Conflit politique : que faire ?

À quoi peut bien servir la zététique dans le contexte de 2024 ?

 

« Esprit critique : pensée réflexive et rationnelle dédiée à décider ce qu’il faut croire et ce qu’il faut faire. »

Cette définition de Robert Ennis est imparfaite, mais elle est largement acceptée comme un excellent résumé.

 

Or donc : en 2024, que faut-il croire ? Sans doute un maximum de choses vraies et aussi peu de choses fausses que possible. Comme toujours, selon moi. Il est probable aussi qu’il soit utile de croire que nos problèmes ont des solutions, que la panique nous en éloigne, que la peur est mauvaise conseillère et la colère peu fiable, qu’investir dans le savoir, l’éducation et la culture du débat a des chances de nous ouvrir plus de portes que les choix alternatifs.

Et que faut-il faire ? Chacun jugera… Probablement faire les choix qu’on a le moins de risque de regretter, défendre les valeurs qui nous semblent irréductibles, dissiper le brouillard des mythes sur l’histoire du monde, des peuples et des dirigeants, attirer l’attention sur le bien commun dont la poursuite a permis de grandes avancées.  Et lutter contre les discours qui n’ont de succès qu’en court-circuitant notre rationalité. Je me permets de considérer que l’on contribue à tout ça quand on fait la promotion de l’esprit critique.

 

La zététique n’appartient à aucun parti politique, mais elle n’est pas « neutre », elle participe d’un engagement pour la place de la raison et des sciences dans nos décisions individuelles et collectives (demandez aux intégristes s’ils trouvent ça neutre !). Elle fournit des outils qui aident chacun à se poser des questions utiles et pertinentes ; je la compare à une sorte de logiciel antivirus pour l’esprit. En situation de conflit idéologique, elle nous aide à nous demander :

  1. Pourquoi pensé-je ce que je pense ?
    • Parfois je n’ai pas de réelle bonne raison de croire X, et je ne le comprends qu’en faisant l’effort de les chercher. Si ma seule raison de croire X est que cela me permet d’appartenir à un groupe… ce groupe mérite-t-il que je veuille en faire partie ?
  2. Quelles sont mes priorités ?
    • Il y a des idées que je peux m’abstenir de défendre ; et d’autres au sujet desquelles je suis en mesure et en devoir d’agir. Je suis le seul à pouvoir les distinguer.
  3. En vue de mes priorités, quelles attitudes dois-je adopter pour tendre vers les résultats souhaités ?
    • C’est ce qu’on appelle la rationalité instrumentale. Attention : elle peut conduire à des actes très méthodiques et monstrueux si elle s’appuie sur des valeurs qui le permettent.
  4. Ai-je bien pris en compte mes affects et ceux des personnes à qui je m’adresse ?
    • Je serais fautif de négliger les émotions de ceux que je veux convaincre par la raison (c’est ce que j’appelle le paradoxe de la rationalité, Cf chapitre 5 de L’Esprit critique pour les Nuls)
  5. Que puis-je faire pour rétablir une vérité malmenée par des groupes qui savent s’attirer la sympathie de gens qui vivent autour de moi ?
    • Bon courage, la réponse ne viendra pas sans avoir sérieusement pensé aux 4 premières questions.

Celles et ceux qui défendent la zététique ne peuvent le faire que parce nous vivons dans une démocratie (pleine de défauts) où la liberté de conscience et d’expression est garantie, où le mérite d’une idée, normalement, ne repose pas sur l’identité de celui qui l’émet (principe d’égalité), où chacun a acquis des notions clés sur la manière d’évaluer la confiance qu’on peut accorder à un énoncé. Ceux qui, au nom de la liberté, adulent le modèle autoritaire liberticide Russe délirent, se mentent à eux-mêmes où croient malin de prêcher le faux pour mieux détruire un ennemi idéologique : vous connaissez l’histoire du futé qui scie la branche sur laquelle il est assis.

 

Sur la démographie, l’énergie, le climat, la géopolitique, le maintien de l’ordre, la santé publique… je peux choisir de me fier corps et âme à un « camp » dont j’ai décidé qu’il avait raison. Mais comme disait Einstein « Ceux qui aiment marcher en rangs sur une musique : ce ne peut être que par erreur qu’ils ont reçu un cerveau, une moelle épinière leur suffirait amplement. »*

Je suis une personne rationnelle si je sais douter des arguments et des méthodes mises au service d’idées qui me sont chères. Si mes idées sont défendues par la violence, par l’outrance, par des phrases fallacieuses, des promesses extravagantes ou l’appel à la colère et à la haine qui brident le sens critique, j’ai très sérieusement intérêt à réexaminer mes raisons d’adhérer à ces idées et mon envie de donner du pouvoir à des individus qui agissent de la sorte. Il y a des camps politiques qu’on trouve systématiquement du côté des dérives sectaires, de l’emprise mentale, de l’intégrisme et de l’anti-science ; on sait ce qu’ils font avec le pouvoir qu’ils réussissent à obtenir.

 

L’existence d’une culture rationaliste, scientifique et laïque n’est pas une évidence ni un cadeau de la providence mais le résultat d’une histoire que nous ne connaissons pas assez bien. Ce joyau est menacé quand des populistes autoritaires et dogmatiques s’approchent du pouvoir et pourraient acquérir la capacité à entraver les travaux des chercheurs, des penseurs, des journalistes et des citoyens qui, en défiant les évidences et les mythes, permettent que nous nous débarrassions tous d’idées fausses, handicapantes, illusoires, et nous gardent focalisés sur cette chose dont, bizarrement, plus personne ne parle alors que nos ancêtres nous l’envieraient : le progrès.

 

J’ai un seul conseil : amenez votre esprit critique avec vous dans l’isoloir.

En fait j’en ai un deuxième : don’t be a dick.

 

Acermendax
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* Vous avez détecté un argument fallacieux d’appel à l’autorité : félicitation. C’est assez facile à repérer dans l’argumentaire des gens avec qui nous sommes en désaccord ; le vrai défi est de ne pas l’accepter de la part de ceux qui défendent des idées qui nous semblent vraies, en tout cas si la rationalité fait partie de vos valeurs.

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