« L’ADN poubelle », ça existe ?
Emission enregistrée en direct le 22 avril 2025.
Invités : Patrick LAURENTI & Didier CASANE
Editorial
La nature est fascinante, et on peut s’émerveiller à l’infini de l’exquise délicatesse du vol des libellules, du ballet incroyable du trafic intracellulaire, de la majestueuse masse des séquoia, de la structure en double hélice du quasi cristal non périodique le long duquel peut se lire un code qui orchestre la vie elle-même, partout sur terre. S’il y a UNE molécule championne du monde de swag, c’est l’ADN. Le charisme biochimique incarné.
Et vous en avez en vous, cher spectateur. Cet ADN il est au cœur de toutes vos cellules (on ne pinaillera pas avec les globules rouges ce soir), et il vous est propre. Aucun autre organisme n’a exactement la même séquence que vous. Et ça aussi c’est stylé, parce que l’hémoglobine de ces fichus globules rouges est la même chez tous les humains et chez la plupart des animaux, et c’est la même chose pour nos protéines ou nos phospholipides : des molécules génériques, des briques de Lego qu’on retrouve ailleurs, chez le platane ou la bactérie qui donne la gastro – mais votre ADN, il est à vous.
Et il est formidable. Il a une double hélice absolument remarquable, des zones promotrices tout à fait sexy, des centromères que j’ose à peine décrire. C’est fantastique toute cette perfection. C’est magnifique ce programme sans faille qui vous permet d’être vous ! Vous êtes beaux !
Peut-être me suis-je laissé emporter par mon enthousiasme et le fantasme finalement assez banal d’une nature parfaite, où tout s’organise pour le mieux dans une harmonie de chaque instant, parce qu’une telle image ne fonctionne pas très bien avec celle d’un ADN poubelle, de noyaux cellulaires remplis ras la gueule de plus de 95% de séquences inutiles que nous répliquons bêtement des milliards et des milliards de fois au cours de notre vie, et que nous transmettons, bardés de mutations supplémentaires, à la génération suivante qui va devoir faire avec ce gaspillage complètement dingue et ainsi de suite… Comment fait-on, quand des chercheurs nous disent que c’est un tel bordel au niveau de chacune de nos cellules, pour garder confiance en soi, conserver une bonne image de nous-mêmes et retrouver la joie naïve d’être transi d’émotion par un bourgeon qui s’ouvre sous la rosée alors que lui-même est farci de séquences copiées dans tous les sens et d’une quantité phénoménale d’activité cellulaire au service d’un ADN parasite, qui ne sert à rien, comme un doctorat de sciences de gestion de Paris Saclay.
On a appelé Junk DNA, (ou ADN poubelle) la très grande majorité de notre matériel nucléique, quand on s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas lui attribuer de fonction. C’est bien sûr une lecture subjective des choses, et un vocable porteur d’un jugement : on a l’impression que les chercheurs ont été déçus. Ils espéraient mieux de leur ADN. À tel point que pour certains, on aurait tort de fustiger ainsi ces pauvres séquences, car en fait elles pourraient servir à quelque chose. Après tout la nature, en général se débarrasse de ce qui n’est pas utile à la survie, comme un doctorat de sciences de gestion de Paris Saclay.
Alors ce soir je vais faire comme vous vous, je vais essayer de comprendre si je dois être fier de chacune de mes petites bases azotées ou si je dois me montrer adulte et embrasser l’imperfection manifeste de ce qui naguère me semblait si pur et ineffable. Et pour nous aider, deux spécialistes, deux chercheurs :
Patrick LAURENTI — Généticien. Maître de conférences à l’Université Paris Cité, chercheur au Laboratoire Interdisciplinaire des Énergies de Demain.
Et Didier CASANE— Spécialiste de la génomique évolutive, de la génétique des populations et de l’évolution des systèmes sensoriels. Professeur à l’Université Paris Cité, et membre du laboratoire Evolution, Génomes, Comportement, Ecologie … à Paris-Saclay.
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