L’argument de l’Être nécessaire (et la Team PDF)

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La preuve par la contingence

 

Sur les réseaux sociaux, dans les forums ou les commentaires YouTube, un certain type de discours revient avec une insistance quasi mécanique. Il s’agit d’un argumentaire censé démontrer, de manière implacablement rationnelle, l’existence d’un « être nécessaire » — que ses promoteurs identifient immédiatement à (leur) Dieu. On a surnommé ceux qui le propagent la Team PDF, tant leur manière de s’exprimer donne l’impression qu’ils récitent tous un même script diffusé en boucle dans les cercles apologétiques (voir quelques exemples ici).

L’argument en question s’habille d’un formalisme logique et parfois mathématique qui peut, à première vue, impressionner. Il a l’allure d’une démonstration rigoureuse, prétendant établir la croyance en Dieu sur des bases purement rationnelles. Et pourtant, cette démonstration ne circule guère dans les sphères académiques ; elle ne fait l’objet d’aucune attention sérieuse dans les revues spécialisées en logique, en philosophie des sciences ou en mathématiques. Il s’agit d’une vieille lune d’Avicenne et de Thomas d’Aquin dont on n’a jamais tiré le moindre progrès dans les connaissances. Si une véritable preuve de l’existence d’un être nécessaire — au sens fort, démontrable — avait été trouvée, elle aurait suscité l’intérêt, sinon l’adhésion, des spécialistes. Elle aurait été discutée, débattue, commentée. Elle aurait laissé une trace dans les espaces où se construit la connaissance rigoureuse. Ce n’est pas le cas. Et ce simple fait, observable, devrait suffire à refroidir les enthousiasmes. Lorsqu’un raisonnement se diffuse dans les sphères militantes ou confessionnelles plutôt que parmi les experts, il y a lieu de se demander s’il ne relève pas d’une imposture intellectuelle.

Ce n’est ni nouveau ni rare : d’autres domaines connaissent des phénomènes comparables, qu’il s’agisse des pseudo-inventions sur l’énergie libre, des théories marginales sur le mouvement perpétuel ou des récits historiques révisionnistes.

Mais ne tirons pas de conclusion hâtive. Si nous voulons juger sérieusement cette démonstration de l’Être nécessaire, il faut faire l’effort de l’examiner avec honnêteté : la comprendre dans ses propres termes, en dégager les présupposés, en tester la robustesse logique, en évaluer les implications, après tout on l’a beaucoup vu circuler, y compris sous une version très proche appelée la preuve cosmologique. Doutons avec méthode.

 

La « démonstration »

Voici l’argument, qui se présente comme une démonstration par l’absurde (poser l’inexistence d’un être Nécessaire et parvenir à une absurdité qui prouverait que cet être existe).

  • A1 : il n’existe pas d’être nécessaire
    • P1 : tout est soit contingent soit nécessaire
    • P2 : chaque contingent a une cause extrinsèque
    • C1 : l’ensemble des contingents est formé de contingents, il aurait donc pu lui-même ne pas exister, il est donc lui-même contingent
    • C2 : il a donc une cause extrinsèque
    • C3 : or cette cause ne peut pas être contingente (car extrinsèque) or les impossibles n’existent pas, donc cette cause est nécessaire.
    • Or on avait supposé A1, donc on arrive à une contradiction.
  • Donc il existe un être nécessaire

 

Même en admettant la conclusion, l’argument ne spécifie pas ce qu’est cet être nécessaire. Rien n’indique qu’il doive s’agir d’une entité consciente, personnelle ou divine – contrairement à ce que suggèrent certaines interprétations théistes. Il pourrait tout aussi bien désigner une loi physique éternelle, une énergie primordiale ou un principe abstrait, vidant la notion de sa portée religieuse. Il est très important de souligner que si cette démonstration était valide, elle ne forcerait aucun athée à changer ses conceptions. Mais il n’est même pas utile de discuter ce point puisque l’argument, comme nous allons le voir, ne tient pas.

 

La fausse évidence de la dichotomie contingent/nécessaire

L’ensemble de l’argumentation repose sur la prémisse que « tout est soit contingent soit nécessaire ». Est contingent ce qui peut être ou ne pas être, ou être autrement qu’il n’est ; autrement dit, ce dont l’existence ou la nature n’est pas strictement déterminée et dont le contraire est possible. Par opposition, est nécessaire ce qui ne peut pas être autrement qu’il n’est, ou ce qui ne peut pas ne pas exister ; c’est-à-dire ce dont le contraire est impossible.

Cette division peut sembler évidente, mais elle n’est en réalité qu’une convention logique parmi d’autres possibles, héritée d’une tradition philosophique particulière. La zététique est quasiment construite sur le constat que les évidences qui s’imposent à nous peuvent être de solides illusions, et l’importance cruciale de la prudence méthodique qu’il doit nous inspirer. Alors examinons cette « évidence ».

Cette dichotomie trouve ses racines dans la philosophie scolastique médiévale, notamment chez Thomas d’Aquin, qui l’a systématisée pour ses propres besoins théologiques. Mais cette grille de lecture n’est ni universelle ni incontestable. Dès l’Antiquité, d’autres approches existaient, citons-en quelques-unes.

Les philosophes stoïciens, par exemple, développaient une conception du destin et de la nécessité qui ne correspond pas exactement à cette partition binaire. Pour eux, tout événement était à la fois nécessaire (dans le sens où il s’inscrit dans l’ordre cosmique) et naturel (dans le sens où il découle des propriétés des choses). Cette approche échappe à la rigidité de la distinction contingent/nécessaire.

Plus près de nous, Henri Bergson propose une perspective qui rend ces catégories moins opératoires. Dans « L’Évolution créatrice », il développe l’idée que la réalité est fondamentalement processuelle et créatrice. Pour Bergson, les catégories de contingent et de nécessaire sont des abstractions intellectuelles qui figent artificiellement le mouvement perpétuel de la vie. La réalité ne serait ni contingente ni nécessaire, mais créatrice de nouveauté imprévisible.

La philosophie orientale offre des perspectives déroutantes. La pensée bouddhiste, notamment dans sa version madhyamika (la « Voie du milieu ») développée par Nagarjuna, propose le concept de « coproduction conditionnée » (pratityasamutpada). Selon cette doctrine, tous les phénomènes émergent en interdépendance, sans essence propre, dans un réseau infini de relations. Cette perspective relationnelle, où les phénomènes sont dits ‘vides’ (shunya) d’existence autonome, semble incompatible avec une stricte division entre contingent et nécessaire.

Plus radicalement, des philosophes comme Richard Rorty ont contesté la pertinence même des questions métaphysiques. Dans « Philosophy and the Mirror of Nature » (1979), Rorty avance que les problèmes traditionnels de la philosophie, y compris la distinction entre contingent et nécessaire, sont des pseudo-problèmes générés par un vocabulaire obsolète. Il propose d’abandonner ces catégories au profit d’une approche pragmatiste centrée sur l’utilité des concepts.

Sans forcément adhérer à ces lignes de pensée, on est forcé de constater avec elles que la partition binaire entre contingent et nécessaire, loin d’être une évidence rationnelle, constitue un choix théorique particulier, historiquement situé et philosophiquement contestable. L’argument de l’être nécessaire traite cette convention comme un fait de nature, alors qu’elle n’est qu’un outil conceptuel parmi d’autres, avec ses avantages et ses limites.

 

Se contenter de l’existant

L’univers existe. C’est notre point de départ, non pas un postulat arbitraire, mais un constat brut, fondamental. Nous sommes là, au sein de ce réel, et tout discours spéculatif qui prétend s’élever au-dessus de cette évidence doit commencer par s’y ancrer. Avant même de se demander pourquoi l’univers existe ou s’il aurait pu en être autrement, il est rationnel — et même prudent — de reconnaître d’abord ce fait élémentaire : l’univers existe, avec ses lois, ses objets, ses structures. Il est rempli de choses qui existent effectivement, et non de possibilités abstraites ou de simulacres métaphysiques.

Nous pouvons bien sûr imaginer des univers alternatifs, avec des lois différentes, des constantes physiques modifiées, ou même une absence totale d’univers. Mais imaginons-nous réellement ces alternatives, ou projetons-nous simplement des mots sur des abstractions que notre esprit ne parvient pas à saisir ? J’estime qu’il ne faut pas écarter la possibilité que notre capacité à concevoir pleinement des univers contrefactuels soit pour l’essentiel une illusion. Ludwig Wittgenstein (Tractatus Logico-Philosophicus, 1921) soulignait déjà que les limites de notre langage définissent les limites de notre monde. Or, nos « univers alternatifs » sont-ils autre chose que des réarrangements de concepts issus de notre univers ?

Dans les faits, nous n’avons pas accès à une perspective méta-universelle qui nous permettrait de juger si le réel aurait pu être autre qu’il est. Est-il raisonnable de postuler la contingence d’un monde que nous n’avons jamais observé en dehors de lui-même ?

À ce titre, la distinction entre ce qui est dit contingent (qui pourrait ne pas être) et ce qui serait nécessaire (qui ne pourrait pas ne pas être) peut sembler séduisante d’un point de vue logique ou linguistique, mais elle devient hautement spéculative dès qu’on tente de l’appliquer à l’univers dans son ensemble. Car enfin, si l’univers fonctionne selon un déterminisme absolu — ce que certaines approches physiques, notamment dans la tradition de Laplace, ou encore dans certaines interprétations du bloc-univers en relativité, laissent entrevoir — alors il se pourrait fort bien que tout ce qui existe ne pouvait pas ne pas exister. Dans cette hypothèse, la nuance entre nécessaire et contingent s’effondre, non pas pour des raisons dialectiques, mais pour des raisons ontologiques.

Autrement dit, si tout est déterminé par les lois de la nature, les conditions initiales, et la structure même de l’espace-temps, alors la catégorie du « possible autrement » perd sa pertinence. Le réel devient, en ce sens, nécessaire — non pas au sens métaphysique d’un Être absolu posé comme cause de soi, mais au sens d’une totalité déterminée, sans extériorité, sans alternative accessible, sans pourquoi final.

 

Rappel à la parcimonie

Pourquoi compliquer ce qui peut être simple ? Si l’univers existe, et que tout ce que nous y observons relève de processus naturels (même imparfaitement compris), invoquer un « être nécessaire » ou une « cause première » revient à ajouter une couche spéculative superflue. Le principe de parcimonie (ou rasoir d’Ockham), largement utilisé en science et en philosophie analytique selon lequel « Les entités ne doivent pas être multipliées au-delà du nécessaire » (William d’Ockham, Summa Logicae) est un garde-fou ontologique que nous devrions respecter. Le fait qu’il nous vienne d’un moine franciscain est d’une ironie savoureuse.

Hors de la philosophie, des physiciens comme Sean Carroll défendent cette approche. Dans The Big Picture (2016), il soutient que l’univers pourrait très bien être sa propre explication. Le recours à une cause première ou nécessaire est une réponse mal faite à une question mal définie : dans un univers qui n’a peut-être pas de frontière dans le temps, parler d’une cause est peut-être simplement inapproprié.

En somme, tant que nous n’avons pas démontré que l’univers aurait pu réellement être autre qu’il est — ce qui exigerait un accès à une forme de « méta-réalité » hors de notre portée —la plus grande rigueur intellectuelle consiste probablement à ne pas raisonner à partir de prémisses douteuses. Car on pourrait admettre que (a) l’univers existe sans cause identifiable, et (b) que sa nature déterminée invalide la contingence. Dès lors, les débats sur l’être nécessaire deviennent des exercices verbaux, non des enquêtes sur le réel. C’est la thèse de Willard Van Orman Quine (Two Dogmas of Empiricism, 1951) : certaines questions métaphysiques sont des artefacts linguistiques, nées de distinctions arbitraires ; une perte de temps !

Plutôt que de chercher une cause transcendante à l’univers, il serait sage de nous en tenir à appuyer notre pensée sur ce qui est. Cette humilité épistémique rejoint le naturalisme méthodologi­que défendu par David Hume (Dialogues sur la religion naturelle, 1779) et aujourd’hui par la majorité des philosophes des sciences.

 

Le sophisme de composition

Revenons à la démonstration de la Team PDF pour constater qu’elle s’effondre dès son premier mouvement, car elle repose sur une erreur logique fondamentale.

Le sophisme de composition consiste à attribuer à un tout les propriétés de ses parties, sans justification. Il revient à dire : « chaque pièce de ce puzzle est petite, donc le puzzle est petit » — ce qui peut être vrai, mais n’est pas logiquement nécessaire. Je pourrais vouloir déclarer « chaque atome dans mon corps est invisible à l’œil nu, donc je suis invisible », ce qui est manifestement faux. Une collection d’éléments ayant une propriété donnée ne fait pas de cette propriété une caractéristique de l’ensemble, sauf démonstration contraire.

Quelques exemples supplémentaires peuvent être utiles.

  • Chaque plume dans un sac est légère. Peut-on en conclure que le sac de plumes est léger ? Non, car un sac rempli de milliers de plumes peut être très lourd.
  • Chacun des joueurs d’une équipe est excellent individuellement. Peut-on affirmer que l’équipe sera forcément excellente ? Non, car la performance collective dépend d’autres facteurs comme la cohésion ou la stratégie.
  • Le cerveau humain produit une conscience. Mais peut-on affirmer que les neurones sont conscients, ou que les composants de ces neurones soient conscients ? La conscience et une propriété qui apparait à un certain niveau d’organisation.
  • Une masse d’air à 20°C est composée de molécules dont aucune n’a de « température » ; cette notion n’a de sens qu’à l’échelle statistique.
  • La blague de l’Emmental nous disait déjà tout. Plus il y a d’Emmental, plus il y a de trous. Plus il y a de trous, moins il y a d’Emmental. Donc, plus il y a d’Emmental, moins il y a d’Emmental. Ce raisonnement absurde montre bien la confusion entre la propriété des parties (les trous) et celle du tout (le fromage).

 

Pour finir de mettre en évidence l’aporie de la démonstration de l’être nécessaire, imaginons un petit village composé de villageois, appelons le V. Chaque habitant de ce village a des sentiments, chacun a une carte d’électeur, chacun a une maman. Ce sont des prédicats attribuables à tous les villageois pris individuellement. Mais peut-on dire que le village lui-même a des sentiments ? Qu’il vote ? Qu’il a une mère ? Vous savez que non. Le village, en tant qu’ensemble ou abstraction, n’éprouve rien, ne vote pas, n’est pas né d’une autre entité. Il est constitué d’éléments porteurs de ces caractéristiques, mais ne les partage pas nécessairement.  On pourrait aussi imaginer qu’actuellement tous les villageois qui composent V sont nés un jeudi ; on serait dans l’erreur si l’on concluait que le village est nécessairement lui aussi né un jeudi. Et dans l’autre sens, il serait insensé d’accoler aux villageois des attributs qui appartiennent au village, comme un taux de natalité, des règles collectives, une économie, etc.

L’argument de l’Être nécessaire commet la même erreur lorsqu’il dit que si chaque chose de l’univers est contingente [et nous avons déjà dit que ce prédicat avait quelque chose d’arbitraire], alors l’univers dans son ensemble l’est aussi. C’est une projection illégitime. La contingence, même si on la considère comme une propriété réelle, n’est pas nécessairement transférable à l’ensemble. Elle nécessite une démonstration spécifique, qui fait ici cruellement défaut.

David Hume portait déjà cette critique dans ses Dialogues sur la religion naturelle (1779), où il attaquait vigoureusement l’idée que l’univers doive nécessairement avoir une cause, sous prétexte que ses parties en ont une. Il soulignait qu’il n’est pas absurde d’envisager l’univers comme un fait brut, sans cause extérieure. Dans la même veine, Bertrand Russell rejette l’exigence d’une explication ultime pour l’existence du tout. Il a notamment affirmé, lors de son débat avec Copleston en 1948, que « l’univers est simplement là, et c’est tout », marquant une rupture nette avec la tradition métaphysique du principe de raison suffisante.

Nous devons comprendre que l’habitude d’associer à chaque existence une cause ne justifie en rien l’idée qu’il doive y avoir une cause à l’ensemble. Il faudrait prouver que la propriété s’applique au tout, et non l’assumer sans examen critique.

 

Une imprudence cosmologique

Il est frappant de constater à quel point les démonstrations métaphysiques de l’Être nécessaire, aussi abstraites et formellement séduisantes soient-elles, reposent sur des prémisses cosmologiques naïves et prétentieuses. Elles prennent pour acquis une connaissance de l’univers que les physiciens professionnels n’oseraient pas revendiquer.

Les cosmologistes ne parlent pas de « l’univers » au sens absolu et totalisant que suppose souvent la métaphysique. Dans leurs travaux, ils parlent plus sobrement de l’univers observable, c’est-à-dire la portion du cosmos dont la lumière a eu le temps de nous parvenir depuis le Big Bang, soit un rayon d’environ 46,5 milliards d’années-lumière qui contient tout ce que nous pouvons décrire, mesurer et modéliser. Au-delà, il est possible – et même probable selon certains modèles – qu’existent d’autres régions, d’autres structures, voire d’autres univers, mais nous n’avons aucun accès empirique à ces hypothèses. Comme le dit le physicien états-unien Lee Smolin : « Nous devons envisager la possibilité que les lois de la nature évoluent dans le temps et puissent ne pas être les mêmes partout dans l’univers » (Smolin, 2013)[1].

Prétendre trancher ces questions en quelques lignes de syllogisme, sans tenir compte des zones aveugles de la connaissance cosmique, relève donc moins d’une démarche rationnelle que d’un saut de la foi. Les démonstrations de l’Être nécessaire, loin de s’inspirer de la prudence scientifique, s’aventurent sans scrupule dans des territoires spéculatifs où nos instruments d’observation, comme notre vocabulaire conceptuel, deviennent inopérants. Elles prétendent parler de l’univers dans son entier, voire de ce qui pourrait exister au-delà de l’univers — comme si cette extension hors de tout domaine d’observation empirique n’était qu’une formalité rhétorique. Ces démonstrations péremptoires trahissent une grande désinvolture face à la complexité réelle du cosmos — une désinvolture que ni les physiciens ni les philosophes des sciences ne se permettent. Mais ce n’est pas tout.

 

Une ignorance des sciences

Il y a beaucoup d’imperfections dans l’argument de la contingence pour un être nécessaire. Puisque la contingence implique l’existence d’une cause extrinsèque, on retombe exactement dans la situation de l’argument cosmologique (ou du kalām), qui s’appuie sur une prémisse apparemment frappée au coin du bon sens : « tout ce qui a commencé d’exister doit avoir une cause à son existence ».

Notons que cet énoncé est une forme améliorée de « tout ce qui existe a une cause » qui posait problème, car de cette assertion on peut conclure que Dieu, qui est censé n’avoir pas de cause… n’existe pas : un contre-son-camp magistral que désormais les prédicateurs commettent rarement (mais des surprises arrivent de temps en temps).

Cette idée, séduisante de simplicité, est souvent accolée à une référence rapide au Big Bang, qu’on brandit comme preuve ultime que l’univers a bel et bien « commencé » à exister, et qu’il lui faut donc — selon cette logique — une cause, extérieure, nécessaire, éternelle : Dieu, bien entendu. Mais cette association entre cosmologie moderne et métaphysique ancienne est profondément malhonnête. Elle trahit d’abord une ignorance manifeste de ce que dit réellement la science contemporaine, et surtout de ce qu’elle ne dit pas.

Contrairement à ce que l’on entend souvent, la théorie du Big Bang n’est pas une théorie sur le commencement absolu du cosmos. Elle décrit un état très particulier de l’univers visible, extrêmement dense et chaud, il y a environ 13,8 milliards d’années, et l’évolution de cet état jusqu’à nos jours. Cette théorie est remarquablement bien étayée empiriquement — par la découverte du fond diffus cosmologique, la distribution des galaxies, la nucléosynthèse primordiale — mais elle ne constitue en rien une réponse définitive à la question des origines ultimes. Les cosmologistes sont unanimes : nous ignorons tout de ce qui a pu précéder cette phase, s’il y a eu un avant, ou même si la notion d’avant a un sens (voir Stephen Hawking, A Brief History of Time, 1988 ; Sean Carroll, The Big Picture, 2016). Demander ce qu’il y avait « avant » le Big Bang pourrait n’avoir pas plus de sens que de chercher ce qui se trouve au nord du pôle Nord.

Or donc, le Big Bang est une frontière théorique, une singularité dans nos équations, une ligne d’horizon conceptuelle que nos modèles ne franchissent pas. Et l’argumentaire théiste travestit cette incertitude en « la science est d’accord avec nous, donc nous savons ».

Le plus ironique est que nombre de physiciens ont justement exploré des modèles alternatifs dans lesquels le Big Bang n’est pas un « commencement absolu ». Il peut s’agir d’un rebond quantique, d’une transition de phase dans un univers plus vaste, ou d’un état éternel fluctuant dans lequel des univers comme le nôtre émergent spontanément — des modèles comme ceux proposés par Roger Penrose avec la cosmologie cyclique conforme, ou encore Sean Carroll et Jennifer Chen avec leur hypothèse d’un univers sans direction temporelle privilégiée. Aucune de ces propositions n’a encore tranché le débat, mais elles partagent une chose essentielle : elles ne placent pas un point final à la causalité ou à l’explication. Elles élargissent le champ des possibles sans céder à la tentation du surnaturel.

On comprend alors que la démonstration de l’Être nécessaire repose sur une confusion : elle transforme une hypothèse cosmologique — celle d’un commencement — en prémisse logique inévitable, et en tire ensuite une conclusion métaphysique absolue. C’est une forme d’anachronisme intellectuel, où l’on convoque la physique moderne comme faire-valoir d’une intuition préscientifique, sans jamais prendre au sérieux les nuances et les incertitudes qui caractérisent les travaux cosmologiques.

 

Le livre : Dieu, la contre-enquête

Pour une analyse générale des argumentaires apologétiques et une réflexion sur les ‘raisons de croire », voire mon livre.

 

Une acausalité empirique — Tout fout le camp !

On peut aller encore un peu plus loin dans la démolition des prétentions de cette pseudo-démonstration.

Elle s’appuie sur une intuition vieille comme la pensée humaine : « rien ne vient de rien ». C’est une idée profondément enracinée dans notre perception du monde — un monde dans lequel les objets tombent parce qu’on les pousse, les vitres se brisent parce qu’on les frappe, les maladies surviennent après une infection. Dans ce paysage causal bien rangé, il semble naturel d’exiger une cause à chaque chose, et même au Tout. Ce que les apologètes appellent alors une « cause première », ou un « être nécessaire », censé expliquer l’existence même de l’univers.

Mais la science a bouleversé ce confort intellectuel. Le physicien canadien Lawrence Krauss, dans A Universe from Nothing (2012), souligne que l’idée même de « cause » peut devenir sans objet à l’échelle quantique ou cosmologique.

Commençons avec le vide quantique. Contrairement à l’intuition, le vide n’est pas un néant. Il est, comme l’expliquent les physiciens, un espace où règne une agitation permanente, traversée par des fluctuations quantiques. Ce champ d’énergie de fond donne lieu à des événements étranges : des paires de particules apparaissent, existent brièvement, puis s’annihilent. On parle alors de création spontanée de particules virtuelles. Le phénomène est bien documenté, notamment dans le cadre de l’effet Casimir et de la radiation de Hawking autour des trous noirs. Or, ces apparitions ne sont précédées d’aucune cause locale identifiable. Elles résultent d’une indétermination ontologique, pas seulement d’une ignorance épistémique.

Autre exemple plus frappant : la désintégration radioactive. Prenons un atome d’uranium, instable. À un moment donné, il va se désintégrer en émettant une particule. Quand exactement ? Personne ne peut le dire. Et surtout : il n’y a pas de cause identifiable à ce moment précis de désintégration. Il faut insister, cette acausalité ne relève pas de paramètres cachés ou mal compris, d’une limitation dans nos dispositifs de mesure, d’une lacune théorique comme on le supposait généralement à l’époque d’Einstein et des débuts de la mécanique quantique. Non : le phénomène est juste fondamentalement aléatoire.

Ce point a été soigneusement exploré puis confirmé par une batterie d’expériences, notamment celles relatives aux inégalités de Bell. Ces expériences, menées dès les années 1980 (notamment par Alain Aspect et son équipe à l’Institut d’Optique d’Orsay), ont permis d’écarter toute interprétation de la physique quantique fondée sur des variables cachées locales. Autrement dit : il n’existe pas de causes secrètes dissimulées dans les entrailles des atomes qui détermineraient leur comportement. La non-localité quantique impose un cadre où certains événements ne sont pas causés de manière classique. Ils ne le sont pas du tout.

Comme l’explique le physicien britannique David Tong, les fluctuations quantiques du vide émergent nécessairement des principes de la théorie quantique des champs, sans mécanisme causal sous-jacent (2009)[2]. Le physicien Sean Carroll, professeur à Caltech, résume cette idée avec clarté : « L’univers n’a aucune obligation de se comporter de manière conforme à nos intuitions. Rien ne justifie de postuler que tout doit avoir une cause. »[3] Notre intuition causale, forgée dans un monde macroscopique et à basse énergie, devient un guide trompeur quand on l’applique à l’univers primordial.

 

Cette réalité physique porte un coup sévère à l’argument de l’être nécessaire. Si des processus sans cause peuvent se produire à l’échelle quantique, pourquoi l’univers dans son ensemble aurait-il besoin d’une cause ? La distinction entre « contingent » et « nécessaire » apparaît alors pour ce qu’elle est : une catégorisation métaphysique déconnectée des connaissances empiriques. Dans ces conditions, bâtir un raisonnement métaphysique qui exige une cause pour tout ce qui commence d’exister, sans faire cas des découvertes les plus fondamentales de la physique contemporaine, revient à se cramponner à une vision obsolète du monde. L’erreur logique se double d’une imposture : se réclamer de la science la plus pointue tout en refusant de mettre à jour son logiciel conceptuel.

Peut-être découvrirons-nous un jour que l’univers a effectivement eu un commencement absolu. Peut-être au contraire comprendrons-nous qu’il existe de toute éternité sous une forme ou une autre. Mais dans l’état actuel de nos connaissances, prétendre trancher cette question par un argument métaphysique relève de l’obscurantisme.

 

Pour conclure

Reprenons. La prétention à démontrer l’existence d’un être nécessaire à partir de la contingence de l’univers repose sur une extrapolation indue de nos observations locales à un tout inobservable et peut-être même inconcevable. Elle prend une interprétation simpliste du Big Bang pour une vérité établie. Enfin, à la dichotomie arbitraire entre nécessaire et contingent, s’ajoute un sophisme de composition. C’est l’échec assuré.

Vouloir combler ce vide logique par l’introduction d’un être surnaturel épaissit le mystère au lieu de l’éclaircir. Il faudrait donc renoncer à cet argumentaire dont la défectuosité lui interdit d’être un instrument de vérité, et qui met celui qui l’utilise en péril d’être au service d’idées mauvaises. Ce n’est pas dans une vaine et médiocre métaphysique qu’on pourra fonder sainement la croyance dans le Dieu des religions, celui qui serait doté d’un esprit, d’une volonté, et qui aurait révélé son existence -et certains de ses projets- à des humains dont on peut espérer qu’ils sauront nous le prouver, car s’ils détiennent la vérité, nous devons vouloir les croire.

Mais la Team PDF est-elle en mesure d’accepter un démenti à sa mauvaise rhétorique et de s’attacher à la vérité plus qu’à ses croyances ?

 

Acermendax

 

Une vieille réflexion sur un sujet connexe :


[1] Smolin, L. (2013). Time Reborn: From the Crisis in Physics to the Future of the Universe. Houghton Mifflin Harcourt.

[2] Tong, D. (2009). Quantum Field Theory, p.12. Cambridge University Press.

[3] Carroll (2016), The Big Picture

8 réponses
  1. YogiYogui
    YogiYogui dit :

    Excellente synthèse. Reste accessible tout en mobilisant des arguments de fond tirés de disciplines très diverses. Ouvre des tas de portes à ceux qui voudront aller plus loin. Très fort.

    Répondre
  2. Chnzz
    Chnzz dit :

    Catastrophique, entre les erreurs de concepts , les citations de philosophes hors sujet ; (hume et quine n’ont jamais renié l’existence dieu ni la non nécessité de métaphysique) c’est pareil pour le concept de Bergson il n’a jamais dans son livre aborder la question ou la critique des concepts ontologique en eux même il a parler de l’utilisation intellectuelle de ces termes tu as fait un hors sujet. Ensuite on continue avec la citation hasardeuse d’un physicien ( vulgarisateur au passage ) pour démontre un argument qui nécessite non pas un avis appuyé par quelqu’un qui ne traite que de ce qui empirique vérifiable , mais de quelqu’un qui maîtrise la logique, ou la métaphysique ( il a d’ailleurs lui même dit à ce sujet : “Nous n’avons aucune raison scientifique de supposer une cause.
    Mais nous n’avons aucune preuve définitive qu’il n’y en a pas non plus.” ). Évidemment on ne fait pas de recette de cuisine à partir d’une notice pour réparer un lave-vaisselle donc citer des physiciens pour démontré la non existence de dieu c’est pas crédible méthodologiquement. Nous n’allons pas non plus souligner toutes les erreurs de logiques faites , et la vulgarisation total du sujet. Pour résumer ce qui est écrit à travers toute cette réthorique en barre : « “Si je pose deux trucs que je ne démontre pas,
    alors je peux mépriser tous ceux qui cherchent à démontrer le contraire.” En tout cas très instructif si un lycéens cherche à s’inspirer pour rédiger sa première dissertation de philo, car force est de l’admettre ce qui est maîtrisée ici c’est bien de lâcher un auteur à chaque paragraphe sans aucun rapport démontrer juste pour faire le taff, digne d’une rigueur académique demander en secondaire !

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    • Vharyn
      Vharyn dit :

      Super jean-kevin mais sinon t’as des arguments ? Des sources peut-être ? Tu parles de sophismes, tu peux dire lesquels et où ?

      « Nous n’avons aucune raison scientifique de supposer une cause.
      Mais nous n’avons aucune preuve définitive qu’il n’y en a pas non plus ». Oui, je vois pas où est ton argument là dedans. T’as compris que Mendax n’ aucunement dit qu’on avait la preuve définitive de quelque chose ? Si t’as bien lu l’article, il dit même le contraire à la fin. La seule chose qu’il affirme au final c’est que la démonstration de l’être nécessaire ne prouve absolument pas l’existence de dieu.

      D’ailleurs tu ne réponds pas à tous les arguments. Quelque chose à dire sur les apparitions spontanées dans le champ quantique ou la désintégration radioactives aléatoires ? Non ?

      Répondre
  3. Jed
    Jed dit :

    La religion est-elle l’apanage ou le synonyme de mauvaise foi ?
    Certainement un mélange subtil des deux mon capitaine…

    Répondre
  4. LeMoldu
    LeMoldu dit :

    La meilleure preuve de l’existence de Dieu, c’est Mendax.
    Aussi brillant en biologie qu’abyssalement mauvais en philosophie (oui, même en philosophie des sciences, donc en méthodologie et en épistémologie – couine). Aussi à l’aise pour parler d’ADN que complètement perdu dès qu’il s’agit de causalité, de nécessité ou de modalité. Être aussi instruit et aussi obtus à la fois, c’est un miracle. Ce n’est pas un homme : c’est un paradoxe incarné. Merci, vraiment.

    Et ce qui est merveilleux, c’est que je t’enseigne.

    Non pas directement, mais à travers toi : j’enseigne l’épistémologie et la philosophie des sciences. Et grâce à ton article, j’ai du travail pour un moment. Il est une mine d’or pédagogique. Tous les biais cognitifs classiques sont là, toutes les erreurs de raisonnement qu’on analyse en cours, en situation réelle, appliquées avec une assurance confondante. Un cas d’école.

    Quelques joyaux à exposer à mes étudiants :

    1. Sophisme de l’homme de paille : tu caricatures la Tertia Via de Thomas d’Aquin pour mieux la démonter. Tu prétends qu’il saute directement de la contingence des choses à « Dieu existe », alors qu’il établit une distinction claire entre être contingent, être nécessaire, et être nécessaire par soi. Lire cinq pages de la Summa aurait suffi.

    2. Syndrôme de Dunning-Kruger en philosophie : tu maîtrises la biologie, donc tu te crois compétent en métaphysique. Sauf que tu raisonnes sur des concepts dont tu ignores l’histoire, la portée et les raffinements contemporains.

    3. Confusion entre modalité épistémique et modalité ontologique : tu crois que l’incertitude en physique quantique invalide le principe de raison suffisante, sans même t’apercevoir que tu confonds l’ignorance humaine d’une cause avec l’absence ontologique de cause.

    4. Croyance scientiste non interrogée : tu refuses toute légitimité à la métaphysique… sauf quand tu l’utilises toi-même sans le savoir, pour poser des questions sur la nécessité, la loi, la causalité. Tu es un métaphysicien refoulé, Mendax. Le M. Jourdain de l’ontologie.

    5. Erreur de composition : tu évacues d’un revers de main tout passage des propriétés des parties à celles du tout, sans même envisager que certaines propriétés, comme « être composé d’argile », « avoir une masse », ou « être causé », peuvent être transférées.

    6. Appel à l’ignorance : tu dis que la démonstration de l’être nécessaire ne prouve pas Dieu. Très bien. Mais tu oublies que Thomas ne s’arrête pas là : il en déduit progressivement les attributs, en mobilisant des principes logiques et ontologiques que tu n’abordes jamais.

    Et que dire des commentaires… Le cortège des zélateurs est toujours là, prompt à réciter des mantras rationalistes, sans même s’apercevoir qu’ils confondent l’ironie de bistrot avec la rigueur argumentative. L' »esprit critique » ? En RTT dès qu’il s’agit de vérifier ce que le gourou a réellement lu. Vous êtes dans une chapelle mentale. Vous ne critiquez pas : vous acclamez. Mendax s’interroge-t-il un peu sur l’influence qu’il exerce sur sa communauté ? J’espère. Parce qu’à ce stade, je préfère encore un athée con à un croyant con : au moins, le second n’a pas toujours la prétention de faire passer son opinion pour de la méthode. Là, c’est une mise en place d’une attitude quasi religieuse. 😀

    Tenez, quelques perles :

    – « Super jean-kevin mais sinon t’as des arguments ? » : voilà, la pensée à son sommet.
    – « La religion est-elle l’apanage ou le synonyme de mauvaise foi ? » : niveau café du commerce.
    – « Quelque chose à dire sur les apparitions spontanées dans le champ quantique ? » : oui (petite chose), relis l’entrée « modalité » dans la Stanford Encyclopedia et reviens.

    Finalement, argumenter avec un pseudo-sceptique scientiste, c’est un peu comme jouer aux échecs avec un pigeon : il renverse les pièces, chie sur l’échiquier, puis parade en croyant qu’il a gagné. Et il a sa fanbase pour l’applaudir.

    Aura-t-il la demi-habileté de publier ce commentaire ? Ce serait déjà un petit pas vers la lucidité. Mais je n’y crois guère. La seule chance qu’il prenne un jour conscience de ses biais serait qu’on le gifle, amicalement, mais fermement, avec un bon manuel d’épistémologie.

    Et si un couillon de commentateur tente de savoir si je suis croyant ou non, c’est magnifique : on est probablement en plein ad hominem. Ça n’a strictement aucun rapport avec le roquefort. Quand j’explique pourquoi le darwinisme est aujourd’hui le meilleur modèle explicatif de la situation évolutive, je n’ai pas besoin de le faire en prenant l’hypothèse que défend Ray Comfort et montrer a tort. Le fait qu’un imbécile attaque la caricature d’une position ne suffit pas, ‘faut chercher la bonne. Vous devriez réviser vos classiques…

    D’ailleurs, puisque nous en sommes à parler de Darwinisme : il y a des années, j’avais lu ton bouquin sur le sujet. Je l’avais trouvé franchement mauvais, indigent même. Je l’ai dit dans les commentaires à l’époque. Tu avais été OUTRÉ, scandalisé que je puisse te juger avec si peu de révérence, et tu avais décrété que j’étais de mauvaise foi et méchant. Ben non, désolé. Disons juste que, contrairement à toi, j’évite d’écrire des livres sur des sujets que je ne maîtrise pas à fond.

    Mais bon. Je renouvelle mes félicitations. Bravo. Sincèrement. Ton article, Mendax, est un chef-d’œuvre involontaire. Un hommage par le contre-exemple à tout ce que la philosophie essaie de défendre : la clarté, la rigueur, l’honnêteté intellectuelle. Tu es, malgré toi, un formidable outil pédagogique. Une bénédiction pour mes cours.

    Continue. Je compte bien te citer, anonymement, par charité, à la rentrée prochaine.

    J’applaudis encore !

    M.

    Répondre
      • LeMoldu
        LeMoldu dit :

        Merci de ton inquiétude, Mendax. Mes élèves, eux, savent qu’insinuer que l’auteur d’un argument est imaginaire ne réfute en rien ledit argument. C’est une base en logique, visiblement encore hors de portée pour certains vulgarisateurs. J’avais anticipé qu’on me colle l’étiquette de croyant (je préfère celle de panpsychiste, pour être honnête), mais pas qu’on nie jusqu’à l’existence de mes étudiants. Original, je le reconnais.

        C’est pratique, ceci dit : ironiser permet d’éviter de répondre. Tes lecteurs auront noté le silence complet sur les objections précises, les sophismes relevés, les confusions méthodologiques (ou pas, d’ailleurs: ça confirme les dégâts). Ton esquive est habile, mais révélatrice.

        Je reconnais un mérite à ton travail (vraiment, je suis honnête) : ton engagement contre la pseudo-science sur les cas Grimault ou Aberkane, voire sur la mémoire de l’eau ou autres débilités homéopathiques est salutaire. Mais à côté de cela, le reste de ton influence est délétère. Tu fais mine de défendre l’esprit critique, mais tu as surtout façonné une communauté de moqueurs, sûrs d’eux, sans rigueur réelle. Tu as formé des suiveurs plus prompts à ridiculiser qu’à réfléchir.

        Ton livre sur le darwinisme m’avait déjà alerté : une succession de slogans là où d’autres (comme Guillaume Lecointre) parviennent encore à enseigner le cadre et les limites de la méthode scientifique. C’est ton point aveugle : tu n’interroges jamais ce que tu présupposes. Et sans prise de recul, on ne transmet pas l’esprit critique, on produit des scientistes mécaniques.

        Je vois les effets : étudiants persuadés que la science ne repose sur rien d’autre qu’elle-même, incapables de formuler une question sur les fondements de leur méthode. C’est pour ça que je préfère un croyant con à un athée con: au moins, pour le premier, on peut se dire « ah mais c’est normal, c’est dû à sa religion ». Pour taper sur la pseudo-science, il y a du monde. Pour réfléchir aux conditions de possibilité de la science, plus personne. Et toi, tu entretiens ce vide.

        Et lorsque quelqu’un formule une critique argumentée ? Aussitôt classée dans les tiroirs « woke », « sciences sociales » ou autres étiquettes-écran. C’est triste. Tu crois cultiver des esprits libres, tu récoltes des réflexes conditionnés.

        Tu te dis que ce commentaire est acerbe : il est surtout exact. Tu t’affiches en défenseur de la pensée rationnelle, mais refuse toute remise en cause. Et dans les commentaires ? Toujours les mêmes mantras, les mêmes ironies de comptoir, jamais un mot sur les vrais enjeux. L' »esprit critique » ? Il prend ses RTT dès qu’il s’agit de vérifier ce que le gourou a réellement lu. Vous ne critiquez pas : vous acclamez. Mais l’essentiel est sauf : les commentaires étant validés, tu as le dernier mot. Et la communauté t’en remercie… de les encourager.

        Presque du niveau de Psyhodelik… sauf que toi, tu devrais savoir mieux faire. T’es pas un serbe ignorant et inculte, t’as un doctorat et tu sais réfléchir, merde!

        M.

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