La zététique consiste à questionner les raisons pour lesquelles nous pensons que quelque chose est vrai.

Nous croisons désormais le mot allopathie dans tous les médias. On s’en est rendu compte lors de la polémique qui a accueilli la tribune de 124 médecins « contre les fake médecines » (les thérapies non conventionnelles), où le mot s’est trouvé dans la bouche ou sous la plume d’une bonne partie des journalistes et des médecins.

Que signifie-t-il ?

Larousse en ligne : « Mode habituel de traitement médical qui combat la maladie en utilisant des médicaments qui ont un effet opposé aux phénomènes pathologiques. »

Personne ne peut comprendre cette définition sans avoir connaissance du principe de similitude. Selon ce principe, on pourrait soigner en utilisant des substances qui ont sur le corps le même effet que la maladie que l’on cherche à soigner. Comment ? En les diluant : c’est la théorie derrière l’homéopathie. Dès lors, on doit bien constater qu’on ne parle d’allopathie que dans un énoncé où il est question de distinguer l’homéopathie de ce qui n’est pas l’homéopathie.

La plupart de ceux qui utilisent des remèdes homéopathiques ou qui en prescrivent ne se documentent pas intensément sur la manière dont ces remèdes sont fabriqués ni sur le corpus théorique censé expliquer leur mode d’action. Pour comprendre pourquoi on peut dire que l’allopathie n’existe pas, il faut rappeler les principes de l’homéopathie, inventée par Samuel Hahnemann en 1796.

Les principes de l’homéopathie.

  1. Principe de similitude: « Un produit toxique provoque des lésions. Ce même produit, préparé selon les techniques homéopathiques, sera capable de traiter un malade qui présente des lésions du même type ». (source)
  2. Principe de dilution: Hahnemann se rend compte que ses remèdes sont plus efficaces quand ils sont dilués. (On notera que lorsqu’ils ne sont pas dilués, ces remèdes sont censés rendre malade, donc la dilution était préférable pour ses patients…) Plus la dilution est grande, plus le remède serait efficace, en parfaite contradiction avec l’effet-dose démontré pour la plupart des substances chimiques, et sans qu’un cadre théorique n’explique rationnellement cet effet allégué. Heureusement, en l’absence de preuve des effets de la dilution, il n’y a en réalité rien à expliquer, cf l’histoire de la dent d’or de Fontenelle.

 

 

  1. Principe de dynamisation: Entre chaque dilution, le remède est secoué plus d’une centaine de fois (on trouve difficilement la description exacte de cette étape chez les fabricants) car Hahnemann avait estimé que ses remèdes secoués dans la sacoche de sa selle lorsqu’il se rendait au chevet d’un malade à cheval avaient une plus grande efficacité que les remèdes non secoués. Aucune explication n’est donnée sur la raison de cette amplification d’efficacité

 

La dynamisation « active la force du médicament » selon www.homeomalin.com

 

Est appelée « allopathie » la médecine qui ne se fonde pas sur ces trois principes.

 

Le désir d’une « autre » médecine

Avec le temps « allopathie » est devenu synonyme de « médecine officielle » avec ses médicaments, ses pratiques invasives, ses protocoles froids, sa logique « occidentale ». Les partisans des thérapies non conventionnelles ont pris l’habitude d’employer ce mot pour désigner la médecine pratiquée par les médecins, c’est-à-dire… la médecine.

 

 

 

Rappelons que la médecine (que nous proposons de ne jamais appeler allopathie) utilise une large gamme de techniques depuis la prise en charge psychologique jusqu’à la chirurgie réparatrice en passant par de très nombreux médicaments dont la plupart des principes actifs sont extraits ou ont été conçus à partir d’extraits de plantes. « Se soigner par les plantes » est l’un des principes de la médecine conventionnelle. Croire se soigner par les plantes avec l’homéopathie est en revanche un grave contresens, le meilleur exemple en étant le produit star Oscillococcinum, fabriqué à partir de cœur et de foie de canard.

Si l’on résume, le mot allopathie a été créé par Samuel Hahnemann en opposition à son propre concept d’homéopathie. Il s’agit donc d’un terme interne à la doctrine homéopathique. Cette origine n’est pas anecdotique, elle éclaire la nature rhétorique du mot. Chaque fois que vous employez ce terme, vous mettez artificiellement sur un pied d’égalité l’homéopathie et la Médecine Fondée sur les Preuves (Evidence Based Medicine).

 

Article du 23 mars 2018 sur « Pourquoi Docteur ? ».

 

Refuser les termes manipulatoires

D’aucuns croient que la Terre est plate. Ils sont très prolixes sur les réseaux et nomment ceux qui se fient à la géologie, à la géographie, à l’astronomie, bref à la science, des globistes. Le mot globiste appartient à la doctrine « platiste », il a pour but de poser une fausse équivalence entre deux points de vue dont un seul repose sur l’ensemble des connaissances patiemment établies tandis que l’autre repose sur l’acte de foi et le rejet des méthodes d’acquisition des savoirs éprouvées et sans cesse améliorées de la démarche scientifique. Nous serions choqués, et avec raison, si les journalistes se mettaient à parler du « globisme » des géologues, car le globisme n’a pas de sens en dehors de la rhétorique platiste.

Dans un autre registre, on connaît les négationnistes de l’histoire, et leurs tentatives de discréditer une version du génocide juif qu’ils jugent officielle et pilotée par le pouvoir politique. On n’imagine pas qu’un média s’abaisse à qualifier de « chambre-à-gaziste » un historien non négationniste.

Quand sur France inter, il y a une dizaine de jours, on se demande « Peut-on réconcilier homéopathie et allopathie ? », on pose donc une question privée de sens. L’allopathie est spécifiquement définie, conçue, pour tenter de rassembler dans un seul mot tout ce qui n’est pas la doctrine homéopathique. Force est de constater l’efficacité du procédé et donc de veiller à s’en défendre.

 

 

Les mots ont un sens

Il faut interpeller les journalistes qui emploient ce mot, probablement sans savoir l’effet qu’il vise à produire. De leur côté, charge aux journalistes d’accepter la critique et de veiller à ne pas être malgré eux les vecteurs d’une dialectique commerciale qui alimente une industrie parapharmaceutique sous perfusion à la fois de la Sécurité Sociale et de la crédulité d’un public mal informé sur la confiance qu’on peut accorder à l’homéopathie.

 

Les journalistes acceptent parfois, et c’est heureux, de prendre en compte la critique et s’engagent à faire preuve de plus de rigueur. Mais, naturellement, les journalistes ne sauraient être plus exigeants sur ces questions que le corps médical lui-même, lequel devrait bannir l’usage d’un mot qui est le puissant ambassadeur d’une doctrine incapable d’assortir ses allégations de la moindre preuve depuis maintenant 222 ans.

 

La charge de la preuve n’a jamais incombé à ceux qui doutent de l’efficacité d’un soin, et deux siècles sont plus qu’assez pour comprendre ce que le consensus scientifique a désormais établi.

 

 

 

 

 

 

Un sondage sur les « théories du complot » fait la une des journaux aujourd’hui (voir en fin d’article les captures d’écran).

On appelle « théorie du complot » le recours à des explications de type conspirationniste1 pour des événements par ailleurs élucidés. La terminologie n’est pas sans défaut, car les vrais complots (projet secret d’un petit groupe aux dépens des intérêts d’un autre groupe) existent. Et à titre personnel je regrette que cette formulation ajoute son coup de canif au concept de « théorie » par ailleurs si malmené et incompris, en particulier par les personnes qui rejettent la parole scientifique et accordent du crédit aux explications « alternatives » volontiers conspirationnistes.

Etudier l’adhésion d’une partie de la population à des idées conspirationnistes est une tâche importante et complexe. Complexe, car il est bien évident que le conspirationniste ne sera que peu motivé à répondre honnêtement à un sondage s’il juge que les sondages sont un outil de manipulation. Importante parce que ces idées virales ont des conséquences sur les comportements des individus et sur la société. Le cas le plus grave est peut-être le mouvement antivax qui sème la panique chez les jeunes parents et met en danger de nombreuses vies.

Or donc, ce sondage est intéressant s’il permet de dresser un état des lieux des croyances des français. Le permet-il ? Ce n’est pas certain, en tout cas faut-il prendre du recul. Rappelons que le sondage a été fait via Internet sur 1252 personnes qui ont simplement répondu à un questionnaire en ligne.

Il faut lire le rapport de près pour être bien certain que les auteurs n’ont pas rangé dans la catégorie complotisme la croyance suivante :

« Dieu a créé l’homme et la Terre il y a moins de 10 000 ans »

Cette croyance religieuse littéraliste est citée par les sondeurs pour mesurer sa corrélation avec les croyances complotistes. Comme c’était attendu, cette corrélation est forte. Ce créationnisme « Terre Jeune » est surtout le marqueur d’un rejet de la méthode scientifique.

Le sondage montre le lien entre la lecture de l’horoscope et la croyance dans les théories du complot. Le rapport conclut à un lien entre complotisme et superstition que l’on aimerait voir explorer un peu plus efficacement qu’avec le seul proxy de l’horoscope. On sait que ces mécanismes de croyance sont proches dans le sens où ils sont stimulés dans le même sens par un sentiment de perte de contrôle 2, mais il existe toutes sortes de superstitions qu’il semble audacieux d’assimiler toutes à la consultation de l’horoscope.

  • On observe que 12% des sondés « sans religion » croient à la Terre Jeune. C’est un chiffre étonnant qui doit nous alerter. Certes on peut croire à une création du monde récente par Dieu sans adhérer à une religion, mais l’énoncé est fortement lié à une lecture littérale de la Bible, et 12% c’est considérable. On aimerait en savoir plus sur ces 12% pour écarter la possibilité d’un trollage pur et simple du sondage.

La formulation des questions est-elle neutre ou induit-elle une réponse plutôt qu’une autre ?

Les questions du sondage semblent interdire une interprétation propre des résultats. C’est un vrai festival !

« Sur une échelle de 0 à 10 où la note 0 correspondrait à quelqu’un qui fait tout à fait confiance et qui croit tout ce qu’on lui dit et la note 10 correspondrait à quelqu’un « à qui on ne la fait pas »

Cette question revient à demander aux gens d’estimer leur propre degré de crédulité. Cela semble peu corrélé à l’adhésion aux théories du complot. Un scientifique très rigoureux et un complotiste forcené pourront sans mal se donner la note maximale. Croire au résultat de cette question, c’est négliger l’effet Dunning-Kruger.

« A propos des médias (journaux, radios, télévisions), de laquelle des opinions suivantes vous sentez-vous le plus proche ?
• Leur rôle est essentiellement de relayer une propagande mensongère nécessaire à la perpétuation du « Système »
• Etant largement soumis aux pressions du pouvoir politique et de l’argent, leur marge de manœuvre est limitée et ils ne peuvent pas traiter comme ils le voudraient certains sujets
• Travaillant dans l’urgence, ils restituent l’information de manière déformée et parfois fausse .
• Globalement, ils restituent correctement l’information et sont capables de se corriger quand ils ont commis une erreur.»

Ici, on se trouve forcé d’entrer dans l’une des 4 cases prédéfinies, ce qui représente une amputation de la réalité tout à fait majeure. D’une part, les propositions ne sont pas mutuellement exclusives, il eut donc été préférable d’accorder un choix multiple et ordonné, d’autre part des avis alternatifs peuvent être défendus au sujet des possibles lacunes méthodologiques des journalistes qui ne sont pas imputables à un manque de temps, à des pressions ou à un refus de se corriger.

« Il est possible que la Terre soit plate et non pas ronde comme on nous le dit depuis l’école »

Cette question contient deux problèmes. D’abord : oui, il est possible de penser que la Terre soit plate et non pas ronde, si et seulement si un grand nombre de conditions sont réunies 3. La réponse peut donc être un « oui » sans arrière pensée, totalement décorrélé du niveau de complotisme des sondés. La question comporte aussi une mention à l’école qui est de nature à focaliser la réponse sur un élément non lié à la forme de la Terre. La question porte-t-elle sur la rotondité de la Terre ou sur la confiance à accorder à ce qu’on apprend à l’école ? On peut gager que les réponses n’ont pas toutes été données au même aspect de la question.

Sur l’immigration, on demande aux sondés si leur avis peut se formuler ainsi :

« C’est un projet politique de remplacement d’une civilisation par une autre organisé délibérément par nos élites politiques, intellectuelles et médiatiques et auquel il convient de mettre fin en renvoyant ces populations d’où elles viennent. »

La proposition contient deux énoncés sans lien logique. D’un côté le complot des élites, de l’autre la réaction qu’on devrait adopter. C’est le seul item qui permet au sondé de dire qu’il souhaite que les immigrés rentrent « d’où ils viennent ». À quelle partie de cette proposition les sondés se sont-ils identifiés ? Mystère !

« Les pays européens ont le devoir d’accueillir les personnes poussées à l’exil par la guerre et la misère, et c’est aussi leur intérêt économique à long terme

À nouveau deux réponses se cachent dans une phrase. Le devoir moral n’implique pas un intérêt économique et vice versa. Les sondés rétifs à l’un de ces deux aspects rejetteront cette réponse alors même que l’autre aspect aurait pu les satisfaire.

« Les élections en France sont organisées de manière suffisamment transparente et sûre pour éviter les tricheries et assurer la réalité des votes »

On se demande quelle sûreté est sous-entendue, et dans quelle mesure cette sûreté associée à une transparence suffit à assurer la « réalité » des votes. Les « tricheries » lors des élections pourraient bien survenir pour d’autres raisons…  Le moins qu’on puisse dire est que la question, derechef, n’est pas univoque. Chacun peut l’entendre d’une manière différente et donc on se demande bien ce qui est mesuré dans les réponses.

 

Faute envers la pensée critique et envers la logique.

La première étape de la pensée méthodique employée en science est le scepticisme a priori sur les faits. Les sondés n’ont pas été autorisés à suspendre leur jugement. Pire, on les a interrogés sur des théories dont ils n’avaient jamais entendu parler en les forçant à avoir un avis sur le champ. Cette erreur est de nature à biaiser considérablement les chiffres obtenus.

Pour illustrer les résultats aberrants que cette erreur de méthode produit :

35% des français ont déjà entendu dire que « Les groupes terroristes djihadistes comme Al-Qaïda ou Daech sont en réalité manipulés par les services secrets occidentaux » et 31% adhèrent à cette idée. Seulement 4% des Français connaîtraient cette théorie sans y croire… Mieux encore : si 27 % des Français ont déjà entendu parler des explications des révolutions française et russe par l’action de sociétés secrètes, ils sont 28 % à adhérer à cette explication.

D’un point de vue rationaliste, il est incompréhensible que les sondeurs n’aient pas ajouté une case « ne se prononce pas » à chacune de leurs questions. Mais peut-être le but était-il de pouvoir corréler des chiffres gonflés avec des appartenances politiques, auquel cas le sondage serait parfaitement calibré. À tout le moins, le tableau final semble peu à même de refléter la réalité des croyances ou de l’absence de croyance des Français sur des sujets où la formulation des questions a un fort impact sur la réponse, surtout en se permettant d’étiqueter une partie de l’échantillon « complotistes ».

Toutes les « théories du complot » n’ont pas la même notoriété

 

Que conclure ?

Que les médias souhaitent alarmer la population sur l’épidémie de croyances irrationnelles et dangereuses qui nous envahit est sans doute une bonne chose, et c’est certainement ce qui a motivé le relais massif des résultats de ce sondage. Toutefois, on ne peut pas faire l’économie d’une analyse très critique de tels résultats. Des questions réductrices ne laissant pas la liberté au sondé de suspendre son jugement, même sur des théories dont il n’a jamais entendu parler ne pouvaient qu’aboutir à un tableau alarmant. La conclusion imprimée sur les journaux: « 79% des Français croient au moins à une « théorie du complot » » est donc totalement abusive.

Au demeurant, nous n’avons pas besoin que les chiffres soient si hauts pour reconnaître l’urgence de réagir à la séduction de certains récits et à la viralité de la méfiance envers tout ce qui s’apparente à une version officielle. Les autorités politiques évoquent aujourd’hui une nouvelle loi anti fake news, mais on peut douter que la loi soit le moyen par lequel on luttera efficacement contre la désinformation. On ne peut plus empêcher les fausses informations d’atteindre les individus. Désormais il nous faut rendre les individus aptes à se défendre eux-mêmes, à acquérir une autonomie suffisante pour exercer leur esprit critique, y compris envers les informations délivrées par les médias qui ne sont pas suspectés de prime abord de propager des faussetés.

Le monde des médias ne peut plus être juge et parti quant à la qualité des informations qui circulent.

 

 


Post Scriptum

Preuves de la viralité de ce sondage…

 

 

 

 

Beaucoup de gens utilisent l’homéopathie en France. Cette thérapie non conventionnelle touche tout le monde, des médecins diplômés l’emploient, elle est en partie remboursée par la sécurité sociale. Pour ces raisons le citoyen qui admet son incompétence à juger de la qualité d’un médicament s’en remet facilement aux preuves sociales qui l’entourent ; l’homéopathie ça marche puisque tant de gens semblent la valider.

Autour des innombrables anecdotes que l’on partage sur l’efficacité de l’homéopathie, on entend quelques autres arguments en faveur de cette pratique.

  1. Les médicaments homéopathiques seraient plus « naturels ».
  2. L’homéopathie, ce serait le soin par les plantes.
  3. Se soigner à l’homéopathie, c’est résister à Big Pharma.
  4. Même si ça ne marche pas, ça ne peut pas faire de mal.

Vous avez le droit de croire tout ce que vous voulez et de faire vos choix de santé comme vous l’entendez. Ce serait embêtant, toutefois, que ces choix se fassent de manière non éclairée, sans que vous sachiez pleinement ce que vous faites. Et si les 4 arguments ci-dessus étaient faux ?

Le mieux pour juger est encore de regarder la gamme des produits homéopathiques.

RAYONS X DOSE 9CH

Les laboratoires Boiron vous demandent de croire qu’une dilution de rayons X (Oui, la notice indique que ce produit contient des rayons X) va vous permettre de mieux supporter le traitement de votre cancer par radiothérapie.

Indications :
RAYONS X 9CH Tube Dose est un médicament homéopathique utilisé en cancérologie.

RAYONS X DOSE 9CH s’utilise :

*En cancérologie : pour diminuer les effets secondaires de la radiothérapie, notamment dans les cancers du sein.

En France, 60% des malades du cancer ont recours (pas forcément de manière exclusive) à des « médecines alternatives » qui n’ont pas prouvé leur efficacité. Ceux qui vendent ces produits ne ciblent pas au hasard. Sans doute savent-ils que cette clientèle assurée ne se retournera jamais contre eux. Si la maladie les emporte, ils ne témoigneront pas, mais s’ils se remettent une partie d’entre eux diffusera l’idée que l’homéopathie aide à guérir.

Les malades du cancer qui utilisent exclusivement les « médecines alternatives » multiplient en moyenne par 2,5 leur risque de mourir dans les 5 ans.

« S’ils le vendent, c’est que ça a été testé ! » avons-nous envie de rétorquer.
Saviez-vous que les produits homéopathiques peuvent être vendus sans faire la preuve de leur efficacité ?
NB : Si l’efficacité spécifique de « RAYONS X DOSE 9CH » venait à être démontrée, nous amenderions aussitôt cet article.

Crédit : Véro Laborde


URANIUM NITRICUM GRANULES 15CH

Les laboratoires Boiron vous vendent des granules imbibés d’une solution aqueuse ayant été en contact avec de l’Uranium pour soigner les troubles liés à la présence de glucose dans les urines.

Nous n’avons pas trouvé d’article expliquant le mode d’action de ce produit, ni, bien sûr, aucun document prouvant son efficacité.

Médicament générique de Classe thérapeutique: Métabolisme et nutrition
Principes actifs: Uranium nitricum, Manganum, Syzygium jambolanum, Cineraria maritima, Juglans regia, Pancréine
Laboratoire: Boiron

Indication

Etats glycosuriques.

Posologie URANIUM COMPOSE BOIRON Granules homéopathiques Tube de 80 Granules

5 granules 2 fois par jour

Contre indications

En raison de la présence de saccharose et de lactose, ce médicament est contre-indiqué en cas de galactosémie congénitale, d’intolérance au fructose, de syndrome de malabsorption du glucose et du galactose ou de déficit en lactase ou en sucrase-isomaltase.


Murus Berlinensis

Boiron n’a pas le monopole du remède improbable. Les laboratoires Helios vous vendent des pilules aspergées avec une solution de Mur de Berlin.

Les pilules de Mur de Berlin vous aident à lutter contre les sensations d’oppression. Nous sommes preneurs de sources montrant une efficacité thérapeutique. Une chose est sûre : des gens achètent et consomment ces produits homéopathiques.


Medorrhinum

Indiqué pour lutter contre « Agitation, précipitation, douleurs constrictives » et les infections et irritations des muqueuses, ce « médicament » est fabriqué à partir...

« d’un lysat de sécrétions urétrales purulentes blennorragiques, prélevées sur des malades n’ayant pas encore été traités par des antibiotiques ou des sulfamides. »

Il est commercialisé par les laboratoires Boiron.


Apis mellifica

La teinture mère d’Apis mellifica est obtenue par macération dans l’alcool d’abeilles ouvrières vivantes entières. Le nom latin de l’abeille est Apis mellifera ; les homéopathes inventent traditionnellement des noms latins à leurs produits.

Indications thérapeutiques : Angine, Céphalée migraine, Conjonctivite, Infection urinaire cystite, Oedème, Rhinite allergique, Rhinite infectieuse

 

Selon le principe de similitude de l’homéopathie, pour soigner des douleurs de type irritation et brûlure, vous avalez un produit fabriqué à partir d’abeille, car les abeilles, quand elles vous piquent, provoquent justement ce type de douleur.


Ceux qui s’intéressent au point de vue scientifique peuvent consulter cette liste des études en double aveugle valides qui ont conclu à l’efficacité spécifique de l’homéopathie.


On pourrait multiplier les exemples de remèdes homéopathiques étranges et dénués du moindre début de preuve d’effet et de mécanisme d’action

Une liste non exhaustive.

  • Excrementum caninum (déjection canines. indication : Éternuements, larmoiements, rhume des foins, vertiges mentaux. source)
  • Magnetis polis arctis (pôle nord d’un aimant). indications : Évanouissement. Hémorragie. Orchite. Paraphimosis. Prolapsus anale. Rhumatisme. Mal aux dents. Ulcères.
  • Mephitis putorius (sécrétions des glandes anales du putois ou de la mouffette) Indications : *En pneumologie : en cas de bronchites ou d’affections pulmonaires, contre les toux spasmodiques et violentes qui s’accompagnent d’une sensation de suffocation. *Dans les troubles du comportement : en cas de spasmophilie.
  • Phthirus pubis (morpion)
  • Blatta americana (cancrelat)
  • Placenta humain
  • Plutonium nitricum
  • Virus du SIDA
  • Foudre (Fulgurite)
  • Anti-matière (Positronium)
  • Lumière de Saturne
  • Soleil britannique
  • Et cetera

Mais il semble plus honnête de parler du produit homéopathique le plus vendu, le plus célèbre, donc sans aucun doute le plus fiable…


OSCILLOCOCCINUM

Les laboratoires Boiron le vendent depuis très longtemps et gagnent beaucoup d’argent avec lui. On en voit la publicité sur tous les supports. On s’attend donc à ce que ce produit là, au moins, ait pour lui des preuves scientifiques sérieuses. Mais non.

Ceux qui le consomment ignorent bien souvent le mode de fabrication d’Oscillococcinum. Il ne s’agit pas d’un extrait de plante comme on le croit souvent, mais d’une macération de coeur et de foie de canard de barbarie. Après 40 jours de macération, le coeur et le foie sont mixés. On récupère le liquide de ce lysat que l’on va diluer 100 fois pour obtenir 1 CH  (la dilution au centième d’Hahneman). D’autres préfèrent la dilution Korsakov : on renverse le contenu. Puis on remplit le contenant en considérant qu’on a récupéré la partie de la solution restée collée au verre. La dilution Korsakov revient à compter le nombre de rinçages de la vaisselle de laboratoire.
Entre chaque dilution, il semble important de « dynamiser » la solution. La dynamisation est tout simplement une agitation vigoureuse du liquide.

«Selon la légende, on raconte qu’Hahnemann a découvert l’importance de la dynamisation des remèdes homéopathiques grâce à ses nombreux périples à cheval à travers la campagne allemande pour se rendre au chevet de ses malades. Il transportait ses précieux médicaments dans une sacoche accrochée à sa selle et put vite constater que les secousses du voyage les rendaient plus efficaces. Il en déduisit le principe de la dynamisation.» Source.

La dynamisation permettrait « d’activer la force du médicament. » Les homéopathes vont jusqu’à dire « Selon des recherches récentes, cela modifie la structure physique de la dilution, d’où son importance et son efficacité. » mais sans fournir de lien vers l’étude qui autoriserait à affirmer une telle chose. Le standard chez les laboratoires Boiron serait de 240 secousses en 7,5 secondes.

L’Oscillococcinum que vous consommez est le résultat de 200 dilutions Korsakov : la 200ème eau de vaisselle du tube où ont macéré 40 jours durant un foie et un cœur de canard.


La lutte contre les manipulations de l’homéopathie est décourageante tant les gens semblent désireux de ne pas savoir ce que contiennent ces produits mis en vente sans contrôle de la sincérité de leurs prétentions thérapeutiques, sans validation des principes de fabrication, sans corpus théorique crédible visant à expliquer leur mode d’action supposée. Cet avis est celui des Académies des sciences partout en Europe.

Il existe désormais pléthore de méta-analyses, le niveau le plus élevé de la publication scientifique, qui établissent la nullité totale de l’intérêt thérapeutique des produits homéopathiques. Plus les études sont construites sur des appareils statistiques solides, plus la conclusion est formelle : l’entièreté des bénéfices est due à des effets contextuels (rassemblés sous l’appellation placebo). Mais on a beau répéter les choses, présenter des critiques structurées, les gens veulent y croire.

 

Quelques articles pour aller plus loin.

 

 

Conclure ?

Le lien de confiance entre le soignant et le soigné est le bien le plus précieux que la médecine peut construire, il est celui qui permet l’observance du traitement, la meilleur coopération, la communication la plus efficace. Trop souvent la médecine conventionnelle n’est pas à la hauteur de cet enjeu. Elle ne prend pas assez en compte les besoins psychologiques des patients qui veulent se sentir soignés, considérés, écoutés, pris en charge. Si la médecine ne répond pas à ces besoins, d’autres vont le faire, même si c’est une réponse illusoire et intéressée par l’appât du gain. Dès lors la confiance se perd et rien ne la ramènera tant que ces besoins ne trouveront pas de réponse satisfaisante dans le giron de la « médecine fondée sur les preuves ».

 

« Je jure, en présence des maîtres de la faculté, des conseillers de l’ordre des pharmaciens et de mes condisciples :
(…)
D’exercer, dans l’intérêt de la santé publique, ma profession avec conscience et de respecter non seulement la législation en vigueur, mais aussi les règles de l’honneur, de la probité et du désintéressement
(…)
Que les hommes m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses. Que je sois couvert d’opprobre et méprisé de mes confrères si j’y manque. »

Serment de Galien  (extrait)


Article similaire

 

La science moderne se doit d’éviter les écueils de l’hybris, l’orgueil démesuré du savant fou, qui a pu sévir dans bien des domaines au cours des derniers siècles. Eugénisme, vision mécaniste du vivant, réductionnisme à outrance et arrogance ne sont pas des attributs « naturels » de la science, mais la manifestation de l’abus de pouvoir que certains ont voulu commettre et parfois ont commis en son nom. Dans l’ensemble, les scientifiques sont innocents dans ce procès que veulent leur intenter les contempteurs du matérialisme. Pour bien le montrer nous prendrons l’exemple de Philippe Guillemant.

Philippe Guillemant, physicien, est ingénieur de recherche au CNRS. Il est surtout connu pour mettre en avant dans des livres, des blogs et des conférences, c’est-à-dire en dehors du cadre de son travail scientifique, et sans lien direct avec les données produites par ses travaux, des croyances sur la nature de la conscience, la modification de l’espace-temps par nos intentions, la vie après la mort, etc. Ses écrits sont intéressants car on y trouve un condensé des critiques de type métaphysique adressées à la science telle qu’elle se pratique mais surtout telle qu’elle se pense. Accusée d’être dogmatique, emprisonnée dans un paradigme matérialiste, la science –mainstream– académique aurait tout faux.

Le cœur du dogme scientifique mainstream serait la croyance dans « le dieu hasard », et Guillemant en dresse les 10 commandements que l’on retrouve sur son site doublecause.net :

 

  1. La nature est sans but et sans la moindre finalité — Déterminisme
  2. L’univers est né d’une explosion originelle (big-bang) — Néo-créationnisme
  3. Tout ce qui arrive est le résultat de la causalité (temporelle = du passé) — Fatalisme
  4. La conscience est un produit du cerveau — Matérialisme
  5. La réalité est indépendante de nos états de conscience — Objectivisme
  6. Le passé ne peut plus être modifié (irréversibilité) — Passéisme
  7. L’évolution de la vie est due à la sélection naturelle du plus fort — Darwinisme
  8. Nous sommes des machines que la technologie peut améliorer — Transhumanisme
  9. La mémoire, les intuitions et les visions sont issues de notre cerveau — Réductionnisme
  10. Tous les phénomènes inexplicables sont des illusions ou des hasards — Scientisme

 

Cette liste n’est pas anecdotique, elle est l’un des argumentaires majeurs de la théorie de la « double causalité » défendue par Guillemant. Sans ambages, il affirme que ces dix idées sont toutes fausses ; en conférence, il défie les zététiciens et autres matérialistes de les démontrer. Nous allons voir qu’il s’agit d’une question chargée, car pour démontrer ces 10 points, encore faudrait-il les tenir pour défendables.

Cependant, il n’incombe à personne de défendre le portrait singulier que Guillemant dresse de la science. Ces dix commandements sont des hommes de paille, des contrefaçons de la véritable structure épistémique du monde scientifique contemporain. C’est pourquoi il peut donner l’illusion, mais seulement l’illusion, de battre en brèche l’édifice de ce qu’il nomme « la science matérialiste ».

Le principal intérêt de répondre à ce portrait trompeur n’est pas de montrer la fausseté des théories de Guillemant, car les théories fausses pullulent tant qu’il faudrait plusieurs vies remplies d’abnégation pour se coltiner leur assommante lecture, et celle-là ne possède pas de mérite particulier qui la distinguerait assez des autres pour la rendre plus digne de cet investissement. Non, l’intérêt réside dans la manière dont est attaquée la science et dans ce que cela nous permet de dire sur la nature de ce projet humain. Définir la science, la distinguer des autres activités, productions, démarches intellectuelles, est une tâche quasi impossible, car les frontières que la science partage avec la fiction, l’imagination, la spéculation, la pensée magique, la pensée de groupe, voire la profession de foi, sont floues dès l’instant où l’on cherche à en suivre le tracé exact. Ce problème de la démarcation restera probablement irrésolu longtemps, mais grâce aux errements de Philippe Guillemant, nous pouvons plus aisément voir ce que la science n’est pas.

Pour ce faire, reprenons les 10 allégations attribuées à la science.

 

1 – La nature est sans but et sans la moindre finalité – Déterminisme

Ce point est fondamental pour Guillemant, il lui permet de poser la pierre centrale de sa théorie : la rétrocausalité. En supposant une idéologie « déterministe » selon laquelle la nature n’aurait aucune finalité, puis en affirmant qu’elle est fausse, il oublie toutefois une étape cruciale : démontrer que les scientifiques critiqués affirment une telle chose de manière dogmatique.

En réalité les scientifiques sont des gens beaucoup plus prudents que ce qui est laissé entendre. Ils appliquent le principe de parcimonie (le rasoir d’Ockham) qui leur évite d’employer dans leurs modèles des entités dont l’existence n’est ni  prouvée ni requise pour rendre compte des faits. La finalité en fait partie. Autrefois, nos intuitions téléologiques avaient tôt fait d’attribuer des projets, des objectifs, des intentions à la nature ; en conséquence de quoi il fallait supposer l’existence d’entités capables d’implémenter ces projets. Nous n’en sommes plus là, et l’évacuation de ces entités imaginaires a été la condition des progrès de la connaissance scientifique, car tant qu’une entité ontologique est là pour justifier l’existence d’un phénomène (Zeus est à l’origine de la foudre), elle bloque le passage de l’investigation rationnelle dudit phénomène (la foudre est produite par des masses d’air électriquement chargées dont le comportement est décrit par des modèles physiques). Pour autant, si des entités sont requises pour expliquer des phénomènes encore mystérieux, rien ne s’y oppose. Il faudra simplement démontrer leur nécessité théorique.

Évacuer la finalité de la nature n’est donc pas un dogme, mais une mesure d’hygiène intellectuelle, ce n’est pas une conclusion, mais une précaution.

 

À l’appui de sa thèse sur l’existence d’une double causalité, Guillemant cite le physicien Holger Bech Nielsen selon lequel « la probabilité que le futur n’ait aucune influence sur le présent est extrêmement faible. »

En 2009, Nielsen est co-auteur d’une théorie qui explique pourquoi le Large Hadron Collider (LHC) échoue à découvrir le boson de Higgs. Ce boson serait une particule de nature si odieuse qu’elle provoquerait une ondulation en arrière dans le temps qui arrêterait le LHC avant toute expérience susceptible de produire un résultat[1]. Quand le LHC a annoncé avoir validé la découverte du boson de Higgs le 4 juillet 2012, l’hypothèse rebrousse-temps de Nielsen a bien sûr été réfutée. Mais rappelons que, quand bien même le LHC eut échoué dans ses projets, l’hypothèse téléologique ne s’en serait pas trouvée validée pour autant, sauf pour ceux qui auraient choisi d’y croire a priori. Car pour vérifier cette hypothèse, il faudrait démontrer que toutes les autres hypothèses envisageables sont fausses et ne pas se contenter de chérir son hypothèse préférée tant qu’elle s’accommode bien avec les faits.

 

2 – L’univers est né d’une explosion originelle (big-bang) — Néo-créationnisme

Initialement le terme « Big Bang » était une caricature. Le mot est resté, mais caricatural il demeure. D’une part, il ne s’agit pas d’une explosion à proprement parler, mais d’un violent mouvement d’expansion, et qui ne concerne que l’univers observable. Les experts du domaine se gardent bien de conclure sur quoi que ce soit au-delà du mur de Planck où seuls s’aventurent quelques spéculations qu’il faut traiter avec prudence. Ils savent également que le Big Bang n’est pas nécessairement le début de la totalité des choses existantes, puisqu’on ignore ce qui peut exister au-delà de l’univers observable. La description ci-dessus est donc déloyale, ce que Guillemant admet puisqu’il la corrige lui-même sur son blog.

Par ailleurs, il est parfaitement injustifié d’appeler néo-créationnisme la théorie du Big Bang puisque les créationnismes ont pour point commun de supposer un acte de création volontaire. Nulle part les équations ne prévoient une intention créatrice, et les cosmologistes prennent soin le plus souvent de ne surtout pas employer un langage qui encourage une lecture intuitivement déiste en raison du raccourci mental suivant : « un phénomène de grande envergure nécessite une cause de grande  envergure. La cause de l’univers doit donc être incommensurable », car un tel raccourci réifie un concept divin, une entité ontologique dont a déjà dit qu’elle n’aidait pas la science à expliquer le monde. L’erreur que représente ce raccourci mental de la commensurabilité des effets avec les causes est mis en évidence par la théorie du chaos.

Pour Guillemant, le Big Bang serait contredit par de multiples arguments, le principal étant une influence du futur sur les événements passés :

« il est beaucoup plus rationnel de considérer les conditions initiales du big-bang comme des conditions qui changent au cours du temps car elles dépendent du temps présent, donc comme des conditions finales et non pas initiales ».

On retombe sur ce qui est avancé dans le point précédent et qui sera rappelé dans le suivant : la négation du principe de causalité.

 

3 – Tout ce qui arrive est le résultat de la causalité (temporelle = du passé) — Fatalisme

En dépit de la bizarrerie de certains résultats de la physique quantique (et seulement aux échelles microscopiques où cette discipline sait décrire des phénomènes), la règle de la causalité : « la cause précède l’effet » n’a jusqu’à présent reçu aucun démenti. Dans le monde macroscopique des événements qui constituent notre existence, la causalité s’applique toujours, pour ce qu’on en sait. Si l’inverse s’avérait, si un jour ce pilier de la logique était renversé, vous ne l’appendriez pas en lisant ces mots, ni dans la prose de Monsieur Guillemant, et lui-même n’en ferait pas un simple item d’une liste sur un billet de blog. Cela ferait à coup sûr les gros titres des journaux, même s’ils laissent rarement la Une aux informations scientifiques, et si aucune avalanche de prix ne venait récompenser l’étonnante découverte, à tout le moins nous sentirions partout les fumets d’une controverse sans précédent.

Mais contemplons le calme plat qui accueille ces allégations. Et ajoutons un mot pour relever que le principe ici remis en question est celui de causalité et de déterminisme, en aucun cas celui d’un fatalisme qui implique une négation de la liberté humaine, notre impuissance à faire des choix dans notre existence. L’usage du mot fatalisme a ici tout d’un chiffon rouge, technique rhétorique visant à rendre intenable la position critiquée.

4 – La conscience est un produit émergeant du cerveau— Matérialisme

Les diverses objections avancées par Guillemant, quand elles sont honnêtes, peuvent se résumer à ceci : nous n’avons pas la preuve absolue que la conscience est produite par le cerveau. Admettons cela. D’un certain point de vue, c’est vrai. Mais que dire que la proposition qui veut que la conscience provienne d’autre part, notre cerveau jouant uniquement le rôle d’antenne, de capteur ? Elle a le grand, l’exorbitant avantage d’être irréfutable. À l’heure actuelle, personne n’a proposé d’expérience qui permettrait de démontrer ou de réfuter cette idée.

Dès lors, quelle est l’option la plus rationnelle ? La grande majorité des gens n’a aucun problème à admettre que dans l’état actuel de nos connaissances, l’hypothèse la plus vraisemblable est que notre cerveau complexe est la source du phénomène mal compris, mal défini, mais universellement partagé au sein de notre espèce (et dans quelques autres) qu’est la conscience. Nous ne disposons d’aucune bonne raison de supposer l’existence d’une entité supplémentaire pour justifier de la manifestation dans le monde sensible de ce phénomène.

Là encore l’idée que le cerveau est l’organe qui produit la conscience n’est pas un dogme, c’est une position ontologique privilégiée car elle est en adéquation avec tous les faits connus et parce qu’elle respecte le principe de parcimonie. C’est la position la plus humble. La charge de la preuve incombe à qui voudrait ajouter une entité dans l’équation.

 

Ci-dessous la conférence TED où Anil Seth nous explique que nous ne sommes pas totalement ignorants sur ce qu’est -en tout cas sur ce que fait- la conscience.

 

5 – La réalité est indépendante de nos états de conscience — Objectivisme

« Cette idée est le socle de ma théorie qui considère que nos états de conscience déterminent le choix d’univers dans lequel nous vivons au sein du multivers. »

Il s’agit ici de défendre l’idée que la pensée peut influencer la matière. C’est la croyance dans le psi, dans la voyance, et dans une forme de pensée magique. Et c’est en effet incompatible avec les modèles actuels que la science propose pour expliquer le fonctionnement de la nature. Mais une telle idée n’est pas inaccessible à l’expérimentation. C’est ce à quoi s’emploie la parapsychologie. À l’heure actuelle cette discipline intéressante n’a pas produit des résultats susceptibles de démontrer l’existence de phénomènes qui échapperaient aux modèles en vigueur en physique, en chimie ou en biologie. Mais la recherche est possible et elle a lieu.

Toutefois la pensée magique n’appartient pas au registre des explications auxquelles la science a recours, car les protocoles utilisés en routine, et notamment le principe des tests en aveugle, évacuent la possibilité que les résultats soient affectés par les états mentaux des expérimentateurs. Cela n’élimine pas complètement la possibilité de biais, mais force est d’admettre qu’on manque des preuves de l’existence de biais qui cacheraient cette réalité que certains prétendent connaître par des moyens qui leur appartiennent.

Cela nous ramène à la charge de la preuve ; elle incombe à ceux qui prétendent que la conscience affecte le monde physique autrement qu’à travers l’activité neuromusculaire du corps contrôlé par cette conscience.

 

6 – Le passé ne peut plus être modifié (irréversibilité) — Passéisme

Ce principe ne prend sans doute du sens qu’à l’intérieur de la théorie de l’univers bloc de Guillemant. Mais sans qu’il soit besoin d’entrer dans le détail, notons son argument :

« … il convient de considérer que le passé puisse changer. C’est d’ailleurs la meilleure façon d’expliquer le fameux principe anthropique qui soulève le mystère du réglage fin des conditions initiales de l’univers. »

L’argument du réglage fin de l’univers et du principe anthropique (fort) est un classique de l’apologétique : la partie de la théologie qui entend argumenter pour prouver ‘rationnellement’ l’existence de Dieu.

Il s’agit de l’un des sophismes les plus séduisants du monde. Vertigineux, il consiste à constater que les propriétés de la matière, de l’énergie et de l’espace-temps, si elles étaient un tant soit peu modifiées, élimineraient toute possibilité d’existence de la vie telle que nous la connaissons. Il faudrait croire qu’un formidable hasard a produit les conditions bien précises qui nous ont permis d’exister, ou bien admettre que ce n’est pas le hasard, que quelque chose (quelqu’un) est à l’origine de ces conditions providentielles. Cela semble plus sensé, et certainement nous en retirons un sentiment de closure mentale bien plus fort : nous avons l’impression de toucher du doigt une réponse solide.

L’antidote à ce sophisme est donc forcément décevant, car il est désespérément trivial. Nous ignorons s’il existe ou s’il n’existe pas une infinité d’univers avec une infinité de combinaisons de constantes physiques. Mais dans tous les univers où cette combinaison est compatible avec l’apparition d’une forme de vie intelligente finira par éclore l’hypothèse de ce principe finaliste. À l’inverse, partout où les propriétés de la matière n’autorisent pas l’émergence d’une vie intelligente, personne n’est là pour s’en étonner. Cet étonnement particulier est le privilège unique, personnel et égocentrique d’absolument n’importe quelle forme de vie intelligente, n’importe où, n’importe quand. Le principe anthropique est donc une tautologie qui n’a sa place dans aucune théorie scientifique sérieuse.

 

 

7 – L’évolution de la vie est due à la sélection naturelle du plus fort – Darwinisme

L’anti-darwinisme ressemble au principe anthropique fort cité précédemment : on ne le rencontre pas dans les écrits scientifiques sérieux. Précisons au cas où que « la sélection du plus fort » est une formulation totalement étrangère à Darwin et à la biologie de l’évolution. On la doit à Spencer, c’est donc du Spencerisme, et ce n’est pas de la science mais de la (mauvaise) politique.

« on s’aperçoit aujourd’hui avec l’évolution énorme de la biologie que la vie ressemble plus à une technologie qu’à un processus soumis aux lois du hasard. »

Le hasard des mutations génétiques correspond à une toute petite partie des principes darwiniens. L’autre partie, la plus importante du point de vue théorique, est le principe de sélection des réplicateurs. Sont retenus par la sélection réalisée au fil d’innombrables générations les réplicateurs qui possèdent les caractères héritables conférant les meilleures capacités à se reproduire. Dans un monde où les conditions environnementales ne varient pas quotidiennement de façon aléatoire, la sélection de l’environnement sur les réplicateurs ne se fera PAS au hasard. Dès lors, la réduction du darwinisme à une croyance dogmatique dans le hasard ne tient absolument plus. Encore faut-il s’intéresser à ce que dit réellement la théorie de l’évolution plutôt qu’à la caricature qu’en font ceux qui comprennent, dans la douleur, que les principes darwiniens ont joué historiquement un rôle déterminant dans la remise en cause du dualisme métaphysique.

Il y a bel et bien des questions à poser à la théorie de l’évolution, mais il faut d’abord s’assurer qu’on l’a comprise.

 

Anti-evolution books on sale in Dayton, Tennessee, where the ‘Monkeyville’ trial of Professor John T Scopes took place. (Photo by Topical Press Agency/Getty Images)

8- Nous sommes des machines que la technologie peut améliorer — Transhumanisme

Le transhumanisme est un jugement sur la nature humaine, sur la possibilité d’augmenter l’humain dans ses capacités et dans sa longévité. Il s’agit d’une position axiologique indépendante du matérialisme métaphysique imputé ici au monde de la science. La preuve en est que de nombreux scientifiques qui se reconnaissent dans le matérialisme n’ont aucune tendresse pour le transhumanisme. Cet item est un pur procès d’intention, mais pas seulement. Car Philippe Guillemant argumente contre la faisabilité de l’amélioration du corps humain en arguant que le seul moyen d’envisager une telle entreprise passe par « la création d’une âme », d’une « conscience (…) greffée sur ce système ».

Il s’agit d’allégations proprement farfelues puisque des chercheurs travaillent d’ores et déjà sur des prothèses qui permettent de réparer le corps humain, de lui redonner de la mobilité ou de la sensibilité. Ces chercheurs ne s’encombrent pas de considérations de cet ordre, et leur travail porte ses fruits. Cela n’implique aucunement qu’on veuille réduire l’humain à une « machine » ou qu’il soit forcément souhaitable d’augmenter ses capacités si les moyens se présentent, car le transhumanisme est un courant de pensée, mais il n’est pas consubstantielle de la science, même matérialiste.

On voit mal ce que ce huitième point apporte à la tentative de démonstration, mais on devine qu’il prolonge la défense du dualisme qui motivait déjà l’attaque contre le darwinisme au point précédent.

 

 

9 – La mémoire, les intuitions et visions sont issues de notre cerveau — Réductionnisme

Ce neuvième point n’est pas différent du quatrième. Et la réponse sera la même : les phénomènes liés à la cognition, qu’il s’agisse de la conscience, de la mémoire, de l’imagination ou des croyances sont irrémédiablement liés à la structure du cerveau car quand le cerveau est affecté, ces cognitions le sont également. Mais Guillemant argue de l’impossibilité pour le cerveau -dans le paradigme actuel- de stocker les images qui nous reviennent en mémoire.

« On ne sait pas expliquer en particulier comment un cerveau parviendrait à mémoriser ou à synthétiser des images séquentielles. »

Nous sommes bien obligés de lui répondre que bon gré mal gré, le cerveau parvient à faire ce qui lui semble impossible. Il nous reste à comprendre ce que c’est exactement que fait le cerveau, et comment. Qui le nie ?

Pour répondre à cette impossibilité par lui supposée, Guillemant invoque « l’information du vide quantique » qui rejoint sa théorie de l’univers bloc. L’invocation du quantique est classique dans les pseudosciences. Ici comme ailleurs, on note un sérieux hiatus entre les faits mobilisés (liés à la physique quantique) et les phénomènes que l’on cherche à expliquer, ici les phénomènes intégrés à l’échelle d’une structure très complexe et de très grande taille : le cerveau. Les plus grands spécialistes des sciences cognitives et les plus grands spécialistes de la physique quantiques évitent en général de tripatouiller les disciplines des autres avec les concepts qui ne fonctionnent que dans le périmètre de leurs travaux, c’est pourquoi toute invocation de la physique quantique dans des mécanismes qui se manifestent à de grandes échelles et à de forts niveaux d’intégration est au minimum extrêmement suspecte.

Ajoutons à cela l’aveu de l’auteur lui-même sur le fait qu’on ne sait pas comment le cerveau produit les images dont nous faisons l’expérience dans notre phénoménologie, et nous constatons qu’il s’agit ici, derrière les concepts compliqués, d’un argument de l’ignorance. Sous prétexte que les scientifiques ne savent pas répondre, alors la théorie de l’univers bloc devrait être recevable… alors qu’elle n’apporte aucune démonstration directement liée au phénomène inexpliqué.

10 – Tous les phénomènes inexplicables sont des illusions — Scientisme

L’homme de paille est ici manifeste, car il est bien évident qu’avant qu’un phénomène soit expliqué par la science, il est ou bien inconnu ou bien inexpliqué. « Inexplicable » ne fait partie du vocabulaire de la science, puisque cette dernière est une démarche qui vise, au moins en intention, à expliquer tout ce qui est observable et pensable. On se réfugie en revanche dans l’inexplicable quand on refuse les explications que la science apporte à des phénomènes réputés paranormaux. La résistance dans ce domaine est très grande. L’attachement à des hypothèses et à des entités métaphysiques rend parfois le discours scientifique difficile à supporter.

« On connait la musique:

– Les synchronicités seraient des projections,
– Les ovnis seraient des hallucinations,
– Les E.M.I. seraient des hallucinations,
– La psychokinèse serait une tricherie,
– Les P.E.S. seraient le fruit du hasard ou de la virtuosité,
– Le chamanisme serait une croyance indigène,
– Les guérisons inexpliquées seraient de l’effet placebo,
– La médiumnité serait du charlatanisme,
– etc. »

 

Au regard de l’énumération livrée par l’auteur, on se contentera encore une fois de revenir aux bases de l’épistémologie de la science. Les hallucinations, la tricherie, la virtuosité, les croyances, le charlatanisme et l’effet placebo… existent. Cela est acquis. Par ailleurs, un certain nombre des phénomènes présumés paranormaux trouvent des explications globalement complètes de la part de la science ; c’est le cas notamment des EMI. Parmi les phénomènes qui peuplent le monde, qu’ils appartiennent ou non à la liste ci-dessus, peut-être se trouve-t-il un phénomène réel qu’il reste à décrire clairement, à délimiter et à prouver. Et ensuite seulement il sera temps de lui trouver une explication, et éventuellement de mettre en défaut le paradigme matérialiste si décrié par l’auteur. Rappelons Fontenelle :

« Assurons nous bien du fait avant de nous inquiéter de la cause ».

Au terme de ces 10 arguments dont aucun ne tient la route, quelle est la conclusion de Philippe Guillemant ?

 

« En conclusion:

La pseudo-science matérialiste est morte et enterrée par la théorie et l’expérience de la vraie science que les hommes ont réussi à construire et qui est celle que j’aime, malgré une énorme pression pour les en détourner qui s’exerce toujours aujourd’hui au travers de la techno-science passée aux mains des multinationales. Le fait qu’elle survive dans les médias dominants qu’ils financent est donc bien une affaire de religion imposée par ce pouvoir de l’argent, car seule une religion peut survivre malgré son caractère irrationnel. »

 

Un immense procès d’intention teinté de conspirationnisme vient couronner un propos qui vise manifestement à rationaliser une croyance dualiste que l’auteur confesse dans la plupart de ses interventions. Concluons à notre tour sur un point fondamental qui met en échec les très nombreux théoristes arguant que la science académique serait pseudoscientifique au titre qu’elle refuse de considérer leurs hypothèses avec toute l’attention qu’ils croient mériter.

Le matérialisme de la science telle qu’elle se pratique n’est pas un matérialisme métaphysique, ce n’est pas une opinion sur la nature des objets qui peuplent le réel. C’est un matérialisme méthodologique. Il est incontournable, car c’est lui qui permet d’empêcher l’inflation ontologique qui voudrait à chaque phénomène mystérieux attribuer une entité non moins mystérieuse qui en serait la cause. Le matérialisme méthodologique de la démarche scientifique a cela de vertueux qu’il est parfaitement capable de tester des hypothèses non matérialistes. Une entité immatérielle est investigable dès lors qu’elles a un effet sur le monde matériel, et les êtres vivants en font partie. On est donc capable de mettre en place des protocoles pour tester, par exemple, la voyance, le pouvoir de l’esprit sur la matière, la médiumnité, etc. Tous ces phénomènes, s’ils existent, mobilisent probablement des mécanismes ou des entités qui échappent à la description matérialiste du monde. Mais si un jour on prouve leur existence, ce sera au travers d’une méthodologie matérialiste, car elle seule permet d’éliminer les explications matérialistes.

Le scientisme, c’est demander à la science plus qu’elle ne peut apporter, c’est violer le périmètre de ses compétences. La science n’a pas réponse à tout, elle le sait, et Philippe Guillemant semble l’oublier. Le paradigme actuel, pour imparfait qu’il soit (qui prétend le contraire ?) est donc investi du pouvoir de se corriger, de se prouver à lui-même qu’il pourrait avoir tort. Cette vertu absente des croyances dogmatiques et des discours glorifiant le dualisme désarme complètement l’agression que représentent les 10 faux commandements dont Philippe Guillemant a besoin d’affubler la science académique pour se rassurer sur la scientificité de sa théorie fétiche. On est fondés à penser qu’il s’agit en réalité d’une tentative de justifier une croyance bien fragile reposant sur des faits souvent discutables… comme les synchronicités.

Les progrès de la connaissance n’ont pas besoin que le paradigme actuel soit parfait, indépassable ; nous avons au contraire tout intérêt à ne surtout pas oublier que nous n’avons accès qu’à des représentations du monde et pas à la réalité elle-même. Ce rappel à une humilité épistémique nous permet de mieux résister aux affirmations des théoriciens quand, pour défendre leur point de vue, ils ne trouvent rien de mieux que de caricaturer la science.

 

 

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[1] The Collider, the Particle and a Theory About Fate, New York Times ; 12 octobre 2009 http://www.nytimes.com/2009/10/13/science/space/13lhc.html?_r=4&pagewanted=all

Nicolas Meyrieux anime la chaîne Youtube « LA BARBE » dont nous avons déjà eu l’occasion de déplorer le manque de rigueur dans un précédent article. Pour toute réaction, l’intéressé nous a adressé un message privé où il se déclarait outré que nous ayons osé faire savoir à son public que sa vidéo contenait des informations fausses, voire des mensonges délibérés. Une nouvelle vidéo sur sa chaîne, cette fois sur les semences, vient malheureusement nous montrer que ceux qui refusent la critique ont peu de chance de s’améliorer, même quand ils travaillent en collaboration avec France Télévisions.

Comme le précédent article sur le sujet, celui-ci est construit en grande partie sur des remarques et des sources dénichées par Bunker D. Merci à lui.

Un peu d’histoire

On nous sert Pétain (et une caricature de Hitler jusque dans la miniature de la vidéo) afin d’user du déshonneur par association, sophisme qui permet d’attaquer l’image d’une personne ou d’un groupe de personnes en l’associant dans l’esprit de l’auditoire avec une personne ou un groupe de personne qui joue le rôle de repoussoir. Ici, c’est du classique, on est dans le Point Godwin sans imagination dès le départ.

Ainsi, on nous apprend que le Catalogue Officiel des Espèces et Variétés, qui a pour but de réguler le marché des semences, serait l’idée d’un certain Philippe Pétain en 1941. Pourtant, ce Catalogue remonte à 1932. Pour le savoir, il suffisait de consulter Wikipédia.

« En France, le catalogue des espèces et variétés de plantes cultivées est créé en 1932, et géré par le Comité de contrôle des semences. Il permet d’éviter, dans la profusion de semences, que les différentes variétés soient vendues sous le même nom, ou qu’une même variété ait des appellations différentes. Il clarifie l’offre et protège l’utilisateur qui est ainsi assuré de l’identité de la semence qu’il achète. »

Ce catalogue est lui-même inspiré du « registre des plantes sélectionnées » créé fin 1922, comme on peut le lire sur… Wikipédia, encore.

Notez l’objectif du catalogue : « Il clarifie l’offre et protège l’utilisateur qui est ainsi assuré de l’identité de la semence qu’il achète. » Le Catalogue officiel a été conçu pour protéger les clients des semenciers, et pas les semenciers eux-mêmes, et certainement pas leurs droits de propriété sur le vivant. 

 

De l’homogénéité

Il faut aussi noter que l’homogénéité de la variété, l’un des principes de bases du Catalogue, n’a pas pour but d’homogénéiser les fruits pour les cageots, contrairement à ce que nous présente le vidéaste : il s’agit encore de protéger l’acheteur, afin qu’il ne joue pas à la loterie à chaque lot de graines. Quand il achète, le cultivateur sait à quoi s’attendre, il a la garantie d’obtenir des produits de la qualité attendue.

Cette homogénéité est aussi une garantie pour le consommateur dans la mesure où la dérive génétique et les croisements accidentels peuvent amener de mauvaises surprises. Par exemple, en 2015, des graines de courgettes replantées dans un jardin allemand ont donné des fruits contenant de la cucurbitacine E. Il s’agit d’une toxine produite par les cucurbitacées à l’état sauvage. Elle est extrêmement toxique pour l’homme. Le consommateur du gratin de courgettes en est mort. En réaction à cette affaire, on a rappelé qu’il était plus sûr de racheter les graines pour éviter ce genre de mésaventures (heureusement rares).

 

Vers le monopole

En 1949, un décret interdit la commercialisation de plantes non-enregistrées. L’agriculteur n’est plus autorisé à revendre ses graines, mais en revanche il peut toujours les ressemer lui-même (Wikipédia, toujours). C’est le début de la protection des semenciers. Les agriculteurs n’ont plus le droit de revendre la descendance directe, presque identique, d’une variété développée par un semencier. C’est seulement en 1961 que le Certificat d’Obtention Végétale (COV), en plus d’assurer le monopole du semencier, impose à l’agriculteur de payer une taxe s’il replante. C’est surtout cela qui implémente la propriété intellectuelle sur les graines. On peut juger cela discutable, mais pour le critiquer, il faut commencer par présenter les faits honnêtement.

Nicolas Meyrieux dénonce une détestable protection des industriels. Mais réfléchissons à la réalité du sélectionneur de graines, devenu un métier à part entière au cours du XVIIIè siècle, avec notamment Vilmorin, Clause et Tézier (plus d’infos ici). Ces sélectionneurs ont pour but de produire des variétés améliorées : meilleurs rendements, meilleures résistances, meilleurs produits.

Le vidéaste se drape sous la caricature pour incarner un vilain industriel, lequel explique qu’évidemment ils ne vendent pas les variétés les plus résistantes. La limite de l’exercice de Nicolas Meyrieux est que cette blague confine à la désinformation dans un format qui a pourtant vocation à être informatif. Ceux qui rient à cette blague oublient-ils qu’une telle réalité impliquerait une profonde stupidité de la part des agriculteurs ? Rappelons que leur métier consiste à s’approvisionner aux meilleures sources, à acheter les meilleurs produits. Et qu’ils connaissent leur métier.

Si les avantages des graines développées par les semenciers ne valent pas le coût, les cultivateurs savent parfaitement qu’ils peuvent se mettre à la place aux sémences paysannes. Car oui, ce qui est dit dans la vidéo…

« Et dire qu’avant, pour les agriculteurs, c’était une évidence de garder la meilleure partie de leur récolte pour la semer l’année suivante. Et maintenant, ils ne peuvent même plus le faire. »

…est un mensonge.

Si l’agriculteur achète une variété qui n’est pas ou plus protégée par un COV (rappelons leur durée limitée), il peut à loisir utiliser ses propres graines tant qu’il n’en fait pas commerce. Et si vous pensez que cette possibilité est seulement théorique car le système actuel rend de telles semences introuvables, peut-être devriez-vous écouter ce qu’en dit un homme de terrain, tel Gilles vk agriculteur du Loiret. Sur sa chaîne Youtube, celui-ci présente son métier en vidéos, et… il replante d’une année sur l’autre !

 

F1, les hybrides de la mort qui tue

En lieu et place d’une explication, par exemple de ce qu’est la vigueur hybride, Nicolas Meyrieux nous livre une caricature ridicule des F1 qui seraient le produit de l’acharnement machiavélique des scientifiques pour appauvrir les ressources génétiques des cultures. Le propos et les illustrations qui l’accompagnent relèvent de la manipulation. L’intérêt de croiser des lignées ‘pures’ est d’assurer l’homogénéité de la F1. Rappelons-nous que l’homogénéité est recherché dans l’intérêt des agriculteurs. Ceci étant, il est souhaitable de cultiver de multiples variétés.

Quand il nous dit que l’hybridation permet de « [découvrir] plein de gènes inconnus » (ce qui ne veut strictement rien dire.) le vidéaste semble avouer qu’il ne sait pas du tout de quoi il parle, qu’il ne saisit pas les bases de la génétique et qu’il n’a pas compris que ce croisement a pour but de bénéficier des traits des deux variétés de départ.

« Les hybrides F1 produisent plus au m² mais ils sont moins nutritifs et demandent plus de produits phytosanitaires. Donc au final, ils sont moins rentables. »

Cette allégation n’est assortie d’aucune espèce de preuve ou de source. Nous savons que bon nombre des informations de cette vidéo (et de la précédente) sont tout bonnement fausses. Comment croire celle-ci, qui semble tomber de nulle part ? Derechef on constate que chez Monsieur Meyrieux, les agriculteurs sont des bouffons qui ne savent pas choisir les cultures les plus rentables.

On nous dit que les hybrides ont généralement une descendance pourrie (typiquement -20% de rendement), voire ont une stérilité mâle. Et cela est exact. En conséquence l’agriculteur a bel et bien intérêt à racheter du F1 pour la culture suivante plutôt que de semer ses propres graines. Mais cette conséquence découle du fonctionnement des organismes avec lesquels on ne fait pas ce qu’on veut quand on veut.

Semenciers, agriculteurs (et consommateurs en bout de chaîne) recherchent certains traits, et l’hybridation permet d’aller plus vite dans l’obtention de ces traits qu’au loto des mutation aléatoires. Dans ce contexte la stérilité mâle est parfois utilisée pour empêcher l’autopollinisation lors des croisements qui aboutissent à la production de F1. Mais quand on ne l’explique pas, on peut facilement invoquer du « On fait ça pour forcer à racheter ». C’est un procès d’intention qui confine au complotisme.

 

Absurdités et compagnie

Au détour d’une phrase, on apprend que les hybrides sont « programmés » pour résister à tel ou tel truc. On se demande à partir de quelle source ce script a été rédigé.

Au sujet des résistances verticales et horizontales, là encore, Nicolas Meyrieux fait preuve d’une maîtrise très approximative, voire absente, du sujet. Il nous explique que la résistance verticale (monogénique) protège contre un élément quand la résistance horizontale (polygénique) protège contre plusieurs maladies. En réalité, une résistance verticale à une agression ne se fait que par un mode d’action, tandis qu’une résistance horizontale bénéficie de plusieurs modes d’action. En clair la plante dispose de plusieurs moyens de défense, ce qui rend l’apparition de pathogènes résistants beaucoup moins probable. Les semenciers sont parfaitement conscients du fait qu’une résistance horizontale est largement préférable, mais elle est aussi plus complexe et plus coûteuse à obtenir. Encore une fois, ne prenons pas les professionnels du secteur pour des imbéciles. La compétition existe entre les semenciers. Celui qui met sur le marché une variété mal foutue ne la vendra pas très bien.

Enfin disons un mot sur…

« le premier maïs hybride F1 s’appelait le maïs Terminator »

On se demande encore d’où vient cette information. La technologie Terminator concerne les OGM, une technologie bien distincte de celle des hybrides dont on nous parlait auparavant. Et si elle vise à empêcher la replante, elle « n’a jamais été intégrée dans des variétés commerciales »  (devinez la source…)

 

Bref

Une nouvelle fois La Barbe nous sert une vidéo motivée par les bons sentiments de la lutte contre les abus de pouvoir des industriels, mais avec des informations fausses, des caricatures en lieu et place d’explications et en creux l’injure jetée à la face des professionnels du secteur, tous désignés comme d’avides manipulateurs ou de placide victimes. On est face à une rhétorique de la peur que le même Nicolas Meyrieux avait pourtant su dénoncer avec justesse dans une autre vidéo.

 

La physiopathie™ est une pseudo-médecine dérivée de la naturopathie, mais aussi une « marque déposée » le 14 mars 2016 à l’INPI par son co-inventeur le « philosophe, hypnologue et enseignant » (sur Internet) Loïc Chaigneau, 24 ans.

 

 

Marque déposée à l’INPI (dossier 4254814)

NB : le dépot INPI indique phytiopaPhie et pas phytiopaThie, mais le même individu parle bien de physiopaThie sur ses réseaux. Nous ne prétendons pas comprendre ce mystère.

Le dépôt de marque est une pratique que l’on retrouve notamment chez ceux qui cherchent à tirer profit de l’invention d’un concept qu’ils prétendent scientifique. Par exemple, la synergologie™. Personne n’a jamais déposé la marque « chirurgie » ou « oncologie » ou encore « gynécologie », « gériatrie », « pédiatrie », « endocrinologie », etc.

L’ensemble de ce qu’il est possible de savoir sur la physiopathie™ se résume aux écrits de son co-inventeur, et en particulier à son site internet.

Le co-inventeur de la physiopathie™ annonce sur son profil posséder un diplôme de naturopathe. Précisons que la naturopathie est une pseudo-médecine sans aucune formation reconnue par aucune institution et sans aucune validité scientifique et médicale. Sa pratique n’est validée par aucun protocole, il est donc formellement impossible de distinguer une bonne pratique d’une mauvaise. Le diplôme en question n’a, évidemment, aucune valeur.

La formation non scientifique du co-inventeur de la physiopathie™

Le pedigree de l’inventeur est loin des canons de la science. Fervent pratiquant de la Programmation Neuro Linguistique (PNL), il ignore ou feint d’ignorer qu’il s’agit d’une pseudo-science. Pour en savoir plus sur la PNL :

« Comme tous « les marchands de certitude », les praticiens de la PNL n’hésiteront pas à interpréter le moindre de nos comportements – de la même façon que les « gestuologues » – et à leur donner une signification psychologique, obligatoirement univoque. » (Christian Balicco)

Rappel sur la naturopathie

Par opposition à la médecine, la naturopathie ne fonde pas la grande majorité de ses pratiques sur l’expérimentation scientifique. La branche de la naturopathie que constitue la physiopathie™ s’inscrit dans ce cadre : elle n’a fait l’objet d’aucune publication scientifique, ni d’aucune publication tout court à notre connaissance.

Sur la naturopathie, elle-même une thérapie alternative manquant cruellement de bases scientifiques, voir cette source du Cercle zététique du Languedoc, où l’on apprend sur la naturopathie :

« Le véritable fondateur est Pierre Valentin Marchesseau (1911-1994). Ses sources : Hippocrate « théorie des 4 humeurs », Jésus Christ (Évangile apocryphe dit « de la paix ») et la tradition de soins naturels qu’utilisait le Christ pour rétablir la santé. Sa philosophie, le vitalisme, rassemble les 10 « agents naturels de santé ou techniques fondamentales », allant de l’hygiène nutritionnelle aux techniques vibratoires (couleurs, musique…) qui vont constituer la base de la pratique en naturopathie, le tout basé sur la théorie dite des « humeurs hippocratiques ». »

Que prétend faire la physiopathie™ ?

Le site, où le ‘physiopathe’ présente son travail et ses théories, annonce des concepts comme « thérapie psychique curative » ou « naturopathie évolutive », il est également question de biokinésie. Ces termes ne reçoivent jamais de définition se référant aux connaissances communes ni à aucune littérature scientifique.

La pratique de la physiopathie™ s’étend à la croyance dans la guérison par un « fluide magnétique » des mains du soignant, croyance qu’aucune analyse méthodique n’est jamais venu étayer et dont il convient de douter jusqu’à preuve du contraire. Parmi les techniques mises en avant sur le site :

« La Magnétologie : n’est autre que le recours à l’apposition des mains afin de traiter divers troubles physique ou psychique. Divers études, notamment sur les enfants prématurés, ont montré les bienfaits de cette technique. » (source)

Le physiopathe vend des « séances guidées » en clair des fichiers mp3 dont le contenu est censé vous aider à :

  • Vous débarrasser de vos acouphènes (37€)
  • Renforcer votre confiance en soi (29€)
  • Lutter contre l’insomnie (37€)
  • Perdre du poids (37€)

    Des fichiers mp3 à vendre pour vous soigner

Il vend 17,50 € un fichier pdf de « projet de naissance » indiquant aux parents un certain nombre de choses pour faire respecter leurs choix… On peut légitimement craindre qu’il s’agisse d’encouragements envers les parents qui désirent soustraire leurs enfants aux soins de la médecine scientifique. Espérons qu’il n’en est rien.

Le site annonce des « programmes en ligne » à partir de 99€ mais sans qu’il soit possible de trouver plus d’informations. Les consultations elles, démarrent à 65€. Toutes les captures d’écran faites sur le site datent du 26 septembre 2017.

Une pseudo-médecine caractérisée

Les pseudo-médecines communiquent généralement sur un mode testimonial en accumulant les anecdotes de clients satisfaits en lieu et place de publications scientifiques attestant de la réalité des résultats allégués. Avec l’inventeur de la physiopathie™, et en plus de la présence d’un livre d’or dont le but est évident, on franchit un cap, car avec lui l’anecdote personnelle du vendeur de thérapie tient carrément lieu de curriculum vitae

L’anecdote personnelle du ‘physiopathe’ en lieu et place de CV

Le co-inventeur, décidément peu avare de sa science, trouve le temps de mettre en ligne 160 vidéos sur Youtube. Il a l’occasion de donner des conseils sur la franc-maçonnerie, les surdoués, la politique, les philosophes, ou sur « Comment sauver son couple » (source).

Mais surtout, il vend (encore) des stages et des formations sur d’autres sujets qu’il prétend maîtriser (les tarifs ne sont pas toujours indiqués) :

  • Hypnose (& PNL)
  • Cri primal
  • Grossesse, accouchement, allaitement.
  • Phi-analyse
  • « Une autre conception microbiologique humaniste » (quoi que cela puisse vouloir dire)
  • « Nouvelle approche de la douance »

Il faut nécessairement être en présence d’un génie très impressionnant ou d’un fabuleux prétentieux.

Prudence

Dans de tels cas, on doit toujours se demander ce qui pourrait accroître l’emprise mentale du ‘soignant’ sur son patient. Ici on trouve un « contrat d’engagement et d’accord » dans lequel figurent 10 articles (comme les 10 principes de la naturopathie) et que vous pouvez télécharger sur ce lien.

L’article 8 précise que le praticien n’est qu’un accompagnateur, cela signifie qu’il décline toute responsabilité quant aux conséquences des choix de ceux qui choisiront cette ‘médecine’.

L’article 10 annonce que toutes les séances sont enregistrées, ce qui permet d’imaginer la pression que représente sur le patient l’existence d’archives de séances dirigées par un praticien manifestement en dehors de toute règle déontologique, et l’escalade d’engagement que cette pression peut produire.

Le danger des pseudo-médecines

On le voit, la physiopathie™ emprunte aux recettes qui font le succès des thérapies alternatives dont le principal pouvoir est d’impressionner par un vocabulaire hermétique pseudo-savant, et par des concepts creux qui maximisent la validation subjective des patients, c’est-à-dire leur croyance en dépit de l’absence de preuve.

Il faut évidemment fuir de telles pratiques qui ont vocation à gagner de l’emprise sur les patients en les éloignant des parcours de soin classiques de la médecine fondée sur les preuves. Le « contrat d’engagement et d’accord » que doit signer le client indique que le ‘travail’ de soin peut prendre 3 ans.

On notera la présence d’un « avertissement » sur le site, qui cherche à dédouaner toute responsabilité de la part du physiopathe au cas où des gens se mettraient à croire ses allégations.

Il a été démontré récemment que les médecines alternatives amputaient les malades d’années de vie, c’est un prix trop élevé pour le réconfort qu’apporte un langage bricolé d’un peu de pseudo-science et de spiritualité au rabais.

Au vu de ce qui a été présenté ci-avant, j’affirme donc que la physiopathie™ est une pseudo-médecine dont les allégations de soin sont totalement frauduleuses et de nature à tromper les patients sur la qualité du service qui leur est vendu. Cette mention demeurera jusqu’à preuve de l’efficacité spécifique de tout ou partie des soins prodigués par ce théoricien de la vente de produits à prétention thérapeutique qu’est le co-inventeur de la physiopathie™.

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NB : Le jour même de la parution de cet article, le site www.physiopathe.com fermait ses portes… Mais deux jours plus tard il était ouvert à nouveau…

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Suivez ce lien pour lire le droit de réponse de Loïc Chaigneau

Suivez ce lien pour lire ma réponse à ce droit de réponse.
Acermendax.

Les théories conspirationnistes ne sont crues que par une minorité de personnes car elles ne reposent pas sur des démonstrations qui permettraient de convaincre la majorité. Si l’interprétation extraterrestre de Roswell ou l’inside job du 11 septembre avaient pour eux des preuves suffisantes, la majorité des gens seraient convaincus, et le monde serait différent. De ce constat simple découle une question sur laquelle des chercheurs se penchent : pourquoi certaines personnes croient-elles ces propositions ?

 

Chercher des explications psychologiques à ces remports d’adhésion ne signifie pas qu’on veut transformer les gens en cas cliniques, en faire des malades qu’il faudrait traiter. Mais nous avons collectivement et individuellement tout à gagner à une meilleure compréhension de ce qui conduit certains d’entre nous à croire à l’existence d’une guerre intergalactique, aux meurtres de « médecins » holistiques par Big Pharma, ou aux mensonges de la NASA concernant notre Terre Plate… Car mieux comprendre comment des gens globalement normaux adhèrent à des idées fausses, voir délirantes, est le meilleur moyen de nous poser la question de la valeur de nos propres représentations. Puisque personne n’est à l’abri de croire des choses fausses, décrire les mécanismes par lesquels la croyance fausse se construit et s’entretient offre une grille de lecture sur nos cas particuliers.

Les recherches pointent déjà quelques facteurs pour la croyance dans les théories du complot. Pour en citer quelques-uns :

  1. L’agenticité est notre tendance à inférer que des événements sans cause identifiée sont le résultat de la volonté de quelqu’un, quelque chose, une entité agissante : un agent. En fonction du phénomène en manque d’explication, cet agent peut être Dieu, le gouvernement, les banques, Big Pharma, les Atlantes, les fantômes, etc. Nous n’avons pas tous le même degré d’agenticité dans notre lecture du monde
  2. Le besoin de contrôle est souvent important dans nos vies. Nous sommes très impactés dans notre moral chaque fois que nous avons le sentiment de n’avoir aucun choix, aucune liberté d’action. Il y a tout à craindre de l’avenir quand nous ne pouvons que subir. Certaines propositions cognitives peuvent nous apporter une illusion de contrôle qui peut leurrer ce besoin. C’est ce qui explique l’immense succès de la voyance, la facilité avec laquelle nous pouvons croire prédire les événements, et donc contrôler ce qui nous arrive. Les théories du complot apportent souvent des réponses de ce type. Celui qui croit dans le complot illuminati imagine qu’il connait des rouages secrets, et qu’il a donc un coup d’avance sur ce qu’il devrait normalement savoir. Ce sentiment d’en savoir plus nous dote d’un petit supplément de pouvoir sur ce qui nous arrive. Les périodes de crise sont donc particulièrement propice au succès de ces « théories ».

On pourrait également citer La méfiance (en particulier envers les sources d’information officielle), ainsi que la pensée intuitive (et l’établissement de liens de causalité entre des événements).

Un autre facteur, déjà décrit depuis quelques temps, vient de recevoir deux belles confirmations avec deux études, l’une dans le European Journal of Psychology, la seconde dans Social Psychology. Les théories du complot répondraient au besoin des individus de se sentir unique, de se distinguer de la foule. Cela explique notamment pourquoi certains auront tendance à croire dans toutes les théories du complot ; leur contenu important moins que leur nature secrète, minoritaire et anticonformiste. Cette disposition individuelle est nommée mentalité conspirationniste (Cf notre émission sur le sujet ci-dessous). Les études récentes montrent que les personnes avec une mentalité conspirationnistes adhèrent davantage à une théorie du complot quand elles pensent que cette théorie est très très peu connue.

 

3. Le besoin d’unicité est couplé à notre estime de nous-mêmes. Être celui qui voit plus loin, qui déchiffre les plans secrets des puissants, voilà qui est séduisant. Et cela nous rappelle l’aplomb avec lequel les prosélytes conspirationnistes appellent les autres à se réveiller, pauvres moutons qu’ils sont. Celui qui adopte une telle position, non seulement éprouve un plus grand sentiment de contrôle sur les événements, mais ressent aussi qu’il est spécial. On retrouve cette idée d’être spécial, différents, de se trouver à un stade plus avancé que les autres dans la pratique de l’ésotérisme et de l’étude du paranormal.

Ironiquement, l’une des choses qui rendent attractives certaines idées, et en particulier les théories du complot, c’est précisément qu’elles soient rejetées par la majorité.

Il n’y a rien de pathologique dans un tel comportement. Être meilleur, savoir plus, comprendre mieux sont des motivations universelles, et elles conduisent à l’excellence, à la découverte, au dépassement, au progrès. Mais à côté de la véritable excellence, exceptionnelle, on trouve une plus ordinaire soif d’excellence qui peut devenir une illusion. L’envie d’être différent des autres peut devenir la conviction d’être meilleur et que le rejet de mes idées fausses s’explique par la médiocrité de ceux qui me critiquent. Une telle disposition est malheureusement très vite alimentée par des biais comme l’auto-complaisance ou les biais de confirmation.

 

Specialis ergo credo

Je suis spécial, donc je crois

 

Que faire de ces résultats ?

Gardons-nous de croire que les facteurs ici présentés suffisent à tout expliquer. Ils ont des effets significatifs dans le cadre d’expériences de psychologie sociale, ils sont cohérents avec ce que l’on sait du fonctionnement de l’esprit humain, ils sont donc à prendre en compte, mais il sera toujours faux de réduire à ces quelques dimensions le fonctionnement mental de ceux qui croient des propositions irrationnelles ou déraisonnables.

Il semble plus important d’utiliser cette connaissance pour le bien de notre propre hygiène mentale. Parmi les choses que je tiens pour vraies, y en a-t-il envers lesquelles je suis enclin à une adhésion qui serait due à l’agenticité, au besoin de contrôle, à la méfiance, à mon intuition ou à mon désir d’être unique ? Si tel est le cas, me suis-je montré suffisamment prudent, ou devrais-je suspendre légèrement mon jugement ?

 

 

Les organismes dotés d’un cerveau utilisent cet organe fort intéressant pour coordonner les mouvements de leur corps dans l’espace (et dans le temps) et pour développer des stratégies de survie et de reproduction (Cf cet article).

Les cerveaux les plus complexes permettent de produire des comportements hautement élaborés de collaboration qui nécessitent d’être capable de comprendre les intentions de l’autre afin d’anticiper les dangers et les actions les plus optimales. Homo sapiens est pourvu d’un fort bel organe du genre, le plus complexe qu’on connaisse, du propre aveu de la plupart des propriétaires du modèle « cerveau humain ». Avec cet organe, il peut communiquer via un langage articulé, il a accès à une galaxie de symboles très riche, et il excelle à interpréter les intentions et toutes formes d’actions dans son environnement qui relèvent d’un projet, d’une volonté, c’est-à-dire les résultats de la présence d’un « agent ».

Le cerveau humain est un champion de la détection d’agent, ce que Le psychologue Justin Barret a nommé le détecteur d’agentivité hyperactif. La plupart des animaux sont également très forts en ce domaine. Toujours à l’affût, ils décampent au moindre bruit, réagissent à la première odeur. Que ce soit dans le but de repérer un prédateur, une proie ou un partenaire, la règle darwinienne est stricte : il vaut mieux se tromper en croyant détecter ce qui n’est pas là que de se tromper en ne détectant pas (ou trop tard) ce qui était vraiment-là.

« La détection d’agent est la tendance des animaux et des humains à présumer l’intervention réfléchie d’un agent conscient ou intelligent dans des situations qui peuvent ou non en impliquer.» (Wikipédia)

Pour l’humain, le principal danger, mais aussi la principale ressource, ce sont les autres humains. Ce qui doit être détecté avant tout, et ne jamais rester inconnu, c’est la présence d’une intention humaine derrière les bruits, les mouvements, les objets. Ceux qui ont perdu à ce jeu n’ont pas laissé de descendant, les autres sont nos ancêtres ; ils nous ont légué leurs gènes. Et comme eux, nous voyons de l’humain partout, par défaut (même dans les nuages, avouez sans crainte vous n’êtes pas seul !).

Le cerveau « croit ».

En conséquence, les animaux, et les humains en particulier, sont tous un peu trop paranoïaques. Ils donnent du sens à des choses qui n’en ont pas, voient des connexions dans la course aléatoire des événements (une disposition qu’on appelle apophénie), sous-estiment la puissance organisatrice du hasard (Cf la vidéo de Micmaths), et parfois leur étonnement se cristallise autour de croyances superstitieuses qui peuvent se renforcer par la seule action du hasard et des biais de confirmation.

Et voilà pourquoi la synchronicité est un concept intéressant. Elle décrit l’expérience du sujet qui trace des connexions entre des éléments perçus dans l’environnement sans qu’il y ait entre eux de réels liens de causalité, même indirecte. Et l’on peut utiliser le concept pour décrire ce qui est éprouvé et gloser, parfois de manière fort intéressante, sur ce que cela dit de l’individu, sur les réflexions que cela lui inspire, le sens qu’il désire donner à ce vécu. Il peut y trouver une forme d’épanouissement ou à tout le moins un sens narratif qui tire sa valeur de son existence même. Cet aspect que l’on peut qualifier de mondain est parfaitement justifiable.

« La synchronicité est l’occurrence simultanée d’au moins deux événements qui ne présentent pas de lien de causalité, mais dont l’association prend un sens pour la personne qui les perçoit. » (Wikipédia)

Mais la synchronicité devient une notion contestable quand on l’emploie dans le but d’apporter une explication dans un domaine qui empiète sur le terrain empiriste des faits vérifiables et des hypothèses réfutables, en un mot, celui de la science.

Qu’est-ce que l’a-causalité ?

La synchronicité nous renseignerait sur des liens indéfinis existant entre des événements dont on peut par ailleurs établir qu’ils ne partagent aucune causalité commune. C’est Jung qui le dit :

« Une synchronicité apparaît lorsque notre psychisme se focalise sur une image archétypale dans l’univers extérieur, lequel comme un miroir nous renvoie une sorte de reflet de nos soucis sous la forme d’un événement marqué de symboles afin que nous puissions les utiliser. Nous nous trouvons face à un ‘hasard’ signifiant et créateur. ».

Il n’y a pas de relation causale entre les éléments que l’individu va interpréter comme étant reliés. Pour expliquer le sentiment qu’un lien existe… en l’absence de lien, on invoque une relation d’a-causalité qui semble bien n’être rien d’autre qu’une définition performative ; le simple fait de mettre un mot sur ces relations les rendrait réelles. L’écrasante force de l’a-causalité repose dans le soin que prennent les théoriciens à expliquer pourquoi on ne peut la tester. Elle serait trop particulière, trop subjective, impossible à répliquer, inadaptée au travail des scientifiques. Devenue irréfutable, elle cesse d’être une hypothèse scientifiquement valide et se transforme en un appel à l’ignorance.

Appel à l’ignorance : Je pense que X se produit. J’estime que X est le résultat de mon hypothèse Hx. Et comme vous ne savez pas expliquer X dans votre paradigme, alors Hx est valide.

Or, pour prétendre savoir quoi que ce soit, il faudrait d’abord s’assurer de l’existence de X (cf la dent d’or de Fontenelle), et établir une manière de s’assurer que Hx n’est pas erronée. S’il n’existe pas de moyen de vérifier si Hx est erronée, alors l’hypothèse n’est même pas fausse, elle est inopérante, inopérable et sans espoir.

Qu’est-ce qui a de la « signification » ?

Pour en appeler à la synchronicité, il faut avoir perçu une « coïncidence signifiante ». Mais on se demande ce que serait une coïncidence non-signifiante, probablement une coïncidence qui n’offre pas à l’imagination un support suffisant pour élaborer un scénario. Dès lors, le raisonnement est circulaire. Quand une coïncidence m’inspire un lien qui éveille mon intérêt, alors ce lien a du sens, et donc la coïncidence est signifiante, la preuve : elle a éveillé mon intérêt. Ce faisant, nous oublions toutes les fois où des coïncidences se sont produites sans éveiller notre curiosité et sans s’inscrire dans notre mémoire. C’est le biais du survivant.

Plus fort encore, on évoque la synchronicité et son vernis académique pour en faire la source de phénomènes qu’on croit ainsi avoir expliqués : télépathie, prémonitions, divination. Dans le domaine du paranormal on aura donc tôt fait de nous parler de synchronicité pour justifier de croire en la réalité de divers phénomènes, comme par exemple la psychogénéalogie et son cortège de faux souvenirs induits. La pseudo-démonstration consistera alors à égrener une liste de coïncidences, à s’en étonner et à leur attribuer une signification qui dépasse le fonctionnement établi du monde physico-chimique.

L’astuce est la suivante : la synchronicité repérée n’est pas explicable par la science, donc elle doit être expliquée par une hypothèse qui dépasse le cadre scientifique. (Naturellement, la faille est immédiate : il n’est pas établi qu’il y ait quoi que ce soit à expliquer, nous l’avons déjà signalé). L’étonnement initial relève de l’hyperactivité de notre détection d’agentivité ; c’est en tout cas une hypothèse qu’il faudrait toujours prendre la peine de réfuter, ce qui ne semble pas être la priorité de ceux qui désirent démontrer l’existence de phénomènes inexplicables.

« Dans tous les cas, ces synchronicités font sens, à nous de ressentir lequel. » (nous dit le blog « Histoire d’Intuition« )

Les coïncidences.

Des événements improbables se produisent tous les jours. Vous avez peu de chance de mourir en avalant de travers une cerise. Mais de temps en temps cela se produit. Pour la personne a qui cela arrive, l’événement est dramatique, il a une importance énorme. Pour les autres c’est un fait divers. Si vous jouez votre date de naissance et gagnez le gros lot au loto, vous pourrez être tenté de penser que vous étiez destiné à gagner cet argent, qu’une volonté cosmique s’exprime à travers cet événement. Le même jour quatre cent mille personnes ont joué leur date de naissance et ont perdu ; elles n’en ont pas conclu qu’une volonté cosmique les avait destiné à ne pas gagner le gros lot. Il y a donc dans cette lecture subjective et intuitive un biais très profond, celui de la négligence de la taille de l’échantillon. L’adepte de la synchronicité se croit seul au monde, il y a d’ailleurs des liens entre cette pensée et le solipsisme (le monde est dans l’esprit qui l’observe).

« Richard Feynman cite un moment où il eut un pressentiment que sa grand-mère venait de mourir. À ce moment, le téléphone sonne, et c’était un appel de ses parents. Il s’enquiert immédiatement de la santé de sa grand-mère : il se trouve que celle-ci se portait très bien. Or qui pense à compter le nombre de coïncidences non réalisées ? » (source)

Les coïncidences constituent le substrat de la synchronicité. Or les coïncidences n’existent qu’au sein d’un témoignage, d’une subjectivité, et l’on sait à quel point le témoignage est épistémiquement fragile. La synchronicité fait penser à une auberge espagnole. On y amène le sens qu’on veut y trouver et les conclusions qui nous arrangeraient bien, et c’est toujours –miracle!– exactement ce qu’on en retire.

Un terrain psychologique ?

La croyance dans la signification de la conjonction d’événements sans lien fait partie du tableau clinique de la paranoïa. Dans l’exercice de la zététique sur les réseaux sociaux, on rencontre des individus qui manifestent une propension à sur-interpréter les actes et les paroles, à suspecter complots et conflits d’intérêts, à attribuer des intentions (hostiles) à leurs contradicteurs, voire qui prétendent connaître les vrais motivations d’autrui. Les commentateurs qui évoquent la synchronicité comme une thèse sérieuse émargent souvent à plusieurs des caractères ci-avant. Cela n’est pas si étonnant.

« Les idées de référence sont un symptôme observé au cours de certaines affections psychiatriques correspondant à la croyance selon laquelle certains éléments de l’environnement possèderaient une signification personnelle et inhabituelle.

À un degré supplémentaire, les idées de référence peuvent constituer des idées délirantes qui sont observées au cours des psychoses, par exemple la schizophrénie. » (Wikipédia)

On trouve de quoi mieux comprendre le lien entre synchronicité et délire d’interprétation sur le site de Philippe Guillemant. Ingénieur au CNRS, Ph Guillemant mène une carrière sans aucun rapport avec ses travaux sur la synchronicité. Sur les plateaux des médias, néanmoins, son appartenance au CNRS est toujours mentionnée, répétée, appuyée pour établir qu’il s’agit de quelqu’un de sérieux. Cet abus récurrent de l’effet de halo, voire d’argument d’autorité, donne à croire que le CNRS est le cadre des travaux qu’il mène sur la synchronicité. Il n’en est rien. Mais le plus intéressant est la manière dont il présente sa « théorie de la double causalité ». Ci-dessous un extrait de son site.

La mise en pratique de la Théorie de la Double Causalité est loin d’être évidente, si l’on se réfère aux prérequis suivants que je propose en page 188 de mon livre pour provoquer des synchronicités « parlantes »:

  1. avoir un besoin d’aide authentique,
  2. faire une demande liée à une réelle préoccupation au moment de la demande,
  3. prendre le risque de  » se mouiller  » par un comportement risqué, non raisonnable et surtout pas raisonné,
  4. demander quelque chose dont la réalisation aura une réelle incidence sur son chemin de vie (nouvelles intentions)
  5. conserver son libre arbitre : surtout ne pas demander à l' »Ange » de choisir à sa place,
  6. atteindre un niveau suffisant de détachement et de lâcher prise,
  7. voir naître en soi un authentique sourire intérieur,
  8. sortir des habitudes et sentiers battus au moment de la demande (ou s’appréter à le faire),
  9. Se positionner dans le don de soi et ressentir l’amour qui l’accompagne.

J’ai rajouté ici le 9ème prérequis qui n’est développé qu’à la fin du livre.

Je précise enfin un 10ème point essentiel que j’ai omis de rajouter, tellement il est évident puisque c’est le principe même de la TDC:

10. Ressentir ce que l’on attend comme déjà réalisé.

On constate que la disposition idéale requise pour éprouver une synchronicité est aussi celle d’une grande vulnérabilité à la suggestion, aux apophénies et aux erreurs d’interprétation alimentées par le biais de confirmation (explicite dans le point numéro 10). Certains auteurs ajoutent que la synchronicité se manifeste davantage lors des changements importants dans la vie, ce qui accroît la vulnérabilité mentale.

La clef du mystère ?

La synchronicité est un concept invoqué pour réifier un phénomène qui est très certainement avant toute chose la marque de notre détecteur d’agentivité hyperactif. Le soupçon qui accompagne tous les événements dont il est possible de se dire qu’ils ont un sens caché, une connexion mystérieuse avec autre chose, et en particulier des événements de notre vie personnelle, intime s’hypertrophie, devient le prisme par lequel tout raisonnement est opéré. Parce que nous avons tous une vie intérieure faite de liens affectifs, irrationnels, inexplicables, nous faisons tous l’expérience du sentiment que certains détails ont un sens profond. Gardons précieusement ces sentiments contre le hold-up que rêvent d’en faire certaines théories incapables de se défendre sur le terrain de la raison, des faits et de la méthode.

Naturellement, il reste bien des choses à découvrir sur la nature. Le monde est infiniment complexe, et nous devons observer une stricte humilité épistémique, nous garder de croire avoir tout compris. Mais accepter d’avoir encore beaucoup à apprendre n’équivaut pas à devoir accepter les premières explications séduisantes qui croisent notre chemin. Avoir beaucoup a apprendre signifie qu’en chemin vers la connaissance, nous risquons de tomber souvent sur des idées fausses. Des idées qui restent fausses même quand elles sont sincères et réconfortantes.

La synchronicité n’est probablement pas la réponse que vous recherchez.

Jusqu’à preuve du contraire.

Quelques travaux

« Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n’ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas ; ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir, et une avalanche de malheurs ou de maladies se succédant sans interruption dans une famille, ne la fera pas douter de la bonté de son Dieu ou du talent de son médecin. »

Marcel Proust (Du côté de chez Swann)

 

Vue plus d’un million de fois, partagée des dizaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux, et défendue par d’innombrables internautes, vous avez peut-être croisé la vidéo d’une maman antivax, Mahève Guibert, qui accuse beaucoup de monde de la prendre pour une idiote ou pour une folle. Ce qu’elle raconte va totalement dans le sens des inquiétudes de nombreux parents, des inquiétudes qu’on peut comprendre, il est parfaitement normal d’être rétif à l’idée d’injecter un produit pharmaceutique dans le corps d’un enfant qui n’est même pas malade. Mais la santé publique, des enfants comme des adultes est une question sérieuse, alors il faut se documenter correctement, quel que soit votre avis initial. Il est préférable de savoir pour quelles raisons on souhaite rejeter les conseils des médecins afin de pouvoir examiner ces raisons.

C’est ce que nous allons faire avec les raisons invoquées dans cette vidéo devenue virale et que vous pourrez trouver sous sa version Youtube derrière ce lien.

Bien entendu, il ne s’agit pas d’un pugilat ou d’une croisade, et madame Guibert, si elle le souhaite, est invitée à nous répondre, à fournir les sources de ses allégations afin que nous puissions admettre la justesse de ses propos et retirer nos propres critiques.  Nous ne réalisons cette réponse critique que parce que cette vidéo véhicule à grande échelle des informations dont on peut montrer facilement, avec un peu de vérification, qu’elles sont fausses.

Le script de ce Tronche de Fake a été préparé en collaboration avec Pauline de la chaîne Un peu pointu et avec les conseils avisés de Jidé (de Asclépios) et de Ronan (donc une immunologue, un médecin et un vaccinologue), et il a été relu et corrigé par d’autres personnes, notamment Louise Cluny et Julie Boulier du Blog Rougeole Epidémiologie qui s’est attardée sur le passage TV de Mahève Guibert, la maman antivax.

 

Allons-y.

 

1.    « Je savais que la vaccination comportait des risques et je voulais attendre ses deux ans avant de le faire vacciner car je considérais qu’il était important qu’il fasse ses premières défenses immunitaires tout seul »

On entend une forme d’appel à la nature. Les défenses que l’enfant se fabrique tout seul, sans aide extérieure, seraient préférables à celles produites par la vaccination. On ignore pourquoi, et je suppose que la maman ne saurait pas le justifier, d’autant que c’est complètement faux.

C’est surtout une mauvaise idée de ne pas aider le système immunitaire d’un enfant dès que possible car  il n’est pas prêt à se défendre contre la plupart des pathogènes. Les anticorps de la mère le protègent contre certaines maladies, mais pas toutes, et seulement pendant un certains temps. C’est pourquoi il est au contraire important de le vacciner tôt pour éviter qu’il ne meure d’une maladie évitable.

Au 18è siècle un enfant sur deux n’arrivait pas à l’âge adulte, et les maladies évitables par vaccination étaient une cause importante de cette mortalité infantile.

2.    « Quand ils se sont rendus compte que mon fils à la crèche n’était pas vacciné, le médecin m’a demandé de me mettre à jour rapidement »

Heureusement. C’est le rôle de ces établissements d’assurer la sécurité de tous les enfants. un enfant non vacciné a des risques accrus de contracter une maladie grave et contagieuse, et de la transmettre aux autres enfants, d’abord aux bébés qui ne peuvent être vaccinés contre tout, et puis ceux qui n’auront pas pu recevoir le vaccin pour des raisons médicales.

On a donc tous intérêt à ce que les crèches aient ce genre d’exigence.

3.    « Je ne voulais faire que les vaccinations obligatoires alors j’ai demandé à mon médecin Traitant. » Le DTP n’était pas disponible, j’ai été obligée de faire vacciner avec un hexavalent.

En France, on a cette particularité d’avoir des vaccinations obligatoires pour être admis en crèche ou à l’école (Diphtérie/Tétanos/Polio) et des vaccinations recommandées.

La raison est historique : ces maladies étaient des fléaux qu’il fallait éradiquer et pour cela, il fallait vacciner la majorité de la population. L’obligation était à l’époque le meilleur moyen.

Mais depuis, les pouvoirs excécutifs/législatifs ont pensé qu’il n’était plus nécessaire de rendre un vaccin obligatoire pour que les gens l’utilisent.  En toute logique, quand on vous propose un moyen de protéger vos enfants contre tout un tas de maladies potentiellement mortelles, et que ce traitement vous est remboursé, on s’attend à ce que les gens soient bien contents de l’accepter. (Autre raison possible à cette décision : en cas de problème d’acheminement et de livraison des vaccins, l’Etat n’est plus légalement responsable, si la vaccination n’est plus obligatoire.)

 

Seulement voilà, de nos jours la méfiance règne. Pour des tas de raisons, certaines bonnes, d’autres mauvaises, une partie de la population n’a plus confiance dans les discours officiels et, par ricochet, dans l’efficacité de la science. Résultat : on se méfie d’un médicament obligatoire. Plus fourbe encore, on veut bien du médicament obligatoire mais on refuse absolument le médicament qui n’est « que » recommandé.

Et le problème est inextricable parce que nous avons peu de choix.

  • Ou bien on maintient l’obligation actuelle, et on alimente la suspicion.
  • Ou bien on rend obligatoires les vaccins qui n’étaient que recommandés… et on alimente la suspicion.
  • Ou bien on lève l’obligation… et certains diront que c’est la preuve qu’ils avaient raison de refuser ces vaccins. Et donc on alimente la suspicion.

Le mois dernier l’Italie a rendu obligatoire 12 vaccinations qui étaient jusqu’ici seulement conseillées. Insistons sur un point qui n’est pas un détail : aujourd’hui les vaccins « recommandés » sont aussi efficaces et importants que les vaccins obligatoires !

 

4.    « Je ne voulais pas faire ces autres vaccins car ils causent des allergies engageant le pronostic vital »

C’est clairement FAUX.

Le vaccin hexavalent n’a pas plus d’effets secondaires que le DTP. Avantage : il permet de ne faire qu’une seule piqûre et de protéger contre 6 maladies. Donc moins de piqûres, moins de RDV chez le pédiatre, moins d’adjuvants (au cas où vous auriez peur des adjuvants, on va en reparler). Bref, c’est tout bénef.

Le risque zéro n’existe pas, que ce soit en prenant un train, un bain ou une bière. Mais le risque d’allergie face à un vaccin est très très faible. Si faible que ça n’aurait aucun sens de vouloir en protéger son enfant en l’exposant en même temps à 6 maladies très graves.

 Lien entre le vaccin contre l’hépatite B et la sclérose en plaque ?

Beaucoup d’études ont été menées sur le sujet. Elle établissent le consensus scientifique suivant : aucun lien entre vaccination et sclérose en plaque n’a pu être démontré. La manière dont s’expriment les scientifiques peut induire en erreur ; on dit qu’on échoue à montrer un lien parce que la démarche ne permet jamais de conclure à l’absence de lien, mais en fait ça revient au même. Pour la science, il n’y a pas de lien entre vaccination et sclérose en plaque.

Dire le contraire, je suis navré de le préciser, c’est mentir. C’est désinformer. Et on se demande au nom de quoi on justifierait ce genre de mensonge.

Pourquoi a-t-on suspecté ce lien ?

La sclérose en plaques se déclare en général à l’adolescence. Or le vaccin contre l’hépatite B était reçu… à l’adolescence. Certains personnes ont transformé cette corrélation en causalité et ont estimé que la maladie était la conséquence du vaccin. Et à ce moment là l’hypothèse n’était pas absurde, il fallait vérifier. C’était il y a plus de 20 ans. Et comme je vous l’ai dit, les études n’ont pas trouvé ce lien.

Depuis on vaccine contre l’Hépatite B avant 1 ans (avec le fameux hexavalent) toujours sans incidence sur la sclérose en plaque.

 

5.    « Du coup le médecin de la crèche me rappelle en disant qu’il va se débrouiller pour me trouver le bon vaccin, contrairement à ce qu’on m’a dit. »

Il le fait car son rôle est de protéger TOUS les enfants, même ceux dont les parents sont récalcitrants.

 

6.    « Quand j’arrive en pharmacie, je lis la notice, et je découvre, atterrée, que non seulement le Revaxis est interdit à la primovaccination mais qu’en plus il n’a pas d’autorisation de mise sur le marché pour les enfants de moins de 7 ans. »

Effectivement. Chaque vaccin a sa spécificité. Mais si vous refusez toutes les solutions idéales, vous vous retrouvez avec des solutions non-idéales comme celle-ci.

Le Revaxis qu’on lui a proposé n’est pas pour les bébés effectivement ; c’est pour cela qu’au départ on l’a dirigée vers l’hexavalent. Les doses en anatoxines diphtérique et tétanique du Revaxis sont plus faibles qu’en primo-vaccination. La vaccination serait insuffisante. C’est probablement LA raison pour laquelle il n’est pas injectable chez les moins de 6 ans. Et c’est pourquoi l’hexavalent était le meilleur choix dont disposait cette maman. En lui proposant le Revaxis, le médecin cherchait à sauver les meubles.  Il aurait pu faire une demande d’utilisation hors AMM, en tout cas dans cette situation  il est clairement en tort.

 

 

 

7.    « Je menace donc de porter plainte contre le médecin et l’établissement pour faute professionnelle grave. » Le médecin démissionne 48h après, et pour éviter le scandale, la place en crèche de l’enfant est maintenue.

D’abord je me permets de signaler que nous n’avons aucune preuve que cette histoire soit vraie et qu’elle se soit déroulée comme on le présente ici. Mais si c’est vrai, c’est un scandale. C’est un scandale pour les enfants que cette crèche est censée protéger. Car il peut se passer deux choses.

Cas numéro 1 : l’enfant non vacciné sera protégé par la couverture vaccinale des autres. Et la maman pourra dire : « Vous voyez, je n’ai jamais fait vacciner mon enfant, et pourtant il n’a jamais été malade. On vous manipule ! », et il y aura des gens pour la croire et pour refuser le vaccin à leur tour.

Cas numéro 2  : L’enfant non vacciné attrape une saloperie et il contamine un autre enfant, peut-être un enfant que des contre-indication ont empêché de se faire vacciner, ou un enfant trop jeune pour être vacciné…

On se demande si les parents antivax pensent à tous ces dangers là et s’ils mesurent les conséquences de leurs posture. Je vous rappelle que nous parlons de maladie infectieuses dont les risques mortels sont avérés.


Petite parenthèse : les vaccins et la loi…

Fabriquer un vaccin prend beaucoup de temps. À partir du moment où l’on a désigné la souche virale, Entre la mise en culture des cellules, l’infection, l’inactivation l’aliquotage, et les très très nombreuses validation et contrôle de lot, le processus prend 2 ans.  Si d’un coup 2 fois plus de personnes veulent un vaccin B au lieu de A, les compagnies ne peuvent pas se retourner si vite. Cela explique que les compagnies ne produisent pas des vaccins sur mesure pour les pays.  C’est malheureusement au pays de s’adapter au marché et pas l’inverse, ou alors on revient a une nationalisation de la production comme ce fut le cas jusqu’au années 50, mais bon c’est un autre débat.


8.    « Les médecins n’ont que 4 heures de formation sur le sujet ».

Cette allégation parait très étonnante. Vérifions dans le cursus de l’Université Paris Diderot en médecine. Voici les cours où tout ce qui touche aux vaccins est abordé (source).

1er cycle:

  • Première année (PACES)
    • Initiation à la connaissance du médicament : 33h
    • Santé publique : 16h
  • Deuxième année (DFGSM2) :
    • Bases fondamentales de l’immunologie : 10 séances
  • Troisième année (GFGSM3) :
    • Physiopathologie du système immunitaire et immunothérapies
    • Agents infectieux

2ème cycle :

  • DFASM 1: Santé – Environnement et maladies transmissibles : 32h
  • DFASM 2 : Immunopathologie : 30h
  • DFASM 3 : Pharmacologie et thérapeutique : 19h

 

Cela semble offrir un clair démenti aux déclarations de la maman antivax. Mais si elle peut fournir les preuves de ce qu’elle avance, nous sommes intéressés.

 

 

9.    « Dans la bibliothèque Universitaire de médecine de Toulouse je n’ai trouvé qu’un seul livre sur la vaccination ». Livre de 70 pages des laboratoires GSK « les enjeux économiques de la vaccination ».

On peut avoir accès en ligne à la liste des ouvrages de cette bibliothèque. En format livre on compte non pas une, mais 97 références. Si on ajoute les revues scientifiques, les compte-rendus de congrès, etc. on dépasse largement la centaine. Les étudiants en médecine ont par ailleurs accès à la totalité des bibliothèques universitaires de Toulouse où ils peuvent certainement trouver d’autres références encore.

Si cette dame n’a trouvé qu’un seul livre, on peut douter de sa compétence à se documenter sur ce qu’elle raconte en vidéo. Par ailleurs on ne trouve pas de trace du livre qu’elle cite. Quelle crédibilité tout cela a-t-il ?

10. Beaucoup de médecins ne remettent pas en question la pratique de la vaccination, juste parce qu’ils y « croient ».

La pratique des médecins évolue au fil du temps à la lumière des travaux des chercheurs. C’est leur métier de savoir quelles pratiques, quels soins sont utiles et importants. C’est toute la différence entre connaissance et croyance. Si les médecins ont confiance dans la pratique de la vaccination c’est parce qu’ils connaissent l’histoire de cette pratique

  • « Les effets de la vaccination antivariolique en Suède : protection des enfants et menace nouvelle pour les adultes. » (1998) [Etude sur l’effet de la vaccination antivariolique en Suède sur la base de documents historiques.]
  • « The right to die? Anti-vaccination activity and the 1874 smallpox epidemic in Stockholm. » (1992) [L’effet d’une campagne antivaccinale en 1874 a Stockholm sur la résurgence de la Variole…]

Il est plus raisonnable de penser que cette maman est davantage dans la croyance que ne l’est le corps médical.

11. « Des études montrent que le plus gros pourcentage d’enfants non vaccinés se trouve être les enfants de médecins et de pharmaciens »

On nous parle d’études. On voudrait les voir. C’est important de fournir les études quand on prétend s’appuyer dessus. Curieusement, quand on épluche la littérature scientifique à la recherche d’études sur le comportement des professionnels de la santé vis-a-vis des vaccins, voici ce que l’on trouve :

  • « A look at the pediatrician as parent: experiences with the introduction of varicella vaccine ». (2003)
    • Cette étude réalisée sur 764 pédiatres dans l’état de New-York en 2003 pour savoir s’ils suivaient les recommandations de vaccination contre la varicelle sur leurs enfants a montré que… oui (pour 88%). Il n’y avait pas de différence entre les pédiatres qui ont des enfant et ceux qui n’en ont pas.
  • « Knowledge, attitudes, and beliefs of school nurses and personnel and associations with nonmedical immunization exemptions » (2004)
  • « How do physicians immunize their own children? Differences among pediatricians and nonpediatricians » (2005)
    • En Suisse, en 2004 : 92% des pédiatres questionnés suivent les recommandations vaccinales sur leurs enfants. 90% pour les autres spécialités. Toutes les spécialités vaccinent également leurs enfants au-delà des recommandations officielles (Hépatite A, Influenza et Varicelle).
  • « Discrepancies between general practitioners’ vaccination recommendations for their patients and practices for their children » (2016)
    • En France, cette étude réalisée sur des médecins généralistes en 2013/2014. 60% d’entre eux vaccinent leurs enfants mais ne recommandent pas systématiquement ces vaccinations aux parents des patients. C’est surtout flagrant pour le vaccin contre l’hépatite B (77% ont vacciné tous leurs enfants mais seul un tiers le recommandent). Les auteurs mettent en avant différentes raisons possibles, des “barrières médecin/patient” qui n’existent pas avec leurs enfants. Par exemple, la durée du rendez-vous, l’oubli d’en parler aux ados qui ne viennent pas spécifiquement pour cela, mais aussi le doute des parents.
  • « Knowledge and recommendation regarding routine childhood vaccinations among pediatric healthcare providers in Israel « (2017)
    • En Israël en 2017 le manque de connaissances en immuno et en vaccino chez les infirmières est corrélé à leurs doutes sur les vaccins. Donc plus on est formé sur le sujet, moins on est enclin à croire les infos douteuses qui circulent. Cependant, dans cette étude, même les infirmières qui ont des doutes recommandent aux parents de vacciner leurs enfants.

On constate que les professionnels de la santé ont tendance à vacciner leurs enfants plus qu’ils n’incitent les autres à le faire. La maman antivax affirme le contraire. Nous aimerions savoir sur quelles données elle s’est forgé sa conviction.

 

12. La vaccination arrive toujours à la fin des épidémies. « Une épidémie s’éteint par nature, vous n’avez pas été vacciné pour la peste, le choléra ou la lèpre. »

Voici pourquoi tout ça est parfaitement stupide :

  • La Peste : se soigne avec des antibiotiques.
  • La Lèpre : se soigne également avec des antibiotiques.
  • Le Choléra : il existe des vaccins que l’on utilise justement dans les pays où l’hygiène n‘est pas suffisante pour empêcher une épidémie. Par ailleurs on peut en traiter les symptômes mortels (déshydratation notamment) et éventuellement utiliser des antibiotiques.[2]

Et effectivement, on peut considérer qu’une épidémie “s’éteint par nature” une fois qu’elle a tué tous les gens trop faibles pour combattre la maladie. Si vous voulez défendre ce point de vue, il ne faudra pas vous plaindre qu’on s’inquiète de votre sens de la morale. Mais en réalité c’est plus complexe que cela, et une maladie endémique peut conserver des réservoirs à partir desquels elle peut se propager. La rougeole et la varicelle par exemple, sont endémiques. Elles sont alimentées par les naissances, qui renouvellent la population susceptible. C’est pourquoi il y a environ 800.000 cas de varicelle chaque année en France… autant que de naissances (source, p251).

 

Enfant souffrant de la variole. Les vaccins ont éradiqué cette maladie.

 

13. « Si on améliore notre hygiène, les épidémies disparaissent toutes seules. »

Cet argument classique de la rhétorique antivax prétend qu’en réalité les vaccins n’ont vaincu aucune maladie. C’est FAUX. Le CDC (Center for Disease Control and Prevention) a publié des données très précises sur le nombre de personnes affectées par diverses maladies au cours du temps. Sur les graphes, on indique quand les vaccins ont commencé à être utilisé, et on constate très facilement l’effet direct des vaccins sur le nombre des malades.

L’hygiène n’est pas impliquée dans l’éradication de la poliomyélite dans les années 1950 ou de la rougeole dans les années 1960 aux États Unis et dans les pays occidentaux. Vous trouverez tout cela très bien expliqué en français dans un article du blog la théière cosmique.

L’argument est de toute façon intenable pour les maladies dont les causes sont bien identifiées et ne dépendent absolument pas de l’hygiène. Que fait-on contre le HPV qui cause les lésions pré-cancéreuses responsables du cancer du col de l’utérus ? Que fait-on contre zika ? Contre le VIH ? La bronchiolite du nourrisson circule-t-elle uniquement parmi les familles ayant des carences en hygiène ?

Spoiler : Non.

 

Aucun progrès de l’hygiène ne peut expliquer la forte diminution des cas de rage suite à la vaccination des renards (source)

14. « On me demande souvent si je n’ai pas peur que mon enfant attrape le Tétanos. Je leur réponds que mon fils peut attraper le Tétanos 20 fois et en guérir 20 fois, il ne sera jamais à l’abri .Parce qu’il n’existe pas d’anticorps contre le bacille tétanique. »… Donc non.

On peut s’inquiéter pour l’enfant de cette dame si elle croit que guérir du tétanos est si facile. En quoi consiste le traitement ?

Les malades sont suivis en soins intensifs, soumis à des antibiotiques pour éliminer les bactéries à l’origine de la maladie. Mais ce qui tue, c’est la toxine, laquelle qui va s’attaquer aux neurones. Les patients doivent donc subir une sérothérapie.

Cela consiste à injecter rapidement une grande quantité, en plusieurs injections par voie intramusculaire, d’un sérum provenant d’un sujet – humain ou animal – immunisé, et donc contenant les anticorps nécessaires contre la maladie. Elle diminue la mortalité mais n’intervient pas sur la toxine déjà fixée sur les neurones. Le tétanos tue un tiers de ses victimes dans les pays développés.

En fonction de la gravité de leur état, les malades reçoivent du diazépam, des barbituriques, de la chlorpromazine, du dantrolène et du baclofène, des anticoagulants et éventuellement une trachéotomie.

Une sinécure pour l’enfant de cette maman.

Mais le pire, voyez-vous c’est que l’infection par le tétanos ne confère pas de protection immunitaire. Car en effet, comme le dit la maman, il n’existe pas d’anticorps contre le bacille tétanique. Mais surtout la dose de toxine libérée par les bactéries est infime et passe sous le radar du système immunitaire. Cette faible dose de toxine est suffisante pour tuer mais pas pour provoquer une réponse immunitaire. Si le système immunitaire était un minimum alerté, il pourrait créer les anticorps et réagir. Mais il ne peut pas tout seul. Le vaccin contient une dose énorme d’anatoxine, ce qui alerte le système immunitaire. L’individu est alors blindé en anticorps qui, assez passivement (on ne réactive même pas la mémoire cellulaire), vont pouvoir lutter en cas d’infection.

Par conséquent, le seul moyen d’être efficacement immunisé, c’est de recevoir un vaccin qui induit la production d’anticorps dirigés contre la toxine ! Il n’y a pas de bon argument pour ne pas vacciner un enfant contre le tétanos.

Bébé soufrant du tétanos.  La vaccination protège contre cette maladie.

15. « L’inefficacité de la vaccination, regardez les gens non vaccinés n’ont pas plus de maladies que ceux vaccinés. »  « En plus ils ne protègent pas bien, regardez le nombre de gens vaccinés contre la Grippe qui ont attrapé la Grippe ».

L’appel aux anecdotes personnelles est fréquent chez les promoteurs des pseudosciences ou des théories du complot. Le vaccin contre la grippe est préparé en suivant les recommandations de l’OMS  au sujet des virus les plus susceptibles de circuler durant l’hiver. Parce que la grippe est imprévisible, l’efficacité du vaccin varie d’une année sur l’autre.

Quand une personne vaccinée tombe malade, il y  a deux possibilités :

  1. Il s’agit effectivement d’une grippe et la personne n’a pas répondu au vaccin car son efficacité est incomplète.
  2. Il ne s’agit pas d’une vraie grippe mais d’une autre infection dont les symptômes ressemblent à ceux de la grippe.

Si vous pensez que le fait que le vaccin contre la grippe ne protège pas 100% des gens est un argument contre la vaccination, alors cessez de mettre votre ceinture de sécurité, car elle ne protège pas 100% des accidentés de la route. On appelle « sophisme de la solution parfaite » ce pseudo argument qui consiste à refuser une solution si elle n’offre pas une satisfaction complète.

Il demeure que la grippe représente un risque mortel pour certaines populations. Le vaccin contre la grippe sauve donc des vies.

Mais la grippe est un cas particulier, et d’autres vaccins ont une efficacité beaucoup plus grande.

  • Le vaccin contre la varicelle offre une protection à hauteur de 95%.
  • Le vaccin contre la rougeole est efficace à près de 100% après 2 doses.
  • Idem pour le vaccin contre la rubéole.

A savoir : Même quand il n’empêche pas la grippe, le vaccin permet d’en limiter l’impact. Le risque majeur avec la grippe concerne les personnes âgées polypathologiques qui parfois en décèdent. Si une vieille dame fait une petite grippe et reste au lit 3 jour parce qu’elle est vaccinée, c’est mieux que si elle fait une grippe féroce avec une décompensation respiratoire ou cardiaque qui va l’amener à décéder…

16. « La vaccination est inutile, dangereuse mais elle est infiniment profitable ».

Il y  a un marché très profitable, c’est celui des livres antivax. La vaccination quant à elle sauve 2 à 3 millions de vie par an, selon l’OMS. J’ignore quel tarif serait excessif.

Alors oui, la vaccination est profitable. Elle est profitable à l’échelle d’un pays, d’une société. Des dizaines d’études montrent que si un pays encourage la vaccination de sa population (en remboursant par exemple), le pays s’y retrouve en termes économiques : moins de personnes malades à soigner (parce que ça coûte de l’argent à la société), moins d’absentéisme, etc. On peut par exemple mesurer l’impact économique de la grippe et le comparer au coût de la vaccination de la population. Un cas de grippe c’est entre 28 et 68€ de frais ambulatoires, plus 4,8 journées d’arrêt de travail (source).

 

17. « Faites vacciner vos enfants, Détruisez leurs défenses immunitaires, vous en faites un client à vie du système de santé. »

On est dans la pure théorie du complot. On veut nous faire croire que les médecins détruisent les défenses immunitaires des enfants. C’est étonnant puisque depuis l’apparition des vaccins l’espérance de vie ne cesse d’augmenter.

Ensuite, on n’a pas besoin de faire des études de médecine pour comprendre le principe de la vaccination qui est d’entrainer le système immunitaire en le mettant en contact avec des particules qui induisent une réaction et, surtout, une mémoire immunitaire

Vacciner un nouveau-né, ça permet d’éviter qu’il n’attrape une maladie mortelle et qu’il ne sache pas s’en défendre. Ca l’empêche de tomber malade et de “devenir un client du système de santé”.


Dans la suite on aura droit à des déclarations non sourcées mais aussi sans rapport direct avec la vaccination. La maman nous raconte une histoire à faire peur .

 

18.  Les laboratoires pharma sont passés de 6 milliards à 30 milliards en 2012

D’où sortent les chiffres ? Quels laboratoires sont concernés ? Quelle est la part des vaccins dans ces données ?

Et surtout : qu’est-ce que ça prouve ? Une technologie qui rapporte de l’argent est-elle forcément néfaste ? C’est le message implicite, et il ne suffit pas de l’insinuer, il faudrait le prouver.

 

19.  Conséquences de la vaccination : « Asthme, Allergies, otites à répétition dans le meilleur des cas… »

Allégations sans source, sans référence. À notre connaissance il n’y a aucun lien entre ces affections et la vaccination. On ne peut plus accorder le bénéfice du doute à madame Guibert.

Si la source de telles propos est l’étude Kiggs, on trouvera une réfutation propre et nette dans cet article.

Enfant souffrant de la coqueluche. La vaccination protège contre cette maladie.

20. « … des maladies qu’on ne connaissait pas avant sont désormais légions : Alzheimer, Parkinson, SEP, Autisme. »

On constate qu’il y a de plus en plus de maladies dégénératives en France. À quoi est-ce dû ? À un meilleur dépistage. Mais surtout à un vieillissement de la population. Les gens souffraient moins d’Alzheimer quand ils mouraient à 40 ans.

Paradoxalement l’augmentation des maladies liées à l’âge au cours des dernières années est la conséquence d’une meilleure santé publique. Les gens vivent plus vieux et attrapent des maladies de vieux. Mieux encore, ils survivent à plusieurs maladies et peuvent les cumuler.

Accessoirement, rien de tout cela n’a de lien avec les vaccins. Aucune source n’est citée. Cela ressemble juste une histoire destinée à nous faire peur et à s’auto-persuader qu’on lutte contre quelque chose de mal.

 

 

21. « Le lien entre l’autisme et le vaccin ROR à cause du mercure et de l’aluminium (adjuvants) est évident désormais. »

NOPE. Nope, nope !

Le lien entre vaccination et autisme est le résultat des travaux d’Andrew Wakefield. On a démontré qu’il avait truqué ses résultats et menti. Radié de l’ordre des médecins, il vit de la vente de livres antivax et de conférences antivax qu’il donne à travers le monde, et bientôt d’un film antivax. Bref c’est pire que de la mauvaise science, c’est du mensonge. Un mensonge aux conséquences potentiellement criminelles

Et on a même des articles scientifiques publiés dans des revues qui parlent explicitement de fraude à ce sujet :

  • « The MMR vaccine and autism: Sensation, refutation, retraction, and fraud » (2011)
  • « Wakefield’s article linking MMR vaccine and autism was fraudulent » (2011)
  • « How the vaccine crisis was meant to make money » (2011)

Notre maman antivax n’est-elle pas informée qu’il existe un consensus scientifique sur l’absence de lien entre vaccination et autisme ?

  • Hviid A, Stellfeld M, Wohlfahrt J et Melbye M, « ASsociation between thimerosal-containing vaccine and autism », JAMA, vol. 290,‎  2003, p. 1763–1766 (source).
  • Kreesten Meldgaard Madsen, Anders Hviid, Mogens Vestergaard et Diana Schendel, « A Population-Based Study of Measles, Mumps, and Rubella Vaccination and Autism », New England Journal of Medicine, vol. 347,‎ 7 2002, p. 1477–1482 (source)
  • Luke E. Taylor, Amy L. Swerdfeger et Guy D. Eslick, « Vaccines are not associated with autism: An evidence-based meta-analysis of case-control and cohort studies », Vaccine, vol. 32,‎ 2014, p. 3623–3629 (source)

Pour comprendre en français l’affaire Wakefield, consultez cet article de l’AFIS. Les gens qui ont tendance à croire à l’existence de ce lien entre vaccin et autisme ne se rendent pas compte que cette thèse est d’un niveau de négationnisme scientifique équivalent à celui des  « climato-sceptiques ». Sur la manière dont on a démontré l’absence de lien entre vaccin et autisme, voir cette vidéo (anglais avec sous-titres fr).

 

Toute personne qui prétend qu’il y a un lien entre vaccination et autisme est forcément en train de vous baratiner.

NB : Les propos de la maman antivax sont d’autant plus confus que le ROR ne contient pas et n’a jamais contenu du mercure et d’aluminium (c’est un vaccin vivant atténué. Donc il n’a pas besoin d’adjuvants, et craint les conservateurs)

Enfant souffrant de la rougeole. La vaccination protège contre cette maladie.

22. « Le mercure et l’aluminium ont été retirés du commerce car toxiques ».

On se demande ce que cela peut vouloir dire exactement. Quel marché ? Quels produits contenant de l’aluminium  ? (il y en a plein). Et comme d’habitude : d’où vient l’information ? Quelle est sa qualité ? Sa pertinence ?

Le mercure et l’aluminium (sous forme hydroxyde d’aluminium dans les vaccins) ne sont toxiques que sous certaines conditions : être biodisponibles et dépasser une certaine dose. Pour mémoire : l’eau à haute dose tue 100% des gens qui se noient. Plus généralement, tout produit chimique à trop forte (et parfois à trop faible) dose présente des dangers pour la santé. Se focaliser sur le mercure ou l’aluminium comme s’ils étaient dangereux par nature, ça n’a aucun sens.

Disons un mot des adjuvants : leur rôle est d’activer la réaction immunitaire… Si on les retire, la plupart des vaccins ne fonctionnent plus. Le thiomersal est un éthyle mercure utilisé pour prévenir toute prolifération bactérienne ou fongique dans certains vaccins inactivés présentés en flacons multidoses ; ce n’est donc pas un adjuvant mais un conservateur.

Il a été recommandé de renoncer au thiomersal, mais ce n’est pas une interdiction stricte. Il ne s’agit que d’un principe de précaution, en raison des inquiétudes reposant sur… aucun élément permettant d’établir un risque. Pour information : si l’on respecte le calendrier vaccinal, plus aucun vaccin administré aux enfants en France ne contient du mercure (sous forme de thiomersal). Seul le spirolept, qui protège contre la leptospirose en contient.

On oublie souvent les parents qui ont d’abord refusé de vacciner leurs enfants puis l’ont regretté. Les régions les plus touchés par des résurgences de maladies jusqu’alors sous contrôle grâce à la vaccination sont précisément celles où le mouvement antivax compte le plus d’adeptes (en France, aux États-Unis).


« L’asymétrie de la billevesée. La quantité d’énergie nécessaire à la réfutation d’une billevesée est d’un ordre de magnitude supérieur à celle qu’il faut pour la formuler. » Alberto Brandolini

(« The bullshit asimmetry: the amount of energy needed to refute bullshit is an order of magnitude bigger than to produce it.»)


Conclusion

La vidéo de cette maman antivax est très symptomatique. Il s’agit d’un témoignage personnel. Les témoignages personnels sont les preuves les moins fiables en science, mais également dans le monde judiciaire. On entend beaucoup d’accusations, beaucoup d’allégations mais on ne voit aucune preuve.

Cette vidéo ressemble également à un Gish Gallop, du nom du créationniste Duane Gish, célèbre pour noyer son auditoire sous des dizaines d’arguments démontrant selon lui la fausseté de la théorie de l’évolution. Chaque allégation fausse requérait de la part de son contradicteur beaucoup plus de temps pour être réfutée qu’il n’en fallait à Gish pour la prononcer (regardez un peu la taille de cet article !). On nomme aussi ce type de rhétorique le millefeuille argumentatif.

Le discours de cette maman antivax est axé sur la peur. Sur la peur de ce qui peut arriver à la santé des gens que nous aimons. Très convaincante, cette stratégie ne fonctionne que si l’on peut faire oublier les véritables risques infectieux qui nous menacent tous.

Il est aisé de constater que la logique et la rhétorique déployée par les antivax est exactement celle qu’on retrouve chez les conspirationnistes. C’est très efficace, et il n’est pas surprenant que de nombreux parents sincèrement soucieux de la sécurité de leurs enfants y prêtent l’oreille. Si vous êtes parent, et pas au courant de l’état des connaissance scientifiques sur le sujet, alors vous aurez des soupçons en écoutant madame Guibert. Rien de plus normal. Les antivax ne sont pas des imbéciles, ils sont mal informés. Mais une fois que vous avez ces soupçons, c’est à vous de trouver à quelle source accorder votre confiance. Sur des sujets pareils le doute n’est pas un fin en soi.

Vous pouvez donc choisir de croire que l’on empoisonne sciemment les enfants, sur la foi de témoignages qui ont la même structure que ceux qui nient les premiers pas de l’Homme sur la Lune, le réchauffement climatique ou l’évolution du vivant ; ou bien vous admettez les preuves scientifiques qui disent que les vaccins ont sauvé et peuvent continuer de sauver des dizaines de millions de vie tout en présentant un risque très faible et sévèrement surveillé d’effets secondaires.

Personne ne peut vous forcer à croire l’un ou l’autre. Exercez votre esprit critique, documentez-vous et questionnez ceux qui vous disent qu’ils savent ce qu’il faut penser.

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Autres ressources sur le sujet.

 

Le sympathique vidéaste Nicolas Meyrieux a traité le sujet des pesticides dans sa série « La Barbe » le 17 mai 2017.

Sur un ton humoristique réussi, cette vidéo dresse une caricature amusante des gros industriels sans foi ni loi prêts à toutes les bassesses pour peu qu’elles rapportent. On peut souscrire à cette vision du monde. Il y a certainement des êtres humains sordides dans les organigrammes des grands groupes. Certains proposent que les grands patrons cumulent souvent les traits de caractères de psychopathes.

Mais, il y  a un mais !

 

Si critiquer les gros industriels et leurs pratiques pas Charlie mérite d’être fait, cela mérite d’être bien fait, et donc surtout pas en utilisant des arguments moisis, des contre-vérités ou des données parcellaires. Car toute attaque malhonnête ne peut que renforcer la position de la cible qui pourra légitimement discréditer les critiques qu’elle essuie. Ce serait nuire à la cause d’un contre-pouvoir aux grandes industries, en quelque sorte.

Il y a un deuxième mais : entretenir les gens dans la peur de ce qu’ils mangent, ce qu’ils boivent, ce qu’ils respirent avec des mauvais arguments, ce n’est pas éthique, cela dégrade la qualité de vie de ceux qui vous croient et qui s’angoissent pour de mauvaises raisons. Ce n’est pas correct, et on devrait donc éviter de le faire.

Il y a même un troisième mais, c’est celui des conséquences d’une mauvaise appréciation des réalités. On prend de mauvaises décisions, on entreprend des actions contre-productives, et au final on ne rend service à personne quand on pense être très bien informé alors qu’on ne l’est pas.

 

Dans cet article je vous propose de laisser de côté les caricatures — caricatures pour lesquelles j’ai le plus grand respect— pour nous concentrer sur un certain nombre d’affirmations qui, elles, ne sont pas présentées comme des caricatures mais comme des faits. Je remercie Chèvre Pensante pour son aide dans la préparation de cet article, et surtout Bunker D, qui a quasiment co-écrit ce fact-checking.


« 45% de nos aliments contiennent des taux toxiques de pesticides. »

Ce chiffre vient d’un rapport de l’EFSA (European Food Safety Authority) qui a trouvé des résidus de pesticides quantifiables dans 45% des échantillons. Cela ne veut absolument pas dire que ces taux sont toxiques.

La réalité des résultats, c’est que 1,5% des échantillons testés contiennent des résidus en quantités supérieures aux limites légales avec une marge suffisante pour éviter les imprécisions de mesure (comme pour les dépassements de vitesse), déclenchant alors des sanctions juridiques ou administratives. À cela, il faut ajouter que les limites légales incluent d’énormes marges de sécurité pour la santé.

La publication de cette étude se termine sur : « L’Autorité a conclu qu’il était improbable que la présence de résidus de pesticides dans les aliments ait un effet à long terme sur la santé des consommateurs. En ce qui concerne l’exposition à court terme, le risque pour les citoyens européens d’être exposés à des concentrations nocives de résidus par le biais de leur alimentation a été considéré comme faible. » (avec toujours la marge scientifique qui fait parler de probabilités, non de certitudes).

Enfin, le titre de la publication de l’EFSA est on ne peut plus clair : « Plus de 97 % des aliments contiennent des résidus de pesticides dans les limites légales », et sa simple lecture aurait permis au vidéaste de ne pas se tromper.

Les spectateurs de la vidéo ont reçue une information fausse.

« On classe les pesticides en 3 catégories : herbicides, fongicides, insecticides »

C’est oublier les bactéricides, les virucides, les parasiticides. Et s’il est vrai que « …cide = tuer », rappelons que ces produits n’affectent pas tous les organismes de la même manière (l’avocat est très toxique pour le chat… un félicide donc). Par exemple, le glyphosate agit sur la photosynthèse en inhibant l’enzyme EPSPS indispensable pour alimenter les voies de biosynthèse des acides aminés aromatiques Phe, Tyr et Trp, chez les plantes et les bactéries. Ceux d’entre nous qui ne sont pas des bactéries ou qui ne font pas de photosynthèse n’ont pas tant à craindre cette molécule.

Soulignons que l’analyse de la  toxicité – et de l’écotoxicité – tient une place cruciale dans les processus d’autorisation et de réautorisation des pesticides (Heureusement !). Pour en savoir plus, vous pouvez consulter ces liens

« Sous prétexte que ça file un petit cancer »

Cette phrase est prononcée dans une séquence « caricature » mais c’est l’accusation la plus grave de la vidéo. On ne peut donc pas l’ignorer, car aucun spectateur ne passera à côté, d’autant plus que le sujet revient plus tard en mode sérieux :

 

« On classe les pesticides dans la catégorie des CMR »

En réalité les pesticides ne sont pas TOUS cancérogènes, mutagènes et/ou reprotoxiques, mais ce n’est pas ce qui est donné à comprendre au spectateur. Le glyphosate, principale cible de toute cette vidéo, est certes classé “cancérogène probable” par le CIRC, mais il n’est pas suspecté de provoquer des cancers aux consommateurs, selon le Joint Meeting OMS et FAO. (Le sujet est approfondi dans cet article de Bunker D).

 

« Le glyphosate […] à la base c’était DOW et Monsanto qui le fabriquaient pour l’armée américaine […] pendant la Guerre de Vietnam »

En premier lieu, signalons qu’on a ici un sophisme de type déshonneur par association : le glyphosate a été employé pendant la guerre, or la guerre c’est mal, donc le glyphosate c’est mal. À cela s’ajoute une forme d’essentialisme anti Monsanto : Monsanto est malintentionné par définition (comme s’il s’agissait d’une entité consciente et pas d’une entreprise au sein de laquelle les individus changent au fil du temps. Condamnerait-on l’Allemagne d’aujourd’hui pour ses crimes de la Seconde Guerre ?).

Mais surtout, il y a confusion. Le pesticide utilisé au Vietnam (et produit entre autre par DOW et Monsanto sur ordre du gouvernement américain via le Defense Production Act de 1950), c’était l’Agent Orange. Et ce dernier contient du 2,4-D et du 2,4,5-T, mais absolument pas de glyphosate ! Cette confusion se retrouve dans des publications très militantes ; cela pose la question de la manière dont l’auteur de la vidéo a fait ses recherches et questionné ses a priori.

Nicolas Meyrieux, quelle est la source de l’information fausse que vous donnez dans votre vidéo ?

 

« reprotroxique… ca veut dire que je peux plus bander. »

Non, ça ne veut pas dire ça. Un produit reprotoxique affecte la fertilité des hommes et/ou des femmes, pas leur capacité à avoir des relations sexuelles.

Mais la vraie question est : le glypohosate est-il un reprotoxique ?

En 2015 l’EFSA n’a pas proposé de classer le glyphosate comme toxique pour la reproduction de catégorie 2. La dose quotidienne sans effet négatif pour la reproduction est estimée à 300 mg/kg/jour, ce qui est énorme, du même ordre de grandeur que la dose tout simplement toxique, et à laquelle jamais aucun consommateur n’est exposée dans des conditions à peu près normales [1].

Il semble donc peu raisonnable de prétendre que ce produit est reprotoxique, même si c’est dommage pour les bonnes blagues que cela permet de faire dans la vidéo.

 

« C’est mauvais pour les sols qui s’appauvrissent »

Il faudrait nous dire ce que signifie précisément « appauvrissement des sols », et également sourcer une telle déclaration. Les pesticides peuvent avoir des effets sur la microflore du sol, mais est-ce le cas du glyphosate ? En fait le glyphosate ne semble pas avoir cet effet aux concentrations attendues en champs. Et lorsqu’on augmente la dose, on constate au contraire une augmentation de l’activité microbienne (étude 1, étude 2, étude 3). Ce qui peut en revanche poser problème, ce sont les résidus qui se dégradent en 2-3 mois et peuvent affecter les cultures suivantes. Cela signifie qu‘il faut améliorer les produits et les pratiques, ce dont nul ne doutait.

Par ailleurs, on peut noter que la diffusion du glyphosate favorise une diminution de la pratique du labour, en permettant de désherber les parcelles sans retourner la terre. Or le labour est l’une des principales causes de mortalité des micro-organismes du sol en les remontant à la surface où il y a trop d’oxygène, et crée une couche imperméable un peu en dessous nommée « semelle de labour« .

Plus encore, le glyphosate favorise l’agriculture de conservation  qui consiste à laisser au sol une part voire la totalité des résidus de la récolte précédente. En plus de nourrir la terre, limiter l’érosion, favoriser la biodiversité au sol et améliorer l’absorption de l’eau, cette méthode limite le lessivage des pesticides vers les environnements voisins (il n’y a pas consensus sur ce sujet).

Il n’est pas question de dire que le glyphosate est une panacée, mais à quoi bon tordre la réalité et dresser un tableau à charge contre un produit qui n’est pas dénué de mérites ?

 

Cliquez pour voir le facepalm.

« Depuis 2009, les rendements n’augmentent plus. »

Si c’est vrai, cela ne nous indique rien. Une stagnation peut très bien signaler qu’on arrive au maximum, et donc qu’on a bien travaillé. Pour interpréter cette stagnation comme un signe de mauvaise santé des agrosytèmes, il faudrait des études qui montrent explicitement cela. Ces études existent-elles ?


«  Les fruits et légumes sont moins nourrissants : une pomme de l’an 1950 contenait cent fois plus de vitamine C qu’une pomme d’aujourd’hui. »

C’est une information très surprenante. Il serait utile que l’auteur nous fournisse la source d’une telle affirmation. Dans la mesure où on a constaté que d’autres allégations étaient fausses, il faut sans doute se retenir d’y croire juste parce qu’on nous le dit. Et en l’absence de données à réfuter, il nous faudrait nous en tenir à cette posture.

Mais la suspension du jugement que pratiquent les sceptiques est évidemment très insatisfaisante pour la plupart des gens. Vous pourrez donc trouver une réfutation de cette affirmation ici. Vous pourrez y lire

« D’abord, pour remettre les pendules à l’heure, selon les études, le contenu en vitamine C des pommes a augmenté de 16% [en 50 ans]. »

 

Vous pouvez également consulter cette publication de l’Académie d’agriculture de France : « La valeur nutritionnelle des aliments a-t-elle diminué depuis 60 ans ? »

 

« La France est le premier consommateur de pesticides en Europe. »

C’est une présentation parcellaire de la réalité. Il manque le contexte. Et le contexte est que la France est aussi l’un des plus grands producteur agricole d’Europe ! Si on divise la quantité de pesticides par la surface agricole, la France est 9ème en Europe, c’est-à-dire dans la moyenne.

 

 

«  La seule solution contre ça c’est de manger Bio.»

Il est bien compréhensible qu’on veuille y croire. Après s’être fait aussi peur, on veut se rassurer, sauf que le Bio n’est pas du tout une réponse. En effet, les cultures « biologiques » sont parfois traitées avec des pesticides, contrairement à ce que l’on croit souvent (Cf.  la liste des intrants en agriculture biologique). Seuls les pesticides de synthèse sont interdits. Or les pesticides utilisés en Bio sont plutôt PLUS toxiques que le glyphosate par exemple. La Bouillie Bordelaise, un fongicide utilisé en bio, est du sulfate de cuivre neutralisé à la chaux. Elle est très toxique pour les poissons, et associée à des maladies du foie chez les viticulteurs (source). De plus le cuivre s’accumule dans le sol, et cette accumulation est toxique.

 

 

Conclusion.

L’agroalimentaire est une question d’une importance cruciale, il réclame notre vigilance à tous afin de ne pas avaler n’importe quoi. Mais c’est valable au sujet de la désinformation, d’où qu’elle vienne. La peur que nous inspirent certaines technologies ne doit pas nous faire oublier la balance bénéfice-risque. Certains ont peur des vaccins, peut-être parce qu’ils ont oublié les effets d’une épidémie ; d’autres ont peur des pesticides mais savent-ils combien de disettes et de famines ces produits (dangereux) nous ont épargné. Les bénéfices collectifs que nous tirons de ces produits sont importants, aussi tout en restant critiques et vigilants, exigeants et rigoureux des pratiques qui ont un impact sur l’environnement, n’oublions pas d’être vigilants, exigeants et rigoureux dans l’exercice même de la critique.

Si le but de cette vidéo est d’informer le public, Nicolas Meyrieux aurait tout intérêt à signaler les erreurs qui la parsèment et vont désinformer les spectateurs. Il peut éventuellement le faire en partageant cet article. Il peut également publier un erratum dans lequel il reviendrait sur les erreurs relevées ou bien pourrait argumenter sur la validité de ses affirmations tout en fournissant les sources qui lui permettent de le dire.

Le plus important est que les spectateurs qui aiment et suivent ce vidéaste (comme les autres) fassent preuve d’esprit critique et prennent l’habitude de demander des sources avant de faire confiance à une affirmation, même quand elle va dans le sens de ce qu’ils croient être vrai.

Si vous pensez qu’il faut éviter de croire des choses fausses juste parce qu’on a envie de les croire, partagez cet article partout où la vidéo analysée sera partagée. C’est un passage de relais, sans votre participation active d’internautes citoyens, une telle analyse restera lettre morte

 

« Tout est bruit pour qui a peur. » Sophocle

Edit.

En octobre 2017, Nicolas Meyrieux récidive avec une vidéo sur les semences très criticable.


NOTE
[1] (On notera DJA la Dose Journalière Admissible ; MRL la Maximal Residue Limit, c’est-à-dire la quantité maximale de résidus autorisés pour chaque pesticide dans chaque produit de consommation ; NOAEL la « No Observable Adverse Effect Limit », c’est à dire la consommation quotidienne maximale de produit jusqu’à laquelle on observe pas d’effet sur les cobayes en laboratoire.)

La DJA du glyphosate fixée par l’EFSA est de 0,5 mg/kg/j (précédemment 0,3 mg/kg/j). Elle est calculée à partir des NOAEL obtenues par expériences, avec un facteur d’incertitude de 100. (Autrement dit, la pire NOAEL trouvée est divisée par 100 pour absorber les éventuelles différences entre humains et cobayes.)

Un calcul des expositions de la population européenne a été opéré sur la base des différents modèles de diètes (adultes et enfants).  En supposant que tout produit consommé contient des résidus de glyphosate à la MRL, le pire régime est britannique et atteint 80,1% de la DJA (soit 0,4 mg/kg/j). Et encore ! Le calcul précédent repose sur des hypothèses aberrantes : tout produit récolté contient une quantité de glyphosate résiduel à la MRL, et ce taux de glyphosate n’est pas affecté par la transformation des produits. En prenant les résidus moyens trouvés par l’EFSA au lieu des MRL, et en prenant en compte l’impact de la transformation des produits, le pire cas est irlandais, avec 2,1 % de la DJA (soit 0,01 mg/kg/j).

Bunker D a calculé les quantité de glyphosate consommées à partir des résidus dans les urines mesurés par Générations Futures. Dans le pire cas, on est à 0,58 μg/j/kg ; en moyenne : 0,25 μg/j/kg. L’étude allemande URINALE, sur 2000 cobayes (et non 50 pour Générations Futures), trouvait au pire 4 μg/L de glyphosate dans les urines (contre 2,89 μg/L chez Générations Futures). De là, on obtient une consommation à, au plus, 0,8 μg/j/kg.
Dans ce pire cas, on est à 0,16% de la DJA.
Ces mêmes calculs sont appliqués dans une publication qui à tout un tas d’études. La pire concentration dans l’urine pour un consommateur, 18,8 μg/L, donne 3,76 μg/j/kg, soit toujours < 1% DJA.