Depuis fin 2016, le cas d’Idriss Aberkane a attiré l’attention du monde de la vulgarisation scientifique par son travail clinquant, mais surtout en raison de l’argumentaire massue dégainé à longueur d’interview : un curriculum vitae incroyable, et auquel beaucoup ont choisi de croire alors qu’il aurait fallu en douter. Il a ainsi été épinglé dans plusieurs critiques rédigées par des vulgarisateurs des sciences très attachés à la probité de ce métier.
Tribune : Les fausses informations scientifiques sont des “fake news” comme les autres.
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La réaction de l’intéressé aux critiques de son discours consiste à jouer la victime et à maintenir son scénario : il est un génie jalousé. Ce choix est sans doute motivé par le succès que ses mensonges lui permettent de rencontrer auprès des médias et des éditeurs. Nous devons donc interroger d’urgence un système qui récompense la fraude et se montre incapable d’une autocritique avant qu’il soit trop tard.
Le livre d’Idriss Aberkane (un traité de développement personnel grimé en expertise sur les neurosciences et les sciences de l’éducation) rencontre visiblement un franc succès, pour le plus grand plaisir de son éditeur. Assez logiquement, un autre livre est en préparation. Afin de s’assurer que la presse ne puisse qu’être élogieuse à la sortie de ce futur livre, l’éditeur tente une manœuvre stupide : la censure des blogs se montrant critiques envers le lucratif auteur. C’était tout début 2018. Quelques mois plus tard, nous découvrons un nouveau produit dans la galaxie Aberkane : un cours en ligne payant. Et il est temps pour un nouveau chapitre.
Episode de janvier 2018 : Censure de la critique
Fin janvier 2018 on apprend que des blogueurs et des hébergeurs ont été mis en demeure de retirer des articles critiques envers Idriss Aberkane. L’avocat des éditions Robert Laffont donne pour motif la diffamation dont l’auteur serait victime. Le délai de prescription étant écoulé, la démarche est tout au plus un coup de bluff.
Extrait d’un article d’Arrêt sur Images.
« Plusieurs blogueurs scientifiques, hébergés notamment sur Marianne.fr et Libération.fr, ont reçu une mise en demeure de l’avocat de l’éditeur Robert Laffont. Ce dernier demande le retrait d’articles publiés en 2016, critiques d’Idriss Aberkane. Ce jeune essayiste et chroniqueur au Point, spécialisé dans l’optimisation des performances du cerveau, publié chez Robert Laffont, publie un nouveau livre prochainement. » (source)
Étaient notamment visés les billets suivants :
- « Idriss Aberkane, imposteur des débats sur l’école ».
- « La science et les médias : ce que révèle le succès litigieux d’Idriss Aberkane »
Un coup pour rien : ces articles sont toujours en place, on peut même espérer qu’ils ont joui d’un effet Streisand bien mérité. Le blog La Menace Théoriste n’a reçu aucun courrier de l’avocat en question. Cette péripétie illustre un décalage par rapport à la manière dont un scientifique répond aux critiques : par le débat ouvert, la démonstration méthodique, la publication de ses travaux dans des journaux d’experts… Aberkane ne sait pas (ou ne veut pas ?) se défendre sur le terrain scientifique. Il s’agit d’un comportement qu’on a vu chez les frères Bogdanov qui ont le procès facile dès qu’on remet en cause la scientificité de leurs thèses.
Contrairement au scénario victimaire qu’il répand, Idriss Aberkane n’est pas étrillé pour son seul CV, mais bel et bien pour le contenu indigent de ses articles et conférences et pour sa posture faussement disruptive (c’est à la mode) avec le système en place.
- « Le CV d’Idriss Aberkane : y a-t-il tromperie sur la marchandise ? »
- « Le baratin à la française »
- « Le scientifique médiatique »
- « Idriss Aberkane, roue de secours du capitalisme »
L’intéressé a choisi de ne jamais répondre sur le fond à ces critiques, comme le ferait un authentique chercheur. Ceux qui ne lui accordent guère de crédit ne sont pas surpris par cette posture, les autres devraient s’en offusquer. Idriss Aberkane aurait dû suivre le conseil d’Isaac Asimov (qui nous accompagnera tout au long de ce billet) :
« On gagne toujours à jouer cartes sur table, surtout lorsqu’on a la réputation de cacher son jeu. » (Fondation, Tome 1).
Une stratégie de personnification.
Auprès de ses fans, la victimisation fonctionne bien, c’est naturel. On peut comprendre que ceux qui sont attachés à certaines valeurs dont ils pensent qu’Aberkane les défend, voire qu’il les défend seul contre tous, croient a priori que les critiques sont inspirées par de mauvais sentiments à l’égard de sa personne. Il nous faut donc rappeler, comme à chaque fois, que nous opérons bien la distinction entre les individus, leurs idées et leurs arguments. Les arguments sont faits pour être secoués et mis à l’épreuve, les idées sont faites pour être remises en cause, aucun des deux n’a droit au respect. Ainsi seulement peut-on épargner l’intégrité des personnes avec lesquelles nous serions en désaccord. Il faut donc comprendre que nul ne fait le procès d’Idriss Aberkane ; c’est sa rhétorique, son recours aux mensonges par déformation sémantique, et le système qui permet à ces mensonges de lui apporter du succès qui sont les cibles des nombreuses critiques.
Mais le gros problème ici, et il n’est pas de notre fait, c’est que le principal produit que vend Idriss Aberkane, c’est… Idriss Aberkane : « Mon CV, c’est la partie la plus solide de mon ouvrage » dit-il le 17 novembre 2016 sur France 24. Cette stratégie d’incarnation du produit commercial est très efficace pour la viralité dudit produit, elle créé un lien affectif avec le public, et elle personnalise d’emblée n’importe quel critique. De fait, on ne peut pas critiquer le produit Idriss Aberkane sans donner l’impression qu’on critique la personne qui porte le même nom.
Eléments de défense employés par Idriss Aberkane :
- « Les petits esprits attaquent les gens, les grands esprits attaquent les idées »
- « Vous savez bien qu’on ne peut pas être crédible aujourd’hui si on n’est pas attaqué ».
Le Point : un journal complice de fraude intellectuelle. D’abord en attribuant à Aberkane des titres qu’il n’a pas (« chercheur en neurotechnologies à Polytechnique et à Stanford ») ce qu’un minimum d’éthique journalistique permet de vérifier. Mais aussi en lui confiant régulièrement une pleine page pour qu’il partage ses opinions en tant qu’expert qu’il n’est pas, acquérant au passage une légitimité qui entretient l’imposture.
Sur le biomimétisme, mieux vaut se tourner vers des personnes qui ont un vrai bagage scientifique et des prétentions conformes à leur pedigree comme Janine Benyus.
Episode de juin 2018 : Le cours en ligne.
Idriss Aberkane vend désormais de la neuroergonomie. En flagrante contradiction avec le cœur de son propos : le besoin de la libre circulation de la connaissance, le voici qui marchande l’accès à environ huit heures de vidéo. Le texte de sa présentation d’une minute trente est un parfait exemple de sophistique où l’on n’apprend rien sur le contenu du cours, car ce qu’il nous faut apparemment savoir c’est combien leur auteur est un homme à succès. De la poudre aux yeux !
Examiner la rhétorique déployée dans la petite annonce vidéo permet de révéler de façon éclatante le sophiste derrière le « neurosage ». Puissante ironie, cette vidéo est l’archétype de la manipulation mentale contre laquelle il promet de protéger ses élèves.
« Bonjour mesdames et messieurs, je m’appelle Idriss Aberkane. Je suis docteur de l’école Polytechnique en sciences cognitives appliquées aux sciences de gestion. J’ai été chercheur à l’université de Stanford à vingt ans… »
On n’est pas « chercheur » à l’université si l’on n’est pas docteur, ou à tout le moins co-auteur d’un travail de recherche publié dans un journal scientifique. À 20 ans, monsieur Aberkane avait tout au plus un DEUG. Personne n’appelle un étudiant en DEUG « chercheur », même quand il participe à des travaux de recherche, et cette ambiguïté confine au mensonge pour quelqu’un du métier. Le même type de mensonge se retrouvait déjà dans son CV avec le mot « professeur« . On doit malheureusement constater qu’Idriss Aberkane n’a pas fini de mentir, même sous la pression des fact-checkers. Sur ce besoin de se prévaloir de titres universitaires, citons Isaac Asimov : « La gloire passée ne nourrit guère. »
« Je suis resté affilié à cette université pendant plus de sept ans. Je suis également passé par Normal Sup et Cambridge »
Mais sans produire aucun article de recherche… Donc probablement sans faire de travail de recherche. Donc probablement sans y être chercheur. Nous assistons ici à une manipulation de l’effet halo. Apposer une chose très positivement connotée (Stanford) à côté d’une autre (Idriss Aberkane) a tendance à produire une sorte de contagion des qualités de la première vers la seconde.
L’ensemble de cette introduction est un long argument d’autorité, l’un des sophismes les plus répandus dans les pseudosciences.
« Et pourtant dans le cours que je vais vous faire, je vais vous parler de l’importance d’être autodidacte. De l’importance de l’échec. Je vais vous dire que l’échec est un diplôme. Mais je vais surtout vous parler de neuroergonomie. »
Les cours en ligne s’adressent à des personnes qui ne sont pas dans le parcours classique des universités et écoles. Les phrases ci-dessus ressemblent beaucoup à ce qu’il faudrait dire pour les rassurer et les flatter. À ce sujet, citons Isaac Asimov : « L’anti-intellectualisme a été un fil conducteur qui serpente à travers notre vie politique et culturelle, nourrie par la fausse idée que la démocratie signifie que « mon ignorance vaut autant que vos connaissances ». »
« Ca a l’air de quelque chose d’ésotérique, de quelque chose de réservé à une élite neuroscientifique particulière. Mais pas du tout. Celui qui connait son cerveau, eh bien il connait la condition humaine, si on voulait adapter les phrases de Montaigne au présent d’aujourd’hui. Je voudrais vous montrer dans ce cours que connaître son cerveau est décisif au 21è siècle parce que si vous ne connaissez pas votre cerveau, d’autres gens le connaîtront pour vous et ce ne sera pas dans votre intérêt »
Tout est vrai dans ces phrases. La mise en garde est curieusement pertinente. Notez bien qu’il n’est pas question pour moi d’être en désaccord avec tout ce qui sort de la bouche de ce monsieur. Du reste, les baratineurs ont toujours intérêt à mettre un maximum de vérités dans leur baratin.
« J’ai écrit un livre à ce sujet qui s’appelle « Libérez votre cerveau ; traité de neurosagesse pour changer l’école et la société ». Ce livre a connu un certain succès puisqu’il a été vendu à plus de 200 000 exemplaires à travers le monde. Il a été traduit en chinois, coréen, japonais, russe, grec et allemand. Espagnol, bien sûr. Et italien. »
Cette fois, c’est un argument ad populum. La popularité d’un livre n’est pas garante de la véracité de son contenu, on trouverait bien des exemples au cours de l’histoire. Mais le spectateur pourra être impressionné par ce sophisme s’il ne le reconnait pas pour tel.
« Eh bien dans ce livre j’ai inventé le mot de neurosagesse pour rappeler quelque chose qu’Isaac Asimov avait dit, qui sera la structure de mon cours : une civilisation qui produit beaucoup de connaissances et peu de sagesse est vouée à l’extinction, eh bien voyons quelle sagesse nous pouvons tirer de l’étude de nos propres nerfs. »
Ainsi s’achève cette annonce. Rappelons que le concept de neurosagesse n’a jamais été soumis à l’examen des scientifiques du domaine, et qu’à ce titre il ne vaut scientifiquement pas plus que n’importe quel concept de fiction. Isaac Asimov, grand auteur de SF, mais également prolifique vulgarisateur des sciences, n’a jamais prétendu que ses romans avaient une valeur scientifique, tout simplement car il savait distinguer science et fiction.
Pourquoi un cours en ligne?
Quand un chercheur fait carrière, qu’il est reconnu pour ses compétences, le parcours classique est d’obtenir un poste dans un organisme de recherche, et éventuellement dans une université. C’est le parcours que l’on s’attend à voir embrasser celui qui tient les propos d’Idriss Aberkane sur « l’école et la société ». Son souci affirmé pour la circulation de la connaissance et de la sagesse y trouverait des moyens à sa mesure. De nos jours, les plus prestigieuses universités mettent en ligne les cours de leurs professeurs. Vues des centaines de milliers de fois, ces cours sont gratuitement accessibles à tous, moyennant d’en avoir le temps et d’y consacrer beaucoup d’attention.
Mais notre homme fait un choix différent, celui de vendre ses cours comme un vulgaire coach de vie. Cette stupéfiante contradiction marque une nouvelle étape dans le parcours de simili gourou qui éloigne de plus en plus Idriss Aberkane de la crédibilité académique dont pourtant il se réclame. Tout cela est-il compatible avec le complaisant autoportrait servi par l’intéressé sur tous les supports depuis des années ?
Pour citer encore Isaac Asimov : « Une « information fausse » est par définition incompatible avec toutes autres informations connues. C’est le seul critère qui nous permette de distinguer le vrai du faux. » (Les Robots).
Sur le site de la société qui vend le cours, Mybebooda, la présentation joue également (et uniquement) cette partition de l’excellence scientifique d’Aberkane.
« Idriss Aberkane, neuroscientifique de renom au parcours remarquable, y consacre sa vie et la démocratise à travers cette formation. » (source)
Un scientifique a du « renom » quand il publie des travaux commentés, repris, critiqués, salués, par ses pairs, pas quand il écrit dans le Point ou passe à la radio pour un livre de développement personnel.
« Les choses n’ont pas besoin d’être vraies, du moment qu’elles en ont l’air. » nous disait déjà Isaac Asimov.
« A l’aide d’études, d’exemples pratiques et d’histoires concrètes, Idriss Aberkane va vous enseigner les subtilités de la neuroscience et vous permettre de reprendre le contrôle de votre mental, donc de votre identité et de votre place au sein de la société (au travail, en famille, en couple…). » (emphases d’origine)
Entre les lignes, nous avons ici un vrai programme de coach de vie. On ne nous explique pas ce que signifie « reprendre le contrôle de votre mental », et cela est délibéré puisque le chaland pourra y trouver le sens de ce dont, justement, il se persuade qu’il manque.
« La neuro-ergonomie, la neuro-sagesse et la (sic) neuro-mimétisme sont des concepts qui lui tiennent particulièrement à coeur et que vous retrouverez dans sa formation. Ces notions ne se limitent pas seulement au bien-être individuel, elles impactent l’évolution de la science et de nos sociétés. »
Les chercheurs brillants qui ont 3 doctorats et réalisent de vrais travaux de recherche ne finissent pas sur un site, à vendre quelques heures de cours (offre spéciale : 70€ au lieu de 126€ !) en compagnie d’individus dont la stature scientifique ne fait guère illusion. Regardez plutôt.
Luc Bodin délivre ses enseignements sur les « soins énergétiques ». Ancien médecin, on ne le trouve pas au registre de l’ordre des médecins, mais en revanche cité par la MIVILUDES qui s’inquiète de ses pratiques (Cf ce document pdf, page 16). La fiche que le PSIRAM lui consacre est éclairante sur sa nature de charlatan (et ce, qu’il ait ou non l’intention claire et consciente de tromper les gens).
Mais on peut citer également Olivier Chambon, lui aussi docteur. Ses cours concernent la loi d’attraction (= pensée magique) et l’intelligent design (créationnisme).
Mais il y a aussi le docteur Jean-Jacques Charbonier, connu pour prétendre détenir les preuves scientifiques de la vie après la mort et organiser de grandes séances collectives où des personnes endeuillées entrent en contact avec leurs défunts. Ces activités sont loin d’être bénévoles.
Et il y en a d’autres…
Cherchons des solutions plutôt que des coupables
Ce contexte jalonné de docteurs experts en pseudo-sciences nous éclaire sur le niveau de scientificité des cours d’Idriss Aberkane. À ce stade, nous constatons avec regrets que la prudence à laquelle nous appelions les sympathisants d’Idriss Aberkane déjà en 2016 était justifiée, et nous estimons achevée la démonstration de son divorce d’avec toute activité authentiquement scientifique. Au delà du cas personnel sur lequel s’appuie cet article, nous devons insister sur le contexte qui autorise le succès d’entreprises n’ayant de scientifique que les atours. Les indices de manque de sincérité de la démarche sont nombreux depuis les début de sa présence médiatique. Les mêmes indices devraient nous alerter dans bien d’autres cas… Qu’ils réussissent malgré tout à faire illusion nous informe sur la faiblesse des connaissances du monde médiatique sur le monde académique (en espérant que cela ne signe pas davantage un mépris, ce qui pourrait se révéler dramatique). Il n’y a aucune fatalité au succès des faussaires, il ne dépend que de l’engourdissement de notre vigilance épistémique.
Laissons le mot de la fin à notre aîné, Isaac Asimov :
« Voyez-vous, si vous désirez devenir riche rapidement, ne vous cassez pas la tête, créez une nouvelle religion. »