et de la croyance aux loups-garous). Autrement dit, il n’y a rien de particulièrement “post-moderne” à reconnaître que nos croyances peuvent être influencées par un certain nombre de facteurs et à faire une généalogie psychologique ou historique de ces facteurs.
Ce qui caractérise l’approche post-moderne, c’est l’idée que notre compréhension du monde est forcément “située” : nous aurons beau déconstruire les systèmes de pensée, il n’en restera pas moins que nous sommes forcés de penser à partir d’un tel système et de ses préjugés, et qu’il n’existe rien comme un point de vue objectif et neutre.[60] Et c’est là que Raoult échoue à comprendre le post-modernisme : pour lui, les “déconstructions” proposées par les post-modernes ne sont que des exercices préalables permettant au scientifique de se dépouiller de ses erreurs et de ses préjugés pour mieux atteindre un tel point de vue neutre et objectif. Autrement dit, il interprète la philosophie post-moderne à la lumière de Francis Bacon (qui n’est clairement pas un philosophe post-moderne) et la réduit à des thèmes et une méthode somme toute très classique :
Notre vision n’est pas neutre, photographique. Tout ce que nous voyons est intégré, transformé et comparé par analogie avec le contenu de nos visions intérieures. Cette reconstruction est un des éléments les plus importants dans l’aveuglement. Il explique pourquoi nous pouvons être en face d’événements extrêmement clairs graphiquement et ne pas les voir […] Derrida, un philosophe français, père du politiquement correct, est un de ceux qui dans le courant du XXème siècle a le plus attaqué la prison du langage. Il a bien entendu analysé la structure binaire des qualifications (réalité/apparence ; présence/absence ; nature/culture, inné/acquis) et il a complexifié profondément l’expression de la parole. Afin d’échapper à la prison des mots et en particulier en distinguant la parole écrite de l’oralité en particulier du fait de, dans son oeuvre majeure, ‘La différance’ avec un a.[61]
L’Elite
Autrement dit, là où un philosophe post-moderne dirait simplement qu’il contribue à créer un cadre de pensée différent en déconstruisant le cadre de pensée dominant, Raoult interprète l’effort des post-modernistes d’un point de vue classique en y voyant un effort pour débarrasser la pensée des erreurs dont elle est prisonnière et atteindre un point de vue plus neutre et plus objectif. Encore une fois, tout est réinterprété à l’aune de la purification inductiviste telle qu’on la retrouvait chez Francis Bacon (notez l’usage de l’expression “prison du langage” qui renvoie aux idoles de la place publique de Bacon). Ainsi, si Raoult prise le post-modernisme, c’est parce qu’il y voit un énième avatar de la recherche de la pureté scientifique, de la recherche de l’objectivité par élimination des biais – ce qui est un total contresens sur ce qu’est le postmodernisme. En atteste sa description de l’idole de la place publique de Bacon :
Enfin la dernière idole est l’idola fori, l’idole de la place du marché qui est l’idole du langage (du forum, de la place du marché). Si la langue, le mot, ce que nous voyons n’existe pas ou pire encore si les mots existants empêchent l’émergence d’un fait nouveau nous sommes face à un obstacle considérable, en particulier parce que ces mauvaises définitions empêchent la réanalyse, empêchent de voir les choses. A mon avis, ce sont les philosophes postmodernes français qui ont permis d’avoir une grande lucidité sur ce domaine. Foucault, Deleuze, Derrida et Lacan ont remis en cause la définition qui empêche de voir la réalité.[62]
3) Le troisième et dernier point de contact entre Raoult et le postmodernisme, c’est Nietzsche. En effet, même si on peut discuter sur le fait de savoir si Nietzsche lui-même doit être considéré comme un philosophe post-moderne[63], il ne fait aucun doute qu’il constitue une source d’inspiration majeure (et une référence importante) pour le post-modernisme. Cela dit, se réclamer de Nietzsche ne fait pas automatiquement de vous un post-moderniste (il existe de très nombreux philosophes qui se disent nietzschéens ou inspirés par Nietzsche qui n’accepteraient pas pour autant cette étiquette) – surtout quand on n’a pas bien lu Nietzsche, ce qui est apparemment le cas de Raoult.
En effet, sans rentrer dans les détails (car j’y reviendrai dans un prochain article), le Nietzsche de Raoult est un Nietzsche fantasmé : une sorte de personnage un peu illuminé qui rejetterait toute logique et toute cohérence et donnerait la part belle à l’intuition dans le développement de la connaissance, quitte à prêter aux artistes une capacité quasi-magique à percevoir des vérités dont le scientifique prisonnier de la méthode ne dispose pas. Ce Nietzsche imaginaire est bien utile à Raoult : il lui permet de faire l’éloge de l’intuition géniale contre la raison et donc contre la méthode, mais il suffit de connaître un peu Nietzsche pour voir que ce personnage n’a pas grand-chose à voir avec le Nietzsche réel et son oeuvre, qui mettent régulièrement l’accent sur la méthode (Nietzsche était philologue à la base et compare souvent le bon scientifique au bon philologue, qui procède rigoureusement au lieu de se laisser aller à l’inspiration).
On voit donc que, même si Raoult est persuadé de défendre une épistémologie et une science “post-moderne”, il n’en est rien : il rate complètement les thèmes principaux de la philosophie post-moderne pour en faire une relecture qui la réduit à l’effort de se débarrasser de ses biais et de ses préjugés (ce qu’est la philosophie depuis Socrate).[64] Cette incompréhension s’étend même à l’auteur dont il se réclame le plus (Nietzsche), dont on peut légitimement se demander s’il l’a réellement lu. Autrement dit, impossible de voir dans Raoult le chantre révolutionnaire du retour à une épistémologie “à l’ancienne” : il n’a pas conscience du côté dramatiquement suranné de sa vision de la science.
Conclusion : l’opportunisme épistémologique de Didier Raoult
En 1996, le physicien Alan Sokal publiait dans la revue d’études culturelles Social Text un article complètement fantaisiste accumulant les erreurs en mathématique et en physique.[65] Dans un ouvrage publié avec le physicien Jean Bricmont, il explique qu’une des motivations derrière le canular était de dénoncer la façon dont les concepts mathématiques et physiques pouvaient être utilisés dans le cadre des sciences humaines de façon à “intimider” intellectuellement des interlocuteurs incapables d’évaluer leur pertinence. Les deux auteurs en profitaient au passage pour signaler que ces notions étaient d’ailleurs souvent maltraitées et mal comprises par les “intellectuels” qui les brandissaient.
Raoult n’est peut-être pas un canular (et tout cas pas volontaire), mais on trouve dans sa rhétorique une inversion de ce schéma : un chercheur en sciences de la nature qui brandit des noms, des citations et des concepts venus des sciences humaines et sociales pour intimider et réduire au silence les autres scientifiques qui viendraient remettre en cause ses travaux et ses conclusions. Et, comme dans le canular susmentionné, aucun de ces concepts n’est utilisé correctement. Il ne s’agit là que de poudre aux yeux. Il suffit de connaître un tant soit peu le domaine pour réaliser que non seulement ses références sont loin d’être originales (au contraire, elles sont éculées, vues et revues), mais qu’il ne les maîtrise pas du tout. Un peu comme un bachelier qui se serait contenté de lire de travers une fiche de quatre-cinq citations à replacer pendant son oral de rattrapage.
Mais dans le cas de Didier Raoult, l’utilisation qu’il fait de l’épistémologie ne s’arrête pas au name-dropping et à l’intimidation intellectuelle.[66] Elle fait aussi partie d’une vaste opération de storytelling consacrée à faire passer pour un génie incompris. Et pour bien saisir la nature de cette opération, il faut bien comprendre la situation d’où il part : il a beau être un scientifique bien établi et avoir accumulé de nombreuses publications, il n’est pas réputé pour la rigueur de ses méthodes. De plus, ses théories (sur l’évolution des espèces ou sur l’existence d’un quatrième domaine du vivant) ne sont pas particulièrement prises au sérieux par les autres spécialistes de ces domaines. Enfin, il est connu pour son caractère peu agréable et même parfois vindicatif (comme le montre son portrait dans Science). Rien de bien glorieux, d’autant plus que son manque de rigueur méthodologique a été de nombreuses fois pointé du doigt depuis ses premières annonces sur le COVID-19.
Pour se faire passer pour un génie, il fallait donc que Raoult procède à une “inversion de toutes les valeurs”[67] : qu’il fasse passer son manque de méthode, son isolement dans la communauté scientifique et sa personnalité problématique pour des indices positifs et donc pour des marques de génie. C’est ce que lui permet son utilisation de l’épistémologie : le manque de méthode devient signe de créativité, son isolement devient un refus de se soumettre au consensus et ses sautes d’humeur sont simplement des manifestations de son génie.
De plus, ce renversement s’appuie sur une matrice rhétorique assez simpliste : ce que j’approche “l’effet Reine des Neiges”. Dans le conte d’Andersen du même nom, un miroir maléfique est brisé et ses fragments viennent se loger dans le cœur de différents individus, les conduisant à devenir “froids” et “insensibles”. Or, que font ces gens “froids” et “insensibles” ? Des mathématiques et de la science ! Voici ce qui arrive à un petit garçon (Kay) dont le coeur est “corrompu” par un morceau de miroir :
Dès lors, il ne joua plus aux mêmes jeux qu’auparavant : il joua à des jeux raisonnables, à des jeux de calcul. Un jour qu’il neigeait (l’hiver était revenu), il prit une loupe qu’on lui avait donnée, et, tendant le bout de sa jaquette bleue au dehors, il y laissa tomber des flocons. « Viens voir à travers le verre, Gerda, » dit Kay. Les flocons à travers la loupe paraissaient beaucoup plus gros ; ils formaient des hexagones, des octogones et autres figures géométriques. « Regarde ! reprit Kay, comme c’est arrangée avec art et régularité ; n’est-ce pas bien plus intéressant que des fleurs ? Ici, pas un côté de l’étoile qui dépasse l’autre, tout est symétrique ; il est fâcheux que cela fonde si vite. S’il en était autrement, il n’y aurait rien de plus beau qu’un flocon de neige. ».
Hans Christian Andersen
L’horreur absolue, donc ! Ce que reflète ce passage, c’est un stéréotype bien connu (et bien étudié) qui est toujours prégnant : la science va de pair avec un manque de sensibilité, de “chaleur”. A l’inverse, une sensibilité aux arts, aux lettres et à la philosophie sont souvent perçues comme indices de “chaleur” et “d’humanisme”. Or, comme il est courant de reprocher aux médecins leur manque de chaleur, Raoult va jouer sur cette carte et essayer de paraître “meilleur” et “plus chaleureux” que ses collègues en faisant croire qu’il possède une véritable culture humaniste. Une stratégie qui semble avoir fonctionné, étant donné qu’une partie de ses adorateurs semblent persuadés que, contrairement aux autres médecins, il se soucie vraiment de ses patients et se rend personnellement à leur chevet.
Cependant, cet humanisme n’est que de façade. Comme nous l’avons vu, Raoult ne comprend rien aux philosophes qu’il lit – probablement parce qu’il ne s’en soucie guère. Si l’on considère en outre que, de livre en livre, de conférence en conférence et d’interview en interview, Raoult parle toujours de la même poignée d’auteurs et tourne sur la même demi-dizaine de citations, on est forcé de constater que la philosophie n’est pour lui qu’une stratégie de communication, une discipline pour laquelle il n’a aucune affinité particulière mais dans laquelle il a vu un moyen de plus de se faire valoir. Ne vous laissez donc pas piéger : Raoult n’est pas un humaniste, pas plus qu’il n’est philosophe. Tout au contraire, il fait partie de ces gens qui ne prennent pas les humanités au sérieux et n’y voient qu’un vague “supplément d’âme” qui leur servent surtout à paraître intelligent dans les cocktails mondains ou à impressionner un public pas assez informé pour détecter la supercherie. Son attitude contribue en fait à dévaluer la philosophie en la réduisant à un vague réservoir d’idées où l’on irait piocher ce qui nous arrange, là où elle a pour vocation d’être avant tout un apprentissage de la pensée critique et rigoureuse.
En résumé : (1) Raoult utilise la philosophie comme moyen d’intimidation intellectuelle et comme stratégie de communication, alors que (2) il ne s’intéresse pas à la philosophie en tant que telle et ne cherche pas à en apprendre quoique ce soit. Ces deux éléments réunis définissent donc un rapport instrumental et cynique à la philosophie. Loin d’être l’anarchiste épistémologique qu’il prétend être en se référant à Feyerabend, Raoult est en fait un opportuniste épistémologique, qui n’utilise l’épistémologie que pour justifier ses méfaits après coup.
Remerciements
Pour leurs commentaires sur une version précédente de cet article, je remercie 264335, bugin, Wassel Bousmaha, Nick Brown, Sebastian Dieguez, Thomas Durand, Juliette Ferry-Danini, Yann Guillet, Grey Knight, Jean-Loïc Le Quellec, Romain Ligneul, Ladislas Nalborczyk, Valentin Ruggeri, Raphaël Taillandier.
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NOTES
[1] Pour l’utilisation du terme “épistémologiste” par Didier Raoult, voir son interview avec Apolline de Malherbe, mais aussi le Chapitre 17 de son ouvrage De l’Ignorance et de l’Aveuglement. Bien entendu, la blague, c’est que le terme n’existe pas en français – on parle généralement “d’épistémologues”.
[2] Voir par exemple ici, ici, ici et ici.
[3] Intitulé De l’ignorance et de l’aveuglement : Pour une science postmoderne, publié en 2015 en version électronique uniquement sur CreateSpace Independent Publishing Platform.
[4] Conférence “Contre la Méthode”, disponible ici.
[5] “Contre la Méthode” (10:17).
[6] “Contre la Méthode” (10:17).
[7] “Contre la Méthode” (00:45).
[8] Comme me l’a fait remarquer Romain Ligneul, on pourrait penser que cette conception de la science devrait conduire Didier Raoult à voir les “Big Data” d’un bon oeil. Cependant, comme nous allons le voir, la conception de l’observation de Didier Raoult en fait une connexion directe, d’essence quasi-mystique, entre le scientifique et la nature. Il suffit d’ailleurs de voir comment il distingue les “Big Data” du “real world” dans sa méta-analyse : “Studies were classified as “big data” studies when conducted on electronic medical records extracted by public health specialists and epidemiologists who did not care COVID 19 patients themselves. Conversely, studies were classified as “clinical studies” when mentioning details of treatments (dosages, duration, contraindications, monitoring…) and conducted by authors physicians (infectious diseases and internal medicine specialists, and pulmonologists) who cared COVID-19 patients themselves.” (Million, M., Gautret, P., Colson, P., Roussel, Y., Dubourg, G., Chabriere, E., … & Lagier, J. C. (2020). Clinical Efficacy of Chloroquine derivatives in COVID-19 Infection: Comparative meta-analysis between the Big data and the real world. New Microbes and New Infections, 100709)
[9] Francis Bacon, Novum Organum (traduction par Michel Malherbe et Jean-Marie Pousseur, PUF, 1986), Livre II, Aphorismes 11 et 12.
[10] Dans l’introduction de son ouvrage Conjectures et Réfutations, Popper tacle cette conception de la science en la décrivant comme “religieuse”, étant donné qu’elle donne un rôle central à des “rites de purification”.
[11] Dans Conjecture et Réfutations, Karl Popper explique que, pour garder le sens qu’avait l’expression dans le contexte de l’époque, interpretatio naturae ne devrait pas être traduit “interprétation de la nature” (qui donne une impression de subjectivité) – des traductions plus appropriés serait “lecture de la nature” ou “déchiffrement de la nature”.
[12] Dans sa “Leçon de Science”, Raoult dit quelque chose d’assez similaire en citant Pasteur pour dire que le “bon” chercheur doit préparer son intellect pour se mettre en situation de trouver quelque chose “par hasard” (17:00).
[13] Dans son livre De l’Ignorance et de l’Aveuglement, Raoult attribue aussi à Bacon une sixième idole : “l’idole de l’espèce” (idola species), qui n’apparaît pourtant pas dans les texte de Bacon. Après enquête, je suis parvenu à la conclusion que Raoult avait dû finir par confondre le latin specus (caverne) avec species et qu’il avait ensuite cru que le latin species signifiait “espèce” (comme l’anglais species). Bref, une double confusion rendue d’autant plus grave pour le latiniste que, de toute façon, il aurait fallu écrire idola speciei (pour le génitif).
[14] Le culte de la “neutralité” et de “l’objectivité” comme fondements de la méthode scientifique ne se limite pas à Didier Raoult et son fandom – il est aussi très prégnant au sein de certaines communautés sceptiques. Il conduit généralement à conclure que les sciences humaines et sociales (qui portent sur des questions sur lesquelles il est difficile d’être “neutre” et “impartial”) ne peuvent pas être véritablement des sciences.
[15] De l’Ignorance et de l’Aveuglement, Chapitre 1.
[16] Il est intéressant de noter que Nietzsche (une des références constantes de Raoult) partageait cette vision de la science. Mais il en tirait la conclusion logique que le bon scientifique devait par nature être une personne incroyablement ennuyeuse et sans véritable personnalité (à force de se couper de ses passions et de ses désirs personnels). Comme on le verra, Raoult ne souscrit pas à cette image du “bon scientifique”, qui ne lui permettrait pas de faire passer son caractère exécrable pour des manifestations nécessaires de son génie scientifique.
[17] Cette conclusion est bien évidemment ridicule. Aucun scientifique n’a jamais rempli la section “conflit d’intérêt” d’un article en écrivant des choses comme : “J’avais la certitude que mon hypothèse était la bonne” ou “j’avais le sentiment que ça marcherait”.
[18] De l’Ignorance et de l’Aveuglement, Chapitre 1. Toutes les erreurs d’orthographe et de syntaxe dans les citations de Didier Raoult sont présentes dans le texte d’origine (du moins dans la version que j’en ai).. Comme me l’a fait remarquer Sebastian Dieguez : “un truc qui n’a pas été assez souligné”, c’est que “Raoult écrit vraiment comme un pied”.
[19] De l’Ignorance et de l’Aveuglement, Chapitre 4.
[20] De l’ignorance et de l’aveuglement, Chapitre 4. Dans sa conférence d’ouverture à la soirée Contre la Méthode, Raoult répète bien que “il ne faut pas croire aux théories” (13:03).
[21] Cette méfiance à l’égard des théories est l’un des deux facteurs qui explique la méfiance de Raoult à l’égard des modèles, surtout quand ceux-ci prétendent prédire des phénomènes qui n’ont jamais été observé (d’où son insistance sur le fait que le scientifique ne saurait être un prophète). Après tout, les modèles ne sont rien d’autres que des prédictions basées sur une théorie. Quand Raoult se lance tout de même dans des prédictions, il préfère se référer à son expérience passée, et supposer que les choses se dérouleront comme elles se sont déjà déroulées. (Le second facteur est sa difficulté à comprendre les mathématiques : “C’est une des raisons pour lesquelles je n’aime pas la modélisation, j’ai horreur des formules mathématiques complexes que souvent je ne comprends pas !”, De l’Ignorance et de l’Aveuglement, Chapitre 15).
[22] Génie qui sera selon toute probabilité un homme, à en croire Raoult. En effet, au Chapitre 19 de son livre De l’Ignorance et de l’Aveuglement, Raoult développe sa théorie selon laquelle le fait d’avoir un chromosome Y et un chromosome X (au lieu de deux chromosomes X) rend les hommes plus sensibles aux mutations génétiques, ce qui aurait pour conséquence qu’il y a plus de variabilité dans les compétence des hommes (plus de “ratés”, mais aussi plus de “génies”) : “Il existe plus d’hommes aux deux extrêmes, aux extrêmes de la réussite et aux extrêmes de l’échec absolu. Je ne sais pas jusqu’à quel point la modification des conditions environnementales arrivera à entraîner une répartition de cette courbe qui est probablement aussi ancienne que l’humanité. Je pense qu’elle ne changera pas beaucoup à l’avenir.”
[23] C’est en vertu de cette conception du “bon scientifique” que Raoult se sent obligé dans une interview à Paris Match de préciser “j’ai une mémoire hors du commun dans mon domaine de recherche”, alors que cela ne semble à première vue avoir aucune pertinence pour évaluer ses travaux.
[24] Dans l’oeuvre de Didier Raoult, ce thème se traduit par l’idée selon laquelle il est absurde de considérer que toutes les scientifiques sont égaux et que toutes les paroles scientifiques se valent.
[25] Didier Raoult est bien connu pour avoir affirmé que “le consensus, c’est Pétain” dans la même interview à Paris Match.
[26] Dans “Contre la Méthode” (02:54), Didier Raoult esquisse une différence entre “recherche” et “découverte” (avant d’affirmer que ce qui l’intéresse, c’est la découverte et pas la recherche) et dans laquelle il rejette la recherche “en meute”.
[27] De l’Ignorance et de l’Aveuglement, Chapitre 13. Là encore, le texte est fidèle à l’original.
[28] De l’Ignorance et de l’Aveuglement, Chapitre 14. Cela explique peut-être pourquoi Raoult reste flou et change souvent d’avis sur le stade auquel doit fonctionner son traitement. Après tout, l’explication lui importe peu dès lors qu’on peut observer que le traitement fonctionne.
[29] De l’Ignorance et de l’Aveuglement, Chapitre 14.
[30] Raoult “présente” la philosophie de Popper dans son ouvrage De l’Ignorance et de l’Aveuglement (Chapitre 17), mais aussi dans sa conférence “Contre la Méthode” et dans sa “Leçon de science”.
[31] “Contre la Méthode” (03:15).
[32] “Leçon de Science” (01:40).
[33] “Contre la Méthode” (05:18).
[34] De l’Ignorance et de l’Aveuglement, Chapitre 17.
[35] “Contre la Méthode” (05:30).
[36] Dans son ouvrage De l’ignorance et de l’aveuglement, Raoult défend la même interprétation de Popper (Chapitre 17), mais ne fournit absolument aucune référence.
[37] Authentique : allez lire le Phédon.
[38] Karl Popper, In Search of a Better World (Routledge, 1994), p. 59.
[39] Dans sa conférence inaugurale à la soirée Contre la Méthode, Raoult retient une troisième chose de Karl Popper : l’idée selon laquelle les querelles sémantiques n’auraient aucun intérêt. Là encore, je ne vois pas bien à quoi il fait référence, ni l’intérêt de citer Popper pour une idée aussi répandue dans l’histoire de la philosophie (voir par exemple Le Pragmatisme de William James).
[40] “Leçon de Science”, (02:45).
[41] L’inductivisme doit aussi faire face à d’autres problèmes plus complexes. Parmi ceux-ci, on trouve le fait que la généralisation par induction ne peut pas être vierge de toute théorie ou hypothèse préalable comme le voudrait Raoult. En effet, toute généralisation est guidée par des présupposés sous-jacent sur ce qui est généralisable ou non. Imaginez par exemple qu’un explorateur découvre une nouvelle espèce d’oiseau et qu’il en a observé jusqu’ici 10 spécimens : les 10 étaient capables de voler, avaient une tache rouge sur l’aile droite et étaient des mâles. Allez-vous en conclure que tout individu normalement constitué appartenant à cette espèce sait voler ? Sûrement. Allez-vous en conclure que tout individu normalement constitué appartenant à cette espèce a une tache rouge sur l’aile droite ? Peut-être pas. Allez-vous en conclure que tout individu normalement constitué appartenant à cette espèce est un mâle ? Sûrement pas. Comme on le voit, la généralisation inductive est guidée par des hypothèses tacites.
[42] La réfutation de la théorie par l’expérience ne se fait pas induction mais sur le modèle d’un raisonnement déductif appelé Modus Tollens : (1) Si la théorie était vraie, on devrait observer T, (2) On n’observe pas T, (3) Donc la théorie n’est pas vraie.
[43] Mais c’est effectivement ce que concluent certaines personnes qui acceptent parfois sans le savoir cette épistémologie inductiviste. Comme il paraît absurde de supposer qu’aucun scientifique n’avait jamais pensé à observer le monde avant Galilée, il faudra alors rajouter qu’ils en étaient empêchés par diverses autorités philosophiques, théologiques ou religieuse qui luttaient contre la vérité (on blâmera en général Aristote). C’est ce genre de conception naïve de la méthode scientifique qui sous-tend une certaine réception méprisante d’Aristote dans le grand public. A ce sujet, on pourra regarder la vidéo de Mr Phi sur Aristote.
[44] Ce caractère “expérimental” de la science moderne avait déjà été reconnu par Kant dans la seconde préface de la Critique de la Raison Pure : “Quand GALILÉE fit rouler ses sphères sur un plan incliné avec un degré d’accélération dû à la pesanteur déterminé selon sa volonté […] ce fut une révélation lumineuse pour tous les physiciens. Ils comprirent que la raison ne voit que ce qu’elle produit elle-même d’après ses propres plans et qu’elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements, selon des lois immuables, qu’elle doit obliger la nature à répondre à ses questions et ne pas se laisser conduire pour ainsi dire en laisse par elle ; car autrement, faites au hasard et sans aucun plan tracé d’avance, nos observations ne se rattacheraient point à une loi nécessaire, chose que la raison demande et dont elle a besoin. Il faut donc que la raison se présente à la nature tenant, d’une main, ses principes qui seuls peuvent donner aux phénomènes concordant entre eux l’autorité de lois, et de l’autre, l’expérimentation qu’elle a imaginé d’après ces principes, qui ne laisse dire tout ce qu’il plaît au maître, mais, au contraire, comme un juge en fonctions qui force les témoins à répondre aux questions qu’il leur pose” (traduction Mireille Thisse-André).
[45] Et, à l’inverse, un scientifique peut avoir raison mais sur un simple “coup de chance” (s’il n’avait pas de bonnes raisons à l’appui de son hypothèse quand il l’a formulée). Ainsi, contre l’argument “vous verrez qu’il avait raison”, le fait que l’histoire valide l’hypothèse d’un scientifique ne signifie pas nécessairement qu’il était meilleur que les autres.
[46]De l’Ignorance et de l’Aveuglement, Chapitre 17.
[47]De l’Ignorance et de l’Aveuglement, Chapitre 17.
[48] Yanis Roussel, un doctorant de Didier Raoult, fait un contresens similaire quand il affirme : “la science n’est pas fait de consensus. La science est faite de bataille”… juste avant de citer Kuhn. On espère juste que sa thèse ne portera pas sur la philosophie ou l’histoire des sciences.
[49] Thomas S. Kuhn, La Structure des Révolution Scientifiques (traduction par Laure Meyer, 1983, Flammarion), p.31.
[50] La Structure des Révolutions Scientifiques, p. 218.
[51] Mais Didier Raoult est incapable de se contenter d’être un bon scientifique “normal” (c’est-à-dire de faire de nouvelles découvertes au sein d’un paradigme commun). Il lui faut absolument être un génie dont les découvertes bouleversent notre paradigme et entraînent une révolution scientifique. On peut voir dans ce besoin la source de son obsession contre Darwin (qui représente le paradigme dominant en biologie) et son insistance à vouloir faire croire que certaines de ses découvertes vont à l’encontre du darwinisme.
[52] Comme me l’a fait remarquer un collègue, Raoult semble parfois tenter par une sorte du pluralisme, dans la mesure où il semble très ouvert (1) à des visions religieuses (par exemple dans le cas de l’évolution des espèces) et (2) à des approches pseudo-scientifiques (comme la biodynamie). Dans le cas (1), son pluralisme s’explique par sa conviction que la question de l’évolution appartient au domaine des croyances religieuses et pas à celui de la science : “Je suis aussi irrité par les Darwinistes forcenés qui sont sûrs qu’ils peuvent combler les trous de connaissance, que par les créationnistes que je renvoie dos à dos. En revanche ceux qui se posent la question de la manière dont on peut remplir notre ignorance pour donner un sens à tout ça, l’impulsion qui génère la mobilité des gènes ? Le sens de la diversité des êtres ? Peu importe leurs choix, ceci ne me choque pas à condition que ça ne devienne pas une règle imposable à tous, et que plus personne n’ait le droit de contester, compte tenu du fait que ce n’est jamais qu’une théorie, qu’une opinion ou qu’une religion qui déduit une hypothèse de connaissances incomplètes.” (De l’Ignorance et de l’Aveuglement, Chapitre 4). Dans le deuxième cas (2), son éloge de certaines pratiques s’explique encore une fois par sa valorisation de l’expérience. Il décrit ainsi la biodynamie comme une “pratique empirique” (c’est-à-dire basée sur l’expérience). On pourrait dire que Raoult est pluraliste en termes de “croyances”, mais qu’il ne l’est pas en termes de méthode scientifique.
[53] Pour une présentation claire et détaillée des différences entre déduction, induction et abduction, on pourra se rapporter au billet de blog rédigé par Quentin Ruyant sur le sujet. Pour une synthèse très brève des réactions des philosophes au pseudo-cours de philosophie des sciences de Raoult, on peut consulter cette vidéo.
[54] A l’inverse, il redéfinit l’induction (dont il a probablement entendu que c’était “mal”) pour en faire l’inverse de ce qu’il préconise (ce qui est ironique, vu que sa vision de la science est clairement inductiviste). Dans sa conférence inaugurale à la soirée Contre la Méthode, il définit l’induction de la façon suivante : “l’induction, c’est je pense que pour expliquer ça, il pourrait y avoir ça et je me donne les conditions pour démontrer que l’idée que j’ai des choses est exacte” (11:40). Mais ce que décrit grossièrement ici Raoult c’est la combinaison d’abduction (passage de l’observation à une explication hypothétique) et de déduction (déduction des prédictions que l’on peut tirer de mon explication hypothétique afin de les tester) qui est caractéristique de la conception falsificationniste de la science. Cela n’a donc rien à voir avec l’induction (on peut même dire que c’est tout sauf de l’induction). Mais comme pour Raoult (1) induction = mal, (2) aborder le réel avec des théories = mal, il en déduit que l’induction doit consister à chercher des explications et à les tester. Encore une fois, tout (y compris les concepts les plus basiques) est révisé et traduit en fonction de sa vision du monde personnelle.
[55] C’est ce que les philosophes appellent parfois la “charge théorique de l’observation”. A ce sujet, on pourra consulter ce billet de blog suivant de Quentin Ruyant et cette vidéo de Raphaël Taillandier qui explore la question dans le contexte de la philosophie de Kuhn.
[56] Et on pourrait enchaîner en concluant que Raoult ne propose pas une vision révolutionnaire, mais réactionnaire de la méthode scientifique.
[57] On peut voir que Didier Raoult souscrit à cette vision du post-modernisme dans le passage suivant : “Derrida, comme ensuite Deleuze et Guattari font le choix d’écrire d’une manière extraordinairement complexe et pas du tout organisée d’une façon cartésienne. C’est un véritable choix, cette complexité qui rend l’oeuvre difficile est pour moi à mettre en parallèle avec le maître de toute cette école, Nietzsche, celui-ci en s’exprimant par aphorismes, parfois contradictoires, déstructurait aussi la pensée pseudo-logique.” (De l’Ignorance et de l’Aveuglement, Chapitre 11).
[58] De l’ignorance et de l’aveuglement, Chapitre 5.
[59] De l’ignorance et de l’aveuglement, Chapitre 11.
[60] Cela ne conduit pas nécessairement à un relativisme : on peut accepter qu’un objet (par exemple un bâtiment) est toujours nécessairement vu d’un certain point de vue sans pour autant nier l’existence de propriétés objectives et absolues de ce bâtiment (sa forme, sa taille, etc.). Cependant, il est difficile de nier que certains mouvements post-modernes se réclament du relativisme.
[61] De l’ignorance et de l’aveuglement, Chapitre 11.
[62] De l’ignorance et de l’aveuglement, Chapitre 1. La mise en gras du mot “réalité” est de mon propre fait, car il indique clairement que Raoult n’a rien compris à la radicalité du postmodernisme.
[63] J’ai personnellement argumenté contre cette idée dans un ancien article.
[64] Un thème post-moderne que Raoult se garde bien d’aborder, c’est l’idée (défendue par Latour et Rorty) selon laquelle les “faits scientifiques” n’existent justement que parce qu’il y a consensus de la communauté scientifique à leur sujet (pour le dire autrement : c’est le consensus qui crée les faits). Bien entendu, ce thème n’arrange pas les affaires de Raoult, car il rend impossible le mythe du chercheur solitaire qui irait découvrir les faits en nageant à contre-courant du consensus des médiocres.
[65] Sokal, A. D. (1996). Transgressing the boundaries: Toward a transformative hermeneutics of quantum gravity. Social Text, 46/47, 217-252
[66] Puisque l’on parle de name-dropping, faisons juste remarquer que tous les titres de chapitres de l’ouvrage De l’ignorance et de l’aveuglement sont en fait… des citations. Il y a même un chapitre dont le titre est une succession de deux citations.
[67] Dans une optique nietzschéenne, on peut comparer cela au soulèvement des “faibles” qui, par ressentiment, vont ériger leurs faiblesses en vertu et les qualités des forts en vice.
Félicitations pouur cet excellent article
Du lourd, merci pour le partage.
Très intéressant, merci !!!
Très intéressant. C’est un travail conséquent, merci d’avoir pris le temps de faire un tel article.
Excellent article !
Excellent article !! Il faudrait toutefois se demander si cette mauvaise utilisation d’une littérature philosophique est volontaire ou davantage le contrecoup d’une formation médicale top techniciste. Des professionnels (médecins, ingénieurs, informaticiens) qui s’ouvrent à la recherche et qui galvaudent des théorie des sciences humaines/sociales sans en comprendre tous les contours, la terre en est pleine.
Je me demande parfois si ce site n’est pas financé par le labo « Gilead ». En tous cas, un tel acharnement, récurent ici, est troublant. En outre, cet article est bien long et on en perçoit difficilement la trame. Je ne pense pas que Raoult puisse faire l’objet, ni d’une vénération aveugle, ni d’une détestation acharnée et vous êtes dans la deuxième attitude. En outre, l’épistémologie n’est pas la chasse gardée de quelque « philosophe » en peau de lapin et, en la matière, on peut tout « démontrer », c’est à dire rien.
Le métier de Raoult, c’est la microbiologie mais rien ne l’empêche de cadrer épistémologiquement sa pratique scientifique; en revanche, le « philosophe » aura du mal à illustrer sa pratique par des considérations « microbiologistes » et cet article l’illustre parfaitement.
Je vous suggère un peu plus de bienveillance vis à vis d’un scientifique mondialement reconnu; sinon, pratiquez l’indifférence, ce sera plus correct.
« un scientifique mondialement reconnu », ça sent l’argument d’autorité ou je ne m’y connais pas.
C’est effectivement un argument d’autorité. Le même qu’utilisent abondamment les écrivains de ce blog chaque fois qu’ils promeuvent leurs thèses via le « consensus scientifique », lorsqu’ils invitent à « se ranger du côté du consensus scientifique », lorsque lorsqu’ils argumentent que le « consensus » serait un élément de la science parce que Kuhn l’aurait dit (citation : « Kuhn accorde donc au consensus (sur les paradigmes) une véritable vertu, et en fait même un moteur indispensable de la marche de la science » et la suite).
Le savoir et la vérité ne sont pas des attributs du consensus. Le consensus, pendant longtemps, était que la Terre était plate, y compris parmi les « scientifiques » les plus reconnus. Une attitude favorable au consensus est défavorable à tout progrès scientifique.
L’argument d’autorité n’est pas odieux en soi, c’est son abus qui l’est. Lorsqu’on s’appuie sur l’avis d’un spécialiste, tout en négligeant les autres opinions informées, sous prétexte que celui qu’on suit est le « meilleur du monde », c’est un abus. Lorsqu’on suit le point de vue consensuel d’une communauté savante, c’est beaucoup plus légitime. Certes, ce n’est pas une garantie absolue contre l’erreur(mais cela n’existe pas), mais c’est le meilleur pour ne pas se tromper.
Bonjour
Avant toute chose : oui, j’écris mal.
Votre démonstration repose principalement sur 4 chose :
1
La supposition qui sous tends toute votre démonstration est : Raoult est un inductiviste dogmatique et rejette par conséquent la conception falsificationniste de la science.
2
Raoult ne comprends pas les philosophes en question puisqu’il leur fait dire le contraire de ce qu’ils pensent.
3
Raoult se trompe sur les définitions de l’abduction et de l’induction.
4
Vous avez l’air de dire que piocher ce qui nous intéresse chez quelqu’un sans prendre la totalité de son oeuvre (éclectisme) = mal
Vous dîtes que son éclectisme est un opportunisme malintentionné, sans expliquer en quoi l’éclectisme serait une faute.
Peut être pensez vous seulement que l’éclectisme de Raoult ici est une faute parce qu’il comprends de travers les philosophes qu’il cite. Mais je vais normalement montrer que c’est vous qui interprétez mal ce qu’il dit, donc qu’il n’est en réalité pas du tout en contradiction avec les philosophes qu’il cite, donc que votre diabolisation de son éclectisme n’a plus lieu d’être.
Je vais donc, je crois, démonter ces 3 premiers points en montrant qu’a chaque fois vos raisonnements reposent sur des suppositions déraisonnable de ce que penserait Raoult.
Je ne démonterai pas de A à Z votre démonstration simplement car je crois que ça me prendrait beaucoup plus de temps pour pas beaucoup plus de résultat , et que ma démonstration est suffisante pour inférer par induction qu’il n’est pas la peine de m’attarder sur le reste.
1 – RAOULT EST UN INDUCTIVISTE DOGMATIQUE, PAR CONSEQUENT IL REJETTE LA CONCEPTION FALSIFICATIONNISTE DE LA SCIENCE ET N’ACCEPTE PAS QU’ON LUI FASSE LE REPROCHE DE « SE CONTENTER A FAIRE DU SIMPLE CATALOGAGE DE BACTERIES ET AUTRE MICRO-ORGANISMES, SANS AUCUNE THEORIE INTERESSANTE DERRIERE »
Vous dîtes : « Pour Raoult (comme pour Bacon), la méthode scientifique se résume avant tout à l’observation objective et neutre de la nature »
Cette interprétation est la votre, voici la mienne :
La façon dont Raoult pratique personnellement la science se résume avant tout à l’observation objective et neutre de la nature.
La vision qu’a raoult de la méthode scientifique ne se résume pour autant pas a ça.
Je pense mon intérprétation plus vraisemblable que la votre car je cite (et cette citation montre en même temps que Raoult ne rejette pas la conception falsificationniste de la science) :
» C’est une vraie séparation des scientifiques entre les découvreurs (les « pêcheurs» qui s’embarquent sans savoir ce qu’ils vont trouver) qui ont les yeux ouverts, et ceux qui bâtissent leur science sur des hypothèses …LES DEUX ONT FAIT PROGRESSER LA SCIENCE, je suis clairement plus du côté des découvreurs que des théoriciens »
Il dit bien que les DEUX ont fait progresser la science, donc ça laisse supposer plus logiquement, plutot que le contraire, qu’il ne rejette pas le falsificationniste.
« je suis clairement plus du côté des découvreurs que des théoriciens » veut seulement dire que LUI PERSONNELLEMENT se situe du coté de ceux qui ne théorisent pas, ça ne veut pas dire qu’il pense que ceux qui le font sont des mauvais scientifiques… ça veut seulement dire que son caractère personnel l’a poussé a pratiquer la science a la manière d’un découvreur/pêcheur, pas a la manière d’un théoricien…
Donc non, pour Raoult la méthode scientifique ne se résume pas avant tout à l’observation objective et neutre de la nature, c’est seulement sa pratique personnel qui se résume a ça, et il considère que sa pratique est une partie de la science qui est tout aussi valide que la partie qui théorise.
Donc s’il rejette la critique » vous vous contenter de faire des catalogue sans faire de théorie intéréssante dérrière » , ce n’est pas parce qu’il met au sommet sa manière de faire et qu’il méprise tous les théoriciens… c’est seulement qu’il considère que LES DEUX manières de faire sont de bonnes choses pour la science, donc que lui reprocher de ne pas faire de théorie est absurde vu que ceux qui ne font pas de théories font aussi avancer la science… pourquoi lui faire cette reproche alors qu’il fait lui aussi avancer la science ? Ne pas faire de théorie ne doit pas faire automatiquement de quelqu’un un mauvais scientifique
2 – RAOULT NE COMPRENDS PAS LES PHILOSOPHES EN QUESTION PUISQU’IL LEUR FAIT DIRE LE CONTRAIRE DE CE QU’ILS PENSENT
A) POPPER
Votre partie sur Popper repose principalement sur le supposé inductivisme dogmatique de raoult (que je crois avoir infirmé dans le 1)
et la supposée contradiction entre ce que Popper pense de l’histoire des sciences (essentiellement une histoire des idées), et ce que raoult en dit.
Ici deux citations que vous supposez contradictoire :
« On entend souvent dire que l’histoire des découvertes scientifiques dépend seulement (ou principalement) de l’invention purement technique de nouveaux instruments.
En contradiction avec cette idée, je pense que l’histoire des sciences est essentiellement une histoire des idées
Les lunettes grossissantes existaient depuis longtemps quand Galilée a eu l’idée de les utiliser pour faire un télescope astronomique »
Popper
» Ainsi, pour Popper les outils changent plus les théories que les hypothèses.L’évolution de la science (même si les scientifiques doivent avoir un motif pour regarder, une induction) est due aux scientifiques qui participent aux nouvelles découvertes permises par ces outils »
Raoult
Ces deux affirmations ne sont pas pour moi contradictoire, et sont même similaires.
Ce n’est pas parce que l’histoire des sciences est essentiellement une histoire des idées comme dit Popper, que pour autant Popper ne pense pas que les outils changent plus les théories que les hypothèses.
Vous ne pouvez pas déduire logiquement que comme Popper dit que l’histoire des sciences est essentiellement une histoire des idées, alors c’est les hypothèses qui changent plus la théorie que les outils, et pas l’inverse… (ou prouvez le !)
Quand Raoult dit que pour Popper les outils changent plus les théories que les hypothèse, il ajoute « même si les scientifiques doivent avoir un motif pour regarder, une induction » … ajout qu’on peut raisonnablement assimiler pour moi à « l’histoire des sciences est essentiellement une histoire des idées »
L’idée qu’a Galilée d’utiliser la loupe pour faire un télescope astronomique est bien une induction, non ?
B) KUHN
Vous déduisez de ceci : « L’autre grand épistémologiste du siècle, Kuhn est celui qui explique l’aveuglement et particulièrement illustre le principe de l’idole du théâtre. Il exprime que les théories scientifiques sont prisonnières d’un modèle dominant et qu’il faut un changement de paradigme, de modèle, brutal, pour pouvoir réanalyser les choses dans leur nouvelle réalité. Bien entendu le changement de paradigme est rendu souvent nécessaire par le fait que les théories scientifiques deviennent instables du fait de l’accumulation d’éléments nouveaux et d’exceptions à la règle »
Raoult
Cela : « Ainsi, pour Raoult, la tendance des scientifiques à ne pas réviser leur théorie à la moindre observation contraire relève de “l’idole du théâtre” – de la soumission à l’autorité et à la tradition scientifique »
Alors que moi j’en déduis plutôt ça : « Ainsi, pour raoult, la tendance des scientifiques à ne pas réviser leur théorie alors que les observations contraire s’accumulent relève de « lidole du théatre » – de la soumission à l’autorité et à la tradition scientifique »
Un seul mot donc (« MOINDRE observation contraire ») suffit a faire passer du raisonnable à la folie.
Laquelle de nos deux interprétations est la plus raisonnable ?
Pouvez vous m’expliquer d’ou sort votre « à la MOINDRE observation contraire » ? Car je ne pense pas qu’une « MOINDRE observation contraire » soit suffisante selon Raoult pour faire relever de “l’idole du théâtre”…
Ensuite vous déduisez ceci : » Du coup, ce qu’en retire Raoult, c’est que la découverte et le progrès en science ne peut venir que des “renégats” qui rejettent la théorie dominante » et » On voit donc qu’on revient à l’idée du génie solitaire (et forcément un peu caractériel) qui fait progresser la science en rejetant le consensus aveugle de ses collègues plus “normaux” (et forcément plus médiocres). »
De cela : « Au début d’une nouvelle phase de recherche, les chercheurs sont des révolutionnaires. C’est la période de la révolution scientifique. Il s’agit là de pionniers, de découvreurs (souvent un peu caractériels !). La proportion de ce qui est à découvrir avec le nouvel outil et dans le nouveau paradigme diminue au fur et à mesure. Les chercheurs, comme la recherche elle-même dans ce domaine, deviennent plus « normaux » avec des personnalités plus soucieuses d’améliorer progressivement plutôt que de remettre brutalement en cause les choses. Personnellement j’ajouterai volontiers une dernière phase académique où les chercheurs deviennent les gardiens du temple de l’ancienne théorie jusqu’à ce qu’elle soit bouleversée par un nouveau paradigme »
Raoult
J’arrive évidemment pas à la même interprétation que vous :
La science est composé a la fois de génies solitaires/des renégats, et aussi de gens normaux, et que c’est la dialectique entre ces deux entités qui fait évoluer la science. Il est certain que les gens « normaux » sont plus médiocres que les génies comme Tesla ou Turing… mais ils restent tout de même indispensable. Donc peu importe leur médiocrité relative, leur nombre et unité font qu’ils forment un groupe de qualité indispensable au bon fonctionnement des génies solitaires et de la science.
C’est un concept qu’on retrouve chez maurice bardèche (éclectisme) je crois, et qu’on peut constater assez facilement. Souvent on peut trouver médiocres et ennuyants des gens individuellement, mais intéressants et géniaux lorsqu’ils forment un groupe. (un peu comme les fourmies)
Ensuite vous partez sur « Dans sa conférence inaugurale à la soirée Contre la Méthode, il en déduit donc la chose suivante : que cela doit devenir une “stratégie” pour le “bon” scientifique de dire “puisque tout le monde pense ça, je vais dire que c’est pas vrai »
Mais est-ce vraiment ce que dit Kuhn ? Pas vraiment »
Mais comme Raoult ne dit pas (ni ne sous entends) que c’est ce que Kuhn dit, alors pas de problème.
Le problème vient peut être seulement que vous pensiez, sans l’avoir démontré, que lorsqu’on s’inspire d’une pensée/phrase d’un auteur pour en déduire des choses, alors si notre déduction ne colle pas avec la pensée totale du philosophe, c’est une faute…
Puis vous finissez cette partie sur Kuhn avec :
« Dans l’esprit de Raoult, la science normale est inféconde, dogmatique, sclérosée, tandis que les révolutions scientifiques sont des périodes fécondes et créatives. Il faudrait donc en permanence chercher à rejeter le paradigme dominant pour faire progresser la science. Mais ce n’est pas du tout ce que pense Kuhn. En effet, pour Kuhn, les périodes de sciences normales sont des périodes qui non seulement se révèlent très fécondes, mais sont indispensables à la bonne marche de la science. »
Mais Raoult ne dit pas que la science normale est inféconde, dogmatique, et sclérosée…
En reprenant la citation de Raoult faite plus haut, celle ou il parle des gardiens du temple, je rappel que selon lui la recherche scientifique se fait en 3 phase :
1
La période révolutionnaire, avec les pionniers découvreurs
2
La révolution se calme et on entre dans un phase normal (ce que vous nommez « science normal ») ou la science s’améliore plus doucement et progressivement (donc contrairement a ce que vous dites, Raoult ne pense pas que la science normale est inféconde et directement totalement sclérosée puisque « la science s’améliore plus doucement et progressivement »)
3
Une phase académique où les chercheurs deviennent les gardiens du temple de l’ancienne théorie jusqu’à ce qu’elle soit bouleversée par un nouveau paradigme (la sclérose qui rend nécessaire la révolution)
C’est cette 3ieme phase sclérosée uniquement qu’on peut voir comme « inféconde »… même si ça reste aussi faux puisque d’un point de vue dialectique hégélienne, cette sclérose de phase 3 est nécessaire à la révolution de phase 1, donc la phase 3 n’est pas inféconde.
Et la suite de cette partie sur Kuhn (« Il faudrait donc en permanence chercher à rejeter le paradigme dominant pour faire progresser la ») repose entièrement sur votre supposition « Raoult voit la science normal comme inféconde », donc cette suite devient caduc vu que je viens de montrer que Raoult ne voyait pas la science normal comme inféconde.
C) FEYERABEND
Citation de Raoult à 9:55 de sa conférence contre la methode « Feyerabend dit que ce qui interdit le plus de comprendre les choses c’est la méthode. C’est a dire que quand vous avez commencez a utiliser une méthode, en réalité vous êtes prisonnier d’une manière de pensée qui vous empêchent de regarder les choses » »
Vous :
« Comme on le voit, on est très loin de ce dont parle Raoult : à aucun moment Feyerabend ne critique l’adhésion à des méthodes scientifiques spécifiques, qu’elles soient expérimentales ou statistiques. »
Mais si on ne prends pas irrationnellement tous les mots au sens strict comme vous (car il est normal de parler approximativement a l’oral et de ne pas employer tous les mots au sens strict…)
alors on peut comprendre que Raoult ne dit pas que comme toute méthode rend forcément un peu aveugle, alors on doit tout faire sans méthode scientifique spécifiques… Il dit seulement que comme toute méthode rend forcément un peu aveugle puisque ça nous force a regarder les choses sous un certain angle en nous en interdisant d’autres, alors il ne faut pas déifier une méthode unique et diaboliser ceux qui refusent d’appliquer uniquement cette méthode du moment puisqu’il peut être utile de voir les choses sous un autre angle.
Comme le propos de Feyerabend est de dire qu’il faut que toutes les méthodes soient acceptées afin d’être prémuni de l’autoritarisme scientifique, alors on peut logiquement utiliser Feyerabend pour dire qu’on a pas à être diabolisé/ridiculisé sous prétexte qu’on refuse la méthode que veulent nous imposer certain (consensus, p value, double aveugle etc…) au nom de la vérité rationnelle indiscutable…
Puisque pour Feyeraband toutes les méthodes scientifiques peuvent être utilisées et non diabolisée au nom de la liberté, alors le refus Raoultien de la méthode actuelle n’est pas condamnable. Ainsi, contrairement a ce que vous dites, Feyerabend est correctement utilisé ici.
3 – RAOULT DONNE DE FAUSSE DEFINITION DE L’ABDUCTION ET DE L’INDUCTION
ABDUCTION
Vous dites :
« Tout simplement en redéfinissant complètement l’abduction de manière à la faire rentrer dans sa théorie préalable » et « Raoult définit l’abduction de la façon suivante : “la découverte par hasard” – et dans sa conférence inaugurale à la soirée Contre la Méthode, il rajoute : “y a pas de raisonnement derrière” (11:56).
C’est bien évidemment absurde, parce que l’abduction est précisément une forme de raisonnement, mais cette vision déformée lui permet de coller parfaitement à sa vision du monde »
a)
Le fait de simplifier la définition de l’abduction pour coller plus facilement au propos de la conférence rend t-il d’office invalide la définition vulgarisée ?
Ce fait est il vraiment l’équivalent de « redéfinir complétement l’abduction », sachant que la définition vulgarisée reste valide et n’entre pas en contradiction avec une définition totale de l’abduction ? ou alors veuillez montrer que la définition partielle que donne Raoult de l’abduction rentre en contradiction avec la définition totale.
b)
Vous restez bloqué dans des définitions strict des mots et n’acceptez pas que Raoult utilise le mot « raisonnement » dans une définition non strict. Vous ne cherchez pas a savoir si le point de vue de Raoult est raisonnable d’une certaine manière, vous préferez vous arretez au fait que ce qu’il dit ne correspond pas a la définition exaxte du mot, et déduisez ainsi que ce que dit Raoult est complètement stupide et indigne d’un étudiant.
Moi, comme je fais avec tout le monde, je vais essayer comprendre ce que veut dire Raoult, et pas seulement m’arrêter au sens strict des mots :
Pourquoi dirait il qu’il n’y a pas raisonnement derrière l’abduction ?
Peut être parce que l’abduction ne représente en réalité qu’un générateur d’hypothèse vraisemblable, et que contrairement au couple déduction/induction, elle ne sert pas directement a prouver quoi que ce soit par A+B.
Qu’en pensez vous ?
Si on prends le mot « raisonnement » avec la définition « processus qui sert a prouver quelque chose », alors on peut comprendre l’affirmation « l’abduction n’est pas un raisonnement ».
Il me semble logique de penser que si jamais quelqu’un lui disait « l’abduction est un raisonnement ! » , il répondrait « oui, on peut dire que c’est un raisonnement, mais j’entends par la que ce n’est pas autant un raisonnement (raisonnement au sens prouver par a+b quelque chose) que peuvent être la déduction ou l’induction.
Voici une définition du raisonnement qui colle assez bien a mon hypothèse :
Ensemble des arguments issus d’une réflexion, mis en œuvre dans une discussion, et qui ont pour but de convaincre quelqu’un ou de démontrer, de prouver quelque chose
https://www.cnrtl.fr/definition/raisonnement
Vous pourriez penser « c’est parce que vous êtes fan de Raoult que vous interprétez les choses en sa faveur »
et je pourrais dire l’inverse « vous detestez Raoult donc interprétez tout en sa défaveur »
Mais dans la vie de tous les jours, a l’oral et en general, passe t-on notre temps a employer les mots au sens strict ou alors souvent on utilise plutôt les mots approximativement et de manière détourné ?
Alors il est plus raisonnable de penser que c’est bien ce qui s’est passé ici avec Raoult et le raisonnement, que ce n’est pas moi qui suis trop compréhensible et permissif, mais plutot vous qui êtes trop intransigeant car vous souhaitez absolument le discréditer.
Pour résumer, l’abduction est évidemment un raisonnement selon une certaine définition, mais comparé a la déduction/induction et si on prends une autre définition moins strict de raisonnement, alors on peut comprendre que Raoult dise que l’abduction ne soit pas un raisonnement.
INDUCTION
Vous dites :
« A l’inverse, il redéfinit l’induction (dont il a probablement entendu que c’était “mal”) pour en faire l’inverse de ce qu’il préconise (ce qui est ironique, vu que sa vision de la science est clairement inductiviste). Dans sa conférence inaugurale à la soirée Contre la Méthode, il définit l’induction de la façon suivante : “l’induction, c’est je pense que pour expliquer ça, il pourrait y avoir ça et je me donne les conditions pour démontrer que l’idée que j’ai des choses est exacte” (11:40). Mais ce que décrit grossièrement ici Raoult c’est la combinaison d’abduction (passage de l’observation à une explication hypothétique) et de déduction (déduction des prédictions que l’on peut tirer de mon explication hypothétique afin de les tester) qui est caractéristique de la conception falsificationniste de la science. Cela n’a donc rien à voir avec l’induction (on peut même dire que c’est tout sauf de l’induction). »
Vous dites donc que raoult définit tout ici sauf l’induction…
Je vais montrer que sa définition reste en vérité plausible.
La définition de raoult est : « “l’induction, c’est je pense que pour expliquer ça, il pourrait y avoir ça et je me donne les conditions pour démontrer que l’idée que j’ai des choses est exacte »
Je fais une recherche google et je tombe sur ça : « induction est historiquement le nom utilisé pour signifier un genre de raisonnement qui se propose de chercher des lois générales à partir de l’observation de faits particuliers, sur une base probabiliste. » (j’ai perdu la source)
Donc ça colle assez bien a la première partie de sa définition :
« c’est je pense que pour expliquer ça » (observation des faits particuliers), « il pourrait y avoir ça » (chercher des lois sur une base probabiliste) »
et ensuite je tombe sur ça :
« Si l’abduction repose sur des habitudes d’inférence qui évoluent comme étant des manifestations de l’intelligence et de la progression de connaissance, c’est sur l’induction que repose le progrès scientifique car elle donne une valeur scientifique à la pratique, c’est-à-dire à l’expérience. En effet, la mise à l’épreuve constitue le seul moyen pour tenter d’approcher la certitude et déduire une vérité comme idéal de connaissance et objet de construction théorico-pratique. »
https://wikimonde.com/article/Abduction_%28logique%29
Ce qui correspond assez bien à : « et je me donne les conditions pour démontrer que l’idée que j’ai des choses est exacte » (En effet, la mise à l’épreuve constitue le seul moyen pour tenter d’approcher la certitude et déduire une vérité comme idéal de connaissance et objet de construction théorico-pratique. )
Donc la définition que donne raoult de l’induction est incomplète mais n’est pas « tout sauf l’induction »
CONCLUSION
Je ne pense pas que vous ayez réussi a montrer que Raoult comprenait mal les philosophes en question puisque ce que vous pointez comme des contradictions ne sont que du a vos suppositions que je crois avoir démontré comme peu rationnelles en comparaison des miennes.
Les définitions que donne Raoult de l’abduction et d’induction, contrairement a ce que vous dites, sont plausibles.
Ainsi je crois votre démontration logiquement invalidée et que vous êtes probablement dans un raisonnement motivé par détestation politique de Raoult, que vous choisissez ce qu’il pense en fonction de ce qui vous arrange et vous sert.
Merci.
Je profite de ce commentaire pour rappeler que j’ai déjà montré, par induction, dans ma video en collaboration avec Joséphine ( https://www.youtube.com/watch?v=38AHEv4K0E0 ) , que Thomas Durand n’avait aucune capacité critique dès qu’il s’agissait de parler d’un sujet en rapport avec l’affaire Raoult puisqu’il a retweeté (https://mobile.twitter.com/Acermendax/status/1277063967811256321 ) une vidéo du huffpost, sur les »contradictions » de Raoult, alors que cette vidéo contient 4 GROSSIERS/ÉVIDENTS sophismes (sur 5 argument), et qu’en plus de cette erreur déjà disqualifiante a elle seule, autant par sa grossièreté que sa quantité (QUATRES GROSSIERS SOPHISMES A LA SUITE), il a aussi validé une fakenews de europe1 sur Raoult, et l’etude de thelancet qui, si mes souvenirs sont bons, pouvait être démonté par un élève de première année de medecine selon Raoult.
Aussi, Thomas Durand dit dans son retweet de la vidéo falacieuse du huffpost » Il n’y a pas moyen qu’on juge crédible celui qui se présente comme le meilleur expert du monde tout en accumulant les cagades de ce genre. » suivie de » Ces contradictions seront niées ou défendues par tout un tas de gens, naturellement. Cette indulgence, ils la réservent à leur champion pour des motifs qui n’ont rien à voir avec un argumentaire rationnel. »
donc tout ça est très ironique.
Autrement, le travail de Thomas Durand dans son ensemble reste plutôt utile et de bon niveau logique, mais sur quelques points particuliers (Raoult), il est vraiment mauvais.
@MachineMachin Sauf que l’article ci présent n’est pas de Thomas Durand, mais de Florian Cova, un Professeur Assistant de Philosophie à l’Université de Genève. L’auteur est pourtant clairement indiqué au tout début…
https://medium.com/@florian.cova/l%C3%A9pist%C3%A9mologie-opportuniste-de-didier-raoult-7359ec4a3006
https://medium.com/@florian.cova
Je le sais, mais je m’adresse aux deux personnes vu que c’est Thomas Durand qui relaie l’article sur son blog.
Je crois finalement comprendre que vous dites que Florian Cova ne va pas lire ma critique si je la met pas sur le site medium…
Bonne idée
Merci.
Ce n’est absolument pas ce que j’ai dit mais à toute fin utile, vous pouvez poster sur le blog de Florian Cova quand même.
En fait, la présence de ce chapitre consacré à Thomas Durant, et en particulier la dernière ligne, je cite : « Autrement, le travail de Thomas Durand dans son ensemble reste plutôt utile et de bon niveau logique, mais sur quelques points particuliers (Raoult), il est vraiment mauvais. »
me laissaient penser que vous croyiez que cet article était de Thomas Durant.
Bonjour,
Votre commentaire, même s’il éclaircie certains points, échoue globalement à protéger Raoult des critiques qui lui sont faites ici.
En science expérimentale, la dichotomie entre « théoriciens » et « découvreurs » n’a pas vraiment de sens, chaque scientifique pouvant être l’un ou l’autre à tour de rôle. Cependant, en ce mettant dans la seconde catégorie et en sous entendant clairement que la plupart de ces collègues sont des théoriciens, Raoult ce met clairement dans une position de supériorité par rapport aux autres, puisqu’en tant qu’observateur débarrassée de ses biais, il peut juger du travail des autres sans que ceux-ci soient en position de le réfuter lui, puisqu’en tant que théoriciens leur rôle se limite logiquement à expliquer les découvertes faites par des gens comme lui. Et quand on lui fait justement des reproches sur ses méthodes d’observation foireuses, il se réfugie chez Feyerabend pour se défendre des critiques. Toute les positions de Raoult sur ce sujet n’ont qu’un but: protéger ses travaux de la critique, ce qui valide bien le titre « épistémologie opportuniste » donné à l’article.
Le recours de Raoult à ces trois auteurs est globalement malhonnête (d’autant plus qu’il se revendique de leur légitimité or il ne peut pas faire ça s’il se contente juste de leur piquer deux concepts) car, au-delà de leur différence, leur point commun est de mettre en avant la valeur de la communauté scientifique: celle-ci est indispensable pour vérifier la pertinence des théories (Popper, Kuhn), ou permet de combiner des approches différentes pour arriver à la vérité (Feyerabend). Une chose sur laquelle les trois se rejoignent est que, bien qu’il soit absolument vrai que des scientifiques plus doués que d’autres existent, ils vaux mieux se ranger à l’avis du consensus scientifique par rapport à ceux qui font cavaliers seuls.
Je ne vois que des affirmations de votre coté sans argument ni source, et vous ne dites pas non plus ou est ce que mon commentaire échoue précisémment, vous vous contentez d’appuyer sur des points que mon commentaire ne traite pas réellement.
J’attends que vous démontiez un point précis de mon commentaire.
Pour quand même vous répondre un peu, sachez que je ne vais pas aller vérifier moi même si »Une chose sur laquelle les trois se rejoignent est que, bien qu’il soit absolument vrai que des scientifiques plus doués que d’autres existent, ils vaux mieux se ranger à l’avis du consensus scientifique par rapport à ceux qui font cavaliers seuls. »
1 C’est a vous de m’en apporter la preuve si vous êtes de bonne foi.
2 Même si c’était vrai, ça n’enlève rien a la validité de mon commentaire.
»En science expérimentale, la dichotomie entre “théoriciens” et “découvreurs” n’a pas vraiment de sens, chaque scientifique pouvant être l’un ou l’autre à tour de rôle. »
Vous décrétez seul et illogiquement que cette dichotomie n’a pas vraiment de sens.
C’est pas parce que chaque scientifique peut être l’un ou l’autre qu’on ne peut pas faire une dichotomie en imaginant par exemple que globalement 50 % des scientifiques font 80% de théorie et 20% de la découverte par outil, et que l’autre 50% des scientifiques font 80% de découverte par outil et 20% de théorie…
donc ce n’est pas parce que les scientifiques en general font tous un peu les deux qu’on ne peut faire une dichotomie valide…
»en ce mettant dans la seconde catégorie et en sous entendant clairement que la plupart de ces collègues sont des théoriciens »
Source ?
« Raoult ce met clairement dans une position de supériorité par rapport aux autres, puisqu’en tant qu’observateur débarrassée de ses biais, il peut juger du travail des autres sans que ceux-ci soient en position de le réfuter lui, puisqu’en tant que théoriciens leur rôle se limite logiquement à expliquer les découvertes faites par des gens comme lui. »
Il y aurait a redire sur la première partie de cette citation, mais la j’ai pas envie, donc je me limiterais à » puisqu’en tant que théoriciens leur rôle se limite logiquement à expliquer les découvertes faites par des gens comme lui. » »
Qu’est ce qui vous permet de dire que Raoult pense qu’en tant que théoriciens, leur role se limite logiquement à expliquer les découvertes faites par des gens comme lui
« Mais si on ne prends pas irrationnellement tous les mots au sens strict comme vous (car il est normal de parler approximativement a l’oral et de ne pas employer tous les mots au sens strict…) » ce point est totalement incorrect dans le domaine de la philosophie. tous les mots employés par un philosophe doivent être clairement définis, et utiliser une définition faite pour faciliter le démontage de la thèse adverse est une falacie de l’homme de paille. si par exemple j’utilise le mot « réalité » dans une conversation avec un solipsiste, il me faut définir précisément ce mot (« ce qui est observable, à l’aide d’instruments ou uniquement basé sur mes sens », etc…) car pour le solipsiste, la réalité n’est pas la même. selon lui, il pourrait n’être qu’un cerveau dans une cuve, et rien d’autre. il faut donc que j’explique ce que j’entends par réalité afin que tout le monde comprenne ce que je veux dire. interpréter par la suite les termes que le professeur Raoult utilise revient à utiliser la même méthode qu’un créationniste utilise pour défendre la création du monde en six jours littéraux : interpréter ce qui l’arrange pour étayer son hypothèse.
»ce point est totalement incorrect dans le domaine de la philosophie. tous les mots employés par un philosophe doivent être clairement définis »
Ou avez vous vu que Raoult était philosophe ?
Et même les philosophes a l’oral n’utilisent pas tout le temps les mots dans leur définitions parfaite… personne n’est parfait et ne s’exprime TOUT le temps parfaitement. Je sais pas ce que vous appelez philosophe (problème de définition encore) mais que ça soit enthoven, onfray, fikielkraute, luc ferry, comsponvill, clouscard, alain badiou etc… TOUS, à l’oral, font des approximations de langage… et c’est normal…
Mais évidemment qu’en philosophie définir les mots qu’on emploi est primordial.
Mais Raoult n’est pas philosophe, donc votre remarque est de toute manière incorrecte.
« Ou avez vous vu que Raoult était philosophe ?[…] Mais Raoult n’est pas philosophe, donc votre remarque est de toute manière incorrecte. »
Il n’est peut ête pas philosphe, oui, mais il donne tout de même des cours, des conférence et écrit des livres sur le sujet. Donc pour moi il devrait l’être.
« Et même les philosophes a l’oral n’utilisent pas tout le temps les mots dans leur définitions parfaite… »
Oui c’est vrai, il faut garder un certaine bienveillance. Mais il n’empêche que la philo étant un domaine de raisonnement et d’argumentation, bien définir les chose c’est la base. C’est pour cela que certain termes en philosophie ont des sens très précis, car si on laisse du flou partout et qu’on reçoit chaque critique par un « Non, vous interprétez mal ce que je dis » puis en cherchant des explications ad-hoc pour tout, comme vous le faite, l’argumentaire original est arbitrairement inattaquable.
Enfin je rajoute que l’auteur est professeur de philosophe, et même sans lui accorder une voix plus forte que n’importe qui, on peut légitimement supposer qu’il est habitué a lire et interpréter le plus justement possible les idées philosophique. Alors oui, par rapport aux citations assez courtes qu’il nous fournies, F.Costa extrapole beaucoup. Mais il faut souligner qu’il a lut entièrement plusieurs ouvrage et visionné plusieurs conférence de Raoult, ce qui représente un volume de citation potentiel bien au delà d’un article internet. Oui un debunkage méticuleux devrait citer précisément et entièrement tous les passages litigieux, mais pensez vous vraiment cela raisonnable, réellement utile, voire l’objectif dans le cas présent? S’il se trouve qu’en effet F.Costa interprète mal le propos de Raoult en faisant du cherry picking, la manière de procéder pour le dénoncer serait plutôt de chercher dans les productions de Raoult d’autres citations qui prouve explicitement que Raoult ne dit pas cela, pas de reprendre les mêmes citation et de dire « Non moi, hors contexte, je ne l’interprète pas comme ça », car ça ne fait que détruire encore plus le contexte. Après pour cela il faut avoir lu/vu les productions de Raoult.
Oups, remplacez « F. Costa » par « F. Cova » évidement, excusez moi.
Vous avez l’impression d’avoir rationnellement défendu M. R, sauf que votre désir de le défendre à tout prix vous conduit à des erreurs de raisonnement pas plus défendables que ceux que vous voulez dénoncer.
Exemple : « Moi, comme je fais avec tout le monde, je vais essayer comprendre ce que veut dire Raoult, et pas seulement m’arrêter au sens strict des mots »
Cela peut paraître logique et louable dans un contexte de débat ou de discussion orale avec un contradicteur. Seulement ce n’est pas dans ce contexte que R parle : il enseigne lors d’une conférence. Si sa phrase exprime mal sa pensée, on peut dire :
– soit que c’est un mauvais enseignant qui ne s’est pas suffisamment préparé pour être explicite vis-à-vis de ses étudiants, qui en savent moins que lui sur le sujet.
– soit qu’il ne maîtrise pas le sujet qu’il souhaite présenté.
Comme il s’appuie sur un diaporama, je pense honnête de dire qu’il a préparé sa conf et que ses « approximations » peuvent bien être vue comme de l’incompétence dans ce domaine, qui n’est de base pas le sien je le rappelle. Vous lui pardonnez bien gentiment, en réexpliquant à sa place ce qu’il aurait du dire pour être clair : c’était donc possible de dire les choses de façon plus correctes, sans nécessairement prendre plus de temps.
Si vous devez réinterpréter les paroles de Raoult pour le défendre, c’est la preuve que ce qu’il a dit n’est pas défendable.
Autre exemple : sur Feyerabend, il a clairement compris de travers et j’ose dire vous aussi. Considérons le principe » tout est bon « . Feyerabend à écrit : [La] distinction entre un extravagant et un penseur respectable tient à la nature de la recherche entreprise une fois adopté un certain point de vue. L’extravagant se contente habituellement de le défendre sous sa forme originelle, non développée, métaphysique et il n’est en aucun cas prêt à tester son utilité dans tous les cas qui semblent favoriser ses adversaires, ou même à admettre simplement qu’il puisse y avoir problème. C’est cette recherche ultérieure, les détails de sa poursuite, la connaissance des difficultés qu’elle soulève, de l’état global des connaissances, la prise en compte des objections, qui distingue le » penseur respectable » de l’extravagant. Le contenu original de la théorie n’y est pour rien. […].
On peut comprendre deux choses :
– Tout est bon pour faire une « découverte », il n’y a pas de méthode pour Feyerabend dans ce cadre précis (données, théorie ou même rêve, on ne s’interdit rien).
– Ensuite la découverte est « vérifiée » par la communauté scientifique et à se moment là, il est préférable d’avoir une bonne méthode pour valider ou non la découverte. Ne pas tenir compte des critiques et ne pas vouloir vérifier sa découverte range Raoult dans la catégorie des mauvais scientifique pour Feyerabend.
Il n’est pas déraisonnable de dire qu’il a mal été compris et surtout, Raoult met bien en avant ce « tout est bon » pour justifier de ne pas faire les vérifications qui tiennent compte des critiques et qui pourraient convaincre ses pairs. Raoult est dans le dogmatisme : à ne pas vouloir écouter les remarques et vérifier sa « découverte », il se comporte comme un gardien du temple !
CONCLUSION :
Réinterpréter les propos de quelqu’un n’est pas le défendre mais reconnaître que ses propose ne vont pas => C’est ce qui est justement dénoncé dans cet article.
Par contre, cette complaisance en voulant justifier les « approximations » de Raoult peut laisser penser que vous êtes biaisé dans votre analyse. Et si vous êtes capable de dire que R comprend correctement Feyerabend alors que visiblement ce n’est pas le cas, je ne vois pas pourquoi je vous croirais sur le reste ?
Bonjour, à partir du moment où une personne devient médiatique, il me semble normal de chercher à savoir qui elle est. Si elle se targue de connaissance dans une discipline autre que son domaine d’expertise, il est sain d’avoir des éléments éclairants afin d’affiner sa propre compréhension de la situation, et pour celà, il n’est pas inutile d’écouter à la fois ses laudateurs et détracteurs, partant du principe que ni les uns ni les autres ne seront de mauvaise foi. Pourriez-vous par contre m’expliquer la référence à une société que vous faites dans votre première phrase ? Même si la controverse qui a rendu « célèbre » la personne dont il est question ici est évoquée, ce n’est qu’incidemment. De plus, une personne peut avoir raison « pour de mauvaises raisons », être à la fois compétente et insupportable, …, bref ce n’est pas parce qu’un élément du travail d’une personne est considéré négativement que l’intégralité est vouée au gémonies.
Anti-intellectualisme primaire ?
C’est pas pour rien que la philosophie des sciences existe. La science est par ailleurs fille de la philosophie.
Merci pour cet article très intéressant et complet. Je pense cependant que comme beaucoup de critique anti-Raoult il passe à côté de la problématique fondamentale qui se trouve à la base de cette polémique et qui est : la médecine se réduit-elle à la science ? De mon point de vue les anti-Raoult ont été irrité parce le marseillais piétinait la méthode scientifique et le tort du marseillais fut de prétendre détenir une « vérité scientifique ». Or le cadre de cette polémique ce n’est pas la science mais la médecine ! Donc le véritable problème que devrait à mon avis se poser un philosophe ce n’est pas de savoir si DR respecte bien la méthode scientifique mais dans quelles limites la médecine peut respecter la méthode scientifique ! De ce point de vue il faut relire Canguilhem…. je ne m’étends pas plus car j’ai également écrit un très long article ici à ce sujet https://www.europeanscientist.com/fr/editors-corner-fr/didier-raoult-mauvais-scientifique-et-bon-medecin/
Merci pour cet article, bien documenté et fort intéressant.
J’ai toutefois une question : Raoult est-il un scientifique ?
C’est une question sérieuse. La médecine, au moins la médecine ordinaire (par opposition à la biologie), ne me semble rentrer que très difficilement dans le cadre scientifique. Il s’agit avant tout de prendre des décisions, en tenant compte de nombreux facteurs dont on n’a qu’une connaissance limitée. Finalement, le soignant n’est peut être qu’une figure intermédiaire entre le politique et le scientifique.
Accorder à Raoult let statut de scientifique, alors qu’il est avant tout un mandarin (un manager dirions nous aujourd’hui), est peut-être le plus grand service que nous lui rendons et par contre-coup le plus mauvais que nous nous rendons.
Mouais. Bien joli de massacrer un philosophe amateur, qui tronque ses citations et cherche à défendre sa position et ses découvertes sans adresse, mais quand dans la conclusion vous avancez que c’est un « faux humaniste », j’aimerais que vous m’expliquiez d’abord pourquoi il s’obstine à défendre un traitement peu coûteux pour une maladie pendant que ses concurrents cherchent à vendre des vaccins le plus cher possible. Où est son intérêt personnel dans cette histoire ? Son hubris n’aurait-il aucun prix ? N’est-ce qu’un héros « populiste » ? Le souci de Raoult depuis le début de cette histoire Covid, c’est qu’il n’assume pas que ses prescriptions soient celles d’un médecin de ville qui fait avec les moyens du bord, en partant d’expériences du passé (maladies anciennes, molécules anciennes) pour supprimer des symptômes et qui les généralise quand il s’aperçoit qu’elles fonctionnent, et non celles d’un scientifique de laboratoire industrieux avec éprouvettes et tubes à essai. Il veut garder la posture supérieure de l’universitaire et le prestige qui va avec, et il se réfère donc à tous ces échafaudages épistémologiques dont on se fout bien quand il s’agit de soigner des malades. Parce que s’il y a quelque chose qu’on ne peut pas lui enlever, ne serait-ce que parce que les Chinois et les Africains ont eu les mêmes résultats que lui à une échelle territoriale bien plus large, c’est que le traitement qu’il promeut fonctionne.
Etant entendu que je trouve ce monsieur R. profondément antipathique et totalement incompétent, et donc que dieu me garde de prendre sa défense, je pense en même temps que faire sa critique avec des arguments qui ne sont pas meilleurs que les siens n’est pas une bonne chose. Pour le dire tout de go et ne pas créer de suspense, je trouve, à mon très humble avis et que l’on me pardonne, l’argumentaire de Mr Cova très scolaire, avec un coté “magister dixit”. Comme tout travail scolaire, il n’est certes pas faux dans ce qu’il dit, loin de là, mais on ne fait que réciter sa leçon, on se cache derrière “l’autorité des maîtres”, on se focalise sur la forme et non sur le fond, pas ou peu de réflexion ou analyse, et le tout au service d’une conclusion simpliste à l’évidence pré-établie. Et surtout on se trompe de cible. Car Mr R. peut bien dire et faire ce qu’il veut, la seule chose qui a de l’importance, ce sont ses prédictions et ses résultats, et les arguments avec lesquels il les défend, et non pas ceux avec quoi il les obtient ou ses heuristiques.
Si vous affirmez que Mr R. n’est pas un dieu de l’épistémologie parce que ses cours ne sont pas “parfaits”, sans vous contredire sur la forme je vous invite chaleureusement à interroger n’importe quel chercheur scientifique respecté (y compris les chercheurs en sciences dures, comme les maths ou la physique) sur ses conceptions et connaissances en la matière, vous serez atterrés. Le grand Feynman lui-même se plaisait à dire que “l’épistémologie est aussi utile au chercheur que l’ornithologie à un oiseau”, et lire ses conférences sur “comment on fait de la science” c’est au choix la dépression ou le fou-rire garanti. Personne pourtant ne vient lui chercher de noises. Comparativement, Mr R est très loin au-dessus du lot : au moins il connait de nom les principaux épistémologues et à peu près ce qu’ils disent… Et donner à ses étudiants quelques bases même très vulgarisées, c’est vraiment remarquable, si on considère que pour le chercheur moyen, le mot “épistémologie” provoque la même réaction que le mot “études de genre » chez un catho traditionaliste, encore plus dans le domaine biomédical où la notion de scientificité est assez approximative.
Je suis en tout point d’accord avec l’analyse héroïque de MachineMachin qui a eu une grande patience de la faire. Pour moi je me limiterais seulement à relever la contradiction qui me parait la plus ironique dans le texte de Mr Cova. Je cite “Dans la conception falsificationniste, qu’importe d’où vient votre hypothèse (si vous l’avez eu en contemplant la nature, sur le coup d’une intuition géniale, en lisant Nietzsche ou en vous bourrant de LSD), dès lors que celle-ci passe ensuite le test de l’expérience.”
Si on comprend bien, donc, pour Mr Cova, la LSD c’est ok, mais une relecture très “personnelle” des auteurs, aussi critiquable soit-elle pour un puriste, n’est par contre pas autorisée… Le LSD ça va, mais l’atteinte à la sacralité des textes, non. Le fait est que, quand on est épistémologue et que l’on discute avec des chercheurs, on a une image de gardiens du temple psychorigides et à l’utilité pratique nulle.
Puisque Mr Cova place la rhétorique sur ce niveau, il ne verra donc pas, je pense, d’inconvénient à ce que l’on en use nous aussi : la critique, très nécessaire, de Mr R, mérite mieux qu’une petite compil de fiches de lecture comme j’en donne à mes étudiants de licence (je suis indulgent, je ne parle pas de première année).
Confraternellement
Il y a quand même un aspect qui reste absent de votre démonstration, et qui est pourtant à la fois simple, expérimental et très significatif : je ne sais pas combien de scientifiques, en France et dans le monde, travaillent actuellement avec acharnement (et des moyens jamais vus !) à la recherche d’un traitement de la Covid-19. Combien de ces milliers de chercheurs connaissez-vous *par leur nom* ? Y compris ceux dont le travail a déjà permis la création de plusieurs vaccins ? Y compris ceux qui explorent diverses pistes thérapeutiques, voire ont déjà obtenu des résultats partiels mais très utiles et méritent aussi notre reconnaissance ? Cette question pourrait faire l’objet d’un sondage très large, peu importe. QUESTION : quelle en est la raison ? Je ne vois guère de réponse susceptible de lever le doute épais que ce fait jette sur le personnage D.R., mais peut-être certains d’entre vous m’en proposeront-ils qui me feront changer d’avis ?
Bonsoir,
Je découvre ce site et ses articles (je viens de lire celui fort intéressant sur Jean-Dominique Michel que je ne connaissais pas)Article intéressant, ais le vrai problème avec Raoult, scientifique renommé, est qu’il a eu le malheur au premier confinement de démontrer que le gouvernement français faisait fausse route et, à partir de là, n’importe quel star de téléréalité sur un plateau télé pouvait le contredire sous les applaudissements. J’ajoute qu’au-delà de sa personne et son ego, le Lancetgate et l’influence des anti-choloroquine est extrêmement choquante et devrait nécessairement être une préoccupation majeur pour un citoyen attaché à la démocratie. Il se défend comme il peut et il n’y a qu’à voir d’anciennes interventions de sa part sur les plateaux télé, par exemple au sujet des vaccins (je vous conseille: https://www.youtube.com/watch?v=EbOzhsFBGBw où on voit bien qu’un journaliste qui n’y connait absolument rien fait venir sur un plateau une blouse blanche pour lui faire répéter un slogan…et que « l’expert » refusant, ça l’agace !). Bref, la place de « l’expert » sur un plateau télé m’interroge plus que les considérations épistémologiques d’un scientifique …