Dérives sectaires — Les croyances peuvent-elles aider ?

Croyances ou thérapies éprouvées ? Un débat qui traverse le milieu anti-sectes

Dans les milieux de la prévention contre les dérives sectaires, un débat récurrent agite les discussions. Lorsqu’une personne traverse une grande fragilité psychologique, faut-il l’accompagner avec des croyances spirituelles ou religieuses, ou bien s’en tenir strictement aux thérapies scientifiques validées ?

Certains défendent l’idée que les croyances – religieuses, new age ou ésotériques – pourraient faire partie de « l’arsenal thérapeutique ». Leur argument : aucune étude scientifique n’a démontré que croire est, en soi, nocif. D’autres rappellent que ce n’est pas ainsi que fonctionne la science : on n’utilise pas « tant qu’il n’y a pas de consensus contre ». C’est l’inverse : on adopte une méthode lorsqu’elle a prouvé son efficacité et que ses risques sont connus et acceptables.

 

Ce que disent les thérapies scientifiques

Les thérapies validées – thérapies cognitivo-comportementales (TCC), activation comportementale, thérapie interpersonnelle – ont fait l’objet de centaines d’essais cliniques randomisés. Les résultats sont solides : elles réduisent significativement la dépression, l’anxiété ou les troubles obsessionnels, améliorent le fonctionnement quotidien et préviennent les rechutes (Cuijpers et al., 2021 ; Mavranezouli et al., 2024).

Prenons la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience (MBCT), qui a fait l’objet d’analyses sérieuses. Les données suggèrent qu’elle réduit modestement mais significativement le risque de rechute dans la dépression récurrente, comparée aux soins habituels (Kuyken et al., 2016). L’effet n’est pas spectaculaire, et il est moins robuste lorsqu’on compare à un antidépresseur d’entretien, mais il existe. C’est donc une option complémentaire légitime, à condition d’être pratiquée dans un cadre rigoureux et clinique. Rien à voir avec les programmes commerciaux de « pleine conscience » sans contrôle de qualité.

 

La religion et la spiritualité : des bénéfices… mais d’où viennent-ils vraiment ?

On trouve régulièrement des études montrant que les personnes croyantes rapportent une meilleure santé mentale, davantage de sens dans la vie, et parfois même une longévité accrue (Aggarwal et al., 2023 ; Li et al., 2016 ; Lucchetti et al., 2021 ; Vitorino et al., 2018). Mais attention : ces résultats sont corrélationnels, et il est essentiel d’aller au-delà de la surface.

Les bénéfices observés viennent très probablement de facteurs psycho-sociaux et culturels. Dans beaucoup de sociétés, la religion offre un tissu communautaire : des rituels collectifs, un entourage stable, des solidarités concrètes. Or, nous savons que l’isolement est un facteur de risque majeur pour la santé mentale. Autrement dit, ce n’est pas la croyance en une doctrine surnaturelle qui fait du bien, mais l’environnement social qui l’accompagne. La preuve en est que, lorsque la religion prend une forme culpabilisante ou punitive, on observe l’effet inverse : dépression et anxiété accrues. On appelle cela le coping religieux négatif (negative religious coping) (Pargament, Feuille & Burdzy, 2011), et il est associé à davantage de symptômes psychiques (dépression, anxiété) (Ano & Vasconcelles, 2005; Cheng and Ying, 2023), avec des effets prospectifs défavorables mis en évidence sur plusieurs indicateurs de bien-être (Park et al., 2018).

Ces bénéfices apparents de la religion ne disent donc rien sur la valeur intrinsèque des croyances spirituelles (de nature non rationnelle). Ils soulignent simplement le rôle protecteur d’un entourage stable et bienveillant, rôle que d’autres formes de communautés non religieuses pourraient tout autant jouer si nous décidons collectivement d’investir dans cette direction.

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Les croyances irrationnelles : placebo et préjudice

Les pratiques reposant sur des croyances non fondées – Reiki, astrologie, énergies invisibles – n’ont jamais montré d’efficacité spécifique (Zadro et al., 2022 ; Rosa et al., 1998). Leur seul effet est de type placebo, et même cet effet est difficile à isoler : le bénéfice est pour ainsi dire nul. Mais en contrepartie, elles exposent à un risque clair. Lorsqu’elles remplacent des traitements validés, les conséquences sont graves. Dans une étude emblématique, les patients qui ont choisi une approche « alternative » exclusive pour traiter leur cancer (sans traitement conventionnel) ont présenté une surmortalité nette (Johnson et al., 2018a). Dans une autre étude, ceux qui utilisaient des médecines complémentaires en parallèle des traitements classiques n’avaient pas de surmortalité… mais ils pouvaient avoir tendance à refuser certains protocoles conventionnels (Johnson et al., 2018b).

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Pourquoi alimenter une croyance est un risque

Renforcer une explication magique n’est jamais neutre. Les travaux de Steffen Moritz et de son équipe sur le metacognitive training (MCT) montrent que la vulnérabilité aux biais cognitifs – comme la tendance à « sauter trop vite aux conclusions » – favorise la rigidité de croyances infondées et s’associe à une moins bonne santé mentale (Moritz & Woodward, 2007 ; Eichner & Berna, 2016).

Plus une personne fragilisée s’accroche à des explications irrationnelles, plus elle devient dépendante de praticiens non régulés, avec des risques financiers, psychologiques et sectaires. À l’inverse, les programmes qui développent la capacité à questionner ses intuitions et à assouplir ses croyances améliorent les perspectives cliniques (Moritz et al., 2013).

 

Conclusion

La science ne dit pas que toute croyance est nocive. Mais elle ne valide pas la croyance comme traitement. Les bénéfices observés sont en réalité des effets sociaux et culturels : la force du groupe, le sentiment d’appartenance, la réduction de l’isolement.

Ce qui soigne vraiment, ce sont les méthodes testées, transparentes et reproductibles. Alimenter une croyance irrationnelle chez une personne fragile, c’est l’exposer à des risques désormais connus, et c’est donc lui porter préjudice.

La place de l’accompagnement, dès lors, est claire : proposer des thérapies validées, offrir un entourage fiable et une explication rationnelle du monde. Car c’est cela qui permet de se reconstruire. Lorsque l’on apprend à savoir pourquoi l’on croit ce que l’on croit, on devient capable de changer d’avis sans se renier, d’écouter les avis divergents et de se défendre contre les discours qui multiplient les allégations douteuses. Cette souplesse cognitive, qui consiste à remettre en question ses propres intuitions et à ajuster ses croyances en fonction des faits, n’est pas seulement un idéal philosophique : elle est au cœur d’interventions thérapeutiques efficaces comme le metacognitive training, dont les bénéfices démontrent qu’entraîner l’esprit critique protège la santé mentale autant qu’il éclaire la raison.

Acermendax

Références

  • Aggarwal, S., Wright, J., Morgan, A. J., Patton, G. C., & Reavley, N. J. (2023). Religiosity and spirituality in the prevention and management of depression and anxiety in young people: A systematic review and meta-analysis. BMC Psychiatry, 23, 729. https://doi.org/10.1186/s12888-023-05091-2
  • Ano, G. G., & Vasconcelles, E. B. (2005). Religious coping and psychological adjustment to stress: A meta-analysis. Journal of Clinical Psychology, 61(4), 461–480. https://doi.org/10.1002/jclp.20049
  • Cheng, C., & Ying, W. (2023). A meta-analytic review of the associations between dimensions of religious coping and psychological symptoms during the first wave of the COVID-19 pandemic. Frontiers in Psychiatry, 14, 1097598. https://doi.org/10.3389/fpsyt.2023.1097598
  • Cuijpers, P., Quero, S., Noma, H., Ciharova, M., Miguel, C., Karyotaki, E., Cipriani, A., Cristea, I., & Furukawa, T. A. (2021). Psychotherapies for depression: A network meta-analysis covering efficacy, acceptability and long-term outcomes of all main treatment types. World Psychiatry, 20(2), 283–293. https://doi.org/10.1002/wps.20860
  • Eichner, C., & Berna, F. (2016). Acceptance and efficacy of metacognitive training (MCT) for schizophrenia: A meta-analysis. Schizophrenia Bulletin, 42(4), 952–962. https://doi.org/10.1093/schbul/sbv225
  • Johnson, S. B., Park, H. S., Gross, C. P., & Yu, J. B. (2018a). Use of alternative medicine for cancer and its impact on survival. Journal of the National Cancer Institute, 110(1), 121–124. https://doi.org/10.1093/jnci/djx145
  • Johnson, S. B., Park, H. S., Gross, C. P., & Yu, J. B. (2018b). Complementary medicine, refusal of conventional cancer therapy, and survival among patients with curable cancers. JAMA Oncology, 4(10), 1375–1381. https://doi.org/10.1001/jamaoncol.2018.2487
  • Kuyken, W., Warren, F. C., Taylor, R. S., Whalley, B., Crane, C., Bondolfi, G., Hayes, R., Huijbers, M., Ma, H., Schweizer, S., Segal, Z. V., Speckens, A., & Teasdale, J. D. (2016). Efficacy of mindfulness-based cognitive therapy in prevention of depressive relapse. JAMA Psychiatry, 73(6), 565–574. https://doi.org/10.1001/jamapsychiatry.2016.0076
  • Li S, Stampfer MJ, Williams DR, VanderWeele TJ. (2016) Association of Religious Service Attendance With Mortality Among Women. JAMA Intern Med. 176(6):777–785. doi:10.1001/jamainternmed.2016.1615
  • Lucchetti, G., Koenig, H. G., & Lucchetti, A. L. G. (2021). Spirituality, religiousness, and mental health: A review of the current scientific evidence. World Journal of Clinical Cases, 9(26), 7620–7631. https://doi.org/10.12998/wjcc.v9.i26.7620
  • Mavranezouli, I., Dixon, S., Shearer, J., Hunter, R. M., Marshall, C., Zhelev, K., Delgadillo, J., et al. (2024). A systematic review and network meta-analysis of psychological, psychosocial, pharmacological, physical and combined treatments for adults with a new episode of depression. eClinicalMedicine, 75, 102780. https://doi.org/10.1016/j.eclinm.2024.102780
  • Moritz, S., & Woodward, T. S. (2007). Metacognitive training for schizophrenia: From basic research to knowledge translation and intervention. Current Opinion in Psychiatry, 20(6), 619–625. https://doi.org/10.1097/YCO.0b013e3282f0b8ed
  • Moritz, S., Veckenstedt, R., Bohn, F., Hottenrott, B., Scheu, F., Randjbar, S., Aghotor, J., Köther, U., Woodward, T. S., Treszl, A., Andreou, C., Pfueller, U., & Roesch-Ely, D. (2013). Complementary group metacognitive training (MCT) reduces delusional ideation in schizophrenia. Schizophrenia Research, 151(1–3), 61–69. https://doi.org/10.1016/j.schres.2013.10.007
  • Pargament, K. I., Feuille, M., & Burdzy, D. (2011). The Brief RCOPE: Current psychometric status of a short measure of religious coping. Religions, 2(1), 51–76. https://doi.org/10.3390/rel2010051
  • Park, C. L., Holt, C. L., Le, D., Christie, J., & Williams, B. R. (2018). Positive and negative religious coping styles as prospective predictors of well-being in African Americans. Psychology of Religion and Spirituality, 10(4), 318–326. https://doi.org/10.1037/rel0000124
  • Pearce, M. J., Koenig, H. G., Robins, C. J., Nelson, B., Shaw, S. F., Cohen, H. J., & King, M. B. (2015). Religiously integrated cognitive behavioral therapy: A new method of treatment for major depression in patients with chronic medical illness. Psychotherapy, 52(1), 56–66. https://doi.org/10.1037/a0036448
  • Rosa, L., Rosa, E., Sarner, L., & Barrett, S. (1998). A close look at therapeutic touch. JAMA, 279(13), 1005–1010. https://doi.org/10.1001/jama.279.13.1005
  • Vitorino, L. M., Lucchetti, G., Leão, F. C., Vallada, H., & Peres, M. F. P. (2018). The association between spirituality and religiousness and mental health. Scientific Reports, 8, 17233. https://doi.org/10.1038/s41598-018-35380-w
  • Zadro, J. R., Shirley, D., Quinn, T. J., Pope, R., & Shirley, R. (2022). Is Reiki more effective than placebo? A systematic review and meta-analysis. Frontiers in Psychology, 13, 816700.

 

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