La zététique consiste à questionner les raisons pour lesquelles nous pensons que quelque chose est vrai.

Il faut connaître avant de juger.

Certains imaginent que rien ne surpasse la confiance que l’on peut accorder à l’expérience personnelle ou aux anecdotes : il suffirait d’y « croire » pour que ça « marche ». Je suggère qu’il est plus sage, toujours, de suspendre son jugement et de s’intéresser aux preuves. L’homéopathie jouit d’une image publique savamment gérée, mais bien peu connaissent son histoire ou ce que les recherches scientifiques montrent, et répètent, depuis des décennies.

C’est pourquoi j’ai jugé utile d’écrire un livre pour tenter de faire le tour de la question, depuis l’origine de l’homéopathie, la genèse de sa doctrine, l’étrangeté de sa méthodologie, le divorce entre les données de la science et un discours idéologique teinté de spiritualité, l’impuissance des médias devant une rhétorique insidieuse, bref l’étonnante résilience d’une croyance du 19e siècle, pourtant réfutée.

Le livre, « Connaissez-vous l’homéopathie ? » aux Editions Matériologiques, est sorti en juin 2019. (Plus d’infos ici !)

La préface du livre est signée Edzard Ernst, plus grand expert mondial des pseudo-médecines. Nous avions eu l’occasion de le rencontrer pour une interview il y a quelques mois.

Une partie du travail présenté dans le livre sera diffusée dans une série de vidéos sur La Tronche en Biais : Tronche de Fake 4 : Connaissez-vous l’homéopathie ?


Episode 1 : Les Principes

D’où vient l’homéopathie, sur quels principes repose-t-elle ? Pour quelle raison ces principes ont-ils été posés ? Que nous disent-ils sur la valeur de la méthode mobilisée par leur inventeur ?


Le livre : « Connaissez-vous l’homéopathie ? »

Aux Editions Matériologiques. Vous pouvez le trouver à cette adresse.


Episode 2 : Connaissez-vous Oscillococcinum ?

Pour se pencher sur les médicaments homéopathiques, rien n’est plus avisé que de s’interroger sur l’histoire du produit-phare des Laboratoires Boiron.

Omniprésent dans les publicités et les pharmacies, Oscillococcinum va nous montrer comment travaillent et pensent les homéopathes depuis un siècle.


Episode 3 : Les preuves d’efficacité ?

Les études sur les produits homéopathiques se comptent en milliers. Nous disposons des données scientifiques suffisantes pour évaluer l’efficacité de nombreux remèdes très consommés.

Aucun professionnel de santé n’est censé ignorer les conclusions de la littérature scientifique. Un médecin qui ne tient pas compte des données scientifiques de pointe manque a son devoir, il verse dans le charlatanisme. Quand vous aurez vu cette vidéo, vous saurez ce qu’aucun médecin ne doit ignorer.

Code de déontologie de l’Ordre des Médecins : Article 39 (article R.4127-39 du code de la santé publique) — « Les médecins ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé.
Toute pratique de charlatanisme est interdite. »


Episode 4 : Le Placebo

Pourquoi critiquer l’homéopathie ? Si elle fournit un effet placebo, c’est bien qu’elle rend service, non ? Cet argument repose sur une mauvaise conception de ce qu’est (et de ce que n’est pas) le placebo. Alors revenons sur cette notion essentielle, car rien n’est plus « normal » que se se dire « pour moi ça marche » quand on ignore à quel point les effets contextuels peuvent nous induire en erreur.


Episode 5 : La rhétorique des homéopathes

Revue des principaux arguments croisés dans la presse de la part des homéopathes qui cherchent à défendre leur position, selon laquelle l’homéopathie est une pratique médicale efficace qui mérite la reconnaissance de la science et de la sécurité sociale.
Le sixième argument va vous étonner !

Spoiler : pas un seul ne tient la route.


Episode 6 : La mémoire de l’eau, partie 1 — L’affaire Benveniste

Si l’homéopathie fonctionne, c’est en vertu de principes qui échappent à la science actuelle, nous dit-on. L’eau est un fluide spécial capable d’encoder et de conserver des informations qui peuvent nous guérir.

L’hypothèse est nécessaire pour protéger les prétentions thérapeutiques de l’homéopathie, elle est férocement défendue par de rares chercheurs, et elle trouve sa genèse dans un célèbre article de 1988 qui a détruit la carrière de Jacques Benveniste.


Episode 7 : Mémoire de l’eau partie 2 : Transmission électromagnétique

Après l’annonce fracassante de 1988 où une solution hautement diluée (sans soluté) provoquait une réponse de globules blancs humains, les défenseurs de la « Mémoire de l’eau » se lancent dans une course théorique à la recherche de la nature de l’information contenue dans ces dilutions. Très vite s’impose une certitude, l’info est électromagnétique ! Jacques Benveniste puis Luc Montagnier se consacrent à des travaux dont ils pensent qu’ils dérangent la science établie parce qu’ils ont raison. Ou pas.


Episode 8 : Pour en finir avec l’homéopathie

Il est temps de conclure au sujet de l’homéopathie et de l’attitude à avoir face à cette pratique vieille de deux siècles. Aujourd’hui chacun peut trouver l’ensemble des informations requises pour se faire un avis solide et le partager. Si nous ne sommes pas capables d’arriver à une conclusion sur un dossier comme celui-ci où les travaux scientifiques apportent une réponse claire, comment peut-on espérer faire avancer les choses sur les sujets plus complexes, plus subtils ? Comprendre ce qui se passe autour des croyances liées à l’homéopathie peut s’avérer bien utile pour mieux réfléchir à ces autres sujets…


Thibault Renard est l’artisan de la présence de la Tronche en Biais au Festival de Géopolitique de Grenoble. Il nous a suggéré le thème de cette table ronde et, à chaque étape, a beaucoup contribué à sa préparation. Dans ce billet, il revient sur cette expérience et sur l’inattendu déroulé de l’entretien enregistré à Grenoble puis diffusé sur notre chaîne.
Acermendax

Il n’est pas souvent donné l’occasion (du moins pour moi, Thomas lui se livre régulièrement ici à l’exercice) de revenir sur les coulisses de l’organisation d’une conférence, son déroulé et ses conséquences, encore moins quand rien ne se passe comme prévu. J’ai donc voulu me livrer à ce petit retex ici, pas tant pour refaire le match que répondre aux nombreuses questions posées dans les commentaires Facebook et Youtube qui ont suivi, notamment sur comment cette conférence avait été organisée et quelles étaient ses intentions. Ce sera aussi l’occasion de montrer qu’une conférence n’est pas seulement qu’un produit fini et consommable, mais aussi l’aboutissement d’une démarche intellectuelle qui parfois réussi, et parfois échoue.

Petit retour en arrière : en 2018, dans le cadre du Festival de Géopolitique donc je fais partie du comité scientifique, nous avions profité de la venue au festival de la Tronche en Biais, qui intervenait dans la conférence « Fake news, post vérité… la pensée critique face au néo-obscurantisme »1 que j’animais, pour effectuer un Tronche en Live avec pour sujet la géopolitique : « Peut-on comprendre le monde en faisant abstraction de ses croyances ? »2 Ce TeL ayant connu un certain succès, et l’édition 2019 du Festival souhaitant mettre en avant des propositions ayant une approche prospective, nous avons donc avec la TeB proposé une nouvelle émission, « La prospective : boule de cristal ou méthode scientifique ? »

Le « pitch » de la conférence était le suivant.

La prospective alimente encore idée reçue et fantasmes. Que recouvre cette méthode ? En France, la prospective souffre en effet d’idées reçues qui l’assimile parfois, pour la caricaturer, à une héritière de la divination ou une annexe de la science-fiction. A l‘inverse, d’autre revendiquent une approche scientifique au service de la prévision, voire le début d’une ère nouvelle où l’avenir sera modélisable grâce à l’IA et ses « algorithmes prédictifs ».

Ce qui demeure certain, c’est que la prospective demeure avant tout une méthode qui questionne notre rapport au futur, à la prédiction, au possible. D’avantage que nous préparer à s’adapter à un avenir inéluctable, la prospective stimule notre capacité d’intervenir sur le présent. Ne peut-elle pas nous permettre de nous questionner non seulement sur le futur de l’économie, de technologies… mais également sur l’avenir de notre relation avec les médias, et au-delà, l’information ?

L’émission interrogera donc la nature de la méthode prospective aujourd’hui, ses biais, ainsi que la part de rationnel et d’irrationnel qu’elle engendre. Elle questionnera également son périmètre d’application.

C’est moi qui étais en charge du choix des intervenants. J’en retins trois.

Carine Dartiguepeyrou, prospectiviste, présidente Uniqueness. Docteur en sciences politiques, elle est prospectiviste et accompagne les institutions privées et publiques dans leur changement de paradigme et l’élaboration de leurs visions d’avenir. Elle est également chercheuse et intervenante dans le Programme Transition Energétique et Sociétale à l’Institut Mines-Télécom à Nantes, à l’Institut Mines-Télécom Business School (laboratoire ETHOS (Ethique, Technologie, Humains, Organisations, Société) et à l’Institut des futurs souhaitables.

Apolline Taillandier, doctorante en science politique Science Po Paris. Sa directrice de thèse, Jenny Andersson, dans le cadre du programme Futurepol3 de Science Po Paris, avait adopté une approche critique de la prospective (au point de parler de la nécessité d’une « contre-prospective »)4. Mais Apolline Taillandier n’est pas une experte ou chercheuse en prospective. Elle a pour sa part axé sa thèse sur le transhumanisme et cherche à comprendre comment des acteurs issus des mondes académique et financier construisent et légitiment des futurs « posthumains ». C’était donc l’occasion d’apporter une ouverture et une approche plus globale et pour comprendre, au-delà de la prospective, comment le futur se pense et se construit.

Nathalie Belhoste, enseignante-chercheure à Grenoble Ecole de Management. Docteur en Science Politique à Sciences Po Paris, elle enseigne la géopolitique à l’ESC Grenoble. Nathalie Belhoste n’est pas non plus chercheuse ou une experte en prospective. Ses recherches portent sur la façon dont les entreprises influencent les territoires et la géopolitique mondiale. Son rôle était davantage de présenter un point de vue utilitariste : en quoi la prospective peut s’avérer utile quand on fait de la géopolitique et en quoi il est pertinent d’enseigner cette discipline aux élèves.

Plutôt que de confronter 3 experts/chercheurs en prospective, ce fut donc mon choix de confronter 3 points de vue différents et selon moi complémentaires : expert, utilitariste et « global ».

Avec Thomas nous élaborâmes le canevas suivant.

Introduction par Thomas 

Mot d’accueil au nom du Festival

  • Quel est le lien entre géopolitique et prospective ?
  • Pourquoi GEM et le Festival ont décidé de d’avantage mettre l’accent sur la Prospective ?

La prospective, au-delà des idées reçues

  • Tour de table. 
    • Il peut y avoir plusieurs définitions. Qu’est-ce que la prospective pour vous ?
    • En quoi la prospective est utile et apporte des réponses ? Quelles idées reçues existe aujourd’hui sur la prospective ?
  • Focus : Quelle est l’histoire de la prospective, des différents courants et paradigmes en France et à l’étranger 
  • Focus : Quelle est la différence entre s’interroger sur le futur, et faire de la prospective ?

La prospective, une approche « scientifique » du futur ?

  • Tour de Table. C’est quoi un « prospectiviste » ? N’importe qui peut l’être ? N’y a-t-il pas des charlatans qui cherchent à « vendre » le futur ? 
  • Focus : Quelle est la distinction entre prévision, prédiction, et prospective ? Comment « s’expérimente » la prospective ? Est-ce véritablement scientifique ? Comment « prouver » qu’une méthode marche mieux qu’une autre ?
  • Focus : Y’a-t-il des formes de prospectives différentes selon leurs champs d’action (technologique, économique, sociétale). Y a t’il une prospective d’entreprise et une prospective de recherche ?

La prospective peut-elle être biaisée ?

  • Focus : Quels sont les principaux biais donc peuvent être victimes les prospectivistes, ou leurs méthodes ? La prospective n’est-elle pas une méthode biaisée « par essence » puisque qu’elle que soit ses méthodes, la vision du futur quelle propose ne sera jamais qu’une projection des croyances de l’époque ?
  • Focus : En quoi la prospective, et plus globalement la réflexion sur le futur, peut être un objet scientifique, mais également un objet politique et historique ?

Quels sont vos principaux champs de recherche, d’activité aujourd’hui ?

  • Focus : La mutation numérique.
  • Focus : Le transhumanisme, l’intelligence artificielle.  

Petit exercice de prospective improvisé et en direct : Quels futurs pour la pensée critique dans nos sociétés ?

Quels scenarii possibles ? Le début d’une ère « éclairée » ? Le retour à l’obscurantisme ? Idiocratie ?

  • Quels leviers pour agir sur ce futur de la pensée critique ? Politique, numérique, sociétal…

Questions du public

Il fut communiqué aux intervenantes qui le validèrent. Evidemment, une conférence a une part d’imprévus, de disgressions, d’oublis, d’intervenants qui rebondissent sur les propos de l’un et de l’autre… qui fait que l’on ne colle jamais vraiment au canevas. Evidemment, sauf avoir affaire à des robots ou tuer toute spontanéité dans les échanges, souvent on ne peut pas répondre à l’ensemble des questions, car un intervenant choisira de se concentrer plus sur l’une ou l’autre.

Dans ces cas-là les questions du public à la fin servent d’ailleurs souvent de variable d’ajustement en matière de temps imparti ou de points à approfondir (sauf si une personne du public se lance dans une « contre conférence », ce qui est la hantise de l’animateur…). Mais ce canevas donne quand même une bonne idée de là où nous voulions aller.

Tout est sur les rails… et tout déraille.

Un pitch, 3 points de vue complémentaires, un canevas détaillé. En théorie tout était parfait, en pratique rien ne se passa comme prévu…. Pour l’avoir vécu en direct et ne pouvant qu’assister à cet instant surréaliste sans pouvoir intervenir, ce fut un grand moment de solitude. Ayant organisé la veille une autre table ronde qui abordait entre autres la question de la prospective spatiale5, mon vécu fut à peu prêt le même qu’une personne confiante assistant à un lancement sur le pas de tir, qui voit le réacteur principal de la fusée lâcher, les deux réacteurs secondaires tenter de prendre le relais sans y parvenir, et constate horrifié que la fusée « Prospective 1 », plutôt que réussir sa mise en orbite, prend une trajectoire totalement improbable et, au vu de commentaires de la vidéo, s’écrase sur le territoire « boule de cristal ». C’était d’autant plus rageant que la veille, la personne intervenant dans ma table ronde et en charge de la prospective au CNES, me disait qu’évoluant dans un milieu d’ingénieurs, les questions sur la fiabilité de la méthode et le « prouvez moi que ça marche » étaient un peu son quotidien… Elle aurait donc pu répondre sans problèmes à la plupart des questions de Thomas.

Pour ceux qui ont posé la question de « l’après » conférence, pour tout dire l’ambiance n’était pas au beau fixe, et la tendance à chercher le responsable à ce loupé. Certains ont dit que Thomas avait été trop « rentre dedans » ou obtus. C’est oublier que Thomas avait adopté exactement la même attitude l’année passée et que cela s’était très bien passé, et que de toute façon les règles d’un échange sur Youtube ne sont pas les mêmes que celle d’un séminaire entre collègues ou chercheurs. Certains ont aussi évoqué une trop grande différence de méthode entre Thomas et moi. Effectivement, je suis plutôt du genre à vouloir faire dire un maximum de choses aux intervenants en un minimum de temps (le canevas s’en ressent) quitte à les prendre pas la main, alors que Thomas pour sa part estime que les échanges sont plus intéressants s’il y a un débat d’idée, quitte par moment à jouer les faux naïfs ou l’avocat du diable. Mais c’est une différence de style, pas de méthode. Cela me convainc au contraire que tous les chercheurs ou experts devraient avoir des bases de communication scientifique et technique leur permettant de défendre leur discipline quand des interlocuteurs, qu’ils soient sceptiques, tenants, journalistes… peu importe, décident de ne pas considérer pour acquis ce qui leur est présenté.

Après coup, on remarque bien sûr plein de « signaux faibles » annonciateurs que les choses ne se passeraient pas du tout comme prévu. Mais c’est toujours facile de raisonner à postériori… Si je devais néanmoins en retenir un, ce fut sans doute que, focalisé sur leur travail actuel, j’aurais dû me rendre compte que trois intervenantes toutes issues des sciences politiques pourrait être un problème. Cela a créé une sorte d’uniformité et de prise de position dans les réponses qui s’est avérée contre-productive, là où avoir une diversité de disciplines scientifiques aurait sans doute donné un résultat complétement différent.

J’ajoute qu’après la conférence il me fut suggéré de ne pas mettre en ligne la vidéo, car elle aurait donné une image erronée de la prospective. Il est clair que c’était hors de question. D’abord parceque cette conférence est malgré tout très riche d’enseignements et de questionnements. Et surtout par ce que l’on ne peut pas défendre la méthode scientifique d’un côté, et de l’autre refuser de publier ou mettre en ligne si les résultats ne nous conviennent pas. On reproche assez cela aux chercheurs pour ne pas se mettre à le faire nous-mêmes. Quant à la question de la « mauvaise image », je crois la communauté sceptique capable de s’appliquer à elle-même ce qu’elle conseille aux autres, à savoir ne pas se forger un jugement définitif sur un sujet ou un intervenant suite à un simple visionnage sur Youtube, mais rester curieux, diversifier les sources, chercher à identifier les experts pour en savoir plus.

Et maintenant ? Et bien pour ma part je pense que la manière de penser le futur est une problématique passionnante, où se rencontrent et s’affrontent croyances et méthode scientifique. Que la science nous permette aujourd’hui de prévoir certains événements est une évidence. Que la voyance, la divination, l’astrologie… ne soient pas plus fiables qu’une boule de cristal est une évidence aussi. Mais il existe un entre-deux où la frontière est floue. Un entre-deux constitué d’experts ou de méthodes où, sous couvert de prédictions se fondant sur une approche rationnelle ou scientifique, peuvent au contraire s’épanouir croyances, biais… ou motivations politiques ou managériales.

Il faut continuer à explorer cet entre-deux, et la question de la « scientificité » ou non de la prospective, plus qu’un faux dilemme (spoiler : la réponse à la question que posait la conférence est sans doute « ni l’un, ni l’autre »), n’était finalement qu’un prétexte à ce questionnement plus vaste. Concernant la prospective en tant que telle et son étude sous un angle sceptique, je pense que nous n’avons pas encore fait le tour de la question. Le débroussaillage a déjà été effectué (un peu à la serpe 😉) par Thomas et la TeB, nous allons maintenant essayer d’aller un peu plus loin, par exemple avec une émission du Balado Scepticisme Scientifique. A suivre donc…


1 « Fake news, post vérité… la pensée critique face au néo-obscurantisme », Conjuration Open Source 3 https://www.youtube.com/watch?v=kfqHex207Ek

2 « Peut-on comprendre le monde en faisant abstraction de ses croyances ? », TenL#60 https://www.youtube.com/watch?v=X9mPbxj-xYk

3 Projet de recherche Futurepol https://www.sciencespo.fr/futurepol/fr.html

4 « No Future Vive l’Avenir : Qu’est-ce que la prospective ? », Sciences Po https://www.youtube.com/watch?v=LhI407NXo8g

5 « Ariane, Galileo…L’Europe désunie sur terre unie dans l’espace ? », Festival de Géopolitique 2019 https://www.youtube.com/watch?v=M6qXFDWnSwQ

Nous arrivons au terme d’une série phénoménale. Lecteur de l’œuvre originale, je redoutais un terrible gâchis avant les premiers épisodes de 2011, mais GoT est la première série de fantasy vraiment crédible. Elle réussit en outre l’exploit de mener ses personnages au terme de l’histoire.

Alors bien sûr, on a noté un appauvrissement des arcs narratifs qui ne peuvent plus s’appuyer sur les romans, et un rétrécissement de l’espace-temps autour des déplacements des personnages. Il y a des défauts, notamment pour des raisons de coûts de production, de temps d’antenne, etc. Et certains notent une transition malheureuse depuis des intrigues sociologiques vers des arcs plus psychologiques moins riches et plus hollywoodiens. Soit. Je reste personnellement reconnaissant à la télévision de nous proposer un spectacle de cette qualité, et je le dis en tant qu’auteur et fervent amateur de la fantasy 1.

Mais je veux ici quitter le registre de la critique littéraire pour défendre l’idée qu’on peut tirer une importante leçon de GoT… et en particulier de la réaction des fans au dernier grand twist qui intervient dans l’avant dernier épisode. Une leçon de zététique.


D’abord Westeros est un monde où les prophéties échouent ! La sorcière Mélisandre passe son temps à miser sur le mauvais futur-roi, il faudrait donc que les fans ne s’offusquent pas que l’annonce « tu fermeras des yeux bruns, des yeux bleus, des yeux verts » n’entraîne finalement pas le meurtre de Cercei ni de Daenerys par Arya. Même dans un monde de fantasy où la magie existe, il faut se méfier des voyants. Idem pour les prédictions offertes à ces mêmes Cersei et Daenerys le long du récit : elles ne se réalisent pas forcément, pas complètement, ou bien il faudra leur accorder le traitement que certains réservent aux écrits de Nostradamus pour réussir après coup à leur faire dire ce qu’on sait être arrivé (un exploit tout relatif). Certains s’en offusquent, mais GoT ne leur avait pas promis que les prophéties seraient vérifiées ; ils se sont faits cette promesse tout seuls. Leur interprétation de la réalité intradiégétique était crédule.

Et puis des fois, Melisandre tombe juste. Bravo à elle.

Mais il y a une leçon plus importante, alors occupons-nous de l’éléphant dans la salle du trône.

Qui est Daenerys ?

Depuis le tout début, Daenerys Targaryen est l’un des personnages principaux. Le roman adopte régulièrement son point de vue, et le public de la série éprouve naturellement de l’empathie. Nous nous identifions à son parcours initiatique, à sa lente révélation, depuis le statut de femme-objet troquée par un frère mégalomane comme moyen de rétablir ses droits, vers celui de souveraine, libératrice des esclaves en chemin pour régner sur Westeros.

Or, patatras ! Episode 5 ! Folle de rage, enivrée par le pouvoir de son dragon, désespérée d’inspirer autre chose que la peur sur ce royaume qu’elle revendique tout en lui restant étrangère, ou pour quelque autre raison tenant à son héritage, à son parcours, à ses traumatismes ou à une écriture scénaristique un peu fébrile, elle détruit Port-Réal, crame petits et grands, massacre son peuple alors même que les cloches de la ville annoncent sa reddition. Avec ce crime de guerre destiné à instaurer un règne par la peur, Daenerys ne peut plus être la gentille de l’histoire, et une bonne partie du public se sent trahi, floué. Le show leur vole un personnage qu’ils aiment. Ils ne la reconnaissent pas, c’est insupportable, et une pétition signée par un million et demi de personnes réclame2 un reboot de la saison 8.

Ce que cette réaction a de « normal » est expliqué par la série elle-même, à travers les personnages déchirés qui ont cru en elle et la jugeaient meilleure que les autre choix possibles pour le trône. Comme eux, nous avons accompagné Daenerys le long d’épreuves où elle dut faire face à des hommes haïssables. Robert Baratheon ordonne sa mort dès la saison 1, puis les situations où elle risque sa vie ne manquent pas… Tyrion nous l’explique mieux que personne dans l’ultime épisode.

« Quand elle tua les esclavagistes d’Astapor, nul hormis eux ne s’en plaignit. Après tout, ils étaient des hommes mauvais. Quand elle crucifia des centaines de nobles Meereeniens, qui aurait pu protester ? Ils étaient des hommes mauvais. Les khals dothraks qu’elle brûla vifs ? Ils lui auraient fait pire. Où qu’elle aille, des hommes mauvais meurent et nous l’applaudissons. »

Ce que Tyrion décrit ressemble à s’y méprendre à un phénomène d’engagement, au cheminement vers la pensée extrême.

En suivant Daenerys de près, nous avons développé une empathie pour sa vision du monde, et notamment sa prétention au trône. Dans ce contexte, nous fermions les yeux sur ses abus. Par ailleurs le public n’a pas eu beaucoup de considération pour les habitants d’Astapor et de Meereen, peut-être son empathie était-elle plutôt dirigée vers Westeros et ses habitants occidentaux plus proches des enjeux de la narration. GoT nous a amenés à épouser la cause d’une femme totalement certaine d’être destinée à régner par un pur droit de naissance. Alors même qu’elle annonçait aux esclaves vouloir les débarrasser de leurs maîtres, elle a toujours eu pour projet principal de devenir reine, à n‘importe quel prix. La vérité est que nous aurions dû nous en apercevoir. Nous aurions dû sentir l’immoralité de sa réponse à la mort de Barristan dans la saison 5, quand elle rassemble les chefs des familles nobles de Meereen et en livre un, au hasard, à ses dragons. Dans le plus grand calme, elle menace les autres :

« Qui est innocent ? Peut-être que vous l’êtes tous… Peut-être qu’aucun de vous ne l’est. Peut-être que je devrais laisser mes dragons décider. »

Durant la saison 7, les efforts de Tyrion sont impuissants à obtenir sa clémence quand elle décide que le père et le frère de Samwel Tarly, prisonniers qui refusent de mettre genou à terre, doivent être brulés vifs par Drogon. Cette scène était le signal que personne n’aurait dû manquer. Kit Harington (l’acteur incarnant Jon Snow) le dit lui-même aux fans scandalisés : « Vous saviez que quelque chose n’allait pas dans sa façon de faire. Vous êtes coupables, vous l’acclamiez ! »

Randyll et Dickon Tarly, brûlés vifs.

Daenerys ne fait pas le mal en permanence, elle a ses moments de grâce, de douceur, de doute, de douleur. C’est bien pour cela qu’elle suscite de l’affection de la part du public. Mais ils n’effacent rien des crimes qu’elle commet. Bien sûr, on peut l’admirer d’avoir fait route au nord, au prix de la vie d’un de ses chers dragons. Mais son but alors est de défendre le royaume sur lequel elle compte régner. Juger qu’il s’agit d’un acte de bonté désintéressée n’aurait aucun sens.

Parfois nous voyons ce que nous croyons, en particulier quand nous sommes victimes d’une mécanique d’engagement. Comme la grenouille de l’histoire dans sa casserole, qui se laisse doucement ébouillanter car elle ne perçoit pas l’élévation graduelle de la température, nous sommes entrés dans une relation avec Daenerys où, à chaque étape, nous trouvions son comportement acceptable étant donné le chemin parcouru avec elle. Chaque nouveau crime devenait justifiable, car il fallait sans cela assumer d’avoir fait fausse route depuis le début.

Les spectateurs qui ont refusé que Daenerys se révèle être la méchante ultime de l’histoire éprouvent un sentiment dont j’aimerais souligner à quel point il est précieux.

Il ressemble à ce qu’éprouve une personne engagée dans un mode de pensée extrême qui est soudain confrontée à la « réalité » sur la nature de sa croyance et de ses actes et paroles passées. Le déni qui s’impose alors est violent, presque irrépressible. Le Trône de Fer nous offre d’en faire l’expérience grâce à la puissance de son storytelling. Ce déni, nous devrions le déguster, le contempler sous toutes les coutures et nous en rappeler afin de savoir ce qu’éprouvent certaines personnes avec lesquelles nous débattons. Ce sentiment écrasant est à la source du passage à l’acte des fanatiques qui doivent rejeter le monde, même violemment, pour ne pas renoncer à leurs idées.


Au terme de sa huitième saison, GoT met en évidence que la grande menace des Mort Vivants (vaincue dès l’épisode 3) n’est finalement rien en comparaison du fanatisme. Ceux qui veulent continuer de croire que Daenerys avait raison, que son acte à Port-Real est impossible, qu’il est étranger à qui elle est vraiment vivent un moment qui peut leur être d’une grande aide pour identifier dans leur parcours personnel ce que l’on ressent quand on s’aperçoit qu’on a participé à un système de croyance toxique. Si un jour nous nous sentons trahis par l’histoire à laquelle nous participons, rappelons-nous de la leçon de Daenerys pour ne pas rater une occasion vitale de nous remettre en cause.

Game of Thrones nous invite à douter de notre lecture du monde et des gens que nous voulons voir triompher. En ce sens, n’est-ce pas une série zététique ?

Cet article passe en revue un an de traitement de l’homéopathie par les médias français. Il est le produit du travail qui a permis d’écrire le livre « Connaissez-vous l’homéopathie ? » à paraître aux Editions Matériologiques.

Le chapitre dédié à l’analyse du traitement des médias occupait un volume trop important dans le livre papier, il a donc été grandement réduit et vous trouverez ici l’ensemble de cette analyse s’étalant de mars 2018 à mars 2019. Un tel article est l’occasion de revoir se dérouler l’affaire, épisode après épisode, et de voir évoluer la stratégie des homéopathes, d’abord certains que rien ne pouvait faire chanceler leur position, puis évasifs, procéduriers, à la fois victimaires et agressifs, et enfin mobilisés dans un lobbyisme de masse3. En fin d’article nous ferons le point sur les médias qui ont traité correctement ce sujet, qui ont contribué à l’information correcte du public, et sur ceux qui ont fait obstacle à l’information et à l’éclairage du public par la science.


Une polémique scientifique dans un écosystème médiatique

La belle polémique autour de l’homéopathie de 2018, celle qui va finalement, selon toute vraisemblance, aboutir au déremboursement de ces produits après 30 ans d’incohérence des pouvoirs publics, n’est pas due aux travaux impeccables des chercheurs, à l’exemplarité académique, au zèle des universitaires à transmettre l’évolution des connaissances, ni à l’application des journalistes à tisser le nécessaire lien entre les experts et la population, ni à la discipline des politiques qui s’astreindraient à ne prendre que des décisions éclairées par la science, mais à une tribune provocatrice rédigée par 124 professionnels de santé et rendue possible par la relative célébrité des premiers signataires qui animent des chaînes de vulgarisation de la médecine sur Internet.

Ce sont les vulgarisateurs de la science qui ont lancé ce pavé. C’est d’abord une initiative de culture scientifique, un ras-le-bol devant la mésinformation généralisée… et bien sûr les conséquences qu’on peut imaginer quand cela touche les métiers de la santé. Je tiens donc à leur rendre hommage pour leur pugnacité sans laquelle les rationalistes auraient continué à faire des critiques que personne n’écoute vraiment.

La tribune intitulée « L’appel de 124 professionnels de la santé contre les «médecines alternatives » » est publiée dans le Figaro le 18 mars 2018. Dans la mesure où nous souhaitons tous pouvoir disposer des meilleurs traitements sans risquer notre vie où celle de nos proches à chaque pilule, et sans risquer non plus de retard dans la prise en charge des troubles graves, nous voulons que toutes les thérapies soient testées afin de s’assurer qu’elles ne peuvent pas nous nuire et qu’elles effectuent bel et bien le soin que l’on attend d’elles. Par conséquent, la tribune qui se borne à rappeler cette exigence et à en tirer les conclusions devrait être d’une grande banalité. Mais elle ne l’est pas du tout, et c’est la réaction des médias qui nous le montre.


NB : Pour accéder aux articles ici passés en revue, cliquez simplement sur le nom du média.

19 mars. Science & Avenir — 124 médecins et professionnels de santé veulent la peau des médecines alternatives.

Malgré un titre largement excessif, l’article décrit la tribune et ajoute une explication sur l’exception dont jouissent les produits homéopathiques dans leur autorisation de mise sur le marché, ainsi que la décision des États-Unis sur l’étiquetage de l’absence d’effet de ces produits.


19 mars. Journal 20 minutes — Homéopathie: Des professionnels de la santé signent une tribune contre les médecines alternatives.

L’article relaie les points essentiels de la tribune.


19 mars. France Soir — « Rien de scientifique » dans l’homéopathie et les médecines alternatives.

Le titre de l’article est encourageant, en accord avec l’état des connaissances scientifiques. Mais il donne la parole au Syndicat National des Médecins Homéopathes Français (SNMHF), en citant leur communiqué : « le syndicat a si souvent répondu aux arguments médicaux, scientifiques et réglementaires avancés par les adversaires de l’homéopathie qu’il est devenu inutile de le faire. »

La rédaction cite l’avis très négatif des Académies de Science européennes sur l’homéopathie, mais accorde le mot de la fin aux homéopathes qui critiquent les études sur lesquelles se fonde un avis qu’ils jugent invalide en dénonçant « une sélection parfaitement contestable des recherches existantes, puis sur des assertions fausses relatives à la sécurité du médicament comme à la pratique médicale. » En cherche à ménager la chèvre et le chou afin de traiter la question avec un équilibre illusoire, cet article illustre l’asymétrie qui frappe les controverses scientifiques médiatisées.


Principe d’asymétrie de Brandolini.

Il faut dix fois plus d’énergie et de temps pour réfuter une baliverne que pour l’énoncer.

En conséquence un média qui accorde autant de temps à une « théorie » a-scientifique qu’à sa critique installe une pseudo-équité de traitement qui revient à donner l’avantage au propos trompeur.


19 mars. Communiqué du Syndicat national des médecins homéopathes français — La médecine a besoin de tous les médecins.

Ce communiqué commence par dénoncer l’attaque, puis propose une première argumentation pour défendre la doctrine et la pratique homéopathiques.

« Si l’on ne se crispe pas sur la nature diffamatoire de cette attaque, la meilleure attitude pour faire progresser le débat est de nous questionner ensemble : pourquoi notre pratique, dérange-t-elle aussi fortement ceux qui veulent lui dénier toute valeur, voire dénoncer sa « dangerosité », jusqu’à exiger que les médecins et professionnels de santé qui l’utilisent ne puissent plus faire état de leur titre professionnel ?

Nous rappellerons seulement quelques faits décidément têtus :

– l’homéopathie donne satisfaction à des millions de patients en France, bien plus encore dans le monde ;

– le nombre de prescripteurs, témoins des résultats au quotidien et tout au long de leur carrière, atteste que l’homéopathie s’avère particulièrement utile dans une démarche préventive et pour les traitements des maladies chroniques, l’une et l’autre étant des priorités de santé publique ;

– le caractère économique de la pratique des médecins homéopathes, l’absence de prise de risques, ont été rigoureusement démontrés lors d’une vaste étude pharmaco-épidémiologique dirigée par des scientifiques de renom et publiée dans des revues médicales internationales, qu’aucun « expert » n’a critiquée*. »

On peut constater que les deux premiers arguments sont des ad populum, c’est-à-dire des sophismes : le grand nombre de gens convaincus serait une preuve des bienfaits de l’homéopathie. Nous savons bien que beaucoup de gens, même de bonne foi, peuvent se mettre d’accord sur quelque chose de faux. Le troisième argument est une diversion, car ces aspects ne sont pas mis en cause par la tribune. Le caractère économique de l’homéopathie n’est pas réellement garanti, car il nous faudrait être sûrs des conséquences indirectes sur les futures habitudes qu’aura sur la population la prescription systématique de « médicaments » inutiles qui flattent le réflexe : un problème à un médicament. Enfin, la référence * renvoie vers une présentation avantageuse de l’étude EPI3 que j’analyse dans mon livre. En résumé les auteurs de l’étude EPI3 écrivent eux-mêmes que leurs résultats ne prouvent pas l’efficacité de l’homéopathie, or c’est de l’efficacité dont il est question dans la tribune.


19 mars. LCI — Homéopathie, acupuncture, mésothérapie… : des professionnels de santé dénoncent les « fake médecines »

Cette émission est un exemple parfait du mauvais traitement de la question dans les médias français. Sur le plateau est invité le docteur Jérémy Descoux, co-auteur et signataire de la tribune. On lui donne le temps d’expliciter la démarche des signataires qui plaident pour une pratique reposant sur des preuves scientifiques, mais très vite il sera noyé sous un torrent de sophismes goguenards.

Roselyne Bachelot, ex-ministre de la santé et ex-pharmacienne, est co-animatrice de l’émission : « L’homéopathie française et les laboratoires homéopathiques français sont les plus renommés dans le monde et vous allez donner un véritable coup de poignard à une industrie française. (rire) »

Un autre invité, le rappeur Rost, président de Banlieue active et membre du Conseil Économique, Social et Environnemental, cite l’anecdote d’un ami qui se serait débarrassé de douleurs articulaires grâce à l’acupuncture. Puis il avance que les produits critiqués sont issus des plantes, mais on ignore ce qu’il désire en conclure car il est corrigé par R. Bachelot et n’a pas l’occasion de finir son propos.

Un homme d’affaire et politicien, Charles Beigbeder va ensuite faire une déclaration absolument remarquable : « Votre tribune est très violente, et comme Talleyrand je pense que « tout ce qui est excessif est insignifiant » (…) Il y a une sagesse populaire qui, depuis des milliers d’années… Eh oui ! L’acupuncture, c’est la civilisation chinoise qui nous l’apporte. C’est 3000 ans de pratique. Et ça marche ! Vous savez, vous dites « oui la science ne peut pas démontrer… [« que ça marche » je complète son propos] » oui, mais elle ne peut pas démontrer non plus que ça ne marche pas, et elle ne comprend pas. Je crois qu’il faut être humble, modeste par rapport à notre compréhension du corps humain. Vous savez que dans l’embryogenèse on sait toujours pas comment ça marche. (…) soyons humbles. Il y a beaucoup de français qui utilisent ces médecines. (…) n’allons pas tout rejeter au nom de la science, c’est un ingénieur qui vous le dit »

 C. Beigbeder se livre ici à un exploit sophistique. Il fait la leçon à des médecins en leur disant d’être plus modestes envers des homéopathes qu’il place en victimes, puis lance un appel à l’ancienneté4, un appel à la sagesse populaire 5, un appel à l’ignorance6 et enfin un appel à l’humilité que suit un appel à l’autorité7 dans une étourdissante enfilade sophistique qui fait un excellent cas d’école pour un cours sur l’esprit critique.

Ensuite intervient Alexandre Malafaye, président fondateur du think tank Synopia « Quand je vous écoute, j’ai un peu le sentiment de revenir à une époque où beaucoup de gens pensaient que la Terre était plate et ceux qui disaient que la Terre était peut-être pas plate, qui n’avaient pas encore de preuve scientifique, se retrouvaient en difficulté8 . (…) Quand tout d’un coup on jette le bébé avec l’eau du bain comme vous le faites, je suis par nature méfiant. Je n’ai aucune compétence médicale mais j’ai des expériences tout à fait probantes d’un proche très récemment qui était atteint d’une névralgie cervico brachial extrêmement douloureuse qui a été soigné ; j’ai été témoin même d’expériences médicales avec simplement le fait de placer un médicament dans la main et de voir l’interaction que cela produit avec le corps, et on voit bien effectivement quel effet cela peut avoir… tout ça à l’aveugle… Cet hiver, je ne vais faire aucune pub, mais j’ai pris un traitement antigrippal homéopathique, ma femme aussi, c’est la première fois que je traverse l’hiver sans grippe. Alors vous allez me dire que c’est contextuel et cetera. »

Ces dernières phrases n’ont pas vraiment de sens, car il n’y a pas d’effet contextuel (donc placebo) s’il n’y a pas de symptôme à améliorer. Alexandre Malafaye a simplement été victime d’un effet de corrélation illusoire du type post hoc ergo propter hoc (après ceci, donc en raison de). Le fait d’avoir avalé un remède « antigrippal » est naïvement associé au fait de ne pas avoir eu la grippe ; le cerveau humain qui adore voir de la causalité établit un lien entre les deux. Cela fait une jolie histoire à raconter sur un plateau télé pour alimenter le mille-feuille argumentatif auquel nous assistons. Au passage, on peut douter qu’en l’absence de ce remède, A. Malafaye ait subi la grippe à chaque hiver, sauf s’il défie toutes les statistiques. Si on regarde de plus prêt, il se rend coupable de ce qu’on appelle le Syndrome Galilée, l’idée que des savants en petit nombres seraient victimes d’un establishement hostile à une vérité qui dérange. Ce sophisme est très courant dans la bouche des auteurs de « théories » farfelues. Après avoir avoué n’avoir aucune compétence, il s’adonne à une anecdote, ce qui constitue le mode d’administration de la preuve favori des pseudo-médecines : sans aucune preuve d’efficacité, elles alignent les témoignages des patients satisfaits, ce qui suffit trop souvent à faire oublier qu’on ne dispose pas de l’avis des patients non satisfaits ou décédés… Il finit en faisant allusion à Oscillococcinum dont vous saurez ce qu’il faut penser dès le chapitre 1 de « Connaissez-vous l’homéopathie ? ».

La science sert justement à ne pas se laisser abuser par les liens de causalité excessifs que nous voyons partout. Tenir un tel propos, c’est donc très exactement défendre une posture antiscientifique. Que ce soit probablement fait de manière involontaire n’empêche pas le problème.

« Moi j’ai mieux, Alexandre Malafaye, intervient Roselyne Bachelot. Moi, j’ai soigné mon chien à l’homéopathie, alors là l’effet placebo est assez limité (rires sur tout le plateau) enfin peut-être qu’il me voyait avec mon tube de granules et qu’il se disait cette femme-là me veut du bien (rires) c’est peut-être ça qui s’est passé parce que ça marchait très très bien (rires). »

Madame Bachelot n’est pas bien informée sur ce que la science sait sur l’effet placebo observé chez les animaux. Oui, cet effet existe. Oui, on peut croire indûment qu’on améliore la santé de son animal ou de son bébé en lui administrant un remède privé d’effet spécifique.

Malheureusement, tous ces sophismes ont été proférés sans que personne ne les relève. Jérémy Descoux était là pour expliquer en un temps très limité la raison d’être de la tribune, pas pour corriger les fautes logiques des intervenants. Le public a donc pu se laisser influencer par des déclarations très assertives mais illogiques ou factuellement fausses. Cela n’est pas de nature à contribuer à la liberté éclairée de leurs choix thérapeutiques. Cette émission n’a donc pas informé proprement le public, mais à probablement contribué à le mésinformer.


19 mars. France TV Info. Allô docteur — Des médecins partent en guerre contre les médecines alternatives

Invité sur le plateau, sans contradicteur et sans salade de sophismes, Jérémy Descoux a cette fois le temps d’évoquer un aspect du problème des médecins généralistes à orientation homéopathique : « On souhaiterait que lorsqu’on adresse quelqu’un pour voir son médecin traitant, il puisse consulter pour une consultation de médecine générale. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a un manque de médecins en France et le problème est que ces consultations qui n’ont pas d’efficacité démontrée occupent un temps médical qui n’est pas du tout négligeable. Et ce temps médical, qui n’est pas occupé à faire de la médecine, c’est un temps médical qui est perdu pour les patients. Nous disons que si les gens veulent pratiquer la médecine, qu’ils la pratiquent en tant que médecin. S’ils veulent faire de l’homéopathie, qu’ils le fassent sur un temps d’homéopathie. Il est temps de séparer complètement les deux pratiques afin de redonner un peu de clarté aux patients qui veulent accéder à une médecine scientifique. Ils doivent avoir accès aux meilleurs soins disponibles et aujourd’hui, ces médecines alternatives ne sont pas le meilleur choix possible. »


19 mars France Info — Des médecins et professionnels de la santé signent une tribune contre les médecines alternatives comme l’homéopathie.

Il s’agit d’un résumé honnête du contenu de la tribune.


20 mars. Sud Ouest — Des médecins s’insurgent contre les médecines alternatives, « irrationnelles et dangereuses »

Article favorable à la critique exprimée dans la tribune des 124.


20 mars. Le vrai de l’info — L’homéopathie protège-t-elle de la grippe ?

Géraldine Woessner rétablit la vérité scientifique en réponse aux propos d’Alexande Malafaye la veille sur LCI : non l’homéopathie ne protège pas contre la grippe. Elle présente également le concept de placebo encore trop souvent mal compris, et explique que l’homéopathie encourage plus qu’elle ne combat la « culture de la gélule ».

Cette émission est l’un des cas où la presse française prend clairement parti pour la vérité de science plutôt que pour un semblant de neutralité entre deux camps qui auraient autant de légitimité l’un que l’autre. Cette rupture de fausse symétrie sur les questions scientifiques devrait être encouragée dans la pratique journalistique.


20 mars. Site du magazine Top Santé — Les médecines alternatives, des « fakes médecines » ?

Article « équilibré »9 qui explique les grandes lignes de la tribune, cite l’avis de l’ordre des médecins tiré d’un article du journal Le Quotidien du Médecin, puis donne la parole à la défense, avec l’avis du Dr Dominique Pierrat, généraliste et médecin-conseil à Top Santé :

« Quelle mouche a piqué les 124 signataires de cet appel ? On peut comprendre qu’en cette période de défiance envers certains médicaments et les vaccins, des médecins souhaitent remettre les pendules à l’heure. Quand c’est grave, l’homéo ne suffit pas ! Mais rejeter une médecine millénaire comme l’acupuncture, qui soigne encore aujourd’hui de nombreux patients en Asie, cela parait étrange. Quant au remboursement de ces médecines « alternatives », plus justement qualifiées de complémentaires par de nombreux soignants, c’est un autre problème. Les veinotoniques ont été déremboursés, ce n’est pas pour cela que les médecins ont arrêté d’en prescrire, ni qu’ils doivent être interdits de le faire… L’objectif des médecins n’est-il pas de soulager les patients ? Et les soins de supports en cancérologie sont-ils inutiles ? » »

On retrouve des ingrédients connus : position victimaire face à ce qui est présenté comme une agression, appel à l’antiquité millénaire de la doctrine comme preuve de sa validité. Il termine par un homme de paille, c’est-à-dire une contrefaçon de la position qu’il attaque : personne ne dit que les « supports en cancérologie sont inutiles ». Consciemment ou inconsciemment, ce docteur produit un argumentaire malhonnête.


20 mars 2018. France Bleu — #FakeMed : homépathie, acupuncture… une tribune contre les thérapies alternatives secoue la communauté médicale

Résumé de la tribune des 124, et interview de Florence Paturel, secrétaire générale du Syndicat national des médecins homéopathes français qui pose évidemment les homéopathes en victimes et déclare ne pas comprendre quelle est la volonté des signataires : « J’ai bientôt 55 ans, j’ai passé 12 ans en oncologie à l’hôpital de Vannes, et tout c’est toujours très bien passé avec mes confrères du service ».

Son expérience personnelle est probablement censée prouver quelque chose sur la fausseté du contenu de la tribune, mais nous n’aurons pas droit à une démonstration logique. La réponse est d’ordre affectif.


20 mars. Le Huffington post — L’homéopathie est-elle une « fake médecine »? Ce que disent les études scientifiques

L’article, très sérieux, rappelle le consensus scientifique, et donne la parole à Edzard Ernst, spécialiste mondial des thérapies alternatives qui livre un avis modéré « des patients peuvent aller mieux après, non pas grâce à un pseudo-médicament, mais grâce à l’effet placebo et à une longue consultation avec un clinicien compatissant. »


20 mars. Editorial sur le site Pourquoi docteur — Des médecins partent – un peu rapidement – en guerre contre les médecines alternatives

La journaliste Charlotte Arce éclaire le contexte de la pratique homéopathique et cite deux des rares arguments raisonnables de ceux qui la défendent : « Mais il faut savoir que si l’Assurance maladie continue de rembourser ces médicaments, c’est pour une raison … d’économie. Un débat difficile à mettre sur la place publique, parce qu’il devrait rester entre médecins. La raison n’est pas forcément très noble mais elle est pragmatique. En France, les malades ont du mal à sortir de chez le médecin sans ordonnance. »

Et deuxièmement : « il vaut (…) mieux que ces traitements soient prescrits par des professionnels de santé que par des personnes sans connaissance sur les maladies. Au moins, les médecins ont une obligation de moyens vis-à-vis de leurs malades… et ils sont responsables devant la justice en cas d’erreur. »

Toute la question est de savoir si ces deux arguments sont suffisants pour justifier la pratique de l’homéopathie telle qu’on la connaît aujourd’hui.


20 mars. La dépêche.fr — Homéopathie, acupuncture, sophrologie… : des médecins signent une tribune polémique contre «les médecines alternative

Relai honnête du contenu de la tribune.


20 mars. RTL — L’homéopathie c’est clairement de la tromperie », alerte un cardiologue

Florian Zores, cardiologue et signataire de la tribune des 124, est interrogé : « Il y a une période où on rencontre des soucis de financement dans la médecine traditionnelle et on rembourse des médecines qui n’ont fait aucune preuve de leur efficacité. À l’heure des choix budgétaires, je pense qu’il faut arrêter de rembourser les choses qui ne marchent pas. (…) L’homéopathie c’est clairement de la tromperie et de la charlatanerie puisqu’on sait grâce à de multiples études qu’elle n’a aucun effet thérapeutique, c’est un placebo. »

L’article est donc un relai de la parole critique des #fakemed.


20 mars. Communiqué du ministère des Solidarités et de la Santé.

Nous ne sommes pas vraiment dans le monde des médias ici, puisqu’il s’agit de la communication d’une institution publique. Mais celle-ci va irriguer les conversations médiatiques.

 « Le ministère rappelle également que les PSNC10 ne s’appuient pas sur des études scientifiques ou cliniques montrant leurs modalités d’action, leurs effets, leur efficacité ou encore leur non dangerosité.

Et si certaines de ces pratiques ont effectivement une efficacité sur des symptômes, cette efficacité est insuffisamment ou non démontrée. Par ailleurs, lorsqu’elles sont utilisées pour traiter des maladies graves (cancers par exemple) ou en urgence à la place des traitements conventionnels reconnus, elles peuvent annihiler les chances d’amélioration ou de guérison des personnes malades. »


20 mars. Marie Claire — Homéopathie, acupuncture : des médecins dénoncent ces « fausses médecines »

Article faussement équilibré.


20 mars. France Inter. Edito Carré — Editorial de Mathieu Vidard : « Charlatans d’homéopathes ! »

Cet éditorial est un joyau de sophistique qui flirte outrageusement avec une pensée antiscientifique. C’est d’autant plus problématique qu’il est écrit et prononcé par l’animateur de l’une des plus importantes émissions scientifiques de la radio française.

A l’époque je m’étais d’ailleurs fendu d’un billet d’analyse qui a servi de base à ce que j’écris ci-après.

L’animateur donne la parole à Mathieu Vidard au sujet du « texte contre les médecines alternatives publié hier dans le Figaro. »

Mathieu Vidard — « Et signée par 124 médecins et professionnels de santé, qui ont pris la plume pour dire tout le mal qu’ils pensaient des thérapies non conventionnelles en dénonçant en particulier les médecins homéopathes

Surfant sur le thème des fake news, nos docteurs déguisés en oies blanches, se drapent dans l’arrogance de leur respectabilité scientifique pour dézinguer –je cite- ces fausses thérapies à l’efficacité illusoire. »

En réalité les auteurs de la tribune ne parlent pas du « mal » qu’ils penseraient des thérapies critiquées, mais de leur efficacité. Nulle part il n’est question de « dézinguer ». M Vidard choisit une lecture morale, c’est l’angle de la fabrication scénaristique à laquelle il se livre. La démarche scientifique rigoureuse devient ici de l’arrogance et une forme de candeur stupide digne d’oies blanches.

« Et d’en appeler au Conseil de l’ordre des médecins pour sévir contre les fous furieux de la granule et renvoyer au fin fond du Larzac ces dangereux baba cool qui empoisonnent les patients à coup de Nux Vomica et d’Arnica Montana 30 ch. »

Un journaliste consciencieux ne prétendrait pas que la tribune dénonce un « empoisonnement » puisque ce mot n’apparaît nulle part, pas plus que « fou furieux de la granule » ni aucun des termes employés dans cette phrase. Il construit un épouvantail, une contrefaçon grossière de la position qu’il désire attaquer.

L’homéopathie prise à haute dose risque surtout d’empoisonner les gens intolérants au lactose. Les auteurs de la tribune explicitent clairement dans quelle mesure il est raisonnable de juger l’homéopathie « dangereuse » (Un chapitre sur les dangers de l’homéopathie figure dans mon livre).

« Si cette tribune n’était pas franchement insultante pour les praticiens comme pour les 40% de Français qui ont recours aux médecines alternatives, on s’amuserait des arguments de ces pères la morale. »

« L’insulte aux patients » est un sophisme du chiffon rouge qui travestit la tribune pour en faire un acte de pure malveillance, donc indéfendable. La tribune n’insulte personne, relisez-la bien. Naturellement, il n’est pas plaisant de voir critiquée une pratique médicale dont on est soi-même consommateur ; on se sent remis en cause alors qu’on n’a rien demandé. Et certains patients éprouveront un sentiment très désagréable à la lecture de cette tribune (peut-être une forme de dissonance cognitive). Mais est-il raisonnable d’accuser de vous traiter d’idiot celui qui vous prévient que l’empereur est nu ? Comment espérer ne pas réellement passer pour quelqu’un qui manque de jugeote ?

« Et pourquoi montent-ils au créneau ?

Pour alerter contre la dangerosité et le manque d’éthique des médecines parallèles avec des praticiens qui menacent selon eux de devenir les représentants de commerce d’industries peu scrupuleuses.

Lorsqu’on pense aux dizaines de milliers de personnes qui sont devenues gravement malades ou qui ont passé l’arme à gauche en raison des effets secondaires de médicaments allopathiques type Médiator ou Distilbène, ou lorsque l’on sait que les somnifères ou les anti-dépresseurs sont prescrits de façon excessive, qu’ils représentent des bombes à retardement tout en faisant la fortune de laboratoires pharmaceutiques véreux ; on se dit que notre club des 124 pourrait légèrement baisser d’un ton. »

Ici le sophisme est celui de la double faute : X n’est pas une discipline sans défaut, elle pose des problèmes ; sous-entendu : alors ne venez pas critiquer Y, c’est injuste ! Cette manœuvre est de nature à convaincre les déjà-convaincus qui ont besoin de n’importe quel argument pour défendre leur position. La faute qui serait commise par X n’est en rien une réponse montrant que la critique de Y n’est pas justifiée. Nous sommes également en plein dans le faux dilemme, les signataires étant repeints en agents du lobby des grands industriels du médicament.

Mais au-delà du simple sophisme, permettez qu’on s’étonne que monsieur Vidard emploie le mot allopathie, terme inventé par les homéopathes pour (dis)qualifier la médecine scientifique et instaurer une illusion d’équivalence entre les deux. On serait tenté de faire remarquer que Mathieu Vidard adopte la rhétorique des Laboratoires industriels Boiron, mais nous n’en concluons pas qu’il faut le soupçonner de le faire à dessein.

« Dans cette tribune, les médecins écrivent que l’homéopathie n’est pas scientifique.

Et ils ont raison puisqu’aucune étude sérieuse n’a prouvé à ce jour une quelconque efficacité de cette thérapie. Le contenu scientifique des médecines alternatives est vide. Rien d’autre que l’effet placebo. Et alors ? 

Est-ce que tous les allopathes peuvent se vanter de pouvoir soigner chaque maladie de façon rationnelle ? Non bien sûr. »

Nouveau sophisme, celui de la solution parfaite : les praticiens de la médecine fondée sur les sciences (qui ne s’appellent jamais des allopathes) travaillent à étayer avec des preuves les prétentions thérapeutiques de leurs pratiques. Qu’ils échouent à soigner tout le monde ne valide évidemment aucune forme de charlatanerie alternative, et on ne devrait pas laisser croire le contraire sur une antenne sérieuse.

« Alors n’est-il pas possible d’admettre qu’il existe parfois une part de magie permettant de soigner ? »

Que dire ? Devons-nous vraiment subir une obscurantiste défense de la pensée magique de la part d’un journaliste scientifique sur un sujet de santé ? Que la science actuelle n’explique pas tout est une chose bien connue, et d’abord par les scientifiques eux-mêmes. Mais invoquer la magie n’a jamais fait progresser la connaissance, et nul n’est censé l’ignorer.

« Comme le rappelle le pharmacologue Jean-Jacques Aulas, l’illusion constitue un outil redoutablement efficace, qui peut avoir sa place dans l’art difficile de la thérapeutique.

En conclusion de leur tribune, les 124 exigent que l’ensemble des soignants respectent une déontologie et qu’ils proposent à leurs patients une écoute bienveillante. Il fallait oser ! Car c’est précisément à cause d’une médecine conventionnelle déshumanisée que les malades fatigués d’être considérés comme de simples organes sur pattes, se tournent vers des praticiens capables de passer du temps avec eux et de les écouter. »

Oui, il fallait oser ! Car Mathieu Vidard a raison sur un point : la médecine conventionnelle laisse sans réponse certains besoins des patients, elle est vécue comme déshumanisante par certains patients au parcours difficile. Il est grand temps qu’elle s’en rende compte, fasse son autocritique et travaille à apporter des réponses compatibles avec l’éthique scientifique et le respect du consentement éclairé du patient, plutôt que de se laver les mains des conséquences des choix que les patients font par défaut, par désespoir de se sentir pris en charge. Or, c’est exactement le sens de la tribune qu’ici il malmène à mauvais escient.

« En accusant les médecins homéopathes de charlatanisme et en dénigrant la fonction humaniste apportées par ces thérapeutes, les signataires de ce texte se trompent de cible et font courir le risque à des patients de se retrouver vraiment entre les mains de pseudo médecins. »

Comme dirait l’autre : vous n’avez pas le monopole de la fonction humaniste. La plupart des médecins pratiquant leur métier de manière rationnelle écoutent leurs patients, sont attentifs à leur besoin et leur accordent un respect authentique.

La caricature que Mathieu Vidard dresse de la tribune et de ses auteurs n’informe pas les auditeurs du service public sur la réalité du contenu de cette tribune. Elle est la pure manifestation d’une volonté de contre-argumenter… sans argument.


21 mars. Communiqué de la Société Française d’Homéopathie — L’homéopathie agressée

Le communiqué est une litanie plaintive sur la nature prétendument diffamatoire et insultante de la tribune. Aucun argument pour asseoir la validité scientifique de leurs pratiques n’est apporté.


21 mars. France inter, Le téléphone sonne — Peut-on réconcilier homéopathie et allopathie ?

Débat entre pro et anti-homéopathie avec les ingrédients classiques.

Alain Sarembaud, représentant du Syndicat National des Médecins Homéopathes Français : « [Dire] “vous donnez quelque chose qui ne dépasse pas le placebo”, c’est insulter d’une part les patients, c’est d’autre part insulter tous les médecins qui font ça depuis des années […] et c’est aussi insulter les laboratoires qui les fabriquent! »

Mathieu Van Dessel, médecin généraliste et signataire de la tribune du Figaro, évoque le rôle d’éducateur du médecin: « [Dire que l’homéopathie ne marche pas] c’est comme quand on dit que le Père Noël n’existe pas, ça fait pleurer les enfants. […] Il faut que la société grandisse, il faut qu’elle se coltine la vérité ».


21 mars. Pharma radio — Violente tribune contre l’homéopathie

L’article qualifie la tribune de « violente » et « acide » puis donne de larges extraits du communiqué du syndicat des homéopathes. Ce faisant, il met en avant la « défense » en propageant sans la dénoncer la logique conspirationniste du SNMHF.


22 mars. Le midi libre — Homéopathie, acupuncture… un collectif de médecins s’en prend aux « fake medecines »

Article basique et « équilibré », donc asymétrique.


22 mars. Réponse molle du conseil de l’ordre des médecins.

 « Le Conseil national de l’Ordre des médecins regrette que la forme véhémente de l’interpellation publique, dans laquelle l’Ordre est impliqué, ait davantage alimenté le buzz médiatique d’un moment qu’une réflexion sereine et argumentée sur le sujet. »

Depuis des décennies et l’accumulation de données scientifiques montrant l’absence d’efficacité de l’homéopathie, la critique de cette doctrine n’a jamais été entendue pour ce qu’elle est : un rappel de l’exigence de se plier à la rigueur de la méthode qui fournit des preuves. L’ordre des médecins aurait pu regretter l’inertie durable qui a rendu nécessaire le ton virulent de la tribune pour qu’elle ne reste pas sans lendemain au lieu d’accuser, en substance, les auteurs de la tribune d’avoir été forcés de compter sur l’effet buzz.


22 mars. Le Moniteur des Pharmacies — Homéopathie et « fake médecine » : le syndicat des médecins libéraux refuse tout amalgame

Le SML rappelle que quatre médecines alternatives et complémentaires sont officiellement reconnues par l’ordre des médecins : homéopathie, acupuncture, mésothérapie et médecine manuelle ostéopathie.

« Ces pratiques et notamment l’homéopathie, sont faites par des médecins diplômés, capables de poser des diagnostics au même titre que les confrères signataires de la tribune. Ils n’embarquent pas leurs patients sur des pistes de traitement qui ne seraient pas pertinentes », ajoute le syndicat, affirmant au passage que « l’homéopathie rend service et permet d’apporter une réponse à de nombreux patients »

C’est à cela que ressemble un article corporatiste.


27 mars. Site La Veille des acteurs de la santé — Les fake médecins déposent des plaintes disciplinaires auprès de l’ordre des médecins (Communiqué)

Première annonce des plaintes devant l’ordre des médecins contre les auteurs de la tribune.

 « L’Union collégiale, le Syndicat des Médecins Indépendants Libéraux Européens, le Syndicat de la Médecine Homéopathique, le Syndicat des Mésothérapeutes Français, l’Association pour l’Utilisation Rationnelle des Médecines Alternatives (association de patients comptant plus de 1 000 membres) et des médecins libéraux pratiquant les spécificités thérapeutiques agressées ont déposé des plaintes disciplinaires auprès de l’Ordre des Médecins envers les signataires de la tribune insultante et anti-confraternelle médiatisée la semaine dernière concernant les Médecines à Orientations Spécifiques Thérapeutiques.

Ils invitent tous ceux qui considèrent cette inadmissible agression idéologique comme une incitation à l’intolérance à se joindre à ces plaintes. »


27 mars. France culture. Du grain à moudre — Les médecines alternatives font-elles plus de mal que de bien ?

L’émission compte trois invités.

Christian Lehman, signataire de la tribune, rappelle que le mot de « charlatanisme » est celui utilisé par le conseil de l’ordre des médecins dans certaines conditions, il n’a pas été sorti de leur chapeau par les auteurs de la tribune. L’homéopathie lui semble correspondre à la situation décrite.

Helène Renoux, homéopathe, conteste les études qui concluent à l’absence d’efficacité de ces produits et affirme au contraire qu’elle prescrit des médicaments qui ont un effet pharmacologique.

Bruno Falissard, biostatisticien, explique qu’en science on ne peut pas démontrer l’absence totale d’efficacité d’un produit. Il plaide pour l’utilité de médicaments-placebos dans la pratique médicale, car ils rendent des services aux patients.

Christian Lehman craint la logique de la pilule automatique alimentée par le recours au placebo. Au journaliste qui lui fait remarquer « Mais si ça fait du bien ? », il répond : « La musique me fait du bien aussi, je ne demande pas qu’elle soit remboursée. »

Hélène Renoux « Je suis très en demande d’étude dont la méthodologie serait adaptée pour évaluer le bénéfice de la médecine homéopathique. C’est une médecine exigeante, lente et individualisée. »

Elle nous explique donc que ce serait à la science de s’adapter à l’homéopathie, et pas à celle-ci de répondre aux exigences de la méthode admise par tous. Quelques minutes plus tard, pourtant elle prétend détenir des preuves scientifiques : « Il y a des méta-analyses qui ont été réalisées, en particulier par Robert Mathie en Angleterre. Il a pris toutes les études randomisées en double aveugle contre placebo de traitements homéopathiques individualisés et il a conclu que l’effet de l’homéopathie est supérieur à placebo. Ça marche mieux que le placebo, plus vite. »

Bruno Falissard : « Moi je crois que l’homéopathie n’a pas intérêt à se lancer dans des études randomisées face au placebo parce que de mon point de vue ce n’est pas la bonne question. Et il faudrait abandonner le mot placebo ; aujourd’hui on utilise « soins contextuels », eh bien je préfère ça. »

Christian Lehman insiste sur le fait qu’une individualisation du soin existe déjà de plein droit dans la pratique du médecin qui prend toujours en considération le vécu du patient et son contexte avant d’appliquer les consignes d’indication ou de posologie. Pour lui, il n’y a pas besoin d’une doctrine d’individualisation comme celle de l’homéopathie.

L’émission est plutôt bonne, mais elle souffre des limites du genre : les invités peuvent se contredire sur des éléments factuels, ou bien avancer des choses fausses sans que les autres n’ait forcément les moyens de rétablir les faits. C’est par exemple le cas avec l’étude de Robert Mathie citée par Hélène Renoux, un parfait exemple de cherry picking (cueillette de cerise) où l’on sort un petit bout de littérature comme si le reste ne comptait pas. Par ailleurs, je reviens sur ce que démontrent réellement les travaux de Mathie dans un chapitre du livre.

Soulignons l’incohérence de la position d’Hélène Renoux qui mélange deux stratégies des homéopathes. La première consiste à dire que cette discipline est trop subtile pour la méthode scientifique telle qu’elle existe aujourd’hui, et l’autre consiste à citer quelques rares études qui montreraient son utilité. Madame Renoux devrait choisir : ou bien la science est incompétente, ou bien la littérature est de son côté, elle ne peut pas jouer sur les deux tableaux et être prise au sérieux.


27 mars. Europe 1. Le débat d’Europe Soir — Les médecines alternatives, dont l’homéopathie, sont-elles de fausses médecines ?

Une émission débat où l’on retrouve des éléments et des arguments déjà cités plus haut.


27 mars 2018. Site du journal Le Quotidien du médecin — Tribune anti-homéopathie : des médecins disent avoir déposé des plaintes à l’Ordre

Le bref article relate le dépôt de plainte auprès de l’Ordre des Médecins de la part de L’Union collégiale conte les signataires de la tribune du 18.


28 mars. Institut pour la protection de la Santé Naturelle. Homéopathie, les médecins attaqués portent plainte !

Victimisation des homéopathes, victimes d’une « attaque violente et sectaire » et propos anti-scientifiques habituels de cet « institut » connu pour ses positions anti-scientifiques (et notamment antivaccin).


4 avril. Ip Réunion — Homéopathie : vraie arnaque ou vraie médecine ?

La parole est donnée à deux médecins, un pro-tribune et un homéopathe, le Dr Branlat qui affirme qu’on ne peut pas parler de placebo quand l’efficacité des traitements homéopathiques est démontrée sur plusieurs centaines de patients souffrant de la même pathologie : « Ces traitements ont montré leur efficacité sur des enfants, et même sur des animaux. »

Il dénonce le « manque de déontologie » des auteurs de la tribune que représente le fait de qualifier l’homéopathie de dangereuse et d’ésotérique. Il glisse ensuite vers un type de soupçon qui ne l’honore pas « Ce sont des ignorants. Le tout est de savoir s’ils sont réellement ignorants ou s’ils y ont un autre intérêt. » et estime que « la France est aussi fermée aux médecines alternatives. »

Article faussement équilibré.


6 avril. RFI — Faut-il condamner les médecines alternatives?

Débat avec Daniel Scimeca, médecin homéopathe, président de la fédération française de la société d’Homéopathie, et Céline Berthié, médecin généraliste et signataire de la tribune parue dans Le Figaro. On retrouve tout une série de sophismes dans la bouche du Dr Sciméca dont on peut s’attendre à ce qu’ils fassent malheureusement illusion auprès des auditeurs. Cette émission est le parfait exemple du faux équilibre, aussi appelé asymétrie de Brandolini : le discours vrai ne peut pas se permettre les raccourcis, figures de styles et effets de manche du discours de type bullshit 11

Journaliste — « L’homéopathie s’appuie sur quelles preuves ?

D. Sciméca — J’ai le même diplôme que mes confrères. Je n’ai pas de leçon de médecine à recevoir. (…) vous clivez (…) votre tribune m’a plus surpris qu’attristé car ce sont des arguments qu’on entend depuis longtemps. Nous sommes aujourd’hui à l’heure de la médecine intégrative.

Journaliste — Quand le conseil scientifique des académies des sciences européennes estime qu’il n’y a aujourd’hui pas de preuve de l’efficacité de l’homéopathie, qu’est-ce que vous répondez ?

D. Sciméca — Moi, j’ai pas peur des acronymes et des académies. Je regarde. Je suis un scientifique, vraiment. (…) en ce qui concerne les niveaux de preuve, je suis désolé, mais c’est pas avec des acronymes qu’on se bat, c’est avec des études. (…) l’étude EPI3 n’a pas été financée par Boiron[8] c’est une étude pharmaco-épidémiologique, si vous l’avez bien lu on ne peut plus avoir le même regard sur l’homéopathie après avoir lu EPI3 avec honnêteté scientifique en regardant les faits. »

S’ensuit une description de l’étude…

C. Berthié — « C’est une collection de cas cliniques. C’est une observation. Une étude pour prouver quelque chose doit être randomisée.

D. Sciméca — Vous prenez les patients pour des imbéciles (…) vous pensez qu’ils sont suffisamment bêtes pour ne pas faire la différence.

C. Berthié — Ce n’est pas une question de bêtise, c’est une question de culture médicale et il y a des gens qui ne comprennent pas ce qu’est un niveau de preuve. (…)

D. Sciméca — Ne faites pas de hold up sur la science, elle ne vous appartient pas à vous toute seule. (…) depuis deux siècles si c’était de la poudre de perlimpinpin ça se saurait. (…) 50% des français ne sont pas des imbéciles, donc si depuis deux siècles ils y sont attachés c’est parce qu’ils ont des résultats.

(…)

Journaliste — Le Centre Contre les Manipulation Mentale estime que les médecines alternatives constituent une porte d’entrée vers les dérives sectaires.

D. Sciméca — Ben écoutez… Une porte d’entrée par où ? Je répète encore : nous sommes des médecins. Il ne faut pas confondre les non médecins qui proposent tout un tas de choses avec la pratique médicale d’approches alternatives. Cette approche alternative, en plus elle est plébiscitée et par le public et par les services hospitaliers. »

Il ne doit plus être utile de souligner les sophismes employés, ce sont toujours les mêmes. On notera tout de même la facilité avec laquelle Daniel Sciméca esquive les questions pour marteler l’argument qu’il voulait faire passer ce jour-là : les homéopathes sont des médecins, donc l’homéopathie est de la médecine. Le reste ne serait que littérature, en quelque sorte. Une rhétorique dévastatrice, car en effet l’auditeur lambda veut qu’un médecin lui parle médecine, et pas statistique. Et pourtant…


10 avril. La Croix — Faut-il en finir avec l’homéopathie ?

L’article présente le point de vue des anti #FakeMed, puis celui des homéopathes.

Le SNMHF : « L’homéopathie donne satisfaction à des millions de patients en France, bien plus encore dans le monde (…) J’aimerais dire aux signataires que les milliers de médecins qui utilisent l’homéopathie sont tout aussi compétents qu’eux. »

L’avis du laboratoire Boiron est demandé ; pour les labos les produits homéopathiques représentent un « coût faible pour l’assurance-maladie puisqu’ils ont représenté 0,29 % des remboursements » de médicaments en 2016, c’est-à-dire la modeste somme de de 56 millions d’euros sur un total de 19 milliards. L’article ne précise pas qu’il faut ajouter le coût à la charge des mutuelles.

Le laboratoire précise comme d’habitude que 25 % des généralistes et 75 % des sages-femmes prescrivent très régulièrement de l’homéopathie, et que 50 % des Français y ont déjà eu recours. 

« Ce n’est quand même pas sans raison si autant de patients se tournent vers l’homéopathie », lance le docteur Antoine Demonceaux, généraliste homéopathe à Reims. Au cours de sa carrière longue de 35 ans, il a vu sa patientèle s’accroître. « Au début, c’était plutôt des classes moyennes supérieures assez bobos et intellos. Aujourd’hui, toutes les catégories sociales viennent me voir ».

L’article couvre également le point de vue des signataires de la tribune en restituant les contenus des interventions de Jérémy Descoux et Christian Lehman dans les jours précédents. On rappelle que l’ordre des médecins a demandé son avis à l’Académie de médecine… qui l’avait déjà donné en 2004.


11 Avril. Le Figaro — Appel des 124 contre les «médecines alternatives» : premières plaintes contre les signataires

Les premières plaintes nominatives ont été envoyées au CNOM. Le Dr Meyer Sabbah, médecin généraliste adepte des médecines alternatives et président de deux des organisations syndicales à l’origine de la plainte fait une annonce digne d’un preneur d’otage : « Nous allons ensuite tirer au sort deux médecins dans la liste tous les quinze jours pour de nouvelles plaintes. »


11 avril. RMC. Agnès Buzyn chez J-J Bourdin :

Madame la ministre : « L’homéopathie est la seule [des pratiques de soin non conventionnelles] à être remboursée. Les français y sont attachés. C’est probablement l’effet placebo. Si ça permet d’éviter des médicaments toxiques, je pense que nous y gagnons collectivement. Ça ne fait pas de mal. (…) Si ça continue à être bénéfique, sans être nocif, ça continuera à être remboursé. »


12 avril. Le Monde — Des médecins portent plainte au conseil de l’ordre après une tribune contre les médecines alternatives

L’article relaie d’abord l’information du Figaro : « des organisations syndicales de médecins homéopathes, mésothérapeutes ou d’acupuncteurs ont déposé plainte auprès du conseil de l’ordre de la profession contre 10 des 124 signataires – cinq médecins qui se sont exprimés dans les médias après la publication de la tribune, et cinq autres l’ayant signée. (…) Les syndicats reprochent des propos « offensants, diffamatoires et même insultants » et « contraires aux principes déontologiques de confraternité, de considération de la profession », rapporte Le Figaro. Ils demandent des « excuses publiques »

Vincent Ropars, l’un des signataires de la tribune qui devra s’expliquer devant le conseil de l’ordre des médecins, et médecin généraliste remplaçant dans le Finistère, se dit« fier de ce qui [lui] arrive » sur Twitter : « Si des contradicteurs amènent les débats sur le terrain de la plainte ordinale, c’est parce que probablement aucun argument valable ne leur paraît possible d’amener sur le terrain du débat public. »


12 avril. BFMTV — Des médecins visés par une plainte après avoir signé une tribune contre les médecines alternatives

L’article, de bonne qualité, relate la plainte et l’avis du conseil des Académies des sciences émis en 2017.


12 avril. Science et avenir — Agnès Buzyn favorable au remboursement de l’homéopathie malgré un « probable effet placebo »

Etat des lieux de la polémique et citation du site du ministère de la santé avec un avis datant de 2016 : « L’utilisation des médicaments homéopathiques ne s’appuie pas (…) sur la médecine basée sur les preuves, mais sur la notion d’usage traditionnel » et de ne jamais l’utiliser en remplacement des médicaments dans les « maladies graves telles que le cancer » sous peine d' »interférer de façon préjudiciable sur l’évolution de ces pathologies ». »


13 avril. Le Figaro Santé — Comme le dit Agnès Buzyn, l’homéopathie est-elle vraiment sans danger?

L’article reprend les déclarations de la ministre sur RMC deux jours plus tôt, et en particulier une idée très répandue sur l’homéopathie, mais aussi très contestée, qui est que cela « ne fait pas de mal ».

Le Pr Jean-François Bach, membre de l’Académie des Sciences, est interviewé : « Il y a toujours un risque de détourner le malade de traitements réellement efficaces. »

« L’homéopathie peut avoir un effet nocif en retardant la consultation d’un médecin ou en dissuadant le patient de rechercher les soins médicaux appropriés, qui seront basés sur des preuves scientifiques», expliquaient en 2017 les experts des Académies des sciences européennes

Un bon article qui apporte une information scientifique.


13 avril. Le Syndicat national des médecins homéopathes français (SNMHF) envoie une lettre recommandée au Conseil national de l’ordre des médecins.

La plainte s’avèrera irrecevable, car «Il ne peut pas y avoir d’action de groupe et une plainte ne peut être déposée qu’à l’encontre d’un individu, et à l’échelon départemental.»


13 avril. Slate — Fake médecines, vraies questions de société

Article très complet qui récapitule les évènements qui ont suivi la publication de la tribune puis Propose l’interview de Juliette Ferry-Danini, philosophe des sciences. Elle montre la pertinence des préoccupations mise en avant par la tribune et la faiblesse des réponses qui lui sont apportées : « [Selon] les philosophes Tom L. Beauchamp et James F. Childress, il y a quatre principes en tension qu’il faut s’efforcer de faire cohabiter en médecine : le respect de l’autonomie du patient (information et respect des choix), la bienfaisance (promouvoir ce qui est le plus avantageux pour le patient), la non-malfaisance (éviter de causer un préjudice) et enfin, la justice (établir des priorités dans l’allocation des ressources). Dans leur tribune, on constate que les auteurs plaident clairement en faveur de l’autonomie du patient (en valorisant l’information sur l’homéopathie), leur démarche s’intéresse aussi à la justice (en demandant à ce que les ressources allouées à l’homéopathie soient détournées vers des dispositifs mieux éprouvés), ainsi qu’à la bienveillance (en souhaitant valoriser les traitements les plus efficaces pour le patient). Leurs arguments sur la non-malfaisance, c’est-à-dire sur les dangers de l’homéopathie, sont sans doute les moins solides, donc les plus souvent attaqués par leurs contradicteurs. Mais on n’a pas besoin de valider tous les critères pour pouvoir trancher : il est suffisant de reconnaître que l’autonomie et la justice sont bafouées par les médecines qui ne montrent pas leur efficacité.»

Un très bon article qui place la réflexion scientifique et épistémologique au cœur de la question de ce que l’on sait à propos des pratiques thérapeutiques.


19 avril. Europe 1 — Agnès Buzyn : « Nous allons fluidifier l’accès à l’hôpital »

La ministre : « En tant que scientifique je considère que l’homéopathie ne peut pas fonctionner autrement que par effet placebo. (…) Si on doit se poser la question du remboursement de l’homéopathie, on doit plus généralement se poser la question du remboursement de médicaments très peu efficaces. »

Et l’hôte de l’émission, Patrick Cohen, de réagir « Et bien voilà. Oui…. Non ? »

La ministre explique que ce n’est pas une priorité car l’économie engendrée serait très faible. On constate que l’argument spontané est budgétaire, et que la femme politique refuse d’aller au bout de la logique qu’elle a elle-même expliquée.


26 avril. Le Figaro. Toc toc docteur — Homéopathie : retour sur une tribune polémique

Une émission qui informe bien le public et remplit donc parfaitement son rôle.

Les invités : le médecin Christian Lehman et la philosophe des sciences Juliette Ferry-Danini sont tous les deux critiques envers l’homéopathie. Les journalistes présents expliquent le principe de la dilution hahnemanienne et la dérogation dont jouissent les produits homéopathiques pour être mis sur le marché, mais aussi l’histoire de la mémoire de l’eau et le principe du placebo.

Christian Lehman donne l’exemple de l’Espagne où les Universités qui avaient ouvert des diplômes d’homéopathie il y a quelques années ont ensuite pris la décision de les fermer.

Ajoutons l’exemple du Georgian college, à l’université de l’Ontario au Canada, qui a fermé son diplôme d’homéopathie en février 2018. Sur ce dossier, Joe Schwarcs, directeur du bureau Science et société de l’Université McGill déclare : « Qu’à notre époque, avec tout ce que nous connaissons de la science, une tartufferie vieille de deux cent ans soit légitimée et scandaleux. (…) Laisser les étudiants traverser trois ans d’absurdités afin qu’ils puissent aller pratiquer des traitements placebo est totalement injuste envers eux, et c’est injuste envers le public. »

Enfin, C. Lehman précise que beaucoup de psychothérapies efficaces ne sont pas remboursées, pas plus que les consultations chez les nutritionnistes, tandis que d’autres soins sans efficacité sont remboursés, qu’il s’agisse des médicaments anti Alzheimer… ou de l’homéopathie.


30 avril. Reporterre — Efficace et bon marché, l’homéopathie est la bête noire de l’industrie pharmaceutique

Article de mésinformation, une habitude de la part de ce site qui carbure souvent en suscitant la panique. L’auteur, Patrice Rouchossé, est vétérinaire depuis 25 ans. Il pratique l’homéopathie auprès d’éleveurs en recherche de solutions alternatives. L’article tout entier est coloré de conspirationnisme : Big Pharma et son lobby tentent de détruire l’homéopathie.


3 mai. Contrepoints — Homéopathie remboursée : à quoi joue donc Agnès Buzyn ?

Dans cet article d’opinion, le docteur Richard Guédon autopsie la rhétorique de Boiron :

« Boiron met en avant, à défaut d’une efficacité improuvable par définition, « l’efficience » de l’homéopathie, autrement dit : nos produits ne sont pas plus actifs qu’un placebo, mais ils ont quand même une certaine efficacité puisqu’un placebo est actif.

Or un placebo ne peut être nocif, puisqu’il n’y a pas de produit actif dedans, donc nos produits sont légèrement actifs, comme le placebo mais non nocifs, ils sont donc supérieurs aux produits véritablement actifs, qui payent leur efficacité par des effets secondaires.

Au total, le Laboratoire Boiron et la Ministre tiennent aux médecins le raisonnement suivant : pour être sûrs de ne pas nuire à vos patients prescrivez des substances inactives. Nous touchons là le fond de l’absurdité du principe de précaution anti scientifique qui sévit un peu partout aujourd’hui. »


4 mai. Le Figaro Santé — Tribune contre les médecines alternatives : nouvelles plaintes contre les auteurs

On explique que le SNMHF ne peut porter plainte en une seule fois contre le groupe des signataires de la tribune et qu’il va devoir les attaquer individuellement pour « non-confraternité et non-respect du code de déontologie ».

« Je constate que ceux qui nous attaquent ont choisi de ne pas le faire sur le fond scientifique de nos propos, à savoir l’absence de preuve de l’efficacité des médecines alternatives, mais simplement sur la forme, par la voie d’une procédure auprès du Conseil de l’ordre», regrette le Dr Jérémy Descoux, membre des 124.


7 mai. Société Savante d’Homéopathie. Communiqué. Homéopathie : un appel à la raison

« Notre double formation, conventionnelle et complémentaire, nous permet justement de conseiller au mieux les patients, afin de leur éviter de s’égarer sur des chemins hasardeux (…) C’est pourquoi nous refusons d’être confondus avec des « charlatans en tout genre ». Nous remercions vivement à cet endroit le Conseil National de l’Ordre des Médecins pour la prise de position exprimée dans son communiqué de presse du 22 mars 2018. »


9 mai. Le Quotidien du médecin — Fake médecines » : le syndicat des homéopathes veut porter plainte contre chacun des 124 auteurs de la tribune

L’article précise la position du président du SNMHF par la voix de son président, Charles Bentz : « nous attendons une sanction ». Il demande le retrait de la tribune qu’il juge « diffamatoire » et exige des « excuses publiques et tout aussi médiatisées que la tribune ». Sur la nature de la sanction : « laissons faire le Conseil de l’ordre. »

Lors d’une plainte, le CNOM organise toujours une séance de conciliation. Les plaignants ont informé qu’ils ne s’y rendraient pas tant que des excuses publiques ne leur seront pas présentées. « C’est une faute déontologique de leur part de ne pas vouloir trouver un terrain pour discuter », répond Jérémy Descoux.


17 mai. Union nationale des Associations de défense des Familles et de l’Individu victimes de sectes — Des scientifiques en marche contre les pseudo-médecines

L’UNADFI s’intéresse à la question car elle sait combien les « médecines douces », « thérapies alternatives » et autres mouvements non médicaux liés à la santé et au bien-être sont propice aux abus et aux dérives de nature sectaire.


21 mai. France Culture — Médecines alternatives, je soigne moi non plus

Mise en avant du besoin de croire, de la dimension spirituelle à côté de l’importante rationalité.


23 mai. Le Monde — « Homéopathie : l’étrange exception française »

 (Pas accès à la totalité de l’article)


24 mai. LCI — Homéopathie : face aux menaces sur le remboursement, les homéopathes répliquent

Le docteur Florence Paturel, médecin à Vannes et secrétaire générale du Syndicat national des médecins homéopathes français nous explique que l’homéopathie fait partie intégrante de la médecine et affirme son efficacité avec deux exemples pour lesquels on souhaiterait consulter les sources : « En France, si on prescrit de l’homéopathie sans être médecin cela s’apparente à de l’exercice illégal de la médecine. On est donc très loin du charlatanisme en question. (…) On sait, par exemple, que les sages-femmes qui prescrivent de l’homéopathie disent que les femmes accouchent de façon beaucoup plus douce et plus rapide. Par ailleurs, de nombreux chirurgiens prescrivent de l’homéopathie avant leurs opérations car ils savent que la récupération du patient sera bien meilleure. » Puis elle cite la fameuse étude EPI3

Un autre médecin d’orientation homéopathe vient plaider l’impossibilité de tester l’homéopathie comme les autres médecines en raison de l’individualisation des soins qui interdirait les études en double aveugle.

L’article est tout entier au service du discours pro-homéopathie.

24 mai. France Inter — Le Grand Entretien avec Agnès Buzyn.

Agnès Buzyn, au sujet des vaccins : « Il faut voir réapparaître la rationalité et la vérité dans le débat public. »

Un vœu qu’il faut conjuguer avec l’homéopathie, ce à quoi elle semble déterminée : « L’homéopathie pourrait rentrer dans le droit commun et être évaluée scientifiquement. Si elle est utile, elle restera remboursée. Si elle est inutile, elle arrêtera de l’être. (…) Le problème de l’homéopathie est qu’elle n’a jamais été évaluée comme les médicaments. »

Cette dernière phrase ne signifie pas que les études n’existent pas, car la ministre de la santé ne peut pas ignorer ce qu’il en est. Ce qu’il faut entendre, c’est que les autorités de santé n’ont jamais fait leur travail : évaluer les produits homéopathiques comme n’importe quel autre médicament. Cette mise au point a son importance.


24 mai. Allô Docteur — Agnès Buzyn : « On a décidé de rembourser l’homéopathie sans aucune évaluation scientifique »

L’article revient sur cette déclaration et rappelle l’état des connaissances. En fait cette citation, signifie que la ministre prend acte que la décision de remboursement n’avait pas de fondement scientifique.


25 mai. Le Monde — Homéopathie : Agnès Buzyn évoque une évaluation scientifique

L’article reprend les déclarations de la veille de la ministre. L’article informe bien en rappelant les chiffres que représente le remboursement même partiel de l’homéopathie en France.


25 mai. BFMTV — Vers la fin du remboursement de l’homéopathie?

Simple résumé de la polémique et de la position de la ministre.


13 juin. Haute autorité de santé.

De manière discrète, sans réellement entrer dans le débat, la HAS a laissé fuiter son avis sur l’homéopathie en publiant une fiche sur le produit « Aesculus » des laboratoires Boiron suite à une demande de renouvellement d’inscription au dossier des médicaments remboursés par la Sécurité Sociale : « La Commission s’étonne du maintien du taux de remboursement à 30% des médicaments homéopathiques à nom commun compte tenu du taux de remboursement à 30% voire 15% de médicaments ayant fait la preuve de leur efficacité. » La même remarque figure le même jour sur la fiche du produit « Hamamelis » des mêmes laboratoires.

La HAS s’est ensuite abstenue de donner un avis sur ce renouvellement alors que la règlementation les y oblige en temps ordinaire. La déclaration va passer inaperçue pendant plus d’un mois…


15 juin. Libération — « Homéopathie : la guéguerre repart à pleins tubes »

Avec 2 mois de retard, Libération couvre l’affaire de la tribune (qualifiée de « brûlot ») avec une grande désinvolture, comme si le sujet ne méritait pas qu’on s’y intéresse : « Ce sempiternel débat s’est pris un sacré coup de jouvence le 19 mars. Dans le Figaro, une tribune au vitriol signée par 124 médecins au passé plutôt respectable étrillait les médecines alternatives, avec l’homéopathie pour cœur de cible. Comme s’il y avait péril en la demeure, perdant toute nuance, les signataires parlent de « fake medicines », évoquent des pratiques «ésotériques», «sans aucun fondement scientifique», «nourries par des charlatans» et «basées sur des croyances promettant une guérison miraculeuse». »

« Comme l’a déclaré au Monde, le 23 mai, le très silencieux Christian Boiron, patron du leader mondial du médicament homéopathique, tout cela n’a pas beaucoup d’importance : «Ces polémiques n’intéressent pas grand monde. Peut-être un microcosme. Cela ne change pas un gramme des granules que nous pouvons vendre ou ne pas vendre.»

Cet article ne respecte pas l’enjeu de l’affaire et fait de Christian Boiron une sorte de sage au-dessus de la mêlée, indifférent à ces vitupérations inutiles.


15 juin. Libération — Jean-François Masson : «Réduire l’homéopathie à un effet placebo ne tient pas»

Libération persiste et signe avec une interview qui donne le beau rôle aux homéopathes au mépris des connaissances scientifiques. La journaliste Sabrina Champenois fait sienne le mot allopathie tout au long de ses phrases pour incriminer « La tribune parue dans le Figaro, texte d’humeur, de haine et de mépris, [qui] est vide, dépourvue de chiffres et mensongère. »

L’homéopathe Jean-François Masson a toute latitude pour décocher l’argument fallacieux de l’expérience personnelle : « Par exemple, je vois des gosses en octobre qui ont fait l’année précédente quinze otites avec des consultations de généralistes, de pédiatres, d’otorhinos, avec des prises d’antibiotiques, et qui en quelques mois sont vraiment guéris. Quand j’ai été nommé à Bichat en gynécologie, payé par l’Assistance publique, j’ai appliqué l’homéopathie aux cystites et aux mycoses à répétition. Je les guérissais en une heure ou deux avec des granules, et en traitant le terrain, la répétition disparaissait. »

Ce que ce monsieur aurait dû fournir, ce sont les études qui valident l’efficacité de l’homéopathie pour soigner les otites, les cystites, les mycoses… car son appréciation personnelle pourrait bien, comme celle de n’importe qui, être biaisée. On observe que le niveau d’efficacité qu’il allègue n’a rien de subtil et d’inaccessible à la preuve scientifique.

L’article est très critiqué par le milieu sceptique et scientifique sur les réseaux sociaux. La journaliste Sabrina Champenois y répond en ces termes le 16 juin sur twitter : « C’est émouvant, cette communauté d’esprits obtus #émotion. Et tous les Français qui recourent à l’homéopathie sont juste des décérébrés de première catégorie, allez un bûcher pour les médecins qui osent la pratiquer » Suivent trois émoticones de mains qui applaudissent. Nous vous laissons le soin de détecter le sophisme ici employé.


19 juin. Conseil National de l’Ordre des Medecins. Mise au point

Le désaveu de l’homéopathie est feutré, mais il est bien là : « Le Conseil national rappelle toutefois que le code de la santé publique relatif à la déontologie médicale interdit de présenter comme salutaires et sans danger des prises en charge ou des thérapeutiques non éprouvées.

Tel est le cadre déontologique qui s’impose à tous. »


19 juin. Le Figaro Santé — L’Ordre des médecins prend position contre l’homéopathie

Analyse du communiqué du CNOM : « L’Ordre précise également – et c’est la première fois – que la délivrance d’un tel traitement ne peut se faire qu’après avoir « délivré au patient une information loyale, claire, et appropriée ». En d’autres termes, le médecin doit prévenir les patients que l’efficacité de l’homéopathie est au mieux équivalente à un placebo, au pire nulle, avant de leur en prescrire »


19 juin. Science et avenir — « Médecin homéopathe, ça n’existe pas » pour l’Ordre des médecins

Le titre est une citation de Jacques Luca, vice-président du CNOM, lors d’une conférence de presse au sujet du communiqué de l’ordre : « J’espère que les universités en tireront les conclusions », ajoute le président de l’Ordre, Patrick Bouet, en évoquant les formations universitaires en homéopathie, non reconnues.


19 juin. Le Parisien — Pour l’Ordre des médecins, l’homéopathie est une pratique «non éprouvée»

« Coup de grâce, l’instance plaide pour la disparition de la mention « homéopathie » des plaques des médecins, sauf si elle est précédée de la mention « médecin généraliste » ou « médecin cancérologue ». Après la tribune des 124 médecins, des syndicats de médecins homéopathes et autres avaient déposé plainte au Conseil de l’Ordre contre plusieurs signataires. Ils savent maintenant ce que l’Ordre en pense. »


19 juin. Le Point — L’Ordre des médecins prend ses distances avec l’homéopathie

Compte rendu de la position du CNOM.


21 juin. France Info — Effet placebo ou réelle efficacité ? Voici ce que la science nous dit sur l’homéopathie

Bon article sur l’effet placebo et l’absence d’effet spécifique de l’homéopathie.


26 juin. Le Républicain Lorrain — Homéopathie : les petits granulés blancs en question

Cet article reprend les éléments de langage des pro-homéopathes sans distance critique ni référence à l’état de l’art. Il ne remplit donc pas son rôle d’information du public.

« Cette pratique qui repose sur la dilution forte de différents principes actifs ne répond pas aux critères, molécule par molécule, des tests scientifiques dédiés à l’allopathie. « Ils estiment que quelque chose que l’on ne peut pas quantifier ne peut pas marcher, s’étonne le Dr Maire. Or, l’homéopathie induit un processus, alors que le médicament induit de la chimie. C’est un processus informatif, envoyé dans le corps et qui peut déclencher immédiatement une réaction. Mais au moins, ça ne nuit pas. »

« Quand j’étais jeune et bête, à titre personnel, je n’y croyais pas, ose Laurent Jacques, pharmacien à Nancy (…) « Il est reconnu que les Français consomment trop de médicaments, qu’il n’y a pas assez de prévention. L’homéopathie fait partie des alternatives et ne coûte pas grand-chose. » Un peu de rondeurs dans cette polémique. »


26 juin. Le Point — TRIBUNE. L’homéopathie ne peut pas faire de mal, vraiment ?

Analyse pertinente des discours et des croyances au service de l’homéopathie. Premier argument, celui qui veut que l’homéopathie coûte moins cher

« L’épargne médicamenteuse alléguée grâce à l’homéopathe n’est pas démontrée. Cette idée préconçue est remise en cause par une récente étude de la CNAM : sur une année (2011-2012) de produits homéopathiques prescrits et remboursés, sept fois sur dix un médicament allopathique figurait aussi sur l’ordonnance. Ces données vont contre mais ne réfutent pas formellement l’argumentaire de l’épargne ; elles soulignent par contre la nécessité de sortir d’une idée préconçue et de disposer de données factuelles. »

La tribune insiste sur le danger d’une dépendance médicamenteuse… y compris à un produit placebo. L’homéopathie pourrait donc faire partie des causes des problèmes de surmédicamentation en France. Et cela contredit singulièrement les idées reçues sur la question.

« En effet, une prescription médicamenteuse n’est a priori à effectuer que si elle est pharmacologiquement utile. Il y a déjà suffisamment de produits sans activité thérapeutique réelle dans la pharmacopée française pour ne pas en rajouter »


29 juin. Le Quotidien du médecin — Tribune contre l’homéopathie : l’Ordre du 92 s’associe à la plainte contre un généraliste signataire !

 « Le Quotidien » obtient des explications du président du conseil départemental, le Dr Christian Hugue, phlébologue. Il souligne que la transmission de la plainte est une procédure obligatoire. Le conseil ordinal n’est pas obligé de s’associer à la plainte, mais dans ce cas, il a voulu condamner « la démarche anticonfraternelle du médecin généraliste »« La décision de s’y associer a été votée à l’unanimité en conseil ordinal ». « Je ne soutiens ni les médecins généralistes ni les médecins homéopathes. Mais nous ne trouvons pas normal que les médecins se tapent les uns sur les autres comme cela. »


22 juillet. Le Généraliste — Évaluation de l’homéopathie : le ministère de la Santé n’a pas encore saisi la HAS

 « Agnès Buzyn avait indiqué le 25 mai que l’homéopathie ferait « l’objet d’une évaluation » cet été par la Haute autorité de santé (HAS). » Or, selon l’article, ce ne serait pas encore fait officiellement.


23 juillet. Site Pourquoi docteur — Homéopathie : la Haute autorité de santé tacle le remboursement

L’avis émis discrètement par la HAS le 19 juin est enfin détecté et révélé au public.


25 juillet. Le Quotidien du médecin — La HAS « s’étonne » du maintien du remboursement de certains médicaments homéopathiques

Idem.


26 juillet. France Info — Le syndicat des homéopathes porte plainte contre les 124 professionnels de santé signataires d’une tribune contre les « médecines alternatives ».

Les 124 publient sur les réseaux les courriers afférents aux plaintes qu’ils reçoivent.


27 juillet. Figaro santé — L’appel de 124 professionnels de la santé contre les «médecines alternatives»

Nouvel article qui rappelle l’ensemble de l’affaire. Le Figaro assure la présence de cette affaire dans les médias et assume son rôle de journal où la polémique a débuté.


27 juillet. Science et avenir — Tribune anti-homéopathie : les adeptes portent plainte auprès de l’Ordre des médecins

Information sur la poursuite de la campagne de plaintes contre les auteurs.


27 juillet. Libération — Les homéopathes saisissent l’Ordre des médecins après une tribune anti-homéopathie dans le «Figaro»

Le récit de la plainte est livré du point de vue des homéopathes. Libération confirme son parti pris.


28 juillet 2018. Le parisien — Homéopathes contre médecins classiques : « Ils nous ont traités de charlatans »

Après l’habituelle victimisation, Charles Bentz, président du SNMHF, assène : « Allez dire à près de la moitié des Français que l’homéopathie ne sert à rien… » ; pur sophisme d’appel à la population (Ad populum). Un élément classique de la rhétorique des pro-homéopathie.


29 juillet. France Inter — C’est la guerre des blouses blanches !

Minuscule chronique qui rappelle la plainte devant le CNOM


31 juillet. Le Monde — « Après une tribune visant les médecines alternatives, les homéopathes saisissent l’ordre des médecins »

Les plaintes arrivent chez les 124.


2 août. La Croix — Les tensions autour de l’homéopathie se poursuivent

Bon article qui commence par offrir un droit de réponse au sophisme du 28 juillet.

François Loez, médecin à Lomme (Nord) et signataire du texte : « Nous n’avons pas attaqué des gens, mais une pratique ». Il se félicite que la tribune ait contribué à ouvrir un débat dans la société.

Mais la parole est malgré tout donnée à Charles Bentz : « La discussion autour de l’homéopathie n’est pas nouvelle, mais cette violence contre nous est inédite ». Pour lui les plaintes ordinales sont parfaitement justifiées parce que : « C’est une affaire de principe. On ne peut pas impunément laisser dire tout et n’importe quoi. Il n’est pas admissible que les signataires de cette tribune veuillent dénier notre titre de médecins : nous avons tous suivi des études médicales complètes. »


2 août. La Voix du Nord — Convoqué devant l’Ordre des médecins pour une tribune hostile à l’homéopathie

Brève sur Matthieu Calafiore, médecin généraliste à Wattrelos, membre des 124.


2 août. Consalud (journal espagnol) — « Los estudiantes de Medicina denuncian las pseudoterapias »

Les choses bougent aussi en Espagne. Traduction par le groupe facebook « FakeMed » :

« Les futurs médecins dénoncent les pseudo-thérapies ou les thérapies alternatives sans fondement scientifique parce qu’ils considèrent qu’elles « nuisent gravement à la santé de la population en faussant et en interférant avec la pratique clinique « , comme l’a déclaré le Conseil d’État des étudiants en médecine (CEEM) dans une déclaration.

Dans la lettre, les étudiants en médecine ont déclaré :  » Nous sommes très inquiets des dommages causés par ce que l’on appelle les pseudosciences, car ce sont des pratiques sans fondement scientifique qui peuvent nuire gravement au patient et à la société, puisqu’elles sont fondées sur de fausses promesses et sur le charlatanisme. »

Afin de réaffirmer sa position sur les thérapies alternatives, le CEEM a mené le 14 juillet une campagne dans le centre de Madrid où des informations ont été fournies à la population. En outre, pendant les 7 sessions de formation 2.0, un espace a également été consacré aux pseudosciences avec Jerónimo Fernández Torrente, trésorier et coordinateur de l’Observatoire contre les pseudosciences, les pseudo-thérapies et l’exercice frauduleux de la médecine de l’Organización Médica Colegial (OMC).

Dans ce sens, le CEEM prévoit de mener une campagne au cours des trois prochains jours à travers ses réseaux sociaux pour expliquer le sens et les risques des thérapies alternatives, dans le même ton que celui du 19 juillet dernier sous le hashtag #StopPseudociencias.

En outre, les étudiants en médecine demandent au gouvernement et aux autorités compétentes de s’efforcer d’informer la population sur la réalité de ces pratiques et les dangers qui y sont associés. » »


8 août. France Info — Les Informés.

Cette émission désastreuse est un exemple hélas révélateur du paysage médiatique français où trop souvent des individus rassemblés sur un plateau s’expriment sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas avec un tel aplomb qu’on se dit qu’ils doivent bien savoir de quoi ils parlent. De toute évidence, les participants du 8 août ne sont pas informés et relaient des éléments de langage vus ailleurs. Le public ne sera donc pas informé non plus, mais croira le contraire, ce qui est potentiellement grave.

Christophe Pierrel, ancien chef de cabinet adjoint de François Hollande à l’Elysée est désormais à la succursale de la Caisse des Dépôts et Consignations en Savoie et enseignant à Sciences Po commence par affirme que les homéopathes sont des « médecins spécialistes » : « C’est des docteurs en médecine qui ont fait 10 ans d’études et qui à un moment, ont choisi cette spécialité-là, parce qu’elle est plus douce, parce que, justement, elle permet d’autres choses, mais c’est des gens aussi qui ne sont pas des dangereux ! » En réalité homéopathe n’est pas une spécialité médicale, et cet abus de langage démontre l’ambiguïté des DU d’homéopathie.

Julien Leclercq, éditeur et écrivain, s’exprime sur la tribune « (elle) est portée par des médecins qui sont très attachés à ce qu’ils ont appris à l’école et qui manquent cruellement de curiosité. (…) Il y a d’ailleurs une centaine de médecins qui ont publié une lettre ouverte dans Le Monde (en réalité dans le Figaro) il y a quelques mois mais d’une débilité profonde, pardon, et d’un aveuglement profond surtout, qui ont comparé les homéopathes à des charlatans. »

La troisième invitée, Patricia Balme, ex-journaliste et communicante politique, a le temps de donner son opinion selon laquelle l’homéopathie n’a pas plus d’effet qu’un placebo et constitue « une pharmacopée psychologique », mais aussitôt Christophe Pierrel la contredit en citant l’étude EPI3. (toujours la même étude qu’ils font mentir…)

Inarrêtable, il poursuit :

« Dans mon département, les Hautes-Alpes il y a des agriculteurs qui soignent leur bétail avec de l’homéopathie, donc c’est pas de l’effet placebo, c’est pas psychologique, alors à moins qu’on m’explique que les moutons chez moi savent ce qu’est un médicament, mais enfin… Ça veut dire qu’il y a des effets aussi chez les animaux, ça veut dire que c’est pas psychologique, ça veut dire qu’il y a d’autres ressorts. Il y a une chose qu’on ne dit pas dans l’homéopathie, c’est que c’est pas de la chimie, mais ça peut être aussi de la physique et que la question physique, elle peut aussi avoir des résonances sur le corps, et que ça on nous l’apprend pas à l’école. Et comme on ne l’apprend pas à l’école, et bah ça nous dépasse… »

Ensuite, Christophe Pierrel explique que les antidépresseurs ont beaucoup d’effets indésirables, défaut que n’a pas l’homéopathie : « J’ai ramené un tube d’homéopathie mais dessus, y’a pas 50 000 recommandations pour pas que ça fasse de mal. »

Patricia Balme — « Oui mais ça ne fait peut-être aucun effet »

Christophe Pierrel — « Y’a 50% , y’a exactement le même nombre de personnes qui se guérissent grâce à ça d’après l’étude que je viens de vous dire. Donc la preuve que ça marche. Cette question-là, je la trouve complètement déplacée dans un contexte où, en plus, on fait faire des économies à la sécurité sociale grâce à ça. »

C. Pierrel fait dire à l’étude EPI3 ce qu’elle ne dit pas.

Jean-Christophe Gallien, politologue et président de JCGA apporte ses lumières :

« C’est un peu l’idée qu’il y a aussi de l’alternatif à la chimie et à ce qui se passe ailleurs. Il faut savoir que le professeur Montagnier, celui qui a découvert le virus du SIDA en France et qui a été un des premiers acteurs sur le traitement, il travaille encore sur ce que l’on a pu appeler dans l’histoire ancienne la fontaine de jouvence, en fait que l’eau peut nous aider, nous soigner. Il travaille en ce moment à la programmation, entre guillemets, je vais le faire très simple, de l’eau et ce qui serait presque comme une solution presque extraordinairement gratuite au traitement d’un certain nombre de maladies, pour ne pas dire beaucoup, et donc on peut aller beaucoup plus loin que la chimie peut nous permettre de le faire aujourd’hui, l’homéopathie c’est un chemin. »

Cette salade purement pseudoscientifique s’étale à l’antenne sans aucune contradiction. Je rappelle que nous sommes sur le service public.

Julien Leclerq —« Alors, Patricia Balme, la prochaine fois que vous avez une migraine, mettez de la lavande fine sur vos tempes, ça marche très bien (rires) »

Après cela, Julien Leclerq livre une page de sa vie comme preuve de l’efficacité des « médecines alternatives ». Avec plus de pudeur que lui-même, nous n’y reviendrons pas.

Aucune information véridique, sourcée, contextualisée, n’est fournie aux auditeurs. Comment ne pas qualifier ce programme de mésinformation ? Et comment ne pas considérer que cela jette le discrédit sur tous les autres numéros de cette émission où l’on sera forcé de se demander si tous les invités ont ce niveau de compétence des sujets qu’on leur demande de traiter.


9 août. Europe 1 — Europe midi.

Dix minutes de débat animé par Marielle Fournier entre Daniel Sciméca, Président de la Fédération Française des Sociétés d’Homéopathie, et Jérémy Descoux.

D. Sciméca attaque bille en tête avec les éléments de langage que l’on connait, in extenso :

« On ne peut plus dire aujourd’hui, on en a un petit peu assez de ce sempiternel argument qui ne repose sur rien que l’homéopathie est comparable a un effet placebo. Je vous donne une étude qui est celle sur les hautes dilutions d’aspirine qui montre que l’aspirine à faible dose fluidifie le sang et qu’à dilution élevée, au contraire, elle facilite les caillots. Il y a tout un tas d’études, contrairement à ce qui se dit partout, parce que c’est facile qu’une académie de ceci ou de cela… une académie ce n’est pas une étude scientifique. Les études scientifiques regardées avec un œil honnête, par exemple l’étude EPI3 qui est la dernière et la plus parlante, montrent que l’homéopathie a une réelle efficacité. Donc nous ne comprenons pas pourquoi nous qui sommes dans la médecine conventionnelle, il n’y a qu’une seule médecine, moi je suis médecin, je vois des patients tous les jours que je soigne soit avec des médicaments homéopathiques soit avec des médicaments classiques. Je suis généraliste et il n’y a qu’une seule médecine. La tribune qui a été publiée n’est pas une tribune pour défendre la médecine conventionnelle mais, pourrais-je dire, pour traiter de façon extrêmement anticonfraternelle – je pèse mes mots– vingt mille médecins en France, qui prescrivent de l’homéopathie parce que c’est rationnel de le faire, parce que dans une période où la iatrogénie, les effets secondaires, les mésusages de médicament, on pourrait parler des somnifères on pourrait parler des antibiotiques, on pourrait parler d’un certain nombre d’objectifs de santé publique, c’est rationnel d’utiliser chaque fois qu’on le peut un médicament qui n’a pas d’effet secondaire, qui a une efficacité et qui est un médicament extrêmement sûr. D’ailleurs les Français ne s’y trompent pas, puisque un Français sur deux nous font confiance. Vous pensez bien que l’effet placebo à ce niveau-là, ça n’est pas possible. En tout cas ce que je voudrais souligner c’est le caractère très anti-confraternel, comme vous l’avez dit il y a une procédure en ce moment au niveau ordinal donc l’usage c’est de pas se prononcer sur une procédure en cours mais je pense que l’ordre des médecins fera son travail et qu’il va le faire dans les semaines ou les mois qui viennent. »

Jérémy Descoux dénonce le statut dérogatoire des médicaments homéopathiques remboursés sans preuve d’efficacité, Daniel Sciméca l’interrompt puis ne lui laissera plus l’occasion de développer une idée.

« Vous savez bien pourquoi on a besoin de ce statut dérogatoire, parce que nous avons une pharmacopée qui est complexe, qui contient un grand nombre de médicaments. Et faire une autorisation de mise sur le marché comme pour le paracétamol ou pour un antibiotique pour chacun des plus de mille sept cents médicaments à toutes les dilutions c’est matériellement impossible, vous le savez bien. (…) On est très contents que Madame la Ministre souhaite que l’homéopathie soit correctement évaluée à condition que l’on ne tombe pas dans le piège d’évaluer un médicament pour lequel chaque patient a son profil ­– et on ne peut pas faire des grands nombres, des grandes séries comme avec un antibiotique ou autre chose où on fait des groupes placebo et cetera– il y a la spécificité du patient. Chaque patient a son médicament. Si on nous propose des protocoles que nous permettent d’évaluer de façon honnête c’est-à-dire en respectant cette individualisation du patient, nous voyons cela d’un très bon œil parce que nous savons que ça marche. Nous savons que l’évaluation sera bonne si elle est honnête. »

L’argumentaire est redoutable : toute évaluation négative de l’homéopathie est… malhonnête. On retombe sur l’incohérence dénoncée chez Hélène Roux : Daniel Sciméca sait que l’homéopathie fonctionne (« vous savons que ça marche »), mais affirme que personne ne dispose d’une manière de le prouver. À son corps défendant, sans doute, ce médecin défend une forme de foi et non une conviction rationnelle. Sur ce que prouve l’étude EPI3 et l’étude de 1987 sur les effets des hautes dilutions d’aspirine, Cf mon livre.

Cette émission a laissé Daniel Sciméca dérouler l’entièreté de son discours en enchaînant les sophismes, les postures, les attaques, le cherry picking, sans que jamais il ne soit mis en difficulté ni rappeler aux exigences de la logique par les journalistes.


23 août. 20 minutes — Homéopathie: Le maintien ou non du remboursement de ces médicaments décidé fin février

« Faut-il rembourser les médicaments homéopathiques ? C’est ce que doit trancher la Haute autorité de Santé (HAS), saisie par le ministère de la Santé pour rendre un avis sur l’efficacité de l’homéopathie. Le rapport est attendu pour fin février. »


23 août. Le Parisien — Remboursement de l’homéopathie : des réponses attendues en février

Pour le Docteur Florence Paturel, médecin à Vannes et secrétaire générale du Syndicat national des médecins homéopathes français, « Il n’est pas question qu’on dérembourse les médicaments homéopathiques. (…) Rappelons que ce sont des médecins qui les prescrivent [les médicaments homéopathiques]. Et qu’ils doivent justifier d’un cursus d’enseignement d’homéopathie, validé dans une école reconnue par l’Ordre des médecins. »

On voit ici explicitement que le fait qu’il existe des filières universitaires enseignant l’homéopathie est brandi comme un argument qui validerait la scientificité de la doctrine. Quelques jours plus tard des universités vont y répondre.


24 août. Les Echos — Homéopathie : bientôt la fin du remboursement ?

L’article révèle un courrier du ministère de la santé à l’AFP daté du 1er aout : « Nous souhaitons recueillir l’avis de la commission de transparence quant au bien-fondé des conditions de prise en charge et du remboursement des médicaments homéopathiques. »


30 août. Sud Ouest — Homéopathie : la science attend des preuves

La parole à Céline Berthié, médecin généraliste attaquée devant le CNOM par les homéopathes : « Non-confraternité ou corporatisme ? En clair, ils estiment qu’on n’a pas le droit de critiquer des confrères : vrai. La meilleure façon d’éviter le débat de fond, c’est de critiquer la forme. J’ai signé parce que cette remise en question était urgente, je vois dans mon cabinet des patients qui s’automédiquent avec des trucs alternatifs, dont l’homéopathie, se substituant à des thérapies éprouvées, au risque d’un retard de prise en charge. Idem pour la vaccination. Des morts pourraient être évités. »


30 août. France Inter — Homéopathie et médecine classique : le conseil de l’ordre arbitre le match

Position victimaire de Christine Bertin-Belot, vice-présidente du SNMHF : « Ils n’ont pas utilisé le terme de diseurs de bonne aventure mais c’était quasiment ça. Ils ont leur opinion, d’accord, ça fait 220 ans qu’on entend les détracteurs de l’homéopathie. Mais déconsidérer comme ça des médecins, qui sont des médecins comme eux, qui ont fait les mêmes études qu’eux, c’est invraisemblable. »

Céline Berthié, signataire de la tribune : « On constate en cabinet la montée des pseudo-sciences, la montée de l’obscurantisme en santé. Si l’on veut pouvoir être crédibles contre les thérapies non prouvées, qui peuvent faire du mal aux gens, il faut que nous aussi médecins, on ne s’appuie que sur des choses prouvées. »

Le contenu de l’article est en total décalage avec son titre : « Sur le fond, le conseil de l’ordre refuse de se prononcer, prétextant qu’il n’en a pas l’autorité scientifique. »


31 aout. Déclaration du Doyen de la faculté de médecine de Lille.

La faculté vient d’annoncer la suspension de son DU d’homéopathie en attendant le rapport de la HAS.

Le Doyen : « Force est de constater que nous enseignons une médecine fondée sur les preuves – on tient à une rigueur scientifique, absolue –, et force est de constater qu’en parallèle l’homéopathie n’a pas évolué, que c’est une doctrine qui est restée en marge du mouvement scientifique, que les études sont rares sur l’homéopathie, qu’elles sont peu solides, maintenir notre enseignement serait le cautionner. »


31 aout. LCI — Les remèdes homéopathiques sont-ils des médicaments comme les autres ?

« Non, ce ne sont pas vraiment des médicaments » On nous présente le statut dérogatoire de ces remèdes. « N’oublions pas que nous sommes au pays du laboratoire Boiron, le leader de l’homéopathie dans le monde. »


1er septembre. Huffington Post — La fac de Lille suspend son cursus en homéopathie après le cri d’alarme de professionnels sur les « médecines alternatives »

L’annonce est faite via un tweet : « La Faculté de Médecine de Lille décide de suspendre son Diplôme d’Université d’homéopathie pour l’année universitaire débutante dans l’attente de la position de la H.A.S. et d’échanges nationaux sur l’encadrement de cette pratique et de son enseignement. »


2 septembre. France Info — Suspension du diplôme d’homéopathie à la faculté de Lille : « On est inquiets pour nos patients »

Déroulé du point de vue du docteur Didier Deswarte, vice-président du syndicat national des médecins homéopathes français

« Dans le débat de fond, nous sommes d’accord pour que l’homéopathie soit évaluée et nous tenons à participer à cette évaluation, mais elle doit être faite avec nos critères qui nous sont propres, un médicament homéopathique n’est pas la même chose qu’un médicament chimique, c’est une complémentarité. (…) Il faut que les bases scientifiques s’adaptent à notre modèle, nous avons aussi des références scientifiques sur le mode d’action du médicament homéopathique qui n’est pas le même que le médicament chimique. »

C’est l’un des refrains des homéopathes : leur discipline est tellement subtile qu’elle exige que la science s’y adapte. C’est un subtil argument de l’ignorance (ce qui est un sophisme) : la science ne saurait pas faire, serait incapable d’apporter les preuves… Et alors on se demande comment les homéopathes sont en mesure d’être si sûrs d’eux. D’où tirent-ils une connaissance dont ils affirment que la science est impuissante à la fournir ?


2 septembre. Syndicat National des Médecins Homéopathes Français. Communiqué de presse.

« Alors que des milliers de médecins et des millions de Français sont attachés à la place de l’homéopathie au sein de notre système de soins, le SNMHF dénonce l’esprit de « chasse aux sorcières » qui se met insidieusement en place et qui tourne le dos à la vision d’une médecine intégrative et réconciliée, telle que la pratiquent les médecins homéopathes dans notre pays. »


3 septembre. France Inter — Qu’est-ce qui nous pousse vers les médecines parallèles ?

La journaliste Fabienne Sintes ouvre son antenne aux témoignages. On sait que le témoignage est le mode de diffusion des rumeurs, des intox et des croyances. Il faut écouter les témoignages, mais ne pas imaginer qu’ils prouvent que le contenu d’une croyance est vrai. Premier témoignage : « Laissez-nous tranquille. Laissez-nous choisir la méthode qui nous soulage. »

Sur le plateau, les invités sont toutefois des spécialistes qui abordent la question avec pédagogie.

Bruno Falissard, pédopsychiatre, professeur de biostatistique, praticien hospitalier, directeur de l’unité INSERM U669 (santé mentale de l’adolescent) : « C’est parce que c’est une question d’éthique qu’il y a autant de tension. »

Yannick Schmitt, médecin, vice-président du syndicat ReAGJIR, Regroupement Autonome des Généralistes Jeunes Installés et Remplaçants. « Le premier médicament c’est d’abord le médecin. L’effet placebo fonctionne avec le médecin généraliste même quand il n’a rien prescrit. On peut donc très bien sortir d’une consultation sans prescription. »

Témoin « Je ne comprends pas qu’on oppose ces deux médecines. Les médecines alternatives sont préventives. Si on n’est pas malade, les laboratoires ne mangeront plus, c’est évident. » 

Les soupçons sur les intérêts de ceux qui profitent des maladies reviennent dans d’autres témoignages. Revient aussi l’idée que : peu importe comment ça marche, l’important c’est d’aller mieux. Cette idée repose sur la prémisse implicite (et naïve) que les individus n’ont besoin d’aucune méthode objective pour savoir qu’un traitement leur fait du bien.


4 septembre. ARTE — Les origines allemandes de l’homéopathie – 28 minutes

Cette séquence de trois minutes s’ouvre sur le mot « allopathie » et nous narre la jolie histoire du Dr Hahnemann qui « sauve » une petite fille promise à la mort par les autres médecins. L’histoire, anecdotique, est belle, mais invérifiable : de quoi exactement la petite fille souffrait-elle ? Quel était son état précis ? Comment l’avait-on soigné avant l’intervention du héros, etc ? Nous n’en savons rien. Mais l’entrée en matière est brillante si le but est de convaincre les foules de l’efficacité de l’homéopathie.

« C’est la naissance de l’homéopathie, surtout le succès de l’homéopathie ! »

Dans le contexte de la polémique, cette séquence est incroyablement légère en information et ressemble davantage à un acte de communication.


4 septembre. Europe 1 — « Il n’est pas légitime » de rembourser « les médicaments homéopathiques »

Cette déclaration est celle de François Chast, pharmacien des hôpitaux et président honoraire de l’Académie Nationale de Pharmacie.


4 Septembre. La conférence des Présidents d’Université, Doyens de Fac de médecine et Doyens de fac de pharmacie rappelle l’importance de l’évaluation des formations et des thérapies.


4 septembre 2018. Europe 1 — Le tour de la question avec Wendy Bouchard : aujourd’hui, les homéopathes et les robots au boulot.

La journaliste lance un appel à témoignage sur l’homéopathie « si vous en êtes consommateur »[9], et donne la parole à Didier Gosset, doyen de la faculté de médecine de Lille, laquelle a suspendu son DU d’homéopathie. Il explique que « l’homéopathie est resté une doctrine » qui n’évolue pas avec les progrès de la science.

La journaliste demande à ses invités d’expliquer le principe de l’homéopathie en posant des questions à l’aide d’un vocabulaire chargé de présupposés : « c’est que des principes naturels, des produits naturels ? (…) et donc c’est une pratique douce ? »

Sur le plateau, un pharmacien homéopathe, Albert-Claude Quemoun, président de l’Institut homéopathique scientifique : « J’ai fait des voyages au Bangladesh, j’ai fait des missions humanitaires. Il y a de nombreux utilisateurs de l’homéopathie, puisque pour détoxiquer une intoxication massive d’arsenic on a utilisé des dilutions d’arsenic, et ça a marché. On a multiplié par 2, par 3 l’élimination de l’arsenic. »

« Je suis un peu étonné de cette pratique », réagit le second invité, François Chast, pharmacien des Hôpitaux, chargé de mission à l’Hôpital Necker, Président honoraire de l’Académie nationale de Pharmacie. « Dans les services de réanimation qui accueillent les personnes victimes d’intoxications à Paris, on n’a jamais jugé utile d’utiliser ce type de thérapeutique. Et malheureusement pour l’intoxication au plomb des enfants (…) on sait bien que ce ne sont pas ces types de médicaments qui fonctionnent. »

Pour souligner l’archaïsme de l’homéopathie qui n’a pas évolué depuis Hahnemann, François Chast utilise une image : « Qui accepterait d’être soigné aujourd’hui dans une salle d’opération comme on en avait dans les années 1810 ? »

Albert-Claude Quemoun, tente de valider les principes homéopathique en les comparant à ceux de la vaccination « Beaucoup d’allopathes font de l’homéopathie sans le savoir. Jenner lorsqu’il a découvert sa vaccination, c’est exactement les semblables. »

En dehors du discours pro domo de l’homéopathe, l’attitude de la journaliste pose un véritable problème, en dépit de sa bonne foi présumée. Outre de fréquents appels à la nature, elle commet un faux dilemme qui ne peut qu’empêcher le public de comprendre la complexité de la question : « j’ai des auditeurs qui veulent savoir si c’est une médecine efficace ou si c’est du charlatanisme ou de l’escroquerie ». En réalité ces deux options ne sont pas les seules, il s’agit d’une fausse dichotomie qui empêche de penser aux alternatives et notamment à une lecture contextuelle des succès d’estime de l’homéopathie.

Les auditeurs, du reste, ne se privent pas pour énoncer des certitudes « L’homéopathie est une médecine de la physique quantique. (…) Quelque chose qui dure deux cent ans est forcément efficace ! On ne peut pas tromper tout le monde pendant deux cents ans, c’est faux ! »

L’auditrice suivante dit en substance que l’homéopathie ne peut pas avoir simplement un effet placebo ou psychologique puisque ça marche sur son enfant qui ne sait pas qu’il prend un médicament. Bien sûr, nous avons déjà rencontré tous ces arguments, et vous éprouvez probablement une forme de lassitude à les retrouver encore et sans cesse répétés par des gens qui souvent ne sont pas très motivés à retenir les explications sur la nature des effets contextuels. Les sceptiques et zététiciens sont confrontés quotidiennement à ces arguments depuis des décennies.

En fin d’émission, Albert-Claude Quemoun suggère à un auditeur de prendre Influenzinum, ce qui fait réagir François Chast, pour quile « vaccin » antigrippal homéopathique « c’est du vrai vaccin dilué mille milliard de fois. C’est de l’eau qui est prise par la bouche. (…) C’est typiquement une escroquerie. »


4 septembre. RMC Les Grandes Gueules — Homéopathie: « On enseigne aux jeunes médecins des certitudes qui ne sont que les vérités d’aujourd’hui »

 « Ca fait plus de trente ans que je pratique l’homéopathie. Je soigne actuellement la quatrième génération de patients. » déclare Charles Bentz, président du syndicat des médecins homéopathes.

À propos des signataires de la tribune « ce sont souvent de jeunes médecins issus des facultés où on leur enseigne des certitudes, qui sont les vérités d’aujourd’hui, mais quand on a un certain âge on sait que les vérités d’hier ne sont pas les vérités d’aujourd’hui. Donc ces certitudes qu’ils ont elles vont être battues en brèches d’ici 10, 20, 30 ans, par la pratique. (…) Il faut une certaine humilité par rapport à ce qu’on croit être la vérité. »

Ce procès misonéiste (anti-nouveauté) est en soit un sophisme, mais il est surtout en totale contradiction avec l’argument précédent, puisque Charles Bentz n’a pas changé d’avis durant les 30 longues années de sa longue expérience d’homéopathe.


5 septembre. Science et avenir — Le directeur général de Boiron sur le départ, en pleine fronde contre l’homéopathie

Christian Boiron quitte son poste à 71 ans. Cette année l’entreprise a enregistré de mauvais résultats.


6 septembre 2018. Est Républicain — Homéopathes : une pilule dure à avaler

Interview de Christine Bertin-Belot, médecin homéopathe à Besançon et vice-présidente du syndicat national. On la présente (pourquoi ?) comme fille et petite-fille d’homéopathe. L’article est de mauvaise qualité car il donne sans contradiction la parole à une défendresse de l’homéopathie qui décrit la tribune FakeMed comme une insulte (ailleurs on aurait pu dire blasphème).

« La mission va être ardue. Car si tous les médicaments en France sont étudiés par classe thérapeutique (un médicament : une action), l’homéopathie, qui agit à l’échelle infra-moléculaire, procède par similitude (ainsi l’arnica peut être prescrite en cardiologie, traumatologie, psychiatrie…). Nous espérons seulement que la commission nous entendra et nous écoutera. »

Puis on retrouve un argument désormais familier : « Comme l’a révélé l’étude EPI3, réalisée de 2006 à 2010, l’efficacité de l’homéopathie n’est plus à démontrer. » Et on finit avec l’habituelle victimisation, sans crainte d’être dans l’outrance. : « C’est une véritable chasse aux sorcières ! À écouter nos détracteurs, il n’y a plus qu’à rallumer les bûchers ! »


6 septembre. France Info — Homéopathie : le chef d’un service d’urgences appelle à « arrêter de rembourser des trucs qui ne servent à rien »

Mathias Wargon, chef de service des urgences SMUR de l’hôpital Delafontaine (Saint-Denis), est signataire de la tribune : « C’est la relation avec le médecin qui marche, pas le granule. »


7 septembre. France Info — On vous résume la polémique entre les partisans et les opposants à l’homéopathie en 6 actes

Suite à la fermeture de son DU d’homéopathie, la faculté de médecine d’Angers annonce : « Pour le remplacer, un diplôme en réponse à la demande de soins non-conventionnels des patients est en projet. »


7 septembre. Le Journal des Entreprises — Interview Laboratoires Boiron : « L’efficacité de l’homéopathie, nous la constatons tous les jours »

Interview de Valérie Poinsot, directrice générale déléguée des laboratoires Boiron depuis sept ans, qui succédera à Christian Boiron en tant que directrice générale de l’entreprise lyonnaise en janvier 2019. On lui demande de réagir au problème du manque de preuve d’efficacité : « C’est plus compliqué que cela et je ne souhaite pas rentrer dans ce débat. Nous allons travailler d’arrache-pied pour faire en sorte que les Français puissent encore bénéficier du remboursement. L’homéopathie est une évidence sociale, une évidence thérapeutique : 30 millions de Français l’utilisent chaque jour depuis plus de 200 ans. »

Les chiffres sont emphatiques, et les certitudes prononcées avec une force de conviction qui ne laisse place à aucun doute. V Poinsot explique ensuite l’importance économique de l’homéopathie dans le monde. L’esquive est un peu grossière.


7 septembre. BFMTV — Les médecins contestent l’homéopathie

On retrouve l’opposition classique pro versus anti : Pascal Charbonnel, vice-président du Collège de la médecine générale est face à Marie-Andrée Auquier, médecin généraliste et homéopathe.

L’homéopathe défend sa perception du service médical rendu à ses patients par sa pratique personnelle et défend la « complémentarité » des pratiques. P. Charbonnel demande à ne pas rester à ce niveau d’analyse et à se fier à l’avis de la faculté de médecine et de la littérature scientifique. L’argument scientifique de l’homéopathe consiste à citer l’étude de Marc Henry (2017), lequel aurait validé le principe es hautes dilution en étudiant les propriétés de l’eau « qui est probablement un phénomène quantique » ; il y aurait des domaines de cohérences dans lesquels une information pet passer.

Réaction de P Charbonnel « C’est la réponse habituelle : c’est quantique. Mais alors il faut évaluer. »

Notons que Marc Henry est enseignant chercheur à l’Université de Strasbourg, et il est beaucoup cité dans les sites ésotériques et de promotion des pratiques de soin non conventionnelles, mais du côté des publications scientifique, rien qui puisse renseigner la question de l’efficacité de l’homéopathie.

L’étude évoquée par M-A Auquier est celle-ci « Nuclear Magnetic Resonance characterization of traditional homeopathically manufactured copper (Cuprum metallicum) and plant (Gelsemium sempervirens) medicines and controls » publiée dans la revue Homeopathy en 2017. L’article n’aborde pas la question des effets biologiques des remèdes homéopathiques mais s’intéresse à une autre question, celle de la possibilité que les hautes dilutions se comportent autrement que comme de l’eau tout simple. L’étude prétend montrer que ces dilutions provoqueraient un changement dans la structure de l’eau. Elle a depuis été citée 5 fois dans la littérature scientifique, uniquement dans des revues centrées autour de l’homéopathie. Ce contexte en rend l’analyse malaisée : la communauté scientifique n’a pour le moment pas accordé de crédit à ce travail, et à ce titre cette étude ne saurait à ce jour être considérée comme une preuve de quoi que ce soit. Il faudra attendre une réplication de ces résultats avant de les prendre au sérieux.


8 Septembre. France 5. C dans l’air — Homéopathie, antidépresseurs : faut-il s’inquiéter ?

Jean-Paul Hamon, médecin généraliste, président de la Fédération des médecins de France, ne croit pas à l’efficacité de l’homéopathie, mais il est « pour la paix des ménages » et juge acceptable les prescriptions qui rassurent les gens.

Frédéric Saldmann, cardiologue et nutritionniste, défend l’homéopathie en tant que placebo qui soulage des petits maux sans risque d’effet secondaires.

Mélanie Gomez, journaliste, spécialiste des questions de santé Europe 1, dit ne pas croire à l’efficacité mais en consommer quand même et en donner à ses enfants car elle croit à une « force de l’esprit ».

Gérard de Pouvourville, économiste de la santé, est le seul invité à souligner l’absence totale de preuve d’efficacité et de possibilité pour son mode d’action.

Avec un plateau ou personne ne croit vraiment à l’efficacité de l’homéopathie, on a malgré tout un débat nuancé où est défendu un usage de l’effet placebo pour des raisons de confort et sous l’hypothèse (à valider) d’économies financières.


8 septembre 2018. RMC — L’homéopathie n’est pas une médecine sérieuse. La Sécu ne devrait plus rembourser les traitements homéopathiques

L’animateur Eric Brunet commence en disant qu’il s’est déjà soigné avec de l’homéopathie, puis qu’il s’est documenté au cours de la polémique : « je suis tombé de l’armoire ». D’où le titre qui reflète son opinion. Nous assistons à un débat agressif, bruyant et désordonné où Pierre de Brémond d’Ars, signataire de la tribune, peine à finir ses phrases, sans cesse coupé dans ses explications par Marie Andrée Auquier, médecin homéopathe, notamment sur EPI3. Pierre Brémond d’Ars explique l’importance des effets contextuels, verdict de Brunet : « on comprend rien à ce que vous dites ».

L’absence de preuve scientifique est rappelé et admis par l’homéopathe, mais elle enchaîne « Moi, je suis médecin, je vois juste ce qui marche. Du temps de Galilée, on était gêné quand même par l’héliocentrisme par rapport au géocentrisme. Evidemment qu’on n’a pas encore de preuve. » L’homéopathe oublie, ignore ou cherche à nier que le métier qui permet d’établir si un traitement marche, ce n’est pas celui de médecin, mais bien celui d’épidémiologiste.

L’avis de l’animateur occupe une partie conséquente du temps d’antenne. Dans cette émission, c’est peu préjudiciable puisque son avis est conforme à l’état des connaissances scientifiques.


10 septembre. Journal International de Medecine — Homéopathie : les doyens appellent à la « rigueur » et en même temps à « l’ouverture d’esprit »

La Conférence des Présidents d’Université, la Conférence des Doyens des Facultés de Médecine et la Conférence des Doyens des Facultés de Pharmacie demandent « la mise en place d’un observatoire universitaire des médecines alternatives et intégratives qui puisse non seulement faire un inventaire précis de l’offre de formation et de recherche mais aussi travailler pour comprendre les déterminants psychosociaux qui font leur succès » et recommandent que ces formations « soient encadrées et réalisées par des enseignants universitaires en Santé et en toute transparence quand il peut exister un lien d’intérêt »

 « Les Conférences souhaitent donc assumer leur responsabilité universitaire en assurant avec rigueur et ouverture d’esprit la formation initiale et continue de leurs étudiants et de nos médecins et pharmaciens, en leur donnant une vision moderne et critique, mais toujours humaniste et en lien avec les réalités de terrain, des connaissances dans tous les domaines utiles à la prise en charge de nos patients ».

Quelques heures plus tard, le vice-doyen de la faculté d’Angers postait ce message sur les réseaux sociaux : « Juste un petit mot pour vous annoncer que la Fac d’Angers supprime définitivement le DU d’homéopathie »…


10 septembre. France Info — Plusieurs doyens de facultés en faveur de l’enseignement de l’homéopathie

Titre trompeur, puisque que les conférences des Présidents d’Université, des Doyens de faculté de médecine et de facultés de pharmacie ne demandent pas spécifiquement qu’on enseigne les pratiques de soin non conventionnelles, mais surtout qu’on enseigne sur ces pratiques.


10 septembre. Le Quotidien du médecin — Homéopathie : les internes ouvrent le débat mais ne cosignent pas la tribune anti-fake médecines

L’ISNI ne cosignera pas la fameuse tribune des 124, mais ouvre un débat interne et « se laisse du temps pour réfléchir sur ce sujet très compliqué », annonce son président Jean-Baptiste Bonnet.

« L’ISNI (Intersyndicale nationale des internes) salue le rôle de lanceur d’alerte des signataires de la tribune : l’ouverture d’un débat sur les thérapies complémentaires et leur remboursement était nécessaire. Mais l’ISNI considère qu’il n’est pas de son rôle institutionnel de cosigner cette tribune et souhaite plutôt ouvrir une commission interne de réflexion sur le sujet. », explique Jean Baptiste Bonnet au « Quotidien »

Le collectif « FakeMed », fondé après la publication de la tribune avait adressé en aout un courrier aux structures d’étudiants (ANEMF), d’internes (ISNAR-IMG, ISNI) et de chefs de clinique (ISNCCA), afin qu’ils se joignent à sa démarche en faveur d’une médecine basée sur les preuves : « Nous souhaiterions que les jeunes médecins s’emparent avec nous de ce débat en faveur d’une médecine scientifique et indépendanteNous souhaiterions pouvoir peser auprès des instances universitaires et des doyens, afin de les inciter à prendre position pour refuser d’accueillir des formations, diplômes et congrès sans aucune base scientifique. (… ) Comme vous pouvez le constater au sein de vos stages et de votre propre expérience professionnelle, la remise en question de notre exercice par des pratiques obscurantistes est permanente. Qu’il s’agisse de lutter contre les recommandations vaccinales, de l’arrêt de certaines chimiothérapies ou traitements indispensables… Cet esprit anti-scientifique prend de nombreuses formes. » 


11 septembre. France Bleu — Homéopathie déremboursée ? Et pourtant ça fonctionne chez les agriculteurs de la Manche.

Le titre annonce la couleur d’un article-catastrophe. On interview Elisabeth Fleury, médecin généraliste et homéopathe depuis plus de trente ans à Cherbourg. « Il y a 56% de français qui y ont recours régulièrement, il y a des consultations dans les hôpitaux. Si c’était une médecine inefficace, ça fait longtemps qu’elle aurait disparu. »

La journaliste adopte totalement ce point de vue et en rajoute dans le soupçon : « Et c’est peut-être parce qu’elle attire de plus en plus que l’homéopathie effraie l’industrie pharmaceutique traditionnelle. »

On nous explique que les homéopathes prescrivent moins d’antibiotiques, moins d’anti-inflammatoires, moins de psychotropes, ce qui est vrai, mais ne signifie pas que les patients sont mieux soignés. Puis on nous dit qu’un éleveur a choisi de faire confiance à l’homéopathie qui lui a permis de « sauver une bonne partie de son cheptel » toujours selon les mots de la journaliste qui, plus loin, ne met aucune distance entre son texte et la citation « en plus de soigner, l’homéopathie renforce les défenses immunitaires, c’est donc très efficace pour empêcher les récidives » d’Olivier Dossier, le vétérinaire de l’éleveur. Avant de conclure « Et cerise sur le gâteau, c’est aussi moins cher. »


12 septembre. Le Quotidien du médecin — Homéopathie : visés par des plaintes disciplinaires, les médecins anti-« fake med » entre colère et incompréhension

Le Dr Pierre-Marc Lallemand, cardiologue au CHU d’Amiens : « La tribune ne visait pas les médecins eux-mêmes mais une pratique ! Nous demandons seulement aux médecins de se référer à des pratiques éprouvées par la science comme l’a prévu le code de déontologie. »

Quant au Dr Charles Bentz : « Nous n’avons aucune intention de discuter sur le fond. »


14 septembre. Science et avenir — Évaluation de l’homéopathie: la Haute autorité de santé peaufine sa méthode

Dominique Le Guludec, présidente de la HAS : « Nous travaillons sur la méthode. Nous nous baserons sur les données de la science, des avis de spécialistes et de patients. ( …) très peu d’agences en Europe l’ont évaluée. Les Anglais l’ont évaluée, et ils l’ont déremboursée. »


18 septembre. Le Populaire — Débat sur l’homéopathie : un médecin de Brive sous le coup d’une plainte

Le docteur Romain Abela explique que la tribune va au-delà du seul problème de l’homéopathie pour questionner l’ensemble des pratiques non fondées sur des preuves scientifiques : « Dans mon cabinet, certaines situations m’ont mis hors de moi. Un patient avait stoppé son traitement contre la sclérose en plaques parce que son naturopathe lui avait conseillé de plutôt arrêter le lactose. Un autre était allé se faire manipuler chez l’ostéopathe alors qu’il avait une métastase sur la colonne vertébrale. »

À l’évocation des lobbys pharmaceutiques que certains imaginent à la manœuvre :« Si vous vérifiez sur la base Transparence santé [base de données publique du ministère de la Santé, qui recense les liens d’intérêt entre entreprises et professionnels de santé], vous verrez qu’aucun laboratoire ne m’a payé un seul repas. Je ne reçois pas de visiteur médical et je paie mes formations moi-même. J’ai l’esprit tranquille. Mon seul but est d’informer les patients et de les mettre en garde. »


18 septembre. Le Monde annonce la tenue d’un débat sur le sujet le 6 octobre.

L’annonce se fait dans un tweett « Quand des médecins persuadés de détenir cette vérité s’en prennent à d’autres médecins qui estiment leurs pratiques bénéfiques à leurs patients, que doit penser le citoyen, qui peut-il croire ? »

On rencontre ici un problème de cadrage. « persuadés de détenir cette vérité » véhicule l’image d’exaltés extrémistes qu’il est impossible de raisonner… d’autant qu’ils « s’en prennent à d’autres médecins » et sont donc dans l’agression. Le choix des mots d’un grand journal ne saurait être innocent, et sans nécessairement suspecter une tentative de manipulation de l’opinion, on peut au moins suspecter que la conviction de l’auteur transpire dans ce tweet qui, sans doute, se voulait neutre, mais échoue à l’être. Après avoir suscité quelques réactions, le tweet est rapidement retiré.


21 septembre. Le Monde — Efficacité de l’homéopathie : que dit la science ?

Très bon article de synthèse sur l’histoire de l’homéopathie et la confiance qu’on peut accorder à ses prétentions.


24 septembre. France Inter — Questions politiques. Agnès Buzyn

Dans cette émission de radio, nous assistons à un spectacle proprement renversant où une femme politique fait de la pédagogie scientifique tandis que les journalistes dégainent des sophismes.

Ministre Agnès Buzyn : « La question est celle-ci : faut-il continuer à rembourser à 30% l’homéopathie alors que tous les médicaments aujourd’hui remboursés sont évalués pour leur efficacité ? J’ai simplement demandé à la haute autorité qu’elle évalue l’homéopathie comme n’importe quel médicament remboursé par la solidarité nationale. Si c’est efficace cela continuera à être remboursé, si la HAS dit qu’il n’y a pas de aucune preuve scientifique cela ne sera plus remboursé.

Journaliste Ali Baddou : « Mais enfin combien de milliards de personne ont recours à l’homéopathie, regardez ce qui se passe en Asie, en Chine, en Inde par exemple, Agnès Buzyn ! »

La ministre ne s’attarde pas sur cet appel à la popularité (= si tout le monde le fait c’est que c’est bien) et explique que l’utilisation de l’homéopathie ne sera pas interdite. Elle concède même que, dans certains cas, cela limite le recours à des médicaments inutiles et dangereux. Mais les journalistes reviennent à l’assaut

Journaliste Nathalie Saint-Cricq : « Vous croyez que c’est du placebo ce qu’il se passe en Inde, en Chine, c’est-à-dire que c’est juste la psychologie, les gens croient que c’est bien et puis… (…) Manifestement il y a une sorte de sagesse ancienne dans un certain nombre de civilisations. En Inde c’est une prescription qui est majeure. En Chine aussi. Je ne veux pas être obsédée par la Chine et l’Inde. Pensez-vous que c’est juste du pipeau absolu. »

Journaliste Ali Baddou : « Vous, vous faites confiance à la chimie »

Ministre : « Je suis incroyablement rationnelle, je crois en la science et donc je crois en la preuve scientifique. »

Journaliste Carine Bécard : « Vous avez tendance à pousser les français à avoir une démarche plus préventive par rapport à leur santé plus que curative, or les médecines parallèles que ce soit l’homéopathie ou d’autres choses… la réflexologie, l’ostéopathie on est vraiment là dans la culture du préventif, donc vous devriez encourager ça. »

Ministre : « Pour moi ce n’est pas ça la prévention. En prévention aussi, il y a des choses qui marchent. La réflexologie je ne sais même si c’est de la médecine, je ne crois pas d’ailleurs. La prévention c’est lutter contre le tabac, contre l’alcool, c’est la vaccination, c’est la pratique de l’activité physique. »


22 Septembre. Atlantico — Homéopathie : peut-on vraiment s’en remettre à la justice pour trancher des débats scientifiques ?

Dans cet article, Vincent Laget analyse la stratégie des homéopathes « Ils cherchent à obtenir par les tribunaux ce que la science leur refuse, afin de cautionner leur idéologie auprès du grand public. Ce qui n’est pas sans poser un sérieux problème quant à la recherche de la vérité et in fine, quant au fonctionnement normal de notre démocratie en interdisant tout débat sur le fond… »

Cette stratégie procédurale est choisie par les psychanalystes qui en 2012 ont attaqué Sophie Robert pour son film « Le Mur, la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme », par Gilles-Eric Séralini, auteur d’une étude discréditée sur les effets cancérigènes des OGM sur le rat qui a poursuivi en 2010 Marc Fellous, président de l’Association Française des Biotechnologies Végétales, ou par Stéphane Edouard, le prétendu « expert » de l’émission Marié au premier regard de M6 qui en 2018 attaque le sociologue Jean-Paul Kauffman pour avoir qualifié d’«arnaque» ses «thèses scientifiques».


24 septembre. Santé magazine — Homéopathie : un non-débat pour les scientifiques.

Rappel historique et de l’état des connaissances scientifique.


24 septembre. France Info — « Boiron, c’est plus qu’un monopole » : comment le laboratoire français règne sur l’homéopathie.

Le journaliste révèle la stratégie de Boiron dans la polémique : « On n’a pas à se prononcer publiquement. La minorité des médecins qui s’exprime ne connaît pas cette thérapeutique et attaque l’homéopathie de manière aveugle. » et des témoignages sur le statut de l’entreprise française « C’est plus qu’un monopole, c’est une identification totale à l’homéopathie : Boiron c’est l’homéopathie, et l’homéopathie c’est Boiron » selon Bernard Bégaud, pharmaco-épidémiologiste. « Boiron, c’est comme Google : on n’y peut rien », pour une gynécologue homéopathe à Paris.

Boiron possède deux centres de formation, l’un destiné aux médecins, le CEDH, l’autre aux pharmaciens, le CDFH, sans que les liens avec le laboratoire ne soient clairement affichés.

Face à la polémique l’article nous apprend que Boiron travaille en coulisse avec les autres fabricants français Weleda et Lehning pour se fédérer autour d’une stratégie commune.


26 septembre. Europe 1 — Homéopathie : le budget de la Sécu ouvre la porte au déremboursement

« Les « règles de prise en charge » des médicaments homéopathiques, c’est-à-dire les conditions dans lesquelles ils seront « admis ou exclus » du remboursement par l’Assurance maladie, seront bientôt définies par un décret, selon le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2019. »

L’information confirme la position vers laquelle le ministère s’est progressivement déplacé : avoir envers les produits homéopathique la même exigence qu’envers n’importe quel produit prétendant être un médicament.


28 septembre. Le Figaro — L’Espagne veut que l’Europe retire à l’homéopathie le statut de médicament

(Pas accès à l’article entier)


28 septembre. Le Monde — « Laissons les homéopathes trouver les moyens d’explorer les raisons de leur bonheur »

Détail amusant : le titre initial de cet article de Philippe Pignarre est visible dans l’adresse de la page web « La croisade des labos contre l’homéopathie ».

Cette tribune d’opinion est un catastrophique exercice de confusionnisme. L’article commence par le sophisme de la double faute en signalant l’existence de nombreux médicaments épinglés pour leur balance bénéfice-risque insatisfaisante, pour en conclure qu’il ne faut pas s’en prendre aux remèdes homéopathiques, qui « eux, au moins, ne présentent pas de danger. » L’essentiel de l’article restera sur ce registre, c’est ce qu’on appelle du « whataboutisme » : au lieu de répondre sur l’efficacité de l’homéopathie, le monsieur dit « et est-ce qu’on nous parle des magouilles des labos, hein ? Et puis est-ce qu’on vous dit que les médicaments, en fait, des fois c’est dangereux ? Et cetera. »

« Le plus important pourrait cependant ne pas être là, mais bien plutôt dans cette sorte de rage que déclenche tout ce qui échapperait à « la science ». Car, n’en doutez pas, les médicaments, c’est de la science ! La preuve ? Ils ont été testés contre un placebo ou un médicament dit de référence. Double bénéfice de cet argument : 1. les médicaments ne posent pas de problèmes (oubliées les affaires à répétition comme celles du Mediator) ; 2. on sait pourquoi les remèdes homéopathiques marchent : c’est « l’effet placebo » »

Une accusation implicite de scientisme est lancée contre les critiques de l’homéopathie. Elle est bien sûr invalide, car ceux qui montrent que certains médicaments posent problème le font… avec la méthode scientifique. L’auteur reviendra plus tard sur l’effet placebo, nous en reparlerons à ce moment-là.

« Dès qu’on y regarde d’un peu plus près, les choses se compliquent sacrément. Les études comparatives en double aveugle (contre placebo ou médicament de référence) me semblent justement être la démonstration qu’on n’est pas vraiment dans ce qui mériterait le nom de science. Si notre connaissance de la biologie du corps humain était ce que les naïfs (les vrais) croient, on n’aurait pas besoin de recourir à cette misérable procédure empirique.

On saurait pour des raisons « scientifiques » pourquoi un médicament ne peut qu’être efficace. Allons plus loin : on n’a, en général, que des hypothèses sur les raisons pour lesquelles un médicament « marche ». Le plus souvent, c’est par hasard que l’on s’est aperçu que telle molécule produisait tel effet. Et la plupart des nouvelles molécules sont testées sur des modèles animaux en tentant de retrouver un effet produit par des médicaments déjà utilisés. »

Le sophisme suivant est la « solution parfaite » : puisque la science ne nous donne pas une vision totale des mécanismes en jeu, alors nous serions dans l’impossibilité de critiquer l’homéopathie. C’est totalement faux. Bien évidemment les expérimentations scientifiques ne nous fournissent pas une connaissance totale des effets d’un médicament sur l’organisme en toutes circonstances, notre connaissance est incomplète. Mais nous ne sommes pas condamnés à l’ignorance, et les immenses efforts consentis dans la recherche scientifique nous fournissent les réponses les plus fiables dont nous puissions disposer. Etant entendu qu’il nous faudrait accepter de changer d’opinion si des preuves étaient apportées qu’on se trompe. Si l’auteur, monsieur Pignarre, avait raison et qu’on prétendait qu’une fois le médicament sur le marché, on « sait » exactement ce qu’il fait, il n’y aurait aucun programme de pharmacovigilance, car nous n’en aurions pas besoin. C’est bien parce que l’on sait que l’on ne sait pas tout que l’on surveille les médicaments.

« Le cri de rage, « c’est l’effet placebo », vient toujours couronner l’appel la guerre. Mais qu’est-ce que l’effet Placebo ? C’est l’effet « blouse blanche » nous disent les bouffis d’orgueil qui croient ajouter ainsi à leur compétence scientifique l’aura du guérisseur, pourtant persécuté deuis le temps des sorcières jetées au bûcher. C’est l’effet « symbolique » disent les férus de psychanalyse, sans élaborer beaucoup plus. Avez-vous déjà entendu un patient dire : « J’ai été guéri par l’effet placebo » ? Evidemment non. Le vocable est dévalorisant. Il abaisse le patient (ce naïf) et élève celui qui l’emploie.

Bref, constatons-le, on ne sait pas ce qu’est « l’effet placebo », sinon que cela revient à guérir « pour de mauvaises raisons » ! Mais si l’on ne sait pas ce qu’est l’effet placebo, alors on ne sait pas ce qui peut le « minimiser » ou le « maximiser », comme le faisait déjà remarquer, il y a longtemps, le philosophe François Dagognet. »

Il n’y a rien de dévalorisant envers les patients dans le concept de placebo et d’effets contextuels, mais c’est bien monsieur Pignarre qui exprime son profond mépris pour ces effets scientifiquement démontrés et décrits (lui qui prétends faussement qu’on se saurait pas ce que c’est) et dénigre les personnes qui bénéficieraient d’effets non liés à une efficacité des granules homéopathiques. Personne n’a évidemment jamais pensé qu’il y aurait de « mauvaises raisons » de guérir.

« Les études contre placebo, dites en double aveugle, sont aujourd’hui présentées comme le nec plus ultra de la démarche scientifique dans un nombre croissant de domaines (des médicaments à la psychanalyse en passant par les électrosensibles). C’est une illusion : elles signent plutôt notre incapacité à explorer positivement les raisons pour lesquelles les patients cherchent, par exemple avec l’homéopathie, à guérir. Elles sont le symptôme de nos ignorances scientifiques.

Laissons les homéopathes et ceux qui sont satisfaits de leurs remèdes trouver les moyens d’explorer les raisons de leur bonheur. Ce n’est pas en leur déclarant la guerre qu’on les aidera à le faire de façon intelligente et créative. »

Pour finir, l’auteur confesse sa propre ignorance en niant l’existence de travaux sur les raisons pour lesquelles les patients se tournent vers l’homéopathie (une question importante, du reste). Ce texte obscurantiste cherche à disqualifier la parole scientifique et l’analyse méthodique des allégations des homéopathes, et leur comparaison avec la réalité des effets obtenus. Parce que ne disposons pas d’un moyen plus fiable de distinguer les traitements fiables des illusions, nous ne devons pas accepter de nous en séparer.


28 septembre. Le Figaro — Attaqués devant l’ordre des médecins, les «124» s’associent.

Une soixantaine de signataires sont déjà poursuivis devant l’ordre des médecins pour «non-confraternité et non-respect du code de déontologie». Pour se défendre, les auteurs de la tribune ont créé une association, le Collectif FakeMed.


11 octobre. France Info — Homéopathie : quand les médecins s’entredéchirent

D’abord une présentation honnête de la position des 124. La parole est ensuite donnée à une homéopathe, le Dr Laville qui justifie la plainte en non-confraternité « Entre médecins, on ne se traite pas de charlatans. Manifestement ces médecins n’étaient pas au courant que l’option thérapeutique qu’est l’homéopathie est pratiquée en France par des prescripteurs qui sont légalement autorisé, qui travaillent dans un cadre déontologique et règlementaire qui est le même que le leur. » Les 124 sont en réalité parfaitement conscient de cela, et ils rappellent justement les devoirs qu’exigent la déontologie et la dérogation réglementaire dont jouissent injustement les produits homéopathiques

Le sujet donne ensuite la parole à une maman, comme si le témoignage anecdotique d’une personne « convaincue que ça nous a aidé » constituait une information pertinente pour se faire un avis.


26 octobre. Le Figaro — «L’homéopathie face à ses accusateurs»

Tribune de Charles Bentz, président du SNMHF, pour défendre l’homéopathie (et son remboursement) contre la critique de la tribune des 124. « On ne peut qu’être choqué par le ton et la virulence des signataires. » dit-il dans une attaque de la forme des critiques formulées. Il poursuit avec l’habituel appel à la popularité : « La démarche, particulièrement regrettable, va à l’encontre des 30 millions de français et des 20 000 médecins généralistes qui utilisent, prescrivent des traitements homéopathiques. »

« Sur le fond du débat nous souhaitons répondre à deux points précis. » écrit C Bentz qui revient donc sur une précédente déclaration selon laquelle il ne souhaitait pas débattre du fond. Il évoque d’abord l’aspect économique.

« Oui certains médicaments homéopathiques sont remboursables par l’Assurance maladie à hauteur de 30%. Mais leur remboursement a représenté… 0,29 % seulement des remboursements de médicaments en 2016. Ce coût, minime, démontre que l’argument financier de ceux qui s’attaquent aveuglément à l’homéopathie ne tient pas. »

En réalité ce coût représente des dizaines de millions d’euros, et il n’est certainement pas « minime » pour tout le monde. Mais surtout, la rhétorique de Charles Bentz consiste à dire qu’il est inutile de faire de petites économies. Notons l’ad hominem coutumier des critiques repeints en individus qui « s’attaquent aveuglément ».

Ensuite, Charles Bentz tente d’affirmer que l’homéopathie a une efficacité démontrée.

 « … ces travaux, notamment en recherche fondamentale, qui ont permis de démontrer à plusieurs reprises que les hautes dilutions ont bien une activité propre. » (En réalité il n’en est rien, il suffit de se documenter sur l’état des connaissances scientifiques)

« Le programme de recherche EPI3, supervisé par un comité scientifique strictement indépendant et réalisé auprès de 825 médecins et 8559 patients sur un an, a fait l’objet de 12 publications dans des revues scientifiques de références entre 2011 et 2016. (…)Les médecins généralistes formés en homéopathie traitent leurs patients, à niveau de sévérité égal, avec un bénéfice clinique comparable tout en ayant recours (…) à moins de médicaments comportant des effets indésirables. »

Charles Bentz déploie ici une forme d’intimidation par les chiffres, comme si EPI3 prouvait quelque chose. Financé par Boiron, le programme EPI3 ne fournit aucune preuve d’efficacité des remèdes homéopathiques.

 « Etant établi que les médicaments homéopathiques sont utiles et sans risque, nous souhaitons qu’ils restent remboursables. (…) Les signataires de la tribune, membres du collectif « Fake Medecine », commettent deux erreurs majeures en creusant encore un peu plus le fossé entre la population et le corps médical. La première est de prendre de haut les patients en leur expliquant qu’ils agissent de manière irrationnelle lorsqu’ils se soignent avec des médicaments homéopathiques. »

Nous avons ici un sophisme de l’homme de paille ; les critiques ne disent rien des propos qui leur sont prêtés. Monsieur Bentz joue ici la victime. On peut admettre en première approximation que les patients sont globalement aussi rationnels (et donc aussi irrationnels) les uns que les autres : ils font généralement le choix délibéré et raisonnable de se fier à leur médecin, à l’autorité du titre de docteur en médecine. L’erreur, quand elle existe, est d’abord imputable au professionnel qui s’informe mal, souhaite rester ignorant de l’état des connaissances, voire nie les résultats de la science, comme c’est le cas d’un personnage médiatique comme Charles Bentz qui ne peut prétendre ignorer les arguments qui lui sont adressés.

 « La deuxième erreur est de s’ériger en gardiens d’une « vraie médecine » reposant sur une « vraie science » face aux prétendus disciples de pratiques ésotériques. (…) la médecine n’est toujours pas une science dure, parfaite et encore loin un champ de connaissances monolithiques. Qui peut s’arroger le droit d’exclure a priori une approche thérapeutique quelle qu’elle soit, sans considération de l’avis de nombre de professionnels de santé et surtout des premiers intéressés, les patients ? »

Avec ce sophisme, Charles Bentz veut faire passer la conclusion d’un immense travail scientifique testant depuis des décennies les allégations thérapeutiques de l’homéopathie pour un simple « a priori » négatif, ce qui constitue un pur négationnisme scientifique, une posture totalement incompatible avec le serment d’Hippocrate qui exige que le praticien soit à jour des connaissances médicales.

Cette tribune est très intéressante en cela qu’elle condense en un seul texte l’ensemble de la rhétorique fallacieuse qui constitue l’essentiel de l’argumentaire pro-homéopathie. Une fois que l’on voit clair dans la manœuvre rhétorique, se forger une opinion sur le sérieux et l’honnêteté des défenseurs de l’homéopathie n’est plus une tâche très difficile.


31 octobre 2018. The Local — « Spain wages war on dubious homeopathy meds »

Le ministère de la santé espagnol a décidé de mettre l’homéopathie en conformité avec les règlementations sur les produits de santé.  Parmi les plus de 15000 préparations homéopathiques commercialisées, la grande majorité ne pourra plus être vendue en Espagne. Le ministère a retenu les 2008 remèdes qui ont fait l’objet d’une demande d’accréditation par leurs fabricants, mais en exigeant que soient fournies des preuves scientifiques d’efficacité. La grande majorité de ces 2008 remèdes ont été enregistrés sans indication thérapeutique. À ce jour les fabricants pourront tenter de défendre l’efficacité de… 12 produits.


9 novembre. Le point — Homéopathie : les Français plébiscitent son remboursement

Un sondage Ipsos paru dans « Le Parisien » indique que 3 Français sur 4 sont opposés à l’arrêt du remboursement de l’homéopathie par la Sécurité Sociale. « Les patients ne viennent pas par croyance, mais bien parce que ça les soigne », affirme Christine Bertin-Belot, médecin homéopathe.

La question jamais adressée par les homéopathes est : comment les patients savent-ils que les remèdes les soignent ? S’ils ne disposent pas d’une méthode objective, force est d’admettre qu’alors ils sont dans la croyance, comme nous le sommes tous sur les sujets où nous ne sommes ni experts ni à jour des connaissances des experts.


9 novembre. Le Parisien — Quand les sportifs défendent l’homéopathie.

Pour accompagner son sondage, « Le Parisien » choisit de donner la parole à des sportifs : Camille Lacourt et Christine Arron. L’article a tout de la campagne de communication pro-homéopathie. Les sportifs sont des ambassadeurs de choix, souvent embauchés dans les publicités pour vanter les mérites de produits en lien avec l’alimentation, le corps, le bien être. Leur statut de champion ne les rend pas experts des effets de l’homéopathie, par conséquent leur témoignage ne peut objectivement rien apporter de plus qu’un capital symbolique de type publicitaire, même si aucun d’eux n’est payé par les fabricants pour le faire.

Christine Arron souhaite « défendre une homéopathie qui permet d’éviter de prendre des médicaments plus chimiques », et la journaliste Florence Méréo ne juge pas utile de discuter la pertinence du mot « chimique » dans une telle phrase.


27 Novembre. Le Monde — #Nofakemed : pourquoi cette croisade de professionnels de santé contre l’homéopathie ?

L’article rappelle l’insuccès des précédentes tentatives de critiquer la place de l’homéopathie en France. (pas accès à la totalité de l’article)


4 décembre. L’Express — Homéopathie: « Il faut dérembourser »

Comme une réponse du monde de la recherche scientifique à celui de la pratique médicale, 131 membres des Académies de science, de médecine et de pharmacie publient une tribune dont le message clair et net tient dans son titre acéré.

« Dans le débat actuel sur l’homéopathie et son évaluation demandée par le gouvernement à la Haute Autorité de santé (HAS), nous, académiciens, estimons qu’il est de notre devoir de professionnels de santé et de scientifiques d’informer les patients.

Non, l’homéopathie n’est pas un médicament actif, même si elle bénéficie d’une autorisation de mise sur le marché et d’un remboursement. Un état de fait injustifié, car l’homéopathie, contrairement aux autres médicaments, n’a pas fait la preuve de son efficacité sur la base de démonstrations vérifiables et objectives reconnues par la communauté scientifique internationale. 

Non, les produits homéopathiques ne peuvent plus continuer à entretenir le flou sur leur composition, qui doit être indiquée sur leur conditionnement (quantité de préparations actives et excipients). De même, leurs indications doivent être précisées. 

Non, l’homéopathie n’est pas plus efficace qu’un autre placebo, comme l’ont démontré toutes les études. Cet argument mis en avant pour justifier son « efficacité » démontre seulement qu’un granule de sucre peut faire de l’effet si le patient y croit et fait confiance à son médecin.

Non, l’homéopathie n’est pas forcément inoffensive. Si un produit à base d’eau et de sucre ne peut évidemment pas faire de mal, il peut faire perdre du temps, voire mettre la vie en péril en cas de maladie aiguë ou chronique dont le traitement ne peut pas attendre.

Non, l’homéopathie ne saurait invoquer un effet thérapeutique. Sa publicité se fonde trop souvent sur de simples allégations. Ainsi, contrairement à certaines des affirmations de ses promoteurs, l’homéopathie ne prévient pas les états grippaux, et il n’existe pas de « vaccin » homéopathique, comme a dû le rappeler l’Agence nationale de sécurité du médicament en 2016.

Non, l’homéopathie ne doit plus être enseignée dans les facultés de médecine et de pharmacie, qui se discréditent en cautionnant une doctrine restée en marge de la science.

Non, l’homéopathie ne coûte pas moins cher à la collectivité que la médecine conventionnelle. Une récente étude internationale[11] démontre même que les patients soignés à l’homéopathie coûtent en réalité 20 % de plus aux assurances sociales. 

En conséquence, nous estimons que le débat autour de l’efficacité de l’homéopathie qui perdure dans l’opinion publique n’a pas lieu d’être dans la communauté scientifique, comme l’a solennellement déclaré le Conseil consultatif des académies des sciences européennes. Nous réfutons le terme de « médicament » pour un produit qui ne fait pas la démonstration de son efficacité. Nous contestons donc son remboursement par la collectivité nationale. »


6 décembre 2018. Sud Ouest — Homéopathie : l’avis de la Haute autorité de santé repoussé au printemps

Initialement prévue fin février, la publication du rapport de la HAS est reportée au printemps.


À partir de décembre on assiste à ce qui ressemble une campagne de communication sur le net avec un tir groupé de contenus qui relèvent de la propagande pro-homéopathie sur Top Santé, Doctissimo et Cosmopolitan. D’autres articles du même calibre suivront en janvier… Puis viendra la pétition « Mon Homéo Mon Choix » largement diffusée par les fabricants et les médecins d’orientation homéopathique.


14 décembre. Top Santé — L’homéopathie, ma solution contre la grippe

Article de propagande.

« Il existe une préparation homéopathique qui permet de traiter tous les symptômes de l’état grippal avec un seul produit : • Oscillococcinum® »


17 décembre 2018. Doctissimo — Sevrage tabagique : et si vous essayiez l’homéopathie ?

Article de propagande pour les différents remèdes employés pour le sevrage du tagabisme.

« Souvent, deux séances suffisent pour arrêter de fumer. » assure le médecin homéopathe questionné… le Dr Florence Paturel.

En fin d’article, la conclusion effarante permet de se dédouaner de toutes conséquences négatives :

« Tout comme l’acupuncture ou l’auriculothérapie, l’homéopathie n’a pas démontré scientifiquement son intérêt dans le cadre d’un sevrage tabagique. Néanmoins, ces techniques étant dénuée d’effets secondaires majeurs, vous pouvez utiliser ces méthodes sans risque. Néanmoins, si cette prise en charge ne réussit pas, une prise en charge à l’efficacité prouvée pourra vous être proposée. »


21 décembre 2018. Cosmopolitan — Tout savoir sur l’homéopathie

Article de propagande pro-homéopathie.

« L’homéopathie aujourd’hui est incontournable. Elle est pratiquée en France bien sûr, d’autant que la fabrication des médicaments homéopathiques est dominée par deux leaders mondiaux qui sont français : Boiron et Pierre Fabre. Cocorico !

N’empêche que l’on pratique l’homéopathie dans près de 100 pays dans le monde. Ces derniers temps, beaucoup de médicaments allopathiques ont été retirés du marché et sont de moins en moins remboursés, voire pas du tout remboursés.

En cause : leur toxicité, voire leur inefficacité. Du coup, l’homéopathie y gagne d’autant plus qu’elle a l’immense avantage d’être sans danger pour la santé ! »


27 décembre 2018. HuffPost — Comment les médicaments homéopathiques sont-ils fabriqués?

Explication des dilutions fantastiques utilisées.


10 janvier 2019. Communique de presse du Collège National des Généralistes Enseignants.

« Il est temps de dérembourser les médicaments homéopathiques. Il est temps que l’homéopathie sorte du champ universitaire.

(…)

Elle vient en opposition avec tout le courant moderne et important de la médecine générale qui promeut les approches non médica­menteuses, les démarches d’éducation, d’autonomisation du patient, et le travail sur les changements d’habitude et de comportement, indispensables pour suivre des patients présentant des situations complexes, parfois fonctionnelles. »

10 janvier 2019. Le Quotidien du Médecin — Méthodes « ésotériques », pratique « mystérieuse » : il est temps de dérembourser l’homéopathie et de la sortir de l’Université, réclame le CNGE

« le Collège national des généralistes enseignants (CNGE) appelle officiellement ce jeudi à « dérembourser » les médicaments homéopathiques et à bouter l’homéopathie hors du champ universitaire ! »

Le Pr Vincent Renard, président du CNGE, se veut très clair. « Une fois que l’on a démontré que l’homéopathie n’avait pas de fondement scientifique, il faut arrêter de l’enseigner. Sinon, pourquoi ne pas alors enseigner le tarot ou la voyance en médecine ? »


10 janvier 2019. 20 minutes — Homéopathie: Des généralistes demandent l’arrêt du remboursement de cette médecine alternative

Même information sur le communiqué du CNGE


15 janvier 2019. Le Quotidien du Médecin — Homéopathie, bientôt la fin ? Documentaire et débat ce mardi soir sur France 5, en pleine querelle médicale

Annonce d’une émission sur le sujet de l’homéopathie, et citation du Syndicat national des médecins homéopathes français, qui regretté le manque de « sérénité » dans les débats. L’organisation « regrette que certaines instances mettent à profit cette période pour exercer des pressions sur [la HAS], plutôt que de contribuer à un débat dépassionné qui tienne compte des pratiques médicales et de la liberté de choix des patients ».


15 janvier. France Soir — Grippe: l’homéopathie est-t-elle efficace pour le traitement ou la prévention?

Mise en garde contre la croyance en un « vaccin homéopathique contre la grippe »


19 janvier 2019. Challenge — Malgré les moqueries, l’homéopathie se porte bien en France

L’article se penche sur les stratégies qui &assurent le succès des produits de « santé naturelle »

Plus que la R&D, l’avenir de ces produits repose sur le marketing. Sur le terrain, le patron d’un réseau de pharmacies confirme : « Voilà des années que ces laboratoires orientent leur offre sur les spécialités de marque, pour la mise en avant comme pour négocier leurs conditions commerciales. »


21 janvier. France Inter — Pourquoi l’homéopathie attire de plus en plus les Français ?

L’article utilise le terme allopathie pour décrire la médecine conventionnelle puis prend partie curieusement : « Dire que l’homéopathie est un placebo est dangereux, surtout pour l’efficacité de la pratique. »

« Les patients convaincus ont tous des témoignages de guérison, dans les allergies par exemple. Une étude suisse a démontré qu’elle est plus efficace qu’un placebo sur la dépression. Donc en Suisse, c’est remboursé. »

À la question du danger de l’homéopathie, l’article répond avec candeur : « En France, les homéopathes sont des médecins. Ils sont formés comme les autres avec en plus une spécialisation en homéopathie, ils sont capables de ne pas passer à côté d’une maladie grave… »

Un très mauvais travail de journalisme.


24 janvier 2019. La Tribune — « Les fake news contre l’homéopathie et Boiron, ça suffit ! « , Valérie Poinsot (Laboratoires Boiron)

La nouvelle directrice de Boiron contre-attaque.

Chantage à l’emploi, prétentions à assurer un service à bas coût (avec toujours cette fameuse étude EPI3)… les sophismes dégainés sont analysés dans ce billet.


25 janvier. AlternativeSante.fr — L’homéopathie marche très bien, les preuves sont là

Pour cet article de propagande, l’efficacité de l’homéopathie serait un « mystère qui pose problème aux « scientistes purs ». » L’article cite l’étude EPI3 et c’est dommage car cette étude ne « prouve » aucunement l’efficacité de l’homéopathie. Il parle aussi du coût réduit de l’homéopathie, mais sans fournir de source.


25 janvier. France Culture — La nécessaire remise en question de l’homéopathie

Explication de l’origine de l’homéopathie et des limites de ses concepts et de sa nature purement placebo.

« Une chronique de Ludivine Vendé, enregistrée en février 2018, produite par le Labo des savoirs. »


30 janvier 2019. Figaro Santé — Remboursement de l’homéopathie: une décision de la Haute Autorité de santé très attendue

La HAS reporte la publication de son rapport. L’article souligne une difficulté dans sa mission :

« Pour se prononcer sur le service médical rendu par les produits qu’elle évalue, la commission, composée d’experts indépendants, doit en effet se fonder sur la gravité de la pathologie visée et l’intérêt du médicament dans le cadre de cette pathologie (efficacité et effets indésirables, existence ou non d’alternative…). Or dans le monde des produits homéopathiques, seuls sont remboursés les médicaments dits «à nom commun» qui ne font pas l’objet d’une autorisation de mise sur le marché, mais d’un simple «enregistrement», à condition notamment de ne pas revendiquer d’indication thérapeutique! »


30 janvier. Egalité et réconciliation — Homéopathie : le débat hors sujet

Un très long article indigeste qui prend fait et cause pour l’homéopathie, non pas parce qu’il y aurait des preuves d’efficacité mais par motivation politique de lutter contre une uniformisation de la médecine qui menacerait le libre arbitre. Un mélange des registres qui n’a aucune chance d’aider quiconque à comprendre le problème.


31 janvier. BFMTV — Homéopathie: 72% des Français y croient, les médecins restent sceptiques

Au-delà du titre, l’article montre surtout que les français ont confiance dans la science et sont en recherche de repères pour distinguer les pratiques fiables des autres.

« 77% des Français voudraient qu’un site Internet officiel labellisé par l’État leur indique quels soins sont reconnus scientifiquement, et lesquels ne le sont pas. »


7 février. RTL — VIDÉO – Homéopathie : efficace ou simple placebo ? Les médecins divisés

La vidéo est de M6 infos évoque la dilution infinitésimale « qui peut avoir des effets étonnants » selon le journaliste.

La parole donnée au Dr Demonceaux est l’occasion de nouvelles perles sophistiques : « Ça fait quand même 35 ans que j’exerce, 35 ans que j’utilise Bryonia. 35ans que ça me donne de bons résultats. »

Le remède Bryonia serait efficace contre l’arthrose car la Bryone (mousse à partir de quoi il est fait mais dont il ne contient aucune molécule) a des propriétés irritantes des tissus. Intéressons nous rien qu’un instant à ce « remède ». Selon le site Planète homéopathie il est tout désigné pour les personnes suivantes :

« Le malade de Bryonia est souvent un cholémique au teint bilieux, facilement irritable. Généralement maigre, sec, nerveux, aux cheveux noirs. Il prend facilement froid et est surtout sensible au froid humide qui survient dans les jours chauds après la pluie ou un changement atmosphérique brusque.

Dans le délire des fièvres, il parle surtout de ses occupations professionnelles et se croyant éloigné de son domicile, demande à y retourner. »

Chacun jugera du sérieux de l’approche.

La vidéo donne la parole au Dr Bachureau qui explique qu’en support des traitements anti-cancer l‘homéopathie réduisait fortement les nausées. La manipulation du public est ici totale puisqu’à aucun moment il n’est expliqué que le groupe contrôle (qui reçoit des granules ne contenant rien) connait la même amélioration, information que l’on peut retrouver ici dans un article datant de 2011. M6 donne dans la Fake News avec la complicité de RTL ?


11 février 2019. Santé Magazine — Les 8 médicaments homéopathiques les plus utilisés

Article de pur démagogie présentant les « granules préférés » des français. Aucun travail journalistique.


13 février 2019. Sciences et avenir — Homéopathie, une pratique controversée en quatre points

Rappel des principes de l’homéopathie, de son statut, de sa place dans l’économie française et de l’avis des autorités scientifiques.


13 février. La dépêche — Homéopathie, une pratique controversée en trois grands points

Rappel des objections scientifiques aux allégation des homéopathes.

L’article apporte une nuance :

« Ce chef de service à l’hôpital Lariboisière (Paris) « n’accorde pas la moindre propriété pharmacologique à l’homéopathie », mais estime qu’il ne serait « pas rationnel de ne pas prendre en compte l’irrationnel chez l’homme ». »


13 février. Le Point — Homéopathie: dans son fief de Messimy, Boiron peaufine sa défense

« A mots couverts, Boiron espère que la crise actuelle autour du pouvoir d’achat sur fond des « gilets jaunes » enterreront l’idée de dérembourser l’homéopathie, alors qu’un avis de la Haute Autorité de Santé (HAS) est attendu ce printemps. »


6 mars 2019. Capital — Boiron : le géant de l’homéopathie a du souci à se faire

Une lecture économique des résultats de Boiron nous renseigne sur la portée des débats dans la société française.

« Tout au long de l’année 2018, le champion de l’homéopathie a vu les ventes de ses petits tubes de granules prescrits sur ordonnance diminuer. Le recul s’est même accéléré au fil des mois, pour atteindre une baisse de 10,6% au troisième trimestre. (…) L’action a chuté de 50% depuis trois ans. »

Le danger qui plane sur les emplois de Boiron (il est réel et c’est bien dommage pour les personnes concernées) est imputable à un choix stratégique très ancien, celui de ne pas faire de véritable recherches scientifiques pour développer des produits fiables.

« Problème, le laboratoire lyonnais n’a pas de plan B : il n’a jamais innové et n’a pas cherché à se diversifier. «On ne voit jamais arriver de vraies nouveautés dans leur gamme» (…) Boiron n’a investi dans la recherche qu’à dose… homéopathique. »

Résultat : Boiron se tourne vers l’international pour écouler sa marchandise.


5 mars 2019. Parents.fr — Rhume de bébé : et si on le soignait avec l’homéopathie ?

On nous prodigue les bons conseils du Dr Pierre Popowski, pédiatre homéopathe.

  • Si l’écoulement est clair et irrite la lèvre supérieure : Allium Cepa 7 CH.
  • Si l’écoulement vire au jaune/vert : Hydrastis canadensis 7 CH.
  • Si au contraire, le nez est bouché la nuit, et l’écoulement clair dans la journée : Nux Vomica 7 CH quatre fois par jour.

« L’homéopathie, comment ça marche ? L’homéopathie agit sur le désordre énergétique à l’origine de la maladie, et selon le principe de similitude »

Bref, propagande pro-homéopathique.


5 mars 2019. INREES — L’homéopathie, Le vrai du faux

Ce site de promotion des croyances dans le paranormal ne rate jamais une occasion de répéter que la science n’a pas réponse à tout et qu’elle critique injustement ceux qui défendent des idées en désaccord avec les paradigmes en vigueur.

« L’argument est toujours le même : les petites granules ne produiraient qu’un effet placebo. Ces discordes n’ont jamais réussi à éradiquer cette médecine qui a le vent en poupe. Alors, qu’en est-il vraiment ? De nombreuses recherches scientifiques plaident en sa faveur, à condition d’ouvrir un nouveau paradigme.. »


8 mars 2019. France Bleue — L’homéopathie dans la tourmente

La parole est donnée, sans contradiction et avec complaisance, au  Dr Martine Gardénal auteur du livre « Homéopathie pour se soigner au naturel » paru en Novembre 2018 chez Guy Trédaniel Editeur. C’est donc malheureusement une promotion de l’antiscience.


13 mars 2019. Pharma GDD —Comprendre et bien se soigner avec l’homéopathie

Article de propagande.

«  il est vivement conseillé de noter sur un calendrier le mode précis de prise des diverses souches homéopathiques, et de bien s’y tenir pour une guérison assurée. »

L’homéopathie serait dénuée d’effets secondaires : « Vous l’avez compris, l’homéopathie est une médecine douce qui présente de nombreux avantages, l’idéal étant de conjuguer homéopathie et allopathie. »


18 mars 2019. Le Quotidien du Médecin — Homéopathie : tout est prêt pour un éventuel déremboursement

Un an pile après la tribune qui a mis le feu aux poudres le journal fait le point sur les critères d’évaluation de la HAS et sur la manière dont v& se dérouler l’évaluation.

Une évaluation que les homéopathes vont probablement contester, comme permet de le prévoir la déclaration du Dr Christine Bertin-Belot, vice-présidente du Syndicat national des médecins homéopathes français (SNMHF), pour qui cette procédure ne tient pas compte de la particularité de l’homéopathie. 

« Ces médicaments ne fonctionnent pas par classe thérapeutique. Dans la pratique, le médicament est prescrit pour un ensemble de symptômes différents et répond à de nombreuses classes thérapeutiques. Ce n’est pas possible de les évaluer en les regroupant par classe homogène, cela n’existe pas ».


Conclusion

Cette longue odyssée à travers la couverture médiatique de l’homéopathie depuis le 18 mars 2018 met en évidence de sérieux problèmes dans l’information à laquelle ont eu accès les français. L’opinion a souvent remplacé l’information sourcée. Le sophisme a trop souvent pu passer à l’antenne sans être dénoncé pour la faute logique qu’il est.

Je tiens à souligner la qualité du travail de quelques rédactions qui ont couvert le sujet à de multiples reprises comme Science et Avenir, le Figaro Santé ou Le Quotidien du Médecin. Certaines rédactions ont un bilan mitigé, avec quelques très bons sujets et d’autres plutôt mauvais, c’est le cas du Monde, d’Europe 1, de France Info et surtout France Inter qui flirte avec la désinformation. Les cancres sur ce sujet sont LCI, Libération, le Parisien. Les autres n’ont pas accordé suffisamment d’intérêt à l’homéopathie pour qu’on puisse véritablement évaluer la qualité de leur travail, mais force est de constater que le paysage général n’est pas encourageant. Il serait donc faux de chercher des responsabilités individuelles à ce qui est de toute évidence un problème systémique : nos médias ne savent pas traiter ce sujet correctement.

Sur des questions qui touchent à ce que la science sait éclairer, les médias devraient avoir pour rôle principal de distinguer clairement la polémique de la controverse. La polémique est un désaccord consommé, cultivé, porté en place publique, motivé par des intérêts divergents, par une stratégie partisane ou par l’engagement de personnalités. Sa dimension est politique. Elle est différente de la controverse scientifique dont le périmètre est épistémique (ce que l’on sait, ce qui est « vrai »). La controverse est simplement une question scientifique sur laquelle deux ou plusieurs avis en présence n’ont pas réussi à trancher qui aurait plus raison, ou moins tort, que les autres.

Il y a des controverses sur l’efficacité de certains médicaments, sur la position taxonomique de certains groupes de plantes ou d’animaux, sur la balance bénéfice/risque du nucléaire, sur le statut de certaines théories cosmologiques, etc. Mais il n’y a plus de controverse scientifique sur l’efficacité de l’homéopathie, sur le changement climatique ou sur l’importance de la couverture vaccinale. Laisser penser le contraire à répétition, ce n’est pas aider le public à se forger une opinion éclairée par les faits les plus pertinents dont nous disposons.

En réalité, la polémique autour de l’homéopathie est une question simple. La littérature scientifique est limpide depuis des années. Il est donc particulièrement alarmant de la voir si maltraitée, car cela force à reconsidérer la qualité du travail des médias sur des sujets plus complexes, et donc la confiance que l’on peut leur accorder. Or la crise de confiance envers les médias que nous vivons est le terreau parfait pour que se développent des discours extrêmes et antisociaux.


On ne peut décemment pas se moquer des conspirationnistes et dénoncer les fake news, si dans le même temps on donne le spectacle d’un refus de la remise en question de ses préjugés. La tribune sur les #FakeMed est un test que bien trop de médias n’ont pas su passer.


Est-il possible pour une chaîne dédiée à l’esprit critique de traiter le sujet de la chasse ?

En fin d’article vous trouverez des arguments postés sur nos pages qui cherchent à montrer combien nous avons été injustes avec la chasse. Je pense qu’ils montrent au contraire combien la défense de la chasse repose sur une rhétorique principalement fallacieuse, ce qui explique le ton pris par notre travail.

Chasse gardée ?

Je constate que souvent dans la sphère zététique, et dans la vulgarisation scientifique en général, on évite soigneusement certains sujets polémiques car les empoignades qui en découlent pompent une énergie considérable et sont un obstacle à la progression d’une chaîne (sauf si elle fait profession de donner dans le buzz, l’outrance et l’indignation). Bien sûr, certains collègues font exactement ce qui leur plait, sans subir ces contraintes… Mais le climat est tel qu’il semble y avoir des terrains interdits. Et l’esprit critique est ainsi prié de ne pas ramener son aiguillon sur les questions du racisme, du sexisme, de la politique en général et sur les questions de mode de vie… C’est quelque peu problématique parce que c’est oublier ce qu’est la zététique, à savoir un mouvement militant rationaliste, une didactique des sciences qui repose sur des valeurs, notamment l’attachement à la vérité qui s’exprime par le recours aux méthodes les plus fiables et l’exercice d’un scepticisme courtois mais franc envers toutes les assertions.

La zététique est inévitablement abrasive pour ceux qui tiennent aux croyances qu’elle égratigne. Les croyants ne sont jamais très heureux qu’on vienne démonter les beaux édifices rhétoriques qui protègent leurs croyances. Ils peuvent réagir avec sagesse, mais aussi parfois avec agressivité en nous jugeant incompétents et biaisés, corrompus ou naïfs. Les habitués de la TeB le savent ou devraient le savoir. Ils savent aussi que personne n’est exempt de croyances plus ou moins bizarres, d’idées (graves ou bénignes) que leurs propriétaires n’ont pas de bonnes raisons de croire mais qu’ils n’ont pas très envie de remettre en question. Et parmi ces idées les représentations sociales sont importantes en nombre et en conséquences, en particulier quand elles sont affectées d’une valeur morale (ceci est bien, ceci est mal). Les questions que soulève la chasse et surtout les critiques de la chasse sont donc des questions qui dérangent, reste à savoir si elles sont pertinentes.

Ce thème illustre la difficile position d’une chaine comme la TeB, cible d’injonctions paradoxales. On nous demande fréquemment de nous borner à ne traiter que des sujets scientifiques sur lesquels existe un consensus (l’évolution, le climat, le paranormal…), mais en parallèle on nous met au défi de traiter des « vrais » sujets qui ont un impact sur la vie des gens (comme la religion). Il est clair qu’on ne fera jamais plaisir à tout le monde, et nous continuerons par conséquent à choisir les sujets qui nous intéressent, ceux sur lesquels nous pensons pouvoir apporter quelque chose.

De la pseudo-neutralité

Le simple fait d’aborder la question de la chasse crée un contexte qu’il est intéressant d’analyser. Dès l’annonce, les injonctions ont plu : on exigeait de nous de la neutralité (ou plutôt on affirmait qu’on en serait incapable), on réclamait un débat, la présence d’un pro-chasse, on conspuait l’invité en le désignant comme incompétent et militant, donc partial, donc indigne de l’émission.

Je remercie le public d’être ainsi exigeant quant à la manière dont nous préparons nos émissions, cela me semble signifier que la TeB est à leurs yeux une chaine de qualité. Mais il y a aussi une énorme incompréhension sur notre travail. J’ai déjà eu l’occasion de dire que nous recevons tout le temps la critique (très minoritaire) suivante : « j’adore la TeB, mais franchement là, au sujet de [Insérer mon sujet d’intérêt personnel où je suis en désaccord avec la ligne éditoriale] ils font n’importe quoi, ils oublient les bonnes méthodes, ils ne disent pas ce qu’il faut. ». Et il faut admettre que cela peut être vrai, on peut rater une émission. Mais, ou bien nous ratons systématiquement toutes nos émissions, ou bien ce genre de propos est insuffisant pour établir une défaillance de notre part. Franck Ramus a écrit il y a un an sur cette rationalité à géométrie variable.

Nous sommes conspués par les pro-homéopathie, les antivaxx, les pyramidologues, les pro-psychanalyse, les créationnistes et autres intégristes, les climato-négationnistes, les racistes, les naturopathes et associés, certains militants SJW agressifs que l’on croise essentiellement sur twitter, par différentes obédiences conspirationnistes, par un certain nombre d’autres communautés motivées à rager contre les critiques, et désormais par certains pro-chasse qui n’ont pas supporté que nous ayons une opinion.

Moi-même et toutes les personnes derrière la TeB et l’ASTEC avons beaucoup d’opinions sur beaucoup de choses. Nous savons suspendre notre jugement et accepter que notre opinion évolue, mais nous avons des avis, et ces avis sont à la source des choix des sujets traités. Le simple fait de faire une émission sur les musées créationnistes ou sur le charabia autour du quantique est le fruit des opinions des gens qui préparent l’émission. Je suis navré si vous le découvrez en lisant ces lignes. Nous ne sommes pas « neutres » quand nous acceptons une conversation publique avec gourou Thierry Casasnovas (qui a finalement renoncé) pour qu’il rende compte de ses déclarations sur les vaccins, nous ne sommes pas « neutres » en traitant le sujet des maladies rares ou en partageant le film « Le Mur, la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme ». J’ignore totalement ce que voudrait dire être « neutre » sur ces sujets. Je me contente d’être aussi bien documenté et méthodique que possible. J’ai un avis sur l’homéopathie et son remboursement, sur la théorie des anciens astronautes, sur la politique de répression policière en France, sur le changement climatique, sur l’importance de la litératie scientifique à tous les âges, etc. Si cela vous est insupportable, j’en suis bien désolé pour vous. Si cela vous semble normal, vous accepterez sans mal que j’ai un avis sur la chasse ou devrez admettre qu’ici vous butez sur votre propre incohérence.

Dès l’éditorial de l’émission, nous avons indiqué avoir une opinion très critique sur la chasse, nous avons fait le choix d’un invité écologue, mais critique plutôt que pro-chasse parce que réaliser l’interview d’un expert d’un avis différent du notre réclame une lourde préparation, et je n’avais pas un tel temps à consacrer à ce sujet (vous êtes en droit de trouver que c’est très dommage, mais les autres sujets que nous abordons ne se traitent pas tout seul, il faut leur consacrer un temps qui n’est pas une ressource infinie). Je m’étais même préparé à devoir recadrer l’invité s’il se montrait trop partial, et au final la grande mesure de Pierre Rigaux m’a pris au dépourvu, et c’est moi qui ait, à quelques reprises, adopté une posture militante (notamment sur la chasse à courre). Ceux qui ne m’attendaient pas dans ce rôle ont pu être déçus, je peux les comprendre, mais je n’agis en fait pas autrement quand je prends position contre l’homéopathie ou la psychanalyse.

Avoir un avis sur la chasse ne signifie pas avoir des préjugés ou être plus biaisé que vous. Mon avis sur la chasse est un jugement fondé sur les choses que je sais ou que je crois savoir. Qu’il soit erroné ou correct, il est l’aboutissement de ma réflexion, pas le point de départ dogmatique auquel je voudrais m’astreindre. Je pense donc pouvoir traiter honnêtement le sujet, même en ayant une opinion, tant que je prends soin de distinguer les registres de l’opinion et du fait.

Un dispositif disqualifié quand ça arrange

La chasse est un phénomène à multiples couches, on ne peut pas le traiter dans son ensemble, et donc nous avons choisi l’angle écologique. L’émission a été organisée suite à une conversation avec un membre de l’ASPAS, car c’est aussi comme ça qu’on décide de traiter un sujet. Dès le départ, j’ai souhaité recevoir une personne capable d’avoir un discours factuel, maîtrisant le vocabulaire et la méthode scientifique et disposée à supporter un exercice de contradiction de ma part. C’est-à-dire que j’ai abordé cette émission comme toutes les autres.

Notre public n’est pas dérangé quand nous parlons de vaccination sans inviter les antivax, de racisme sans inviter un raciste ou d’archéologue romantique sans inviter des pseudo-archéologues. Ici nous avons abordé la question de l’impact écologique de la chasse et nous n’avons pas invité de pro-chasse. C’est vrai ! Nous avons dit pourquoi en introduction, j’ai personnellement admis avoir un probable biais sur la question, puis nous avons traité le sujet avec la rigueur qui s’impose (et de temps à autre j’ai fait des blagues, et elles rendent furieux des gens dans les commentaires, cela ne m’émeut pas beaucoup, mais ils ont bien le droit, et c’est vrai que je n’aime pas me revoir, peut-être parce que je vois les mêmes défauts : je coupe trop la parole à mon invité. Bref).

Au vu des commentaires, je dois re-re-redire une chose simple mais qui ne rentre pas dans toutes les têtes : La Tronche en Live n’est pas une émission de débat. Point. Nous recevons un invité et nous essayons de nous assurer que ce qu’il dit est solide. Tel est le contrat.

Nous avons traité dans l’émission des principaux arguments pro-chasse (partie 2 sur la rhétorique, partie 3 sur l’argument central pour l’émission : le rôle dans la régulation des écosystèmes). À chaque fois Pierre Rigaux a expliqué pourquoi cela ne lui paraissait pas convaincant. Son propos était exempt de sophismes (et c’était mon job de le vérifier en direct). Peut-être a-t-il énoncé des faits incorrects, c’est toujours possible avec n’importe quel invité, c’est moins dangereux quand on sait qu’on écoute une personne militante, car on sait sous quel angle l’erreur risque de partir. Il y avait beaucoup de pro-chasse dans le tchat et un spectateur visiblement érudit sur la question a eu longuement la parole en fin d’émission (il a défendu la chasse à courre en off, il tient une chaine ou il se filme en train de tuer des animaux, je pense que c’est un « vrai »).

Qu’en ressort-il ? Que Pierre Rigaux a donné un chiffre erroné sur le nombre de chamois tués annuellement. Une fois le bon chiffre apporté, il a admis son erreur. Les commentaires signalent une autre erreur : ironiquement P Rigaux a donné une information plus « gentille » envers la chasse qu’elle ne l’est en réalité : L’ANSES préconise de ne pas consommer plus de 3 fois par an de la viande de chasse, contrairement à 1 fois par semaine comme le disait l’invité. De plus l’ANSES préconise non seulement aux femmes mais aussi aux enfants de ne jamais manger de gibier issus de la chasse (source).

Si cela vous suffit pour disqualifier son discours, demandez-vous si ce n’est pas un peu commode de votre part.

La qualité des critiques ?

Depuis le soir du live, j’assiste à une déferlante de commentaires agressifs sous la vidéo (un lobby de plus d’un million de personnes, ça ne passe pas inaperçu), avec beaucoup d’insultes et de récriminations générales, dans le style de ce que l’on reçoit de la part des pro-psychanalyse.

Quasi-absents sont les arguments, au contraire de la posture de vitupération qui consiste à dire « bouh c’est nul » ou « je suis trop déçu » sans spécifier ce qui serait faux et comment on montre que c’est faux ; posture non seulement inutile, mais totalement nocive à la réflexion sur le sujet. Beaucoup de ceux qui commentent n’ont pas envie de participer à une conversation argumentée mais désirent exprimer leur désaccord, leur rejet de l’émission. Dont acte.

Il y a heureusement quelques commentaires listant ce qui leur pose problème, et je vais ci-dessous apporter une réponse (laborieuse) qui va montrer que la posture la plus biaisée reposant sur le plus de présupposés discutables n’est ni la mienne ni celle de notre invité, aussi militant qu’il puisse être. Être anti-sexisme, anti-esclavagisme, critique des antivax, ce n’est pas être biaisé, c’est mettre en conformité ses paroles & actes avec des valeurs humanistes et les connaissances qui permettent d’éclairer les conséquences de nos décisions. Vous avez le droit d’avoir des avis différents, mais je ne prendrai pas de leçon de zététique de la part de gens qui carburent aux sophismes du juste milieu, de l’appel à la tradition, de la double faute, de la solution parfaite ou de l’appel à la nature, ce ne serait pas sérieux. Mille critiques fallacieuses ne peuvent, par la seule force du nombre, s’arroger le statut de réfutations réussies.


J’ouvre une parenthèse pour aborder un élément laissé de côté lors de l’émission : la question de l’alcool. J’ai échangé sur Twitter avec un élu du parti des chasseurs pour poser une question simple. Au lieu de répondre clairement, j’ai eu droit à quelques circonlocutions puis au silence.

Ce que j’ai compris, c’est la chose suivante : le chasseur qui cause un accident est sanctionné plus gravement s’il est alcoolisé. Mais il n’existe pas de seuil d’alcoolémie pour être autorisé à chasser. Le moindre usager de la route serait donc plus sévèrement contraint par la loi que le piéton qui se promène avec une arme et l’intention de s’en servir.

J’espère me tromper dans mon interprétation, auquel cas un espace erratum est prévu ci-dessous.

Erratum : 

Rien à signaler…

Bien sûr, on peut être pour la chasse et être une personne tout à fait fréquentable, remplie des mêmes qualités humaines et des mêmes valeurs que les autres, il faut se garder d’essentialiser le débat. Mais la zététique est avant tout un exercice de pensée contre soi, et il faut au minimum se débarrasser des mauvais arguments et ne pas sauter sur la moindre faute du camp d’en face pour disqualifier toute critique. Si la chasse se défend mal sur le terrain des arguments rationnels, ce n’est pas la faute des anti-chasse, même s’ils ont eux-mêmes des faiblesses argumentatives (comme cela peut arriver à certains végans). La question de la chasse fait donc bel et bien partie des sujets que l’on peut aborder avec la zététique. Et c’est en le faisant qu’on apprendra à mieux le faire, notre émission n’était certainement ni irréprochable ni insurpassable.


Foire aux Arguments

D’abord listons les arguments classiques employés pour défendre la pratique de la chasse.

  • « C’est une belle tradition. »
    • C’est subjectif. Et ça permet de justifier tout, dont l’esclavage. Ce n’est donc pas un argument valable.
    • On peut imaginer qu’avec un regard anthropologique on attribue à la chasse des vertus symboliques aidant l’humain à se dire qui il est. Certains le font. Mais il y a quand même en France quelque chose comme 95% d’adultes non chasseurs, j’estime donc qu’on peut résister sans mal à ce genre d’argument si on ne l’appuie pas sur des données solides
  • « Les chasseurs sont les premiers écolos de France » 
    • Leurs actions bénéfiques sur les écosystèmes sont réelles : protection des milieux, financement de campagnes de collectes d’information sur les populations… mais rien de cela n’implique de tuer des animaux. Ce n’est pas un argument pro-chasse, mais un argument qui montre que les chasseurs peuvent rendre service quand ils ne chassent pas.
  • « La chasse est une activité conviviale, elle rassemble les gens en milieu rural. »
    • Ce qu’il y a de convivial et de pro-social dans ces activités peut se faire sans tirer sur les animaux.
  • « C’est une activité motivée par l’amour du gibier, par le respect pour sa force, son intelligence, etc. »
    • La photographie animalière rend hommage à la dignité des animaux. Sans les tuer ni polluer.
  • « La chasse est nécessaire pour combattre des épidémies au sein du gibier. »
    •  Au contraire, la chasse aggrave la diffusion des maladies « Wildlife Management Practices Associated with Pathogen Exposure in Non-Native ild Pigs in Florida, U.S. » Carr et al. 2018 (source).
  • « Les chasseurs indemnisent les dégâts causés aux cultures par le gibier. »
    • Argument intéressant qui pose la question de la définition d’un dégât et de l’étendue des agrosystèmes et notamment des cultures de maïs destinées à nourrir… les animaux d’élevage. Mais critiquer la chasse, ce n’est pas défendre l’élevage.
  • « La chasse est indispensable pour réguler les populations sauvages en France.»
    • C’est l’argument le plus solide. Il n’est valable que pour les grands gibiers : sanglier, cerf et chevreuil. Il ne peut être invoqué par celui qui chasse des oiseaux (30 millions d’animaux d’élevage lâchés dans le but de fournir des cibles aux chasseurs). Mais même pour ces grands gibiers se pose la question de la manière dont on les tue (ce pourrait être une activité réservée à des professionnels qui savent ce qu’ils font), et des conditions environnementales anthropisées qui empêchent la cohabitation ou favorisent un excès de population. La chasse est-elle la seule solution envisageable ? La réponse est bien sûr non, puisqu’en zététique on sait que l’alternative est féconde.
  • « J’aime tuer. »
    • Ah. Ben, OK.
La candeur d’un argument auquel il n’y a, finalement, rien à répondre.

Ci-dessous les arguments tirés d’un message de Kovlovksi, l’un des rares critiques à avoir la politesse de développer sa critique.

« Les sports automobiles (moto, rally) tue également des personnes externe. Et en s’y penchant deux minutes on en trouve d’autres. »

Réponse — Les autres activités n’impliquent pas d’utiliser un objet dont la *finalité* est de tuer. L’acte de mettre en joue et de tirer des projectiles à haute vélocité dans le seul but de tuer un animal étant la définition même de la chasse, toute comparaison avec des sports automobiles est fallacieuse. Les voitures de rallye ne finissent pas dans les murs des salons ou les vitres des trains comme cela arrive aux munitions des chasseurs

« « je frappe ma femme mais pas trop fort » belle homme de paille (mais je suis sur que c’est pour tester votre audience). »

Réponse — J’ai prononcé cette phrase non comme un argument mais comme une caricature assumée (et sans doute pauvrement inspirée) de l’argument qui cherche à justifier la chasse sur les espèces menacées, en disant : « Ces espèces menacées sont plus menacées par d’autres facteurs que par la chasse, donc la chasse n’est pas le problème » Et cet argument-là est, lui, un véritable sophisme, celui de la double faute, du « y a pire ailleurs » ou du Whataboutisme qui consiste à demander pourquoi on ne parle du problème Y au lieu de s’intéresser au problème X… sans essayer de montrer qu’on a tort de penser que X est un problème. Cela s’appelle aussi noyer le poisson.

« Tuer sans manger… » Je connais aucun chasseur qui fait ça.

Réponse — Ceci est une anecdote de votre part. Les gens de l’ASPAS témoignent souvent qu’on retrouve des animaux tués jetés directement à la poubelle. Ou bien ils mentent, ou bien cela existe. Et si cela existe, on peut se demander pourquoi (viande impropre à la consommation, surchasse, pur gaspillage…). Et on peut aussi se demander ce qu’on fait pour que cela n’arrive plus.

« « Souvent les chasseurs ne tue pas en une balle » ça peut arriver mais rarement. »

Réponse — Vous dites donc exactement la même chose que P Rigaux. Non ?

« La régulations des renards (dans ma régions) est du au fait qu’il se reproduit trop vite et est le seul prédateur. Cela permet à d’autre espèce de ne pas disparaître. (le renard tue les poules pour le plaisir également, parfois tout le poulailler sans les manger). »

Réponse — Il faudrait être sûr de l’efficacité de la destruction de près d’un million de renards par an. L’êtes-vous ? Sur la base de quelles données ? Ce que nous dit notre invité, c’est que cette destruction massive, génératrice de pollution et de souffrance animale est inefficace en vertu de la dynamique des populations de Renard, et que le jour où cette régulation fonctionnera, on basculera très probablement vers une dynamique de disparition des renards. Pouvez-vous contredire cela, source à l’appui ?

 « Je me promenais au bord d’une rivière… Un chasseur m’a menacé… J’en ai trouvé plein les poubelles… Sur la vidéo ils noient le cerf… Il faut me rappeler, selon vous, quelle valeurs à une anecdote ? »

Réponse — Certains faits sont têtus : Pierre Rigaux a été menacé de mort. Achever un cerf à coup de rame pour qu’il se noie, cela existe, puisque cela a été filmé. Mais ce serait des anecdotes inacceptables dans notre émission. Pardon, mais vous déconnez ?

« -À un moment on relève un biais d’appel à la nature lancé par un chasseur imaginaire. J’aurais alors beaucoup apprécié que l’on relève aussi les nombreux biais de confirmations, hommes de pailles et autres fait par les deux intervenants bien réel eux. »

Réponse — … lesquels ?

« – De nombreux animaux font du mal sans chercher à tuer le plus rapidement dont parfois le loup, le renard, le chat et beaucoup d’autre prédateurs (ou pas). »

Réponse — Dans la phrase au-dessus vous condamniez les appels à la nature… Ce qui a été dit dans l’émission : les loups chassent en visant l’efficacité (le plus souvent). Ils s’en prennent à des proies faciles si possible et cherchent à tuer vite pour ne pas gaspiller de l’énergie (c’est dans leur intérêt évolutionnairement parlant). Vous citez le cas du chat domestique qui est une catastrophe écologique et celui d’autres prédateurs qui s’amuseraient avec leur proie, et cela doit arriver, mais ce n’est pas la règle, et si cette comparaison est faite, c’est parce que les chasseurs, en premier lieu, cherchent à justifier la chasse à courre en la disant la plus proche d’une chasse « naturelle »

 « -Vous effleurez quelques fois le côté « éthique ». Notre façon de vivre tue beaucoup, beaucoup plus d’animaux que les chasseurs (pollution, déforestation etc), les chasseurs dans tout ça ne sont pas grand chose . Et mon avis personnel est que je pense qu’il est pire d’être indirectement responsable de la mort d’animaux et de fermer les yeux. »

Réponse — Encore un sophisme de la double faute : « y a pire ailleurs ». Oui, il y a d’autres pratiques très dommageables, on l’a dit dès l’éditorial. C’est donc un peu gonflé de faire comme si vous nous l’appreniez.

« -Il dit que les degats ne sont pas mesurables, et ensuite qu’ils ne sont pas important… Comment peut-on savoir l’importance si ce n’est pas mesurable. »

Réponse — Je n’ai pas de réponse à cela. Ce qui est sûr c’est que le seuil à partir duquel des dégâts sont jugés importants est arbitraire, et qu’il n’est pas corrélé à un fonctionnement « normal » des écosystèmes, mais répond surtout à des impératifs économiques.

« -Les cerfs font des dégâts dans les forêts. »

Réponse — Les éléphants aussi. Et les humains. Faut-il les tuer ? (NB : au nom de quoi ma question serait outrecuidante tandis que la position qui consiste à dire que tuer les cerfs est normal devrait être acceptée par défaut ? Ceci est une vraie question)

 Et puis de toute façon, il faudrait définir « dégât », je vous renvoie à la remarque précédente.

« -Les chasseurs posent des plaquettes réfléchissante au bord des routes afin que les voitures ne surprenne pas la faune. À l’aide de drone, ils cherchent et font sortir les faons afin qu’ils ne soient pas tués lors des moissons. Ils entretiennent les forêts. »

Réponse — Je ne sais pas de quoi vous parlez. On a eu l’occasion de dire que les fédérations de chasseurs pouvaient mener des actions de protection très salutaires. Mais les actions dont vous parlez ne sont pas une justification pour ensuite prendre un fusil et tirer dans ses animaux, nous sommes bien d’accord ?

Autres critique entendues

L’invité dirait des choses fausses, et notamment aucune espèce menacée ne serait chassée en France…

Eh bien il faut alors consulter la liste des espèces chassables en France et la comparer à la liste des espèces menacées en France métropolitaine. On obtient le résultat suivant ( avec VU = premier niveau du risque d’extinction. CR, plus haut niveau du risque d’extinction) :

  • macreuse brune (VU, population hivernante)
  • fuligule milouin (VU)
  • oie cendrée (VU)
  • oie des moissons (VU, population hivernante)
  • sarcelle d’hiver (VU)
  • sarcelle d’été (VU)
  • tourterelle des bois (VU)
  • grand tétras (VU)
  • bécassine des marais (CR).

Conclusion : en France, on tire légalement sur des oiseaux dont l’espèce est menacée.


Argumentation par DENTger 

Arguments fallacieux: La chasse est le seul sport qui tué les non pratiquants. Clairement pas. Le vélo cause aussi des accidents avec les piétons… le foot cause énormément de violence autour du stade… un marathon comme celui de Paris ou de new York émet plus de gaz à effet de serre qu’un grand prix de F1. La chasse pollue car les plombs déjà tirés sont déjà présents. Les nouveaux projectiles ne sont pas en plomb… on se rapproche un peu d’un appel à la tradition, ça polluait ça polluera… on peut également réformer la loi pour changer les jsp (jacketed soft point comprendre pointe plombee) en pointe creuse en laiton.

Réponse — Les escaliers causent plus de morts que les tronçonneuses dans les maternelles. Cela ne veut pas dire que les escaliers doivent être interdits où que les tronçonneuses en libre accès à l’école seraient acceptables. On retrouve le sophisme de la double faute décidément très présent autour du sujet de la chasse. La violence dans les stades de foot est un vrai problème, mais notez qu’on peut jouer au foot sans être violent, tandis que chasser sans utiliser une arme semble moins évident. Quoi qu’il en soit, une fois qu’on admet que le marathon de Paris produit beaucoup de gaz à effet de serre… que peut-on en conclure au sujet de la chasse ?

« Certains animaux sont gâchés… Je ne connais aucun chasseur qui gâche… mais soit, la grande distribution ne gâche aucun aliment c’est bien connu… donner les animaux aux chiens… les chiens sont des carnivores… on pourrait partager un peu avec eux… mais ce n’est pas gâché (même si je suis clairement jaloux…) »

Réponse — Dans notre émission, il été dit explicitement qu’il fallait critiquer tout le système, depuis l’élevage jusqu’à la grande distribution. Une fois cela acté, comment cela doit-il affecter notre avis sur la chasse ?

« Question chargée : qu’est ce qui justifie de tirer sur un animal? Il y a la retournement de la charge de la preuve. Il conviendrait déjà de prouver qu’un animal souffre plus d’un coup de fusil que d’être égorgé dans un abattoir. »

Réponse — Si c’est moins douloureux alors c’est acceptable ? J’espère que reformulé ainsi l’argument est clairement absurde pour tout le monde.

« Les animaux sauvages ont des morts douloureuses, la mort n’est pas agréable. Mais nous devons manger et manger de la viande est une nécessité. C’est très dommage que votre opinion personnelle soit passée au dessus de la zethetique… »

Réponse — Ici c’est encore un appel à la nature. Les animaux dans la nature souffrent, alors on peut les faire souffrir, c’est normal. Dans la nature on se parasite, on tue les bébés, on les mange, y compris au sein de la même espèce. Certains animaux se font la guerre, etc. Et on sait bien que ce n’est pas une raison pour en faire autant.

Le même DENTger dans un autre commentaire

« Mon cher mendax. L’argument qu’un mort causé par un fusil est plus grave qu’un mort causé par une voiture ou je ne sais quel objet me semble discutable… il serait donc plus grave que je tue mon voisin à la hache qu’à la batte de base-ball car la hache est vraiment une arme… prêter une intention à un objet… pour en revenir à des chiffres on a un million de chasseurs,( et sûrement quelques millions d’armes en plus si l’on compte les tireurs sportifs et armes illégales…) si un million de personnes peuvent faire joujou avec des armes mortelles sans causer plus de 5 morts par an… Je dirais bien qu’avec aussi peu de morts jouons tous avec des fusils… »

Réponse — Il y a ici un homme de paille : personne ne dit qu’une mort est plus grave qu’une autre, mais il faut semble-t-il rappeler que le seul but d’une arme est de tuer ou blesser, on ne fait rien d’autre qui soit utile avec, ce qui n’est pas le cas d’une voiture ou d’une hache que l’on peut utiliser à d’autres fins. Cette évidence semble demeurer dans l’angle mort de ceux des pro-chasses qui s’entêtent à comparer la chasse avec une activité n’impliquant pas l’usage d’armes destinées à tuer. Le commentaire se termine par une galipette à laquelle une réponse structurée demanderait plusieurs lignes que je veux croire inutiles.


Je reste ouvert à des commentaires et critiques si vous estimez que la chasse est maltraitée dans notre émission ou dans cet article.

J’ai été invité à apporter un point de vue sceptique dans l’émission Grand Bien Vous Fasse sur France Inter le lundi 18 février, dédiée à la sophrologie. Je ne connais pas à fond l’histoire de cette discipline, ses très nombreux courants, ses prétentions, ses têtes de file, le poids économique de la littérature ou des formations qui y ont attrait. Je ne connais pas bien l’état actuel de cette pratique et de ses promoteurs dans les dispositifs de veille de la Miviludes et des autres instances qui luttent contre les dérives sectaires. Il serait souhaitable qu’un·e expert·e disposant de toutes ces connaissances puisse être systématiquement présent·e quand le sujet d’une pratique de soin non conventionnelle est abordé dans les grands médias. En l’absence de tel·les expert·e·s, je pense qu’il faut résister à la tentation de la chaise vide comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire. Quand je me présente dans le studio 521 de la Maison de la Radio, ce n’est pas en emportant avec moi tout le poids des connaissances médicales du monde, mais avec une méthode, un questionnement et le désir d’encourager la prudence épistémique de tout un chacun.

Cette émission a parfois laissé sans contradiction des discours pseudo-scientifiques, j’ai eu l’occasion d’en faire la critique à travers la publication de l’ASTEC sur le problème des pseudo-sciences sur l’audiovisuel public. Mais elle reste très sérieuse dans l’ensemble, a tendance à progresser, et on peut juger très bon signe qu’une place soit offerte à une contradiction sceptique sur un tel sujet. Je choisis de ne pas me cantonner au rôle de celui qui dénonce les mauvaises pratiques chez les autres, conspue les médias, mais refuse de se compromettre quand la parole lui est donnée. À tort ou à raison, je préfère être présent dans les médias qui m’invitent pour tenter de rendre plus visibles, plus familiers, plus sympathiques les idées et concepts de la pensée critique, de la zététique, du rationalisme, du scepticisme scientifique. Mais venons-en au cœur du sujet.

La sophrologie, c’est quoi ?

Alfonso Caycedo, l’inventeur de la sophrologie la décrit comme une approche scientifique. C’est donc sur le terrain du questionnement scientifique qu’elle doit être évaluée. Ceux qui veulent défendre la sophrologie sur un terrain étranger à la science trahissent la démarche initiale que Caycedo a mise en avant dans ses écrits. Cette prétention de scientificité est toujours tenue par l’Académie Internationale de Sophrologie, l’Académie de Sophrologie de Paris ou les livres de Patrick-André Chéné. Elle est également défendue par les sophrologues présents avec moi sur le plateau de France Inter.

Premier étonnement : la sophrologie caycédienne est une marque déposée, par Caycedo, en 1992. Il a voulu protéger sa discipline contre des récupérations et des évolutions qu’il jugeait indésirables. On n’imagine pas que la transfusion sanguine ou la kinésithérapie soient des marques déposées pour une excellente raison : une science ou une pratique de soin ne peuvent pas appartenir à leur auteur, elles doivent se mettre à jour, évoluer, se soumettre à l’examen strict de leurs prétentions et, en cas de réfutation, disparaître. Nous ne sommes pas dans ce cas de figure avec la sophrologie. Et depuis longtemps.

La sophrologie est en fait héritière de l’hypnose ericksonienne que Caycedo a étudiée mais qui était entourée de connotations ésotériques dont il a voulu se débarrasser en donnant à sa pratique un nom scientifique[1]. La sophrologie est définie (étymologiquement) comme la « science de la conscience en harmonie », ce qui est flou. Nous avons tous une vague conception de ce que veut dire « conscience » et « harmonie », mais existe-t-il une définition claire, précise de ce que cela recouvre ? Sans une telle définition, on ne peut pas savoir de quoi l’on parle, et dès lors on quitte le terrain de la science.

On trouve la sophrologie dans le coaching, dans la formation professionnelle, dans les écoles… Sur la base de quelle démonstration d’efficacité, de quelles preuves expérimentales ? Ces questions sont cruciales, car si on ne les pose pas, pourquoi ne pas faire de l’énergiologie à l’hôpital, apprendre aux gens à ouvrir leurs chakras, à se soigner avec des cristaux, et pourquoi ne pas apprendre la sorcellerie à l’école ?

La sophrologie existe maintenant sous diverses formes (on compte plus de 130 écoles différentes), un peu comme la psychanalyse, mais elle repose sur quelques principes de base, et notamment la « phénoménologie existentielle ». Qu’est-ce donc ? Une « technique de recherche de la conscience » ou encore une « technique qui permet de cultiver l’émergence des expériences de contact ». En 2010 Caycedo invente la « Cyber-Conscience Phronique », il décède en 2017, ce sera donc la version finale de son œuvre. Tous ces concepts n’ont pas franchi le crible de l’examen critique, et je ne suis pas certain du sens qu’il faut leur donner, ni même de l’existence d’un sens qui fasse consensus parmi ceux qui la pratiquent.

La pratique de la sophrologie passe par des « relaxations dynamiques » (empruntées aux techniques yogi et zen, et baptisées en des termes plus compatibles avec la science). Il existe plusieurs degrés de relaxation. D’abord on prend conscience (via une « découverte vivantielle ») de son corps, puis de son esprit, puis de leur relation, puis du reste. Mais selon d’autres versions, on prend d’abord conscience de sa peau, puis de ses muscles, puis de ses os, puis de ses organes internes. Déjà ces deux versions n’ont rien à voir l’une avec l’autre… On peut lire sur des sites de sophrologie[2] que le deuxième cycle des relaxations, appelé cycle radical concerne la « conscience énergétique, renforce l’aspect énergétique et cellulaire. ». Et il nous faut souligner que l’apparition du mot « énergie » dans un contexte thérapeutique est le signe quasi-systématique d’un propos ésotérique éloigné de la médecine fondée sur les preuves.

Plus grave, dans le corpus théorique, en tout cas la version de Raymond Abrezol, qui fait autorité, le cancer serait lié à un trouble dans le niveau de conscience : ce serait la « maladie omicron » de  « l’anaphronie ».

Source : La quête de l’excellence tome1: Comment augmenter ses performances. De Raymond Abrezol (2013)

On trouve aussi le concept de « vivance d’intégrité » avec six « engagements existentiels » : « l’Individualité, la Groupéïté, la Société, l’Humanité, l’Univers, l’Eternité. » Les degrés de relaxation avancés font intervenir la conscience de la phylogénèse et de l’ontogénèse, et c’est très intéressant… Ces mots renvoient à la biologie de l’évolution et à la biologie du développement, des disciplines dans lesquelles on est précis avec  la terminologie et où l’on comprend les relations de cause à effet proposées par les théories. J’ignore où sont ces relations causales dans l’approche sophrologique de ces domaines.

En somme, le corpus théorique de la sophrologie, après 60 ans d’existence, ne semble pas avoir gagné en clarté, avoir progressé vers une intégration aux savoirs environnants. On assiste au contraire à un cloisonnement de divers courants (la sophro-analyse, la sophrologie existentielle, la sophrologie dynamique, la sophro-substitution sensorielle…) et à une surenchère dans des concepts davantage spirituels que scientifiques. C’est bien le droit des sophrologues de se satisfaire de l’état de ce corpus. Libre à chacun d’être convaincu par la justesse de ces contenus, et il pourrait bien se trouver que tout soit vrai. Admettons, après tout. Mais on ne peut en rester là, car la sophrologie n’est pas une œuvre de fiction ou une pure invitation à un exercice mental d’imagination ; il s’agit d’une approche avec des prétentions thérapeutiques, notamment sur la douleur et sur l’anxiété. Dès lors une question prévaut sur toutes les autres : Quels en sont les effets ?

Etat de l’art sur l’efficacité.

Présent également à cette émission, Richard Esposito, dirige le groupe d’épistémologie de la sophrologie, ainsi décrit : « Le GES est une unité de recherche scientifique, son principal objectif est d’étudier la sophrologie dans ses fondements, méthodes et résultats. ». Dans le monde scientifique, une unité de recherche est censée produire…. de la recherche, c’est-à-dire des données expérimentales permettant d’explorer des questions scientifiques. La seule manière de valider cette démarche est la publication d’études dans des revues scientifiques à comité de lecture. Ce n’est pas ce que semble faire le GES qui publie un bulletin, les « Annales d’épistémologie de la sophrologie », ouvert aux sophrologues pour qu’ils y fassent état de leurs observations et conclusions personnelles en dehors du cadre d’un protocole dûment expertisé.

Pour rappel, il existe des revues de numérologie et des revues d’astrologie avec des prétentions scientifiques. Il ne suffit pas de qualifier une revue de « scientifique » pour en en faire un élément de la véritable littérature scientifique. Ce qui distingue une vraie publication scientifique, c’est la méthode critique mobilisée pour la rédiger, la corriger, l’amender et fournir les protocoles et les données recueillies. La qualité du travail peut se mesurer ensuite au nombre de citations dans des travaux ultérieurs.


On peut trouver plus de 150 articles adoptant la forme d’une publication scientifique sur la sophrologie. Beaucoup sont en français, ce qui indique un très faible rayonnement intellectuel, les autres pratiques médicales publient en anglais dans le monde entier. Les études sont très peu citées dans la littérature (Rappel : le nombre de citation est l’un des meilleurs indices de la valeur que les experts d’un domaine accordent à une publication).

La très grande majorité de ces études sur la sophrologie ne visent pas à en mesurer l’efficacité. Souvent, elles se résument à constater ce qui se passe quand on fait de la sophrologie avec des malades… S’ils se rétablissent, on met cela au crédit éventuel de la sophrologie et on conclut que c’est encourageant, qu’il faut plus d’études… Mais une telle approche ne permet pas de mettre en évidence une réelle efficacité putative. Le simple fait d’occuper un patient, de le faire bouger, se relaxer ou se concentrer sur sa respiration peut suffire à améliorer son état ou son ressenti.

On trouve un tout petit nombre d’études scientifiques qui vont au-delà du témoignage et de la simple observation de cas. Quatre. Les trois premières veulent conclure sur le potentiel intérêt de la sophrologie, dans l’asthme et les douleurs de dos.

  • J.-M. Constantin, S. Perbet, E. Futier, S. Cayot-Constantin, V. Gignac, F. Bannier, H. Fabrègue, C. Chartier, R. Guerin, J.-E. Bazin (2009) Impact de la sophrologie sur la tolérance des séances de ventilation non invasive chez des patients en insuffisance respiratoire aigue. Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation. 28 : 215–221 (article cité 5 fois dans la littérature).
  • Carmina Castellano Tejedor, Gemma Costa Requena, Pilar Lusilla Palacios, Ana Palacios González, Laura Camprubí Roca, Alex Ginés Puertas, Elisa Barnola Serra (2015). A Multidisciplinary Approach for Patients with Non-specific Chronic Low Back Pain: Study Protocol and Preliminary Findings. International Journal of Psychology and Psychological Therapy 15 (3) : 433-442. (aucune citation trouvée dans la littérature)
  • Romieu H, Charbonnier F, Janka D, Douillard A, Macioce V, Lavastre K, Abassi H, Renoux MC, Mura T, Amedro P. (2018) Efficiency of physiotherapy with Caycedian Sophrology on children with asthma: A randomized controlled trial. Pediatr Pulmonol. 2018 May;53(5):559-566. doi: 10.1002/ppul.23982. (cité 1 fois dans la littérature)

Aucune de ces 3 premières études ne respecte l’exigence d’un bon protocole scientifique : pas de groupe placebo, pas de double aveugle ou de randomisation. Elles ne pourraient pas être prises en compte dans une méta-analyse exigeante. Mais on m’a signalé une étude clinique randomisée contre placebo en double aveugle (Merci Nicolas) !

  • Romieu H, Cha Hugo Jário de Almeida, Silva José Cortez Assunção Júnior, Franciele Santos de Oliveira, Jaine Maria de Pontes Oliveira, Glauko André Figueire do Dantas, Caio Alano de Almeida Lins, Marcelo Cardoso de Souza (2018). Sophrology versus resistance training for treatment of women with fibromyalgia: A randomized controlled trial. Journal of Bodywork and Movement Therapies. (Source)
    • Résumé : sur des patientes atteintes de fibromyalgie, on  compare la sophrologie avec une activité sportive (« resistance training ») et on constate que la sophrologie n’a pas plus d’effet sur la douleur et qu’elle est moins efficace pour récupérer force et motricité.

Après 60 ans d’existence, on tient enfin une étude réalisée dans les règles de l’art… Et elle montre que la sophrologie ne fait pas mieux qu’un placebo, et qu’il vaut mieux faire un peu de sport. Dès lors, pourquoi s’encombrer avec de la « dysphronie », des « epsilons » ou « omicron », avec la « vivance phronique » ou de la « phénoménologie existentielle » ? Jusqu’à preuve du contraire, l’ensemble des concepts de la sophrologie peut passer à la poubelle sans que les patients n’y perdent rien. Et cela est le signe qu’on fait fausse route en défendant la sophrologie, quand en réalité ce qu’il convient de défendre, ce sont les conseils médicaux simples et pas assez écoutés : avoir une activité physique suffisante, surveiller son alimentation, éviter le stress, prendre soin de son sommeil. Si nous acceptions mieux la pertinence de ces conseils, nous n’aurions pas besoin de les entourer d’un décorum, d’une forme de rituel, de notions abstruses ou de pilules ; nous nous en porterions sans doute mieux.

Comment devient-on sophrologue ?

Pour le Ministère de la santé en 2004 : « La sophrologie n’est pas une discipline définie ni reconnue dans le cadre du code de la santé publique. » Par conséquent le métier et le titre de sophrologue ne sont pas réglementés en France. L’exercice de la sophrologie est libre. En d’autres termes, les diplômes en sophrologie ne valent rien car ils ne sont pas protégés, et le sophrologue que vous consultez peut n’avoir suivi aucune formation. On peut obtenir un « master en sophrologie » uniquement en Andorre (paradis fiscal ou Caycedo s’est installé) mais c’est parce que le terme master n’est pas protégé là-bas comme il l’est en France. Cela n’empêche pas de très nombreuses formations professionnelles sur la sophrologie d’être proposées de manière très officielle dans tous les catalogues de formation.

Dans sa thèse de médecine intitulée « Utilisation de la sophrologie par les médecins généralistes : une étude exploratoire » soutenue en 2008[4], Anne Maruéjouls conclut avec ces observations :

  • « Ces médecins ont avant tout choisi la sophrologie comme approche globale, par insatisfaction de l’enseignement de la médecine tel qu’il est dispensé par l’université. Certes utile et nécessaire, cet enseignement n’est pas suffisant à leurs yeux pour relier les dimensions physiques et psychiques de la personne.
  • Leur pratique est hétérogène : ils exercent une activité salariée, libérale en secteur 1 ou 2. La sophrologie s’inscrit soit dans un suivi court de 8 à 10 séances, soit ils l’intègrent à une consultation de médecine générale simple, de psychothérapie ou d’acupuncture. – Cette technique ne peut pas convenir à tous les patients. Il existe des contre-indications, notamment les pathologies de type psychose ou syndrome dépressif sévère en cours.
  • La relation sophrologique est avant tout une relation inter-humaine, qui remet le patient au centre de sa problématique, comme acteur de sa prise en charge. Les médecins insistent sur le fait que cette relation thérapeutique, orientée sur la personne, n’a pas le médicament pour support, ce qui n’est pas le plus fréquent en médecine générale traditionnelle.
  • Interrogés sur l’évaluation de leurs pratiques, ils estiment avoir des difficultés à répondre. La méthode n’a jamais été évaluée scientifiquement et leur point de vue est subjectif. Cela dit, les retours qu’ils ont pu avoir sont plutôt positifs lorsque le patient a réussi à s’impliquer dans la démarche. »

Les dangers de la sophrologie

Que dit la Miviludes sur les pratiques de soin non conventionnel ?

« Les dangers de ce marché alternatif de la guérison et du bien-être tiennent d’abord à l’absence d’évaluation indépendante et rigoureuse des méthodes et des formations qui excluent explicitement ou de fait les pratiques médicales conventionnelles. Mais certaines de ces pratiques répondent également aux critères de la dérive sectaire car elles sont le fait de « gourous thérapeutiques » qui exercent une véritable emprise mentale sur les malades, pour mieux les dépouiller de leurs ressources. »

(source)

Aujourd’hui le domaine le plus concerné par les signalements reçus par la Miviludes est celui de la santé et du bien-être, avant la spiritualité. Ce rappel n’est pas inutile concernant la sophrologie, puisque des dérives ont déjà eu lieu, et parce que le corpus théorique de la doctrine est intensément compatible avec les mouvances ésotériques dont le danger n’est plus à démontrer. Ne prenons qu’un exemple : Raymond Abrezol est l’un des auteurs les plus importants de la sophrologie. L’un des premiers élèves de Caycédo, il est directeur du Collège International de Sophrologie Médicale. Il est dentiste. Ses livres parlent beaucoup de spiritualité. Il relate avoir fait un rêve prémonitoire impliquant l’enseignement de Mikhaël Aïvanhov, qu’il rencontre, qu’il admire et qui est le gourou de la secte « La Fraternité Blanche Universelle »[5]. (rapport parlementaire de 1995)

Et pourtant des médecins l’utilisent et font des recherches dessus.

Sur la base du ressenti des patients, certains pensent que la sophrologie est valide et qu’il faut maintenant l’appliquer, mais c’est une approche qui manque de prudence. On peut sans difficulté croire que le temps passé à échanger avec une personne (sophrologue ou non) attentive, patiente, qui aide à se relaxer, soit un véritable plus pour les malades ou les gens stressés. Être écouté, être pris en charge par des gens sympathiques (et les sophrologues que j’ai croisés étaient tout à fait sympathiques, on aurait vraiment envie de croire à ce en quoi ils croient !) ça fait du bien. Il n’y a rien d’étonnant à ce que des gens dont on prend soin se sentent soignés. C’est sans doute ce temps de soin et d’écoute, en d’autres termes de psychologie, qui fait du bien. L’apport de la sophrologie en tant que telle, avec ses explications, son jargon, son cortège de concepts ésotériques ressemble à une illusion d’optique. Oui, les gens vont peut-être mieux après une séance de sophrologie, oui ils en infèrent aisément que c’est grâce à la sophrologie qu’ils vont mieux, mais non il n’y a en réalité aucune raison de croire que c’est ce qui s’est réellement passé. Le simple fait qu’on s’occupe d’eux, qu’on les traite humainement, avec douceur, est sans doute l’ingrédient secret de la recette.

Le lien vers l’émission du 18 février 2019 : https://www.franceinter.fr/emissions/grand-bien-vous-fasse/grand-bien-vous-fasse-18-fevrier-2019.

Ressources

Il n’existe que de rares ressources sceptiques sur le sujet. Elles sont donc très précieuses, les voici :


[1] Renaud Marhic et Emmanuel Besnier, Le New Age – son histoire… Ses pratiques… Ses arnaques…, Paris, Le Castor Astral, 1999

[2] http://sophrologie.infos.over-blog.com/pages/La_Sophrologie-3229277.html

[3] Source : La quête de l’excellence tome1: Comment augmenter ses performances. De Raymond Abrezol (2013)

[4] https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00638461/document

[5] Alain Gest, Rapport parlementaire de la Commission d’enquête sur les sectes (décembre 1995, Assemblée nationale)

Les conflits d’opinion dans lesquels nous nous lançons s’égarent trop souvent sur l’écueil d’une forme ou d’une autre d’amalgame,d’épouvantail et de procès d’intention contre lesquels j’aimerais proposer un outil intellectuel. On peut y recourir dans le cadre d’un débat d’idées où chacun cherche à améliorer sa compréhension du monde et/ou de la pensée d’autrui. Bien sûr, si votre but est de ridiculiser autrui, de faire votre intéressant ou de gagner des points de popularité devant une foule, il ne pourrait que vous encombrer, et la visite de ce blog risque fort de vous ennuyer.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire ailleurs, nous nous intéressons aux moyens par lesquels chacun peut gagner au débat plutôt qu’aux tactiques pour gagner le débat

Ce que j’appelle la Triade Zététique est un prisme qui nous force à toujours distinguer 3 registres dans nos interactions : l’individu, ses idées, ses arguments.

1. L’individu : J’ai le droit inconditionnel de penser ce que je veux et de témoigner de mon vécu, de mes ressentis. Nul ne peut nier ma subjectivité et mes affects. Nul ne peut prétendre connaître mes intentions.

2. Les idées : Mes opinions, mes représentations, mes priorités, mes valeurs sont discutables, elles peuvent être erronées et ne doivent donc pas être soustraites à la critique qui me permettra de les corriger.

3. Les arguments : Nous n’exprimons pas toutes nos pensées, nous ne défendons pas toutes nos idées. Quand nous le faisons, c’est avec des arguments dont le rôle est d’être évalués par autrui. Les arguments n’ont de raison d’être que s’ils sont examinés, auscultés, mis à l’épreuve, chahutés,etc.

Le Triade Zététique est un moyen de reconnaître et de signifier ce qui appartient au terrain du débat d’idées et ce qui en est exclu.

Nos critiques, nos doutes et nos remises en question ne peuvent concerner que les arguments et les idées. En retour, nous devons nous engager à ne jamais prendre comme une attaque personnelle les critiques qui ciblent nos propos ou nos comportements.

La Triade Zététique rejoint les principes de la communication non violente en cela qu’elle interdit les jugements et accusations. Les procès d’intention sont également proscrits par cet outil, en tout cas en principe, car les intentions et les motivations intimes des individus ne sont que rarement démontrables ou réfutables. Mais il y a plus important : nous devons nous souvenir qu’un argumentaire de mauvaise qualité n’est pas la preuve que les idées défendues sont forcément fausses. Il suffit de passer quelques minutes sur twitter pour s’aviser que des causes importantes sont parfois mal défendues, que des concepts intéressants sont traités n’importe comment, des postures tournées en ridicule par ceux-là même qui les adoptent. Montrer qu’un argument est invalide n’est pas suffisant pour réfuter une idée, il faut encore produire un argumentaire qui permette de le conclure.

Avoir la Triade Zététique à l’esprit au moment de prendre la parole en direct ou sur les réseaux peut être un moyen d’être plus assertif et d’éviter de transformer un débat en combat.


Trouvez-vous ce concept utile ? Estimez-vous qu’il mérite de figurer parmi les outils de la pensée critique à côté du Rasoir d’Ockham,de la Théière de Russell, de la Guillotine de Hume, du Rasoir de Hanlon, du Curseur Vraisemblances et autre Dragon de Sagan ?

Si vous pensez que les figures géométriques retrouvées dans les champs de céréales depuis  60 ans ne sont pas l’œuvre d’humains, vous êtes partisans de l’hypothèse « exotique » et vous appartenez au groupe des exoticiens. Les exoticiens favorisent généralement deux types d’hypothèses : l’intervention extraterrestre, ou la manifestation d’énergies qui viendraient d’un autre plan. Dans les deux cas, les figures sont considérées comme des messages importants, chargés d’un sens qu’il faut décrypter. Mais il y a une troisième voie, celle qui pense que les humains ne sont pas concernés. À travers les agroglyphes la Terre régulerait simplement les énergies qui la parcourent pour recharger des hauts lieux. Bon, d’accord.

Umberto Molinaro fait profession de dire aux gens ce qu’il faut croire sur les Crop Circle

Aucun sceptique attaché à la rigueur de la méthode scientifique ne peut affirmer savoir que tous les Crop Circles du monde sont des canulars, des œuvres de « land art », des sortes de tags exécutés pour la beauté du geste, pour troller les croyants, pour occuper une soirée désœuvrée ou répondant à mille autres motivations. De fait, nous ignorons individuellement et collectivement assez de choses pour pouvoir croire dans des manifestations du paranormal et du surnaturel un peu partout sur Terre, mais sur les mêmes fondations on peut aussi croire que le surnaturel n’existe pas du tout et professer exactement le même niveau de certitude avec tout autant de légitimité. Cela veut dire que nos ignorances ne sont pas le bon matériau pour nous forger une opinion. Il faut sans doute se tourner vers les choses que l’on sait, même si c’est insuffisant et frustrant, sans quoi nous sommes condamnés à commettre la faute logique de l’appel à l’ignorance : Personne n’a la preuve que je ne peux pas me dédoubler et voler à travers les murs, personne ne peut prétendre savoir que je ne lis pas l’avenir, et cette ignorance est la preuve que si ça se trouve c’est vrai.

 

Nous savons que l’agroglyphe de Sarraltrof a été exécuté par un petit groupe d’humains curieux de voir comment il serait reçu, interprété, analysé par des gens passionnés par le sujet, parfois prêts à parcourir des centaines de kilomètres pour le voir de près. Nous le savons mieux que personne parce qu’on était là et qu’on y a participé.

Nous sachions

Nous savons que sa conception n’a pas requis de grandes compétences en mathématiques et que sa confection n’a réclamé qu’environ une heure à une équipe peu expérimentée dans les travaux publics ou l’architecture. Le défi est donc à la portée de n’importe qui d’un peu organisé.

Nous savons que, d’emblée, une partie du public a suspecté la véritable nature de cette figure géométrique bourrée de petits défauts. Et nous savons aussi que des centaines ou des milliers de gens ont déclaré un peu partout avoir la certitude qu’il ne pouvait s’agir que d’un message  provenant d’ailleurs, et cela pour des raisons catégoriques :

  • Aucun humain n’aurait la capacité de le réaliser
  • La résonance des propriétés mathématiques de la figure dépasse l’entendement
  • De nombreuses mouches ont été prises au piège des énergies et collées aux épis
  • La configuration du couchage des blés n’est pas compatible avec le simple outillage que des humains auraient employé (des cordes et des planches de bois)
  • Les géobiologues mesurent de très forts taux vibratoires dans la figure
  • Certains ressentent dans la figure des émotions, des sensations qui ne peuvent que signifier une origine paranormale.
  • Certains ont reçu des messages d’entités non humaines qui leur ont révélé l’origine de l’agroglyphe et une partie de sa signification.

Evidemment, rien de tout cela ne tient une seconde quand on sait la vérité sur le CC de Sarraltroff, et désormais ceux qui prétendaient savoir vont devoir changer leur histoire et trouver des moyens de sauver leur croyance du démenti que les faits leur infligent. La plupart y parviendront sans doute, les autres, plus chanceux ou plus honnêtes, entameront le chemin douloureux de la remise en question et de l’abandon des illusions. Et ils seront les vrais gagnants de l’histoire.

 

 

Une petite partie de la presse a couvert le sujet. Parfois avec la prudence requise, parfois en exprimant une bienveillante condescendance envers les hypothèses exoticiennes, rarement en donnant la parole à des sceptiques 12, en contextualisant les croyances dans une dynamique socio-psychologique, en donnant à la partie du public qui serait interpellée et incertaine les clefs pour ne pas se faire avoir par des récits farfelus. C’est un peu comme s’il y avait d’un côté les gens raisonnables qui savent bien que tout ça n’est pas sérieux, et de l’autre d’indécrottables crédules à qui on aurait renoncé à s’adresser autrement qu’en leur disant gentiment qu’ils ont bien raison de croire ce qui leur fait plaisir.

L’incompétence ou l’impossibilité (quelle qu’en soit la cause) généralisée des médias à apporter au public la démarche intellectuelle la plus prudente à adopter vis-à-vis de tels objets justifie pleinement le projet de ce Crop Circle et du secret dans lequel nous l’avons entrepris à l’initiative d’Arnaud de la chaîne Astronogeek. D’autres vidéastes ont participé au projet, et vous devriez aller jeter un œil sur les vidéos qu’ils ont réalisées autour de ce projet, toutes sortent aujourd’hui !

Nous ajouterons évidemment le lien vers la vidéo de La Tronche en biais sur cette affaire.

Il serait facile de tourner en ridicule tous ceux qui ont prétendu savoir ce que de toute évidence ils ne savaient pas sur ce Crop Circle. Une fois toute l’affaire révélée, on peut s’amuser à compter les points. Mais il nous semble plus important de ne pas accabler les exoticiens prosélytes et d’en tirer une leçon collective. Elle tient en une phrase : il n’y avait aucune bonne raison de penser que cette figure n’était pas d’origine humaine.

Il y avait même toutes les raisons de penser le contraire, et tous les outils étaient disponibles pour bien se questionner et aboutir aux bonnes conclusions. Conclure ne veut pas dire se fermer complètement aux explications alternatives. Comme dit tout au début de cet article : nous ignorons trop de choses sur le monde pour nous montrer immodérément affirmatifs. Mais en l’absence de réponse définitive sur ce qui est vrai ou faux, sachons faire preuve de sagesse en utilisant à bon escient les concepts de vraisemblable et invraisemblable.

 

Il y a très probablement de la vie ailleurs que sur Terre. Il est vraisemblable que de la vie intelligente se trouve en ce moment quelque part. Il est même possible qu’une civilisation plus avancée que la nôtre sillonne l’espace. Oui. Tout cela est bien envisageable, il est raisonnable de considérer que ces idées ont une réalité, même en l’absence de preuve, tout simplement car nous avons accumulé assez de connaissances pour savoir qu’il y a des raisons de croire que c’est vrai. Mais que la Terre soit discrètement visitée par des êtres venus d’ailleurs ou que des entités (Êtres de Lumière, Galactiques, ou ce que vous voulez) viennent coucher les blés pour harmoniser les énergies de la planète ou nous adresser des messages, ça c’est invraisemblable parce que ce n’est cohérent avec rien de ce que nous savons, et cela nous demande de supposer bien trop de choses au sujet de ce que nous ignorons. Il est sage de considérer que c’est improbable sans s’interdire de jouer avec l’idée et d’en faire de réjouissantes fictions. Jusqu’à preuve du contraire.

Et quand à ceux qui, en l’absence de preuve ou contre les faits eux-mêmes, vous disent qu’ils savent quelque chose et sont en contact avec des entités qui les informent, vous devriez maintenant avoir de bonnes raisons de penser que leur honnêteté intellectuelle est peu vraisemblable.

 

 

Par Sebastian Dieguez, titulaire d’une seule thèse, affilié à la NASA et visiteur du campus de Harvard qu’il a traversé une fois pendant ses vacances.

Note :

Le texte qu’on va lire a été initialement rédigé pour figurer dans mon livre Total Bullshit ! et s’intitulait « Etude de cas I : La revanche d’un cancre ». Il n’a finalement pas été retenu pour diverses raisons, mais, quoi qu’il en soit, il s’agissait d’appliquer le concept théorique de bullshit, longuement développé dans les 4 premiers chapitres du livre, à un cas particulier afin d’en illustrer l’intérêt heuristique. De fait, on comprend à mon avis beaucoup mieux des anomalies telles que le cas Aberkane une fois qu’on a saisi ce qu’est et comment fonctionne le bullshit. Néanmoins, pour que le texte soit lisible sans que l’on se soit préalablement plongé dans les parties théoriques du livre, j’ai considérablement altéré le chapitre initial afin qu’il soit lisible isolément. Il va sans dire, cependant, que pour profiter d’une expérience de lecture optimale, l’utilisateur serait fort bien avisé de faire l’acquisition du livre, et d’y insérer mentalement le présent texte entre le chapitre 4 et le chapitre 5.


Le cas Aberkane

 J’ignorais tout d’Idriss Aberkane avant que des internautes ne s’offusquent de son portrait dithyrambique paru sur le site du Monde, dans la rubrique « Science & Médecine » le 24 octobre 2016. On y découvrait un « jeune chercheur » d’à peine 30 ans, « bardé de diplômes » et « passionné de neurosciences, biologie, informatique, mathématiques, philosophie, géopolitique », qui s’est donné pour mission d’« ouvrir les sciences au grand public ». En particulier, son pédigrée académique avait de quoi donner le vertige :

 

« Son CV, gargantuesque, cumule diplômes, fonctions, publications et conférences : enseignant-chercheur à l’Ecole centrale de Paris et à Polytechnique, affilié à l’université Stanford, normalien, ambassadeur du Campus numérique des systèmes complexes Unitwin-Unesco, créateur de trois start-up, titulaire de trois doctorats : en neuroergonomie et économie de la connaissance (Ecole polytechnique), en littérature comparée (université de Strasbourg) et en diplomatie (Centre d’études diplomatiques et stratégiques). »[1]

 

Hélas, le milieu académique étant particulièrement pointilleux pour tout ce qui concerne postes, publications, statuts et distinctions, certains se sont immédiatement interrogés devant ce curriculum particulièrement flatteur… et ont donc procédé à quelques vérifications. Pour ce qui me concerne, étant neuroscientifique mais n’ayant néanmoins jamais entendu parler d’un personnage aussi brillant, j’ai simplement souhaité savoir sur quoi portaient ses travaux afin de m’en faire ma propre idée. Malheureusement, je n’ai trouvé aucune publication scientifique d’Aberkane, pas la moindre ! Dommage. Il n’est pas rare, en effet, quand on travaille dans un domaine aussi foisonnant que celui des sciences cognitives et des neurosciences, de découvrir des chercheurs particulièrement prometteurs, ou même des séries de travaux qui nous avaient complètement échappé, mais dont l’importance, immédiatement, ne fait aucun doute.

Ce ne devait pas être le cas avec cet individu. Je n’entre pas dans le détail du CV gonflé aux hormones d’Aberkane, que d’autres se sont donné la peine d’investiguer minutieusement[2], forçant au passage Le Monde à réexaminer son portrait et même à le retirer en urgence, à la fois de leur site et de la version papier dont la sortie était prévue pour le lendemain. Un discret correctif est ensuite apparu sur la version online, et le portrait a fini par être publié dans l’édition papier du 1-2 novembre 2016, avec quelques retouches. Dans cette version définitive, on apprenait qu’Aberkane « irrite certains chercheurs » et qu’il « joue des codes honorifiques d’un milieu académique souvent plus frileux [que lui] ».

 

Qu’Idriss Aberkane ne soit pas du genre « frileux », cela ne fait guère de doute lorsqu’on voir la manière dont il se présente sur son CV, et dans le simple fait qu’il ait acquis trois thèses en à peine trois ans. Par exemple, même après le tumulte causé par l’article du Monde, Aberkane persiste à se présenter comme « co-auteur final » d’une publication en psychoacoustique. Passons sur le fait que la publication en question n’est pas du tout un article à proprement parler, mais simplement une note soumise à un congrès. Le problème est que la notion de « co-auteur final », telle que l’invente Aberkane, n’a aucun sens en science, elle ne peut servir qu’à faire passer sa contribution pour plus importante qu’elle ne l’a été[3], et surtout à tenter de sauver et mettre en avant ce qui semble être son unique « contribution » scientifique, datant de 2007, alors que, selon ses termes, il était « invité (…) comme assistant de recherche rémunéré au département de psychologie expérimentale de l’Université de Cambridge ». Justement, Aberkane dit avoir été « invité » et « interne » à Cambridge, et « invité » et « affilié » à Stanford. Il joue ici encore sur les mots, les termes « visiting scholar » n’ayant rien de prestigieux dans le monde académique anglo-saxon et le terme « intern » signifiant simplement stagiaire (« rémunéré » ou pas). Quant à « affilié », le terme est suffisamment vague pour qu’on puisse se dire « affilié » à une institution elle-même « affiliée », d’une manière ou d’une autre, à « Stanford », ce qui ne fait pas de vous une personne que s’arrachent les universités les plus prestigieuses du monde. Après tout, étant moi-même « co-auteur final » d’un article rédigé avec un collaborateur de la NASA, je me retrouve de facto « affilié » à la NASA[4].

Je me fiche en général bien de savoir si quelqu’un travaille à Stanford, à Harvard ou à la NASA, mais ce qui m’interpelle ici c’est la volonté évidente de laisser entendre que c’est le cas[5]. Rien de tout cela n’est évidemment nécessaire quand vous faites des choses intéressantes par ailleurs, surtout qu’il n’y a rien de honteux pour un chercheur confirmé à avoir été stagiaire ou simplement d’être allé jeter un coup d’œil à des laboratoires à l’étranger, sur « invitation » ou pas.

Il n’y a donc, d’un point de vue strictement scientifique, à peu près rien de concret qui permette de juger du talent d’Idriss Aberkane. C’est d’autant plus dommage que, comme il ne cesse de le répéter, il est l’auteur de trois thèses, obtenues entre décembre 2013 et février 2016, sur trois sujets complètement différents (« diplomatie », « littérature comparée »[6] et « neurosciences et économie de la connaissance »). Voilà qui aurait du produire une matière amplement suffisante pour permettre quelques publications à droite et à gauche. Malgré tout ce qu’on peut entendre sur la galère et l’arbitraire du jeu des publications académiques, quand on dispose de données ou même simplement de bonnes idées, il y a toujours moyen, en se mettant vraiment au travail, et peut-être en revoyant ses ambitions à la baisse, de sortir quelque chose quelque part.

Mais dans le cas présent, les thèses en question semblent pour ainsi dire se suffire à elles-mêmes. Trois thèses ! Voilà de quoi impressionner son petit monde… Sauf, naturellement, quiconque connaît un tant soit peu le milieu académique. De fait, si un chercheur ou un chef de laboratoire voyait la présence de trois thèses sur le CV d’un candidat, dans la plupart des cas il le rejetterait immédiatement, d’autant plus si le candidat, sur toute la durée de ces « doctorats », n’a pas su produire la moindre publication scientifique. « Avoir » trois thèses n’est absolument pas un gage de compétence, bien au contraire, c’est la preuve qu’on a probablement affaire à un touriste académique, quelqu’un qui n’a ni projet, ni discipline, ni à vrai dire aucun sérieux. De plus, un employeur universitaire, constatant que les trois thèses ont été acquises en moins de trois ans, et sachant qu’une véritable thèse demande à peu près 4 ans de travail assidu dans un laboratoire, aurait à se demander si celles-ci ne sont pas, peut-être, des thèses de complaisance.

Le fait est que le monde académique est peut-être un peu « frileux », mais il n’a rien contre les touche-à-tout, les personnes curieuses et ouvertes, et encore moins celles qui ont de multiples talents. A cet égard, si on dispose de ces qualités, une thèse suffit, et même largement. Mais trois thèses en trois ans, si ça peut époustoufler des animateurs de télévision et des journalistes, c’est en principe quelque chose de complètement rédhibitoire pour un scientifique[7].

 

Je m’en tiendrai là pour ce qui concerne le profil et la carrière scientifique d’Idriss Aberkane, c’est déjà plus qu’il n’en faut pour mon propos. Je note simplement qu’avant la remise en cause frontale de ses exagérations et embellissements, jamais, à ma connaissance, Aberkane n’a spontanément corrigé le tir quant aux titres élogieux dont la presse l’affublait, y compris celui de professeur et de « chercheur émérite »[8].

 

Pourquoi Le Monde, et une grande partie des médias, a cru bon de dresser un portrait aussi exagéré d’Idriss Aberkane (et même de lui consacrer un portrait tout court), s’il n’a en réalité jamais rien accompli scientifiquement, ni rien d’autre de véritablement tangible ? Ah mais c’est qu’il a écrit un livre[9], et qu’il s’agissait d’en faire la promotion. Un livre étant un objet concret, on se dit donc qu’on va y trouver de quel bois se chauffe Aberkane pour de vrai, et en quoi consiste exactement sa contribution à la connaissance. Il est en effet fort possible pour des personnes sans qualifications et sans travail scientifique, ou même pour des personnes au parcours inhabituel et aux prétentions douteuses, de produire néanmoins de l’excellente vulgarisation, et même de synthétiser de façon originale et productive le travail des autres. C’est peut-être un talent de ce genre qui justifie la célébrité et l’attention portée sur Aberkane, ainsi que le succès commercial de son ouvrage. Hélas, une lecture attentive de Libérez votre cerveau ! indique qu’il n’en est rien.

Le reste de ce texte s’efforcera de présenter le curieux ouvrage en question, et tentera d’expliquer l’étonnante mécanique du bullshit qui s’y déploie. Ce que j’appelle la « méthode Aberkane » est en effet un exemple assez spectaculaire de bullshit, et ce cas me fournit ainsi l’occasion d’appliquer le concept de clarisme de Diego Gambetta, la notion de mimétisme épistémique, la variété pseudoscientifique du bullshit performatif, de dire quelques mots sur deux tendances contemporaines de bullshit (le technobullshit et le neurobullshit), et d’introduire le concept d’« effet gourou inverse », c’est-à-dire l’effet gourou de Dan Sperber dans sa version contemporaine[10]. Mon hypothèse n’est pas simplement qu’on comprend mieux le cas Aberkane grâce à la notion de bullshit : je pense surtout que le bullshit offre le seul moyen de saisir en quoi consiste exactement l’entreprise d’Aberkane.

 

Bullshittez votre cerveau !

Mais j’ai d’abord la lourde tâche de parler du contenu de Libérez votre cerveau ! Même si je dois avouer que cette lecture ne m’enchantait pas énormément, rien ne m’avait préparé à une expérience aussi étrange. Je ne peux qu’en donner ici une idée très générale et mettre en avant certains aspects choisis, car la nature même du bullshit aberkanien m’empêche d’en fournir un compte rendu en bonne et due forme.

En effet, ce « traité de neurosagesse pour changer l’école et la société » (c’est le sous-titre) ne fait que trimballer le lecteur d’une chose à l’autre sans que l’on sache jamais où l’auteur veut en venir. Tout n’est que coq-à-l’âne permanent entre anecdotes personnelles, pseudo « coups de gueule », vagues affirmations, diagnostics à l’emporte-pièce, soudaines « perles de sagesse », conseils en vrac, et comparaisons hasardeuses. Titres et intertitres ne renseignent quasiment jamais sur ce dont il sera question dans chaque section, les répétitions pullulent, sans que cela n’empêche les contradictions flagrantes, et surtout rien, dans ce livre, n’est jamais mené sérieusement à son terme, ou à quelque chose qui ressemblerait, même vaguement, à une conclusion. Tel un garnement hyperactif, Aberkane pense généralement en avoir fini avec quelque chose avant même d’avoir commencé, ce qui rend la lecture – dans la mesure, évidemment, où l’on tente véritablement de lire ce livre du début à la fin – franchement pénible.

On a pu relever un certain nombre d’erreurs dans l’ouvrage[11], mais ce n’est pas vraiment ce genre de détails qui me frappe le plus. Les livres de vulgarisation contiennent immanquablement des erreurs et des raccourcis, et il n’y a rien de surprenant à ce que nombre de ce type d’ouvrages s’avèrent au final très décevants, surtout pour les spécialistes. Non, ce qui m’étonne réellement, ce n’est pas la présence d’erreurs, mais leur caractère tout à fait révélateur sur l’expertise et la rigueur de l’auteur. Par exemple, jamais un spécialiste des sciences cognitives ne traduirait « cognitive miser » par « miséreux cognitif » (p. 90). C’est déjà faux en anglais, mais surtout c’est un contresens total, puisque miser signifie « avare », et le concept de cognitive miser renvoie à des opérations mentales économiques effectuées sur la base de schémas de pensée pour ainsi dire « prêts à l’emplois », qu’on appelle des heuristiques. Mais de toute façon, plutôt que d’explorer ce concept et les très intéressants débats qui l’entourent, Aberkane s’en détourne immédiatement pour évoquer « la grandeur de la conscience » dont manquerait le « tout-venant politicien », ce qui conduit immanquablement à l’horreur nucléaire de Nagasaki… avant de passer tranquillement à tout autre chose.

Quelqu’un qui sait de quoi il parle prendrait également bien garde de ne pas écrire répétitivement « facteur G », même, ou surtout, quand il s’agit de conspuer ce concept (p. 21). C’est pédant, je sais, mais le facteur général d’intelligence s’abrège g, en minuscule et italique, en tout cas dans l’énorme littérature sur ce concept fort complexe et controversé, mais qui mériterait à tout le moins un exposé plus instructif que la diatribe désorganisée qu’Aberkane lui consacre. Cela lui éviterait d’énoncer une ânerie comme celle-ci : « le simple fait que des humains au facteur G [sic] moins éminent aient survécu deux cent mille ans démontre que la nature, elle, ne nous a pas sélectionnés sur ce principe » (p. 23). Ce qui est encore plus épatant, c’est que nos ancêtres aient tous trouvé le moyen de survivre suffisamment de temps pour se reproduire sans avoir « libéré leur cerveau » grâce au livre d’Aberkane.

Il n’est d’ailleurs guère étonnant que notre auteur s’offusque de la « vénération des données dans notre monde académique » (n.1, p. 43), cela explique parfaitement ses difficultés à interpréter celles-ci correctement (et probablement également son refus obstiné d’en récolter, de les analyser et de les publier). Ainsi, quand Aberkane aurait quelque chose de potentiellement intéressant à nous apprendre à propos, justement, de données scientifiques, il utilise systématiquement cette belle occasion pour complètement flancher. Prenons une expérience qu’il cite en page 59. Voici ce qu’il en dit :

 

« En 2011, Kazuhisa Shibata et ses collaborateurs de l’université de Boston parviennent à accélérer un apprentissage simple en stimulant le cortex visuel primaire de leurs sujets. L’expérience est marquante. Les sujets résolvent un puzzle sur un écran ; on étudie l’activité de leur cortex visuel par imagerie à résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Ensuite, on utilise l’IRM pour stimuler le cortex de nouveaux sujets, qui n’ont jamais vu ce puzzle. Résultat : ces sujets apprennent sensiblement plus vite à le résoudre, du fait de leur stimulation en amont. On a accéléré leur apprentissage. Cette technique (…) est un pas décisif vers « l’impression » d’une connaissance dans le cerveau. »

 

Connaissant l’étude en question, je me rends assez mal compte de ce qu’un lecteur non-informé peut comprendre à ces lignes. A mon avis pas grand-chose, mais surtout absolument rien de ce que cette étude a réellement montré. Notre prodige de la vulgarisation a certes choisi un exemple assez compliqué, mais dans ce cas il aurait dû prendre le temps de bien expliquer la chose, ou au moins de la comprendre lui-même. L’étude porte en fait sur la question débattue de l’apprentissage perceptif visuel : est-il lié causalement à l’activité du cortex visuel primaire ? Pour le savoir, des chercheurs ont mis au point un dispositif astucieux en plusieurs étapes. D’abord, les sujets, au nombre de 10, effectuaient une tâche classique de discrimination visuelle : il s’agit simplement de juger de l’orientation d’un patch de lignes parallèles présenté très brièvement sur un écran, en l’occurrence de détecter les patches tournés de 10°, de 70° (les lignes sont alors presque à la verticale) ou de 130°. On obtient ainsi leur performance de base, les gens étant plus ou moins doués pour ce genre d’exercice. Ensuite, on glisse les mêmes sujets dans un scanner, et on enregistre leur activité cérébrale lorsqu’ils regardent attentivement chacun des différents patches, sans avoir à juger de leur orientation, ni rien faire d’autre. Les trois orientations choisies sont suffisamment distinctes pour qu’on puisse identifier leur « signature » respective dans le cortex visuel, et ce pour chacun des sujets indépendamment. Une fois ces données récoltées, les sujets peuvent entamer la troisième phase de l’étude, qui est assurément un coup de génie : pendant plusieurs jours de suite, ils vont à nouveau être passés au scanner, mais pour se livrer uniquement à la tâche ahurissante consistant à devoir faire grossir un cercle sur un écran par la seule force de leur pensée, sans aucune autre forme d’instruction. De fait, voici exactement ce que leur disaient les chercheurs : « débrouillez-vous pour réguler la partie postérieure de votre cerveau de sorte à rendre le cercle vert qui va vous être présenté dans 6 secondes aussi grand que possible ». L’astuce marche de la manière suivante : pour chaque sujet, les chercheurs ont sélectionné le profil d’activité, la signature cérébrale donc, enregistrée pour une orientation précise du patch lors de la deuxième phase de l’expérience. Quand, dans la troisième phase, l’activité de ce réseau de neurones particulier est reconnue par le scanner, alors l’information est retransmise à un ordinateur qui fait que le cercle vert sur l’écran s’agrandit un peu. Mais, c’est le point crucial, les sujets n’ont aucune idée de ce qu’ils doivent faire ! Simplement, en pensant à des choses et d’autres, pendant les 5 ou 10 jours d’« entraînement » qu’ils subissent ainsi, ils en viennent progressivement à trouver les moyens « mentaux » de faire grandir le cercle. Ils apprennent à activer eux-mêmes, sans le savoir, la région du cerveau qui est associée à une orientation particulière du patch perçu en début d’expérience, et seulement cette orientation-là. La dernière phase de l’expérience reprend simplement la tâche de la première phase, et surprise, on découvre que les sujets sont devenus nettement meilleurs pour détecter l’orientation du patch dont ils ont auto-activé, à leur insu, la signature cérébrale. Ils se sont donc « entraînés » à faire grossir un rond, sans savoir qu’ils activaient ainsi de manière répétée une aire cérébrale servant à détecter l’orientation de lignes parallèles. Conclusion : le cortex visuel primaire est donc bien causalement associé à l’apprentissage perceptif. Observation tout aussi instructive : les sujets n’ont pas fait le moindre progrès pour détecter les autres orientations.

J’ai évidemment dû faire plus long qu’Aberkane, mais je vois mal comment on pourrait résumer cette étude, tout en la rendant claire, autrement qu’en en détaillant chaque étape et la logique générale du dispositif. Et si je ne me suis pas fait comprendre, ce n’est pas vraiment mon affaire, puisque ce n’est pas moi qui ai décidé d’évoquer cette étude très sophistiquée dans un livre de vulgarisation. Mais ce que tout le monde aura compris, il me semble, c’est que cette expérience ne montre absolument pas qu’on peut « accélérer un apprentissage »[12], qu’il n’y avait aucun « puzzle » à « résoudre », que personne n’a directement « stimulé » le cortex visuel primaire des sujets, et qu’à aucun moment de « nouveaux sujets » ne sont intervenus. Mais de toute façon Aberkane n’en dit pas plus, puisqu’il enchaîne immédiatement sur tout autre chose, qui s’avère d’ailleurs tout aussi fantaisiste.

On pourrait reprendre quasiment chaque étude mentionnée dans le livre pour des confusions et des raccourcis hâtifs de ce genre, mais celui-ci est particulièrement instructif en ce qu’il est révélateur des méthodes et des intentions d’Aberkane. En effet, Aberkane fait grand cas de la « neuroergonomie » dans son livre et ses conférences, et il avait là l’occasion de développer un exemple spectaculaire et brillant de la manière dont un « entraînement » cérébral parfaitement inconscient peut conduire à l’amélioration de certaines capacités perceptives (sans pour autant se généraliser). Au lieu de cela, il se lance dès le début du livre dans l’hyperbole la plus extravagante, sans que jamais il ne prenne la peine d’étayer correctement ses affirmations. Ainsi entame-t-il son introduction : « Nous n’utilisons pas bien notre cerveau. A l’école, au travail, en politique, nous n’utilisons pas ergonomiquement notre cerveau (…) La neuroergonomie, c’est l’art de bien utiliser le cerveau humain (…) Faire de la neuroergonomie, c’est changer le monde, cerveau après cerveau, et changer la destinée de l’humanité. Faire de la neuroergonomie, c’est libérer la vie mentale des gens » (p. 15), et beaucoup plus loin, cette seule définition de la neuroergonomie : « l’art de présenter les savoirs de façon digeste et accessible, donc efficace » (p. 108)[13].

Bien sûr, il y aurait beaucoup à dire sur un pareil programme, sauf qu’on n’en saura rien dans le livre d’Aberkane, puisque son propos se contente de bifurquer sur les horizons radieux de l’humanité que représentent les calculateurs prodiges et les mentalistes, avant de se tourner soudainement vers cette chose épouvantable qu’est l’école. Aberkane, en effet, a de nombreux griefs contre celle-ci. Non pas qu’il se plaigne que les enfants d’aujourd’hui ont trop de liberté, qu’on leur laisse trop d’autonomie ou qu’ils ne sont pas suffisamment cadrés par une figure autoritaire. Non, il opte pour l’autre lubie : celle qui soutient qu’à l’inverse, l’école bride la créativité par un système absurde de compétition entre les élèves visant à formater leurs esprits afin qu’ils soient utiles à la société comme de bons petits moutons. On réfrène un long bâillement tout le long de cette rengaine entendue mille fois, en attendant de découvrir comment la neuroergonomie, ou quoi que ce soit d’autre, permettrait de régler ce débat navrant une bonne fois pour toutes. Hélas, il va sans dire qu’aucune solution concrète n’est proposée, si ce n’est d’invoquer le besoin d’expérimenter, de développer l’excellence secrète et précieuse de chacun, de « remettre l’épanouissement au cœur de la mission éducative » (p. 129), sans oublier bien évidemment de « remettre le plaisir au cœur de l’école » (p. 132), tout en gardant à l’esprit que « l’éducation ergonomique est multimodale » (p. 125). Bref, autant de poncifs éculés saupoudrés à la sauce start-up, qui ne semblent conduire qu’à cet aphorisme bullshit, dont Aberkane semble très fier puisqu’il le qualifie de « neurosagesse fondamentale » (p. 130) : « Il ne faut pas forcer le cerveau à ressembler à notre école, il faut forcer notre école à ressembler à notre cerveau » (p. 126)[14]. Pour Aberkane, en effet, « plus on s’imprègne de cette formule, plus on quitte la caverne du conditionnement ».

Sauf qu’avant de chercher à nous conditionner à ne plus être conditionnés, Aberkane, et tous les gogos des vertus de la « neuroéducation » ou de « l’éducation ergonomique », devraient plutôt se demander si la principale vertu et fonction de l’école, au final, ne serait pas précisément de ne pas s’adapter au cerveau humain, puisqu’il s’agit, si j’ai bien compris le concept d’éducation, de faire en sorte que les enfants sortent un peu de leur nature animale pour intégrer ce qu’on appelle la culture, qui, comme la science, s’oppose tout de même assez souvent à nos instincts primaires et aux intuitions biaisées de notre cerveau. Il se pourrait bien qu’apprendre à réfléchir, acquérir des informations historiques, géographiques, linguistiques, etc. n’ait rien de « naturel », et de toute façon les instituteurs n’ont pas attendu Aberkane et les neurosciences pour parvenir à instruire correctement au moins quelques générations d’Homo Sapiens[15].

Quoi qu’il en soit, ce genre de réflexions n’est guère susceptible de freiner les ardeurs d’Aberkane, car notre prodige est de toute évidence un homme pressé. Ainsi, sur l’idée générale que la culture exploite certaines fonctions ancestrales du cerveau humain à des fins nouvelles, il y aurait bien des choses tout à fait passionnantes à dire et à explorer[16]. Mais ce serait là un projet tout à fait barbant et excessivement technique, alors qu’il lui suffit de le considérer comme acquis et de l’utiliser à toutes les sauces sans trop s’attarder sur des détails scientifiques.

Cette légèreté et cette hâte se reflètent hélas dans d’innombrables problèmes, comme par exemple le fait que les pages 250-252 semblent directement pompées de Wikipédia, bien qu’adroitement paraphrasées. On trouve également de sérieux soucis de référencement, comme lorsqu’Aberkane s’aventure à « discuter » les différences entre hommes et femmes quant à la séduction[17]. Page 168, il écrit ceci : « En 1997, Rand Fishskin et Richard Miller sondent ainsi des étudiants avec la question : « Combien de partenaires sexuels désirez-vous dans la vie ? » Il se dégage une moyenne supérieure à 60 chez les garçons, contre 2.7 pour les filles ». Une affirmation qu’Aberkane appuie curieusement avec un article de Pedersen et al. (2002) qui ne rapporte absolument pas ces chiffres, mais plutôt l’inverse : hommes et femmes désirent essentiellement le même nombre de partenaires sexuels, et ce nombre est proche de 1. Dans cet article, on trouve bien une référence à un chapitre de livre écrit par Lynn Carol Miller et Stephanie Allison Fishkin en 1997, qui comporte effectivement les chiffres avancés par Aberkane. Mais, outre que notre petit génie semble avoir inventé de toute pièce les prénoms de ces chercheuses tout en les transformant en hommes, l’objet de leur interprétation consistait justement à minimiser ces moyennes, puisqu’une très petite minorité d’hommes répondaient qu’ils souhaitaient entre 1000 et 10’000 partenaires sexuelles tandis que la plupart, comme les femmes, répondaient quelque chose entre 0 et 20, ce qui évidemment rend l’usage de la moyenne totalement inopérant sur cette question. De fait, en examinant la médiane de ces données, on tombe sur un nombre de partenaires désirés remarquablement proche pour les hommes et pour les femmes, c’est-à-dire 1[18].

 

On pourrait évidemment me reprocher de pointer du doigt certaines maladresses malheureuses plutôt que de m’intéresser au fond de l’ouvrage. Le problème, c’est que je ne peux pas m’attarder ici à décortiquer le livre en entier, mais si j’utilise ces exemples, c’est bien parce que l’ensemble du texte est conçu avec la même nonchalance et absence de rigueur. Tout est à l’avenant. Et si Aberkane a d’évidents soucis avec la présentation des faits et une façon de raisonner pour le moins cavalière, ce qu’il a à proposer de son cru n’est guère plus encourageant.

Ainsi, page 122, il présente sa « théorie du suicide », qu’il « résume en une phrase : « Self-ExploDes », littéralement « il auto-explose » ou « l’explosion du moi » ». Selon Aberkane, les gens se suicideraient parce qu’ils ont une « mauvaise image de soi-même », qu’ils ont perdu le « goût de l’exploration », et qu’ils sont victimes de « désocialisation », trois malheurs dont l’école contemporaine se rendrait coupable. Sur un sujet aussi sérieux, Aberkane ne craint donc pas à la fois d’avoir inventé la poudre et de lancer des accusations irresponsables et graves. Mais comme à son habitude, il n’en dit pas plus et passe immédiatement à autre chose, alors qu’on aurait évidemment souhaité avoir plus de détails sur cette « théorie », comme par exemple sur quelles données elle se base, comment on pourrait la mettre à l’épreuve, en quoi elle se distingue des autres théories du suicide développées de longue date par d’innombrables chercheurs, quelles sont ses prédictions, bref, le genre de choses qui accompagne généralement l’énoncé d’une « théorie ». Sans quoi, évidemment, on voit mal ce qui la distinguerait d’une simple opinion.

Autre trouvaille aberkanienne : la « matrice Love Can Do », développée, nous dit l’auteur, « à Centrale et à Stanford » (p. 136). On pourrait, selon ce « modèle de management inspiré de ceux élaborés par les grands cabinets de conseil », situer les individus en fonction des axes du plaisir (Love) et de la compétence (Can Do). Ainsi, il y a des gens qui aiment ce qu’ils font mais qui sont incompétents, et d’autres qui sont très doués mais qui s’ennuient. Idéalement, pense Aberkane, qui fournit même un schéma pour qu’on comprenne bien, il faudrait devenir très compétent pour ce qu’on aime faire, et réciproquement bien sûr. Et c’est tout. On se demande bien ce qu’attend le comité Nobel pour récompenser cette découverte aussi époustouflante qu’audacieuse, et ce qu’on trouve dans l’eau de Stanford qui puisse expliquer l’émergence, à cet endroit particulier, d’idées aussi révolutionnaires[19].

Une autre avancée majeure introduite par Aberkane ? L’« hyperécriture ». Notre système d’écriture actuel, en effet, n’est pour Aberkane « qu’un modeste début » (p. 197). On pourrait, explique-t-il, « systématiser davantage l’externalisation de notre vie mentale, et ce mouvement produirait de fascinants médias ». Comment ? Son idée consiste à « spatialiser et écrire notre pensée », non pas avec des mots, mais avec des dessins, sur lesquels on pourrait placer nos idées, puis zoomer pour encore placer d’autres idées, et ainsi obtenir une sorte de vue d’ensemble manipulable à volonté. Qui sait, peut-être qu’en poursuivant ce qu’il appelle « [s]es travaux » (p. 198) sur le sujet, Aberkane en viendra un jour à inventer le croquis, la figure, le schéma, le plan, l’interface, le graphique, le gribouillis sur un coin de table, ou même le dessin ?[20]

 

Je reviendrai plus bas sur une autre « théorie » d’Aberkane, mais je crois que ces trois exemples en disent assez sur le potentiel créatif de ce « remue-méninges », comme le désignait son portrait du Monde. Pour l’heure, il me reste à terminer ce douloureux survol par quelques mots sur le style et le message général de l’ouvrage. J’ai déjà relevé l’absence totale de construction et de progression dans le texte, où les thèmes se succèdent sans lien évident, sont brusquement abandonnés en cours de route, et ne sont jamais correctement introduits, définis ou argumentés. En fait, on ne sait jamais de quoi Aberkane nous parle exactement, ni même pourquoi il nous en parle. Ce ne serait pas si grave si, de fait, le seul (mais vague) fil conducteur apparent du texte ne ressemblait pas à un crédo sur l’importance de présenter optimalement les fruits de la connaissance au public, de sorte à ce qu’il puisse les intégrer facilement et y prendre du plaisir. C’est tout le paradoxe de Libérez votre cerveau ! : l’ouvrage est censé présenter et défendre les principes généraux, tirés de la recherche scientifique la plus pointue, guidant l’accès à la connaissance, mais ces principes ne sont jamais clairement établis, et surtout ils ne sont de toute évidence pas appliqués. Je ne suis pas un spécialiste de la neuroergonomie, mais il me semble qu’un fatras ininterrompu de faits isolés, de digressions sans but, d’anecdotes et d’opinions personnelles, d’erreurs grossières, de coq-à-l’âne inexpliqués, de « théories » bidon, de truismes, d’hyperboles et d’aphorismes péremptoires, ne font pas vraiment de la bonne vulgarisation.

L’idée qu’Aberkane semble se faire de la vulgarisation, c’est qu’il faut sans cesse employer des analogies et des métaphores. La connaissance, le cerveau ou l’apprentissage deviennent ainsi, indifféremment, des villes, des rivières, des buffets gastronomiques, du sexe, un avion, des champs de légumes, des galaxies, des entreprises, sans que jamais tout cela ne mène à rien, ni n’aide à la compréhension de quoi que ce soit[21]. Il y a quelque chose de franchement infantilisant dans cet usage permanent et hasardeux de la comparaison, une vision condescendante de la vulgarisation, que l’auteur a même tenu à exacerber par la présence incongrue d’une sorte de bande-dessinée en milieu d’ouvrage, qui n’est ni introduite, ni présentée, ni expliquée dans le texte courant, et qui reprend les plus belles perles du livre sans y ajouter la moindre plus-value, et encore moins de structure.

Mais ce qui frappe le plus dans ce livre, c’est le caractère péremptoire du propos. Aberkane semble habité par un fantasme de toute-puissance, convaincu qu’il est de contribuer à changer le monde, attribuant à chaque page les bons et les mauvais points, identifiant sans peine les gentils et les méchants, égrenant les conseils et les leçons tel un oracle, dénonçant les crétins qui ne savent pas y faire et donnant majestueusement raison à ceux qui ont l’heur de lui plaire. Pour quelqu’un qui ne cesse de parler de l’arrogance des « scientifiques » et les dangers de « l’ego », on ne peut qu’être stupéfait par le narcissisme du personnage. De fait, bien qu’il ne cesse de s’émerveiller des pouvoirs insondables de l’amour, de la fraternité et de la sagesse (ou même de la « neurosagesse »), ce qui ressort avant tout de Libérez votre cerveau !, c’est une infinie amertume, une aigreur, un mépris, une rancœur dont il ne semble même pas s’apercevoir. Je veux bien admettre qu’il y a de nombreux problèmes en France, et ailleurs, pour ce qui concerne l’éducation, les institutions universitaires et les rigidités administratives qui empêcheraient de « réussir » ou d’« innover ». Mais Aberkane ne fait que le décréter sans vraiment argumenter ni expliquer les causes de cet état de fait, autrement bien sûr qu’en évoquant la sempiternelle peur du changement, le goût pour la conformité, les ravages de l’entregent et la frilosité des dirigeants et décideurs, sans se figurer une seule seconde, bien entendu, que des individus dans son genre puissent faire partie de ces problèmes. Pour ce qui concerne la France, j’ai en effet bien l’impression que la mise en avant permanente de pseudo-experts, d’imposteurs et de grandes-gueules en tout genre contribue largement à éclipser nombre de travaux remarquables, et pire, à dévaloriser les valeurs primordiales pour l’avancement des connaissances que sont la rigueur, la patience, l’humilité, la précision et tout simplement le travail.

Il est d’ailleurs particulièrement révélateur que la cible principale de la bile aberkanienne concerne l’institution scientifique. A en croire Aberkane, les chercheurs seraient des tocards moulés dans un système décérébrant et conformiste, une « caste » qui se ferait « une fierté d’avoir castré [son] émerveillement » (p. 117), obsédée par les données, les statistiques et les publications, dont l’entreprise principale serait de rendre malheureux et d’exclure de son petit cercle quiconque oserait sortir des sentiers battus et présenter une idée originale et créative. Pourtant, pour sclérosée, coincée, conformiste, frileuse et bornée qu’elle soit, Aberkane se réclame quand même de la science et de ses découvertes inouïes quand ça l’arrange, et prétend avoir compris exactement comment la présenter idéalement au grand public. Ce qui semble complètement le dépasser, c’est que cette connaissance scientifique ne sort pas de nulle part, et qu’il a bien fallu des gens créatifs et audacieux, mais aussi patients, rigoureux et respectueux de la méthode scientifique, pour y aboutir, c’est-à-dire tout le contraire de sa « démarche ». Qui plus est, lorsqu’il s’agit d’exalter ses lubies sur les bienfaits de la neurostimulation, des jeux vidéo, du raisonnement collectif ou des propriétés « quantiques » du cerveau, il n’exprime soudain plus le moindre scepticisme quant à la validité et la solidité de ces domaines de recherche. C’est tout de même curieux, pour quelqu’un qui semble vaguement conscient de l’existence du biais de confirmation[22].

Libérez votre bullshit !

Voilà pour le tableau général du cas Aberkane. Je m’en tiendrai là, même si je suis très loin d’avoir fait le tour des exagérations de son CV et des inepties contenues dans son livre, sans même parler des platitudes qu’il assène à ses lecteurs du Point et de ses techniques de conférencier motivationnel. J’ignore, du reste, tout de ses activités de « consultant », des « trois start-ups » qu’il est censé avoir fondées, de la « recherche industrielle » qu’il prétend devoir garder « confidentielle », et de ses talents d’« enseignant », mais ayant lu son livre de bout en bout et dans les moindres recoins, j’en sais largement assez pour me permettre de le qualifier de bullshitteur. Avec Aberkane, il y a même bullshit à tous les étages, si j’ose dire. Et c’est bien dans ce registre qu’il peut véritablement nous apprendre quelque chose, comme je vais à présent l’illustrer.

Car moi aussi, j’ai une « théorie ». Si j’ai évoqué cette histoire lamentable de CV gonflé aux hormones, ce n’est pas, ou pas seulement, pour déplorer un cas supplémentaire d’imposture et de supercherie intellectuelle dans le paysage médiatique français, mais pour bien saisir en quoi consiste exactement le livre écrit par Aberkane. Mon hypothèse, en effet, est que le sens attribué à Libérez votre cerveau ! présente la particularité assez inédite de dépendre entièrement de l’idée que le lecteur se fait de son auteur. J’avance qu’il est en effet nécessaire de croire qu’Idriss Aberkane est un « petit génie » pour que son livre prenne le moindre sens, et que sans cela, il n’en a aucun.

Il n’y a d’ailleurs guère besoin de s’attarder sur le bullshit produit par Aberkane en tant que tel. Sur la question de son CV, nous avons vu qu’il ne ment pas forcément ouvertement, mais plutôt qu’il joue sur les mots, qu’il exagère l’importance de certaines « activités », qu’il cherche à impressionner en s’association à des affiliations et dénominations prestigieuses, et qu’il laisse souvent aux autres le soin d’exagérer son profil sans prendre le soin de les corriger. Le bullshit se situe ici dans l’impression qu’il cherche à produire à partir de peu de choses, sans trop se soucier de la véracité du tableau ainsi produit, mais sans prendre le risque non plus d’inventer purement et simplement n’importe quoi. Pour ce qui est du livre, le bullshit se situe dans l’indifférence à l’égard de la connaissance et de la question sous discussion qui conduisent à un texte désorganisé, bâclé et souvent incorrect. Pour ce qui me concerne, ces points sont établis et ne présentent quasiment aucun intérêt : on a affaire à un bullshitteur comme il y en a des milliers d’autres, du bullshit standard en somme.

Ce qui me semble beaucoup plus instructif, c’est de tenter de comprendre pourquoi quelqu’un dont le CV est bidon et le livre totalement inepte parvient à se faire prendre au sérieux. Pour percer ce mystère, il faut à mon avis placer l’analyse du bullshit à un niveau plus dynamique, qui permettrait d’en saisir la diabolique efficacité. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il me semble en effet qu’Aberkane a trouvé le moyen, probablement sans s’en rendre compte, d’allier plusieurs mécanismes du bullshit, qui isolément n’auraient aucune efficacité pour son projet, mais dont la combinaison lui permet de l’accomplir quasiment sans effort. Le « projet » en question reste cependant assez flou dans mon esprit, mais quelque chose me dit que c’est également le cas pour l’intéressé lui-même[23].

 

La connaissance pour les nuls

La première chose à saisir dans la méthode Aberkane, c’est l’adéquation parfaite entre sa conception, largement inconsciente, de ce qu’est la connaissance, et son absence de rigueur. Je m’appuie ici sur le concept de clarisme (ou « machisme discursif ») développé par le sociologue Diego Gambetta (1998)[24]. Brièvement, Gambetta s’en servait pour dénoncer une certaine attitude – dont l’expression « Claro ! » (qu’on peut traduire de l’espagnol, pour ce qui nous concerne ici, par « mais évidemment, je le savais déjà ! ») est l’une des manifestations les plus courantes -, qui consiste à avoir des opinions fortes, sur tout et n’importe quoi, dès le départ. Pour cet auteur, cette attitude reflète une croyance culturelle sur la nature même de la connaissance, dont la propriété principale serait, de ce point de vue, d’être holistique, c’est-à-dire totalisante. Dans une telle culture, il faut savoir quelque chose, sinon c’est qu’on ne sait rien ; et ne pas savoir est considéré comme une défaite déshonorante. Tandis que savoir, ou simplement donner l’impression de savoir, donne des gages considérables en matière de réputation et d’image[25].

Tout, dans le parcours plus ou moins imaginaire d’Aberkane et dans son livre, transpire le clarisme. Le seul fait de se réclamer des esprits universels de la Renaissance afin de décréter l’avènement imminent d’une « neuronaissance » (sans quoi nous aurons naturellement à faire face à l’apocalypse du « neurofascisme »), indique qu’Aberkane perçoit la connaissance comme un tout dont on dispose ou non, plutôt que comme une démarche exigeant un véritable travail spécifique. De même, son « concept » de « neurosagesse », bien que grotesque, signale également très bien cette idée d’une connaissance globalisante et d’un esprit apte à saisir d’emblée ce qui est vrai, ce qu’il faut faire, et de quoi l’avenir sera fait[26]. Il le dit d’ailleurs explicitement, et c’est même plus ou moins l’objet de son œuvre (pour ce qu’on peut en comprendre) : chacun peut ouvrir prodigieusement son esprit à condition de se « libérer » de certains obstacles et de trouver les bons « leviers ». Il est donc possible, pour tout le monde, d’augmenter globalement sa « connaissance », à condition de savoir comment s’y prendre et d’exploiter les conditions favorables à une telle accumulation de savoirs.

Fort bien, mais qui dirait une chose pareille s’il ne l’avait pas lui-même réalisée ? Imagine-t-on l’auteur d’une méthode infaillible pour arrêter de fumer donner des conférences, écrire des livres et écumer les plateaux de télévision pour vanter sa découverte, la clope au bec ? Bien sûr que non, l’implication est très claire : Aberkane ne dit rien d’autre, tout au long de son livre, que « comme moi, vous pouvez aussi devenir des prodiges et des sages », « comme je l’ai fait, vous aussi vous pouvez libérez votre cerveau ». Lorsqu’il évoque son « parcours », ce n’est jamais pour dire qu’il vise l’excellence, ni qu’il cherche les moyens d’y parvenir. C’est pour laisser entendre qu’il y est déjà, dans l’excellence. De fait, si ce n’était pas le cas, on voit mal pourquoi il faudrait prendre ses conseils et ses opinions au sérieux.

Voici donc un paradoxe remarquable. Une conception « clariste » de la connaissance, c’est-à-dire l’idée que celle-ci dépend avant tout d’une sorte de vision irénique, incantatoire et subjectiviste du savoir, conduit immanquablement à un excès de confiance en soi, à l’habitude de prendre des raccourcis intellectuels, à l’illusion de savoir et de comprendre des choses que l’on n’a fait que survoler, à la prétention d’être en mesure de communiquer ce savoir à autrui, et, en somme, à la conviction qu’on peut se passer du genre de travail et de rigueur auquel des personnes moins brillantes et moins passionnées doivent généralement s’astreindre pour maîtriser leur sujet. Mais en retour, et c’est là le paradoxe, cette attitude produit l’illusion que le clariste doit savoir de quoi il parle : une telle confiance, une telle passion, une telle aisance à se prononcer sur d’innombrables sujets et à voler de l’un à l’autre ne peut pas signaler autre chose que de la compétence.

Il me semble qu’Idriss Aberkane fournit un bel exemple du désastre auquel peut mener une conception relativiste de la connaissance et une tendance au clarisme. Tandis qu’il conspue ceux qu’il perçoit comme des tâcherons conformistes bien à l’étroit dans leur petit domaine de prédilection et allergiques à toute innovation, il croit se distinguer en observant que « La mise en perspective est pourtant une posture remarquable de la conscience humaine (…) et il faudrait l’encourager plutôt que la réprimer » (p. 237), remarque absolument typique du bullshitteur qui se figure mettre les choses « en perspective » sans y avoir toutefois compris quoi que ce soit. On lit aussi, page 189, ce remarquable poncif qui n’épatera que ceux qui s’imaginent que la connaissance est avant tout une affaire de subjectivité : « Le « fait objectif » n’a guère plus de sens, car il n’y a pas de faits, il n’y a que des perspectives, même dans une expérimentation scientifique ».

Cette prétention inouïe à porter des jugements et décréter des vérités ultimes va évidemment de pair avec la personnification à outrance de Libérez votre cerveau !, où Aberkane ne parle en définitive que de lui, et où il encourage tous ses lecteurs à faire comme lui. Ainsi, parmi mille autres exemples, des deux dernières pages du livre, où il conseille tout simplement d’« Ignorez vos pairs ! » (mais pas lui, naturellement) et conclut par cette perle : « Ma note ? J’ai Moi/20. Et vous ? » (pp. 277-278). Cette posture clariste, relativiste et subjectiviste, en un mot ce bullshit, n’existe en réalité que pour se substituer au travail qu’il aurait fallu fournir pour vraiment dire quelque chose, et nous allons voir à quel point elle est en fait consubstantielle au projet d’esbroufe aberkanien, puisqu’elle nourrit l’illusion qu’un tel aplomb, de la part d’une jeune personne qui bénéficie d’une telle exposition publique, ne saurait reposer uniquement sur du vide.

 

La technique du camouflage

On le voit, le bullshit aberkanien ne peut fonctionner que s’il dispose d’un public, et d’un contexte général, qui lui mâche, pour ainsi dire, la moitié du « travail ». Il lui faut donc un environnement social qui valorise des éléments de culture clariste, en particulier l’idée qu’il existe des « intellectuels » capables de s’exprimer sur tout et n’importe quoi à la demande, que le « savoir » s’incarne assez littéralement dans des individus qui deviennent dès lors des people de la connaissance, et que le « débat public » est au final une sorte de joute qui dépend des talents rhétoriques et des opinions de chacun, plutôt que de faits objectifs douloureusement acquis par un travail rigoureux de recherche. Autant dire une infrastructure non seulement favorable au bullshit, mais entièrement dévouée à la production et à la transmission incessante de bullshit. Un tel environnement mélangerait allégrement les genres et offrirait une grande perméabilité entre les milieux académiques, politiques, médiatiques, culturels et économiques, si bien qu’il serait parfois difficile de savoir où quelqu’un se situe (ou même où l’on se situe soi-même).

Si quelqu’un, par exemple, n’ayant pas la moindre publication scientifique à son actif, ni aucun accomplissement notable dans les domaines sur lesquels il s’exprime, n’aurait évidemment aucune chance d’impressionner des véritables chercheurs, il pourrait néanmoins compter, dans un milieu tel que je viens de le décrire, sur des journalistes, des éditeurs ou des organisateurs de conférences pour le présenter comme un « petit génie » et pour l’aider à se promouvoir. Ce milieu qui autorise la confusion la plus complète entre sciences, médias, opinions, faits, autopromotion et vulgarisation, bien entendu, existe : c’est à peu près le monde dans lequel nous vivons. Pour autant, il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir l’exploiter de manière parfaitement opportuniste, encore faut-il en avoir le désir, et calibrer adéquatement son bullshit pour en tirer le maximum de profits.

Comment s’y prend Aberkane ? C’est très simple, il fait, littéralement, son « intéressant ». Qu’est-ce que « faire son intéressant », au juste ? C’est singer les attributs du genre de choses ou de personnes qui sont véritablement « intéressantes », afin d’en retirer de manière abusive certains des bénéfices légitimes, en particulier en termes d’attention portée, de temps consacré et de prise au sérieux. Ce sont évidemment, en général, les petits enfants qui « font leur intéressant », de sorte à sortir de leur ennui tout en faisant perdre leur temps aux adultes. Aberkane, naturellement, n’est plus un petit enfant, par conséquent sa technique pour « faire son intéressant » est plus sophistiquée. Il joue en fait un personnage, un rôle qui est celui d’un individu qui serait passionné par tout ce qui est intéressant en ce moment, et qui en plus se montrerait tout à fait décidé à partager ses connaissances et son enthousiasme pour tout ce qui est intéressant. Et qu’est-ce qui est intéressant en ce moment ? Tout d’abord, comme le montre le succès invraisemblable des conférences de type TED, la gloire des Youtubeurs et l’engouement pour les concours du style « ma thèse en 180 secondes », ce qui compte avant tout, c’est précisément de faire preuve d’enthousiasme, d’être bien décidé à motiver et inspirer son public, et surtout de faire en sorte que chacun passe un bon moment et en ressorte avec l’envie de foncer, de gagner, et de s’engager pour créer un monde meilleur, avec le sentiment « d’avoir appris quelque chose ». « Je n’ai, pour ma part, aucun complexe à encourager le Wow effect, que j’ai appris d’une chose aussi « vulgaire » que les médias de masse » reconnait Aberkane (pp. 117-118)[27]. Il a même retenu cette recette d’une profondeur stupéfiante d’un coach :

 

« … les trois étapes d’une bonne conférence :

  1. « Bon sang, ça je ne le savais pas ! »
  2. « Je suis bien content de le savoir. »
  3. « J’ai envie d’en savoir plus. » »

 

Wow, effectivement. Il s’agit donc, assez littéralement, d’épater le chaland sur le mode « le saviez-vous ? » C’est le corollaire, en quelque sorte, de la culture clariste, où le « claro ! » signifie généralement, « ben évidemment, je le savais déjà, tu ne m’apprends rien ! », tandis que de l’autre côté, un importun s’évertue à démontrer l’ignorance de son interlocuteur en lui « apprenant des choses », et s’attend en plus à ce que celui-ci lui témoigne un peu de gratitude pour son admirable générosité épistémique.

Notons que le contenu des connaissances en question n’a évidemment aucune importance : ce qui est intéressant, c’est simplement que quelqu’un se montre très intéressé par quelque chose. Or, si quelqu’un est intéressé par quelque chose, c’est forcément qu’il sait de quoi il parle, et s’il nous fait en plus l’honneur de partager un peu de sa passion pour les choses intéressantes, c’est bien qu’il doit être prodigieusement intéressant lui-même. Il s’agit donc d’une forme de bullshit performatif qui paraît, à première vue, complètement délirante, mais j’avance à titre d’hypothèse que cette forme absurde d’autophagie épistémique existe bel et bien : plutôt que de s’intéresser à quelque chose, il suffit désormais de se montrer intéressé tout court[28].

Peu importe donc ce qu’Aberkane écrit ou ce qu’il a à dire : il le fait avec passion, il y met de l’énergie, il dit des choses dont il nous dit qu’elles font réfléchir. Comme le garçon de café de Sartre joue son rôle de garçon de café, Aberkane endosse l’habit du génie qui refuse de s’enfermer dans sa tour d’ivoire et qui accepte de descendre sur terre pour transmettre son savoir au gens modestes[29]. Il joue au prodige-proche-des-gens, en somme. Or, que fait un bon prodige-proche-des-gens ? Il explique bien. Avec lui, enfin, on comprend bien, parce qu’il prend la peine d’user, pour la gouverne des simples mortels avides de choses intéressantes, de métaphores frappantes, de comparaisons habiles, d’analogies mémorables, et de simplifications plaisantes. Mais s’il explique bien, c’est surtout parce qu’il veut et sait nous faire partager sa passion. Les esprits chagrins peuvent évidemment se demander ce qu’on comprend exactement grâce au prodige-proche-des-gens qui explique bien, mais pour le « grand public », s’il explique bien, c’est naturellement parce qu’il sait de quoi il parle. De fait, si le prodige-proche-des-gens prend la peine de nous conduire sur les chemins ardus de la connaissance, c’est forcément qu’il connaît le chemin, et qu’il connaît même le meilleur chemin, ainsi que tous les bons raccourcis. En effet, Aberkane étant un expert en « neuroergonomie », il connaît par cœur les boutons sur lesquels il faut appuyer afin de « libérer » notre cerveau des innombrables entraves qui ralentissent sa route vers l’illumination. Ainsi, la boucle performative est bouclée sur elle-même : la seule et unique connaissance qu’Aberkane « communique », c’est qu’il communique de la « connaissance ». Même si cela semble proprement ahurissant, il semble donc suffire d’expliquer bien, même quand on n’a rien à expliquer. D’un point de vue purement esthétique, il faut l’admettre, la performance est assez vertigineuse.

Tout cela, il faut le rappeler, est accompli à très peu de frais. En fait, je dirais même qu’un tel système auto-performatif ne peut subsister que si on y touche le moins possible. Pour laisser entendre le plus de choses possibles sur son talent, son génie et ses compétences, il vaut clairement mieux en faire le moins possible. A cet égard, il me semble que le seul véritable risque qu’a pris Aberkane sur toute la longueur de Libérez votre cerveau ! est d’y avoir introduit ses ridicules « équations » sur les liens entre attention et connaissance. Le psychologue et mathématicien Nicolas Gauvrit s’étant déjà donné la peine de dire ce qu’il fallait en penser[30], je ne m’attarderai donc pas sur cet épisode navrant de l’histoire des pseudosciences[31]. Il révèle cependant un trait fondamental du bullshit, qui est son caractère mimétique. Étant donné que ces « équations » ne découlent d’aucune démonstration empirique concrète et n’ont, à ce jour, aucune application réelle, on peut dire, à la lettre, qu’elles ne servent à rien. Le problème n’est donc pas qu’elles soient fausses ou incohérentes, bien qu’elles le soient, mais qu’elles n’existent qu’à titre purement décoratif, essentiellement pour illustrer l’hypothèse stupide selon laquelle « le débit instantané de connaissance est proportionnel à l’attention, qui varie dans le temps »[32] (p. 113). Il n’est donc pas exclu d’en conclure qu’il ne les utilise qu’à des fins d’intimidation mathématique, c’est-à-dire pour « faire scientifique ». A ce compte, Aberkane entre clairement dans la catégorie des pseudosciences, ou de la science facsimile, qui consiste à endosser les habits de l’institution scientifique (ici sous la forme d’équations) pour en retirer tous les bénéfices (en termes de statut, de réputation, de prestige), sans en souffrir les inconvénients (travailler, vérifier, comparer, tester, répondre aux critiques, bref, tout le travail barbant des vrais scientifiques), tout en se permettant d’attaquer ladite institution pour sa frilosité, son conformisme et ses prétentions[33].

 

 

 

Technobullshit et neurobullshit

Il est néanmoins douteux qu’un CV bidon, une conception biaisée de la connaissance, une approche performative de la vulgarisation, et une tentative maladroite de mimer la science suffisent à expliquer le succès d’Aberkane. Il lui restait encore à calibrer son bullshit sur le genre de choses jugées aujourd’hui importantes et intéressantes. L’écologie de bazar ne fait évidemment pas défaut à son arsenal. Avec ses jérémiades sur la supériorité infinie de la nature, les incroyables trouvailles de l’évolution et les confins insondables du cosmos, le tout empaqueté dans une énième notion laissée sans définition, le « neuromimétisme », selon lequel il faudrait sans cesse s’inspirer de la « nature » et mieux respecter cet engin fascinant qu’est le « cerveau », Aberkane est à peu près sûr de ne pas décevoir la fibre « bio » de ses lecteurs. Comme toujours avec lui, rien de tout cela n’a besoin d’être défendu ni argumenté, il lui suffit simplement de dire que l’on ferait bien de s’inspirer de la nature et de prendre soin de notre cerveau, mais on ne saura ni comment, ni pourquoi, ni en quoi sa posture est originale ou admirable. Tout ce qui compte, c’est qu’Aberkane soit perçu comme quelqu’un qui a compris une vérité d’une grande profondeur, quelle que soit exactement cette vérité si profonde.

Mais c’est évidement dans les « nouvelles technologies » et les « neurosciences » que notre bullshitteur s’épanouit le mieux. Puisque c’est ce-dont-tout-le-monde-parle en ce moment, c’est donc que c’est intéressant, et si quelqu’un en parle, c’est donc que ce qu’il a à dire est intéressant. Outre Idriss Aberkane, on voit ainsi fleurir, pour ainsi dire mécaniquement, une quantité invraisemblable de spécialistes auto-proclamés sur ces thèmes, exactement comme si ceux-ci agissaient comme des attracteurs à bullshit.

Pour ce qui concerne le technobullshit, le critique et journaliste Evgeny Morozov en a donné les grandes lignes dans son livre Pour tout résoudre, cliquez ici[34] : il s’agit d’une posture idéologique gouvernée par la croyance au « solutionnisme », c’est-à-dire non pas l’idée raisonnable de chercher à trouver des solutions pour résoudre des problèmes, mais celle qui consiste à inventer des problèmes parce qu’on disposerait d’une nouvelle « solution ». A ce titre, ce que Morozov appelle « l’Internet », toujours avec des guillemets, est cette espèce de vague nébuleuse conceptuelle qui contient toutes les solutions du monde. Le technobullshit est également « époqualiste » à l’extrême : il se nourrit de la conviction que notre époque est absolument unique et sans précédent, et par conséquent qu’elle requiert à tout prix une « révolution », de l’« innovation », des « ruptures », et de la « disruption ». Naturellement, quiconque ne se montrerait pas aussi convaincu est immédiatement taxé de ringardise, et pire, de ralentir la marche de l’Humanité vers les horizons radieux promis par « l’Internet ». Avec son futurisme débridé, son messianisme décomplexé, ses gourous-stars, ses rituels d’admission, son auto-célébration permanente, son rejet des « ennemis » et « outsiders », son alarmisme doublé de promesses oraculaires, et son ignorance délibérée de l’histoire et de toute objection, il va sans dire que le technobullshit n’est qu’un avatar du bullshit religieux. Un parallèle qui n’a guère besoin d’être détaillé pour ce qui concerne son incarnation la plus imbécile, le « transhumanisme », surtout que le terme apparaît pour la première fois dans… le Paradis de Dante[35]. Bref, le technobullshit n’est donc ni plus ni moins que la novlangue d’une secte, et à défaut d’en devenir un gourou, à peu près n’importe qui peut s’improviser apprenti-gourou dans ce registre. En particulier la génération des digital hâtifs, et on ne peut que féliciter Idriss Aberkane d’avoir su tirer son épingle du jeu sur ce créneau fort encombré des ravis de la start-up[36].

Alliance quasiment parfaite des bullshits technologique, managérial et spirituel, le technobullshit ne peut cependant guère se passer aujourd’hui de son petit frère, le neurobullshit. C’est bien sûr ici que le festival Aberkane atteint le paroxysme du bullshit, à tel point qu’on a du mal à croire qu’il ne s’agisse pas d’un canular. Aberkane, on l’a vu, nous engage à faire preuve de « neurosagesse », il préconise l’avènement d’une « neuronaissance », vante les mérites du « neuromimétisme », défend les « neurodroits »[37], met en garde contre le « neurofascisme », évoque le « neurolibéralisme », se gargarise de « neuro-inspiration », s’émerveille des « neurotechnologies » et de la « neurocybernétique », passe rapidement sur le « neurodesign », la « neurochronologie » et la « neurométrique », s’épate de la « neuronique », invente la « mésoéconomie neuronale », et il découvre même, tout bonnement, que « l’expérience, c’est de la neuro ».

C’est aussi très « neuro », naturellement, d’inclure quelques images du cerveau au milieu d’un tel déluge de neuro-néologismes (neurologismes ?), mais celles-ci, on s’en douterait, sont purement pro forma, et ne renseignent sur rien, si ce n’est qu’Aberkane sait exploiter la « neurophilie » contemporaine qui porte à croire qu’on a expliqué et compris quelque chose grâce à la seule présence d’une image du cerveau[38]. Hélas, Aberkane semble surtout ignorer que l’usage intempestif du préfixe « neuro » est devenu depuis un moment déjà un sujet de plaisanterie entre neuroscientifiques[39], qui parlent désormais volontiers eux-mêmes de « neuromanie », de « brainwashing », de « neuro-couilles », de « neuromythes » et, bien évidemment, de « neurobullshit »[40]. A part jeter de la poudre aux yeux aux néophytes, on ne voit guère l’intérêt de multiplier à ce point tous ces neuroconcepts imbéciles, surtout que chez Aberkane, ils ne sont jamais définis, n’apportent strictement rien à un propos déjà impossible à suivre, et sont encore moins utilisés à bon escient. On a simplement affaire à de la neuro-incantation.

 

L’effet gourou inverse

Dans un bref élan de lucidité, Aberkane nous informe en page 37 qu’« Il faut penser par soi-même et dénoncer les absurdités, quelle que soit l’autorité qui les profère ou les pratique ». C’est effectivement un excellent conseil, mais pour ce qui concerne Aberkane, la question se pose de savoir de quelle autorité, exactement, il s’agit. Nous avons vu, même beaucoup trop longuement, qu’il n’en a aucune, ni dans le domaine de la recherche, ni dans celui de la vulgarisation. Pourquoi faudrait-il prendre au sérieux ce qu’il raconte, puisque non seulement il ne sait pas de quoi il parle, mais il est quasiment impossible de savoir de quoi il parle ?

Je crois que le cas Aberkane ne nous laisse pas d’autre choix que de postuler un mécanisme pervers, que j’appelle effet gourou inverse. L’effet gourou (tout court) est un concept développé par l’anthropologue Dan Sperber, dont je ne peux ici que donner les grandes lignes. Sperber expliquait le succès de textes indéchiffrable de certains intellectuels particulièrement obscurs par l’effet cumulé de la réputation de leur auteur et de l’effort consacré, par le lecteur, à tenter d’y comprendre quelque chose. Il y a chez les auteurs réputés profonds et difficiles une « promesse de sens (…) en fait jamais remplie », comme disent les philosophes Barberousse et Huneman à propos d’Alain Badiou[41]. De ce fait, on peut devenir un gourou du seul fait qu’on ne nous comprenne pas. C’est cette prime à l’obscurité que décrit donc l’effet gourou : puisqu’on n’y comprend rien, c’est que l’auteur doit être génial, et comme l’auteur est réputé génial, il est dans le fond normal, et même souhaitable, qu’on ne comprenne pas vraiment ce qu’il dit.

Cette explication me paraît hautement plausible pour ce qui concerne le contexte particulier évoqué par Sperber (en gros, le milieu intellectuel parisien des années 1970). Mais il me semble qu’on peut étendre le concept d’effet gourou à d’autres sortes de gourous, ou d’autres propos, pas nécessairement obscurs, que peuvent tenir les gourous. L’obscurité et l’obscurantisme, à ce titre, ne seraient que des variétés possibles de bullshit, et on peut très bien envisager une semblable « promesse de sens » dans des énoncés parfaitement clairs, et même banals, si l’on est disposé à y chercher de la profondeur. Je pense que c’est sur cette base que fonctionne le cas Aberkane, mais d’une manière assez sophistiquée.

Rappelons que son CV est bidonné, qu’il n’a aucun accomplissement notable à son actif, et qu’il n’a rien d’intéressant à dire dans son livre : on pourrait penser que c’est vraiment mal parti pour espérer être pris au sérieux par qui que ce soit. Mais de même qu’on peut gagner une fortune au poker sans jamais avoir eu une bonne main, grâce au bullshit, que Frankfurt voyait d’ailleurs comme relativement proche du bluff, c’est tout à fait possible[42]. Voici comment j’envisage la stratégie pour y parvenir. D’une part, Aberkane met en avant sa prétention à transmettre ses connaissances au grand public. Or, comme on l’a vu, qui songerait à se lancer dans un projet pareil sans avoir réellement de connaissances intéressantes à partager ? Voici déjà une inférence abusive de gagnée pour Aberkane : s’il a écrit un livre, s’il passe à la télé, s’il donne des conférences, c’est forcément, déduit automatiquent son public, qu’il a des choses à dire. Mais ce qu’il dit est extrêmement simple, et même naïf : ce sont essentiellement des poncifs, des comparaisons sans queue ni tête, des slogans péremptoires, quelques perles de sagesse pseudo-profondes, des « coups de gueule » par ci par là. Pour autant, il le fait avec enthousiasme, il y met de la passion, il semble vraiment y croire : par conséquent, son public en déduit naturellement que ce qu’il doit être en train de faire, c’est de rendre très simple et accessible des choses en réalité beaucoup plus complexes et savantes. La seule raison logique qui explique les banalités et les inepties d’Aberkane, c’est qu’il doit nécessairement en savoir beaucoup plus que ce qu’il nous transmet. Il le dit d’ailleurs sans arrêt : grâce à la « neuroergonomie », qui consiste à présenter les choses d’une façon agréable et facilement digestible pour le cerveau, n’importe qui peut saisir des concepts extraordinairement complexes et profonds, pour autant qu’ils aient été calibrés de manière experte. Par conséquent, le seul fait qu’Aberkane dise quelque chose, même n’importe quoi, signale à son auditoire et à ses lecteurs qu’il doit être un génie qui parvient néanmoins à se faire comprendre.

Provenant d’un génie, des platitudes et des âneries, même si elles n’ont rien d’obscur, acquièrent soudain une signification particulière : elles sont la simplification de quelque chose qui nous échappe. De fait, le génie ne peut malheureusement que s’abaisser jusqu’à nous, simples mortels, il ne peut pas nous hausser jusqu’à son niveau. Chez Sperber, l’autorité du gourou est d’abord établie, et ensuite ses obscurités sont interprétées comme géniales. Aberkane, lui, a inventé l’effet gourou inverse. Comme il n’a ni autorité ni réputation, il brûle les étapes et se présente d’emblée comme un scientifique déterminé à partager ses connaissances de manière simple : il intimide non par obscurité, mais par simplification. Au lieu de la prime à l’obscurité, il a opté pour la prime au poncif.

Ce faisant, évidemment, il usurpe la fonction même de la vulgarisation. Il en emploie les codes à la mode, qui sont de faire du storytelling, de se montrer passionné, de produire des analogies à outrance qui « parlent aux gens », de jouer la fausse modestie. Il imite, en somme, la vulgarisation telle qu’il la conçoit. L’excès de simplification donne ainsi l’impression d’avoir affaire à un expert, et surtout à un expert qui fait l’effort d’être proche-des-gens. Le malheur, c’est que ce type de vulgarisation infantilisante conduit en fait à de gros malentendus[43]. Il y a en effet pire que de ne rien comprendre à quelque chose, c’est de le comprendre de travers en se figurant l’avoir très bien compris[44], comme l’illustre Libérez votre cerveau ! page après page.

De plus, on l’a vu, Aberkane ne se prive jamais de critiquer le milieu scientifique. Mais qui d’autre qu’un grand scientifique serait le mieux placé pour faire ça ? Ou, à défaut, qui d’autre qu’un véritable génie que ce milieu aurait rejeté injustement, victime de la frilosité de quelques caciques que toute innovation ou originalité rendraient phobiques ? Critiquer quelque chose avec véhémence implique mécaniquement qu’on a une légitimité à le faire, car la critique sévère requiert de savoir de quoi l’on parle, de se sentir concerné, bref, d’avoir compris quelque chose que les personnes critiquées n’auraient pas compris. La critique performative offre ainsi, à très peu de frais, une certaine autorité à celui qui la pratique. Et cela marche d’autant mieux si l’on se présente par ailleurs comme modeste, sage (ou « neurosage »), proche-des-gens et passionné.

 

Comme les gourous parisiens de Sperber laissaient entendre leur prodigieuse profondeur simplement grâce à leur obscurité, Aberkane laisse entendre son insondable génie et sa réussite grâce à sa simplicité et aux critiques qu’il ose se permettre. Dans le premier cas, on se fatigue à essayer de comprendre du non-sens, dans le second cas, on croit avoir compris autre chose que des banalités sans intérêt. Il est possible que la configuration du cerveau humain facilite grandement ce genre de phénomènes, auquel cas Aberkane aura véritablement su appliquer un principe de « neuroergonomie » pour accomplir son imposture. Je doute, cependant, que ce genre de pratiques soit très « neurosage »… De fait, si l’effet gourou inverse a très bien réussi à Aberkane, ce qui m’inquiète surtout c’est que je ne vois pas de raison pour que cette stratégie ne se multiplie pas à l’avenir. Pour le comprendre, il suffit d’envisager comment, dans certains scénarios alternatifs, le cas Aberkane n’aurait tout simplement pas pu exister. En effet, imaginons ce qui se serait produit en changeant simplement quelques variables. Le tableau suivant résume les différents cas de figure :

 

Manuscrit bâcléManuscrit travaillé
IA se présente comme un génieLibérez votre cerveau !Vulgarisation banale (non publié)
IA se présente pour ce qu’il est réellementRatage (non publié)Témoignage – pamphlet (spiritualité)
IA est un génieHonteBon livre

 

Prenons d’abord le statut académique d’Aberkane, qu’il aurait pu présenter en toute sincérité, ou qui aurait pu être tout autre. Grâce à son bullshit et l’effet gourou inverse, Aberkane est, dans la vraie vie, un individu qui se présente et qu’on présente comme un génie, mais qui est en réalité loin d’en être un. Il produit un manuscrit extraordinairement bâclé et inintéressant, qu’il publie avec succès sous le titre Libérez votre cerveau ! C’est la situation que tout cet article a décrite.

Qu’en aurait-il été si Aberkane s’était présenté pour ce qu’il est réellement, c’est-à-dire une personne qui n’a ni carrière, ni réputation scientifique, et qui n’a certainement rien accompli de génial, mais qui a quand même envie de parler de… tout un tas de choses ? Libérez votre cerveau ! n’aurait alors eu aucun intérêt. En effet, pourquoi prêter la moindre attention à quelqu’un qui conspue, dans un texte bâclé, un milieu dans lequel il a échoué et auquel il n’a jamais accédé, qui enchaîne laborieusement des opinions sans aucune structure, et qui offre d’innombrables conseils et fulgurances sans la moindre légitimité pour le faire ? Ce serait simplement l’œuvre d’un ancien stagiaire qui a passé quelques jours à Stanford et à Cambridge sans avoir réalisé quoi que ce soit de concret, et le livre aurait donc aussi bien pu être écrit par un garagiste, un trader, un coach ou un bloggeur quelconque. Non seulement il n’aurait eu aucun intérêt, mais il serait en fait incompréhensible : on ne saurait tout simplement pas ce qui porte son auteur à égrener autant d’inepties et de prophéties absurdes. Le manuscrit n’aurait probablement pas été publié, ou en tout cas il n’aurait eu aucun succès, et n’aurait certainement pas obtenu la moindre attention.

A présent, imaginons, pourquoi pas, qu’Aberkane ait réellement été un « « petit génie » des neurosciences appliquées »[45], une sorte de pointure véritablement reconnue et respectée, dont les nombreuses publications et inventions de haut standing seraient régulièrement citées, et qui susciterait, pour le coup, le désespoir et la jalousie de ses moins talentueux confrères, écœurés par le succès amplement mérité de cet incroyable prodige. Dans ce cas, ce véritable génie se serait tout simplement couvert de honte en sortant un livre pareil. Pourquoi un génie des neurosciences (appliquées ou pas) perdrait-il son temps à ruiner sa réputation en alignant ses griefs et ses idées les plus plates sans jamais présenter l’excellent travail qui a fait sa juste réputation de génie ? Le livre aurait peut-être été publié, en vertu de la brillance de son auteur, mais cela aurait eu pour effet de nuire à sa réputation.

Voyons maintenant ce qu’il en aurait été si Aberkane avait en fait écrit un excellent livre, le fruit d’un très long et rigoureux travail, dénué de tout travers, arrogance, narcissisme, néologismes stupides et raccourcis foireux, au lieu, donc, de Libérez votre cerveau ! Le véritable Aberkane, celui qui se présente comme un génie mais qui n’en est pas un, aurait alors produit un livre de vulgarisation sur le cerveau (ou en tout cas sur un sujet précis) comme il y en a mille autres. Comme ses qualifications sont bidon, je pense que les éditeurs auraient rechigné à publier le livre, préférant sans doute que quelqu’un de plus réputé dans son domaine se charge de le signer. Certes, certains de ces livres se vendent heureusement très bien, mais ce n’est généralement pas avec de la bonne vulgarisation qu’on devient célèbre.

Qu’aurait écrit de bon, à présent, un Aberkane honnête qui ne se ferait pas passer pour un génie ? L’exercice de pensée est certes difficile, mais j’imagine qu’il aurait produit quelque chose comme un manifeste personnel bien structuré et argumenté. On serait alors dans le registre, non pas de la vulgarisation scientifique, mais du témoignage personnel voire de l’autobiographie, ou du pamphlet s’il décidait d’aller sérieusement au bout de sa critique de la société, de la science et de la politique, ou encore, éventuellement, du traité spirituel ou du manuel de coaching s’il préférait mettre l’accent avec au moins un peu de rigueur sur sa conception de la « neurosagesse ». Je pense que ce type d’ouvrage passe largement inaperçu, mais il existe sans doute un public restreint pour ce genre de choses. Quoi qu’il en soit, je vois mal comment la vie et les opinions d’un cancre pourraient remporter le même succès que Libérez votre cerveau !

Enfin, envisageons un Aberkane véritablement génial, qui travaillerait très dur pour expliquer en quoi il est génial dans un livre destiné au grand public. On aurait alors certainement un très bon livre, susceptible d’intéresser tous ceux qui sont concernés par la discipline dans laquelle excellerait cet Aberkane, ou qui voudraient en savoir plus sur les découvertes et le parcours d’une personne véritablement brillante. Ce genre de livre peut heureusement remporter un grand succès, quoique pas toujours. En tous les cas, ils sont susceptibles de tenir sur la durée, et de servir de document incontournable pour de nombreux futurs étudiants et chercheurs. Ce serait, en somme, un classique. Le problème, évidemment, c’est que les véritables génies qui savent très bien écrire ne courent pas tellement les rues…

On le voit, le cas de figure représenté par le vrai Aberkane et son vrai livre est en fait le moyen le plus simple et le plus économique pour obtenir une visibilité médiatique et un succès de vente. Cela peut paraître insensé, mais dans les conditions économiques et culturelles actuelles, j’ai donc bien peur que le cas Aberkane ne soit que le prélude à un déluge d’impostures et d’essais médiocres du même genre que le sien. Les exemples de « réussite », désormais, risquent bien de s’incarner dans des petits malins qui ont réussi à sortir leur épingle du jeu à très peu de frais, simplement en endossant l’apparence d’individus auxquels ils vont progressivement se substituer : c’est-à-dire ceux qui tiennent leur renommée de leur travail, et pas uniquement l’inverse.

 

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[1] Je cite à partir de : http://inscide.fr/affaire-aberkane/

[2] Voir en particulier les excellentes analyses disponibles sur le site menace-theoriste.fr, ainsi que inscide.fr/affaire-aberkane/ et hemisphere-gauche.blogs.liberation.fr/2016/10/27/la-science-et-les-medias-ce-que-revele-le-succes-litigieux-didriss-aberkane/.

[3] https://menace-theoriste.fr/idriss-aberkane-a-menti/

[4] Dieguez et al. (2009).

[5] Ralph Keyes signale de manière intéressante que Stanford compte parmi les universités les plus populaires sur les CV bidon (Keyes, 2004, p. 65).

[6] Il faudra que quelqu’un se penche un jour sur cette « thèse » en particulier, disponible ici : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01151138/document. J’ai tenté de m’y mettre, mais après quelques pages j’avoue que cette tâche est au-dessus de mes forces.

[7] Il est possible qu’Aberkane ait simplement mal compris la signification du concours « ma thèse en 180 secondes » : il ne s’agit malheureusement pas du temps limite pour la réaliser.

[8] Lors d’un débat radiophonique en 1965, Malcolm X parvint à excéder un contradicteur en l’appelant, avec la plus grande obséquiosité, « docteur » tout le long de la discussion, jusqu’à ce qu’évidemment celui soit contraint d’admettre qu’il ne dispose pas de ce titre :

« – J’aimerais vous faire remarquer, Docteur Hall (…)

– Malcolm, vous savez fort bien que je ne suis pas docteur.

– Ah bon ! A vous entendre, on croirait que vous êtes expert en quelque chose et je vous ai pris pour un docteur. » (Confrontation avec un « expert », In Le Pouvoir noir, Paris, La Découverte, 2002 p. 219, traduit de l’américain par Guillaume Carle). On peut se demander si aujourd’hui, en France, cette excellente astuce aurait la moindre chance de produire l’effet escompté. Ça n’a en tout cas jamais dérangé quelqu’un comme Boris Cyrulnik, depuis de nombreuses années, de se laisser attribuer quantité de titres et de fonctions largement imaginaires (cf : http://allodoxia.blog.lemonde.fr/2013/06/27/boris-cyrulnik-stop-ou-encore-partie2/).

[9] Libérez votre cerveau ! Traité de neurosagesse pour changer l’école et la société, Paris, Robert Laffont, 2016. Toutes les citations et paginations qui vont suivre renvoient à cet ouvrage. Il existe désormais une version poche et une deuxième édition en grand format : j’ai rapidement feuilleté ces éditions dans une librairie et il me semble qu’aucun changement majeur n’y a été apporté. La pagination de la version poche est bien sûr altérée, mais celle de la réimpression en grand format semble conservée. On y trouve simplement, en plus de la préface inutile et paresseuse de Serge Tisseron pour la première édition, une nouvelle introduction assez bizarre d’Yves Burnod, qui vient à la rescousse de son génial protégé (il est le rapporteur d’une de ses thèses) en expliquant que Libérez votre cerveau ! est, si j’ai bien compris, une sorte de « voyage ». Quelques petites broutilles semblent avoir été corrigées (ou plutôt supprimées) à droite et à gauche, mais dans l’ensemble, d’après ce que j’ai pu voir, ces nouvelles éditions ne changent rien à mon propos.

[10] Toutes ces notions sont élaborées assez longuement dans mon Total Bullshit ! (PUF, 2018), y compris les concepts d’« indifférence à l’égard de la connaissance » et de « question sous discussion » qui sont brièvement mentionnées plus loin. De même, l’effet gourou de Dan Sperber (2009) y fait l’objet d’un long exposé (pp. 146-165). La seule nouveauté théorique qu’on trouvera ici – et à vrai dire c’est la raison principale qui m’a motivé à publier ce texte -, c’est le concept d’ « effet gourou inverse », qui justifie à mon avis à lui tout seul le temps consacré à un sujet aussi dérisoire que le cas Aberkane.

[11] http://hemisphere-gauche.blogs.liberation.fr/2016/10/31/une-critique-consanguine-du-livre-didriss-aberkane/

[12] De fait, il a fallu dans cette étude de 5 à 10 jours d’un entraînement aussi étrange que fastidieux pour obtenir une amélioration d’à peine 6% de discrimination signal/bruit, qui plus est réservée exclusivement à une orientation de lignes particulière. C’est peut-être un début encourageant, mais il reviendrait à Aberkane de nous expliquer exactement du début de quoi il s’agirait.

[13] En page 77, Aberkane va jusqu’à ressortir la fable que nous n’utiliserions que « 10% » de notre cerveau, ne se rendant apparemment jamais compte que son livre rejoint une longue tradition de charlatans de l’esprit prétendant dévoiler nos pouvoirs insoupçonnés (Collins, 2014).

[14] Aberkane est friand de ce tic rhétorique du renversement pseudo-éclairant : « Le cerveau fonctionne ainsi, les ordinateurs, non » (p. 89) ; « Ce n’est donc pas à la ville de prendre sur mes nerfs, ce sont à mes nerfs de prendre sur la ville » (p. 166) ; « mettre l’éducation au service de la liberté et pas l’inverse » (p. 229) ; « La liberté est mère de toutes les productions humaines, dont la sécurité, l’inverse n’est pas vrai » (p. 36) ; « nous ne sommes pas là pour nous conformer à une empreinte, mais pour laisser la nôtre » (p. 40) ; « je rêve d’un monde où l’armée se battrait pour adapter les ingénieuses solutions de neuronique de la vie civile et non l’inverse ; où le génie civil serait le professeur systématique du génie militaire et non l’inverse » (p. 259) ; « Une certaine génération de chercheurs et de philosophes a voulu limiter la cognition au langage, alors que l’esprit contient le langage, mais le langage ne contient pas l’esprit » (p. 88) ; « c’est au pouvoir de s’incliner devant la sagesse, pas l’inverse » (p. 239) ; etc. De manière amusante, René Pommier a également détecté cette astuce rhétorique chez Roland Barthes : « Beaucoup de ses phrases, en effet, sont construites sur le modèle « Ce n’est pas… c’est » ou « C’est…, ce n’est pas », Roland Barthes se plaît notamment à énoncer ce qui semble être une évidence pour affirmer ensuite que ce n’est pas du tout ça, mais tout le contraire » (Pommier, 2017, p. 155), et de fournir, lui aussi, une série spectaculaire d’exemples dans une longue note (n. 26, pp. 185-186).

[15] Sur les prétentions et les contradictions de la « neuropédagogie », voir Bowers, 2016.

[16] De fait, si Aberkane souhaitait réellement instruire ses lecteurs sur le sujet, il lui aurait fallu au minimum faire le point sur le nombre considérable de théories, de travaux et de controverses en cours sur les notions de « réutilisation », d’« exploitation », d’« extension » ou de « recyclage » neuronal, qui montrent bien à quel point la « neuroergonomie » est loin d’être encore une discipline établie, et encore plus loin d’être utilisable. Voir Anderson, 2014 ; Changizi, 2011, Dehaene & Cohen, 2007 ; Sperber & Hirschfeld, 2004 ; Menary, 2010.

[17] A cet égard, Aberkane gratifie le lecteur de propos assez étranges que ne renierait pas le plus ringard et misogyne des coaches en séduction. On apprend ainsi qu’il « existe deux types de couples », celui qui obéit à la formule de « l’offre et de la demande », et celui « basé sur l’amour inconditionnel », qui serait, hélas, « rarissime ». Qu’à cela ne tienne, « les ressorts neuroergonomiques de l’attraction, de l’addiction et de la formation mécanique des couples demeurent (…) très intéressants pour qui veut améliorer son expérience romantique d’autrui ». Et qui ne le voudrait pas ? On peut donc se tourner vers l’expertise de ces grands neuroergonomes que sont les « pick-up artists ». Pour une « expérience romantique » optimale, donc, voici comment procéder : « on suscite une dépendance forte de la cible, en lui offrant, en quantités contrôlées, les émotions, mots et comportements qu’elle désire, souvent sans le savoir. Cette méthode [que d’autres appelleraient simplement le bullshit] ne peut fonctionner que si la cible ne se connaît pas elle-même – ce qui est la règle plutôt que l’exception ». Quelles bécasses, ces « cibles » ! (pp. 167-168).

[18] Miller & Fishkin, 1997.

[19] Le modèle « Love Can Do » d’Aberkane est en réalité plus instructif qu’il n’y paraît. A mon avis, il révèle en grande partie le problème avec la méthode Aberkane. Ayant décidé que les gens les plus passionnés sont les plus productifs, il semble croire qu’il lui suffit de se montrer passionné pour qu’on en infère son talent. Or, d’une part, les gens passionnés par quelque chose mais qui sont néanmoins totalement ineptes sont légion, et d’autre part, dans tous les domaines, il faut à un moment ou un autre apprendre des choses et réaliser des tâches franchement barbantes pour parvenir à maîtriser son sujet. En science en particulier, et malheureusement, tout n’est pas « fun and games ». Peut-être bien que la passion et « l’amour » permettent parfois d’accomplir de grandes choses, mais ce n’est certainement pas une condition suffisante, et je ne pense pas qu’elle soit nécessaire non plus. Mais chez Aberkane et ses admirateurs, je soupçonne que cette équation « amour=talent » leur permet de nourrir l’illusion qu’une personne passionnée est forcément douée, et que l’absence de talent s’explique uniquement par un manque d’« envie », que telle ou telle institution sociale ou scolaire n’aurait pas su transmettre. On se demande tout de même si, étant « invité » à Stanford, un chercheur n’utiliserait pas mieux son temps à accomplir véritablement de grandes choses, plutôt qu’à simplement dessiner un schéma illustrant comment l’amour permet d’accomplir de grandes choses.

[20] Ici encore, je ne peux m’empêcher de penser que si Aberkane trouve que l’écriture, en tant que système de communication, « n’est plus satisfaisante » (p. 60) – « les écritures neuronales seraient un médium bien plus riche, qui permettrait de transmettre directement expériences et émotions », dit-il sans en dire plus – c’est qu’il se figure être beaucoup trop génial pour devoir prendre la peine d’exprimer clairement et patiemment des idées via un système qui, il est vrai, demande tout de même un peu d’organisation et de rigueur. Ecrire est déjà une expérience assez pénible quand on sait ce qu’on voudrait écrire, mais pour celui qui n’a en fait rien à dire, j’imagine que la souffrance ressentie peut avantageusement s’expliquer en blâmant les insuffisance du système de communication lui-même, plutôt que sa propre incurie.

[21] Bouveresse, 1999 avait bien relevé cette tendance à l’analogie compulsive chez les charlatans et imposteurs intellectuels.

[22] Le concept est brièvement évoqué p. 187, puis repris de manière assez bizarre en p. 249 à propos de « trois cas d’école » : « la tuerie de Charlie Hebdo, les attentats du 13 novembre, à Paris, le crash du vol 9525 de la Germanwings. » Pour Aberkane, ces trois événements concernent « des jeunes qui, n’ayant pas pu donner de sens à leur vie, ont (…) essayé d’en trouver un à leur mort. » Mais Aberkane s’étonne que ce soit uniquement les cas des attentats de Paris qui aient contribué, selon lui, à « facilement renforcer le modèle du choc civilisationnel », « mythe » selon lequel il existerait des « civilisations intrinsèquement irréconciliables », avec un « écho (…) immense », et ce malgré le fait que le crash-suicide de Germanwings ait été « plus meurtrier (…) que les deux attentats idéologiques réunis » et qu’il est « basé sur les mêmes motivations (donner du sens à sa mort) ». Pourtant, comme « le biais de confirmation est un puissant ressort d’aveuglement cognitif », poursuit Aberkane, « on se souviendra mieux des attentats idéologiques que du crash, parce que le crash ne vient pas conforter un système de pensée sidérant ». On laissera au lecteur, à titre d’exercice, le soin d’évaluer la qualité de l’argumentation d’Aberkane sur ce point, et de décider si oui ou non c’est là le meilleur exemple possible de « biais de confirmation » qu’on pouvait fournir dans un livre de vulgarisation. Pour ma part, il est en tout cas certain que je ne monterai plus jamais dans un avion piloté par un membre de l’Etat Suicidaire qui souhaite explicitement la mort des passagers non-suicidaires, faussement suicidaires ou insuffisamment suicidaires, même si ce préjugé absurde devait faire de moi une victime de plus du biais de confirmation.

[23] Comme le faisait remarquer Sam Harris à Nassim Nicholas Taleb dans un tweet mémorable : « Je vous qualifierais bien d’« imposteur », mais je n’arrive pas à savoir ce que vous prétendez être » (31 décembre 2015). Soit dit en passant, on ne s’étonnera pas qu’Aberkane mentionne favorablement Taleb dans son livre à plusieurs reprises, de même que le très douteux « sage » Pierre Rahbi. Il se forme souvent, de manière assez intéressante, une forme de communauté d’esprit entre bullshitteurs.

[24] Voir Dieguez, 2018, pp. 183-194.

[25] Cette conception de la connaissance s’opposerait à une approche analytique, selon laquelle la connaissance et le progrès de la connaissance concerne surtout des points particuliers à discuter et résoudre au cas par cas avec patience et méthode, et qui ne préjugerait en rien de ce que les individus savent en général à partir de ce qu’ils savent ou ignorent en particulier.

[26] Ici comme ailleurs, Aberkane aurait pu éclairer le lecteur sur ce qu’il entend par « sagesse » (neuro ou pas), mais ne le fait pas (voir Walsh, 2015).

[27] Sur ce point au moins, on le croit volontiers, bien que le mot « scrupule » aurait été plus approprié que « complexe ». On peut également se réjouir de la santé d’Aberkane, dont l’organisme est de toute évidence fortement immunisé contre le syndrome de l’imposteur, cette terrible affection qui remplit de complexes et de scrupules des gens pourtant réellement compétents.

[28] Pour être tout à fait précis, il faudrait dire que, plutôt que de « faire son intéressant », Aberkane « fait l’intérêt », « fait la passion » ou « fait la vulgarisation », selon l’étrange et terrifiante rhétorique des personnages de Soft Goulag – un roman dystopique injustement méconnu d’Yves Velan (Genève, Zoé, 2017/1977) -, qui, par exemple, « font l’humour » quand ils décident que le moment est bien choisi pour introduire « le rire », ou « [font] sentir la participation » lors d’une fête.

[29] A propos d’Edgar Morin, Jacob, 2011 a trouvé cette formule particulièrement heureuse : c’est quelqu’un qui aime à « se penser penseur » (p. 57).

[30] Voir scilogs.fr/raisonetpsychologie/baratin-a-francaise/ et scepticisme-scientifique.com/episode-362-limposteur/.

[31] J’ajoute tout de même une équation qu’Aberkane semble avoir ajoutée au livre, et qui a donc échappé à Nicolas Gauvrit, lequel a travaillé, le pauvre, à partir d’un « article » antérieur auto-publié par Aberkane. Voici donc la bête : ji(k) a A(t) (Res (Sp, Ev)) (p. 115). Impressionnant, n’est-ce pas ? Pas de panique, il s’agit simplement, explique l’auteur, du phénomène suivant : « Le débit instantané de connaissance est proportionnel à l’attention multipliée par la résonance entre l’activité spontanée et évoquée du cerveau – Res (Sp, Ev) » (p. 115). Ce n’est probablement pas la formulation la plus heureuse, mais qu’importe, puisqu’Eureka !, nous savons désormais qu’il est particulièrement simple d’apprendre ce que nous savons déjà, en particulier quand nous y jetons un œil, mais que malheureusement nous n’apprendrons rien du tout si nous sommes mort, puisqu’il n’y aura alors plus d’activité spontanée du cerveau, et que celle-ci n’entrera donc plus en résonance avec l’activité évoquée, quel que soit le niveau d’attention par lequel on multiplie tout ce bazar. Il n’y a pas à dire, les neurosciences, quand c’est bien expliqué, c’est vraiment passionnant.

[32] J’ai consacré un temps et une attention déjà parfaitement déraisonnables à lire le livre d’Aberkane, je ne suis donc vraiment pas sûr que le relire une dizaine de fois de plus en y consacrant encore davantage de temps et d’attention me permettra de multiplier en proportion la somme des connaissances que j’y ai acquises. Ce n’est peut-être pas très scientifique, mais à ce stade je préfère vraiment laisser à d’autres le soin de mener cette expérience.

[33] Comme disait Derksen, 2001 à propos de Freud : « un pseudo-scientifique tentera de se comporter comme un vrai scientifique », et utilisera pour ce faire tout l’arsenal du « Pseudo-Scientifique Sophistiqué » ; voir également Blancke, Boudry & Pigliucci, 2017 ; Oreskes, 2017 ; ainsi que http://espritcritique.info/?p=172.

[34] Morozov, 2014.

[35] Harrison & Wolyniak, 2015. Voir aussi Thomas Metzinger, « Silicon Valley is selling an ancient dream of immortality », 18 août 2017, ft.com.

[36] Si on y ajoute la secte symétrique des critiques auto-proclamés des dangers épouvantables que font peser les nouvelles technologies sur l’avenir de l’humanité, le niveau de bullshit dans ce domaine explose à mon avis tout ce qu’on avait pu voir dans n’importe quel autre secteur, et je vois mal comment on pourra un jour « innover » dans le bullshit pour dépasser cette apogée. Pour un exemple parmi cent autres, on pourra lire cette analyse d’un cas assez grave par Alexandre Moatti : Bernard Stiegler : lost in disruption ?, https://zilsel.hypotheses.org/2878.

[37] Et vous aussi, vous pouvez désormais défendre vos « neurodroits », comme vous y autorise, et même vous y encourage, Idriss Aberkane : « Je n’ai donc écrit ce livre que pour une raison : que n’importe qui, n’importe quand, puisse le citer, comme on cite une Constitution pour rappeler ses droits fondamentaux, pour affirmer solennellement : « Mon cerveau est sacré, mes nerfs sont sacrés, ce n’est pas à mes nerfs de servir ton système, c’est à ton système de servir mes nerfs. » (p. 218-219).

[38] Trout, 2008; Keehner & Fischer, 2011; Dieguez, 2014.

[39] Muzur & Rinčić, 2013.

[40] Legrenzi & Ulmità, 2011 ; Satel & Lilienfield (2013) ; Pasquinelli, 2012 ; sciblogs.co.nz/mind-matters/2015/11/03/neurobollocks/; events.cri-paris.org/e/19/thematic-workshop-neurobullshit.

[41] Barberousse & Huneman, 2016.

[42] Frankfurt, 2005 ; voir Dieguez, 2018, chapitre 1.

[43] Sharrer et al., 2017.

[44] Nickerson, 1985.

[45] Ces curieux guillemets à « petit génie », qu’on trouve sur le quatrième de couverture de Libérez votre cerveau !, auraient peut-être dû mettre la puce à l’oreille à quelques lecteurs et journalistes.

NDLR : Nous nous sommes déjà penchés sur le cas particulier d’Idriss Aberkane pour montrer à travers lui un certain nombre de dérives médiatiques et éditoriales en lien avec la culture scientifique du public (ou son absence). À ce travail, on a reproché de ne pas s’intéresser au fond, au contenu du travail présenté par ce monsieur. L’auteur du billet ci-dessous nous a contacté pour nous proposer sa longue et laborieuse analyse, exemple vivant du principe d’asymétrie de Brandolini. Vous pourrez constater qu’il faut du temps, de l’énergie et beaucoup de détermination pour douter suffisamment des propos d’Idriss Aberkane, et pour les vérifier ; tout cela pour constater à quel point le contenu est au diapason du pedigree en toc que nous avons œuvré à révéler.
À la vérité, Idriss Aberkane n’aurait jamais dû pouvoir faire illusion, et il ne faut pas voir dans notre travail un acharnement, mais une étude de cas qui a la prétention d’être utile pour que d’autres cas du même genre soient reconnus comme tel beaucoup plus rapidement, afin que la vraie parole scientifique retrouve dans les médias la place qu’elle mérite.
Acermendax.

Dr Aberkane en conférence au CERA :

« Moi, rentrant de Stanford avec ma théorie « l’économie de la connaissance maximise le pouvoir d’achat des amoureux », vous me croirez ou pas, à l’école Centrale, ça leur parlait pas des masses. Alors je me suis dit : on est France, je vais faire un diagramme cartésien ; ça va leur parler ça. […] J’ai appelé ça Love Can Do : sur l’axe des x, vous allez mettre « est-ce que vous savez faire le métier ? Can Do » ; […] et ça c’est l’axe du « est-ce que j’aime ça ? Love » ; et ça vous le mettez sur l’axe des y, parce que « y », en anglais, ça se dit « why », « pourquoi ? ». Donc « Comment je travaille ? » et « Pourquoi je travaille ? ». […]

Moi, si je me faisais chier à donner ces conférences, j’aurais arrêté depuis longtemps ! Quand on aime faire ce qu’on fait, en général, on prête plus d’attention aux détails ; et comme disait Léonard : « C’est l’attention aux détails qui fait l’excellence, et l’excellence, c’est pas un détail. »

Pour prêter l’attention aux détails, il faut aimer ça. »

Voici en quels termes s’exprimera Idriss Aberkane à environ un quart d’heure de conclure sa conférence de presque trois heures donnée à Bressuire pour le CERA (Centre d’Échanges et de Réflexion pour l’Avenir) le 21 mars 2018, mise en ligne sur Youtube le 24 mai 2018, et intitulée Comment muscler et libérer votre cerveau ?

À l’écran, il est présenté comme « chercheur en neurosciences » ; dans la description de la vidéo, comme « génie précoce titulaire de trois doctorats à 29 ans » ; sur son compte Twitter, comme « Hyperdoctor Biomimicry Polymath Neurogeek ». Nous attendons logiquement de lui une rigueur scientifique exemplaire (pour un chercheur revendiquant trois doctorats, c’est la moindre des choses), les preuves d’une production intellectuelle de haute valeur (comme avec tout génie) et une maîtrise incontestable des savoirs issus des multiples disciplines qu’il croise (c’est que « polymathe » est d’ordinaire réservé aux éminences universelles du genre d’Aristote, de Vinci, Leibniz, Goethe, etc.)

 

L’absence d’articles de recherche nous contraignant à reporter notre attention sur ses seules œuvres disponibles — son livre (un article est prévu) et ses conférences —, c’est donc à travers un long fact-checking commenté de la présente conférence (travail assurément fastidieux, mais seul moyen d’évaluer la qualité du travail de M.Aberkane) que nous allons rendre compte de l’ineffable attention aux détails dont notre chercheur fait montre.

 

Que la longueur et la densité de l’intervention nous aient fait renoncer à l’exhaustivité, pour nous incliner à ne traiter que les passages les plus éloquents (déjà nombreux), n’a pas rendu notre regard moins vétilleux là où il dut s’appesantir, sans doute par humble attachement à l’un des plus clairvoyants préceptes de Léonard : « Les détails font la perfection, et la perfection n’est pas un détail. » (Source).

 

Bien sûr, pensez à vous référer à la vidéo originale pour vérifier que cette critique est honnête.

 

Saint-Augustin (02:38)

« Lui, là, c’est Saint-Augustin. Saint-Augustin était kabyle, comme tous les génies [sic!]. Et là en fait, il en a plus rien à foutre, il télécharge directement la vérité dans sa tête. Là, vous le voyez, il est en train de procéder à un téléchargement de vérité directement dans sa tête. Et, en fait, cette toile, elle est super subversive — pour autant qu’une toile du temps de Louis XV pouvait être subversive. En fait, il est en train de piétiner les bouquins, c’est pas pour rire ! C’est-à-dire que là, il en a plus rien à foutre : il télécharge la vérité direct dans sa tête ! Et qu’est-ce qu’il utilise pour télécharger la vérité dans sa tête ? Son cœur. Il utilise son cœur, parce qu’on savait, déjà à l’époque, que quand on aime quelque chose, on l’apprend plus facilement… »

La toile ne date pas du règne de Louis XV (1715-1774) : elle est de Philippe de Champaigne (1602-1674 ; peintre tellement subversif qu’il eut pour mécènes Marie de Médicis et le Cardinal de Richelieu), et ne fait qu’illustrer la doctrine de Saint-Augustin sur la Grâce, à savoir que cette dernière relèverait de la prédestination, de l’élection divine — chacun serait élu ou damné dès l’origine. Le cœur enflammé est le symbole de sa foi ; symbole que l’iconographie catholique attribue à ce saint.

Sources :

 

Aimantation et Amour (3:27)

«… En fait, on sait ça depuis très longtemps, on le sait depuis l’antiquité. […] Pour télécharger directement la connaissance dans son cerveau, il va utiliser sa passion pour la vérité [sic!]. C’est de là que vient le mot « aimant » en fait. Du temps d’Aristote, on pensait vraiment qu’un aimant, le magnétisme, était une sorte de sympathie, une sorte d’amour qui se passait entre les deux objets, et donc c’est pour ça qu’aujourd’hui en langue française on appelle ça “un aimant”. »

La forme adjectivale ou participiale aimant (du verbe « aimer ») et le substantif aimant ont des racines différentes. Ce dernier partage la même étymologie que diamant, un dérivé du latin populaire adimas, -mantis, forme dissimulée du latin classique adamas, -mantis, au sens, soit de « fer très dur », ou de « pierre précieuse ». Pierre d’aimant et diamant étaient caractérisés par leur dureté.

Aimer et Amour ont pour étymologie le latin amare.

C’est Onomacrite (chresmologue grec du VIe s. av. J.-C.) qui, à travers ses poèmes, nous fournit le plus ancien nom de l’aimant : μαγνήτης (magnitis). Cette dénomination provient manifestement du lieu où a été découvert l’aimant, c’est-à-dire en Asie mineure, où deux villes portaient le nom de Magnésie.

Sources :

 

Ridicule, Dangereux, Évident (14:50)

« Je vais être sincère : je n’ai pas de message plus important que celui qui va s’afficher dans cette petite bulle. […] Ce message, c’est que toute révolution dans l’histoire de l’humanité, qu’elle soit philosophique, morale, politique, technique, religieuse, légale, c’que vous voulez ; dans tous les domaines, si c’est une révolution, ça passe toujours, systématiquement, inévitablement, par trois étapes, toujours : d’abord c’est considéré comme ridicule, ensuite c’est considéré comme dangereux, et enfin c’est considéré comme évident. »

C’est là galvauder le sens et exagérer la portée d’un aphorisme de Schopenhauer pour se l’approprier à peu de frais. À la seconde étape du processus, le philosophe parle de rencontrer une forte opposition, non une accusation de dangerosité — la seconde n’étant qu’un cas particulier de la première. Pour lui, c’est le chemin que suivrait toute vérité — et toute vérité n’est pas forcément une idée révolutionnaire ; surtout que le degré de subversion d’une telle idée est très variable selon le champ dans lequel elle s’applique.

Schopenhauer ou pas, l’infinité de syllogismes inopérants que permet d’élaborer la formule en révèle rapidement les limites. Ici, le détournement et la récupération de ce « triptyque dialectique » ont moins pour fonction d’apprendre au public à identifier le schème d’un changement de paradigme que de prémunir notre conférencier contre la déconstruction de ses propres idées. Manœuvre prophylactique qui, le cas échéant, exempte du devoir d’argumenter, la « loi » étant elle-même auto-immune.

Observer avec quelle vitesse et quelle autorité s’imposèrent des théories scientifiques parmi les plus authentiquement révolutionnaires, comme celles de la sélection naturelle de Darwin et de la Relativité d’Einstein (malgré les critiques qu’elles essuient aujourd’hui encore), doit suffire à convaincre que cette « loi » n’a pas la vigueur d’une évidence.

 

Q.I. et Intelligence Artificielle (25:00)

« Un des premiers rôles du Q.I. dans l’histoire, c’était de vérifier quand quelqu’un avait eu un trauma, s’il avait eu des pertes cognitives ou pas. »

Il n’existe pas de test de Q.I. pour adulte avant celui de Weschler, datant de 1939. Le premier test psychométrique utilisable servant à mesurer l’intelligence fut élaboré par les français Alfred Binet et Théodore Simon en 1905, sur demande du gouvernement. Il avait pour fonction de détecter un éventuel retard mental chez les élèves et de prédire la réussite scolaire, non celle de mesurer les pertes cognitives suite à un AVC ou quelconque trauma. Ce test deviendra ensuite le quotient intellectuel avec William Stern en 1912.

Si le Q.I. ne peut prétendre à résumer l’intégralité de l’intelligence humaine, il existe chez les professionnels de la psychologie et des sciences cognitives un quasi consensus pour dire que celui-ci mesure plutôt bien ce qu’ils nomment « intelligence générale » (facteur g), ou « puissance mentale » — non parce qu’ils l’affirment arbitrairement, mais parce que les données recueillies depuis plus d’un siècle d’étude convergent et confirment la validité du Q.I.

Sources :

« Mais à partir du moment où une intelligence artificielle arrive à passer des tests de Q.I., bah ! on a deux solutions. Soit on se dit : ”ça y est, on est cuit, on est foutu, parce que maintenant le robot est aussi intelligent que nous” ; soit on se dit : “le Q.I. est au cerveau ce que l’ombre est à la main”. »

Aux dernières nouvelles, l’intelligence artificielle de Google — la plus performante — obtient 47 à un test de Q.I., ce qui est moins bien qu’un enfant de 6 ans (55). Microsoft Bing obtient 32 ; Siri d’Apple, 24 ; un adulte moyen, 100 ; un HPI (Haut Potentiel Intellectuel), plus de 130 ; un THPI (Très Haut Potentiel Intellectuel), plus de 145-150.

Sources :

L’énoncé nous laisse pourtant croire que l’I.A. affiche désormais un Q.I., sinon supérieur, au moins égal à celui d’un humain moyen. Gardons bien cette suggestion fautive en mémoire : en un point-clé de la conférence, elle servira de base implicite à une pseudo démonstration d’envergure.

 

Dealers d’attention (39:25)

« De l’attention et du temps. […] L’attention, ça se paie, ça vaut de l’argent ; ça vaut même beaucoup d’argent. Les gens qui vendent de l’attention aujourd’hui sont des gens ultra riches. Ils s’appellent Google, Facebook, Twitter, Youtube — qui appartient à Google. Les gens qui sont des dealers d’attention aujourd’hui, sont des gens pleins aux as. »

Comme Idriss Aberkane, ici ou ailleurs, fait souvent état de sa fascination pour la réussite financière de grandes multinationales, telles les GAFA et autres firmes majeures de la Silicon Valley, presque toujours présentées comme pourvoyeuses de modèles inspirants, initions-nous au Persuasive Design, ou comment ces dealers d’attention utilisent les connaissances en psychologie pour maximiser la dépendance des utilisateurs envers leurs produits — enfants et adolescents, plus vulnérables encore que les adultes, étant leurs cibles privilégiées.

Source :

 

Économie de la connaissance et équation (41:28)

« Par exemple, dans l’économie de la connaissance (vous savez que c’est mon grand dada), eh bien ! en quoi aimer ce qu’on fait nous rend plus performant ? Là, on est train de réaliser un transfert de connaissances. Là je vous donne de la connaissance [sic!], et vous êtes en train de me donner quoi en échange ? […] Il est impossible de télécharger une connaissance dans sa tête sans avoir payé de l’attention et du temps, c’est pas possible. […] Ça, c’est les deux choses qui sont sinequanone pour installer un savoir dans votre tête. Alors ça donne cette petite équation tout mignonne. »

 

φ(k) = At

Nicolas Gauvrit, agrégé de mathématiques et docteur en sciences cognitives (notre conférencier n’est ni l’un ni l’autre), a analysé l’un des rares articles « scientifiques » publié sur HAL par Idriss Aberkane lui-même, où la mignonne équation apparaît : aucun terme n’est clairement défini, les incohérences abondent et l’une des démonstrations est mathématiquement fausse, puisqu’elle déroge au théorème de Cantor. Le titre sentencieux de cette critique sans concession, Le baratin à la française, est amplement justifié.

 

Après quelques circonvolutions, Idriss Aberkane nous dévoilera la signification quintessentielle de son équation :

« J’utilise mon cœur[…], ma passion, pour faire rentrer la connaissance dans ma tête »

Trêve Olympique (54:00)

« Thèbes venait, Sparte venait, Athènes venait. C’était trois villes qui passaient leur temps à se mettre sur la gueule le reste de l’année, mais y avait la trêve olympique : ils regardaient les jeux et ils ne se battaient pas. »

 

Sur Wikipédia : « Cette trêve est sans doute de durée variable selon la localisation des jeux. Elle pouvait probablement varier d’un à quatre mois, mais nous sommes très mal documentés sur ce point (3) ; pour les Jeux olympiques, elle est instituée pendant le mois qui précède les Jeux (4). Pendant cette trêve, la cité accueillant les jeux ne peut pas être attaquée. De même, spectateurs, sportifs et officiels en déplacement ou de retour de jeux, ne peuvent être inquiétés lorsqu’ils traversent des zones en guerre. En effet, contrairement à une légende tenace, la trêve antique n’implique absolument pas l’arrêt de toutes les guerres ; ce n’est qu’un « cessez-le-feu partiel »(5). Cette trêve était purement utilitaire. Sans elle, les jeux n’auraient pas pu se tenir en raison des incessants déplacements des sportifs, d’agônes en agônes. »

La note n°5 renvoie à l’ouvrage de Decker et Thuillier Le sport dans l’antiquité – Égypte, Grèce, Rome.

Wolfgang Decker est un historien allemand spécialiste de l’histoire de l’activité physique antique en Égypte et en Grèce. Il est professeur à l’Institut d’histoire du sport de l’École supérieure du sport de Cologne et cofondateur de la revue du sport antique Nikephoros en 1988.

Source :

 

Cours de e-sport en Chine (55:38)

« Vous savez qu’en Chine il y a une université qui forme des joueurs professionnels ? Ça s’appelle le Lanxiang Institute of Technology, c’est une université… d’État ! Et cette université d’état forme des joueurs professionnels. C’est ce qu’on appelle le sport électronique, le e-sport… »

Lanxiang Institute of Technology n’est pas sans rappeler le prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), sauf que l’on ne trouve aucune page officielle et presque aucune trace du « LIT » (dix résultats seulement après une recherche Google ciblée ; des liens datant de plusieurs années ; une page Facebook non-officielle vide de tout contenu), et que ces cours de gaming sont en fait dispensés par la Lanxiang Technical School, un lycée technique situé à Jinan, ville de l’Est de la Chine. Quant aux diplômes délivrés par certaines universités (notamment en Russie, en Finlande ou en Angleterre), ils valident surtout des formations au commerce et à la promotion de l’e-sport.

Sources :

 

Secrétariat d’état à l’e-sport en Corée du Sud (55:54)

« … En Corée [du sud], ils ont un secrétariat d’état les mecs, un secrétariat d’état à l’e-sport !… »

Nulle composition officielle du gouvernement Sud-Coréen ni aucun article ne mentionne une telle instance d’ordre étatique. Il existe en revanche la KeSPA (Korean eSports Association), d’ailleurs en proie à des affaires de corruption.

Sources :

 

Réalité du pro-gaming (55:58)

« … Y a des compétitions et des Olympiades. À votre avis, combien gagnent les gagnants des Olympiades d’e-sport, typiquement sur un jeu qui s’appelle Starcraft 2, ou sur Dota 2 ? C’est des prix de combien ça ? Genre on peut en vivre ou pas ?… Alors on peut carrément en vivre ! En fait, on peut même s’acheter plusieurs villas vue mer à Biscarosse. C’est six millions. En 2014, les gagnants de compétitions de Starcraft 2 ou Dota 2 prenaient six millions de dollars… »

Un champion du monde de Starcraft 2 remporte cent mille, non six millions de dollars — ce qui est vrai pour Dota 2, qui se joue en équipes de cinq ; les gains remportés à ce jeu ont même doublé en quatre ans.

Sources :

 

Pour mieux appréhender la réalité du pro-gaming en Corée et de l’e-sport en général, référons-nous à deux articles de la presse internet spécialisée. Dans le premier, la réalité des conditions de vie des joueurs pro d’e-sport en Corée, publié par le site Hitek en septembre 2016, nous apprenons ceci :

— La plupart des pro-gamers coréens ont entre 15 et 17 ans ;

— Ils n’ont pas de vrais contrats de travail (le problème du travail des enfants se pose) ;

— En Pro-League, ils touchent en moyenne 6 735€ par an (630€ par mois équivalent à 44h au SMIC Coréen ; les pro-gamers font 60h par semaine, dont plus de la moitié la nuit ou le week-end), et seules quelques stars gagnent dans les 140 000€ par an ;

— Ils vivent dans des Gaming House 24h/24 ;

— Beaucoup souffrent de blessures chroniques à la fin de leur (très courte) carrière (le plus souvent d’un syndrome du canal carpien, contre lequel Idriss Aberkane nous mit en garde en dénonçant le manque d’ergonomie de nos traditionnelles tables d’écolier) ;

— Plusieurs scandales de paris illégaux et de matchs truqués ont déjà défrayé la chronique ;

— Nombre de jeunes e-dépendants vont en centre de réhabilitation, et le gouvernement a même dû instaurer un couvre-feu numérique pour limiter la casse (Loi Cendrillon) — bien sûr, les PC Bang et l’industrie du jeu ont râlé, à cause des pertes de profit.

Dans le second, le dur métier de pro-gamer, publié par le site Je suis un gamer en avril 2016, cela :

— Si les pro-gamers sont adulés comme des stars, ils sont loin de toucher autant qu’un Lionel Messi ou un Roger Federer. Leur salaire équivaut à ce que gagne plus ou moins un Youtubeur de moyenne catégorie ;

— Riot Games, l’un des plus gros éditeurs dans le secteur de l’e-sport verse en moyenne 2000 dollars à ses meilleurs joueurs professionnels. Les joueurs européens spécialistes de League of Legends touchent des salaires à peu près identiques ; en Chine, environ 10 000 euros, parce qu’ils sont sous la tutelle d’un riche milliardaire. C’est par le biais du sponsoring et l’animation de leur chaîne Youtube que, notamment, certains joueurs de Call of Duty parviennent à dégager quelques 20 000 euros. Seules quelques très rares stars sont millionnaires et à l’abri du besoin ;

— Leur vie est faite d’ascèse, et leur quotidien très surveillé ne laisse aucune place à l’intimité : les équipes sont souvent regroupées au sein de grands appartements dans lesquels ils s’entraînent jour et nuit sous le regard de leur coach attitré. Les joueurs se réveillent, se couchent, mangent et jouent ensemble ;

— Bora, un ancien joueur de Fnatic (une team française) s’était confié au magazine L’Équipe : « On s’est entraîné plusieurs fois par obligation, parce qu’il faut qu’on le fasse, mais pas parce qu’on aime ça ». Il avouait aussi volontiers que la pratique du jeu est quelque peu malsaine ;

— Il n’y a pas de vraies procédures de recrutement. Pour être repéré, le mieux est de figurer au classement mensuel de son jeu de prédilection ; ce qui implique passer un nombre d’heures faramineux à jouer en ligne ;

— Si les cas de syndrome du canal carpien sont confirmés être récurrents dans le milieu, les yeux sont mis eux aussi à rude épreuve. Les joueurs ont développé des réflexes visuels semblables à ceux d’un pilote de chasse, mais leur cornée s’abîme prématurément : de nombreux pro-gamers portent des lunettes ;

— Le statut juridique des joueurs demeure flou, mais des lois devraient clarifier tout ça pour permettre au business de l’e-sport de se développer.

Sources :

 

Entrainement des I.A. (56:30)

« …Et derrière, il y avait Google, Facebook, Apple, Tesla, qui leur offraient des salaires de footballeurs pour entraîner leur intelligence artificielle. Et c’est ça le sujet en fait… »

L’information selon laquelle Google et Tesla verseraient des salaires de footballeurs à des gamers professionnels pour qu’ils entraînent leurs I.A. est invérifiable — donc suspecte. Surtout quand deux articles du site IGN France, spécialisé dans l’actualité du jeu vidéo et de la high-tech, donnent une version assez différente de la manière dont ces deux firmes entraînent leurs I.A. respectives.

 

Deepmind : L’I.A. de Google s’entraîne désormais à Starcraft 2 – un RTS [Real-Time Strategy game] au service de la recherche (10/08/17) :

« Deepmind, la société de Google spécialisée dans la recherche en intelligence artificielle et ses bienfaits, vient d’annoncer un partenariat avec Blizzard Entertainment en vue d’entraîner son I.A. sur Starcraft 2. […]

En plus d’une API de Machine Learning à laquelle les chercheurs et développeurs peuvent accéder dans le jeu, Blizzard met à disposition une base de données riche de replays anonymes réalisés sur le célèbre RTS. […]

En étudiant les replays de vrais gamers, l’IA de DeepMind, via un processus d’apprentissage par imitation, sera ainsi capable de compléter plus facilement toutes sortes de tâches. »

 

L’IA d’Elon Musk bat un joueur pro de Dota 2 – un bot de génie (14/08/17) :

« Tremblez joueurs professionnels, les robots pourraient bien un jour vous battre à n’importe quel jeu vidéo, et pas seulement au jeu de Go.

OpenAI, l’association de recherche en intelligence artificielle co-fondée par Elon Musk, vient notamment de créer un bot capable de terrasser les plus grands joueurs de DotA 2. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé récemment au championnat The International 2017. […]

Le bot d’OpenAI, qui s’est entraîné seul au 1v1, a ainsi défait pour la première fois des joueurs pro faits de chair et d’os, comme Arteezy et Sumail de la team Evil Genius. Puis est arrivé le tant attendu face à face contre Dendi. Et contre toute attente, l’IA a remporté le match haut la main. »

 

Sources :

 

À titre indicatif, le salaire annuel moyen d’un footballeur professionnel évoluant dans les premières divisions des grands championnats européens (anglais, espagnol, italien, allemand et français) est de 1 776 915 euros, soit presque 150 000 euros mensuels… en moyenne ! Le salaire annuel moyen dans le moins bien doté des clubs de Ligue 1 (qui est la moins bien dotée des cinq plus riches divisions européennes), c’est-à-dire à l’ESTAC Troyes, était tout de même de 340 000 euros pour la saison 2017/2018, soit un peu plus de 28 000 euros mensuels.

Source : http://www.sportune.fr/business/asse-om-psg-ol-losc-quel-est-le-salaire-moyen-de-tous-les-clubs-de-ligue-1-174339

 

Travail du cerveau, consommation de glucose et intelligence (56:40)

« Revenons à la question du travail du cerveau. […] En physique, ça se mesure en quoi le travail ?… [il tend l’oreille] En joules ! Très bien ! Le travail est une énergie en physique. Eh bien ! pour le cerveau, c’est pareil… C’est une simplification, mais 95% de toutes les publications scientifiques en neurosciences cognitives, c’est la consommation comparée de glucose par le cerveau, c’est tout. […] Tomographie à émission de positrons [TEP], l’imagerie à résonance magnétique fonctionnelle [IRM], c’est aussi ce qu’on appelle la BOLD, Blood Oxygenation Level Dependance : c’est, en gros, quelle partie du cerveau est plus irriguée ; plus irriguée parce qu’elle a besoin de plus d’oxygène pour métaboliser plus de lactate.

Pour simplifier vraiment, le travail dans le cerveau, ça peut se mesurer en « combien ç’a cramé de carburant aujourd’hui ». À votre avis, dans laquelle des tâches suivantes votre cerveau travaille le plus, c’est-à-dire consomme le plus de glucose, de lactate précisément : Jouer aux Échecs ? Jouer au jeu de Go ? Faire un nœud de cravate ? Faire une mayonnaise ? Extraire la racine treizième d’un nombre à cent chiffres ? Résoudre des équations différentielles aux dérivées partielles stochastiques ? Ou jouer à Starcraft 2 ?

À votre avis, dans quelle situation votre cerveau va cramer le plus de glucose ? Alors, de très très loin Starcraft 2 ! C’est laquelle la moins consommatrice de glucose ? […] La réponse, c’est la racine treizième d’un nombre à cent chiffres. »

Analyser l’activité du cerveau face à des tâches cognitives en fonction de sa consommation de glucose observée par TEP peut nous renvoyer à des études comparatives qui établissent une corrélation négative entre la consommation de glucose et la réussite à des tests psychométriques standardisés (matrices progressives de Raven, WAIS) ; corrélation négative également observée lorsqu’il y a entraînement et apprentissage préalables. En résumé, il en ressort que les gens possédant un Q.I. élevé utilisent leur cerveau de manière plus optimale, c’est-à-dire qu’ils gaspillent moins d’énergie et mettent naturellement en veilleuse les zones du cerveau moins utiles à la réalisation d’une tâche cognitive ciblée. Voici comment des chercheurs ayant produit une étude de ce genre révisent la notion d’intelligence (du moins la partie de celle-ci que mesure les tests psychométriques standardisés) durant l’introduction où ils se réfèrent aux publications antérieures à la leur :

« Ces études ont été interprétées comme une preuve d’un modèle de l’intelligence selon l’efficacité du cerveau : l’intelligence n’est pas fonction d’avec quelle ardeur le cerveau travaille, mais plutôt d’avec quelle efficacité il travaille. Cette efficacité peut aussi bien découler de la désuétude de nombreuses zones cérébrales non pertinentes pour bien exécuter une tâche que d’une utilisation plus ciblée des zones cérébrales pertinentes pour exécuter cette tâche. »

Source : http://jtoomim.org/brain-training/intelligence%20and%20changes%20in%20metabolic%20rate.pdf

 

Corréler (arbitrairement) le niveau difficulté d’une tâche pour le cerveau à sa plus ou moins grande consommation de glucose est peu pertinent ; frauduleux est d’en laisser inférer que plus une tâche augmente la consommation de glucose par le cerveau, plus elle requerrait d’intelligence pour la bien exécuter.

« Les serveurs de Google consommeront plus d’énergie pour effectuer la recherche d’une pizzeria à Bressuire, que pour résoudre une équation différentielle aux dérivées partielles stochastiques […], ou pour jouer aux échecs. »

D’après notre conférencier, une requête Google demande donc à l’intelligence artificielle de mobiliser plus d’énergie, de résoudre plus de pages de calculs et de composer avec davantage d’ambiguïté que pour (entre autres) vaincre l’humain aux échecs. Or l’intelligence artificielle de Google, qui, rappelons-le, est la plus performante du genre, n’obtient qu’un pauvre score de 47 à un test de Q.I., tandis qu’une corrélation positive entre le classement Elo d’un joueur d’échecs et sa réussite à des tests psychométriques a été montrée expérimentalement. Selon la logique du raisonnement et les critères d’évaluation choisis pour le conduire, l’I.A. devrait terrasser l’humain à des tests de Q.I. Il n’en est rien : le raisonnement est caduc.

Tout grand joueur d’échecs peut aisément apprendre à faire une mayonnaise et un nœud de cravate, mais parmi les nombreux individus sachant faire une mayonnaise ou un nœud de cravate, infiniment peu seront un jour en mesure de vaincre un grand maître international — même avec beaucoup d’entraînement.

 

Sources :

 

La machine bat l’humain aux échecs (1:00:55)

« Le jeu d’échecs, eh oui ! c’est dur, d’accord, mais en fait, les machines battent les humains, ça y est, c’est fini ! Depuis 95, les meilleurs humains ne peuvent plus battre les meilleures machines. C’est terminé. »

Kasparov fut vaincu par Deep Blue en 1997, au terme d’un match très serré (3.5 / 2.5) ; l’« ogre de Bakou » était parvenu à battre Deep Blue assez largement (4-2) un an auparavant.

 

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Matchs_Deep_Blue_contre_Kasparov

 

Derrida, Ambiguïté, Philosophie et Ésope (1:02:55)

« Pendant très longtemps, on a cru que l’intelligence était la capacité à s’exprimer sans ambiguïté. Il y a eu toute une controverse là-dessus dans les années 90. Il y avait un grand philosophe, qui s’appelait Jacques Derrida, et il devait avoir un doctorat Honoris Causa de l’université de Cambridge. Il y a eu une tribune publiée contre lui […], qui a été signée par des grands professeurs, qui ont dit : « Jacques Derrida n’est pas un philosophe. » Ils ont signé une tribune dans le Time de Londres ; c’était du sérieux… »

Nous ne saurons point sur quelles sources s’appuie l’idée louche selon laquelle un consensus voyait l’intelligence comme fonction de la capacité à s’exprimer sans ambiguïté, mais Nietzsche — grand philosophe qui ne s’interdisait ni la contradiction, ni l’emploi d’un style ciselé pour orner sa pensée pénétrante de beauté formelle — avait sa petite idée sur la raison qui poussent certains à « hermétiser » leur pensée :

« Qui se sait profond, s’efforce à la clarté ; qui veut paraître profond, s’efforce à l’obscurité. »

Il y a de sérieux motifs pour se défier du style indigeste de Derrida et penser que s’exprimer d’une manière aussi nébuleuse (à grands renforts de néologismes et de mots-valise) relève davantage de l’imposture que du génie. Néanmoins, jamais les signataires de la tribune s’opposant à ce que Derrida reçoive un titre honorifique de l’Université de Cambridge en 1992, qu’il a finalement reçu à l’issue d’un vote, ne disent qu’il est inintelligent ou qu’il n’y a point de philosophie dans ses ouvrages, mais qu’il ne jouit pas d’une grande reconnaissance par ses pairs (en Angleterre comme en France), qu’il est inintelligible au premier abord, et qu’une fois produit l’effort mental pour extraire la substance de ses écrits, il ne reste que trivialités et fausses affirmations.

Afin de lever toute ambiguïté, ci-dessous les trois derniers paragraphes de la fameuse tribune :

« Beaucoup ont voulu donner à M. Derrida le bénéfice du doute, insistant sur le fait qu’un langage d’une telle profondeur et d’une telle difficulté d’interprétation doit cacher des pensées profondes et subtiles.

Quand l’effort est fait pour le pénétrer, cependant, il devient clair, au moins pour nous, que, là où des affirmations cohérentes sont faites, elles sont fausses ou triviales.

Le statut académique basé sur ce qui nous semble n’être pas plus que des attaques semi-intelligibles sur les valeurs de la raison, de la vérité et de l’érudition n’est pas, selon nous, un motif suffisant pour l’obtention d’un doctorat honoris causa dans une université distinguée. »

« …Ils disaient : « Jacques Derrida n’est pas un philosophe, parce qu’il s’exprime dans une langue extraordinairement ambiguë, et l’ambiguïté est contraire à la philosophie »… faut pas avoir lu Ésope pour dire des conneries pareilles ! »

Ésope n’est pas un philosophe, mais l’inventeur de la Fable en tant que genre littéraire ; il est à peine contemporain de Pythagore — le premier à s’être proclamé philosophe. La plupart des fables de La Fontaine sont une traduction et une adaptation en vers réguliers français des fables d’Ésope. Dès lors, difficile de saisir en quoi la lecture de telles fables est censée réfuter « l’ambiguïté est contraire à la philosophie ».

 

Le mot même de Philosophie (à l’instar du mot Poésie) est trop souvent l’objet de méprises. La démarche philosophique — quoiqu’elle use de matériel verbal — a bien plus à voir avec une discipline scientifique qu’avec une discipline littéraire : elle vise à établir des connaissances par des moyens rationnels. Quant à la poésie versifiée de bonne facture, elle est bien moins le fruit d’heureuses intuitions que d’une besogne exacte — inspirée par de strictes règles formelles, les principes directeurs de la composition musicale et la logique idéo-verbale (ce qu’attestent les plus grands poètes français, de Nicolas Boileau à Paul Valéry, en passant par Hugo, Baudelaire et Verlaine).

 

Sources :

 

Algorithme (1:04:06)

« La définition rigoureuse d’un algorithme c’est : « Suite d’instruction à effectuer sans ambiguïté ». C’est la définition mathématique d’un algorithme. Et c’est ce qui fait que la recette des crêpes n’est pas encore un algorithme… »

La recette de cuisine est le premier exemple simple donné à des lycéens pour les initier à cette notion.

Confirmation de Serge Abiteboul — titulaire de la chaire d’Informatique et sciences numériques au Collège de France en 2011-2012 : « Un algorithme, c’est extrêmement simple, on connaît ça depuis toujours. Un enfant qui s’habille le matin suit un algorithme (en apprenant assez vite qu’il y a un ordre à suivre et qu’il aura quelques difficultés à enfiler ses chaussettes après ses chaussures). Vous aussi, quand vous suivez une recette de cuisine. Un algorithme, c’est une séquence d’instructions utilisée pour résoudre un problème. »

 

Sources :

 

« … Parce que la recette des crêpes, y a plein de degrés de liberté. [Par exemple,] selon la quantité de Grand Marnier que vous mettez dans la pâte. »

Dans ce cas, ce n’est plus une recette, et le terme s’avère aussi impropre que trompeur.

 

Jouer à Starcraft 2 vs jouer du Chopin (1:04:50)

« Et, donc, loin devant tout ça, vous avez « jouer à Starcraft 2 ». Je comprends bien que ça paraît dingue ! Un joueur professionnel de Starcraft 2, il a 400 actions par minute. Pour vous donnez une idée, c’est comme jouer la partie la plus dense de la Grande Valse Brillante de Chopin en continu pendant trente minutes. Les gars, vous les voyez, ils sont comme ça pendant trente minutes [il agite ses doigts et meut ses mains sur un axe horizontal, comme on mimerait un pianiste]. Un clavier de piano a plus de touches qu’un clavier d’ordinateur. Un clavier de piano a 85 touches, un clavier d’ordinateur a de moins de touches utiles que ça, mais si vous rajoutez la souris, on va dire que ça fait pareil. Une partie professionnelle dure trente minutes, un joueur pro a 400 apm et il y a 85 actions possibles. Ça vous fait combien de parties possibles ? 85 puissance 30 x 400… »

Au-delà du fait qu’un clavier de piano soit composé de 88 touches ; que jouer du piano implique aussi l’usage de pédales ; qu’un pro-gamer effectue en moyenne 250 apm (des clics de souris en majorité), dont beaucoup sont inutiles ; qu’il suffise de visionner quelques vidéos, où la caméra est dirigée sur les mains du joueur (la gauche se déplace peu et s’active sur une zone restreinte du clavier ; la droite gère la souris), pour réaliser que comptabiliser 85 touches utiles au jeu ne peut résulter que d’une sévère discalculie de l’observateur, oser la comparaison entre jouer à Starcraft 2 et jouer du Chopin est, évidemment, aussi ridicule que dangereux.

Ridicule, parce que la qualité et la finesse de développement des fonctions sensibles et cognitives requises pour interpréter avec maestria n’importe quelle œuvre musicale élaborée, tout en communiquant au public un subtil nuancier d’émotions propices aux plus transcendants transports de l’âme, seront toujours indéfinissablement supérieures à celles requises pour exceller à Starcraft 2. Les pro-gamers, tout comme les sportifs, ne sont point des artistes.

Dangereux, parce que, durant une conférence d’essence (prétendument) scientifique (malheureusement beaucoup le croient…), ayant (soi-disant) pour thème et enjeu centraux la promotion de méthodes d’apprentissage respectueuses des mécanismes cérébraux les mieux identifiés, et favorisant un développement cognitif le plus vertueux et le plus épanouissant possible, opérer un tel rapprochement, sans précaution ni réserve, invite le chaland à opiner que travailler à devenir champion de Starcraft 2 ou musicien émérite serait assez semblable en matière de bénéfices pour le cerveau, voire même que poursuivre le premier objectif améliorerait davantage la cognition et requerrait plus d’intelligence. Les (seuls et admirables) bienfaits de la musique (ou même du jeu d’échecs) sur le cerveau, la santé psychique et la réussite scolaire sont pourtant notoires.

 

En admettant que la comparaison soit recevable, et qu’on puisse en déduire une hiérarchie en matière de performance « neuro-intellectuelle », cela ferait de tout batteur de jazz un monstre cognitif. À la grande époque du Be-Bop — style caractérisé par un phrasé virtuose et des tempi très enlevés (souvent entre 200 et 300 bpm) —, un jazzman pouvait, allant de clubs en clubs, jouer plus de dix heures par jour. Rien qu’à la main droite (celle qui marque le swing), un batteur est au moins à 6 actions par mesure (si c’est du 4/4), soit 300 actions par minute à un tempo de 200 bpm. Ajoutons les trois autres membres, toutes les nuances dynamiques et de timbre possibles, le fait de devoir maintenir une pulsation régulière en interaction avec les autres musiciens, tout en nourrissant le débat improvisé de sa propre expressivité sans nuire à la cohésion d’ensemble, etc., et le nombre des possibles apparaîtra comme démentiel ; bien supérieur à celui d’une partie de Starcraft 2, sur un plan strictement comptable. De plus, considéré la dépense physique de chacun, il y a également fort à parier que la consommation de glucose par le cerveau d’un batteur dépassera de loin celle d’un pro-gamer.

 

Feindre de souscrire à cette comparaison, ainsi qu’à la logique d’évaluation l’ayant inspirée (pour en bien mesurer les conséquences), peut faire aboutir à deux conclusions. L’une est cocasse ; l’autre, absurde :

  1. N’importe quel bon musicien (même amateur) possède un cerveau infiniment plus performant qu’un champion de Starcraft 2 — Cerveaux ! Préférez la musique au e-sport !
  2. Un batteur est supérieur à un violoniste — un pianiste à un bassiste, un organiste à un flûtiste, etc. — Idée puissamment ridicule, dont l’espoir de se muer un jour en évidence est nul.

Sources :

 

World of Warcraft et potentiel économique du jeu (1:17:32)

« Je vous ai dit que les jeux sont des aspirateurs à « At ». À votre avis, combien de temps l’humanité a accumulé sur ce jeu, World Of Warcraft [WOW] ?[…] Régalez-vous : si on met bout à bout toutes les heures qui ont été claquées sur WOW, ça fait sept millions d’années, entre 2004 et 2014 seulement. C’est cinquante fois plus que toutes les heures travaillées par Apple et tous leurs fournisseurs depuis 1976. Apple, c’est la société la plus riche au monde. […] Quand ils appellent leur banque pour savoir combien ils ont sur leur compte courant, la banque répond quoi à votre avis ? Je parle de trésorerie, de liquide… la banque répond : « Votre compte est créditeur du PIB du Qatar, plus du budget de défense allemand plus le budget de défense français « . Deux cent cinquante milliards en liquide ! Avec un cinquantième des heures passées sur WOW. Alors bien sûr, si je vous disais qu’un jour peut-être, on pourrait créer le PIB du Qatar en jouant à un jeu, c’est ridicule, non ? [il lève son pouce à l’horizontal pour symboliser la première étape du processus Ridicule-Dangereux-Évident, et sourit longuement…] »

Début 2018, la trésorerie d’Apple s’élevait à 268 milliards USD, mais là n’est pas le plus important.

Source : https://www.latribune.fr/technos-medias/que-va-faire-apple-de-ses-268-milliards-de-dollars-de-cash-en-2018-763852.html

 

Tout lecteur qui, en amont, aura pris le temps de parcourir l’article sur le Persuasive Design sait désormais par quel usage malsain des connaissances en psychologie les grands éditeurs de jeux vidéo optimisent l’aspiration des « At », encourageant de fait les comportements addictifs, en dépit des graves conséquences psycho-sociales que cela peut avoir sur les esprits fragiles.

Faire la promotion de Starcarft 2, même sur fond de raisonnements fallacieux et de comparaisons ineptes, est une chose — ça reste un RTS complexe, qui demande vraiment vitesse de réflexion et concentration soutenue —, mais s’ébaudir des sept millions d’années de temps de cerveau disponible qu’a aspirées un MMORPG (Massively Multiplayer Online Role-Playing Game) comme World Of Warcraft, sans aucune espèce de modération, pour démontrer le potentiel productiviste des jeux, en est une autre, d’autant plus discutable. Vu ce qui a précédé, le public est incité à croire que tous les jeux vidéo se valent et renferment des qualités semblables.

Les MMORPGs, de par leur essence même, sont parmi les jeux les plus chronophages et les plus addictifs. Une enquête de l’OCDE de 2015, réalisée dans 65 pays, est plutôt claire sur l’impact de ce type de jeux : si une consommation modérée et solitaire (eh oui!) de jeux vidéo édifiants augmentent en moyenne les performances scolaires, les jeux en réseaux, eux, et ce quelle que soit la fréquence à laquelle ils sont consommés, les amoindrissent. Par voie de conséquence, de tels jeux auront tendance à réduire la productivité de leurs usagers et à les faire souffrir davantage. Ce qui est tout de même ballot.

 

Source : https://www.sciencesetavenir.fr/sante/les-jeux-videos-nuisent-ils-a-la-reussite-scolaire_18846

 

Samuel Pierpont (fucking) Langley (1:10:18)

« L’attachement à un projet. J’aime beaucoup cet exemple, on va faire un petit test : qui dans la salle a déjà entendu parler de Samuel Pierpont Langley ? Ah ! Ah ! C’est ça le problème ![…] Samuel Pierpont Langley, c’est un mec dont tout le monde se contrefout aujourd’hui, et c’était le gars payé par le Président des États-Unis pour faire voler le premier avion. Et le gars, c’était le gendre idéal : il avait une chaire au Smithsonian (le Collège de France américain), il jouait au golf avec le Président, il avait le New-York Times qui le suivait partout, et bien entendu il avait du pognon. Donc, le type, il avait les conditions idéales pour faire voler le premier avion. Qui a fait voler le premier avion ?[…] Les frères Wright, dans les livres d’histoire américain, c’est eux qui ont fait voler le premier avion… »

Samuel Pierpont Langley était déjà un scientifique reconnu pour ses travaux de physique et d’astronomie avant de se lancer dans l’aventure de l’aviation. Il fut même admiré par Graham Bell (l’inventeur du téléphone), lorsqu’il réussit à faire voler pendant plus d’une minute un avion sans pilote, propulsé par deux hélices à moteur ; il réitéra l’expérience avec succès en diverses occasions. C’est après plusieurs crashes et avoir épuisé ses fonds (50.000 USD), alloués dans le cadre de la guerre contre les Espagnols, qu’il se résigna, tandis que neuf jours plus tard les frères Wright réussissaient le premier vol motorisé avec pilote. En 1917, les États-unis baptiseront de son nom l’une des bases aériennes les plus prestigieuses du territoire américain, celle qui deviendra le centre d’essais de la NACA, puis de la NASA. Il est toujours considéré comme un des pionniers et précurseurs de l’aviation.

Source : http://aerostories.free.fr/precurseurs/langley/index.html

 

Les frères (crash) Wright (1:11:20)

«… Pourquoi on connaît les frères Wright et pas Samuel Pierpont Langley ? Qui étaient les frères Wright ? Ben, au départ, c’étaient des vendeurs de pièces détachées de vélo à 60km de Dayton dans l’Ohio. Leur pedigree, c’était ça.[…] Pourquoi c’est eux ? Pourquoi c’est pas un mec du MIT, de Polytechnique ou d’Oxford ? Parce que, eux, quand ils partaient sur le champ, il envoyait cinq lots [gratuits?] de pièces détachées par jour. C’est-à-dire que, eux, ils se crashaient cinq fois par jour ! [ça peut vite revenir cher] Mais quand vous êtes Samuel Pierpont « fucking » Langley, vous ne pouvez pas vous crasher une seule fois ![…] Parce que l’échec coûte cher, et que pour bien apprendre, il faut que l’échec coûte pas cher. Si vous voulez bien apprendre, bien innover, bien créer, ou bien changer le monde, ou avoir un prix Nobel, c’que vous voulez, eh bien ! il faut que l’échec soit pas cher. Parce que c’est l’essai-erreur qui crée la nouveauté.[…] Quand vous êtes les frères Wright dans l’Ohio, tout le monde s’en fout que vous vous crashiez avec votre machine infernale dans les champs de maïs [sauf les agriculteurs]. Du coup, vous allez pouvoir faire cinq essais par jour ; et, du coup, vous allez battre ce mec… »

Les frères Wright n’étaient pas que de simples vendeurs de bicyclettes : ils connaissaient les travaux de Lilenthal et ne se crashaient pas cinq fois par jour. Ils ont d’abord essayé leur planeur comme un cerf-volant ; l’ont piloté du sol ; en ont augmenté l’envergure plusieurs fois pour qu’il puisse éventuellement accueillir un pilote ; ont construit une soufflerie dans leur atelier pour faire des tests de portance en laboratoire pendant un an ; ont encore augmenté l’envergure, et ont réalisé environ 700 vols planés. C’est surtout leur travail sur la pilotabilité qui leur a permis d’être les premiers, non leurs multiples échecs. Ils étudiaient beaucoup la théorie, et se sont révélés d’excellents ingénieurs (quoique dépourvus de formation académique) dans leur résolution analytique du problème.

 

Source : http://memoireairfrance.canalblog.com/archives/2014/02/15/29220733.html

 

Simon Sinek et le Why ? How ? What ? (1:13:06)

« … C’est pas moi qui ait découvert ce vrai grand principe, c’est un type qui s’appelle Simon Sinek ; je vous recommande vivement ses travaux, où il dit clairement que « l’échec est un diplôme »… Mmmh… Et que si vous n’avez pas ce diplôme de l’échec, si vous n’avez géré l’échec dans votre vie, il ne faut essayer de faire quelque chose de nouveau, parce que quelque chose de nouveau, par définition, ça ne marche pas du premier coup. »

L’anecdote des « cinq crashes par jour » lui vient justement de Simon Sinek, conférencier spécialiste en marketing et management, qui prétend avoir compris et codifié ce qui fait ou non le succès d’une entreprise (au sens le plus général du terme, marchande ou non). Il s’agit d’utiliser une procédure de communication dans laquelle il faut respecter l’ordre Why ? How ? What ?, et basée sur l’idée suivante : « Ce que les gens achètent, ce n’est pas ce que vous faîtes, mais pourquoi vous le faîtes. » Concept du Why ? How ? What ? que nous voyons reparaître dans le titre de la thèse d’Idriss Aberkane en Sciences de gestion à Paris-Saclay. Rappelons-nous qu’il annoncera en fin de conférence être revenu de Stanford avec le diagramme conceptuel du Love / Can Do, qu’il définit lui-même par Pourquoi je travaille ? et Comment je travaille ?

Le leitmotiv de tout coach en développement personnel, et autres consultants en marketing, est de nous vendre une recette prétendument miracle, une sorte d’algorithme de la réussite, en parfait accord avec la théorie classique de l’économie, qui considère les agents comme rationnels, donc un éventuel succès comme le résultat du talent et de la technique conjuguées. La rationalité des agents, ainsi que l’idée d’une réussite relevant essentiellement des qualités de celui qui la rencontre, ont été indubitablement réfutées. Notamment par Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002 pour ses travaux sur le jugement et la prise de décision, professeur émérite à l’université de Princeton, spécialiste de psychologie cognitive et d’économie comportementale.

 

À la page 272 de son célèbre ouvrage Système 1, Système 2 – les deux vitesses de la pensée (dont nous conseillons à tous la lecture), en place d’ouverture du sous-chapitre Le talent et la chance, Daniel Kahneman écrit :

« Il y a quelques années, John Brockman, aujourd’hui rédacteur en chef du magazine en ligne Edge, a demandé à plusieurs scientifiques de citer leur « équation préférée ». Voici ce que j’ai proposé :

Succès = talent + chance

Grand succès = un peu de talent + beaucoup de chance »

Ancrer en soi que l’on gouverne moins ses actions que les aléas de la fortune n’en déterminent le terme est assez inconfortable ; mais cela a le mérite d’être vrai.

 

Effet Bannister (1:14:48)

« Roger Bannister, il arrive dans un contexte où il y a des congrès de médecine, des congrès de la faculté qui disent : ”Courir un mile en moins de quatre minutes, c’est pas possible, c’est une limite physiologique du corps humain, on peut pas »[…]. Et puis, Roger Bannister, il avait pas suivi le symposium de médecine de Cambridge, et du coup il a couru un mile en 3 minutes et 59 secondes. Et c’qu’est intéressant, c’est qu’une fois qu’il a fait ça, dans le monde, vous avez trois cents personnes en six mois qui ont couru le mile en moins de quatre minutes. Comment on interprète ça ? Est-ce que leur nutrition a changé ? Est-ce qu leur entraînement a changé ? Est-ce que leur physiologie a changé ? [etc.] Ou bien est-ce simplement parce qu’ils savaient mentalement, ils savaient que c’était possible, parce que quelqu’un l’avait fait ? On appelle ça l’effet Bannister. Et l’effet Bannister, vous le trouvez dans tout un tas de domaines. »

Roger Bannister était lui-même étudiant de médecine à Oxford et médecin junior lorsqu’il réalisa sa performance ; il fit par la suite une brillante carrière de neurologue.

Il semble que l’« effet Bannister » n’ait jamais existé et qu’aucun congrès de médecine n’ait jamais statué que courir le mile en moins de quatre minutes fût une limite physiologique infranchissable — cela relèverait plutôt de la croyance populaire. Durant l’année 1954, après le premier exploit daté du 6 mai, John Landy sera le SEUL et UNIQUE coureur, excepté Bannister lui-même, à descendre sous les quatre minutes. Dans les deux ans qui suivirent, il ne seront que huit ou neuf à courir le mile en moins de quatre minutes ; de 1954 à 1959, environ une trentaine.

Les méthodes d’entraînement se sont justement affinées à cette époque-là, et la précédente stagnation des records sportifs s’explique tout simplement par l’événement Seconde Guerre Mondiale.

Le « Bannister effect » n’existe pas et n’a jamais existé : c’est un mythe. Mythe que l’on retrouve sur de nombreux sites anglophones proposant des méthodes miracles pour développer son potentiel.

Sources :

 

Expérience de Charisse Nixon et théorie de l’Impuissance Apprise (1:18:50)

« Y a une professeure américaine, qui s’appelle Charisse Nixon, et elle fait un test avec ses enfants : elle leur demande de faire des anagrammes. Voyez dans la colonne de gauche [Bat-Melon-Cinerama], la copie qu’elle va donner à tous ses élèves de sa classe, donc trente élèves. Et elle leur dit, quand vous avez résolu cette copie, donc trouvé les anagrammes de ces mots, vous levez la main. Et, à trois élèves, elle va les piéger, elle va leur filer la copie de droite [Whirlpool – Leprechaun – Cinerama]. Dans la copie de droite, les deux premiers, vous pouvez chercher tout ce que vous voulez, y a pas d’anagrammes en langue anglaise. Par contre, le dernier, c’est le même. […]

Qu’est-ce qui se passe, en fait ? Quand les autres élèves, qui ont la copie avec les deux premiers impossibles, ils voient toute la classe qui lèvent la main, eh ben ! ils sont convaincus que le troisième est impossible aussi. Et ils le disent ! On les passe au détecteur de mensonges : pour eux, le troisième est impossible. Et, […], quand on leur demande : « Comment vous vous êtes sentis ? » Ils répondent : « Je ne me suis jamais senti aussi con. » On appelle ça “l’Impuissance Apprise”… »

Quiconque visionnera attentivement la vidéo Youtube de l’expérience filmée de Charisse Nixon constatera que :

  • La seconde liste (piégée) n’est pas celle que Charisse Nixon distribue — les motifs de cette substitution sont énigmatiques, car les deux premières anagrammes demeurent insolubles ;
  • Elle la distribue à toute la moitié gauche de la classe, non à trois élèves seulement ;
  • Parmi ceux ayant reçu la liste piégée, au moins six élèves trouvent la réponse à la troisième anagramme, et au moins autant sèchent parmi ceux ayant reçu la liste normale 
  • Jamais il n’est question d’un passage au détecteur de mensonges ;
  • Un seul des élèves en échec répond s’être senti « stupide » ; les autres, « sous pression », « confus(e) », « frustré(e) ».

Source : https://www.youtube.com/watch?v=p6TONVkJ3eI

 

Vu la petitesse de l’échantillon, son protocole défectueux et ses résultats, l’expérience en elle-même n’a pas grande valeur et ne prouve rien.

Cette vidéo a beaucoup circulé dans le milieu professoral, via les réseaux sociaux. Tout en invitant à regarder l’enregistrement, la plupart des commentateurs annoncent (à l’instar de Lucien Marbeuf sur son blog L’instit humeurs, hébergé par le site de FranceInfo) que tous les élèves ayant reçu la liste piégée échouent à la troisième anagramme… Le but est visiblement de suggérer que l’impuissance apprise pourrait se révéler une des causes principales de l’échec scolaire, puisque cinq minutes d’exposition à l’incontrôlabilité (c’est de celle-ci que découle éventuellement l’impuissance acquise) auraient suffi à conditionner la moitié d’une classe. C’est un genre d’heuristique : on s’épargne d’avoir à penser la complexité du problème, tâche cognitivement coûteuse.

 

Les analyses et expériences des chercheurs ayant étudié le phénomène sont pourtant autrement plus fines et plus rigoureuses, comme nous allons le voir sous peu.

« … Je ne vous surprendrai pas en vous disant que c’est un paradigme qui a été découvert par la CIA pendant la guerre froide […], par un professeur qui s’appelait Martin Seligman et qu’avait torturé des chiens. […] Martin Seligman, il a pris une cage avec un mur [au milieu]. D’un côté de la cage, il balance une décharge électrique […], le chien saute le mur, et il va du côté de la cage protégé. Ensuite, il balance une décharge de l’autre côté, et il voit que le chien saute, très bien. Ensuite, il est vraiment salaud, il balance des décharges des deux côtés. Et une fois que le chien s’est rendu qu’il peut plus rien faire, il se prostre, il accepte son destin, et, quand on ouvre la cage, il sort pas : Impuissance Apprise. »

Les résultats d’expériences menées sur des chiens par Martin Seligman en 1967, et desquelles il a tirée la théorie originelle de l’impuissance acquise en 1975, ne sont pas ceux-là. D’après l’introduction et le premier chapitre des vingt-cinq pages (pp. 677-702) consacrées à une présentation théorique de l’impuissance acquise dans L’année psychologique de 1996, les observations de Seligman furent les suivantes :

  • Les animaux préalablement exposés à des chocs électriques inévitables réalisaient de moins bonnes performances et se montraient plus passifs, dans une nouvelle situation d’apprentissage d’évitement des chocs électriques, que des animaux n’ayant pas été exposés à l’incontrôlabilité ;
  • Trois types de déficit émergent chez l’animal : a) cognitif ; b) motivationnel ; c) émotionnel ;
  • Un moyen d’éviter ces effets consiste à « immuniser » l’animal contre l’apprentissage d’incontrôlabilité en l’exposant préalablement au contrôle. L’exposition à l’incontrôlabilité n’altère pas les performances des animaux lorsqu’ils ont été exposés à des chocs électriques contrôlables vingt-quatre heures avant la phase d’entraînement.

Pour mettre en évidence de tels effets chez l’être humain, on a utilisé d’autres méthodes, plus déontologiques, comme, par exemple, confronter les sujets à des bruits désagréables incontrôlables ou à des problèmes sans solution. Si des effets analogues à ceux observés chez les animaux peuvent affecter l’être humain, ils semblent se dissiper plus rapidement chez ce dernier (ce qui doit être confirmé par davantage d’études). En bref, la théorie originelle de Seligman clive et engendre diverses écoles d’interprétation, et rien n’est clairement établi quant à la manière d’expliquer les effets de l’incontrôlabilité chez l’humain.

 

« Pour être tout à fait honnête, j’ai décidé d’écrire mon bouquin parce qu’on ne savait pas que le professeur Seligman avait participé au programme de torture de la CIA […] ; ç’a été révélé plus tard. Il faisait partie de l’Américan Psychological Association, […]. Il était un membre éminent de cette association, et aujourd’hui, on a toutes les preuves qu’il a participé au programme de torture de la CIA. C’est là que j’ai voulu faire mon bouquin. […] On pourrait parler des neurosciences pour le grand public. S’il y a des gens qui font du travail pour voir comment manipuler les gens, ce serait pas mal qu’il y ait des gens qui fasse du travail pour essayer de les informer. Et c’était un peu le sujet de ce boulot… »

C’est donc un sursaut éthique qui l’a décidé à écrire son livre. Un article s’occupera bientôt de vérifier si Idriss Aberkane y informe aussi consciencieusement le public qu’il le fait durant ses conférences.

«… L’impuissance apprise, testée à l’école, ça marche super bien. Et le pire, c’est que quand il y a un échec scolaire, on ne peut pas dire si l’échec est dû au fait que l’élève est bête, c’est-à-dire à une déficience cognitive, ou si c’est parce qu’il croit qu’il est bête. Pour le savoir, il faudrait mettre l’élève en imagerie cérébrale. On ne peut pas avoir une IRM par école. »

Nul besoin d’une IRM pour évaluer les capacités cognitives d’un élève en difficulté ; un test de Q.I. contrôlé y parvient en général très bien. Par exemple, et malgré ce que clament et relaient souvent les livres et la presse grand public, la recherche scientifique montre qu’une immense majorité des enfants à haut potentiel (Q.I. > 130) ne connaissent pas l’échec scolaire — échec qui peut aussi s’expliquer, ou être aggravé, par des facteurs environnementaux négatifs (instabilité familiale, maladie, pauvreté). Sans risque de se fourvoyer, nous pouvons supposer que le nombre de cas d’échec scolaire s’expliquant principalement par l’impuissance acquise doit être assez marginal. Quoiqu’il ne faille pas négliger les effets de l’impuissance apprise, il ne faut pas, non plus, en exagérer l’importance.

 

À la page 691 du document susnommé, dans la partie réservée à la « théorie informationnelle de l’IA » (théorie qui met l’accent sur le déficit cognitif), nous pouvons lire que : « Toutefois, l’existence d’un transfert d’apprentissage d’incontrôlabilité n’a jamais été clairement démontrée. » Puis, juste avant la conclusion, à la page 693 : « […], compte tenu des déficits de performances enregistrés suite à l’exposition à l’incontrôlabilité, on a tenté d’appliquer la théorie originelle de l’IA à la situation scolaire, mais peu de correspondances pouvaient être établies entre les situations en laboratoire et la situation des élèves en échec scolaire. »

Rappel : L’école ne soumet aux élèves que des problèmes solubles.

Source : https://www.persee.fr/docAsPDF/psy_0003-5033_1996_num_96_4_28925.pdf

 

Expérience de la prison de Stanford (1:31:00)

« Alors, si on en revient à des expériences de conditionnement, dont l’objectif est de se libérer, vous avez entendu parler de l’expérience de la prison de Stanford, ou pas. Et, pourtant, tout le monde devrait en avoir entendu parler, parce que c’est une expérience extraordinairement intéressante. Très controversée à l’époque, qui ne respecte pas la règle n°1 de la doxa scientifique actuelle : “ne faîtes pas partie de votre propre expérience”. […] Et pourtant l’expérimentateur, il a fait ça. Il a pris un car d’étudiants… Non ! Pas que d’étudiants ; de pères de famille, de gens qui avaient été vérifiés dans leur background aucun antécédent d’ordre judiciaire ou psychiatrique. Et il leur dit : “à partir de maintenant, tous les gens à ma gauche, vous allez jouer des faux prisonniers dans une fausse prison ; tous les gens à ma droite, des gardiens, dans une fausse prison.” […]

Il a dû arrêter l’expérience en 72 heures ; c’est totalement parti en vrille ; et lui le premier […], il s’est mis à abuser. […] En 72 heures, il y avait vraiment des prisonniers qui croyaient qu’ils étaient coupables et méritaient leur sort, et des gardiens qui devenaient complètement sadiques. Rien, et c’est ça la conclusion de l’expérience, rien dans la recherche d’antécédents n’aurait permis de soupçonner ça, rien ! Philip Zimbardo a appelé ça « l’effet Lucifer ». Dans les bonnes conditions, vous pouvez transformer une part significative de la population… C’est jamais 100%, il y a toujours quelqu’un qui va se lever. En l’occurrence, il avait une étudiante à lui dans les gardiens qui lui a dit : “Stop ! On on arrête tout, t’es en train de devenir fou”, et qu’il a sortie. Ils se sont mariés ensuite. […]

Ça peut se terminer mal quand on sait pas, parce que, oui, ça s’est reproduit cette histoire ; ça s’appelle la torture d’Abu Ghraïb, pendant la guerre d’Irak. […] Et Philip Zimbardo a eu à témoigner, pendant le procès des soldats qu’ont fait ça. […] Il a dit : “Mais les gars, vous le saviez ! Quand vous donnez trop de pouvoir à certaines personnes, elles vont en abuser, juste pour le fun.” […]

Ça n’avait pas été suffisamment diffusé… »

Les vingt-quatre participants à l’expérience étaient tous des étudiants masculins payés quinze dollar par jour, sélectionnés parmi soixante-dix candidats s’étant portés volontaires pour participer à une expérience sur la vie en prison, présentée comme telle. Christina Maslach, dont l’intervention a mis fin à l’expérience, et qui s’est effectivement marié avec Zimbardo ensuite, a justement obtenu son doctorat de psychologie à Stanford en 1971 (année de l’expérience), et si elle a participé, c’est en tant qu’observatrice extérieure, non en tant que gardienne. Les deux-tiers des gardes n’ont présenté aucun comportement cruel ou inhabituel. Le garde le plus célèbre, surnommé John Wayne, a même expliqué qu’il essayait simplement d’imiter le personnage de Strother Martin (Captain) dans Cool Hand Luke (avec Paul Newman). L’expérience s’est arrêtée au bout de six jours, non après soixante-douze heures ; elle devait initialement durer deux semaines.

L’étude présente de nombreux défauts :

  • Biais de sélection (manière orientée de présenter l’expérience pour recruter des participants) ;
  • Biais de confirmation (Zimbardo avait une idée préconçue d’à quels résultats l’expérience devait aboutir) ;
  • Échantillon trop petit et non-représentatif de la population ;
  • Participation active et partiale de l’expérimentateur dans le rôle de l’autorité suprême (Zimbardo incarnait le surintendant de la prison) ;
  • Constat par des pairs que les résultats étaient rendus insignifiants en raison de l’insuffisance des contrôles ;
  • Témoignages des participants ne cadrant pas toujours avec les conclusions de Zimbardo ;
  • Contexte socio-politique virulent affectant la neutralité de l’expérience (des émeutes en milieu carcéral avait fait la une de l’actualité).

Autant d’anomalies et d’irrégularités protocolaires qui font de l’expérience de la prison de Stanford une imposture et une fraude scientifique, dont il faut s’interdire de tirer un quelconque enseignement général sur la psychologie humaine.

 

Sources :

Le quatrième lien range même les pseudo enseignements psychologiques de l’expérience de la prison de Stanford dans la catégorie « Ridiculous Lies ».

 

Zimbardo, appelé par la défense des geôliers tortionnaires de la prison d’Abu Ghraïb, à comparaître au tribunal comme témoin-expert, y a fait cette fameuse déclaration : « Vous ne pouvez pas être un concombre doux dans un tonneau de vinaigre. » D’après lui, les accusés étaient peu responsables de leurs actes et surtout victimes de l’environnement. Les juges ne l’ont pas entendu de cette oreille.

Nous pourrions aussi opposer à Zimbardo un court extrait du dernier chapitre de La culture du narcissisme, écrit en 1979 par le sociologue américain Christopher Lasch :

« La thérapie considère comme une maladie ce qui aurait pu être jugé comme une action imputable à la volonté, ou, au contraire, au manque de volonté ; elle donne, ainsi, au patient, le moyen de lutter contre sa maladie (ou de s’y résigner), au lieu de se blâmer irrationnellement. Mais, lorsqu’elle est appliquée de manière injustifiée, hors du cabinet de consultation, la moralité thérapeutique favorise la disparition du sens moral. Il existe un rapport étroit entre l’érosion du sens moral et l’affaiblissement de l’autonomie. […] Qui dit : “Tu n’es pas coupable”, dit aussi : “Tu n’es pas capable”. »

 

Fritz Zwicky (1:34:40)

« Ça c’est quelqu’un que j’aime beaucoup : il s’appelle Fritz Zwicky, et il était complètement jeté le mec, complètement. C’était un génie. Très très grand physicien américain d’origine suisse. Et c’est quelqu’un qui a découvert, spéculé, pardon : la matière noire, l’énergie noire et les étoiles à neutrons.

Le problème, c’est qu’il a spéculé ça dans les années 40, et que tout ça a été découvert dans les années 60 à 80. Donc, évidemment, sa carrière a été relativement pénible ; mais, coup de bol, il était autiste, donc il en avait absolument rien à foutre de ce que les gens pensaient de lui. Et il avait du coup une insulte préférée : « connard sphérique » [spherical bastard], qui veut dire que, sous n’importe quel angle, t’es un connard en fait. »

Il est aujourd’hui considéré comme le père théorique de la matière noire, des lentilles gravitationnelles galactiques et des étoiles à neutrons — mais certainement pas de l’énergie noire ; objet physique proposé en 1998 pour expliquer l’accélération de l’expansion de l’Univers ; même Wikipédia enjoint ses lecteurs à ne surtout pas confondre ces deux obscurités physiques.

Ce polytechnicien suisse d’origine bulgare (et non américain d’origine suisse) a fait une brillante carrière universitaire et scientifique aux États-Unis. Dès 1925, il est appelé à travailler à Caltech, et dispose d’un bureau situé dans le même couloir que celui d’Oppenheimer, après avoir reçu la bourse internationale de la Fondation Rockfeller. Il est nommé professeur d’astronomie en 1942, et il travaille également comme directeur de recherche pour Aerojet Engineering Corporation — il détient de plus de 50 brevets, dont beaucoup dans la propulsion à réaction. Membre du personnel de l’Observatoire du Mont Wilson et de l’Observatoire Palomar pendant presque toute sa carrière. Reconnu et honoré de son vivant, principalement pour ses innovations et ses nombreux travaux en astronomie, il reçoit en 1949 la médaille présidentielle de la Liberté des mains de Truman ; en 1972, la médaille d’or de la Royal Astronomical Society, et est nommé professeur émérite de Caltech en 1968. Un astéroïde et un cratère lunaire portent son nom.

Il était également réputé pour son caractère bourru, la crainte qu’il inspirait à ses étudiants et une certaine propension à l’outrecuidance, ce qui explique son insulte favorite (« spherical bastard »). Le génie est loin de toujours s’accompagner de douceur et de magnanimité (cf. Newton, Michel-Ange, Schopenhauer, etc.)

Sa carrière ne peut être considérée comme « pénible ».

D’où provient l’information que Zwicky eût été autiste ? Mystère. En revanche, Zwicky est cité, en épigramme, à la page 73 du livre Univers et l’Infini de Joseph Silk, au chapitre 6, Amas et formation d’amas « Il y a d’un côté ces jeunes cosmologistes et physiciens enthousiastes mais complètement irresponsables qui construisent des univers imaginaires qui n’ont aucune valeur scientifique ni artistique. Il manque simplement à ces hommes une bonne appréciation de la pauvreté en faits définitivement connus et la conviction que sans de tels faits toute spéculation est largement futile… Et d’un autre côté, il y a beaucoup trop d’observateurs, notamment parmi ceux qui font usage des grands télescopes, dont les connaissances en physique fondamentale sont maigres… Les interprétations sont trop souvent de type autiste plutôt que scientifique… »

Pourquoi diable un autiste (qui, si le on le sait l’avoir été, devait se savoir l’être) justifierait-il le rejet d’interprétations spéculatives en les accusant d’autisme ? Si cet autisme présumé (fantasmé?) l’avait rendu indifférent aux jugements extérieurs et aux affres de l’ostracisme, pourquoi aurait-il si souvent qualifié ses congénères de « spherical bastard » ?

 

Sources :

 

Mignonnitude Technologique

 

Machine d’Anticythère (1:51:55)

« Autrement, quand une techno n’est pas mignonne, voilà ce qu’il lui arrive [image d’un fragment de rouage] : ça c’est la machine d’Anticythère, c’est un ordinateur analogique quand Jules César avait quatorze ans. Et c’est pas un truc « borderline » que je vous raconte, c’est de l’archéologie de base.[…] C’est une machine qui est aussi compliquée que la machine Enigma des nazis pendant la deuxième guerre mondiale. Pour être tout à fait exact, elle est quelque part entre la Pascaline de Pascal et la machine Enigma des nazis en matière de complexité algorithmique. C’est comme si je vous disais un MacBook Air du temps de Jésus-Christ ; c’est le même écart.[…] Ça prédisait les éclipses ; c’était indiscernable de la magie ; et comme c’était indiscernable de la magie, ben ç’a disparu : les gens en ont eu peur ! »

On parle dans le cas de la machine d’Anticythère du premier calculateur analogique parce qu’elle nécessite d’être actionnée par une manivelle, et c’est même pour cette raison que le terme « horloge astronomique » n’est pas vraiment approprié pour la décrire. Son caractère extraordinairement précurseur, en regard de ce que nous savons de l’histoire de la technologie, est qu’elle constitue la première machine à rouages connue et renferme des engrenages différentiels, dont nous n’avons pas trace en Europe avant le XIIIe s. ; mais elle n’est pas à proprement parler une « machine à calculer », ce qu’est en revanche la Pascaline de Pascal, toujours vue comme la première du genre. Quand à la machine Enigma, elle est bien plus complexe, puisqu’elle permet pas moins de 10 puissance 16 possibilités de codage.

À propos de la machine d’Anticythère, Lorenz Baumer, directeur de l’Unité d’archéologie classique de l’UNIGE, nous enseigne que : « Son utilité n’était pas pragmatique. Les savants de l’époque n’avaient pas besoin d’un tel calculateur, une feuille et un crayon suffisaient. Cette machine était un gadget, un objet de luxe montrant tout ce que l’on savait et savait faire au IIe siècle av. J.-C. »

Enfin, présenter un fragment d’antiquité ayant passé deux mille ans dans l’eau pour attester de son manque de « mignonnitude » est ridicule ; mieux vaut s’en référer aux reconstitutions les plus fidèles de l’objet complet — qui avait l’air plutôt joli.

Sources :

 

L’éolipyle (1:52:50)

« La boule d’Éole : l’éolipyle. Donc ça c’est juste une machine à vapeur à Alexandrie, dans l’Égypte ptolémaïque. Une machine à vapeur dans l’Égypte du IIIe siècle… Heu… Même pas, même pas, je crois que c’est IIe, je ne saurais plus vous dire… Héron d’Alexandrie, il avait créé ça. Il y avait un temple, le temple d’Éole[…], et du coup l’objectif était de faire un truc : quand vous faisiez une donation, y a un prêtre qui arrivait, qui allumait un feu, et, là, miraculeusement, une minute plus tard, les portes s’ouvraient, comme par magie. Et, en fait, comment ça marchait ? Bah !, c’était une machine à vapeur. Là vous voyez le procédé de base : y a un chaudron, fermé bien sûr, avec de l’eau dedans, et puis y a des tuyaux qui partent vers la boule, et puis autour de la boule vous avez des tuyaux tangents qui tournent quand on allume un feu, et ça, ça actionnait une courroie de transmission avec des poulies. C’était une machine à vapeur ! Dans l’antiquité !

À ma connaissance, la révolution industrielle n’a pas eu lieu à cette époque, parce que ça, c’était indiscernable de la magie. Il a même appelé ça la boule d’Éole, en mode « c’est Éole qui me l’a donnée : je suis pote avec lui ; mais n’essaie pas de le refaire, sinon la foudre va s’abattre sur toi ! » Et c’était ça l’enjeu, c’est-à-dire qu’un innovateur, à l’époque, il fallait surtout pas qu’il montre comment fonctionnait ses inventions ; donc ne pas les rendre mignonnes, et quand vous ne rendez une invention mignonne, elle disparaît… »

Le mécanisme d’ouverture automatique des portes d’un temple — baptisé Machine n°37 (ou n°38, les sources divergent) par Héron d’Alexandrie — n’est pas une machine à vapeur, mais une machine hydropneumatique, dont le principe moteur est différent de celui de l’éolipyle. Nous pouvons d’ailleurs retrouver cette dommageable erreur sur la page Wikipédia consacrée à Héron d’Alexandrie.

L’éolipyle (qui, effectivement, aurait pu déclencher une révolution industrielle avant l’heure si son concepteur en avait perçu tout le potentiel) fut conçu comme un objet de divertissement, une source d’amusement, un jouet ayant vocation à être utilisé comme tel, non comme un objet magique offert par Éole.

Héron d’Alexandrie ne peut avoir vécu à la fois dans l’Égypte Ptolémaïque et durant le IIIe s. ou IIe s. ap. J.-C., et pour cause : l’Égypte Ptolémaïque couvre la période allant de 323 à 30 av. J.-C. Héron a vécu dans l’Égypte Romaine, et c’est pendant la seconde moitié du Ier s. que nous trouvons des traces de sa présence à Alexandrie.

 

Sources :

 

La « pile » de Bagdad (1:54:18)

« Un autre exemple, c’est la Pile de Bagdad. Truc de dingue : c’est une pile électrique, chez les sassanides, au plus tard au VIIe siècle, donc en Perse ; en Irak maintenant. On sait absolument pas à quoi elle servait (a priori c’est pas pour charger un Iphone), mais on sait qu’elle fonctionnait. Ou bien c’était pour faire de la galvanoplastie (plaquer un métal), ou bien on soupçonne que c’était pour une cérémonie initiatique dans un temple ; en mode « bzzzit, ainsi parlait Zarathoustra, tu me dois cents balles « … Elle fonctionnait au VIIIe siècle, c’est ça qu’est dingue ! Et elle n’a pas été adoptée, car elle était indiscernable de la magie. Autrement, les gens qui veulent faire adopter la technologie très vite et très bien, comment ils font ? Il la rende mignonne. »

Chacun pourra consulter la page du CNRS consacrée à « La prétendue pile de Bagdad », qui est la source fiable la plus récente (dernière mise à jour : juillet 2017). Fiche classée dans la catégorie « Mythes et légendes de l’électricité et du magnétisme », et que les trois chercheurs l’ayant rédigée introduisent comme suit :

« A la différence de nombreux sites où l’on peut lire que la pile électrique a été inventée il y a 2000 ans et que cette pile servait à la dorure d’objets métalliques, nous disons ici que :

  1. L’hypothèse de l’invention de la pile est très peu vraisemblable aussi bien scientifiquement qu’historiquement, même si on peut toujours imaginer qu’on ajoute des éléments à un objet pour en faire une pile électrique.
  2. La dorure d’objets métalliques par électrolyse supposerait que l’on ait disposé, dans l’Antiquité, de sels d’or en solution, ce qui est encore moins vraisemblable. »

Peu avant de conclure, les auteurs ajoutent : « Paul T. Keyser a imaginé pour le mystérieux vase une autre application électrique, déjà évoquée par Koenig : une utilisation médicale du courant produit, éventuellement dans un cadre religieux. Mais la tension délivrée par une seule « pile » est très inférieure aux valeurs auxquelles l’organisme humain est sensible, en cas d’application sur la peau. »

 

Source : http://www.ampere.cnrs.fr/histoire/parcours-historique/mythes/pile-bagdad

 

La vie notée (02:00:00)

« On est tellement habitué aux étiquettes, que je suis convaincu qu’un jour vous pourrez mettre grand vin de Bordeaux sur une bouteille de Coca, et les gens l’achèteront comme tel. On nous a conditionnés à réagir sur ce qui est écrit, pas à ce qui est vraiment, pas à la nature même de ce qu’il y a dans le flacon. »

C’est tout à fait juste. Idriss Aberkane est lui-même une allégorie du pouvoir des apparences :

  • Bien que ses travaux de recherche soient quasi inexistants et que l’intéressé ne puisse revendiquer aucune réalisation scientifique citée dans la littérature, il est crédité des titres de « chercheur en neurosciences » et « génie précoce ».
  • Trois doctorats (mais aucun en neurosciences), un CV époustouflant, une faconde hypnotique, des présentations avantageuses à la TV et dans la presse, et beaucoup s’enivrent de ses discours, sans avoir conscience à l’évidence du décalage entre le produit et son emballage.7

 

Repas de connaissances et 20/20 de moyenne (02:02:18)

« Interrogeons-nous juste sur cette ergonomie de l’apprentissage. […] Ça peut être bien de faire des allégories, des paraboles.[…] Alors, imaginez : vous êtes dans un hôtel cinq étoiles devant un buffet à volonté. […] Et là, vous avez faim. Ben vous êtes au paradis ! Et, maintenant, imaginez que le maître d’hôtel débarque, et qu’il vous fait : « Tu dois tout manger… Tout ! Et tout ce que tu laisseras sera porté sur l’addition. […] Tu seras sanctionné sur ce que tu n’as pas mangé. Si tu en laisses trop, non seulement tu paieras une addition mirobolante, mais, en plus, tu seras dégagé de l’hôtel, on fera une haie d’honneur pour t’humilier ; on sera tous autour de toi en train de chanter que t’es un crevard qu’a pas réussi à finir le buffet”. Et puis, le maître d’hôtel sort et vous fait : « Ah ! Au fait, t’as une heure. Parce que quelqu’un l’a fait avant toi en une heure, donc on sait que c’est possible. »

Là vous êtes en enfer. Le buffet est le même, mais les règles du jeu ont changé. Y a Règle n°1, y a Règle n°2 : l’une, c’est le paradis ; l’autre, c’est l’enfer. Si cette situation arrivait à vos gosses une fois dans leur vie ; que quelqu’un les séquestre et les oblige à bouffer un buffet entier, sous peine de sanctions ; si ça vous était arrivé même à vous, vous seriez en analyse pendant dix ans. Et si je vous disais que ça vous est déjà arrivé, pendant pas un jour, mais trois mille jours dans votre vie.

C’est quoi cette situation que je viens de décrire ? [il affiche un air affecté] À beaucoup d’égards, dans l’enseignement, vous êtes sanctionné, non pas sur ce que vous avez mangé, mais sur ce que vous n’avez pas mangé. »

I. Aberkane nous affirme qu’entre la manière paradisiaque et la manière infernale de présenter ce buffet, seules les règles du jeu auraient changé. Élèves attentifs et studieux, nous achoppons sur l’exposé du docteur Aberkane : si pour la version infernale nous avons bien assimilé les (méchantes) règles du jeu (l’image de la haie d’humiliation étant délirante à souhait), nous peinons à voir selon quelles règles nous devons jouer dans la version paradisiaque… Eurêka ! Mais c’est bien sûr ! Il y a tout simplement absence de règles ! Pas de règle : c’est le Paradis. Malgré cette réjouissante illumination, les apprenants avides de logique et de cohérence que nous sommes demeurent insatisfaits : Comment des règles inexistantes peuvent-elles changer ? Si la règle est l’absence de règle, est-ce encore une règle ?… Il nous répétera pourtant : « Y a Règle n°1, y a règle n°2, y en a une, c’est le paradis, et l’autre, c’est l’enfer. »

Quand bien même la règle n°1 serait « mangez ce que vous pouvez ou voulez, au rythme qui est le vôtre » (ce qui revient à dire « faîtes comme vous voulez », soit une absence de règle, bref…), cela implique, d’une part, une complète individualisation de l’enseignement pour chaque élève (ce qui est irréaliste) ; d’autre part, que les élèves dotés d’appétits modestes et d’une digestion lente verront leurs camarades les plus voraces engloutir et assimiler la connaissance avec une vitesse et une efficacité bien supérieures aux leurs (ce qui ne rendra pas moins visibles les différences de capacités entre les élèves, ni n’abolira la hiérarchie dont naît parfois un sentiment d’infériorité).

Que l’on soit jugé sur ce que l’on a mangé ou sur ce que l’on a pas mangé, que cela change-t-il vraiment au résultat ? Dans un cas, il s’agit d’une addition à partir de 0 en fonction de 20, qui est le maximum « mangeable », dans l’autre, d’une soustraction à partir de 20, qui est toujours le maximum « mangeable » : 0 + 15 = 15 ou 20 – 5 = 15. Vaut-il mieux établir comme principe que tout le monde part de zéro, ou que tout le monde peut potentiellement arriver à 20 ? Constatant à quel point il aisé de présenter les choses aussi négativement que positivement, dans un sens comme dans l’autre, la métaphore ne peut être que défaillante.

De plus, celle-ci se fonde implicitement sur la contre-vérité (démagogique et bien-pensante) que les enfants (et les individus en général) auraient tous les même capacités cognitives à la base : les psychologues sérieux et rationnels savent que c’est faux. La nature ne se préoccupe point de démocratie et de politiquement correct, et, comme disait Feynman : « La réalité doit avoir préséance sur les relations publiques, car la nature ne peut pas être dupe. »

Avons-nous déjà vu un élève être sévèrement blâmé parce qu’il a 16 ou 18, au prétexte qu’il n’aurait pas mangé tout le buffet ? Un élève qui présente plus de 16 de moyenne au baccalauréat ne reçoit-il pas une mention « Très Bien » ? N’est-il pas édifiant d’enseigner que la perfection est un idéal vers lequel il faut tendre, mais que l’atteindre relève de l’exception ? Certains préfèreront croire que tout le monde est exceptionnel, c’est-à-dire eux les premiers… Nous renvoyons ceux-ci à l’effet Dunning-Kruger, ou encore aux diverses études montrant qu’une large majorité de gens s’estiment au-dessus de la moyenne.

 

Elon Musk et le moratoire sur les armes autonomes (2:14:00)

« Il [Elon Musk] a milité pour qu’il y ait un moratoire sur les armes autonomes ; ça c’est la classe. Vous vous rendez compte que ce ne sont pas nos élus qui ont fait ça, c’est un gars privé ! qui a milité pour qu’il y ait un moratoire, une convention de Genève des armes autonomes.[…] Donc, lui, il a fait un moratoire là-dessus, et je le respecte énormément pour ça. »

C’est « Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Christof Heyns, [qui] a appelé [le] jeudi [30 mai 2013] à un moratoire sur le développement et l’utilisation des « robots létaux autonomes » (RLA), afin de permettre une réflexion internationale sur l’encadrement de ces machines dotées du pouvoir de tuer. »

Cette initiative émane bien d’une instance officielle internationale, en l’occurrence de l’ONU, et non d’un « gars privé ». Elon Musk n’est qu’un des célèbres signataires (parmi cent autres chercheurs, dont Stephen Hawking, Steve Wozniak et Noam Chomsky) de la lettre ouverte, datant du 27 juillet 2015 (soit deux ans après le premier appel de Christof Heyns), publiée par le Future of Life Institute (FLI) à l’occasion de l’IJCAI, une conférence internationale sur l’intelligence artificielle, qui s’est tenue, cet été-là, à Buenos Aires.

Sources :

 

Puce RFID, Finlande et Smoothies (2:15:50)

« Y a une société finlandaise qui a mis un implant sous-cutané pour faire pointer ses employés en échange de smoothies gratuits…[rires du public] Les mecs ont dit oui ! »

Il n’est pas question de la Finlande, mais de la Suède, et nul article ne semble mentionner que les (ou la partie des) salariés ayant accepté l’implant d’une puce RFID par leur entreprise l’ont fait en échange de smoothies gratuits : il sont tout simplement volontaires. L’achat de smoothies au distributeur n’est qu’un exemple parmi d’autres des possibles usages de la puce — comme le pointage, l’ouverture des portes à accès sécurisé, ou encore l’utilisation de la photocopieuse.

 

Sources :

 

Sandwich de la connaissance (2:24:00)

« Une fois que vous avez créé une fenêtre, pour vous, pour votre consommation personnelle, sur les nouveaux écouteurs qui vont bien, la nouvelle bande-dessinée pour votre collection ou votre lieu de vacances ; quand vous fermez votre fenêtre, vous détruisez de la connaissance, et c’est jamais bon de détruire de la connaissance… »

Avant qu’il n’en vienne au sandwich de la connaissance, nous pouvons apercevoir, en guise d’illustration de ce qu’est un repas de connaissances sur internet, que les mots-clés inscrits par Idriss Aberkane dans la barre de recherche du navigateur Google sont : « latest apple product ». Nous sommes pantois (ou feignons de l’être), et comprenons mieux son refus de définir ce qu’est une connaissance, ainsi que son militantisme en faveur d’une économie de la connaissance. C’est que sa définition pourrait grandement choquer l’esprit commun ; esprit commun qui accole généralement les notions de savoir et d’érudition à celle de connaissance.

« Moi j’ai voulu inventer le sandwich de la connaissance. […] C’est facile à préparer, c’est facile à manger, c’est facile à partager : vous cassez le sandwich en deux, hop !, c’est bon, en une seule action, c’est partagé… »

Pour qui a bien suivi les précédents enseignements du Dr. Aberkane, l’image du sandwich est très contrariante, car elle rentre en conflit avec ses propres énoncés sur le partage de connaissances, à savoir que partager un bien le divise, mais que partager une connaissance la multiplie. Couper un sandwich en deux le multiplie-t-il ?

L’aporie illustre les limites (vites atteintes) d’un exposé presque entièrement fondé sur des métaphores.

 

Origine de la lettre « A » et alphabet phénicien (2:28:20)

« La lettre « A », c’était une tête de taureau[…] Y avait même pas de prononciation, y avait pas de son, c’était juste une note, pour étendre la mémoire humaine. Et puis petit à petit, par les échanges sur les tablettes d’argile, la lettre s’est retournée ; et on s’est retrouvé chez les Phéniciens, qui ont créé le premier alphabet connu de l’humanité, après les sumériens où c’était pas un alphabet. Eh bien ! On s’est retrouvé avec une tête de taureau, la lettre « A », la plus vieille lettre encore en existence aujourd’hui… »

Des sons et des prononciations étaient évidemment associés aux pictogrammes et aux idéogrammes, avant même qu’ils ne deviennent des phonogrammes. Le mouvement va forcément du parlé vers l’écrit.

Bien que l’alphabet phénicien soit à la base de la plupart des alphabets du monde, le premier alphabet organisé connu est en écriture cunéiforme simplifiée de trente signes ; il fut inventé à Ougarit, ville commerçante de la côté syrienne vers le XIVe siècle av. J.-C.

Chez les phéniciens, l’aleph n’a pas connu de rotation supérieure à 90° ; ce sont les grecs qui le retourneront complètement pour engendrer l’alpha que nous utilisons encore aujourd’hui.

 

Sources :

 

Du sandwich au lac (2:30:00)

« Ma lettre « A », ben c’est le fleuve, hmm… Parce que le fleuve, c’est le repère d’espace par excellence. […] Le fleuve, c’est le point de repère dans l’histoire humaine ; alors, du coup, j’en ai fait un lac, parce que je vis à Neufchâtel. […] Et, du coup, vous voyez, on met tous les onglets autour, les onglets qui seraient pertinents par rapport à une recherche donnée. […] Vous faîtes une recherche, du coup, comme ça vous pouvez chercher une série d’onglets directement. […] Et, directement, vous avez une série de contenus pertinents. […] Ben ça, pour moi, c’est un sandwich de connaissances. Le pain, c’est le fleuve : ça permet de tenir le contenu, et en même temps c’est plus agréable à manger parce qu’il est là. Pour votre esprit, manger, c’est spatialiser[…] Ça favorise votre digestion, parce que c’est spatialisé. […] Les protéines, c’est les liens que vous voyez là. […] Et la salade, elle est pas montrée là, mais c’est les espaces roses, où en fait je mettrai des forêts pour décorer, et très rapidement on pourrait faire : « Cette forêt est offerte par BMW »… Et, là, vous avez le modèle économique. […] Donc, le sandwich de connaissances, c’était ça la réflexion de cette thèse, car si on échoue à l’inventer, ce putain de sandwich, eh bien ! ça va se passer par intraveineuse. »

L’analogie lac/pain est illogique : le lac rassemble autour de lui ; le pain, en lui. Dans un cas, les ingrédients sont à l’extérieur ; dans l’autre, à l’intérieur. Le premier évoque un fluide en mouvement ; le second, un solide statique.

En énumérant les ingrédients composant la « série de contenus pertinents », nous remarquons qu’il n’y a au menu que des GAFA, du Instagram, du Snapchat, du Linkedin, du Twitter, (dans le meilleur des cas) du TED et du Wikipédia. N’en soyons point indisposés, et même repaissons-nous de voir enfin une logique se dégager de l’image : un sandwich, par définition, c’est de la « fast-food ».

N.B. : Qui se rendra sur le site de Chréage (son « bébé », comme il dit), découvrira, qu’après avoir été fleuve, puis lac, le pain est devenu brin d’ADN. Les Métamorphoses du vide.

 

Oiseau jardinier satiné ; poisson-globe et crop circles (2:35:20)

 

Oiseau jardinier satiné

 

« L’oiseau jardinier satiné, on l’appelle comme ça parce qu’il a une plume bleue sur l’épaule. […] Le signe des temps est qu’avant il mettait des petites fleurs bleues, et que les petites fleurs bleues ont disparu, alors maintenant, il met des brosse à dents, des capuchons de stylo et des bouchons de bouteille. […] Si jamais la femelle veut bien de lui, eh bien ! il aura des œufs avec elle. Eh bien ! cet oiseau, il illustre les trois « P » de l’amour : Précision, parce que quand il est amoureux, il arrive à dévisser un bouchon de bouteille, c’est super chaud. »

Si l’oiseau jardinier satiné s’appelle ainsi, c’est parce qu’il a un plumage intégralement noir qui produit des reflets bleutés selon l’angle d’incidence de la lumière (principe de l’iridescence), non parce qu’il a une plume bleue sur l’épaule. Ils ne dévisse pas les bouchons de bouteilles en plastique bleu dont il décore, entre autres objets, son nid de séduction : il les glâne tels quels.

 

Source :https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/video-quand-le-jardinier-parade_100696

 

Poisson-globe et crop circles (2:38:50)

« Vous avez par exemple ces fameux cercles extra-terrestres dans les océans ; vous avez peut-être vu ça sur les réseaux sociaux. Donc, en fait, c’est un petit poisson, qui est tout petit[…], qui, quand il veut avoir une descendance, fait ce grand espace qui est l’équivalent d’une demi-douzaine de terrains de foot. »

Un terrain de football pour les matchs internationaux fait 7000m2 ; un mâle humain moyen, disons 180cm de haut ; le poisson-globe en question, 12cm de long ; un « crop circle » nuptial, 2m de diamètre au maximum. Six terrains de football représentent donc une surface de 42 000m2 ; le poisson-globe est quinze fois plus petit que notre mâle humain (180/12 = 15).

Un « crop circle » eut dû s’étendre sur 2800m2 pour équivaloir à six terrains de foot à l’échelle du poisson-globe ; pour qu’un « crop cricle » de 2m de diamètre équivalût à six terrains de foot à l’échelle humaine, le poisson-globe eut dû mesurer moins d’un demi-millimètre.

Source : https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/video-pourquoi-le-poisson-globe-dessine-t-il-des-crop-circles-sous-l-eau_100447

 

 

 

Faut-il être un génie ?

En 1895, Paul Valéry, alors âgé de 24 ans, après de brèves études de droit, publiait Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, et ce n’est sûrement pas un hasard que le génial académicien ait plus tard renchéri sur le maître universel : « Qui veut faire de grandes choses doit penser profondément aux détails. »

Quoique Idriss Aberkane ait déjà avancé que l’« on mesure la grandeur de ce que l’on fait à l’importance des gens qui essaient de vous arrêter », il nous a clairement indiqué, en accord avec Léonard et Valéry, que l’on mesure le degré de grandeur, d’excellence ou de perfection d’une œuvre à l’aune de l’attention aux détails que son auteur y prête, traduction concrète de l’amour qu’il lui porte. C’est donc avec des outils de sa propre invention qu’il est juste d’évaluer la qualité du travail fourni. Le diagramme du Love Can Do rend une appréciation sans complaisance : Idriss Aberkane n’aime faire, ni ne fait bien ce qu’il fait — ou prétend faire.

Comment travaille-t-il ? Manifestement, sans rigueur ni probité. Il en résulte, d’une part, que lui payer de l’attention et du temps est toujours un commerce fâcheux ; d’autre part, qu’il est indigne de confiance, donc en marge de la science.

Pourquoi travaille-t-il ? Censément, pour émanciper les consciences et participer à rendre le monde meilleur. Louable dessein. Mais on ne peut ni libérer les cerveaux en les enfermant dans le mensonge, ni changer un monde que l’on décrit tel qu’il n’est pas, avec force métaphores spécieuses pour seuls appuis rhétoriques, et pour seuls modèles économiques des multinationales régnantes, qui font vraiment le monde tel qu’il faudrait le changer.

 

Nul besoin d’avoir trois doctorats (l’auteur principal de cet article n’a jamais fréquenté les amphithéâtres) pour invalider la quasi intégralité d’une conférence de trois heures vendue par Idriss Aberkane, dont, pourtant, nous attendions légitimement compétence et expertise véritables. « Docteur », « chercheur, « génie », « polymathe », autant de titres valorisants qui confèrent prestige et autorité à celui qui les porte, à condition qu’ils soient mérités.

 

« Ce n’est pas le titre qui honore l’homme, mais l’homme qui honore le titre. » Nicolas Machiavel


NB : Monsieur Aberkane a évidemment un droit de réponse sur les pages de ce blog.


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