Faut-il dire adieu à l’ostéopathie ? [TenL 150]

Emission enregistrée le 3 juin 2025.

Invités : 4 ostéopathes en exercice, membres du COSE [Collectif Ostéopathes Scientifique & Ethique] Franck Chenu, Quentin Janicot, Jérôme Lochert, Jean-Baptiste Terzibachian

 

Editorial

Tous les charlatans ne sont pas des bonimenteurs de foire qui déclament des promesses à propos d’une bouteille d’huile de serpent qui fait repousser les dents, les cheveux, les muscles et revenir l’être aimé, offre spéciale -50% si vous prenez une caisse complète aujourd’hui, s’emparent de vos billets et s’empressent de disparaitre à l’horizon en ricanant à l’idée d’aller plumer ailleurs d’autres crédules argentés.

Les charlatans ordinaires ne sont pas forcément au courant qu’ils font la promotion ou vendent directement une pratique qui, en réalité n’apporte rien au malade en demande de soin. Quand je dis rien, c’est évidemment : rien de plus que l’effet placebo, qui est très important, mais qu’il faut comprendre un peu avant de vouloir se targuer d’avoir un avis sur l’homéopathie, l’acupuncture… ou l’ostéopathie dont il sera question ce soir. Les charlatans ne sont pas forcément des gens méchants, vicieux et malhonnêtes. Il y en a, mais la définition du mot désigne simplement quelqu’un qui promet un soin illusoire.

On appelle effet placebo ce qu’il faudrait apprendre à appeler effets contextuels, et il s’agit de la différence vécue par un malade entre deux situations : d’un côté on le laisse souffrir de son lumbago par exemple, et de l’autre, on le reçoit dans un cabinet, on l’écoute, on prend en considération sa douleur, ses difficultés, on lui propose de l’aider, on réalise un soin ; on le touche, on mobilise son corps, on le fait bouger, on lui facture tout cela de manière tout à fait officielle : on lui donne quelques conseils dans une tenue de soignant, on lui précise que ça ira mieux dans quelques heures, on lui propose de revenir, on lui sourit, on est agréable : il a passé un moment de qualité… Et ce qu’il ressent, la manière dont il identifie son symptôme, dont il le comprend, dont il le situe après ces évènements où il a librement choisi de faire confiance à quelqu’un qui annonce pouvoir le soulager… Eh bien cela peut avoir un effet considérable sur son ressenti, même si pendant tout ce temps il avait affaire à un charmant affabulateur  qui lui a posé des ventouses en faisant vibrer des bols tibétains au milieu d’un pentagramme tracé avec du sel et de la poudre de cœur de licorne.

Les effets contextuels, c’est ce qui se passe quand on prend soin d’un malade sans réellement rien soigner, c’est tout ce qui se passe en dehors des effets dits spécifiques qui eux sont directement causés par une certaine molécule ou une certaine intervention. Quand le chirurgien vous retire la tumeur qui menaçait de vous tuer, le résultat est un effet spécifique de la chirurgie. Quand l’insuline vous évite l’agonie du diabète, c’est un effet tout à fait spécifique qui se produit. Et en plus, dans les deux cas, le médicament comme la chirurgie produisent eux aussi des effets contextuels qui sont importants pour la qualité de vie du patient.

Ce n’est pas parce qu’on se sent mieux que l’on va mieux. Et ce n’est pas parce qu’un soin “fait du bien” qu’il soigne quoi que ce soit. Ce glissement est le terreau de toutes les illusions thérapeutiques.

Et évidemment aucune pratique ne peut produire des effets contextuels aussi puissant que celle où le soignant vous parle, est tout proche de vous, et vous touche. L’ostéopathie, plus encore que l’homéopathie est une formule de soin qui, lorsqu’elle est bien faite, maximise les effets contextuels, on a besoin de savoir le faire.

Mais on a besoin de plus que ça. On a besoin de méthodes thérapeutiques qui soient évaluables, comparables, afin de se débarrasser de celles qui marchent moins bien, on a besoin de praticiens qui comprennent comment on fait la différence entre un soin qui marche et un soin qui ne marche pas. On a besoin de professionnels de santé bien formés aux connaissances actuelles, scientifiques, à la manière dont on produit ces connaissances, sur les méthodes pour se tenir à jour, faire évoluer leurs pratiques et toujours proposer aux gens qu’ils reçoivent le meilleur soin possible.

Et cela ne peut pas se produire chez les ostéopathes aujourd’hui. Ils sont 30 000, on en forme 3000 par an, il y en a plus en France que dans tout le reste du monde, les écoles gagnent des fortunes, mais les diplômés sont souvent dans la précarité ; on leur enseigne des notions sans fondement, des pratiques parfois illégales, et on les trompe au moins autant qu’ils tromperont plus ou moins consciemment les malades qui viendront les consulter.

Ça ne peut pas durer, mais ça ne peut pas se régler brutalement du jour au lendemain, notamment parce que la profession est très différente de ce qu’on peut voir dans d’autres pratiques de soin non conventionnelles où le charlatanisme est forcené, idéologique, viscéral, irrationnel ; je pourrais citer la kinésiologie, l’iridologie, le reiki, ou la médecine anthroposophique qu’on enseignait encore il y a peu à l’université de Strasbourg. Ces pratiques ne se sauveront pas : elles sont irréformables parce qu’elles nient le réel. L’ostéopathie, elle, vacille entre deux mondes. Elle peut encore choisir la rigueur.

Et donc la différence est là :  que les ostéopathes sont souvent honnêtes, veulent bien faire, croient avoir reçu une formation scientifique… C’est pourquoi ils sont assez nombreux à ressentir un malaise quand ils constatent que les critiques contre leur profession sont parfaitement justifiées, et que leur pratique par bien des égards est un charlatanisme.

Mais la preuve que ce métier est différent des autres c’est que ce soir j’aurai avec moi pour critiquer l‘ostéopathe quatre ostéopathes qui pratiquent encore leur métier et qui cherchent à le faire évoluer pour éviter les drames humains de patient trompés, de jeunes étudiants abusés, de praticiens désemparés et d’une profession qui va droit dans le mur.

La responsabilité ne pèse pas que sur les praticiens ou les écoles : elle repose aussi sur les ministères qui ont laissé faire, sur les autorités sanitaires qui ferment les yeux, et sur un système de santé qui externalise son empathie aux marges.

La critique est rude, et elle peut sembler facile. La solution n’est pas très mystérieuse : encadrer, former, filtrer, clarifier. Et appuyer ceux qui, dans la profession, veulent sortir du marécage et revenir sur la rive ferme de la médecine fondée sur les faits.

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