Qu’attendons-nous d’un haut lieu de l’art dont le Ministère de la Culture est partenaire ? Certainement pas qu’il promeuve des pratiques ésotériques, et encore moins auprès d’enfants. C’est pourtant ce que fait le Palais de Tokyo lors de ses ateliers d’initiations aux méthodes énergétiques.
Accéder aux œuvres d’art par les énergies subtiles vibratoires
Une récente vidéo publiée par le Palais de Tokyo et promouvant de mystérieux ateliers sonne l’alerte.
Comme « tout ce qui nous entoure est vibration », ces ateliers, réalisés par une médiatrice culturelle « thérapeute énergéticienne », affichent pour but de nous ouvrir à la réception des messages subtils vibratoires que nous envoient les œuvres d’art. Est également proposé aux visiteurs d’agir sur l’inconscient et le corps énergétique « pour libérer des blocages dans le corps physique et dans l’aura » et « se libérer des schémas de pensée limitants », notamment par l’entrée dans un état de conscience modifié. Des ateliers pour les enfants abordent les émotions et des séances de soins vibratoires avec des bols sont mis en avant. La vidéo met également en évidence des ateliers avec imposition des mains censés manipuler les « énergies ».
Si l’on creuse, on découvre l’existence du projet « art & spiritualité » au Palais, avec comme intervenantes, la thérapeute énergéticienne précédemment mentionnée, et une « psycho-énergéticienne ». La page du site (capture d’écran Google supra) est maintenant inaccessible mais ceci est confirmé par l’évocation de ces projets, ayant pour but d’initier le grand public à la réception de la dimension vibratoire de l’œuvre et à en faire une expérience mystique, par les deux intervenantes en question dans une vidéo YouTube.
Des intervenantes qui posent questions
Formée par un guérisseur radiesthésiste et inspirée par la doctrine anthroposophique de Rudolf Steiner, cette médiatrice culturelle réalise, en dehors du Palais, des tirages de cartes pour recevoir des oracles et messages de lumière céleste ainsi que du nettoyage énergétique dans l’aura, du réalignement des énergies et du travail sur la mission de vie, du travail dans l’inconscient pour changer le schéma cognitif et activer la guérison. Par exemple, un mal de genou se situerait, selon elle, dans le champ auratoire de la personne. La seconde intervenante est formée en Reiki, Access Bar et Shamanisme et dit être « un Oracle, un messager d’informations de sources divines ». Elle tient une chaîne Youtube sur laquelle elle transmet le « langage de la lumière » sous forme d’incantations chamaniques.
Un inquiétant charabia pseudoscientifique et New Age
La vidéo du Palais de Tokyo et l’entretien entre les deux intervenantes nous offrent un concentré d’éléments de langage inhérents aux pseudothérapies énergétiques et New Age : guérison, élévation spirituelle, intuition, aura, vibratoire, nettoyage et harmonisation des énergies, informations subtiles, émotion… Ce vocabulaire est mentionné dans la quasi-intégralité des rapports et guides de la Miviludes (Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires). De même, la Miviludes en appelle à la plus grande vigilance lorsqu’une nouvelle vision du monde, prétendument inexplorée, est présentée en usant des termes « dimension vibratoire », « purification », « énergies », « conscience ».
Des méthodes bien connues par la Miviludes
Promues dans cette vidéo, les méthodes dites « énergétiques » sont pourtant parmi les plus citées et documentées par la Miviludes. De nombreux dérapeutes (pseudothérapeutes déviants), coachs de vie et autres guérisseurs les utilisent dans leur arsenal à diverses fins (développement personnel, éveil au monde, traitement de maladies…). La Miviludes met en garde contre « les méthodes de rééquilibrage de l’énergie » dans leur ensemble et rappelle que les allégations thérapeutiques revendiquées par ces techniques ne reposent sur rien de sérieux (voir aussi le site Psiram).
Les notions d’ « énergétique » et de « vibratoire » sont citées, non exhaustivement, dans : le rapport sénatorial numéro 480 de la commission d’enquête sur les mouvements à caractère sectaire dans la santé (2013), le rapport parlementaire numéro 1687 sur les sectes (1999), les rapports annuels d’activités de la Miviludes remis au Premier Ministre en 2003, 2005, 2006, 2007, 2009, 2011, 2012 2013, 2014, 2015, 2016, 2017 et dans le guide « Santé et Dérives sectaires » publiée par la Miviludes aux éditions La Documentation Française.
Le Palais de Tokyo, lieu de promotion de l’art de vivre New Age
En 2017 déjà, le Palais de Tokyo avait reçu un praticien Reiki sono-thérapeute qui avait réalisé une « une méditation vibratoire par la voie des Gongs » pour « percevoir son cosmos intérieur ». Par ces soins, le « thérapeute » prétendait « réaligner les centres d’énergie du corps grâce à l’utilisation de fréquences vibratoires », réinformer les cellules et mobiliser les « énergies de guérison subtiles » (source 1, source 2).
L’art : nouvelle porte d’entrée des pseudo-thérapies New Age ?
Sous couvert d’art et de liberté artistique, nous assistons à un mélange des genres, à une tentative de faire disparaitre les frontières entre la médecine et l’art. Si la liberté artistique autorise tout en théorie, les prétentions thérapeutiques réclament d’abord de la prudence et des preuves. En effet, selon le Code de la Santé Publique, quiconque revendique des propriétés thérapeutiques à une méthode ou à un procédé, sans en apporter la preuve des bienfaits, peut être l’objet de poursuites par l’Agence des médicaments et des produits de santé (ANSM).
Il est bien connu que les méthodes de soin alternatives sont des produits d’appel de nombreuses dérives sectaires et les procédés de guérison par les fréquences vibratoires sont très en vogue actuellement dans la galaxie des thérapies alternatives. Si la musique peut avoir des effets bénéfiques sur la santé (source 1, source 2), rien ne lie ces bénéfices au contenu des narratifs ésotériques.
Au début de l’année 2020 l’affaire Bourganeuf éclate : un projet « artistique » dans un lycée de la Creuse avait avorté suite à une intervention de la Miviludes. Ce projet de soin par le son avait notamment pour objet un concert et une « cérémonie des chakras » durant lesquels les « centres énergétiques » du corps étaient censés être réharmonisés grâce au son de certains instruments. Selon France Bleu, les autorités avaient été alertées car les intervenants pratiquaient des méthodes répertoriées par la Miviludes (constellations familiales et reprogrammation cellulaire) et le projet ne respectait pas les principes de laïcité.
Sans accuser le Palais de Tokyo d’héberger en son sein des dérives sectaires, il faut s’alarmer que des méthodes non étayées et à risque (elles peuvent être un marchepied vers de plus graves dérives) soient promues auprès d’un si large public, dans un contexte de faible littératie scientifique où les théories du complot pullulent et où la parole scientifique a déjà des difficultés à se faire entendre. Cela est d’autant plus inquiétant quand des enfants sont concernés.
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2020/04/image-illus-Palais-Tokyo.png291737Mathieu Repiquethttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngMathieu Repiquet2020-04-27 15:47:352020-04-28 16:04:00New Age et charlatanisme énergétique s’invitent au Palais de Tokyo
Maxence est interne en médecine générale et doctorant en sciences médicales à l’Université de Liège. Son sujet de thèse porte sur le concept de syndémie et en quoi il peut permettre de mieux comprendre et lutter contre les infections sexuellement transmissibles chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes. Il est l’auteur d’un premier billet HYDROXYCHLOROQUINE ET COVID-19 : LA MÉTHODE RAOULT NE NOUS AIDE PAS sur les deux premières études publiées par l’équipe Raoult. Je lui ai demandé s’il voulait bien continuer le travail sur la dernière allégation à propos d’une efficacité de 91% du protocole marseillais. Acermendax
Préambule
Ce papier fait suite à l’article portant sur les deux premières études marseillaise concernant l’usage de l’hydroxychloroquine (HCQ) en combinaison avec l’azithromycine (AZ) dans le traitement du COVID-19. Toutefois, avant de passer en revue ce tableau, il me semblait pertinent de revenir sur la mortalité du COVID-19 et son impact psychologique.
Le COVID-19 a pris possession de notre imagination
Lors d’une garde, j’ai récemment dû annoncer une suspicion de COVID-19 à une jeune patiente. Moins de quarante ans, aucun facteur de risque et des symptômes mineurs compatibles avec un gros rhume de saison. Lorsque la nouvelle tombe, la patiente fond en larmes. Elle a peur de mourir et ne veut pas laisser son fils seul au monde. J’ai passé le quart d’heure suivant à la consoler et à lui expliquer que ça allait bien se passer et qu’à son âge, les chances pour que ça tourne mal étaient vraiment faibles. Cette expérience m’a rappelé un paragraphe de l’excellent livre de Siddhartha Mukherjee[1] : « « Si un homme meurt », écrivit un jour William Carlos Williams, « C’est parce que la mort a d’abord pris possession de son imagination. » La mort avait pris possession de l’imagination de mes patients ce mois et ma tâche était de la reposséder. C’est une tâche presque impossiblement difficile à décrire, une opération bien plus délicate et complexe que l’administration d’un médicament ou la réalisation d’une opération chirurgicale. Il était facile de reposséder l’imagination avec de fausses promesses mais beaucoup plus difficile de le faire avec des vérités nuancées. Il s’agissait d’un acte exquis de mesures répétées ; gonfler et dégonfler un respirateur psychologique avec de l’oxygène. Trop de « repossession » et l’imagination enflait pour se changer en illusion. Trop peu, et cela pouvait asphyxier l’espoir. » (traduction personnelle)
Le COVID-19 a pris possession de notre imagination collective, et l’exceptionnalité des mesures actuelles renforce cette emprise. En étant informé chaque jour sur les décès de la veille et la détresse bien réelle en milieu hospitalier ou en maison de repos, nous nous focalisons sur un aspect spécifique de la maladie et la perception du COVID-19 devient sa propre entité, parfois très déconnectée d’une réalité dont notre connaissance reste encore parcellaire. Or, s’il est vrai que le COVID-19 est plus mortel et plus contagieux qu’une grippe saisonnière, voir cette maladie comme un fléau mortel n’est pas avéré et risque de fausser notre jugement.
En effet, un concept central de la médecine est la balance entre les bénéfices et les risques d’une intervention. Surestimer la gravité de la maladie pourrait nous faire accepter ou promouvoir des interventions aux bénéfices maigres et/ou aux risques disproportionnés. Bien comprendre cela est indispensable pour étudier critiquement le protocole de Marseille.
Balance bénéfices-risques et usage compassionnel
On parle d’usage compassionnel pour se réfèrer à l’emploi d’un médicament non approuvé dans des cas où la survie du patient est de toute manière mise à mal à court termes. Popularisé grâce au militantisme d’ACT-UP dans la lutte contre le SIDA et surtout utilisé en oncologie actuellement[1], elle a tout son sens dans ces contextes. Lorsque l’on sait que le patient n’en a plus que pour quelques semaines et que tout ce qu’on a essayé a échoué, il devient licite, si le patient est d’accord, de tester des médicaments dont on ne connait pas encore l’efficacité ni la sûreté réelle. Après tout, que reste-t-il à perdre ?
Toutefois, le COVID-19, contrairement à la perception que l’on peut en avoir, n’est ni un cancer ni le SIDA. La majorité des patients ont des formes légères ou sont asymptomatiques et il serait totalement aberrant de donner un protocole expérimental à des patients asymptomatiques ou présentant un simple rhume ou un léger état grippal. Nous sommes ici face à un problème de narratif : le protocole marseillais, d’après ses concepteurs, devrait être donné le plus tôt possible pour éviter la survenue de complication. Si l’intention est parfaitement louable, en revanche nous n’avons pas la preuve que ce protocole fonctionne.
Se focaliser sur l’idée de ne pas attendre d’être en réanimation mais de commencer à prendre le traitement dès les premiers symptômes donne une image faussée de l’histoire naturelle de la maladie. Comme si, sans traitement, l’évolution vers les soins intensifs était la possibilité la plus probable. Ce n’est pas le cas, comme nous développerons dans le point suivant. Or, il faut en revenir à la balance bénéfices risques : est-il licite de donner une combinaison de médicaments connus pour provoquer des arrêts cardiaques lorsqu’ils sont utilisés ensemble[2] pour traiter une maladie bénigne ? En dehors du climat de peur actuel, qui accepterait que son médecin lui prescrive un tel traitement pour un rhume ou un mal de gorge ?
La mortalité réelle du COVID-19
Pour rassurer la patiente lors de ma garde, je lui ai expliqué dans des termes simples les statistiques de mortalité de sa tranche d’âge afin qu’elle ne sente plus une épée de Damoclès planer au-dessus de sa tête. Cela me semble également nécessaire, à la fois pour replacer la discussion dans la réalité mais également parce que, faute d’un groupe contrôle, cela permettra de mettre en perspective les derniers résultats marseillais.
Déterminer le vrai taux de létalité d’une pandémie est impossible en plein milieu de ladite pandémie. En effet, on ne connait pas avec certitude le nombre réel de patients décédés et, encore moins, le nombre de patients réellement atteints. Le mieux que l’on puisse faire, ce sont des estimations et celles-ci ne sont pas aisées. Pour commencer, il faut distinguer le « case fatality ratio » que l’on pourrait traduire par « taux de létalité par cas » et l’ «infection fatality ratio », que l’on pourrait traduire par « taux de létalité par infection ».
Le taux de létalité par cas correspond au pourcentage d’individus avec des symptômes ou une maladie diagnostiquée qui vont finir par mourir de la maladie. Dans des pays comme la France ou la Belgique, ce nombre est grandement surestimé car, faute de réactifs, ce sont les cas les plus sévères qui bénéficient généralement d’un diagnostic.
Le taux de létalité par infection correspond au pourcentage de tous les individus infectés qui vont mourir de la maladie. Quand on parle de tous les individus infectés, on parle donc également des individus asymptomatiques et des individus qui n’ont pas été dépistés.
La figure ci-dessous illustre bien l’aspect d’iceberg du COVID-19 dont nous ne voyons en France et en Belgique qu’une faible proportion, celle des cas les plus sévères devant se rendre à l’hôpital, tel un iceberg dont on n’aperçoit que la partie émergée. Calculer un taux de létalité à partir de ces cas connus sera donc trompeur, puisque ce sont hélas les cas qui ont le plus de chance de décéder. Pour dire les choses simplement, si on pense qu’il n’y a que 100 malades et que 20 meurent, le taux de mortalité est élevé. S’il y avait en réalité 1000 personnes infectées pour le même nombre de morts, ce taux de mortalité serait bien moindre.
Une récente étude du Lancet[3] s’est attelée à la tâche complexe de déterminer les taux de létalité du COVID-19. En utilisant les données disponibles en Chine et dans 37 autres pays, les auteurs ont réussi à calculer une estimation de ces deux taux en fonction de l’âge. Celui-ci serait de 1,38% pour le taux de létalité par cas et de 0,657% pour le taux de létalité par infection. Par ailleurs, ce taux variait fortement en fonction de l’âge, n’atteignant respectivement que 0,318% et 0,145% chez les moins de 60 ans et 6,38% et 3,28% chez les plus de 60 ans. Les plus vulnérables étaient les plus de 80 ans qui avaient respectivement un taux de létalité par cas et par infection de 13,4% et de 7,8%. Les taux de létalité généraux ne sont donc pas aussi catastrophiques que ce que l’on en voit en divisant simplement l’important nombre de décès par le nombre de cas connus, faibles par rapport à la réalité. Toutefois, comme nous le rappelle un autre chercheur du Lancet, comparer le COVID-19 à une grippe serait malhonnête car le COVID-19 est beaucoup plus mortel, et ce dans presque toutes les tranches d’âge[4] :
La troisième étude marseillaise
Les résultats
Maintenant que le contexte est bien établi, parlons de la dernière étude de l’IHU Marseille[5]. Celle-ci ne se résume, à l’heure d’écrire ces lignes qu’à un maigre abstract et un tableau de données. Cette prépublication porte sur 1061 patients âgés en moyenne de 43,6 ans et en légère majorité féminins (53,6%). Parmi ceux-ci, 91,7% ont obtenu une PCR négative en 10 jours, 2,92% ont dû être hospitalisés de manière prolongée (>10J), 0,94% ont été transférés aux soins intensifs et 0,47% sont décédés. Les patients décédés avaient entre 74 et 95 ans. Les auteurs signalent enfin qu’une mauvaise évolution clinique était significativement associée à l’âge, à une maladie initialement plus sévère et à des concentrations plus faibles en hydroxychloroquine. En outre, une mauvaise évolution clinique était également associée à l’usage de β-bloquants et de sartans, deux médicaments utilisés pour l’hypertension.
Un traitement qui ne soigne que les gens qui ne sont pas malades
Passons rapidement sur le premier constat et le plus important de tous : il n’y a aucun groupe contrôle. Aucune comparaison directe n’est donc possible et toute la malhonnêteté du papier provient du fait qu’il cherche à nous faire comparer ce 0,47% au taux de mortalité par cas du reste de la France ou du monde. Or, dans un tweet, le Pr. Raoult s’est fendu que Marseille ait le taux de dépistage le plus élevé du monde.
En pratique, il a donc accès à une partie beaucoup plus large de l’Iceberg, celle des cas les plus faibles voire asymptomatiques qui seraient passés entre les mailles du filet ailleurs. Il est donc logique que la mortalité soit bien plus faible à Marseill. Si on regarde son échantillon, outre un âge moyen de 43,6 ans, on remarquera un score clinique de gravité faible pour 95% des patients et un scanner thoracique normal ou très légèrement anormal dans 77,3% des cas. Autrement dit, les auteurs ont un échantillon de patients jeunes, peu ou pas malades et se réjouissent qu’ils ne meurent pas grâce à leur traitement. Partout ailleurs que dans cet institut, ces patients auraient été traités à la maison avec du Doliprane et auraient sans doute connu la même évolution. Notons à ce titre que la mortalité de 0,47% est à mettre en lien avec la mortalité par cas attendue de 0,32% pour les moins de 60 ans[3], qui représentent la majorité de l’échantillon marseillais. Une remarque partagée par Prescrire qui cite le taux de létalité par infection de 0,37% mis en évidence dans la commune allemande de Gangelt[6]. Une fois encore, sans groupe contrôle, aucune comparaison directe n’est possible, mais la mortalité n’est pas inférieure à celle attendue.
Au niveau virologique, nous rappellerons l’étude de Liu[7] qui montrait que, sans traitement, 90% des formes modérées avaient une PCR négative dans les 10 jours suivant l’apparition de la maladie. Les chiffres annoncés sont ici de 91,7% soit exactement la même chose que sans HCQ+AZ. De plus, la durée moyenne entre le début des symptômes et le début des traitements était de 6,4J. Cela signifie que le J10 de l’étude correspond en moyenne au J16 des symptômes soit bien après les 90% de négativité décrits par Liu. On aurait pu s’attendre à des résultats encore meilleurs et on n’est pas très loin de l’adage : « Un rhume bien traité, ça dure une semaine. Un rhume non traité, ça dure 7 jours. »
En outre, le fait que les patients aient attendu en moyenne 6,4 jours entre les premiers symptômes et le début des traitements permet de relativiser l’affirmation souvent entendue selon laquelle il faudrait utiliser le protocole marseillais dès le tout début de la maladie pour éviter les complications. D’autant plus que les patients dont l’état a empiré n’ont pas reçu le traitement plus tard que ceux qui ont guéri (5,9 jours pour ceux ayant mal évolué contre 6,5 jours pour ceux qui ont guéri ; différence non statistiquement significative). Ces résultats suggèrent donc que commencer ce protocole plus tôt n’a pas d’impact sur l’évolution des patients, contrairement à ce qui est fréquemment asséné.
Aucune analyse statistique digne de ce nom
Au niveau des statistiques employées, celles-ci sont très maigres et je ne prendrai pas la peine de dresser une liste exhaustive de tout ce qui ne va pas. Commençons par le fait qu’on n’ait aucune idée des critères d’inclusion alors que seuls 1061 patients sont pris en compte sur 3155 patients positifs passés à l’IHU Marseille durant l’étude. Pourquoi les 2000 autres n’ont-ils pas été inclus ? C’est une information que l’on devrait déjà avoir à ce stade puisque les critères d’inclusion sont (normalement) définis avant une étude.
En outre, aucune analyse statistique multivariée n’a été réalisée. En français, cela signifie que les auteurs ont regardé les variables une par une plutôt que d’en prendre plusieurs en compte à la fois et d’ajuster pour les variables confondantes. Par exemple, ils ont mis en évidence que l’usage d’anti-hypertenseur était associé à une mauvaise évolution clinique. Est-ce dû aux anti-hypertenseurs en eux-mêmes ou au fait qu’ils sont donnés à des patients hypertendus, lesquels ont plus de chance d’avoir une forme plus sévère ? Une bonne analyse statistique aurait répondu à la question, mais c’était trop demander. Dans le même ordre d’idée, de plus faibles concentration en HCQ sont associées à une moins bonne évolution clinique mais sans prendre en compte les autres facteurs, impossible de savoir si c’est la concentration en HCQ qui est en cause ou s’il y a un facteur confondant derrière. Enfin, il est étonnant qu’ils n’aient mesuré que les concentrations en hydroxychloroquine et non celle en azithromycine alors que, d’après les auteurs, c’est l’association des deux molécules qui serait efficace.
Conclusion
Cette étude n’apporte rien de plus par rapport aux précédentes. L’intérêt d’avoir des données sur autant de patients est entaché par l’absence de groupe contrôle et d’une réelle analyse statistique de ces données pour déterminer les facteurs de mauvaise évolution clinique.
Rien à partir des données publiées jusqu’à présent par l’équipe marseillaise n’autorise à affirmer que le traitement permet d’éviter des complications ou qu’il raccourcit la durée de contagiosité. En attendant des éléments probants, prescrire un médicament aux bénéfices inconnus et aux risques bien établis à des patients qui guériraient spontanément dans l’écrasante majorité des cas serait irresponsable.
Références
1 Mukherjee S. The Emperor of All Maladies: A Biography of Cancer. New York (USA): : Scriber 2010.
2 Tisdale JE. Drug-induced QT interval prolongation and torsades de pointes: Role of the pharmacist in risk assessment, prevention and management. Can Pharm J (Ott) 2016;149:139–52. doi:10.1177/1715163516641136
3 Verity R, Okell LC, Dorigatti I, et al. Estimates of the severity of coronavirus disease 2019: a model-based analysis. The Lancet Infectious Diseases 2020;0. doi:10.1016/S1473-3099(20)30243-7
4 Ruan S. Likelihood of survival of coronavirus disease 2019. The Lancet Infectious Diseases 2020;:S1473309920302577. doi:10.1016/S1473-3099(20)30257-7
5 Million M, Lagier J-C, Gautret P, et al. Early treatment of 1061 COVID-19 patients with hydroxychloroquine and azithromycin, Marseille, France (pre-print). 2020.
6 Covid-19 et hydroxychloroquine : pas encore de résultats probants. https://www.prescrire.org/fr/203/1845/58630/0/PositionDetails.aspx?fbclid=IwAR1nYJ4TxTlCPUhkNpmNTx-IAIXJkeHqCThuK2i7yRW40VIk-n9rEdQe-pk (accessed 13 Apr 2020).
7 Liu Y, Yan L-M, Wan L, et al. Viral dynamics in mild and severe cases of COVID-19. The Lancet Infectious Diseases Published Online First: March 2020. doi:10.1016/S1473-3099(20)30232-2
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2020/04/macron-Raoult-Copie.jpg381845Maxence Ouafikhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngMaxence Ouafik2020-04-14 21:07:232020-04-16 20:14:36Ne soigner que ceux qui guériront seuls : les derniers résultats de Raoult
Maxence est interne en médecine générale et doctorant en sciences médicales à l’Université de Liège. Son sujet de thèse porte sur le concept de syndémie et en quoi il peut permettre de mieux comprendre et lutter contre les infections sexuellement transmissibles chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes. Il m’a proposé ce billet pour aider à expliquer pourquoi les critiques adressées à Didier Raoult sont sérieuses, et pourquoi en s’affranchissant des règles de bonne pratique, il fait perdre des chances aux malades. Acermendax
Une version plus complète diffusée par le Collège de Médecine Générale francophone de Belgique (CMG) et par la Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG) est est disponible ici en pdf.
Préambule
Ce papier est né d’une volonté de vulgariser un article publié à destination des médecins généralistes belges. En effet, la pandémie actuelle nous touche tous et le débat autour de ses stratégies thérapeutiques a quitté, pour le meilleur et pour le pire, la sphère des experts pour s’immiscer dans le débat public. À ce titre, il semblait pertinent de donner au plus grand nombre les clés d’analyse de ces études qui ont fait couler tellement d’encre. Il s’agit d’une tâche difficile dans la mesure où leur figure de proue, en se positionnant directement contre la méthode scientifique, a rendu inaudible une partie des critiques qui lui sont adressées. Aussi disons-le d’emblée : l’objectif ici n’est pas de couper les cheveux en quatre pour démonter deux études qui, malgré quelques défauts, seraient le mieux qu’on puisse faire dans le contexte d’urgence. Car ces études n’ont pas juste quelques défauts, elles sont à ce point mal construites et mal analysées qu’aucune conclusion ne peut en être tirée et que des soupçons d’inconduite scientifique sont légitimes.
Quelques mots sur l’hydroxychloroquine
L’hydroxychloroquine (HCQ) est un médicament bien connu. Initialement utilisé pour tuer le parasite responsable de la malaria, il est également utilisé depuis des années pour les maladies rhumatismales chroniques en raison de ses propriétés immunomodulatrices[1]. Cet effet de modulation du système immunitaire pourrait être intéressant pour le COVID-19, sachant que les formes sévères semblent être liées à une hyperactivation du système immunitaire[2]. En outre, l’HCQ présente une activité in vitro sur le SARS-CoV-2 à deux niveaux :
Elle est capable d’empêcher le virus de se multiplier, et ce à des doses plus faibles que la chloroquine dont elle est un dérivé[3]
Elle empêche la pénétration du virus au sein de la cellule par deux mécanismes différents : en modifiant les récepteurs auxquels le virus se lie et en empêchant la fusion du virus avec la membrane cellulaire[1]
Rajoutons à cela que son profil de sécurité est bien connu vu sa présence depuis des décennies dans notre pharmacopée et que son coût est faible, ce qui est précieux en cas de pandémie, notamment vis-à-vis des pays aux ressources plus limitées.
Dit comme ça, l’HCQ semble miraculeuse et c’est sans doute ce qui avait permis d’affirmer qu’elle représentait une « fin de partie » dans notre lutte contre le COVID-19. Toutefois, l’enthousiasme légitime provoqué par cette molécule doit être tempéré. En effet, si des effets antiviraux ont été montrés in vitro depuis les années 60 pour la chloroquine, aucune infection virale n’a été traitée avec succès chez les êtres humains à ce jour par cette molécule[4]. Par ailleurs, la pathogénie du COVID-19 est encore méconnue. A ce titre, les effets immunitaires de l’HCQ sont imprévisibles et on ne peut exclure qu’ils pourraient aggraver la maladie, comme cela avait été le cas lorsqu’on avait essayé de s’en servir contre le Chikungunya[5]. Seuls des essais cliniques rigoureux permettront de trancher la question.
Résumé des études marseillaises
La première étude[6] comportait un groupe contrôle, c’est-à-dire des patients qui ne reçoivent pas la molécule et portait sur 42 patients, 26 patients traités et 16 patients témoins. L’objectif primaire (outcome primaire) était de savoir si le virus était encore détectable au sixième jour (J6). 6 patients ont été exclus de l’analyse et tous étaient dans le groupe HCQ. Les raisons de cette exclusion étaient un transfert en soins intensifs pour 4 d’entre eux (dont 1 décès), 1 sortie prématurée d’hôpital et 1 arrêt de traitement pour nausées. A J6, 70% des patients HCQ avaient une PCR négative contre 12,5% des patients témoins (p=0,001).
La PCR (Polymerase Chain Reaction) est une technique permettant de mesurer la quantité d’ADN ou d’ARN présente dans un échantillon. Pour ce faire, l’ARN est lié à une sonde fluorescente et amplifié à chaque cycle de la machine jusqu’à ce que la fluorescence devienne détectable. Ce moment correspond au « cycle seuil » (Cycle threshold ). En pratique, plus cette valeur est élevée et moins il y avait d’ARN dans l’échantillon. En effet, s’il faut 30 cycles d’amplification pour détecter l’ARN du virus dans l’échantillon, on comprend qu’il y a moins de virus que si son ARN devient détectable après seulement 10 cycles d’amplification. C’est cette méthode qui permet de déterminer la charge virale d’un échantillon, c’est-à-dire la quantité de virus présent. Dans le cadre de cette étude, les auteurs ont considéré qu’une valeur seuil supérieure à 35 cycles signifiait que la PCR était négative. Nous y reviendrons.
Revenons aux patients : 6 traités par l’HCQ ont également reçu de l’Azithromycine (AZ) et 100% de ces 6 patients avaient une PCR négative à J6, contre 57,1% des patients sous HCQ seule et 12,5% des patients témoins (p<0,001). Les auteurs ont donc conclu que leurs résultats étaient prometteurs et que tous les patients devraient être traités par la combinaison HCQ+AZ afin de guérir la maladie et de réduire la transmission.
La deuxième étude[7], présentée comme observationnelle a suivi 80 patients sous HCQ+ AZ sans groupe contrôle. 3 outcomes primaires ont été étudiés :
(1) le besoin en oxygène ou le transfert en soins intensifs après 3 jours de traitement
(2) la contagiosité, déterminée par une PCR négative
(3) la durée d’hospitalisation.
Au niveau clinique, 65 patients (81,1%) sont sortis de l’hôpital, 15% ont eu besoin d’oxygène, 3 patients (3,8%) ont dû aller aux soins intensifs et un 1 patient est décédé (1,25%). La durée moyenne d’hospitalisation était de 4,6 jours. Au niveau virologique, 83% des patients étaient négatifs au J7 et 93% au J8. A J10, 2 patients étaient encore positifs. Ils concluent que cette étude confirme l’efficacité de leur association dans le traitement du COVID-19 et la réduction de la contagiosité.
Analyse des études
Ne tournons pas inutilement autour du pot : rien ne va dans ces études. Dans un souci de concision nous ne soulèverons que les trois problèmes les plus graves : le design, le choix d’outcome et l’analyse statistique. Pour celles et ceux qui désireraient plus de détails, l’analyse complète est disponible en PDF plus bas et aborde d’autres problèmes tels que l’éthique douteuse de ces études.
Le design
C’est le reproche qui a été le plus souvent souligné aussi ne nous attarderons-nous pas dessus trop longtemps. Le design ne permet simplement pas de prouver l’efficacité du médicament, même si tout le reste avait été bien fait, ce qui n’est pas le cas. Pourquoi ? Parce que la première étude n’a pas de vrai groupe contrôle et n’est pas randomisée tandis que la seconde n’a pas de groupe contrôle du tout. Tout l’art d’un essai clinique est d’essayer de réduire au maximum le rôle du hasard (et des facteurs environnementaux) pour pouvoir tirer des conclusions. À cette fin, l’utilisation d’un groupe contrôle est indispensable, a fortiori lorsqu’on étudie une maladie dont la majorité des patients guérissent spontanément. Mais faire deux groupes n’est pas suffisant : il faut être sûr qu’ils soient comparables et c’est là qu’intervient la randomisation. En effet, si le groupe A était composé de jeunes en parfaite santé et le groupe B, de personnes âgées avec de nombreuses comorbidités (autrement dit des maladies déjà présentes chez le patient), on ne pourrait pas juste expliquer une différence entre les deux groupes par le fait qu’un des deux a reçu un médicament, puisque d’autres facteurs jouent également. La randomisation a donc pour but de faire en sorte que toutes les variables qui influent sur l’évolution de la maladie soient les mêmes dans les deux groupes. Cela est d’autant plus important dans une maladie comme le COVID-19 où nous ne connaissons pas encore la totalité de ces variables. Sans randomisation, on ne peut donc exclure que d’autres facteurs que le traitement aient mené à une différence entre les deux groupes. Et, face à un tel problème de santé publique, on doit être sûr de ce qu’on fait.
Le choix d’outcome
Choisir comme outcome principal le fait que la PCR soit négative à un moment donné n’a pas d’intérêt. En effet, chez un même patient, les résultats peuvent être négatifs un jour, positifs le lendemain puis négatifs à nouveau le surlendemain[8,9]. Les patients négatifs à J6 auraient donc très bien pu redevenir positifs à J7, et ce fut d’ailleurs le cas d’un des patients sous HCQ+AZ qui, de l’aveu des auteurs, est redevenu positif à J8. Un outcome virologique plus intéressant aurait été de comparer le temps nécessaire pour que les PCR deviennent négatives plusieurs jours de suite pour voir si ce temps était plus court chez les patients recevant un traitement[10]. On aurait dès lors pu conclure avec plus de fiabilité si les patients étaient contagieux moins longtemps avec le protocole marseillais. Une autre possibilité aurait été d’étudier réellement la charge virale en donnant des résultats chiffrés plutôt que de se limiter à positif/négatif dans l’analyse, ce qui ignore totalement que les différents participants n’avaient pas la même charge virale de base en début d’étude. Une charge virale, par définition, est une valeur chiffrée, quantitative. La transformer en une valeur qualitative (oui/non) fait perdre des informations précieuses. Comme si l’on distinguait les gens en petit versus grand (qualitatif) plutôt que de donner leur taille en centimètre (quantitatif).
En pratique, on ne considère donc jamais qu’un résultat de PCR négatif seul soit suffisant pour considérer le patient guéri ; on prend en compte d’autres facteurs comme son état clinique, les scanners pulmonaires, etc. Pour bien comprendre cela, signalons simplement que le patient décédé dans la 1ère étude avait une PCR négative la veille de son décès. Difficile de considérer cela comme une guérison. Mais il y a plus interpellant : les auteurs de l’étude avaient initialement prévu que l’outcome primaire soit le pourcentage de PCR négatives à J1, J4, J7 et J14[11] et ils ont changé d’avis en cours d’étude sans aucune explication. Les résultats étaient-ils moins bons à J7 qu’à J6 ? On ne le saura jamais. Cette pratique, appelée « outcome switching » (qu’on pourrait traduire par déplacement des buts) est un énorme problème d’éthique de recherche et de fiabilité des données. Imaginons que je désire mettre au point un médicament contre la fièvre et que je décide à l’avance de définir la fièvre comme une température > 38°C. Pas de chance, mon médicament ne parvient en moyenne qu’à faire chuter la température à 38,2°C. Si je suis honnête, je considère que le médicament est inefficace, par rapport aux critères que j’avais fixés à l’avance. Si j’ai vraiment envie de publier quelque chose, je n’ai qu’à modifier ma méthode pour définir la fièvre comme étant une température > 38,5°C. Magie, mon médicament fonctionne désormais. C’est ça l’outcome switching et c’est pour ça que la pratique est aussi grave. Toujours dans le registre de l’outcome switching : la 1ère étude devait initialement évaluer si la mortalité était inférieure dans le groupe traitement par rapport au groupe contrôle. Problème : il n’y a eu qu’un décès et il a eu lieu dans le groupe traitement. Les auteurs ont donc choisi d’exclure le patient et n’ont plus jamais reparlé de cet outcome qu’ils avaient prévu d’évaluer avant le début de l’étude. On comprend bien que l’histoire racontée aurait été radicalement différente si les auteurs s’en étaient tenus à leur protocole initial. « 100% des décès ont eu lieu dans le groupe ayant reçu le traitement », c’est plus honnête mais c’est moins vendeur.
L’analyse statistique
Donc la méthodologie est mauvaise, voire potentiellement malhonnête, mais qu’en est-il des données et de leur analyse ? Ce n’est hélas pas mieux. Premièrement, parlons des 6 patients exclus de l’analyse. Ceux-ci représentent 23,1% du groupe traitement, ce qui est énorme et risque de fausser l’analyse. Une analyse dite « en intention de traiter », c’est-à-dire qui prend en compte toutes les personnes qui ont reçu le traitement aurait permis d’éviter cela et aurait été plus honnête vu le sort des patients exclus. Tout le monde peut mettre au point un traitement révolutionnaire s’il retire de son analyse les patients dont l’état s’est aggravé. Mais ce n’est pas le pire.
En effet, alors que l’objectif était de savoir si les PCR étaient négatives à J6, tout le monde n’a pas été testé à J6. 5 des 16 patients contrôles n’ont pas été testés à J6 et les auteurs ont considéré qu’ils étaient encore positifs. Dans le même ordre d’esprit, 1 patient du groupe traitement n’a pas été testé à J5 et J6 et il a été considéré comme négatif. Autrement dit, lorsque les tests n’étaient pas réalisés, les auteurs ont extrapolé les résultats en considérant que les patients traités étaient guéris et que les patients non traités ne l’étaient pas. Des statisticiens ont refait l’analyse des données en excluant les patients qui n’avaient pas été testés[12]. Résultat : l’effet de l’hydroxychloroquine est désormais anecdotique avec un niveau de preuve « valant à peine une mention ».
Pour ce qui est de la combinaison HCQ+AZ, les auteurs surestiment très largement l’efficacité de cette bithérapie à partir de leurs propres données. En effet, une autre équipe de statisticiens a montré qu’ils avaient comparé la bithérapie directement au groupe contrôle plutôt qu’à la monothérapie[13]. Or, si l’on veut évaluer l’intérêt d’ajouter une deuxième molécule, il est plus pertinent de comparer le groupe qui a reçu les deux traitements à celui qui n’en a reçu qu’un. Procéder comme les auteurs revient à comparer les gens qui prennent du Doliprane avec de l’eau sucrée aux gens qui ne prennent pas de Doliprane et conclure que la combinaison Doliprane + eau sucrée est efficace pour faire baisser la température. Les deux équipes de statisticiens ont donc refait l’analyse en comparant directement la combinaison HCQ+AZ à l’HCQ seule et, surprise, l’effet de la combinaison n’est pas statistiquement significatif[12,13].
La deuxième étude, de son côté, a simplement prouvé que les gens guérissaient au fil du temps, ce qui est attendu vu les 92% de formes légères de l’échantillon. En effet, 90% des patients avec une forme modérée ont une PCR négative dans les 10 jours suivant l’apparition des symptômes, et ce sans recevoir aucun traitement[14].
Conclusion
Ces deux études ne permettent aucunement de savoir si le traitement proposé est efficace. L’argument de l’urgence ne peut pas tout justifier, sachant que les 3 problèmes majeurs relevés ici auraient pu être corrigés sans prendre plus de temps. En outre, ne pas être plus avancé sur l’efficacité d’un traitement après des études signifie que les études en question étaient une perte de temps et de ressources, ce qui contredit l’argument de l’urgence.
L’HCQ sera peut-être efficace mais il faudra attendre que des études ultérieures le démontrent. La combinaison HCQ+AZ, de son côté, n’est même pas appuyée par les données des études marseillaises, ne bénéficie pas du même faisceau d’éléments in vitro que l’HCQ et présente un danger non négligeable au niveau cardiaque[15]. Cette piste ne m’apparaît donc pas comme prometteuse et il est logique que des études telles que Solidarity ou Discovery ne l’envisagent pas.
Dans tous les cas, la communication grandiloquente autour de ces études a déjà eu des conséquences en termes d’empoisonnement à la chloroquine ainsi que de pénurie pour les patients en ayant réellement besoin[16] et l’on ne peut pas exclure que cela a fait pire que mieux pour les nombreux patients qui en ont reçu. Cela illustre malheureusement qu’en période de crise nous avons besoin de notre esprit critique et de notre rigueur, sans doute plus encore qu’en temps normal.
Référence
1 Zhou D, Dai S-M, Tong Q. COVID-19: a recommendation to examine the effect of hydroxychloroquine in preventing infection and progression. Journal of Antimicrobial Chemotherapy 2020;:dkaa114. doi:10.1093/jac/dkaa114
2 Mehta P, McAuley DF, Brown M, et al. COVID-19: consider cytokine storm syndromes and immunosuppression. The Lancet 2020;395:1033–4. doi:10.1016/S0140-6736(20)30628-0
3 Yao X, Ye F, Zhang M, et al. In Vitro Antiviral Activity and Projection of Optimized Dosing Design of Hydroxychloroquine for the Treatment of Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 (SARS-CoV-2). Clin Infect Dis Published Online First: 9 March 2020. doi:10.1093/cid/ciaa237
4 Touret F, de Lamballerie X. Of chloroquine and COVID-19. Antiviral Research 2020;177:104762. doi:10.1016/j.antiviral.2020.104762
5 Guastalegname M, Vallone A. Could chloroquine /hydroxychloroquine be harmful in Coronavirus Disease 2019 (COVID-19) treatment? Clinical Infectious Diseases 2020;:ciaa321. doi:10.1093/cid/ciaa321
6 Gautret P, Lagier J-C, Parola P, et al. Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19: results of an open-label non-randomized clinical trial. International Journal of Antimicrobial Agents 2020;:105949. doi:10.1016/j.ijantimicag.2020.105949
7 Gautret P, Lagier J-C, Parola P, et al. Clinical and microbiological effect of a combination of hydroxychloroquine and azithromycin in 80 COVID-19 patients with at least a six-day follow up: an observational study (non publié). 2020.
8 Lv D, Ying Q, Weng Y, et al. Dynamic change process of target genes by RT-PCR testing of SARS-Cov-2 during the course of a Coronavirus Disease 2019 patient. Clinica Chimica Acta 2020;506:172–5. doi:10.1016/j.cca.2020.03.032
9 Zou L, Ruan F, Huang M, et al. SARS-CoV-2 Viral Load in Upper Respiratory Specimens of Infected Patients. N Engl J Med 2020;382:1177–9. doi:10.1056/NEJMc2001737
10 Jin X, Pang B, Zhang J, et al. Core Outcome Set for Clinical Trials on Coronavirus Disease 2019 (COS-COVID). Engineering 2020;:S2095809920300424. doi:10.1016/j.eng.2020.03.002
11 Fondation Méditerranée Infection (FMI) – IHU Méditerranée Infection. Treatment of Coronavirus SARS-Cov2 Respiratory Infections with Hydroxychloroquine (Clinical Trial Protocol – 2020-000890-25). 2020. https://www.clinicaltrialsregister.eu/ctr-search/trial/2020-000890-25/FR (accessed 29 Mar 2020).
12 Hulme OJ, Wagenmakers E-J, Madelung CF, et al. Reply to Gautret et al. 2020: A Bayesian reanalysis of the effects of hydroxychloroquine and azithromycin on viral carriage in patients with COVID-19. 2020. https://osf.io/7ax9w/
13 Dahly D, Gates S, Morris T. Statistical review of Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19: results of an open-label non-randomized clinical trial (Version 1.1). Zenodo 2020. doi:10.5281/zenodo.3725560
14 Liu Y, Yan L-M, Wan L, et al. Viral dynamics in mild and severe cases of COVID-19. The Lancet Infectious Diseases Published Online First: March 2020. doi:10.1016/S1473-3099(20)30232-2
15 Tisdale JE. Drug-induced QT interval prolongation and torsades de pointes: Role of the pharmacist in risk assessment, prevention and management. Can Pharm J (Ott) 2016;149:139–52. doi:10.1177/1715163516641136
16 Alfred H.J. Kim, Jeffrey A. Sparks, Jean W. Liew, et al. A Rush to Judgment? Rapid Reporting and Dissemination of Results and Its Consequences Regarding the Use of Hydroxychloroquine for COVID-19. Published Online First: 30 March 2020. doi:10.7326/M20-1223
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2020/04/virology-scaled.jpg14402560Maxence Ouafikhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngMaxence Ouafik2020-04-09 00:23:432020-04-10 15:13:35Hydroxychloroquine et COVID-19 : la méthode Raoult ne nous aide pas
Pour évaluer la validité d’un énoncé sur l’état ou le fonctionnement du monde, nous disposons d’une méthode imparfaite, en constante amélioration, approximative mais corrective, souvent lente mais prudente, c’est la méthode scientifique.
Nous n’avons pas mieux, parce que chaque fois qu’on trouve une meilleure façon de faire, elle est (aussitôt) adoptée par la communauté scientifique et devient de la science.
Si nous ne disposons pas d’une meilleure alternative, c’est parce que les coups de génie, les intuitions pénétrantes, les prophéties éclairées sont choses rares, quand elles existent, et impossibles à distinguer (dans un premier temps !) des innombrables élucubrations dont l’esprit humain est fécond. Seulement voilà : le génial iconoclaste, l’original audacieux, le porteur du flambeau de la vérité, solitaire criant sa lumière au milieu de l’immobilisme de la pensée unique, cela fait une histoire bien plus sexy que le labeur rigoureux d’hypothèses prudemment testées. C’est l’histoire qui frappe le plus grand nombre, notamment parce qu’elle est parfaitement calibrée pour une diffusion par tous les médias, qui devient la plus crédible.
Les membres du personnel scientifique ne sont pas différents des autres humains. On compte dans leurs rangs des incapables diplômés, des planqués, des pistonnés, des travailleurs scrupuleux, des altruistes désireux d’améliorer le monde, des tas de gens ordinaires, quelques esprits brillantissimes, et des carriéristes qui excellent dans l’art d’utiliser le système pour leur gloire personnelle. Par la force des choses, ces derniers ont la parole et le pouvoir de prendre des décisions bien plus souvent qu’ils ne devraient, parce que leurs collègues honnêtes et compétents sont souvent plus attachés à la recherche, à la production de nouvelles connaissances, qu’au pouvoir.
Il existe des mandarins de la recherche scientifique, des ogres de la publication. Leur nature se révèle avec leur élévation dans les strates du monde académique. Ces personnages puissants signent plus de livres, d’articles de recherche et de projets qu’un humain ne peut en produire. Ils sont pourtant humains, et cela signifie qu’ils s’approprient le travail d’autrui : celui de leurs subordonnés. Plus ils ont de gens sous leurs ordres, plus ils signent d’articles qu’ils n’ont pas écrits sur des travaux auxquels ils n’ont parfois nullement contribués.
La mesure de la qualité professionnelle d’un scientifique se fait au travers de divers indices qui dépendent presque tous, in fine, de la présence du nom de l’intéressé dans la liste des auteurs d’articles de recherche publiés dans des revues internationales à comité de lecture. Les mandarins explosent les compteurs, caracolent en tête des hit parade, ils peuvent même devenir des stars dans leur monde professionnel. Pour une partie d’entre eux, cette renommée est un moyen de peser plus efficacement dans le pilotage de la recherche scientifique, et cela peut avoir des effets bénéfiques quand l’intéressé sait effectivement ce qu’il faut faire. Pour d’autres la renommée ressemble à une fin en soi.
Quand le mandarin dénigre les institutions, balaye les critiques au prétexte que seule la jalousie les motive, il suit un script hollywoodien du héros solitaire classique qui peut s’avérer assez efficace pour maintenir l’illusion de la légitimité de sa position dominante. Après tout les institutions sont bourrées de défauts, et la jalousie inspire des médisances en abondance. Autrement dit le mandarin surpubliant n’est pas nécessairement un imposteur, il peut s’agir d’un individu qui a compris qu’il fallait jouer selon certaines règles pour ne pas laisser à d’autre un pouvoir qui peut devenir nuisible.
Mais le principe de charité a ses limites
Quand l’ogre-mandarin publie à la va-vite dans des revues dirigées par des membres de l’institution qu’il dirige, quand il exerce sur son personnel une pression psychologique avérée, signalée, persistante, quand la course à la publication s’entache de fraudes et d’interdictions de publier dans certains revues, quand des faits de harcèlement sont étouffés avec là encore l’alibi de la jalousie des mécontents, quand la prudence déserte les prises de parole publique, ce membre du personnel scientifique achève de devenir un élément toxique qui empoisonne la compréhension que le public peut avoir de la science.
J’ai déjà eu l’occasion de dire dans un livre que : « ce qui distingue les professionnels de la science du reste de la population, ce ne sont pas leurs qualités personnelles, mais la méthode collective et corrective qu’ils s’engagent à suivre ».
L’ogre-mandarin se double véritablement d’un traître quand il dénigre la méthode scientifique tout en se réclamant des indicateurs de sa propre expertise qui tous n’attestent de rien d’autre que de sa capacité à signer des publications qui franchissent les seuils de la qualité académique. Une fois qu’en abusant du système il est reconnu comme un expert, il voudrait détruire le seul outil qui permettrait de résister à l’autorité de son statut social. Si nous restons éblouis par l’attrait de l’histoire qu’il nous raconte, ce type de personnage arrivera à ses fins.
Depuis longtemps, et de plus en plus, la science est un travail d’équipe qui met en jeu des compétences, des intelligences, des méthodes en constante évolution. Nous devons nous débarrasser du mythe de l’homme providentiel parce qu’en général la réalité est plus complexe que ça ; la géniale découverte du médaillé n’a été rendue possible que grâce au contexte qui est le fruit du travail acharné de milliers d’autres. Les prouesses de la science actuelle naissent de la collaboration des plus brillants esprits du monde. Leur intelligence est collective, leur héroïsme l’est tout autant. Leur respect de la méthode, leur obligation éthique à toujours supposer l’honnêteté de leur interlocuteur, les rendent parfois vulnérables aux appétits de l’ogre-mandarin.
L’exercice apaisé d’une science qui ne se met au service d’aucun autocrate dépend de notre capacité à défendre le monde de la recherche contre ces ennemis de l’intérieur.
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2020/04/Nec_pluribus_-blog.jpg354782Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2020-04-08 10:35:592020-04-08 12:19:54La science est un héroïsme collectif
Article invité proposé par l’auteur et qui s’inscrit dans notre travail d’information du public à rebours de la propagande pseudo-médicale de la doctrine homéopathique. (cliquez ici pour voir) Acermendax
Après les séances d’exorcisme de télévangélistes, l’eau de Javel et les remèdes miracles d’Alex Jones[i], voilà qu’un homéopathe prétend, au micro de RTL et sur son blog, qu’il est possible de se prémunir du coronavirus et de booster son immunité en prenant des granules de sucre, des propos contraires tant à la déontologie et qu’à l’état des connaissances.
En cette période de crise sanitaire, les vendeurs de remèdes miracles ont bien compris que le moment était propice pour faire leur chiffre d’affaires[ii] : huiles essentielles, argent colloïdal, soins énergétiques à distance sont ainsi proposés en masse dans les publicités Facebook et la Direction Générale de la répression des fraudes (DGCCRF) est sur le qui-vive[iii]. Mon Homéo Mon Choix vient ajouter sa pierre à l’édifice. Ce groupe de pression formé en 2019 pour défendre le business des entreprises de produits homéopathiques s’était déjà illustré par une intense propagande commerciale, en rémunérant par exemple des influenceuses Instagram, comme l’a révélé Perrine Signoret dans Numérama[iv].
L’homéopathie « pour être plus fort » face au coronavirus : la grande supercherie
Ceci n’est pas un poisson d’avril. Le 1er avril, en partageant l’interview de l’homéopathe Daniel Scimeca, Mon Homéo Mon Choix affirme que l’homéopathie est un traitement préventif du coronavirus, comme on peut le voir dans la capture d’écran ci-dessous[v] :
Dans une interview du 26 mars sur RTL, l’homéopathe Daniel Scimeca a par ailleurs affirmé que l’homéopathie avait montré son efficacité dans les épidémies historiques, comme celle de la grippe espagnole avant de prétendre que l’homéopathie permet d’agir en prévention du coronaviruset augmente les défenses immunitaires[vi]. Il dit également prescrire de l’homéopathie à ses patients atteints de Covid-19. Mais il va encore plus loin. Sur son site internet, il a établi un protocole censé booster son immunité à base de Phosphorus 9 CH (phosphore dilué infinitésimalement), de Gelsenium 9 CH (une plante contenant des alcaloïdes diluée à l’infini et pulvérisée sur des granules de saccharose), ainsi que d’autres produits homéopathiques[vii].
Des propos totalement infondés
Malheureusement, ces revendications des tenants de l’homéopathie sont mensongères… En juin 2019, dans son rapport sur l’homéopathie, la Haute Autorité de Santé (HAS) dément formellement l’existence de preuves établissant l’efficacité des produits homéopathiques dans les infections respiratoires[viii]. De même, sur la base de données médicales PubMed, aucun article n’a été publié sur l’intérêt de l’homéopathie dans la prise en charge du Covid-19[ix].
Par ailleurs, dans un communiqué daté du 27 mars, la Direction Générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) rappelle que prétendre qu’un produit permet de prévenir ou guérir du coronavirus relève de la pratique commerciale trompeuse[x]. Dans une récente interview pour L’Express, Cyril Vidal, président du Collectif FakeMed, dénonce également les promoteurs remèdes miracles censés booster l’immunité[xi], les allégations ne reposant sur rien.
Et la déontologie dans tout ça ?
En premier lieu, rappelons que le Code de la Santé Publique, par son article L5122-15, sanctionne la publicité et la propagande pour des méthodes non prouvées ou illusoires qui prétendent diagnostiquer, guérir ou prévenir des maladies ou des états physiologiques[xii].
L’article 13 du code de déontologie des médecins les oblige, lorsque ceux-ci « participent à une action d’information du public » à « ne faire état que de données confirmées ». L’infraction n’est-elle pas caractérisée ?
Par ailleurs, l’article 39 précise que « les médecins ne peuvent proposer aux malades […] comme salutaire[…] un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé. Toute pratique de charlatanisme est interdite »[xiii]. Idem.
Par ailleurs, toujours selon l’article 13, le médecin « doit se garder à cette occasion de toute attitude publicitaire […] en faveur des organismes […] auxquels il prête son concours ». Or, voilà une belle histoire.
Une histoire de gros sous
Sur le site Transparence.gouv, répertoriant ce que touchent les médecins par les laboratoires pharmaceutiques, nous apprenons que monsieur Scimeca a touché plus de 2500€ par les laboratoires homéopathiques (Boiron principalement) entre 2015 et 2019. Admettons. Mais ce n’est pas tout. Président de la Fédération française des sociétés d’homéopathie, domiciliée à l’adresse de son cabinet, ce n’est pas moins de 715.000 € que le laboratoire Boiron leur a versé entre 2015 et 2018[xiv]. Notons que les 4 panacées qu’il recommande sur son site en prévention contre le coronavirus sont fabriquées par Boiron[xv].
Mon Homéo Mon Choix : la peur et la crédulité comme fonds de commerce
En surfant sur la peur provoquée par l’épidémie de coronavirus pour vendre des granules à l’efficacité non prouvée, le groupe d’intérêt français de l’homéopathie a franchi un nouveau palier dans sa stratégie de communication. Comme le rapportait Numérama[xvi], l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicamentet des produits desanté, qui régule la publicité et délivre les visa publicitaires) était déjà surprise quant à sa stratégie avec les influenceuses Instagram.Et finalement, nous revenons à ce que dénonçait la tribune de 124 professionnels de santé dans les colonnes du Figaro, à savoir, l’utilisation du titre de docteur « pour promouvoir des pratiques dont la science n’a jamais pu prouver l’utilité »[xvii] et en l’occurrence, pour promouvoir des produits vendus par le sponsor de son association.
Nous ne sommes pas seulement en période d’épidémie de coronavirus, mais également en épidémie de désinformation et d’abus de crédulité.Il n’y a pas de remède pour booster votre immunité. Gardez votre argent, ayez une bonne hygiène de vie, suivez les consignes officielles (Santé Publique France, Ministère de la Santé…) et restez chez vous. Merci.
La réaction du Collectif FakeMed suite aux propos de Daniel Scimeca :
C’est une période de crise de
confiance. Nous n’avons collectivement plus tellement confiance dans les
politiques, dans le gouvernement, dans les décisions prises en notre nom. Cette
méfiance est le produit de facteurs trop complexes et trop nombreux pour que je
sois en mesure de les traiter. Mais une chose semble acquise pour les vendeurs
de baliverne ; ils ont tout intérêt à faire croire qu’ils ont la science
de leur côté !
Générique.
En 2020, malgré tous nos malheurs, nous avons encore l’électricité et Internet et mille preuves que la science est efficace pour construire des trucs qui marchent. C’est parce que nous pouvons voir les réalisations technologiques que la population accorde du crédit à ce que disent les scientifiques. Disons que c’est plutôt bon signe, même si ce qui serait vraiment souhaitable c’est que les gens accordent leur confiance aux scientifiques en raison de la validité des procédures employées pour arriver à leur conclusion. Cela impliquerait une plus grande culture scientifique.
Dans la vidéo précédente, nous nous sommes attardés sur ce que l’épidémie de Covid-19 met en évidence au sujet des croyances religieuses. Aujourd’hui, nous allons voir que l’épidémie rend saillante toute une galaxie de gens qui consacrent leur temps à donner des conseils de santé, à proposer des stages, des ateliers, des produits divers et variés destinés à améliorer la santé ou le bien-être de leurs clients. Covid-19 est devenu un argument marketing. Et dans l’ambiance angoissante d’un confinement général, ces arguments voyagent à une vitesse folle au rythme des clics de centaines de milliers de gens qui ne prennent pas toujours le temps de lire et de vérifier ce qu’ils transmettent. Bref, nous assistons à une épidémie de connerie.
Au cours de cette vidéo, on va
monter crescendo dans l’absurde, le ridicule et le what the fuck. Le point
commun à tout ce dont je vais vous parler : la prétention d’avoir la
science de son côté.
1 — On peut trouver l’information selon laquelle la vitamine C peut guérir ou améliorer les malades de Covid-19, mais c’est en général sur des sites qui… vendent de la vitamine C. Ou bien dans la bouche de gens… bizarres.
La réalité est qu’il n’existe aucune démonstration scientifique que la vitamine C aide à guérir ou à prévenir la maladie. Ceux qui prétendent que c’est vrai n’ont pas d’étude sérieuse qui le démontre. Donc pas de raison d’y croire. Donc pas de raison de vous ruer sur ces produits. Sauf si vous êtes carencé. Et alors, mangez plutôt des fruits.
Sur Youtube et instagramm des influenceurs ont conseillé au public de se prémunir contre l’épidémie avec des doses de vitamine quasi mortelles. Ça fait désordre. Méfiez-vous de ce qu’on vous dit sur Youtube !
2— En France les Laboratoires Granions qui vendent des compléments alimentaires font des publicités trompeuses où ils annoncent que leurs produits aident à lutter contre la grippe ou le coronavirus. Ils vont jusqu’à démarcher les cabinets médicaux par fax, en voici un exemple (communication personnelle).
3 — Des centres anti-poison ont dû officiellement dire aux gens que boire de l’eau de javel n’aide pas à guérir de la Covid-19. Franchement. Pas de commentaire.
4 — Sur le site d’Henri Joyeux, le célèbre médecin ultracatholique homophobe antivax* on peut lire : « Le virus ne résiste pas à la chaleur, il meurt s’il est exposé à des températures de 26-27°C ».
*NB : Ces remarques sur la personne d’Henri Joyeux confinent à l’ad hominem, qui est un type d’argument généralement invalide, sauf quand il est question de la confiance qu’on peut accorder a priori à un individu en regard de ses agissements ou déclarations passées.
Sur quoi se base-t-on pour dire cela ? Eh bien on ne sait pas. Et quand on cherche des informations sérieuses, on finit sur le site du CDC[2] (le centre de prévention des maladies état-unien) qui explique qu’on ne SAIT PAS si les températures printanières vont tuer ou ne pas tuer le virus. Alors, petite astuce : quand on ne sait pas, on ne donne pas de conseil aux autres.
Le même joyeux site continue « Conseil no1 : Il est très important de consommer, durant la journée, toutes les boissons chaudes possibles. (…) Le liquide chaud dans la gorge fait que le virus s’il est présent rejoindra l’estomac dont l’acidité va le détruire. (…) Attention : Surtout éviter de boire de l’eau glacée ou de sucer des glaces ou glaçons ou la neige pour ceux qui sont à la montagne, en particulier les enfants. Le virus aime le froid, restant dans la gorge, il risque de rejoindre les voies respiratoires. »
Quand on se tourne vers de vrais experts comme le professeur Brandon Brown de l’université de Californie on entend autre chose : « Pas besoin de changer la température de l’eau que vous buvez. Boire de l’eau est toujours important, pas simplement pour le coronavirus. »
L’OMS a tweeté sur le sujet, elle dit que le virus se diffuse sous des climats chauds comme sous des climats froids ; s’hydrater est important mais ne protège pas contre l’infection. En clair : buvez frais. Ou pas. Mais buvez de l’eau.
5 — En parlant de boire de l’eau…
les discours qui se veulent scientifiques peuvent provenir de partout. La revue du vin de France, dans un
tweet du 19 mars explique que si un grog est efficace contre le rhume, c’est
parce que l’alcool tue les virus. Ils conseillent l’armagnac ou l’eau de vie
contre l‘épidémie.
Etonnamment, les vendeurs de pinard ne sont pas avares de conseil santé, et le même jour le rédacteur en chef de la revue twittait « en cas de symptômes grippaux, je préfère m’en remettre à un bon cognac qu’à un verre d’eau. Rappelez-moi on versait quoi dans le tonnelet des Saint-bernard ? » Ce genre de propos a peu de chance d’avoir un effet bénéfique sur l’état de santé général. Et si ces gens ont bien le droit de vendre leurs produits, qui est légal, malgré les méfaits avérés, on pourrait s’attendre à ce qu’ils aient la décence de se faire discrets sur les questions de santé.
Rappel : En France l’alcool tue plus de 40.000 personnes par an. La grippe fait pâle figure.
6 — Le télévangéliste Jim Baker vend 120 dollars des bouteilles d’une solution d‘argent qui élimine le virus en 12 heures et booste votre système immunitaire[1].
J’ai déjà eu l’occasion de vous dire ce qu’il faut penser de ceux qui parlent de booster votre système immunitaire. Jim Baker a justement fait 5 ans de prison pour fraude et a aussi acheté le silence d’une femme qui l’accusait de viol… Concernant cette solution d’argent, l’état du Missouri a porté plainte contre lui.
7 — En Iran, 27 personnes qui ont bu de l’alcool frelaté pour guérir du coronavirus sont… mortesd’avoir cru des publications lues sur Internet.
8 — En Inde les nationalistes au pouvoir veulent mettre en avant les remèdes ayurvédiques. Les mêmes personnes racontent que l’ancienne civilisation hindoue possédait de hautes technologies comme les avions, les cellules souche et Internet ou encore l’arme nucléaire. Le ministère de la santé a communiqué officiellement en mettant en avant l’homéopathie pour la prévention contre l’épidémie. À l’échelle d’un tel pays, ce sont des conseils qui risquent de coûter cher.
9 — L’homéopathie parlons-en… (Cf mon livre) Le site homéophyto nous explique que cette doctrine est efficace contre le coronavirus. La branche américaine de Boiron tweete qu’il ne faut pas croire que l’homéopathie guérit la covid-19. Mais le tweet disparait assez vite. Le site du Docteur homéopathe indien Manish Bhatia réaffirme, lui, que ça marche[1], le site Planète Homéopathie est même carrément en colère contre Boiron :
« Aux yeux du public, LE laboratoire phare vient d’exprimer que l’homéopathie est sans effet. C’est un fait d’une gravité exceptionnelle.
Or nous savons tous que si l’homéopathie s’est développée c’est justement grâce au soutien du public de par les guérisons merveilleuses dans tous les cas d’épidémies. La mortalité tombait à quelques pourcents au lieu de 30 habituels dans la scarlatine, la pneumonie, la fièvre jaune, les méningites, la typhoïde, le choléra, pour ne citer que ces pathologies. Il s’agit vraiment ici d’un aveu d’impuissance qui est aussi celui de tous ceux qui se prétendent homéopathes mais ne sont que des granulopathes formés en quelques week ends. »
Problème : si l’homéopathie est efficace contre la scarlatine, la typhoïde et le choléra, pour ne citer que ces pathologies, on devrait trouver cette information dans la littérature scientifique. Parce que si c’est vrai c’est une très bonne nouvelle, c’est important et les homéopathes ont évidemment tout intérêt à publier ces résultats. Mais si c’est faux, alors on ne croisera l’information que dans la bouche des charlatans. L’auteur de ces mots, c’est Pour Edouard Broussalian, et justement il écrit sur une autre page qu’une étude des symptômes des personnes infectées lui permet de choisir au doigt mouillé le bon traitement, je cite :
« La caractéristique de tous les cas rencontrés c’est le FRISSON DECLENCHE PAR LE SIMPLE MOUVEMENT D’AIR SOUS LES COUVERTURES.
Le médicament qui possède cette caractéristique: NUX VOMICA. »
C’est peu le bordel dans la tête des homéopathes, c’est mieux d’aller se soigner ailleurs.
10 — Pour nous croire protégé du coronavirus, tous les coups sont permis, y compris les concepts dérivés de la loi d’attraction et des travaux de Masaru Emoto… (Un jour on fera une vidéo là-dessus aussi.) En deux mots cette doctrine affirme que c’est la volonté qui fait advenir les événements autour de nous ; cela porte le nom de pensée magique. Voici par exemple la « méthode du verre d’eau », qui est une super technique comme vous allez le voir.
[Extrait de la vidéo de Didier Gérôme] « L’eau se charge réellement des vibrations qui l’entourent, c’est scientifique, prouvé, démontré. Votre petit verre d’eau va enlever de sa force au virus ». NDA : la vidéo est devenue indisponible…
Je crois que l’information à retenir c’est que parfois on vous dit « ceci est scientifiquement prouvé » et en fait… c’est pas vrai.
11 — Il y a toute une culture hygiéniste
obnubilée par le pouvoir de l’esprit sur le corps et une profonde inculture de
la biologie, qui nous répète que les germes ne peuvent rien contre vous si vous
appliquez à la lettre les bonnes pratiques qu’ils vous vendent.
Pour illustrer les propos de Thierry Casasnovas, je vous renvoie vers la chaîne L’Extracteur qui s’est tapé la corvée de regarder des heures de vidéo pour en extraire les moments qui montrent l’incurie du discours, son incohérence et sa dimension idéologique et quasi-religieuse.
Ce qui est difficile avec ce genre de propos c’est qu’il y a dedans beaucoup de choses vraies sur l’importance de l’hygiène alimentaire… Ce qui aide à faire croire que la personne sait de quoi elle parle. Et puis ensuite, bam, on vous dit que les vaccins sont dangereux. Ceci ne correspond pas à la réalité sanitaire sur laquelle les experts du monde entier sont d’accord. Alors soit tous les experts du monde entier sont des ordures corrompus, soit certains gourous sont moins honnêtes qu’ils n’en ont l’air. À vous de voir.
12 — Les hygiénistes sont à la mode. Ils ont des dizaines ou des centaines de milliers d’abonnés, ils affirment que tout ce qu’ils disent est avéré, que la science prouve qu’ils ont raison. Parmi eux Christian Tal Schaller est un médecin qui se dit holistique. Il est également chaman, pratique le channeling (une forme de médiumnité) et l’amaroli (vous allez voir…) et il a eu quelques ennuis avec la justice.
Sur l’urine il est intarissable, puisque dans son livre « Urinothérapie: Amaroli, la découverte d’une écologie intérieure » on apprend qu’à titre curatif on boit l’ « amaroli » pour le jeûne à l’urine pendant un à trois jours en cas de maladie aigüe, et pour le jeûne de trois à trente jours à l’eau et à l’urine seulement pour lutter contre les maladies chroniques graves (cancer, tuberculose, asthme, arthrites, maladies cardio-vasculaires et rénales, diabète, paralysies, maladie d’Alzheimer, affections psychiatriques, psoriasis, eczéma, herpès et autres maladies de la peau). On peut trouver l’information sur la fiche que le site Psiram dédie à ce monsieur.
Petit détail, il affirme que le sida n’est pas une maladie due à un virus, je le cite : « Le sida n’est que le résultat d’un mode de vie immuno-destructeur. » (source) Et ce niveau de négationnisme scientifique a forcément des conséquences…
13 — Dans la galaxie hygiéniste on aime beaucoup la naturopathe Irène Grosjean qui a des airs de
gentille mamie. La naturopathie est une fausse discipline dans laquelle on peut
obtenir un diplôme comme on obtient un flocon en classe de neige. Un
« docteur en naturopathie » n’est pas docteur du tout en général.
Le statut de naturopathe n’a
strictement aucune valeur, mais ça donne à certain l’illusion qu’ils savent
quelque chose. Et cette illusion les rend dangereux.
Pour Irène Grosjean les maladies sont… des bonnes choses, c’est le corps qui réagit à nos mauvaises habitudes. Par conséquent se vacciner, c’est empêcher son corps de faire une maladie utile, et c’est une mauvaise chose.
Dans cette vidéo elle explique que le « conarovirus » (elle a de l’humour) ne cause aucune maladie, mais qu’il apparaît simplement sur les terrains malades, puisque la maladie est en réalité autre chose que ce que les médecins veulent bien dire. La réalité se dévoile au détour d’un petit jeu de mot : Maladie = mal à di e = « mal à dieu ». La pratique du jeu de mot merdique permet de fournir une forme d’explication aux gens qui ont très envie de continuer à croire en dépit des connaissances que la science nous construit.
Conclusion
On pourrait continuer longtemps, évoquer la médecine quantique qui vous promet la mort si vous n’élevez pas votre taux vibratoire, la médecine anthroposophique qui propose de laisser la maladie se répandre chez les plus jeunes afin de protéger les plus âgés… allez comprendre… La mode des huiles essentielles, l’idée que le qi Gong ou l’instinctothérapie protègent contre l’épidémie, etc.
Les pseudo-experts qui cultivent des croyances magiques ne manquent pas ; ils doivent leur succès à une certaine forme de complicité de la part de ceux qui les écoutent. Parce qu’aujourd’hui, face à l’immensité des connaissances disponibles en quelques clics, l’ignorance ressemble à un choix. Les abonnés de tous ces gens, même s’ils sont victimes d’un mode de communication trompeur, font le choix délibéré de ne pas se fier à des sources d’information plus solides parce que cela dérangerait leur confort mental.
Je vous suggère de n’être jamais trop attaché à votre confort mental, car la science évolue, nos connaissances s’améliorent et il faut s’attendre à devoir abandonner certaines certitudes de temps à autre.
Quand, en temps normal, les sceptiques comme nous critiquent les idées saugrenues, les dogmes imbéciles, les raisonnements creux, les rhétoriques fallacieuses, ce n’est pas pour le plaisir d’être désagréables, c’est parce que nous savons que les croyances ont toujours des conséquences. Les fausses médecines ne sont pas seulement inefficaces, elles sont dangereuses à chaque fois que le patient se croit protégé alors qu’il ne l’est pas. Une célèbre citation dit :
« Le premier ennemi de la connaissance ce n’est pas l’ignorance, c’est l’illusion de la connaissance. »
[Généralement attribué à Stephen Hawking, on retrouve cet aphorisme chez Daniel J. Boorstin dans Cleopatra’s Nose: Essays on the Unexpected (1995).]
Eh bien de la même manière le premier ennemi de votre immunité lors d’une épidémie, c’est de vous croire protégés par des choses qui ne vous protègent pas. Quand on se penche sur les discours pseudo-scientifiques on voit très vite poindre le spectre de la pensée conspirationniste. Parce qu’il faut à ces gens une explication au fait qu’ils savent tant et tant de choses tandis que la société ne les croit pas. L’épidémie de coronavirus est une occasion spectaculaire de voir en temps réel les récits conspirationnistes fleurir, se contredire, se réconcilier, se restructurer pour offrir au public une narration virale et toxique, une véritable épidémie de connerie.
Nous verrons les aspects conspirationnistes dans le prochain épisode.
Article invité. Victor m’a proposé de me parler du « miracle » de Fátima après avoir suivi un entretien sceptique où je me suis trouvé en peine de répondre à l’usage de ce miracle en tant que « preuve » de l’existence de Dieu. Puisqu’il connait très bien le sujet, je lui ai demandé s’il voulait rédiger cet article afin que ceux qui veulent avoir un regard critique et raisonnable sur cette histoire puissent le faire.
Acermendax
Fátima serait encore un banal village portugais si trois enfants n’avaient pas témoigné y avoir vu la Vierge Marie de mai à octobre 1917. Dix ans plus tard, les pèlerins affluaient déjà par centaines de milliers et la construction d’une basilique fût entamée avant même que les apparitions ne soient officiellement reconnues par l’évêque. Depuis fût édifié un gigantesque sanctuaire que dominent deux basiliques de part et d’autre d’une esplanade de 28 hectares entourée d’hôtels et commerces divers.
Aujourd’hui, avec ses quatre millions de visiteurs annuels, le sanctuaire de Fatima n’est pas loin de concurrencer celui de Lourdes. Toutefois, avec leur lot de prophéties réalisées et leur célébrissime « miracle du soleil » explicitement destiné à convaincre une foule de témoins, les apparitions portugaises sont connues pour être exceptionnellement bien authentifiées, si bien qu’elles fournissent un argument récurrent au théisme. Car de fait, il arrive que les humains, tout en revendiquant une démarche de foi, présentent leurs raisons de croire à l’existence de Dieu.
Un certain Thomas C. Durand fut obligé d’admettre prudemment son ignorance du sujet à l’occasion d’un « entretien sceptique » d’octobre 2019. Mais cette réputation est-elle méritée ? De quoi les faits peuvent-ils vraiment convaincre ? Pour en juger, nous citerons et confronterons le contenu de deux sources principales qui s’imposent comme les mieux indiquées (en plus d’être gratuitement disponibles sur internet) :
Les « Mémoires de Sœur Lucie », signés entre 1935 et 1941 par l’aînée des trois voyants une fois entrée dans les ordres. Dans ce texte, elle livre le récit de son expérience vécue beaucoup plus tôt avec ses deux petits cousins, décédés très rapidement après les événements. Cette édition en français s’agrémente d’ajouts ultérieurs non moins utiles à l’investigation.
Une collection de documents produits entre 1917 et 1930 et compilés sous le titre « Documentação Crítica de Fátima » par le père J.M. Alonso en tant qu’archiviste du sanctuaire. Cette documentation ne fut rendue publique qu’en 1992, mais c’est d’elle que nous parviennent les témoignages les plus précieux, puisque les plus contemporains des faits (en portugais cependant).
Afin de faciliter toute vérification sans retranscrire ici de trop longs extraits, nous indiquerons les initiales M. ou D.C. (pour « Mémoires » ou pour « Documentação Crítica »), suivies de numéros des pages à consulter.
Il n’est pas question ici de réfuter le théisme mais bien d’examiner un argument. D’ailleurs, il est évident qu’un article de blog ne peut suffire à passer en revue des milliers de textes hagiographiques, de mystérieuses reliques et autres hosties sanguinolentes à n’en plus finir. C’est justement l’atout de l’argument des miracles en général : contrairement à celui qui voudrait en faire le tour, il est inépuisable ! À l’attention des lecteurs qui pourraient découvrir s’être trompés, et au risque d’annoncer la couleur, reconnaissons d’emblée que l’histoire des apparitions mariales fournit certains récits moins défectueux et moins scandaleux que celui de Fatima.
Les prémices
Cadette d’une famille de bergers, Lucia dos Santos était une enfant très familière des concepts chrétiens, omniprésents à son esprit si l’on en croit ses Mémoires. Par exemple, elle et ses amis aimaient se représenter les lueurs nocturnes en disant : « Notre Dame et les anges allument leurs lampes et viennent les mettre à leur fenêtre afin de nous éclairer » (M. p.43).
En avril 1915, avec trois compagnes, Lucia (8 ans) rapporta avoir vu, « comme suspendue dans l’air au-dessus des arbres, une figure semblable à une statue de neige ». « Ça ressemblait à une personne enveloppée dans un drap », dit-elle en ajoutant qu’« on ne voyait ni ses yeux ni ses mains. » Fabulation, méprise ou manifestation surnaturelle ? En tout cas, Lucia ne fut pas prise au sérieux par son entourage (M. p.78).
En 1916, cette chose serait reparue à Lucia ainsi qu’à ses cousins qui l’accompagnaient : Francisco (8 ans) et Jacinta (6 ans). Ce sont eux trois qui allaient devenir les célèbres voyants, tandis que les témoins de l’année précédente ne verraient plus ni statue de neige ni Sainte Vierge. Cette fois, « la même figure » dont on n’avait pas tout à fait distingué les attributs normaux d’une personne l’année précédente « avait l’apparence d’un jeune homme de 14 ou 15 ans ». La chose prit la parole, se présenta comme « l’Ange de la Paix » et enseigna aux enfants une prière de pénitence « pour ceux qui ne croient pas » (M p. 80).
« Après
un certain temps, un jour d’été », le personnage revint encore et se présenta comme « l’ange du Portugal ». Il incita les
enfants à faire des sacrifices « de
tout ce [qu’ils pourraient] ». « Surtout, acceptez et supportez avec
soumission les souffrances que le Seigneur vous enverra », précisa-t-il (M.
p.81).
Lors d’une dernière apparition, le même ange leur distribua l’eucharistie à tous les trois (p. 82), sans intervention d’aucun prêtre, aussi étrange que cela paraisse à la lecture des textes qui font autorité en la matière [1].
Les commentateurs qui croient Lucia sur parole disent comprendre une certaine pédagogie dans les initiatives de cet ange [2]. Mais d’autres relèvent que les témoignages laissés par Francisco et Jacinta n’évoquent jamais ces rencontres possiblement imaginées par Lucia des années plus tard. Mieux, le rapport d’enquête canonique d’avril 1930 nous apprend que Francisco reçut la première communion sur son lit de mort, sans signaler aucun démenti de sa part sur le fait qu’il s’agissait bien d’une première fois (D.C. p.446) [3].
Les apparitions de la Vierge
La « Dame » apparut
aux enfants le 13 mai 1917. Elle renouvela l’incitation de l’ange aux
sacrifices expiatoires : « Voulez-vous
vous offrir à Dieu pour supporter toutes les souffrances qu’il voudra vous
envoyer, en acte de réparation pour les péchés par lesquels Il est offensé, et
en supplication pour la conversion des pécheurs ? » (M p.85). Elle
leur dit de revenir au même endroit tous les mois (M. p.184). Devant une foule
chaque fois plus grande, il y eut donc une apparition chaque 13 du mois jusqu’en
octobre, à cela près qu’un imprévu repoussa l’apparition du mois d’août au 19.
Ces apparitions furent tout à fait différentes d’un enfant à l’autre. Jacinta vit la Vierge et l’entendit mais sans jamais comprendre vraiment. Interrogée le 11 octobre par le chanoine Formigão, elle expliqua que regarder l’apparition lui faisait mal aux yeux et que le bruit de la foule l’empêchait d’entendre correctement ses paroles (D.C. p.68). Quant à Francisco, il n’entendit jamais rien et ne voyait même pas ses lèvres remuer (D.C. p.102), se faisant toujours tout répéter. Seule Lucia pouvait s’adresser à la Vierge, en plus de la voir et de l’entendre. Ainsi, dès la première apparition, Lucia lui demanda si elle irait au Ciel. La Vierge lui répondit que oui ; que Jacinta aussi ; mais que Francisco, lui, devrait encore réciter beaucoup de chapelets (D.C. p.30, 119, 121 ; M. p.181).
Tout ceci est relaté par des auteurs bien indulgents qui jamais ne relèvent de ressemblance avec ce qui se produirait si une enfant s’amusait à manipuler ses petits cousins de sorte à favoriser chez eux une simulation ou même une hallucination.
Le 2 novembre, Lucia raconta que la Vierge avait promis la guérison d’un certain João Carreira qui souffrait d’infirmités aux jambes et au dos, pour « dans un an » (D.C. p.119). Mais les sources plus tardives font dire à la Vierge qu’au contraire, elle ne le guérirait pas, comme si finalement il était resté infirme [4]. Pour autant, Formigão dénombra plusieurs guérisons extraordinaires. Mais non content de cela, il ajouta sinistrement : « certaines personnes de mauvais sentiments qui, à propos des succès de Fatima, ont osé blasphémer la Très Sainte Vierge, ont été victimes de très graves désastres dans lesquels presque toutes ont trouvé la mort. De simples coïncidences ? » (D.C. p.269)
Les anomalies et les contradictions entre les témoignages des voyants d’une part et dans ceux de Lucia elle-même d’autre part sont trop nombreuses pour que la liste en soit faite ici, mais certains éléments de description sont particulièrement éloquents. Selon les premiers interrogatoires, par exemple, la Vierge « mesurait un peu moins d’un mètre », elle portait une « jupe serrée » qui ne descendait que « jusqu’aux genoux » et laissait voir « des bas blancs » (D.C. p.33, 79, 83, 173). Formigão fut embarrassé : « La Vierge ne peut évidemment apparaître que le plus décemment et modestement vêtue. La robe devrait descendre jusqu’aux pieds », songea-t-il le 27 septembre (D.C. p. 59). Mais lorsqu’il interrogea Lucia le 2 novembre, celle-ci envisagea qu’elle avait pu voir des bas au lieu des pieds de la Vierge, et elle affirma que « la dernière fois, la jupe avait l’air plus longue.» (D.C. p.124) Ainsi Notre Dame de Fatima finit-elle par prendre l’apparence qu’on lui donne aujourd’hui dans nos églises.
La danse du soleil
En juillet, Lucia annonça un
miracle à venir. « Dans trois mois,
je ferai croire tout le monde », la Vierge avait-elle promis (D.C.
p.32). À l’issue de la dernière apparition, donc, Lucia aurait crié à la foule
de regarder le soleil, bien qu’elle ne s’en rappelât plus le 2 novembre (D.C.
p.121). Alors, on put contempler l’astre sans s’aveugler, dit-on. Le voilà qui se
mit à tournoyer et à changer de couleur devant « environ 50 000 personnes, presque toutes portées par la foi, par
le désir de s’assurer de la véracité des faits qu’ils avaient entendus raconter !
», selon les mots d’un témoin (D.C. p.95). C’était le grand signe
prophétisé. Mais, de ceux qui crurent voir le soleil leur tomber dessus à ceux
qui ne virent rien d’inhabituel, les témoignages furent très variables.
Il faut reconnaître un argument qui n’est pas sans valeur, à savoir l’article publié par Avelino de Almeida, un journaliste que tout semblait prédisposer à vouloir se moquer de fidèles trop naïfs et qui évoqua pourtant un « spectacle unique et incroyable » (D.C. p.75). Sa prose ambiguë rend simultanément témoignage de deux phénomènes, celui du ciel et celui de la foule, sans préciser clairement duquel il y eut tant à s’étonner.
Les observatoires d’astronomie n’enregistrèrent rien d’inhabituel. Mais évidemment, la Vierge n’avait pas miraculeusement déplacé le soleil ou expulsé la Terre de son orbite, auquel cas les effets s’en seraient fait sentir ailleurs qu’au Portugal. Pour le théologien Arnaud Dumouch, « ce sont les anges qui donnèrent aux foules de Fatima l’impression que le soleil dansait sur lui-même » [5]. Difficile d’exclure, toutefois, qu’on ait pris pour surnaturels les effets de persistances rétiniennes résultant d’un éblouissement, car il est généralement contre-indiqué de regarder tout droit en direction du soleil, y compris lorsqu’on est un journaliste athée. D’ailleurs, les photographies de l’événement montrent certaines personnes se protégeant les yeux avec leur main, et d’autres non.
À cela il convient d’ajouter un commentaire au sujet des prodiges solaires en général, puisque, depuis Fatima, ils devinrent monnaie courante. Il en survint dans plusieurs lieux d’apparitions ultérieures, tels San Damiano (Italie, 1964) ou Necedah (Wisconsin, 1950) [6], apparitions clairement condamnées par l’Eglise comme étant fausses. À Medjugorje (Bosnie-Herzégovine, depuis 1981), le père Ljudevit Rupcic rapporte avoir vu une danse du soleil « avec environ mille pèlerins » [7]. En fait, les miracles se produisent à peu près partout où des foules sont incitées à observer directement le soleil. Sur des vidéos prises à Denver, aux Philippines ou à Medjugorje, on voit le soleil tantôt clignoter furieusement, tantôt changer en luminosité à la manière d’une lampe à variateur. On obtiendrait des images semblables en jouant avec l’ouverture ou l’obturation d’un appareil photo-vidéo. De plus, s’il s’agit de visions fabriquées par les anges comme l’écrit Arnaud Dumouch, il faut s’étonner qu’on puisse en capturer des films.
Les prophéties et les secrets
Les Mémoires de Lucia nous
apprennent que lors de l’apparition de juin, la Vierge annonça au sujet de
Francisco et Jacinta qu’elle allait bientôt les « emmener au ciel » (M. p.61, 150, 183). En effet, la grippe
espagnole tua Francisco en 1919, et Jacinta mourut l’année suivante dans des circonstances
dont nous reparlerons.
Seulement voilà, aucune trace de cette prédiction n’existe dans la documentation antérieure à 1927. L’auteur belge Marc Hallet s’étonne assez justement : « Peut-on croire un seul instant que les deux enfants directement concernés n’auraient pas été traumatisés par une pareille révélation ? Qu’ils n’auraient même pas pleuré ? Que Jacinta n’aurait pas dit cela à sa maman ? » [8]… Un commentaire d’autant plus pertinent qu’à ce stade, la Vierge n’avait pas engagé les enfants au secret (M. p. 183).
Ces Mémoires révèlent ensuite les deux premières parties d’un secret que la Vierge lui avait confié en juillet. D’abord il y eut une vision de l’Enfer (M. p.127). Puis, la Vierge annonça :
« La guerre va finir. Mais si l’on ne cesse d’offenser Dieu, sous le pontificat de Pie XI en commencera une autre pire encore. (…) Pour empêcher cette guerre, je viendrai demander la consécration de la Russie à mon Cœur immaculé et la communion réparatrice des premiers samedis. Si on accepte mes demandes, la Russie se convertira et on aura la paix ».
(M. p.128)
Quel dommage, là encore, de n’avoir révélé cela qu’en 1941 alors que la Seconde Guerre mondiale battait déjà son plein ! Quant à la Russie, dont Lucia ne connaissait probablement même pas le nom lorsqu’elle avait 10 ans, elle ne prit part à l’intrigue qu’après de nouvelles visions revendiquées par elle en 1925 et 1929 (d’où le « je viendrai » dans ce message d’anticipation prétendument confié en 1917).
La fin de la Première Guerre, elle, fut effectivement annoncée le 13 octobre 1917 ! Seulement, la jeune Lucia l’avait promise pour le jour-même… Une erreur qui avait un peu refroidi la confiance des gens à l’époque, car à ce moment-là les conflits allaient encore s’aggraver (D.C. p. 12, 76, 82, 121, 262). Six jours plus tard, Formigão obtint quelques réponses de Lucia à ce problème :
« – Les journaux rapportent qu’il y a eu des combats depuis le 13… Comment expliquer cela, si la Vierge a dit que la guerre s’était terminée ce jour-là ?
– Je ne sais pas. Je sais seulement que je l’ai entendue dire que la guerre se terminait le 13. (…) Je ne me souviens plus très bien comment elle l’a dit. (…) Peut-être ne comprenais-je pas bien la Dame. »
(D.C. p.100)
Soit dit en passant, de Almeida se fit l’écho de cette annonce dans son fameux article (D.C. p.76), celui-là même qui sert si souvent d’argument à l’authenticité du miracle du soleil et donc à celle des apparitions ! Curieusement, la traduction qu’en propose le site de « CAP Fatima 2017 » change « était finie » (« terminara ») en « va finir » [9]. Serait-ce le genre de petit mensonge autorisé par la Vierge pourvu que cela lui rende service ?
Toujours d’après Lucia en 1941, voici comment la Vierge annonça en juillet 1917 les punitions que Dieu enverrait en cas de désobéissance à ses vœux :
« Lorsque vous verrez une nuit illuminée par une lumière inconnue, sachez que c’est le grand signe que Dieu vous donne, qu’Il va punir le monde de ses crimes par le moyen de la guerre, de la famine et des persécutions contre l’Église et le Saint-Père ».
(M. p. 185)
Ladite nuit illuminée fut interprétée par Lucia elle-même comme celle du 25 au 26 janvier 1938, à cause d’une aurore boréale exceptionnelle observée dans l’hémisphère Nord cette nuit-là. Rappelons seulement que Lucia n’en parla, là encore, qu’après les faits [10].
Le « troisième secret »
Cet ultime secret devait le rester jusqu’en l’année 1960, selon l’intuition de la voyante, car avant cela « on n’aurait pas compris » (M. p.226). Mais Lucia tomba malade en 1944 et l’évêque redouta qu’elle emporte le secret dans sa tombe. Cette fois, donc, elle scella un texte qui ne fut révélé qu’en l’an 2000, sur décision du pape Jean-Paul II. Personne ne sût jamais en quoi cela eut été mieux compris en 1960 que vingt ans plus tôt, mais il s’agissait d’une vision dont la description comporte notamment ce qui suit :
« (…) Et nous vîmes dans une lumière immense qui est Dieu : “Quelque chose de semblable à la manière dont se voient les personnes dans un miroir quand elles passent devant » un Évêque vêtu de Blanc, « nous avons eu le pressentiment que c’était le Saint-Père”. Divers autres Évêques, Prêtres, religieux et religieuses monter sur une montagne escarpée, au sommet de laquelle il y avait une grande Croix en troncs bruts, comme s’ils étaient en chêne liège avec leur écorce ; avant d’y arriver, le Saint-Père traversa une grande ville à moitié en ruine et, à moitié tremblant, d’un pas vacillant, affligé de souffrance et de peine, il priait pour les âmes des cadavres qu’il trouvait sur son chemin ; parvenu au sommet de la montagne, prosterné à genoux au pied de la grande Croix, il fut tué par un groupe de soldats qui tirèrent plusieurs coups avec une arme à feu et des flèches ; et de la même manière moururent les uns après les autres les Évêques les Prêtres, les religieux et religieuses et divers laïcs, hommes et femmes de classes et de catégories sociales différentes. Sous les deux bras de la Croix, il y avait deux Anges, chacun avec un arrosoir de cristal à la main, dans lequel ils recueillaient le sang des Martyrs et avec lequel ils irriguaient les âmes qui s’approchaient de Dieu. »
(M. p.221)
Il est étonnant que Lucia ait su mémoriser autant de subtils détails pendant plus de vingt ans, sachant ses difficultés d’antan à restituer clairement les paroles de la Dame.
Après la tentative d’assassinat dont Jean-Paul II fut la cible en 1981, ce dernier attribua sa survie à Notre Dame de Fatima parce que c’était arrivé un 13 mai. On prétendit alors que c’était l’objet du troisième secret. Les faits coïncident pourtant très mal puisque le tireur n’a pas tué le pape, n’était pas soldat, n’a certainement pas utilisé de flèche, et de surcroît les autres prêtres et évêques ne furent pas tués non plus.
Évidemment, certains en appellent à une lecture symbolique au prétexte de laquelle il faudrait interpréter la prophétie aussi librement que nécessaire pour la conformer aux faits. On en oublie que la Vierge ne s’était pourtant pas encombrée de symboles pour prédire, soi-disant, la guerre de 1939. On peut aussi s’étonner que la Vierge ait annoncé un assassinat qu’elle-même allait se charger de déjouer en « [guidant] la trajectoire de la balle » (M. p.240), tout en n’épargnant pas complètement la victime, touchée à l’abdomen et au coude.
Ce que prouve l’obstination des voyants
Aucun des trois enfants ne
renia avoir vu la Vierge malgré les intimidations qu’ils subirent au point de se
laisser emprisonner quelques jours, empêchés d’être à l’endroit prévu pour
l’apparition du 13 août. C’est du moins ce que raconta Lucia en ajoutant qu’on
les avait menacés, elle et ses cousins, de les faire frire ! (M. p. 20,
53, 54)
En fait, il semble que le sous-préfet ait emmené les enfants pour les interroger et les faire examiner par un médecin, ce qui ne manqua pas de contrarier les pèlerins (D.C. p. 176) [11]. Quoi qu’il en soit, il faut se garder de sous-estimer l’effet produit par une foule exaltée sur de jeunes enfants qui auraient peut-être préféré séjourner un temps en prison plutôt que de décevoir des milliers de gens misant en eux leur espoir d’un lien avec le Ciel en période de guerre. Les enfants qui disent avoir vu la Vierge subissent toujours la pression de ceux qui veulent que ce soit vrai.
Conclusion : …et si c’était vrai ?
Lucia dos Santos fût-elle prise à ses dépens dans la spirale sans issue d’une mythomanie infantile ? Il n’est pas défendu de soupçonner un coup monté dès le départ par le clergé local de mèche avec le régime de Salazar [12], et il existe même une littérature mettant les événements de Fatima sur le compte d’entités extra-terrestres [13]. L’hypothèse d’aliens en jupette peut sembler plus crédible qu’une visite de la Sainte Vierge, mais qu’aurions-nous à retenir si malgré tout il fallait prendre Lucia pour un témoin digne de confiance ?
A 14 ans, Lucia fut envoyée au collège de Porto et reçut de l’évêque « trois graves recommandations : changer de nom, garder le silence sur son village et sa famille d’origine, et surtout ne révéler à personne qu’elle [était] la Voyante de Fátima, ni parler des Apparitions » (M. p. 9, introduction du père Alonso) : une claustration qui rappelle celle des deux voyants de La Salette au siècle précédent. Mais la disparition de Jacinta et Francisco, elle, laisse perplexe quant à la manière dont la Sainte Vierge s’y prend pour emmener des enfants au Ciel. En effet, Jacinta accumula une broncho-pneumonie et une pleurésie purulente. On l’opéra pour lui retirer deux côtes, et elle mourut huit jours plus tard, au bout d’un an de souffrances. « Cette maladie si longue et si cruelle fut un véritable martyre pour le pauvre enfant qui expiait dans son corps innocent les péchés d’autrui », écrivit Formigão en 1923 (D.C. p.269).
Lucia décrivit abondamment à
quel point les mortifications de ses cousins pouvaient mettre leur santé en
péril. Par exemple, ils n’hésitaient pas à s’assoiffer sans autre raison que de
« souffrir pour la conversion des
pécheurs » (M. p.49). En août 1917, Lucia trouva une corde et eut
l’idée de la partager en trois pour s’en servir d’instrument de torture : « « Regardez, cela fait mal ! Nous
pourrions nous l’attacher à la taille et offrir à Dieu ce sacrifice. » (…)
cet instrument nous faisait souffrir
horriblement. Jacinta, parfois, laissait tomber quelques larmes à cause de la
gêne que la corde lui causait. » (M. p.96) En septembre, la Vierge
leur dit qu’il était excessif de dormir avec cette corde, mais elle leur
demanda de la garder le jour ! (M. p.98)
Désireuse de souffrir, Jacinta « répétait fréquemment ces sacrifices », s’obligeant notamment à contrarier sa soif et sa faim, à manger de mauvaises choses ou encore à faire exprès de boire l’eau « très sale » d’un étang (M. p.59, 60, 64, 65, 108, 130). Lucia raconte en particulier ceci :
« Ainsi se passaient les journées de Jacinta, lorsque Notre Seigneur permit qu’elle eût une pneumonie, qui la prostra dans son lit ainsi que son petit frère. La veille de cette maladie, elle disait : – J’ai tellement mal à la tête et j’ai tellement soif ! Mais je ne veux pas boire afin de souffrir pour les pécheurs. »
(M. p.59)
Dans ces conditions, si le récit était vrai, il faudrait croire que la Sainte Vierge a poussé cette enfant à se torturer jusqu’à la mort.
Ces apparitions reçoivent l’approbation des papes successifs depuis Pie XII jusqu’à l’actuel François, lequel se déplaça spécialement au Portugal en 2017 pour célébrer leur centenaire. Mais cette madone n’est-elle pas complice du Dieu sans foi ni loi que la Vierge est également censée avoir révélé à La Salette (France, 1846) ou à Akita (Japon, 1973) ?
Bien que toutes ces mariophanies soient très officiellement reconnues au point que celles de Fatima figurent même au calendrier liturgique, ça ne serait une bonne nouvelle pour personne que ce Dieu-là existe. Et si jamais il prenait vraiment à Dieu de nous envoyer des souffrances jusqu’à répandre la guerre et la famine ou assassiner des enfants innocents, alors nous serions peut-être bien avisés de nous en démarquer.
Victor Rességuier
[1] Catéchisme
de l’Église Catholique §1369 ; Code de droit canonique, 910 §3 ; instruction Redemptionis Sacramentum §88
[2] Par
exemple : Yves Chiron, Enquête sur
les apparitions de la Vierge, éd. Perrin, 2007, p.247 ; Arnaud
Dumouch, https://www.youtube.com/watch?v=K_5lDVPTWr0
[3] Voir Marc
Hallet, Les apparitions de la Vierge et
la critique historique, 2015, p.160
[4] Soeur
Françoise de la Sainte Colombe, Francisco
et Jacinta, si petits… et si grands !, éd. CRC, 1998, p. 137-149 (João Carreira
étant bien le fils de Manuel et Maria Carreira) : « Quant au fils estropié de Maria Carreira, elle [la Vierge] dit qu’il ne guérira pas. Il restera
pauvre. Il doit réciter tous les jours le chapelet avec sa famille et il pourra
gagner sa vie. »
[5] Arnaud
Dumouch, Les phénomènes paranormaux et
l’Église, éd. M+ éditions, 2018, p. 272
[10] Même si
celle de 1938 fut très exceptionnelle, il arrive que des aurores boréales
soient visibles jusque depuis la France. Ce fut le cas deux fois en 2015 et une
fois en 2004.
[11] Voir Manuel
Nunes Formigão, As grandes maravilhas de
Fatima, éd. União grafica, p. 54 : le sous-préfet « emmena les enfants dans sa maison et les confia aux soins de son
épouse qui les traita avec beaucoup de tendresse ».
[12] Voir Jhao
Ilharco, Thomas de Fonseca, Gérard de Sède
[13] Voir Jacques
Vallée, Paul Misraki, Gilles Pinon, Joaquim Fernandes et Fina D’Armada,
Christel Seval
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2020/03/statue-Fatima.jpg5801300Victor Resseguierhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngVictor Resseguier2020-03-15 10:59:072020-03-15 10:58:16Notre Dame de Fatima et la preuve par les miracles
J’ai rencontré Annie Lobé, qui se présente comme une journaliste scientifique, au Festival BioZen, un salon tourné vers l’écologie, mais aussi vers les pratiques de soin alternatives, l’ésotérisme et les discours pseudo-scientifiques ou anti-sciences. Mon interlocutrice milite contre le compteur Linky (c’était l’objet de sa conférence au festival) sur la base d’une conviction profonde : les rayonnements électromagnétiques de nos technologies quotidiennes sont dangereuses pour notre santé. Je lui ai demandé de m’expliquer comment elle pouvait être si sûre de cela.
NB : elle milite aussi contre les tablettes, les ampoules basse consommation et de manière générale tout ce qui émet des ondes électromagnétiques. Elle ne milite pas, contre les sources « naturelles » de rayonnement.
Bref, cette conversation improvisée un peu laborieuse a donné lieu à une vidéo que j’ai décidé de retirer de ma chaîne après des menaces d’Annie Lobé. Pas vraiment par peur d’être condamnés à quoi que ce soit, mais pour montrer ce qu’il se passe quand on veut censurer un contenu de ce type sur une chaîne comme la nôtre. Résultat : la vidéo est disponible sur une bonne vingtaine d’autres chaînes et sur PeerTube. Je vous invite d’ailleurs à la consulter ici.
Avant la suppression de la vidéo, j’ai publié un petit vlog pour bien contextualiser la chose et prévenir qu’un Effet Streisand risquait de se produire si Annie Lobé maintenait son exigence de voir la vidéo supprimée. Sans réponse de au part au terme du delai que j’avais annoncé, je l’ai donc supprimée.
Acte suivant.
Annie Lobé m’ envoyé deux courriers de 10 pages : une mise en demeure et un droit de réponse. La loi limite le droit de réponse à 200 lignes, limite qu’elle n’a pas respectée. J’ai néanmoins choisi de lire ce droit de réponse (en échouant à ne pas surjouer la bêtise; j’en suis navré). La vidéo que j’ai publiée après cela a évidemment relancé l’Effet Streisand. Et j’espère que cela pourra rendre service à des gens tentés de menacer des vidéastes critiques envers leurs pratiques afin qu’il s’épargne de la peine et du ridicule. En fin d’article je posterai le scan du courrier reçu comme je m’y suis engagé dans la vidéo.
Si d’aventure Annie Lobé entendait poursuivre ses intimidations ou lancer une action en justice, l’ASTEC vous tiendrait au courant. Toute cette affaire est à la fois pathétique (et j’aimerais comme vous pouvoir passer mon temps à travailler sur des choses plus sérieuses) et édifiante, et j’ai essayé de la traiter de la manière la plus pédagogique possible. A vous de me dire si c’est une réussite ou un échec.
Courrier reçu
(Pour pouvoir lire ces pages : Clic droit « Ouvrir l’image dans un nouvel onglet »)
Réserves
La vigilance vis-à-vis des appareils qui nous entourent et modifient notre environnement est une BONNE chose. Avoir le souci de la santé de chacun est une exigence, c’est pourquoi le temps, l’énergie, les ressources englouties dans des croisades un peu folles ne reposant sur aucune donnée fiable, ni, surtout aucun raisonnement sérieux et cohérent, représente une menace en nous empêchant de voir, de reconnaître, de comprendre les signes avant-coureur des vrais dangers, des vrais scandales. Peut-être trouvera-t-on un jour que certaines expositions représentent un danger, et alors il faudra agir. Mais aujourd’hui disposons-nous d’éléments fiables pour étayer une telle inquiétude ? Pas dans le travail d’Annie Lobé en tout cas !
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2019/12/miniature-drama-des-ondes-2.jpg269476Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2019-12-25 15:38:422019-12-25 15:57:52Croisade contre les ondes électromagnétiques
Tous les thérapeutes n’exercent pas de véritables métiers de la santé. Un certain nombre de diplômes, de formations en soins énergétiques, en naturopathie, en kinésiologie ne valent absolument rien, et on ne peut guère attendre autre chose qu’un effet contextuel de support psychologique dans le meilleur des cas, et de la pure charlatanerie (consciente ou inconsciente) avec des retards de prise en charge afférents, voire une emprise mentale, dans les pires situations. Mais quand le praticien a une plaque de kinésithérapeute, il est censé avoir été formé à apporter un soin réel, et à se mettre à jour pour toujours répondre de la manière la plus efficace aux besoins du patient. Hélas, ce n’est pas suffisant pour avoir pleinement confiance, et les institutions comme l’ordre des kinésithérapeutes sont à votre écoute pour signaler les pratiques en décalage avec les connaissances établies.
Ci-dessous, le témoignage de Julien qui s’est retrouvé dans un monde parallèle en allant consulter une Kinésithérapeute-Ostéopathe. Quand nous consultons un spécialiste, nous abolissons bien souvent notre esprit critique car nous désirons avoir confiance, nous attendons du professionnel qu’il prenne les bonnes décisions, et nous nous conformons à ses méthodes. Cette asymétrie peut nous mener à accepter des soins déraisonnables, à ne pas questionner des propos abusifs, car il devient difficile de résister à l’autorité que la situation confère à cette personne. Julien a probablement eu la bonne réaction.
Acermendax
Hier après-midi, je me suis rendu à xxxxxxxx chez une kinésithérapeute pour quelques soucis de dos, et je suis tombé sur l’archétype du charlatan adepte de pseudo-médecines qu’il vous est arrivé de décrire dans certaines de vos vidéos.
Tout d’abord, quelques éléments de contexte, notamment sur mes problèmes de dos et sur ce qui m’a amené à me rendre chez elle. Amateur de sport depuis près de 15 ans, j’ai eu l’occasion de pratiquer différents styles de sports de combat et aujourd’hui je pratique assidûment la musculation depuis quelques années. Durant ces années de pratique (additionnées à un travail de documentation) j’ai acquis de bonnes connaissances anatomiques et biomécaniques. À plusieurs reprises, je me suis blessé et j’ai eu l’occasion de faire tout un tas d’examens et de radios. Je me suis même fait opérer de la hanche. Quand je vais en consultation chez un spécialiste que je ne connais pas, j’emporte donc avec moi tout mon dossier médical (radios, analyses, etc.).
Il y a quelques mois, pendant un exercice, j’ai senti un pincement au niveau du grand rhomboïde (côté droit), un « petit muscle » caché sous le trapèze. C’est une zone précise et facile à localiser sur le dos pour quelqu’un qui s’y connaît en anatomie. Je n’ai pas spécialement cherché à guérir cette petite blessure et j’ai laissé couler. Je reconnais aujourd’hui que ce n’était pas très intelligent, car tous les matins, quand je me réveille, mon dos me fait souffrir. Ma compagne m’a conseillé de me rendre chez une kiné qui fait aussi de l’ostéo. Elle m’a dit qu’elle était très satisfaite de ses dernières consultations il y a quelques années. Donc pourquoi pas ? Le rendez-vous était pris aussi tôt.
Hier je m’y suis rendu et j’ai vécu la pire
consultation de ma vie.
Cette dame m’a fait entrer dans une petite pièce et m’a demandé d’attendre parce qu’elle était avec un autre patient (elle jonglait entre un autre patient et moi toutes les 10 minutes). Quelle fut ma surprise quand je suis tombé sur un livre au titre évocateur de « se soigner par l’homéopathie » posé sur le radiateur, à côté de 3 pots en verre (ventouse / cupping).
Je me suis retourné près de la bibliothèque et les
bras m’en sont tombés :
La génétique et Dieu
Précis d’acupuncture chinoise
Être en pleine conscience
Homéopathie et médecine chinoise
Médecine traditionnelle chinoise
…
Le zodiaque, clé de l’homme et de l’univers
L’initiation au chamanisme
Les tarots
Etc.
Mais où avais-je mis les pieds ? J’ai regardé TELLEMENT de vidéos de la Tronche en biais, d’Hygiène Mentale, de Défakator, de Mr. Sam, et de tous vos confrères. Et là… J’avais l’impression de me retrouver piégé par une caméra cachée.
Elle est ensuite revenue me voir pour me demander ce que j’avais et je lui ai expliqué avec une grande précision mes symptômes : une douleur au grand rhomboïde du côté droit, très vive à mon réveil et qui s’estompe petit à petit dans la journée. Je lui ai tendu tout mon dossier médical et elle n’a pas souhaité le consulter car « ces gens-là font des radios pour le business, vous n’êtes pas une image fixe, vous êtes une personne vivante ».
Voyant le personnage, j’ai volontairement omis de lui préciser l’origine de ma douleur (un mauvais mouvement au sport). Il m’a paru évident qu’un vrai spécialiste aurait trouvé l’origine de cette douleur. Il n’y a pas vraiment eu d’examen de sa part, elle m’a demandé de lui montrer où j’avais mal précisément (et pourtant, bien qu’on l’appelle le « grand » rhomboïde, il s’agit d’un petit muscle très facile à localiser entre la colonne vertébrale et l’omoplate). Elle a alors commencé à me masser à cet endroit.
Elle m’a dit que si j’avais une douleur à cet endroit-là, ce n’est pas du hasard car c’est « le point du ligament du foie ». Elle m’a ensuite demandé si je savais à quoi servait le foie. Je lui ai parlé de la bile, du stockage et de la répartition des nutriments et de la gestion des substances toxiques. Elle m’a interrompue en disant « DETOX !! » que je devais arrêter de manger de la raclette, des frites, des chips et du chocolat et que c’est à cause de ça que j’ai mal au dos.
Pour info, en tant que pratiquant de musculation, je fais attention à mon alimentation, je compte mes nutriments dans la journée et j’évite justement ces bombes caloriques qui représentent bien peu d’intérêt pour la croissance musculaire.
Elle m’a donc conseillé de me lancer dans un régime détox (sans entrer dans aucun détail). Elle a ensuite entrepris, laborieusement, de me « remettre en place mes vertèbres ». Ces fameuses vertèbres qui ont « bougé » parce que mon foie est étiré bien sûr. N’arrivant pas à me faire craquer le dos, et plutôt que de reconnaître son incompétente, elle a affirmé que c’était parce que j’étais trop raide et qu’il y avait beaucoup de travail à faire avec moi : des années de mauvaises habitudes (Évidemment, faire du sport et manger sainement sont de mauvaises habitudes. Dois-je aussi préciser que je ne fume pas et que je ne bois pas ?)
Elle m’a expliqué que dans la médecine chinoise il y a 12 méridiens qui travaillent 2 heures à chaque fois et que du coup l’ensemble fait un travail complet en 24h (comme par hasard) et que mon foie travaille de 15 à 17h. Selon elle, à ce moment-là de la journée je dois sans doute être en train de faire des choses qui sont mauvaises pour moi. (Ma profession n’est pas dangereuse pour mon foie, mes journées sont plutôt calmes à vrai dire).
Elle m’a demandé de m’allonger sur le dos et a commencé à appuyer TRÈS FORT sur les abdos et les côtes flottantes. Elle a aussi enfilé un gant pour mettre ses doigts dans ma bouche et appuyer TRÈS FORT sur mes gencives près de mes dents de sagesse. Depuis j’ai 3 aphtes dans la bouche, quelle délicatesse. Elle m’a ensuite demandé de me tourner sur le ventre et m’a collé 4 ventouses sur le dos (et là aussi, j’avais fait de nombreuses recherches à ce sujet pour en conclure que le cupping c’est du bullshit).
Pendant toute la séance, je me suis appliqué à rester le plus stoïque possible (je n’ai pas été désagréable pour autant, je suis toujours resté courtois et poli). À chaque fois qu’elle attendait une réaction de ma part, comme lorsqu’elle appuyait très fort (vraiment très très fort), je n’ai rien laissé échapper. Au final, elle m’a dit de reprendre rendez-vous par téléphone, parce qu’il y a beaucoup de travail avec moi. Je lui ai demandé combien je lui devais et elle m’a dit que je ne lui devais rien, qu’elle n’avait pas réussi à bosser avec moi et qu’elle n’allait pas me faire payer du coup (tant mieux).
Aujourd’hui, je me dis que j’ai perdu du temps chez elle, que j’ai 3 aphtes dans la bouche et que mon dos ressemble à une coccinelle… Mais je suis content de voir le chemin que j’ai effectué depuis que je regarde vos vidéos. Il y a plusieurs années, je l’aurais trouvé géniale et je serais sans doute allé la recommander à mes proches en disant qu’elle fait des trucs que je n’avais jamais vus… Mais non, c’est terminé.
Mardi 25 juin 2019, une étonnante vidéo a été mise en ligne sur le compte YouTube officiel du ministère des armées. Son titre : « Référentiel des pratiques de santé alternatives et complémentaires ». La forme est pauvre. La vidéo est dépourvu de bande son. On nous présente une succession d’images plus ou moins fixes remplies de textes. En deux minutes pile, la vidéo fait la promotion de pratiques de soin non conventionnelles qui ont le point commun de ne bénéficier d’aucune preuve scientifique de leur efficacité, même si certaines sont très populaires de nos jours.
Les crédits de la vidéo font mention de l’Agence Innovation Défense, d’Unéo et de Medoucine.
Medoucine est un portail de médecine douce, terminologie très positive de ce qu’on devrait en réalité appeler d’une manière plus neutre : « approche à prétention thérapeutique non intégrée à la médecine scientifique faute de preuves suffisantes de son efficacité propre ». C’est certes un plus long mais aussi plus précis. Le site de Medoucine fait la promotion d’un vaste panel de ces pratiques (l’homéopathie semble absente…), présente un annuaire pour trouver un praticien près de chez soi, et contient une page qui référence les mentions de ces pratiques de soin dans les médias. Ces passages médiatiques servent de caution, leur rôle est de rassurer l’internaute quant au sérieux du site et de ce qu’il promeut. Naguère on trouvait l’estampe « Vu à la télé » pour endormir la méfiance du consommateur. Le procédé est un fallacieux argument d’autorité. Parmi ces témoins de moralités médiatiques, on retrouve malheureusement le service public, avec France 2. On remarquera aussi la présence du Figaro, qui a pourtant été un relai précieux de la tribune contre les Fakemed.
On se demande quel lien peut exister entre ce site (et
peut-être une structure associative derrière ?) et le ministère des
armées. Mystère.
Unéo est la mutuelle qui gère la complémentaire santé des militaires. Si on creuse un peu les brochures sur son site, on se rend compte qu’Unéo offre une prise en charge partielle de quelques-unes de ces pratiques, en affichant bien que la sécurité sociale ne le prend pas en charge.
Au passage : les diététiciens sont de vrais professionnels, et il ne faudrait pas les mettre au même niveau que les autres « thérapeutes » mis en avant dans la vidéo.
On peut regretter qu’une mutuelle au profit d’acteurs publics fasse le choix de rembourser des pratiques qui dérogent aux exigences de la preuve scientifique. Bien sûr, elle répond aux demandes de ses adhérents, et nous avons bien conscience de la popularité, même imméritée, de ses pratiques. C’est bien la raison pour laquelle nous œuvrons à la critique de ces pratiques, afin que le débat s’installe jusque dans les équipes qui confectionne les offres de mutuelle ! Avec Uneo, on a un lien plus direct avec le ministère des armées. Continuons.
L’Agence Innovation Défense, d’après le site https://www.defense.gouv.fr/aid, est un promoteur de l’innovation au sein des armées. Elle intervient aussi bien sur des projets pilotés d’en haut, les planifiés, que sur des initiatives de la part du personnel, individuelles ou en groupe. On retrouve ce type de structure, à diverses échelles, visant à repérer, pérenniser et valoriser les initiatives internes dans toute sorte de grandes entreprises et de ministère, cela n’a rien de très surprenant. On remarquera que celle des armées dispose d’un très solide budget annuel de 1,2 Milliards d’euros, et qu’il est censé progresser à 1,5 Milliards d’euro en 2022. De quoi financer des innovations très sérieusement.
Le logo de cette agence apparait dès le début de la vidéo, et également en premier dans les crédits finaux. On peut sans péril supposer que c’est elle qui est à l’origine de cette désastreuse vidéo de promotion. L’Agence Innovation Défense, lorsqu’elle repère une innovation prometteuse, comme par exemple l’emploi de médecine non conventionnelle au profit des blessés (« ou des non blessés » comme il est précisé), n’est pas censée en faire simplement la promotion. L’agence a pour rôle de piloter cette innovation en cohérence avec les autres acteurs du ministère, et d’évaluer les bénéfices (ici, une balance bénéfices/risques puisqu’il s’agit de santé) de l’innovation en question pour valoriser cette innovation.
La plaquette de présentation de cette agence illustre le cycle d’innovation dans un schéma qui fait intervenir des organismes de recherche, des universités et des collaborations internationales. Mais tout cela semble être développé sans lien aucun avec le ministère de la santé. On peut s’en étonner.
Au sein du ministère des armées, il existe le Service de
Santé des Armées (SSA). Son rôle est de veiller à la santé de nos militaires, et
notamment des blessés. La vidéo publiée sur le compte officiel du ministère des
armées et intitulée « Référentiel
des pratiques de santé alternatives et complémentaires » présente-t-elle un référentiel de pratiques
dont le SSA ferait usage ? Précisons qu’sein du SSA, il existe l’IRBA, l’Institut
de Recherche Biomédicale des Armées. Il n’est cité nulle part dans cette vidéo.
A-t-il été associé à cette démarche ? A-t-il mené des recherches pour
évaluer ces pratiques ? Que préconise-t-il ?
Comment interpréter cette vidéo ? Il nous semble qu’une
agence du ministère des armées, non spécialiste du sujet, a choisi de faire la
promotion de pratiques de santé douteuses, sans en référer aux compétences de
ses partenaires (Ministère de la Santé, Service de Santé des Armées) en
publiant une vidéo bâclée sur un compte officiel. Devant les critiques et les
commentaires, la réaction est un silence total peu rassurant, car nous ignorons
jusqu’à quel niveau au sein des autorités le recours à des pratiques de soin
dénuées de preuve est plébiscité par les responsables de la santé des
militaires français.
Le mutisme n’est pas une bonne manière de communiquer, surtout quand on s’équipe d’une chaîne YouTube officielle. Où sont les explications du ministère ?
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2019/07/Capture-chaine-YT-ministère-des-armées.jpg6071187Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2019-07-07 12:21:052019-07-07 12:22:17Le ministère des armées & les pseudo-médecines
Pour offrir les meilleures expériences, nous utilisons des technologies telles que les cookies pour stocker et/ou accéder aux informations des appareils. Le fait de consentir à ces technologies nous permettra de traiter des données telles que le comportement de navigation ou les ID uniques sur ce site. Le fait de ne pas consentir ou de retirer son consentement peut avoir un effet négatif sur certaines caractéristiques et fonctions.
Fonctionnel
Toujours activé
Le stockage ou l’accès technique est strictement nécessaire dans la finalité d’intérêt légitime de permettre l’utilisation d’un service spécifique explicitement demandé par l’abonné ou l’internaute, ou dans le seul but d’effectuer la transmission d’une communication sur un réseau de communications électroniques.
Préférences
L’accès ou le stockage technique est nécessaire dans la finalité d’intérêt légitime de stocker des préférences qui ne sont pas demandées par l’abonné ou l’internaute.
Statistiques
Le stockage ou l’accès technique qui est utilisé exclusivement à des fins statistiques.Le stockage ou l’accès technique qui est utilisé exclusivement dans des finalités statistiques anonymes. En l’absence d’une assignation à comparaître, d’une conformité volontaire de la part de votre fournisseur d’accès à internet ou d’enregistrements supplémentaires provenant d’une tierce partie, les informations stockées ou extraites à cette seule fin ne peuvent généralement pas être utilisées pour vous identifier.
Marketing
Le stockage ou l’accès technique est nécessaire pour créer des profils d’internautes afin d’envoyer des publicités, ou pour suivre l’internaute sur un site web ou sur plusieurs sites web ayant des finalités marketing similaires.