Fausse médecine contre le cancer : étude rétractée

 

Depuis une vingtaine d’années, les défenseurs des pratiques de santé non conventionnelles (PSNC) mènent une stratégie très active pour imposer l’idée de « médecine intégrative ». Le terme semble rassurant, presque consensuel : il s’agirait d’ajouter, aux thérapeutiques validées, des approches dites “complémentaires”, séduisantes, holistiques ou “douces”. En pratique, cette bannière sert souvent à introduire dans les institutions médicales des méthodes sans efficacité démontrée, adossées à une communication émotionnelle forte et à une rhétorique d’ouverture. Les patients atteints de cancer, vulnérables par définition, sont les premières cibles de ces programmes, dont les bénéfices supposés reposent fréquemment sur des anecdotes, des croyances ou des études de qualité faible.

Dans ce contexte, certains travaux prennent une importance disproportionnée dans les débats publics et institutionnels. C’est précisément ce qui s’est produit avec l’essai de Michael Frass sur l’homéopathie comme thérapie d’appoint en oncologie : une étude aujourd’hui rétractée, mais qui, pendant cinq ans, a pesé indûment sur la promotion de la “médecine intégrative”.

 

La revue The Oncologist vient en effet de publier la rétractation officielle de cet essai clinique, initialement présenté en 2020 comme une démonstration que l’homéopathie, administrée en complément d’un traitement standard, pourrait améliorer la qualité de vie et prolonger la survie de patients atteints d’un cancer du poumon non à petites cellules (Frass et al., 2020). L’article avait été accueilli avec scepticisme dès sa publication, tant les incohérences méthodologiques étaient nombreuses. Pourtant, faute d’une réaction rapide, il a servi pendant plusieurs années de caution scientifique à des discours visant à légitimer l’intégration de remèdes sans principe actif dans la prise en charge du cancer.

Les événements se sont enchaînés lentement. En mars 2021, un premier correctif est publié (Frass et al., 2021), sans pour autant dissiper les doutes majeurs sur le protocole, le recrutement, et la cohérence des données. Puis, en août 2022, la Commission for Research Integrity de l’Agence autrichienne pour l’intégrité scientifique (OeAWI), saisie par la vice-rectrice de la Medical University of Vienna, conclut à la nécessité de retirer l’article. La revue se contente alors d’un Expression of Concern (The Oncologist, 2022).

L’année suivante, The Oncologist publie un second correctif, assorti d’un éditorial invitant à tester séparément chacun des traitements homéopathiques utilisés (The Oncologist, 2024). Mais cette position ne répond pas aux problèmes fondamentaux : l’étude souffre de défauts méthodologiques si graves qu’aucune “réanalyse” partielle ne peut en sauver les conclusions. L’éditorial, très critiqué, donnait l’impression que la revue hésitait à assumer l’invalidation d’un essai pourtant miné dans ses fondations.

En 2025, après des années de signaux d’alarme, The Oncologist tranche enfin : elle déclare ne plus avoir confiance dans les résultats, ni dans les conclusions présentées, et annonce la rétractation complète de l’article. La revue évoque “l’incertitude persistante” et rappelle que les corrections successives n’ont pas suffi à restaurer la fiabilité du travail. Parmi les co-auteurs, plusieurs s’opposent à cette décision (Frass, Lechleitner, Gründling, Gaertner, Duscheck, Muchitsch, Marosi, Manchanda et Burghuber), tandis que Sabine Zöchbauer-Müller, l’une des signataires, approuve la rétractation. D’autres ne se sont pas exprimés.

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Cette affaire illustre les failles d’un système éditorial parfois trop lent à corriger ses erreurs, mais elle montre aussi l’importance du travail des agences d’intégrité scientifique et de la vigilance critique. Pendant cinq ans, une étude profondément problématique aura servi d’argument d’autorité aux promoteurs d’une “intégration” des pratiques non validées dans les services d’oncologie. Sa rétractation rappelle une évidence trop souvent oubliée : la qualité méthodologique n’est pas un luxe académique, mais une exigence éthique absolue lorsque les patients en situation de vulnérabilité risquent d’être influencés par des conclusions fausses.

Les débats sur la « médecine intégrative » reposent hélas bien souvent sur des travaux discutables, et nous devons veiller collectivement à ne pas laisser les idées fausses s’installer dans les programmes de soin

Acermendax


Références

  • Frass, M., Lechleitner, P., Gründling, C., Pirker, C., Grasmuk-Siegl, E., Domayer, J., Hochmair, M., Gaertner, K., Duscheck, C., Muchitsch, I., Marosi, C., Schumacher, M., Zöchbauer-Müller, S., Manchanda, R. K., Schrott, A., & Burghuber, O. (2020). Homeopathic Treatment as an Add-On Therapy May Improve Quality of Life and Prolong Survival in Patients with Non-Small Cell Lung Cancer: A Prospective, Randomized, Placebo-Controlled, Double-Blind, Three-Arm, Multicenter Study. The Oncologist, 25(12), e1930–e1955. https://doi.org/10.1002/onco.13548
  • Frass, M., Lechleitner, P., Gründling, C., Pirker, C., Grasmuk-Siegl, E., Domayer, J., Hochmair, M., Gaertner, K., Duscheck, C., Muchitsch, I., Marosi, C., Schumacher, M., Zöchbauer-Müller, S., Manchanda, R. K., Schrott, A., & Burghuber, O. (2021). Correction to…. The Oncologist, 26(3), e523. https://doi.org/10.1002/onco.13693
  • The Oncologist. (2022). Expression of Concern… The Oncologist, 27(12), e985. https://doi.org/10.1093/oncolo/oyac221
  • The Oncologist. (2024). Correction to… The Oncologist, 29(11), e1631–e1632. https://doi.org/10.1093/oncolo/oyae253
  • Figg, W. D., & Bates, S. E. (2025). Clinical trial results: each patient’s participation should count. The Oncologist, 30(7). https://doi.org/10.1093/oncolo/oyae252

 

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