Entretien avec Pascal Wagner-Egger, spécialiste du complotisme
Dans un précédent article, nous avions présenté le livre « Psychologie des croyances aux théories du complot » écrit par Pascal Wagner-Egger et publié aux Presses Universitaires de Grenoble. A présent, le chercheur en psychologie sociale à l’Université de Fribourg répond à nos questions sur le complotisme.
- Maintenant que vous avez fait une revue complète de la littérature sur les théories du complot, quels sont vos projets de recherche pour la suite ? Que restent-ils à savoir sur les théories du complot (TC) ?
J’ai toujours plusieurs projets en cours, l’un sur la part relative de certains biais cognitifs par rapport à d’autres. Les premières études ont montré l’effet de certains biais de façon isolée, nous testons actuellement la force de ces biais. Il apparaît par exemple que le biais de détection serait davantage lié aux croyances paranormales, et le biais de conjonction aux croyances conspirationnistes (même si tous les deux sont impliqués dans les deux formes de croyances). Un autre projet qui me tient à cœur parce qu’il prouve que nous n’avons aucune idéologie a priori, mais que notre démarche est scientifique, et que tout doit être testé, nous explorons l’hypothèse de certains collègues qu’il existerait pour les croyances à certaines TC (JFK, Big Pharma) un « scepticisme sain », qui ne serait pas aussi irrationnel comme les autres théories du complot. Néanmoins, nous avons pour l’instant trouvé qu’il s’agit d’une forme de pensée moins irrationnelle, mais irrationnelle tout de même.
- La théorie de la dissonance cognitive[i] (état de tension dans lequel se trouve une personne lorsque plusieurs de ses cognitions entre en contradiction) et la théorie de l’engagement (selon laquelle plus une personne s’investit dans une tâche, plus il est difficile pour elle d’arrêter alors même qu’elle a conscience qu’elle n’est pas sur la bonne voie ou adhère à des théories fausses) peuvent-elles expliquer la difficulté à abandonner ses croyances complotistes ?
En effet, c’est plutôt la théorie de l’engagement qui explique (en partie) toute forme de radicalisation : plus on fait d’actes publics et engageants, et plus on se radicalise (escalade d’engagement), et la dissonance intervient également dans ce processus pour faire diminuer toute pensée contraire, doute, etc. J’ai retrouvé aussi la dissonance dans les annonces ratées de QAnon, c’était passionnant ces derniers mois. Le principal moyen pour les complotistes ou adeptes de sectes pour réduire leur dissonance cognitive est la preuve sociale : ils considèrent que plus il y a de gens qui y croient, plus leur théorie leur paraît vraie.
- Quelle part représente selon vous les TC fomentées par des États (Russie, Chine…) pour perturber la vie sociale dans les pays cibles ? Et les TC lancées dans des buts mercantiles pour faire du clic sur son site ?
Aucune idée, mais il y a actuellement un business des sites complotistes comme Égalité et Réconciliation (le site d’Alain Soral), qui repostent toutes sortes de théories du complot.
- Vous êtes suisse romand et vous vous intéressez particulièrement aux TC dans l’espace francophone, mais le complotisme est-il aussi très présent en Allemagne ou dans la Suisse alémanique ?
Oui, il n’y a pas de différences culturelles nettes entre les pays (parfois une histoire de l’extrême droite différente). Dans nos premières études en Suisse, nous étions d’ailleurs étonnés de retrouver des taux d’adhésion assez comparables à ceux des États-Unis !
- Pensez-vous qu’il soit possible que des complotistes radicalisés réalisent des actions violentes de nature terroriste ?
Oui, comme toute forme de radicalisation, c’est possible, même si la grande majorité des gens que l’on catégorise comme complotistes ne sont heureusement pas violents. Mais le ras-le-bol de la pandémie et des mesures, celui des Gilets Jaunes, ou la désinformation comme celle menée par Donald Trump aux États-Unis peuvent mener à la violence.
- Êtes-vous favorable à l’instauration de l’éducation à l’esprit critique dans le cadre des activités scolaires ? Pensez-vous que cela puissance réduire la crédulité des jeunes populations et leur donner les armes pour être des citoyens éclairés ?
Oui. Comme il y a trois catégories de causes au complotisme, il y a donc trois catégories de mesures qu’on peut prendre. Au niveau social, il faudrait à mon avis réduire les inégalités sociales et instaurer un principe de précaution bien défini et limité dans le temps. Au niveau d’internet, il est juste à mon avis de bannir certains propos des grands réseaux sociaux (même si ce n’est pas une solution idéale, ce n’est pas de la véritable censure puisque ces contenus peuvent migrer sur d’autres sites, ils sont simplement moins visibles), ou de poser des questions simples sur le fond d’un article pour les gens qui veulent le reposter sur les réseaux sociaux. Finalement, au niveau psychologique, l’éducation à l’esprit critique, scientifique, aux médias sera très utile pour les adultes du monde de demain.
Entretien réalisé par Mathieu Repiquet
Voici notre présentation et résumé du livre : https://menace-theoriste.fr/la-science-du-complotisme-eclairage-de-pascal-wagner-egger/
Le livre de Pascal Wagner-Egger « Psychologie des croyances aux théories du complot », paru en mai 2021 aux Presses Universitaires de Grenoble et préfacé par Gérald Bronner, est disponible en libraire, sur les sites de vente de livres habituels ou sur le site de l’éditeur que voici : https://www.pug.fr/produit/1917/9782706149825/psychologie-des-croyances-aux-theories-du-complot
[i]https://fr.wikipedia.org/wiki/Dissonance_cognitive#:~:text=En%20psychologie%20sociale%2C%20la%20dissonance,’une%20avec%20l’autre.
Un beau ramassis de lieux communs – difficile de faire pire truisme.
Et faux en plus : chacun des arguments vaut aussi pour des non-complotistes.
Genre : sur l’irrationnalité, se rappeler d’Aristote qui disait que l’homme était un désir raisonnant ou une raison désirante. Vouloir de l’irrationnel pur chez l’homme… Ce n’est pas un argument d’autorité, mais il faudrait qu’on prouve que l’homme soit capable d’une pure pensée sans émaner d’un désir. Bon courage.
Ou sur la dissonance cognitive : toutes les cultures sont basées sur des points aveugles – pas juste les complotistes. Etait-il complotiste, mon prof d’histoire-géo qui définissait un continent comme une grande étendue de terre entourée d’eau et qui nous énumérait sitôt après Europe, Asie… ?
Plus les gens croient en une chose, plus les complotistes y voient une confirmation ? C’est le ressort normal du développement des théories scientifiques, non ? Le darwinisme, par exemple. Quant aux grandes religions, elles sont basées sur ce principe – et là on ne parle pas de « secte » : personne ne parle de complotisme quand il s’agit de décrire la croyance d’un chrétien ou d’un juif.
Quant aux complotistes radicalisés qui pourraient commettre des actions violentes… Comment dire ? Vous n’avez jamais ouvert un livre d’histoire ou ouvert un journal ces 20 dernières années ? La tuerie d’Otoeya, c’etait qui ? Un super rationaliste qui vous lisait ?
Bref…