Un défi pour les croyants : le paradoxe de l’autonomie morale

Je propose un défi amical aux croyants.

Beaucoup utilisent la notion de libre arbitre comme la justification aux horreurs qui remplissent le monde. Les humains seraient capables de faire le mal parce que Dieu les aime, et qu’il les veut libre de s’adonner à toutes les crapuleries et massacres imaginables, libres de se haïr en son nom, et libres de se damner eux-mêmes. Soit.

Mais jamais personne n’a réussi à définir le libre arbitre puis à démontrer son existence, alors voici l’énoncé de mon défi, il tient en une simple phrase : Veuillez, s’il vous plait, donner un jugement moral que vous portez, sincèrement, sur le monde tout en sachant que Dieu a un jugement différent du vôtre.

Bien sûr, vous aurez compris que je m’appuie sur la prémisse voulant que le libre arbitre implique nécessairement la possibilité d’un désaccord moral avec Dieu, et que la démonstration d’un tel désaccord serait le meilleur moyen d’apporter un peu de validité au concept de libre arbitre, sans quoi son utilisation n’est que pure et stérile rhétorique.

 

Une virgule dans l’histoire des idées

Mon défi sur l’alignement divin s’inscrit dans une longue tradition de questionnements philosophiques et théologiques sur le libre arbitre, la moralité et la relation entre les jugements humains et divins.

Ces questions ont été profondément débattues par des philosophes comme Saint Augustin, Thomas d’Aquin, Jean Calvin et John Locke, qui ont exploré la tension entre la souveraineté divine et la liberté humaine. Leibniz, dans ses Essais de Théodicée, a tenté de concilier la bonté de Dieu avec l’existence du mal. Friedrich Nietzsche et David Hume, chacun a sa manière, ont soutenu que les jugements moraux sont basés sur des sentiments subjectifs plutôt que sur des principes universels. Les existentialistes — Jean-Paul Sartre et Albert Camus en tête — ont proposé que dans un monde absurde ou indifférent, l’humain devait accepter sa condamnation à être libre et responsable de son sens moral.

Ma proposition peut être vue comme une reformulation du dilemme d’Euthyphron posé par Platon, où Socrate interrogeait déjà si « le pieux est aimé des dieux parce qu’il est pieux, ou est-il pieux parce qu’il est aimé des dieux ». Ce que j’appelle « l’externalisation des compétences morales » rejoint cette interrogation millénaire sur l’autonomie des valeurs morales par rapport aux prescriptions divines.

En critiquant la façon dont les croyants délèguent leur jugement moral à une autorité divine tout en prétendant exercer leur libre arbitre, je rejoins la critique kantienne de l’hétéronomie morale. Kant avait souligné l’importance de l’autonomie morale – la capacité à déterminer soi-même les principes moraux par la raison – par opposition à l’hétéronomie où les principes moraux sont reçus d’une autorité externe. Ma question s’inscrit aussi dans la lignée de la critique feuerbachienne, qui voyait dans les attributs divins une projection des qualités humaines. Ludwig Feuerbach soutenait que nous créons Dieu à notre image, puis oublions que nous sommes les créateurs de cette projection.

Égrener les noms de cent mille autre penseurs pourrait apporter une forme d’autorité, de poids académique, à ma proposition, ou simplement donner des gages que l’auteur connait un peu ses classiques et a acquis le droit d’émettre une opinion. C’est l’occupation favorite de maints ‘philosophes’ ; je ne saurai me mesurer à ce genre de talent, je ne m’étendrai donc pas davantage.

Je choisis la forme du « défi » non par attitude martiale mais pour donner au lecteur une impulsion à sa réflexion sur un sujet où 25 siècles de philosophie ne nous ont pas été d’un secours aussi franc qu’on aurait pu l’espérer, et parce que cela me semble tout à fait cohérent avec le message de l’autonomie du jugement qui est le mien derrière cette initiative.

 

Comment répondre ?

Les croyants semblent incapables de répondre à ce problème qui montre que Dieu est une forme d’externalisation des compétences morales, une marionnette ventriloque permettant d’octroyer une autorité supérieure aux jugements que nous ne savons pas justifier. Au lieu de chercher à raisonner sur nos jugements pour trouver des raisons objectives de leur valeur, ou éventuellement en changer, nous court-circuitons le processus de validation d’une éthique responsable et digne de la raison, pour nous rassurer nous, et ceux qui pensent comme nous.

Face à ce défi, le non croyant que je suis peut très facilement relever des paroles prêtées à Dieu dans les écritures avec lesquelles je suis en désaccord total : Les génocides, je suis contre, et je pense que Dieu a tort d’en exiger à plusieurs reprises dans les textes. Sur les mutilations sexuelles des enfants, l’esclavage, l’assujétissement des femmes qui doivent obéir, qui valent moins que les hommes ou l’idée de châtiments éternels… je suis en désaccord moral avec Dieu.

Le croyant, s’il est d’accord avec moi, s’il porte les mêmes jugements sur les exemples que j’ai listés, va toujours préférer remettre en question la manière d’interpréter le texte de sorte à lui faire dire une chose qui sera acceptable pour lui, plutôt que la version littérale, transparente et parfaitement compréhensible des écritures. Le croyant a des jugements moraux, mais il ne les assume qu’à travers un texte qu’il maltraite jusqu’à ce qu’il puisse lui faire dire quelque chose qui valide ses idées.

À cause de cela, il n’existe pas de degré de liberté entre les jugements du croyant sur le bien et le mal et les jugements de Dieu. Ces mêmes croyants passent pourtant leur temps à affirmer qu’ils ont un libre arbitre, que Dieu leur a donné, que c’est la chose la plus précieuse du monde et que c’est pour ça que des millions enfants crèvent de maladies parasitaires.

Cet argumentaire est un délire auquel il faudrait mettre un terme. Peut-être le défi de l‘alignement divin pourra-t-il servir à cela. Je vous laisse partager l’idée et donner votre avis.

Mais restons tous bien calmes et courtois puisque Dieu n’existe pas jusqu’à preuve du contraire.

Acermendax

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4 réponses
  1. ag sd
    ag sd dit :

    Jolie tirade, bien huilée, pleine de verve et de jugements péremptoires — tu ferais un excellent prophète, si tu n’étais pas si occupé à t’en moquer.

    Tu parles du libre arbitre comme d’un mythe commode, mais t’as pas l’air trop gêné de l’utiliser toi-même pour pondre tes opinions sans fondement supérieur.
    Et ce “défi” que tu proposes ? C’est mignon.
    Tu présentes le croyant comme un automate de versets et toi-même comme le parangon de la morale lucide, mais sans jamais nous dire d’où sort ta propre boussole éthique.
    Mais t’as surtout bricolé une impasse rhétorique, dommage, parce que t’effleures un vrai sujet.

    Tu demandes une preuve du libre arbitre, comme si c’était une équation à résoudre, mais des penseurs bossent dessus depuis des millénaires. Spoiler : c’est pas un bouton ON/OFF dans le cerveau.
    Ensuite, tu fais croire que le croyant ne peut pas avoir de désaccord moral avec Dieu sans se contredire. Mais en réalité, toute la théologie sérieuse repose sur cette tension entre texte, raison et conscience. C’est pas du « tripotage de versets », c’est de l’interprétation — t’sais, comme on fait avec tous les textes complexes.
    Et puis surtout, tu juges Dieu… sans jamais dire d’où viennent tes valeurs. Tu dénonces des trucs horribles (génocide, esclavage…), mais pourquoi c’est mal, selon toi ? Parce que tu le ressens ? Parce que c’est moderne ? Parce que Reddit est d’accord ? Si Dieu est une « autorité inventée », toi tu fais appel à quelle autorité ? Ton indignation ?

    En gros : tu reproches au croyant de se cacher derrière Dieu, mais tu te caches derrière « l’évidence morale » comme si c’était pas exactement la même stratégie.

    T’as le droit de critiquer, mais commence par jouer avec les mêmes règles que les autres.

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  2. Monday
    Monday dit :

    Pas mal ton « défi », mais t’as surtout bricolé une impasse rhétorique pour faire croire que tous les croyants sont soit des robots, soit des hypocrites. Dommage, parce que t’effleures un vrai sujet.

    Tu demandes une preuve du libre arbitre, comme si c’était une équation à résoudre, mais des penseurs bossent dessus depuis des millénaires. Spoiler : c’est pas un bouton ON/OFF dans le cerveau.
    Ensuite, tu fais croire que le croyant ne peut pas avoir de désaccord moral avec Dieu sans se contredire. Mais en réalité, toute la théologie sérieuse repose sur cette tension entre texte, raison et conscience. C’est pas du « tripotage de versets », c’est de l’interprétation — t’sais, comme on fait avec tous les textes complexes.

    C’est marrant, tu balances les génocides bibliques comme si tu avais trouvé le cheat code pour démonter toute la foi religieuse. Mais t’as l’air d’avoir zappé deux trucs majeurs.

    Tu crois que les croyants sont des automates qui appliquent tout ce qu’ils lisent dans un texte sacré — mais dans la réalité (celle avec des bibliothèques), les religions interprètent, trient, hiérarchisent, contextualisent. Les génocides de l’Ancien Testament ne sont pas vus comme des modèles à suivre, mais souvent comme des récits tragiques, violents, parfois même problématiques à affronter dans la foi. C’est pas un tuto, c’est un miroir — parfois sale, parfois dérangeant.
    Donc poser la question “êtes-vous d’accord avec Dieu sur les génocides ?” revient à demander à un médecin s’il est d’accord avec tous les cas cliniques du manuel de pathologie.

    Tu juges Dieu et les croyants avec une morale que tu ne justifies jamais. Tu dis “moi je suis contre les génocides”, bravo, moi aussi, et 99,9% des humains aussi. Mais pourquoi ? C’est mal selon quoi ? Ta morale personnelle ? Le consensus actuel ? L’histoire ? Ta sensibilité ?
    Tu veux qu’un croyant justifie ses jugements, très bien. Mais commence par faire le ménage chez toi. Si t’as pas de fondement objectif à ta morale, t’es juste un autre type qui pense avoir raison — comme tout le monde. Tu dénonces l’autorité religieuse, mais tu fais confiance à ton propre goût moral comme s’il venait de la Voie Lactée.

    En gros : tu reproches au croyant de se cacher derrière Dieu, mais tu te caches derrière « l’évidence morale » comme si c’était pas exactement la même stratégie.

    T’as le droit de critiquer, mais commence par jouer avec les mêmes règles que les autres.

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  3. jo
    jo dit :

    Toute morale, religieuse ou laïque, repose sur des principes qu’on ne peut pas justifier indéfiniment. Chaque règle (“il ne faut pas tuer”) appelle une raison (“cela fait souffrir”), qui appelle à son tour une justification, sans jamais atteindre un fondement ultime. À un moment, il faut poser un postulat moral arbitraire : Dieu, la dignité humaine, la rationalité, la compassion… tous sont des choix assumés, pas des vérités démontrées.

    Croyants et non-croyants sont donc égaux sur ce point : chacun parie sur une source morale sans preuve finale. Là où un croyant croit en la volonté divine, un non-croyant croit que sa propre morale est fondée, sans pouvoir réellement la justifier non plus. La biologie, l’évolution ou la rationalité sont souvent invoquées, mais elles nous entraînent dans une justification circulaire infinie : pourquoi être rationnel ? pourquoi vouloir vivre ensemble ? pourquoi éviter la souffrance ? C’est dans cet infini que, personnellement, je vois Dieu.

    Quant à l’idée que l’accord avec Dieu serait une forme de soumission aveugle, elle repose sur une caricature. On peut choisir d’adhérer à une volonté divine en toute conscience, en reconnaissant nos limites sans prétendre juger l’absolu. Le libre arbitre n’est pas défini par l’opposition, mais par la présence d’une alternative possible. Ce qui prouve la liberté de celui qui suit Dieu, ce n’est pas qu’il le contredit, mais qu’il aurait pu ne pas le faire.

    Personne ne peut prétendre être parfaitement aligné avec Dieu — si tant est qu’il incarne le Bien. Chaque être humain aspire à s’en rapprocher, sans jamais savoir à quel point il en est éloigné. Un enfant peut respecter profondément son père sans penser pouvoir le juger. De même, on peut reconnaître une autorité morale supérieure sans que cela nie notre liberté : la liberté ne réside pas dans la rébellion, mais dans la capacité à choisir librement d’obéir.

    Enfin, sur les textes religieux : toute loi, qu’elle soit sacrée ou profane, s’interprète. C’est une évidence en droit. On peut manipuler n’importe quel texte — religieux, juridique ou philosophique — pour justifier des atrocités. Le problème n’est pas le texte, mais ce que les hommes choisissent d’en faire.

    Tu poses le défi suivant : “Exprime un désaccord moral sincère avec Dieu pour prouver ton libre arbitre.”
    Mais ce défi s’annule de lui-même. Le libre arbitre ne se prouve pas par le désaccord, mais par la simple possibilité du choix. Le croyant est libre non parce qu’il s’oppose, mais parce qu’il aurait pu le faire, et qu’il choisit, en pleine conscience, de suivre une voie qu’il estime juste — même s’il ne peut pas en démontrer la validité ultime. Il adhère à une morale qu’il ne peut prouver, exactement comme le fait l’athée.

    Car au fond, l’athée qui dénonce la religion au nom de principes moraux — justice, dignité, compassion — agit lui aussi par foi, même s’il ne la nomme pas ainsi. Il s’appuie sur des valeurs qu’il ne peut pas fonder rationnellement jusqu’au bout, mais qu’il juge intuitivement évidentes, inviolables, presque sacrées.

    C’est là le paradoxe que beaucoup refusent de regarder en face : la morale de l’athée n’est pas moins mystique que Dieu lui-même. Elle repose sur un acte de croyance muette, une confiance profonde dans des principes que rien n’impose objectivement. Le croyant l’admet et appelle cela “foi”. L’athée, souvent, préfère l’ignorer et parler de “valeurs humaines”.

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  4. Antoine
    Antoine dit :

    Ma réponse, aussi en commentaire YouTube. Aider par chat GPT pour le style et l’orthographe, j’ai un trouble Dys. Pour le contexte je suis ingénieur diplômé de l’esigelec et Cpge tsi et Calviniste Convaincu selon la profession de foi de westminster

    Réponse au défi :

    Ton défi repose sur une tension apparente entre jugement moral humain et jugement divin, et tu pointes le libre arbitre comme une justification inadéquate au mal. Mais du point de vue réformé, notamment calviniste, cette tension est résolue non pas par un appel au libre arbitre autonome, mais par la souveraineté absolue de Dieu, y compris sur la volonté humaine corrompue depuis la Chute.

    1. Sur le libre arbitre : Selon Jean Calvin dans l’Institution de la religion chrétienne (livre II), après la Chute, l’homme est esclave du péché : son « libre arbitre » est en fait esclave de sa nature déchue. Louis Berkhof, dans sa Systematic Theology, distingue bien entre la liberté (capacité d’agir sans contrainte extérieure) et le libre arbitre (capacité morale de choisir le bien sans l’intervention de la grâce). Cette dernière, il la rejette. R.C. Sproul va plus loin en disant que croire en un libre arbitre absolu, c’est croire à une souveraineté humaine capable de défier celle de Dieu — une erreur grave.

    2. Double prédestination : Calvin enseigne que Dieu, dans sa souveraineté, a prédestiné certains à la vie éternelle et d’autres à la perdition (Instit. III, 21-24). Herman Bavinck insiste dans La Dogmatique réformée que cela ne rend pas Dieu auteur du péché, mais manifeste sa justice insondable et sa gloire : « Même le mal est inclus dans le dessein de Dieu, sans que Dieu en soit l’auteur moral. »

    3. Le défi moral et la critique kantienne : Ton défi suppose que le jugement moral humain peut être comparé à celui de Dieu. Or, Kant place la morale dans la raison autonome, séparée de toute révélation divine. Cela mène à un humanisme moral où l’homme devient juge ultime. Le danger ici est qu’il établit un tribunal moral humain au-dessus de Dieu, ce qui est une forme d’idolâtrie intellectuelle. Sproul écrivait : « Le plus grand péché du siècle moderne est la tentative de juger Dieu. »

    4. Réponse directe au défi : En tant que croyant réformé, je ne peux pas formuler un jugement moral sincère qui contredirait celui de Dieu, car cela reviendrait à dire que ma conscience, corrompue par le péché, est plus juste que la sienne. Cela serait insensé et blasphématoire. Si je vois une horreur, je la condamne parce que Dieu la condamne. S’il ne la condamne pas (ou s’il la permet pour sa gloire), je me tais et m’incline. Car « les jugements du Seigneur sont vrais, ils sont tous justes » (Psaume 19.9).

    Conclusion : Ton défi est en réalité un piège kantien, où l’homme s’imagine être la mesure du bien et du mal. Mais en théologie réformée, Dieu seul est la norme morale. Il ne nous doit rien. Il n’a pas à justifier le mal devant l’homme. Notre rôle est de nous soumettre, non de juger Celui qui juge toutes choses.

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