L’économie peut-elle être une science ? (TenL45)

Enregistré le 24 mai 2017 – Invité : Olivier Simard-Casanova

 

Editorial

Comment fait-on mesdames et messieurs ? Quand dix experts disent « hue » alors que vingt autres disent « dia » (ça vient de l’expression « à hue et à dia », c’est du vieux français pour dire à droite et à gauche dans un attelage, donc c’est de la culture). Comment fait-on, je vous le demande ?

Faut-il réduire les dépenses pour que l’économie aille mieux, comme on gère un ménage ? Où est-ce qu’un Etat se gère à renforts de grands projets qui boostent l’économie ? Et pourquoi pas un mixte des deux ? Il faut bien se décider parce que la santé de notre société, notre confort de vie, et la paix elle-même qui garantit nos libertés, tout cela dépend en grande partie de l’équilibre de notre économie.

Mais il faut se méfier de l’illusion de profondeur explicative qui nous affecte tous. Cette illusion est frappante : sur le fonctionnement des choses qui nous entourent nous pensons tous savoir un peu plus de choses que nous n’en connaissons réellement. Par exemple, savez-vous comment fonctionne une bicyclette ? Si oui, mettez cette vidéo en pause (sauf si vous êtes en direct où alors vous en savez moins sur Youtube que ce que vous croyez). Mettez cette vidéo en pause et dessinez sans aide extérieure une bicyclette vue de profil en faisant apparaitre les mécanismes qui la font avancer. On vous attend. Juste quelques instants. Voilà. Comme pour la plupart des gens, votre dessin n’est pas très exact, cette bicyclette ne fonctionnera pas.

Eh bien c’est la même chose avec l’économie, ayons l’humilité de le reconnaître.

L’économie c’est un peu plus compliqué que la gestion d’un ménage ou d’une entreprise. Des facteurs géopolitiques, de guerre économique, d’idéologie, d’écologie de sociologie, de psychologie entrent en jeu, et notre « bon sens » est une piètre source de connaissance sur des sujets aussi vastes.

C’est pourquoi nous avons besoin que des femmes et des hommes se mettent d’accord sur la manière de décrire le fonctionnement de l’économie afin de poser d’abord des diagnostics qui fassent consensus. Si nous ne sommes pas d’accord sur la situation de départ comment pourrions-nous prendre des décisions collectives pour améliorer cette mystérieuse situation ?

Une démarche méthodique ayant pour but de modéliser un phénomène objectivable… eh bien c’est de la science. On devrait donc pouvoir conclure que l’étude de l’économie peut être rangée dans la catégorie des sciences. Mais pour s’en assurer, il faudrait savoir ce qu’on entend par « étude de l’économie » et même par « économie ». Il faudrait que les méthodes aient un volet empirique, que les hypothèses soient réfutables, etc.

L’économie telle qu’on la voit dans les médias, telle qu’on la brandit en politique, telle qu’on l’enseigne dans les écoles de commerce ou ailleurs, est-elle la même chose que ce qu’on pratique dans les laboratoires de recherche ?

Nous allons nous poser ces questions et quelques autres ce soir avec notre invité : Olivier Simard-Casanova, doctorant en économie et auteur du blog The Signal (anciennement Passeur d’Eco).

 

4 réponses
  1. Factsory
    Factsory dit :

    L’émission était intéressante, mais il manquait clairement de répondant par rapport à votre invité et d’une personne connaissant bien les dossiers, c’est dommage. Car l’invité a pu aligner quelques affirmations hallucinantes.

    Il tire à vue sur les hétérodoxes, mais il aurait été bien que ses critiques soient plus concrètes qu’une citation, sortie du contexte, de Lordon. Les hétérodoxes ne publient pas et « sont périmés, d’une certaine manière » dit votre invité. Ok, prenons un chef de file des économistes atterrés : Henri Sterdyniak, conseiller scientifique à l’OFCE et qui publie : http://www.ofce.sciences-po.fr/pages-chercheurs/page.php?id=35. Affirmation réfutée.
    Tant que nous sommes à l’OFCE, intéressons-nous à ce que dit son directeur, Xavier Ragot, du livre que recommande votre invité « Le négationnisme économique » http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/le-negationnisme-economique-de-cahuc-et-zylberberg-leconomie-au-premier-ordre/ : « Le cœur du livre est l’affirmation que la science économique produit des savoirs de même niveau scientifique que la médecine, pour traiter les maux sociaux. Je ne pense pas que cela soit vrai » (et le reste de l’article est aussi critique). Il considère aussi que « l’approche scientiste du livre est réductrice ».

    Au sujet de ce livre on peut aussi se reporter à un article d’Alternatives économiques sur le sujet : http://www.alternatives-economiques.fr/negationnisme-economique-laffaire-cahuc/00012140
    Qu’y découvre-t-on ? Que la citation de Lordon que votre invité a cité vient de ce fameux livre. Mais que les auteurs affirment aussi « toutes les études publiées par les revues académiques dignes de ce nom montrent que le partage du travail ne crée pas d’emplois » (propos que Jean Tirole a également tenus), alors que l’affirmation est moins consensuelle qu’ils ne le disent : http://www.alternatives-economiques.fr/temps-de-travail/non-m-tirole-tous-les-economistes-ne-disent-pas-que-la-rtt-est-une-ineptie-201605130900-00003447.html
    Et Piketty, qu’en pense-t-il de ce livre ? Il est aussi critique http://bfmbusiness.bfmtv.com/france/piketty-ceux-qui-pretendent-que-l-economie-serait-une-science-sont-des-charlatans-1047252.html

    Passons au moment sur les ressources naturelles. Pour votre invité, dire que les ressources sont limitées est une « hypothèse ». La finitude de la Terre serait-elle une hypothèse alors ? Il affirme « la technologie a ceci de miraculeux qu’elle transforme un truc en ressource naturelle ». Le pétrole est une ressource naturelle indépendamment de la technologie. Il peut être plus ou moins facile de l’exploiter selon sa localisation. Mais on peut effectivement exploiter davantage de ressources avec des technologies plus efficaces. Cela ne change cependant rien au fait qu’il y a des contraintes physiques. Le jour où il faut 1MJ d’énergie pour extraire 1MJ d’énergie, cela ne sert plus à rien d’extraire cette énergie (et en fait bien avant cela). Il s’agit du taux de retour énergétique, qui doit être supérieur à 1. Or celui-ci diminue inexorablement : https://fr.wikipedia.org/wiki/Taux_de_retour_%C3%A9nerg%C3%A9tique

    Votre invité dit qu’il ne considère pas que le marché est tout puissant mais pourtant, il affirme ensuite que si une ressource se raréfie, son prix augmentera et cela va encourager les recherches pour trouver des alternatives. Signalons qu’entre 1999 et 2008 le prix du pétrole a été multiplié par plus de 10. Il est retombé depuis 2014 mais reste à un niveau supérieur à celui de la décennie 90. Il n’y a pas vraiment eu de grosses révolutions (on pourra arguer que la période n’a pas été suffisamment longue). Mais donc dans son esprit on trouvera toujours une alternative aussi satisfaisante que la précédente. Pour l’instant nous n’avons jamais remplacé une source d’énergie, elles se sont toujours additionnées (et je pense qu’on pourrait dire de même de toute ressource naturelle). Le pétrole a plein de qualités, et c’est pour cela qu’il est largement utilisé dans les transports. Oui on pourra remplacer le pétrole par autre chose, mais cette autre chose aura moins de qualité et coûtera plus cher. Et tout cela aura des impacts sur le système économique mondial car les transports sont indispensables pour le commerce mondial (et cela est souvent négligé car il est très peu cher… grâce au coût faible du pétrole). Quels sont les avantages du pétrole ? Liquide et donc transportable facilement (par pipeline par exemple) et dense énergétiquement (un réservoir de 60 litres permet de faire, en ordre de grandeur, 1000 km avec une voiture). Quelle autre source d’énergie présente les mêmes avantages ? Je n’en connais aucune. Et pourtant pour votre invité remplacer le pétrole c’est juste une histoire de marché et de prix, rien de plus. Aucun impact ensuite sur le système économique… On rêve.

    Et pour finir, le fait que le PIB ne prenne pas en compte les ressources que l’on consomme ne semble pas poser problème à votre invité. On tape dans un stock fini (en termes de terres arables, de forêts, de poissons, de métaux…) mais cela n’intervient jamais dans le PIB. Pourtant cela ne semble pas contrarier votre invité par rapport aux résultats que l’on peut obtenir avec des modèles basés sur le PIB et donc ignorant ces variables.

    Bref, pour les aspects que je connaissais un peu j’ai trouvé votre invité dans un monde très théorique (aux ressources illimités), ce qui n’est pas contradictoire avec le fait que ce soit scientifique (les matheux font bien des raisonnements dans des espaces à dimensions infinies), et avec des affirmations floues (j’aurais bien aimé connaître des prédictions réussies de la science économique). Pour ma part cela remet en cause la crédibilité de ces propos sur les aspects que je ne maitrisais pas.

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    • Olivier Simard-Casanova
      Olivier Simard-Casanova dit :

      Bonjour. Puisque je suis l’invité en question, je me suis dit que j’allais vous apporter quelques éléments de réponse. Malheureusement, comme de nombreux commentateurs vous accumulez un nombre invraisemblable d’hommes de paille, ce qui commence à sérieusement me fatiguer. Parce que je commence à en avoir sérieusement marre d’être accusé de tous les maux à partir de propos que je n’ai jamais tenu, et d’avoir à répéter encore et encore des choses qui ont pourtant été clairement énoncées.

      Alors je vais simplement me contenter de lister toutes les affirmations que vous me prêtez et que je n’ai jamais dites. Vous pourrez corriger vos critiques si l’envie vous en prenait, et j’y répondrai volontiers.

      > Les hétérodoxes ne publient pas.

      Jamais dit ça.

      > Pour votre invité, dire que les ressources sont limitées est une « hypothèse ».

      Jamais dit ça. Il ne s’agit pas d’une « hypothèse » mais d’une mauvaise manière de réfléchir au problème.

      > Le pétrole est une ressource naturelle indépendamment de la technologie.

      Vous faites comment pour exploiter le pétrole si vous ne maîtrisez pas le feu ? Vous faites une danse de la pluie en espérant que la foudre vienne pile tomber sur votre torche imbibée pour l’allumer ?

      > Cela ne change cependant rien au fait qu’il y a des contraintes physiques.

      Je n’ai jamais prétendu le contraire.

      > Votre invité dit qu’il ne considère pas que le marché est tout puissant mais pourtant, il affirme ensuite que si une ressource se raréfie, son prix augmentera et cela va encourager les recherches pour trouver des alternatives.

      En cherchant juste un peu :
      https://www.challenges.fr/entreprise/energie/pourquoi-total-investit-massivement-en-dehors-des-hydrocarbures_432964
      http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/bp-fait-un-peu-plus-de-place-aux-energies-renouvelables-550414.html

      > Mais donc dans son esprit on trouvera toujours une alternative aussi satisfaisante que la précédente.

      Jamais dit ça.

      > Oui on pourra remplacer le pétrole par autre chose, mais cette autre chose aura moins de qualité et coûtera plus cher.

      Si vous le dites…

      > Et pourtant pour votre invité remplacer le pétrole c’est juste une histoire de marché et de prix, rien de plus.

      Jamais dit ça.

      > Aucun impact ensuite sur le système économique… On rêve.

      C’est effectivement ce qui a dû vous arriver pour m’entendre dire ça…

      > le fait que le PIB ne prenne pas en compte les ressources que l’on consomme ne semble pas poser problème à votre invité

      Ah ?

      > cela ne semble pas contrarier votre invité

      Ah ? (bis)

      Par ailleurs, si vous avez une alternative au PIB à proposer, les portes de la science sont grandes ouvertes, n’hésitez pas à proposer quelque chose.

      > pour les aspects que je connaissais un peu j’ai trouvé votre invité dans un monde très théorique

      Vu le nombre d’hommes de paille que vous faites, je ne sais pas dans quel monde vous avez trouvé l’invité en question, mais vraisemblablement pas dans celui où ce dernier vit et s’exprime…

      Répondre
  2. Moulin
    Moulin dit :

    Bonjour,

    Merci à la TeB pour ces deux lives (celui sur l’écologie et les limites physiques de la planète, et celui sur l’économie). Je cherche en effet à me positionner dans l’apparente controverse autour de la viabilité à long terme de notre mode de production et de consommation. Ces vidéos tombent à point !
    Mais à propos de l’interview d’Oliver Simard-Casanova, je reste un peu sur ma faim…
    En effet, à la question « Est-ce que l’économie actuelle prend en compte le fait que les ressources de la terres sont limitées ? », celui-ci répond :

    « Sur l’aspect décroissance, il y a une hypothèse derrière qui est de dire que les ressources sont limitées. […] Le consensus tel qu’il se fait aujourd’hui en économie de la croissance, pour expliquer d’où vient la croissance, en fait c’est « la croissance vient de la technologie » en particulier.
    Et en fait, la technologie elle a ceci d’assez miraculeux c’est qu’elle transforme un truc en ressource naturelle. […] Il [l’être humain] transforme des choses qui sont dans la nature en ressources.
    Sauf qu’en fait, si tu veux, il y a un espèce de jeu, que souvent la décroissance oublie complètement, entre les technologies et l’épuisement de certaines ressources. Parce qu’évidemment il y a des ressources qui sont en train de s’épuiser.
    Et donc, quand ces ressources s’épuisent, c’est la loi de l’offre et de la demande, leur prix va augmenter. Quand le prix d’une chose augmente […] il y a des gens qui vont faire de la R&D pour essayer de mettre au point des technologies nouvelles qui vont remplacer les ressources qu’on est en train d’épuiser. […]
    Du coup, la quantité de technologie disponible dans l’économie, elle est fonction, en fait, de l’offre et de la demande sur le marché, et donc du coup de l’épuisement de certaines ressources. Donc si tu veux il y a un jeu dynamique entre les technologies et les conditions économiques, qui sont elles-mêmes liées aux conditions environnementales. »

    Ce que je comprends de cette réponse, c’est que se poser la question en terme de limite sur une ressource particulière (le pétrole par exemple) n’est pas pertinent à l’échelle macro, car la dynamique économique fait que cette ressource devrait se voir substituée par une autre à l’approche de son épuisement.
    C’est intéressant en soit, mais ça ne répond pas à la question à propos de la prise en compte de cette substitution de ressource dans l’économie actuelle (celle qui fait consensus).

    Si l’économie actuelle invoque cette substituabilité des ressources pour ne pas tenir compte de l’épuisement dans ses modèles macro-économiques, c’est qu’on a de bonnes raisons de penser que la loi de l’offre et de la demande s’exprime, de manière générale, avec suffisamment d’effet pour aboutir suffisamment rapidement à des innovations technologiques (et à leur déploiement) qui permettent de maintenir le niveau de productivité de biens et de services.
    Cette hypothèse fait-elle consensus ? Le cas échéant, sur quoi repose-t-elle ?

    Ça pourra paraître naïf à une personne qui a de l’expérience en économie. Si c’est le cas le m’en excuse, mais je pense qu’une réponse sera utile à tout ceux qui, comme moi, ne sont pas familiers avec ce milieu.

    Répondre
    • Eco+nomist
      Eco+nomist dit :

      Sur quoi repose-t-elle ?

      Sur de l’esbroufe sans doute. Du genre qui n’est de toutes façons conscientisée qu’au sein d’une élite de cette pseudo-science que les gens lambda ne s’approprieront probablement jamais assez en profondeur pour la mettre au jour.

      Répondre

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