Dieu a-t-il sa place à l’école ? [TenL 154]
Émission enregistrée le 10 décembre 2025
Invité Alexis da Silva
Éditorial
En France la quasi-totalité des établissements privés sous contrat appartiennent à des réseaux religieux (catholiques en premier lieu), même si l’on voit monter en effectifs les réseaux juifs, musulmans et en langues régionales. La question des réseaux religieux mérite donc qu’on s’y intéresse, et nous allons y revenir longuement.
On défend ces établissements, on les juge même parfois indispensables en raison des meilleurs résultats qu’ils produiraient. Et de fait les chiffres bruts donnent souvent l’impression que « le privé réussit mieux » : meilleurs taux de réussite au brevet ou au bac, plus de mentions, etc. Mais les chercheurs qui suivent des cohortes d’élèves et qui contrôlent le milieu social, le niveau scolaire d’entrée, la trajectoire, arrivent à un constat beaucoup plus modeste. Quand on corrige les chiffres pour tenir compte de la clientèle plus favorisée, l’“effet école privée” sur la réussite existe à peine ; le gros de l’écart vient de la sélection des élèves plutôt que d’un miracle pédagogique.
Selon un rapport de la Cour des comptes de 2023, les écoles privées sous contrat sont financées aux alentours de 70–75% par de l’argent public. Le coût public par élève y est plus faible que dans le public. Mais —nous dit la Cour des comptes— ces moyens sont captés par un réseau qui scolarise deux fois plus d’élèves issus des milieux « très favorisés » que dans le public, et moitié moins d’élèves des milieux défavorisés ; ce faisant il contribue au recul de la mixité sociale[1]. En pratique, la liberté de choix de l’école est surtout la liberté des familles aisées. Et ce choix financé par l’argent public organise un séparatisme social de fait qui rend la mission d’égalité de l’école publique encore plus difficile.
Le Code de l’éducation et les textes de cadrage (programmes, socle commun) fixent comme mission à l’école de réduire les inégalités et d’assurer l’égalité d’accès au savoir. La référence à l’« égalité des chances » est explicite. Mais sur le plan empirique, plusieurs rapports publics — de la Cour des comptes, de la DEPP, du Cnesco, du CESE[2] — montrent que le système français reproduit fortement les hiérarchies sociales. Les mécanismes de marché scolaire (concurrence public/privé, tri social, contournement de la carte scolaire) accentuent cette reproduction.
Le projet sociétal de l’école est difficilement réductible à un simple marché du diplôme… ou l’apparente supériorité du privé, nous l’avons dit, est surtout dû a des causes externes — nous attendons de l’école qu’elle contribue au progrès de la société.
Le caractère religieux de la majorité de ces établissements ajoute à la confusion, car un « caractère propre » est reconnu à ces écoles afin qu’elles conservent une identité religieuse qui est inculquée aux élèves qui n’ont pas la possibilité d’exprimer leur consentement.
L’État finance des établissements qui assurent une mission de service public, mais qui utilisent largement ce cadre pour faire la promotion d’une religion. Et il le fait alors même que la loi lui impose de protéger la liberté de conscience de tous les élèves.
La hiérarchie des principes devrait être claire. D’abord le droit des enfants à ne pas subir de pression religieuse, ensuite la liberté des organisations religieuses de proposer un cadre éducatif conforme à leurs convictions, à condition que cette proposition reste facultative et que l’accès à un enseignement de qualité ne dépende pas de l’acceptation de ce cadre.
Permettez que soient rappelés des résultats scientifiques robustes : la religiosité forte est, en moyenne, statistiquement, associée à une moindre culture scientifique et à plus de résistance envers certains résultats de la science[3]. Quand le projet d’un établissement est d’abord religieux, il y a une tension structurelle avec l’ambition d’excellence scientifique. Certains savoirs ne sont pas en odeur de sainteté.
Quand un établissement scolaire se place explicitement sous la bannière d’une doctrine morale conservatrice (sur les rôles de genre, la sexualité, la famille), il importe de dire clairement que les risques de discriminations et de violences symboliques augmentent.
Les scandales comme Notre-Dame de Bétharram – plus de 200 victimes, des décennies de violences physiques et sexuelles, et une omerta institutionnelle – illustrent la façon dont un univers clos, sacralisé, échappant en grande partie au contrôle public, peut devenir un environnement particulièrement dangereux.
La question des contrôles, ou plus exactement de leur absence, est aussi un point majeur, car on se demande combien de scandales évitables sont encore à venir.
Vous voyez à quel point le sujet est dense — Et je n’ai même pas évoqué les écoles hors contrat. Tout cela mériterait des débats sérieux, de fond, qui remettent l’école au milieu du village. Car l’école n’est pas seulement un lieu d’apprentissage, c’est un lieu où se construit l’avenir démocratique du pays. On ne peut pas traiter cela comme un détail technique.
Mieux comprendre ces enjeux, c’est l’objectif d’un travail comme le livre de mon invité de ce soir, le journaliste Alexis da Silva auteur de « Quand des écoles privées religieuses font leur loi ».
Acermendax
[1] https://www.banquedesterritoires.fr/enseignement-prive-la-cour-des-comptes-veut-moduler-les-moyens-selon-la-composition-sociale-des
[2] Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance – Centre national d’étude des systèmes scolaires – Conseil économique, social et environnemental
[3] Sherkat, D. E. (2011). Religion and scientific literacy in the United States. Social Science Quarterly, 92(5), 1134–1150



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