Le Grand Décryptage — Ce que l’on mange, ce que l’on croit
Soirée de clôture du Printemps de l’esprit critique en collaboration avec Universcience
Enregistrée le 3 avril 2025 à la Cité des sciences et de l’industrie.
La vidéo du direct est disponible ici.
Première table ronde – « Alimentation et bullshits »
Editorial
L’alimentation est bien sûr une nécessité biologique, mais c’est aussi une identité, un plaisir, une culture, un business… et un champ de bataille ! Un vrai brouillard de guerre, où des milliers de vendeurs, d’entrepreneurs, d’influenceurs et de gourous rivalisent d’imagination pour capter notre attention, mais surtout notre pognon, car notre rapport à la nourriture est complexe et parfois complexé
On nous abreuve de conseils sortis de nulle part, de théories abracadabrantes, de légendes urbaines sur les aliments qui donnent le cancer, l’autisme ou qui abaissent le taux vibratoire de votre corps astral. Vous ne le saviez pas ? Eh bien maintenant, vous voilà inquiets. Et ça tombe bien : juste après la panique, on vous propose une solution miracle, à base de jus pressé à froid, d’ondes quantiques et de chlorophylle en gélules (99,90€ seulement !).
Face à ce déferlement d’absurdités, difficile de savoir ce qui est vrai, ce qui relève du marketing, ce qui est purement idéologique, et ce qui est carrément sectaire. Nous sommes tous exposés à des myriades de contenus essentialistes, qui découpent l’univers culinaire en deux catégories hermétiques et simplistes :
- Les aliments miracles : l’ail contre le cancer, le citron qui « régule le pH du corps » (spoiler : non), la spiruline qui soigne tout, y compris la vieillesse, mais aussi l’huile de coco, les baies de Goji, le curcuma, l’aloe vera ou les graines de chia…
- Les aliments poisons : le gluten, le lait, le sucre, le café, les tomates (oui, oui, il y a des anti-tomates !), et bien sûr les OGM, qui ont provoqué environ zéro mutation génétique incontrôlée à ce jour.
Bref, tout est soit élixir de jouvence, soit toxine à éviter sous peine de mort imminente dans une abjecte agonie. C’est simpliste, anxiogène, c’est essentiellement bidon, mais ça marche. Et le problème dépasse les simples allégations trompeuses.
La nourriture, ce n’est pas juste un apport calorique, c’est aussi une manière de structurer nos comportements. Dans un pays où la gastronomie est un pilier culturel, contrôler ce que les gens mangent, ce qu’ils désirent, ce qu’ils s’interdisent, c’est une arme redoutable. Les mécanismes d’emprise mentale passent souvent par une mise sous tutelle alimentaire. Le jeûne, par exemple, est utilisé –de façon consciente ou non– pour affaiblir les individus et les rendre plus réceptifs à certaines doctrines. Et au-delà des cas extrêmes de manipulation, la pression sociale autour de l’alimentation touche tout le monde.
Et la conséquence, cela peut-être : l’orthorexie. Si ce mot ne vous dit rien, il désigne une obsession pathologique pour la nourriture saine, où l’on passe plus de temps à classer les aliments en purs et impurs qu’à réellement en profiter. Résultat ? Isolement social, anxiété, et souvent carences. Mais sans aller jusque-là, nous sommes tous influencés par des discours biaisés, car l’alimentation est un enjeu majeur : économique, culturel, politique, et bien sûr de santé publique.
Je me rends bien compte que cet éditorial est lui-même anxiogène, qu’il évoque des menaces, des manipulations, et je ne voudrais pas vous amener à croire qu’il faudrait paniquer et voir des menteurs et des escrocs partout. En réalité, nous avons les moyens de distinguer le bullshit de l’info fiable, d’identifier les arguments douteux, et de reconnaître les stratégies rhétoriques des vendeurs de rêve… Ce soir, nous décortiquerons les recettes de « détoxication » de l’information alimentaire. Cela nous aidera, je l’espère, à identifier le bullshit et les discours pseudo-scientifiques. Et pour faire mijoter tout cela, je vous présente notre panel de ce soir ! ️
- Mathilde TOUVIER : Directrice de l’Équipe de Recherche en Épidémiologie Nutritionnelle (CRESS-EREN, Inserm, Inrae, Cnam, Université Sorbonne Paris Nord, Université Paris Cité) – Nutriscore
- Thibault FIOLET : Epidémiologiste à l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments)[1] – Blogueur, vulgarisateur.
- Lydiane NABEC : Professeure de Sciences de Gestion et du Management Université Paris-Saclay, laboratoire de recherche Réseaux, Innovation, Territoires et Mondialisation (RITM)
[1] *The views expressed here are exclusively personal, and do not necessarily reflect EFSA’s views, positions or policies.
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Le quiz
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Deuxième table ronde – « Un œil dans l’assiette : comment évoluent nos représentations »
Editorial
Nous avons tendance à voir notre époque comme une évidence, un état figé, un équilibre naturel qui aurait toujours existé et qui perdurera. C’est ce que l’on appelle le présentisme cognitif : une difficulté à percevoir les transformations passées et à imaginer les bouleversements futurs. L’alimentation ne fait pas exception. Nos choix alimentaires, nos normes diététiques, nos plaisirs culinaires nous semblent aller de soi, alors qu’ils sont en réalité le fruit d’un enchevêtrement d’évolutions historiques, économiques et culturelles.
Ce que nous mangeons aujourd’hui est le produit de découvertes géographiques, de révolutions industrielles, de l’essor du froid domestique, de l’intensification agricole et de la globalisation des marchés. Nos supermarchés regorgent d’aliments qui ont parcouru la planète avant d’atterrir dans nos paniers. La publicité et le marketing façonnent nos désirs, en orientant nos habitudes d’achat, souvent à notre insu. Et les normes sanitaires, elles aussi, se sont radicalement transformées sous l’effet de crises alimentaires et d’une réglementation de plus en plus stricte.
Il y a un siècle, l’idée de boire du lait d’amande ou d’avoine aurait semblé plus farfelue que les voitures volantes promises pour 2015. L’allaitement maternel, jadis incontournable, a connu un déclin avec l’essor des laits infantiles avant d’être remis en avant par des campagnes prônant ses bienfaits. De même, la viande, autrefois synonyme de prospérité, est aujourd’hui remise en cause pour des raisons de santé et d’impact climatique, tandis que le gaspillage alimentaire, longtemps ignoré, est devenu un enjeu éthique et politique.
À l’inverse, certains piliers de l’alimentation sont maintenant perçus comme problématiques : le pain et les céréales voient leur statut d’aliments de base contesté par les régimes sans gluten ou paléo, le sucre est diabolisé, et l’ultra-transformation suscite une méfiance croissante, bien que son rôle dans l’accessibilité alimentaire soit indéniable.
Nous de plus en plus assaillis de discours contradictoires ; de multiples acteurs entrent en jeu : industries agroalimentaires, pouvoirs publics, ONG, associations de consommateurs, et bien sûr, une foule d’influenceurs et de pseudo-experts qui se disputent notre attention… et notre confiance. Tous ces acteurs ont joué et continuent de jouer un rôle dans notre manière d’appréhender une tranche de jambon, une laitue ou une barre chocolatée.
Nos perceptions et nos valeurs évoluent en fonction des avancées scientifiques, des crises sanitaires, des choix politiques et des sensibilités sociales. Comprendre cette dynamique, c’est reprendre la main sur nos choix et mieux saisir les débats qui animent notre époque.
Pour mieux comprendre l’évolution de notre regard sur ce que l’on nous propose de mettre dans nos assiettes, et des jugements que nous émettons sur nos habitudes ou sur les discours normatifs du bien manger, nous bénéficierons des lumières de 3 spécialistes.
- Mathilde TOUVIER : directrice de recherche à l’INSERM (Nutriscore)
- France ARBOIX-CALAS, Maitre de Conférences, Docteur en Biologie-Santé à l’Université de Montpellier
- Philippe CARDON : Maître de conférences en sociologie université Lille 3, Centre de recherche individus-épreuves-société – et chercheur associé à l’unité Alimentation et sciences sociales de l’INRA
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