L’astrologie dans les communautés LGBTQ+
En mai 2025, le Pew Research Center publiait une enquête révélant que 54 % des personnes LGBTQ+ américaines consultent régulièrement l’astrologie, contre 28 % des adultes en général (Pew Research Center, 2025)[1]. La différence est également notable dans la consultation du tarot : 33% contre 11% dans la population générale.
Ces chiffres spectaculaires méritent qu’on leur trouve une explication. Pourquoi ces pratiques séduisent-elles davantage certaines minorités ? Que recherchent celles et ceux qui s’y adonnent ? Et quelles conséquences peut entraîner cette adhésion à une croyance infondée ?
Spiritualité alternative et exclusion religieuse
L’intérêt accru des personnes LGBTQ+ pour certaines pratiques ésotériques, comme l’astrologie s’explique d’abord par une réalité sociale : leur marginalisation historique dans les religions traditionnelles.
Des travaux récents confirment que les expériences religieuses adverses ont des effets délétères sur la santé mentale des personnes LGBTQ+. Une étude en preprint par Goodwin et Ruggiano (2022) publiée dans le dépôt institutionnel de l’Université de l’Alabama, souligne un lien clair entre ces expériences et l’augmentation des troubles de santé mentale[2]. Une autre étude, menée par Salway et al. (2022) et publiée dans Social Science & Medicine montre que les pratiques de conversion religieuse sont fortement corrélées à des expériences d’abus, des diagnostics psychiatriques et des comportements suicidaires[3]. Ces données permettent de comprendre pourquoi certaines personnes LGBTQ+ cherchent à reconstruire un espace symbolique en dehors des institutions religieuses traditionnelles.
L’astrologie semble alors offrir une spiritualité sans hiérarchie ni jugement moral, une cosmologie malléable où chacun et chacune peut se projeter. Nancy Ammerman (2013) analyse cette tendance comme une manière de réinvestir la quête de sens, sans passer par les structures religieuses dominantes[4]. Mais il n’est pas évident que la présence de l’astrologie dans les discours s’accompagne d’une adhésion authentique, il y a d’autres dimensions au phénomène.
Introspection, codes communautaires et besoin de lien
L’astrologie ne se limite pas à une croyance : elle est aussi un langage, un jeu, un prétexte à l’introspection. Elle offre une matrice symbolique pour raconter son identité, sa sensibilité, ses relations. L’astrologie est devenue dans de nombreux milieux LGBTQ+ un marqueur culturel partagé et un langage identitaire structurant.
Mais l’effet de groupe, s’il renforce l’appartenance, peut aussi induire une pression implicite : il peut devenir à la fois nécessaire et gênant pour certaines personnes de feindre d’adhérer à des croyances astrologiques pour « faire partie du groupe ». Le rejet du scepticisme devient alors une nouvelle forme d’exclusion.
Illusions cognitives et faux savoirs
L’efficacité subjective de l’astrologie repose sur des mécanismes bien identifiés : l’effet Forer (1949), le biais de confirmation, ou la tendance à interpréter des coïncidences comme significatives. Ces biais donnent l’illusion d’une justesse, d’une révélation personnelle, alors qu’il s’agit d’adaptabilité psychologique[5].
Cela devient très problématique lorsque l’on commence à prendre des décisions importantes — relationnelles, professionnelles ou médicales — en se fondant sur une cosmologie arbitraire. Des travaux comme ceux de Pennycook et Rand (2018) montrent que l’adhésion à des croyances infondées est souvent liée à une moindre capacité de raisonnement analytique, et donc à une plus grande vulnérabilité face aux fausses informations[6]. Blackmore & Troscianko (1985) ont montré que la croyance en l’astrologie est souvent associée à une vision magique du monde et à une plus grande vulnérabilité aux pseudosciences[7].
Espaces ésotériques queer : entre émancipation symbolique et impasse épistémologique
Les pratiques magiques et ésotériques (Wicca, sorcellerie, paganisme) offrent aux personnes queer un espace de réinvention identitaire, de résistance aux normes et de réappropriation du pouvoir symbolique. Dans son mémoire de maîtrise, Martin Lepage écrit : « Le paganisme contemporain offre une alternative à la binarité du genre, en termes de représentation et de pratique religieuse, à celles véhiculées au sein de la culture judéo-chrétienne et dans les sociétés occidentales en général. » (Lepage, 2017, p. 104)[8]. Ces espaces valorisent la fluidité, la non-binarité et l’expérimentation identitaire, en rupture avec les modèles religieux traditionnels souvent exclusifs ou normatifs.
Subversion ou reconduction des stéréotypes ?
Certaines et certains astrologues queer, comme Alice Sparkly Kat, promeuvent une astrologie décoloniale, dégenrée, militante. Leur démarche consiste à détourner les symboles astrologiques pour critiquer l’ordre établi. Mais même dans ce cadre critique, les risques demeurent : essentialisation des traits de personnalité, simplification des dynamiques relationnelles, projection arbitraire de récits intimes sur des configurations planétaires.
Comme le rappelle Nancy Fraser (2001), la politique de reconnaissance n’est pas durable si elle repose sur des représentations fausses du réel. La subversion ne justifie pas la confusion entre subjectivité et vérité[9].
Un marché de la croyance
L’astrologie contemporaine est aussi une industrie. Les applications, les livres, les consultations, les coachings en ligne ciblent explicitement les jeunes, les femmes et les personnes LGBTQ+. Ce capitalisme spirituel répond à une demande de sens — mais en vendant de l’illusion. Il confond soin et croyance, empathie et superstition. Et plus les institutions traditionnelles échouent à inclure, plus ces marchés prospèrent. Là où les services publics devraient apporter reconnaissance, écoute et accompagnement, d’autres remplissent ce vide avec des récits séduisants mais infondés.
Conclusion : comprendre sans céder
Il est indispensable de comprendre pourquoi l’astrologie attire. Mais il est tout aussi indispensable de rappeler qu’elle ne dit rien de vrai sur le monde. Aucune revendication identitaire ou spirituelle ne justifie d’abdiquer l’exigence de vérité. Les croyances infondées ne sont pas inoffensives : elles affaiblissent les défenses critiques, brouillent le rapport au réel, et ouvrent la voie à toutes les dérives.
Mais au-delà de cette vigilance générale, il est crucial de souligner les dangers spécifiques qui guettent les personnes LGBTQ+. Leur marginalisation historique, l’accès limité à des ressources de santé mentale réellement inclusives, la méfiance légitime vis-à-vis des institutions et la quête identitaire constante créent un terrain favorable aux systèmes de croyance séduisants mais fallacieux. C’est précisément cette conjonction de vulnérabilités que ciblent, consciemment ou non, les industries de l’ésotérisme, les influenceurs mystiques et les marchands de sens.
Loin de leur offrir une véritable émancipation, ces croyances peuvent enfermer les individus dans des récits magiques, détourner des parcours thérapeutiques validés, ou encore générer des sentiments de culpabilité, d’impuissance ou de dépendance cognitive. Il ne s’agit donc pas simplement de combattre une erreur intellectuelle, mais de protéger des personnes concrètes contre des mécanismes d’exploitation symbolique et économique.
Cultivons le doute méthodique.
Acermendax
Références
[1] Pew Research Center. (2025, May 21). 3 in 10 Americans consult astrology, tarot cards or fortune tellers. https://www.pewresearch.org/religion/2025/05/21/3-in-10-americans-consult-astrology-tarot-cards-or-fortune-tellers/
[2] Goodwin, L., & Ruggiano, N. (2022). The Impact of Religious Trauma on the LGBTQ+ Community: A Systematic Review. University of Alabama Institutional Repository. https://ir-api.ua.edu/api/core/bitstreams/2ed055d9-bb8f-4b9a-a576-384b5c02f50d/content
[3] Salway, T., Ferlatte, O., Gesink, D., & Lachowsky, N. J. (2020). Prevalence of exposure to sexual orientation change efforts and associated sociodemographic characteristics and psychosocial health outcomes among Canadian sexual minority men. The Canadian Journal of Psychiatry, 65(7), 502–509. https://doi.org/10.1177/0706743720902629
[4] Ammerman, N. T. (2013). Spiritual but not religious? Beyond binary choices in the study of religion. Journal for the Scientific Study of Religion, 52(2), 258–278. https://doi.org/10.1111/jssr.12024
[5] Forer, B. R. (1949). The fallacy of personal validation: A classroom demonstration of gullibility. Journal of Abnormal and Social Psychology, 44(1), 118–123.
[6] Pennycook, G., & Rand, D. G. (2018). Lazy, not biased: Susceptibility to partisan fake news is better explained by lack of reasoning than by motivated reasoning. Cognition, 188, 39–50.
[7] Blackmore, S. J., & Trościanko, T. (1985). Belief in the paranormal: Probability judgements, illusory control, and the « chance baseline shift. » British Journal of Psychology, 76(4), 459–468. https://doi.org/10.1111/j.2044-8295.1985.tb01969.x
[8] Les pratiques magiques et ésotériques (Wicca, sorcellerie, paganisme) offrent aux personnes queer un espace de réinvention identitaire, de résistance aux normes et de réappropriation du pouvoir symbolique. Dans son mémoire de maîtrise, Martin Lepage écrit : « Le paganisme contemporain offre une alternative à la binarité du genre, en termes de représentation et de pratique religieuse, à celles véhiculées au sein de la culture judéo-chrétienne et dans les sociétés occidentales en général. » (Lepage, 2017, p. 104). Ces espaces valorisent la fluidité, la non-binarité et l’expérimentation identitaire, en rupture avec les modèles religieux traditionnels souvent exclusifs ou normatifs.
[9] Fraser, N. (2001). Recognition without Ethics? Theory, Culture & Society, 18(2-3), 21-42. https://doi.org/10.1177/02632760122051760
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