Outre Julien Allaire, Marianne Kardasz[i] est l’une des praticiennes Médoucine qui a le plus retenu notre attention en raison d’un festival de bullshit sans concurrence[ii] et d’allégations thérapeutiques mensongères à la pelle. Plusieurs des méthodes qu’elle utilise ont déjà été sanctionnées par les autorités et elle fait usage de la quasi-intégralité des pseudosciences possibles. Elle délivre des formations de quelques jours qu’elle facture 1600€[iii], preuve que le charlatanisme peut faire l’objet d’un business extrêmement lucratif.
Cette néochamane, aussi connue sous le nom de Yana Aelle, se dit être « au service de la guérison » et spécialiste de la maladie de Lyme. Elle est formée à la « guérison vibratoire », « Reiki », « fleurs de Bach »[iv], « radiesthésie » et « thérapie quantique » et prétend agir sur le corps astral[v]. Elle se définit également comme une « médium » et « passeuse d’âme » apte à visiter « les mémoires transgénérationnelles et karmiques afin de libérer les blocages ». Elle est une tenante de la « bénédiction de l’utérus » et du « féminin sacré », pratiques citées dans le rapport 2018-2020 dans le rapport de la Miviludes (Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires), elle déclare être « une déesse et une sorcière ». Elle utilise des techniques pour travailler sur les chakras et ainsi « libérer les énergies bloquées » pour « éviter les maladies ». Elle prétend également que « la physique quantique confirme maintenant que nos corps ne sont pas des matières solides, mais un orchestre des fréquences vibrationnelles. […]. Les maladies indiquent que la fréquence de vibration est déséquilibrée ». Tout ceci relève de la pensée magique New Age.
Marianne Kardasz affirme que ses consultations peuvent être remboursées par les mutuelles. Sur ce sujet, le Collectif FakeMed, une association regroupant des professionnels de santé luttant contre les pratiques charlatanesques dans le domaine de la santé et prônant la médecine fondée sur les preuves, appelait les mutuelles, dans les colonnes de L’Express, à mettre fin à leur complaisance vis-à-vis des pseudothérapies[vi]. En effet, le remboursement de ces soins infondés se fait aux dépens d’autres thérapies vraiment utiles et tend à légitimer des pratiques charlatanesques[vii].
Marianne Kardasz prétend utiliser des méthodes de physique quantique, telles que la « biorésonance » Quantum, pour trouver les causes des maladies et proposer des solutions curatives efficaces. Or, c’est pour avoir fait usage de cette méthode fantaisiste de « biorésonance » avec pour conséquence le décès d’un patient, qu’une médecin s’est vu infliger une interdiction d’exercer la médecine (confirmée par le Conseil d’État[viii]). Sur la chaîne YouTube de Médoucine, Marianne Kardasz fait la promotion de la « thérapie quantique par biorésonance » qui se baserait selon elle sur la « mesure des fréquences des cellules du corps humain » afin de diagnostiquer l’état de santé des personnes[ix]. Inutile de préciser que toutes ces allégations sont une totale supercherie. Madame Kardasz développe davantage sa doctrine sur son site internet[x] où l’on peut lire qu’elle se dit apte à diagnostiquer des cellules cancéreuses grâce à son « analyseur de résonance magnétique quantique qui permet d’avoir un bilan énergétique vibratoire ». Ces prétentions entrent dans le cadre de l’exercice illégal de la médecine puisque seuls les médecins sont autorisés à poser un diagnostic.
Marianne Kardasz prétend aussi pouvoir évaluer l’état du système cardiovasculaire, respiratoire, rénal, gynécologique, urologique, gastro-intestinal, cérébral etc. Ces revendications sont évidemment clairement mensongères et peuvent induire un retard de prise en charge adaptée, et par là même, mener à la mort. Elle prétend utiliser un scanner capable de faire à la fois des diagnostics mais aussi des thérapies. Ainsi, nombre des allégations de Madame Kardasz peuvent faire l’objet de poursuite par l’ANSM en raison d’infractions au Code de la Santé Publique (article L5122-15).
Marianne Kardasz pratique également le « décodage biologique » et affirme qu’un choc émotionnel est le facteur déclenchant des maladies. Cette méthode est pourtant fantaisiste (l’INSERM en a même fait un rapport), est largement dénoncée par la Miviludes et a fait l’objet de nombreuses condamnations pénales[xi]. Contactée en nous faisant passer pour une potentielle cliente ayant un cancer, elle nous assure que certains de ses clients font le choix « de ne pas faire de chimiothérapie ni de radiothérapie » lorsqu’ils ont un cancer et « obtiennent de bons résultats ».
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[ii] Nous souhaitons préciser que toute personne est libre de croire, ou de ne pas croire. Ce que nous dénonçons est la tromperie opérée par les pseudothérapeutes sur le consommateur (allégations thérapeutiques mensongères etc.)
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.png00Mathieu Repiquethttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngMathieu Repiquet2021-11-20 17:53:242021-11-20 17:53:26Marianne Kardasz et le charlatanisme quantique
L’intégralité des témoignages et avis laissés sur le site et le profil Médoucine de Corinne Pomponio proviennent en réalité de ses amies. Cette praticienne fait par ailleurs usage d’une méthode pseudothérapeutique charlatanesque prétendument « quantique ».
Madame Pomponio est toute nouvelle sur le réseau Médoucine. Ses certificats, qu’elle présente comme des diplômes et qu’elle met bien en valeur sur son profil[i], ne font état que de formations bidons[ii]. Elle présente sa méthode quantique comme étant « un dispositif révolutionnaire » issu de nombreuses années de recherche et permettant, grâce à une « analyse spectrale des vibrations » d’évaluer le fonctionnement du corps et de la psyché[iii]. Elle présente cette technologie comme lui permettant d’agir sur les allergies, les maladies cardiovasculaires (AVC…), les troubles psychiatriques, les troubles hormonaux, la maladie d’Alzheimer & de Parkinson, la sclérose en plaques, les maladies ORL… Il s’agit pourtant d’une méthode charlatanesque, régulièrement dénoncée par la Miviludes (l’instance étatique de lutte contre les dérives sectaires) et par les scientifiques[iv]. Elle prétend par ailleurs qu’elle peut agir à distance grâce au phénomène de « méta-espace quantique ». Une affirmation complètement délirante. De plus, ces allégations thérapeutiques sont en infraction claire et nette avec la réglementation en vigueur (article L5122-15 du Code de la Santé Publique).
100% de ses recommandations proviennent en réalité de ses amies…
Les avis publiés sur le site internet et le profil Médoucine de Corinne Pomponio proviennent en fait de ses amies. En effet, une simple inspection du profil Facebook de Madame Pomponio démontre qu’Emmanuelle M, Sabine F, Karine T, Claude M et Alexandra M figurent toutes dans ses amis[v].
Nous avons donc démontré qu’on ne peut absolument pas se fier aux avis des clients sur Médoucine.
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Si vous êtes intéressé.e par la thématique des « médecines douces », les livres du Pr. Edzard Ernst sont des références mondiales.
SOURCE
[i] Il s’agit d’un stratagème très fréquente parmi les charlatans de la santé. Le but est d’impressionner leurs clients en leur faisant croire qu’ils sont très sérieusement formés.
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2021/11/avis-verifie.png3071029Mathieu Repiquethttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngMathieu Repiquet2021-11-19 18:17:032021-11-19 18:17:54Médoucine et les avis de faux clients : une pseudothérapeute quantique prise la main dans le sac
Très suivi dans le milieu des médecines douces, Julien Allaire est l’un des praticiens Médoucine qui a le plus retenu notre attention[i]. Il se désigne comme un naturopatheiridologue « passionné de médecine quantique[ii] ». Ses séances d’iridologie coûtent 90€. Selon lui elle permet de « déterminer le fonctionnement de l’organisme, ses forces et faiblesses, son degré de résistance physique, psychique et immunologique, d’apprécier l’état des systèmes nerveux et endocrinien, le niveau de stress ainsi que les carences énergétiques et minérales ». Ses formations, coutant 1600€ par personne, sont censées apprendre à « évaluer un éventuel déséquilibre acido-basique, le niveau d’intoxication, le type de toxine envahissant et encrassant l’organisme, et surtout la localisation de la toxémie ainsi que la capacité de l’organisme à l’éliminer, avec une approche physique, émotionnelle, mentale, et énergétique ».
Il est également l’auteur d’un livre publié chez Mango rempli d’allégations mensongères[iii]. Par exemple, il prétend que la pseudoscience iridologique[iv] (qui consiste à observer l’œil en se basant sur une théorie selon laquelle l’état de fonctionnement de tous les organes serait visible sur l’iris) « permet de révéler : des prédispositions génétique et héréditaires à certaines maladies, des carences minérales ou vitaminiques […], des risques arthritiques ou rhumatismaux, une fragilité du système immunitaire » etc.
Sur Instagram[v], il prétend être apte à diagnostiquer une hépatopathie congestive (ce qui correspond, non seulement à un mensonge, mais aussi à un exercice illégal de la médecine[vi]), affirme qu’avoir les yeux bleus confère une prédisposition à développer des maladies arthritiques et que chaque vertèbre est reliée à un trouble (par exemple, la 5e vertèbre thoracique correspond à une anémie et la 7e au diabète). Il s’affiche également plusieurs fois en compagnie de Thierry Casasnovas[vii], une grande figure de la mouvance pseudothérapeutique française visée par une enquête judiciaire pour « mise en danger de la vie d’autrui », et par ailleurs la personne la plus signalée aux instances de lutte contre les sectes de tous les temps.
Paradoxalement, Julien Allaire reconnait de lui-même, dans une vidéo publiée sur sa chaîne YouTube[viii], que l’iridologie est une pratique sans base scientifique. Il sait qu’il ne peut rien démontrer à personne. Mais il facture 90€ pourtant une pratique qui repose sur des concepts fumeux. Une telle attitude de la part d’un soignant est au mieux irresponsable.
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Solange Arnaud, la directrice de Médoucine, prétend auprès du Figaro que « les spécialités proposées sur le site reposent sur des analyses de la littérature scientifique »[i]. Mais est-ce vraiment le cas ? Notre enquête révèle un nombre très élevé de praticiens utilisant des méthodes charlatanesques, répertoriées par les autorités de lutte contre les sectes, déjà sanctionnées ou relevant de la pseudoscience.
Nous estimons à plusieurs centaines le nombre de praticiens inscrits sur le réseau Médoucine et exerçant des méthodes fantaisistes ou répertoriés par la Miviludes[ii]. Parmi ces méthodes, on retrouve :
Nous rappelons que le Code de la Santé Publique condamne les allégations thérapeutiques, préventives ou diagnostiques mensongères ou infondées (article L5122-15 du CSP). Un récent rapport de la Direction Générale de la répression des fraudes (DGCCRF) a d’ailleurs mis en évidence que la majorité des praticiens de médecines douces ne respectent pas la réglementation en vigueur[xi].
Dans le Code de Déontologie de Médoucine, il est pourtant précisé que les praticiens de leur réseau doivent « se conformer aux obligations légales et règlementaires en vigueur » et qu’ils ne sélectionnent que des praticiens bien formés[xii]. Médoucine prétend également que l’on peut « consulter en toute confiance » et que leurs praticiens ont « une solide base de connaissances théoriques et pratiques »[xiii]. Notre enquête démontre que ces promesses de qualité ne sont absolument pas tenues, en témoigne leur insondable porosité au bullshit pseudo-médical. Par ailleurs, Médoucine trompe ses utilisateurs en présentant comme « professionnels de santé » des naturopathes, thérapeutes énergétiques, praticiens en décodage biologique[xiv] alors même que ces « professions » ne figurent pas sur la liste des professionnels de santé fixée par l’État.
De plus, un grand nombre de leurs praticiens recommandent l’usage de compléments alimentaires à leurs clients alors même que ceux-ci sont inutiles puisqu’une alimentation équilibrée suffit à couvrir tous les besoins. Rappelons que les compléments alimentaires sont mis sur le marché sans avoir à démontrer leur efficacité et ne peuvent en aucun cas être thérapeutiques[xv]. Il faut également noter qu’un grand nombre de praticiens Médoucine, et notamment des naturopathes, délivrent des conseils nutritionnels et diététiques, ce qui entre dans le cadre d’un exercice illégal de la profession de diététicien. En effet, exerce illégalement la profession de diététicien, toute personne qui « dispense des conseils nutritionnels » (article L4371-1 du Code de la santé publique). Rappelons que seul le titre de diététicien est réglementé, et que les appellations telles que « nutrithérapeute, coach nutritionnel… » ne le sont pas : n’importe qui peut se désigner comme tel[xvi]. L’exercice illégal de la profession de diététicien est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.
Un très grand nombre de ces naturopathes délivrant des conseils nutritionnels, recommandent de faire des « cures détox », qui sont pourtant des pratiques dépourvues de fondements scientifiques[xvii].
Nous trouvons également un nombre incalculable de praticiens prétendant utiliser la physique quantique afin d’identifier la cause profonde des maladies et libérer les mémoires cellulaires, c’est ainsi le cas de Florence Magnier[xviii], Laëtitia Delaunay, Chantal Jover, Alban Sauques et Christian Videau. C’est une ineptie bien connue des observateurs du phénomène FakeMed ayant pour seul but de légitimer des pratiques fumeuses en leur donnant une apparence scientifique et savante[xix].
Les praticiens en décodage biologique et pratiques assimilées se comptent par dizaines sur Médoucine[xx]. Ce type de pratiques figurent parmi les plus dangereuses selon la Miviludes puisqu’elles ont déjà entraîné des décès et des condamnations pénales. Elles consistent à chercher le sens et la cause des maladies à partir d’un raisonnement métaphorique et ésotérique, en sur-interprétant des coïncidences (la maladie serait la cause d’un traumatisme psychique…).
On trouve également sur Médoucine une bonne centaine de praticiens qui utilisent l’iridologie (pseudoscience selon laquelle l’iris serait le reflet du corps) comme méthode diagnostique. C’est le cas par exemple de Carole Thiebault[xxi] et d’Aurélie Fleschen Portuese[xxii], que Médoucine met même en avant à travers des vidéos YouTube.
Sur Médoucine on peut également lire que les fleurs de Bach permettent d’« augmenter le taux vibratoire »[xxiii] et « équilibrer les centres énergétiques (chakras) ».
Deux profils ont par ailleurs retenu notre attention :
Julie Cachart est une géobiologue lithotérapeute qui se dit spécialisée dans le « Haut Potentiel »[xxiv]. Elle dispense des « soins énergétiques » et vend des pierres, cristaux et bracelets censés « lutter contre la dépression »[xxv] ainsi que « régénérer les tissus » et « former des globules rouges »[xxvi]. Ces revendications sont en infraction claire et nette avec l’article L5122-15 du Code de la Santé Publique. Plusieurs condamnations ont déjà été prononcées à l’encontre de vendeurs de pierres de lithothérapie et la DGCCRF considère cette pratique comme une pseudoscience[xxvii].
Nathalie Akchiche est formée à un très grand nombre de pseudothérapies : PNL, Acces Bar[xxviii], Décodage Biologique, Psychogénéalogie et kinésiologie[xxix].
Cet article montre donc que Médoucine est extrêmement poreux au bullshit pseudothérapeutique. Les prochains articles décriront plus en détails les agissements de quelques praticiens du réseau Médoucine utilisant des méthodes pour le moins surprenantes…
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Médecin radié, exercice illégal de la médecine, faux psys, pseudothérapies ésotériques, formations fantaisistes, mensonges, incompétence et argent : nous avons enquêté sur ce qu’est vraiment le réseau Médoucine, le Doctolib des médecines douces.
Introduction au feuilleton
Fondée et dirigée par Solange Arnaud, une Polytechnicienne, la startup française Médoucine se propose de mettre en relation des utilisateurs de médecines complémentaires et alternatives (MCA) avec « un réseau de thérapeutes de confiance et qualifiés »[i]. Notre enquête démontre que ces promesses de qualité sont loin d’être tenues.
La raison d’être de cette enquête est de révéler au public les agissements de nombreux acteurs appartenant au milieu des « médecines douces », de dénoncer des pratiques commerciales trompeuses reposant sur l’abus de crédulité (d’autant plus malsaines lorsque les cibles sont des personnes souffrant de maladies), et de mettre en exergue l’incompétence notoire qui règne dans ce milieu, lorsqu’elle n’est pas accompagnée de malhonnêteté.
Jusqu’à présent Médoucine n’a fait l’objet d’aucune enquête journalistique. Elle bénéficie cependant de nombreux articles de presse élogieux écrits sans recul critique ni analyse[ii]. En fort développement ces dernières années, l’entreprise cherche à toucher davantage de public en publiant des publireportages dans le « journal » Psychologies[iii], des espaces publicitaires en masse sur Facebook[iv] et des articles sponsorisés sur le site PasseportSanté[v].
Médoucine regroupe environ 2000 praticiens. Selon notre taupe, l’inscription sur cette plateforme coûte plusieurs centaines d’euros et il faut ensuite débourser 120 euros par mois. Des services complémentaires, comme la publication de vidéo promotionnelle sur YouTube (plusieurs centaines d’euros) ou des formations pour développer ses capacités commerciales via la Médoucine Academy (jusqu’à 1000 euros) sont également disponibles. L’entreprise Médoucine est financée à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros par un fonds d’investissement appartenant à la famille Dassault.
Étant donné le volume conséquent des données que nous avons analysées, nous avons fait le choix de publier le fruit de notre enquête en plusieurs volets.
Médoucine et la désinformation médicale
Sur le web, Médoucine désinforme ses lecteurs et clients via de nombreux supports. Voici quelques fausses informations en rapport avec la santé qui sont de leur fait.
L’entreprise a publié plusieurs dizaines d’articles sur le site Passeport Santé et héberge sur medoucine.com, en plus de fiches présentant de nombreuses thérapies qu’elle propose, une centaine de billets écrits par des thérapeutes de son réseau.
Ainsi, l’article de Médoucine sur l’homéopathie[vi] est assez indicateur de leur niveau en lecture critique d’articles scientifiques. Non seulement a été réalisé un cherry picking (une stratégie qui consiste à ne sélectionner que les articles qui confirment ce qu’on a envie de montrer, et de délaisser ceux qui l’infirment), mais Médoucine mésinterprète également les études qu’elle cite. Médoucine prétend par exemple que l’homéopathie est indiquée pour « réduire les effets secondaires liés au traitement du cancer », alors même que l’étude qu’il cite dit que ce n’est pas prouvé[vii]. Il en est exactement de même concernant la prétention que l’homéopathie permet de « réduire les symptômes de l’asthme chronique »[viii]. La plus grande perle est lorsque Médoucine affirme que l’homéopathie « améliore les symptômes du reflux gastro-œsophagien » car leur revendication se base sur une pseudo-étude clinique ne valant scientifiquement rien, n’incluant qu’UN SEUL INDIVIDU et publiée par l’homéopathe Hélène Renoux[ix]. Précisons que cette homéopathe se base sur une autre pseudo-étude clinique, toujours réalisée chez un seul individu, pour affirmer que les morceaux de météorites peuvent être thérapeutiques[x].
La directrice de Médoucine recommande dans son livre (« Quelles médecines douces pour vous ? », 2018) l’utilisation d’homéopathie[xi], alors même que les documents au plus haut niveau de preuve, tel que le rapport de la Haute Autorité de Santé[xii], considèrent que l’homéopathie n’est efficace dans aucune indication. Sur médoucine.com, l’homéopathie est ainsi présentée de manière mensongère comme efficace sur les torticolis, TDAH, dégénération du cartilage (arthrose…) et les phobies[xiii].
Médoucine fait également l’éloge de la Bioénergie[xiv], une méthode régulièrement citée dans les rapports de la Miviludes(Mission Interministérielle de Vigilance de Lutte contre les Dérives Sectaires) en se basant sur un livre publié chez un éditeur d’ésotérisme (Dangles). Précisons qu’une condamnation pour viol a déjà été prononcée contre un praticien de cette méthode[xv].
Médoucine prête par ailleurs un nombre incalculable de bienfaits à l’ostéopathie[xvi] et à la chiropraxie[xvii], alors que les preuves scientifiques sont bien moins optimistes[xviii]. Ils omettent également d’évoquer les risques liés aux manipulations cervicales tels que les AVC. La pratique de l’ostéopathie viscérale et crânienne est sans fondement scientifique et représente une « dérive thérapeutique » selon le Conseil National des Masseurs-Kinésithérapeutes (CNOMK)[xix]. Une récente étude coordonnée par l’AP-HP incluant 400 patients et coordonnée notamment par le Pr. Rannou, chef du service du service de MPR (Médecine Physique & Réadaptation) de l’hôpital Cochin, conclut que l’ostéopathie n’est pas plus efficace qu’un placebo dans le cas de dorsalgies chroniques[xx]. Les professionnels de santé les plus aptes à prendre en charge ce que les ostéopathes ou chiropracteurs disent soigner, sont, outre les médecins, les kinésithérapeutes et praticiens formés en activité physique adaptée (APA).
Même si Médoucine reste plutôt prudent, de nombreuses pages de leur site présentent l’aromathérapie (l’utilisation d’huiles essentielles) et la phytothérapie (l’utilisation de plantes) comme efficaces dans de nombreuses indications, alors que des études significatives et de qualité manquent. Ces méthodes peuvent être par ailleurs particulièrement toxiques, en témoignent de nombreux avis de l’ANSES[xxi].
Médoucine présente les fleurs de Bach comme efficaces contre la dépression[xxii], or cette pratique repose entièrement sur de la pensée magique[xxiii]. Autre mensonge, l’entreprise présente la « psychogénéalogie » comme pertinente[xxiv], alors même que cette méthode est fantaisiste[xxv], répertoriée régulièrement par la Miviludes et peut induire des faux souvenirs[xxvi], ce qui peut briser des familles et déboucher sur une condamnation pénale[xxvii]. L’« analyse transactionnelle » est d’ailleurs présentée comme une « thérapie » permettant comprendre comment fonctionne la personnalité[xxviii]. Médoucine va encore plus loin concernant la PNL, qui serait une « thérapie » permettant de « reprogrammer le cerveau »[xxix]. Ces méthodes font l’objet de nombreux signalements auprès de la Miviludes et cette institution met en garde contre ces méthodes non éprouvées[xxx].
La perle revient à l’article de Médoucine sur la méthode TIPI[xxxi] : Médoucine présente cette méthode comme efficace contre les troubles anxieux, la dépression, le syndrome de stress post traumatique et les phobies, en se basant sur un site qui vend des retraites spirituelles à 1000€… Cette méthode est également citée dans plusieurs rapports de la Miviludes.
Plusieurs articles hébergés par Médoucine[xxxii] font l’éloge du « décodage biologique[xxxiii] ». Le premier est écrit par l’une de leurs naturopathes « certifiées », Marjorie Decloquement[xxxiv], dans lequel on peut lire que le « décodage biologique » agit sur les allergies. Dans le second est précisé que « le décodage biologique est un précieux outil pour interpréter les messages du corps »[xxxv]. Or, cette méthode fait l’objet d’un rapport Inserm concluant qu’il s’agit d’une méthode fantaisiste[xxxvi]. De plus, la Miviludes considère ce type de pseudoscience comme étant l’une des plus dangereuse puisqu’elle a entraîné plusieurs morts[xxxvii] et de nombreux praticiens ont fait l’objet de condamnations pénales[xxxviii].
Médoucine trouve également pertinent d’inviter sur leur chaîne YouTube[xxxix]une naturopathe[xl] iridologue, praticienne en décodage biologique et psychogénéalogie (toutes les trois des pseudosciences) pour parler du système digestif… Elle est par ailleurs formée par Irène Grosjean, une naturopathe aux propos pour le moins problématique concernant les vaccins, le cancer et le SIDA[xli]. Sur le site internet de Médoucine, des articles sont dédiés à l’éloge de l’iridologie[xlii] comme méthode diagnostique et à l’efficacité des « soins énergétiques[xliii] » sur la santé mentale. Deux pratiques qui sont totalement fantaisistes.
Médoucine met également en avant dans une série de vidéos Madame Stéphanie Kaczmareck. Madame Kaczmareck se dit « praticienne PNL & constellations familiales, sophro-analyste des mémoires prénatales » et d’être ainsi capable de retrouver des évènements traumatisants enfouis dans l’inconscient[xliv]. Elle a par ailleurs publié un livre chez l’éditeur ésotérique Leduc[xlv]. Nous avons mis la main sur une vidéo publiée sur la chaîne YouTube des éditions Leduc où celle-ci rapporte une situation où elle amène une personne à croire qu’au stade où elle n’était qu’un embryon, elle aurait entendu une conversation selon laquelle elle n’était pas désirée par sa famille et que l’embryon aurait enfouit cela dans sa conscience, ce qui explique son mal être actuel. Or, il s’agit typiquement d’une situation où des de faux souvenirs sont induits[xlvi][xlvii]. En effet, nous avons interrogé Olivier Dodier[xlviii], enseignant-chercheur en psychologie cognitive à l’Université de Nîmes et spécialiste des faux souvenirs, pour qui « les premiers souvenirs épisodiques débutent à partir de l’âge de 2 ans et demi. Une psy qui avoue avoir amené la patiente à retrouver un souvenir intra-utérin a très probablement induit un faux souvenir ». Notons que ce type de « thérapie de la mémoire retrouvée » brise des familles (comme l’explique la Miviludes[xlix]) et peut faire l’objet d’une peine de prison (pour abus de faiblesse) et plusieurs centaines de milliers d’euros d’amende[l].
Que retenir de ce premier article ?
En somme, Médoucine publie ou héberge des articles remplis d’allégations mensongères et infondées. De ce fait, l’information donnée au potentiel utilisateur des services de cette entreprise ne lui permet pas d’être éclairé quant à la méthode qu’il utilisera. Le consentement éclairé, pilier de l’éthique médicale, n’est donc pas respecté[li]. De plus, la présentation d’une méthode non éprouvée comme étant efficace peut induire des retards de prise en charge adéquate et faire l’objet de sanction par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) en vertu de l’article L5122-15 du Code de la Santé Publique).
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Si vous êtes intéressé.e par la thématique des « médecines douces », les livres du Pr. Edzard Ernst sont des références mondiales.
L’article a été mis à jour le vendredi 26 novembre 2021 : amélioration de la description des propos de Madame Kaczmareck et ajout d’une des sources de financement de Médoucine (Dassault).
[x]https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1878973021000578 . L’auteur tient à remercier l’homéopathe Hélène Renoux pour les énormes fous rires et précise que la Revue d’Homéopathie fera l’objet d’une analyse poussée et d’un autre article. L’auteur recommande également aux homéopathes qui lisent cet article le livre Fundamentals of Clinical Trials publié par Friedman et al. en 2015 chez Springer pour apprendre à mener des essais cliniques sérieux.
L’entreprise française Pungao se propose de développer le secteur des médecines complémentaires et alternatives tout en prétendant vérifier la qualité des méthodes utilisées par leurs praticiens. Qu’en est-il réellement ? Nous avons mené l’enquête…
Fondée et dirigée par Roxane Leroy Baumann, une « naturopathe en herbe œuvrant pour la prévention santé et la démocratisation des médecines douces » selon son LinkedIn[i], Pungao a pour but de mettre en relation des praticiens de médecines douces avec des utilisateurs, de la même manière que Doctolib ou Médoucine.
Officiellement, l’entreprise précise que :
« Les praticiens de ce site ne sont pas médecins. Ils ne peuvent poser de diagnostic médical, agir sur un traitement médical en cours ou en prescrire un »[ii].
« Tous les praticiens font l’objet d’un contrôle : ils sont testés, et leurs compétences, diplômes et formations sont vérifiés »[iii]. Pungao précise également que tout praticien doit « être bien formé et mettre à jour ses connaissances pour apporter l’expertise nécessaire » ainsi qu’ « appliquer les obligations légales et règlementations en vigueur relatives à sa profession »[iv].
« Les informations diffusées se basent sur des études scientifiques »[v].
À travers notre enquête nous avons pu mettre en évidence que ces revendications n’étaient pas vraies, que la vérification de la qualité des formations et méthodes pratiquées par leurs praticiens souffrait de lacunes importantes et que nombre d’informations diffusées sur leur site relevaient de la pseudoscience. Certaines méthodes diagnostiques ou pseudothérapeutiques employées sont charlatanesques et répertoriées par la Miviludes(Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les dérives sectaires).
Pungao et le bullshit quantique
L’analyse des informations diffusées par Pungao sur son site internet et ses réseaux sociaux met en évidence des allégations thérapeutiques infondées voire mensongères ainsi que des propos pseudoscientifiques à la pelle. L’entreprise achète par ailleurs des espaces publicitaires sur Facebook dans le but de toucher un plus grand nombre de personnes. Sur Instagraml’entreprise prétend que les maladies sont dues à un « déséquilibre énergétique » et qu’il faut pour cela rétablir le bon fonctionnement « chakras »[vi]. Or, ces méthodes de rééquilibrage de l’énergie font partie des pratiques les plus signalées à la Miviludes[vii] et celle-ci rappelle qu’elles sont fantaisistes et à risque de dérives sectaires.
Des propos bien plus surréalistes sont tenus par la responsable même de Pungao, Roxane Leroy Baumann. Dans un article imbibé d’ésotérisme oriental[viii], celle-ci cite une pseudo-étude publiée dans une soi-disant revue scientifique gorgée d’études bidons censées prouver l’existence des méridiens et flux d’énergie : le Journal of Acupuncture and Meridian Studies[ix], puis un site complotiste à tendance ésotérique (parlant d’OVNI…)[x]. Elle cite également comme source un livre sur les guérisseurs, écrit par Audrey Mouge, écrivant sur le site de l’INREES (qui regroupe le gratin des mystiques français) sur les médiums, la physique quantique, la géobiologie etc. Pungao présente également l’Access Bar comme une « thérapie validée scientifique » dans le « traitement de la dépression », alors qu’il s’agit d’une arnaque très lucrative[xi].
Une opposition à la médecine conventionnelle
Alors même que l’entreprise précise n’interférer avec aucun traitement médical, des articles publiés sur son site démontrent clairement son opposition à la médecine fondée sur les preuves.
Pour commencer, l’une des salariées de Pungao, Monia Lam-Chan, prétend que contrairement à la médecine conventionnelle, les naturopathes, cherchent la cause des maladies et ne se contentent pas de « traiter le symptôme ». Cet argument est régulièrement brandi par les dérapeuthes (pseudothérapeutes déviants) mais est totalement faux[xii]. Elle affirme que la naturopathie peut remplacer la médecine conventionnelle dans le cas de maladies psychiatriques et que les médicaments font plus de mal que de bien[xiii]. Cette même personne propose également de remplacer[xiv], en cas de dépression, les médicaments antidépresseurs par des « soins énergétiques », pratique fantaisiste[xv] bien connues par la Miviludes.
Mathilde Boillot, une autre salariée, réalise un festival de mésinformation médicale et de détournement des patients de la médecine basée sur les preuves vers les pseudothérapies inefficaces : elle incite à recourir à l’acupuncture qui permet selon elle « d’entretenir l’énergie cosmique et vitale, et de trouver l’équilibre parfait entre le Yin et le Yang »[xvi] ou à d’autres méthodes d’inspiration orientale sensées stimuler les méridiens pour « faire circuler le flux énergétique ». Concernant le TDAH (Trouble-Déficit Attention Hyperactivité), Mathilde Boillot invite à se détourner de la médecine conventionnelle pour la remplacer (elle parle bien d’alternative) par de la « médecine douce »[xvii]. Elle affirme également que les naturopathes et aromathérapeutes sont des professionnels de santé, alors que c’est faux[xviii]. Concernant l’eczéma, elle invite à utiliser des alternatives naturelles capables de « l’éradiquer » plutôt que des médicaments : naturopathie, homéopathie (alors même que la Haute Autorité de Santé considère que l’homéopathie n’est efficace dans aucune des indications[xix]), aromathérapie, compléments alimentaires et probiotiques[xx]. Ces allégations font l’objet d’une revue systématique de la littérature scientifique par Cochrane, qui conclue à une absence de preuve d’efficacité[xxi]. Pour finir, la fondatrice même de Pungao considère que les médicaments antidépresseurs et antalgiques sont des substances nocives[xxii].
Une porosité au bullshit pseudothérapeutique : les lacunes de la « charte qualité de Pungao »
Précisons que Roxane Leroy Baumann, la CEO de cette entreprise, affirme que pour éviter le charlatanisme, « chaque praticien est certifié. Cela signifie que ses compétences, formations/diplômes et avis ont été vérifiés et validés par mes soins. Je rencontre le praticien, je fais une séance test avec lui, je regarde ses avis Google et je vérifie sa formation ainsi que la réputation de sa formation »[xxiii]. Pourtant, certaines méthodes pratiquées par les « professionnels » inscrits sur Pungao, sont charlatanesques, imbibée d’ésotérisme New Age ou à risque de dérives sectaires. Grand nombre des thérapeutes autoproclamés répertoriés sur Pungao expliquent les maladies à partir de théories fantaisistes (la maladie serait due à un trauma psychologique, à un déséquilibre des énergies…).
On trouve sur Pungao des praticiens en la plupart des pseudothérapies possibles et répertoriées par la Miviludes. C’est le cas par exemple de Valérie Leclerc qui se dit spécialiste en soins énergétiques, lithothérapeute, radiesthésiste, médium, parapsychologue et praticienne Access Bar[xxiv]. Annabelle Bichard va encore plus loin : cette « bioénergéticienne » considère que « chaque individu est composé de champs énergétiques et que toute pathologie physique est liée à un dérèglement de ces champs »[xxv]. Nathalie Bracconnier quant à elle, prétend ré-informer les cellules à partir de soins énergétiques[xxvi]. Pour sa part, Déborah Stein prétend utiliser une méthode d’hypnose « quantique » et pratique les constellations familiales[xxvii]. Robert Ferrier pratique l’iridologie, pseudo-méthode diagnostique très en vogue chez les naturopathes[xxviii]. Tout ceci est loin d’être exhaustif…
Hélène Wadel : entre FakeMed et naufrage complotiste
Référencée sur Pungao et pratiquant bon nombre de pseudothérapies, cette magnétiseuse, rebouteuse et énergéticienne[xxix] partage sur son site des vidéos de Christian Tal Schaller, figure majeure de la complosphère française[xxx]. Elle a également été formée par Luc Bodin[xxxi]. Son mur Facebook est rempli de publications conspirationnistes (Louis Fouché, Raoult, France Soir…) et elle compare même les mesures sanitaires prises par le Gouvernement Français aux horreurs perpétrées par les nazis[xxxii]…
Stéphanie Lavenant et l’usurpation de titre de psychothérapeute
Madame Lavenant se présente sur son site[xxxiii] comme étant « psychothérapeute » alors même qu’elle n’a aucunement la formation pour s’en revendiquer et n’est pas répertoriée dans la base ADELI (qui répertorie les professionnels de santé). Le titre de psychothérapeute est protégé par la loi et l’usurpation de ce titre est punissable d’un an de prison et de 15.000 euros d’amende. Par ailleurs, elle fait usage de méthodes fantaisistes, destinés, à partir de manipulations des « énergies » réparer les déchirures suites à des opérations chirurgicale »[xxxiv]. Elle pratique également le Reiki et l’Access Bar. Contactée, elle a seulement ajouté, après sa revendication d’être « psychothérapeute », la mention « hors cadre réglementé ». Un peu comme si un naturopathe se revendiquait « médecin, hors cadre réglementé »…
C’est d’ailleurs ce type d’entourloupe qui a, en partie, conduit à faire comparaître, ces dernières jours, un naturopathe devant le tribunal de Paris pour « exercice illégal de la médecine »…
La réaction de Pungao
Avant de publier cette enquête, l’auteur de cet article a pu brièvement s’entretenir avec la responsable de l’entreprise. Depuis, quelques pages de désinformation médicale ont disparu (sur l’Access Bar et les soins énergétiques notamment), mais beaucoup restent toujours en place. Pungao a décidé d’exclure de sa plateforme quelques thérapeutes et précise par ailleurs que « dans une optique de contrôle qualité continu, notre équipe se chargera de veiller au respect des titres et pratiques » J
Pourtant, à l’heure où cet article est mis ligne, nombre de leurs praticiens faisant usage de pratiques fantaisistes (iridologie, quantique, médiumnité…) sont toujours présents.
Précisons que l’article L5122-15 du Code de la Santé Publique dispose que faire, de manière infondée, des allégations thérapeutiques, préventives ou diagnostiques est puni par la loi.
A quand une plateforme où figurent seulement des praticiens sérieusement formés à des méthodes qui ont fait leurs preuves dans certaines indications (hypnose, TCC, activité physique adaptée, diététique…) ?
Pour toute question ou volonté de partager des données, je suis joignable sur Twitter (@MathieuRepiquet), Facebook (Mathieu Repiquet) ou par mail sécurisé [email protected]
[xiii]https://blog.pungao.fr/sante-mental-naturopathie/ : « la naturopathie offre des alternatives qui peuvent vraiment venir en aide aux personnes souffrant de la maladie mentale », « Cette pratique cherche à agir non pas sur les symptômes mais sur les causes des troubles »,«La naturopathie évite les médicaments », « Les praticiens de médecine douce ont tendance à éviter les médicaments chaque fois que cela est possible. La raison est simple : les médicaments sont utilisés pour contrôler les symptômes plutôt que pour favoriser la guérison individuelle.
Le problème de cette approche est que les médicaments ont des effets secondaires qui peuvent parfois être pires que le problème traité. En outre, les types de médicaments prescrits pour les problèmes de santé mentale peuvent créer des problèmes de santé mentales supplémentaires. »
Directeur de recherche émérite au CNRS, j’appartiens au LPC (Laboratoire de Physique de Clermont-Ferrand) qui a le label d’UMR (Unité Mixte de Recherche, UMR6533). Les deux tutelles sont l’UCA (Université Clermont Auvergne) et le CNRS-IN2P3 (Institut National de Physique Nucléaire et Physique des Particules). Mes recherches s’effectuent au CERN (Laboratoire Européen pour la Physique des Particules), au sein de la collaboration mondiale ATLAS dans l’expérience éponyme, auprès du collisionneur de particules LHC (Large Hadron Collider).Les propos que je tiens dans ce billet n’engagent que moi, et je n’ai aucun lien d’intérêt avec une quelconque entreprise privée ou organisation dont je pourrais percevoir des fonds.
Avant-propos
Les propos que je tiens dans ce billet n’engagent que moi. C’est la version condensée d’un texte plus détaillé [0], citant de nombreuses sources. Quelques références, seulement, seront données dans ce billet, en conservant la numérotation du texte complet.
1. Introduction
Une publication de l’année 2019 – ″Quantum Theory as a source of insights to close the gap in Mode 1 and Mode 2 Transdisciplinarity. Potentialities, pitfalls and a possible way forward” [1] – aborde les aspects sociologiques de la ″transdisciplinarité″ en se référant à la Théorie quantique. Cyrille Rigolot, l’auteur, est agronome, chercheur à l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), membre de l’UMR (Unité Mixte de Recherche) ″Territoires″ associant AgroParisTech, INRAE, VetAgro Sup et l’UCA (Université Clermont Auvergne). Il rappelle les arguments en faveur d’une ″sociologie quantique″ et illustre son intérêt par un exemple concret dans son aptitude à réconcilier les praticiens et défenseurs de la ″Biodynamie″ et les acteurs de la Science académique.
La ″sociologie quantique″ et la ″biodynamie″ s’écarteraient de la ″science normale″, ces deux domaines convergeant vers une Science de progrès, une ″Science extraordinaire″ dans laquelle l’esprit (la conscience humaine) se confondrait avec ces activités. Le scientifique ″académique″ que je suis est parfaitement en accord avec Cyrille Rigolot sur le fait que ni la ″sociologie quantique″, ni la ″Biodynamie″ ne relèvent de la Science, mais si la Science est souvent extraordinaire, ce n’est certainement pas selon la conception défendue par les défenseurs de cette ″sociologie quantique″ ou de la ″Biodynamie″. C’est ce que je vais expliquer succinctement dans ce billet, sachant que l’argumentation approfondie est accessible sous la référence [0] … dont je recommande la lecture, y compris l’épilogue.
2. ″Sociologie quantique″ et ″Conscience quantique″
La Théorie quantique se veut vraiment ″intégrée″ à la sociologie, du moins à cette mouvance qui n’est certainement pas partagée par toute la communauté des sociologues.
Cyrille Rigolot accorde beaucoup d’intérêt à ″la conscience quantique″ (″Quantum consciousness″ ou esprit quantique), défendue notamment par Roger Penrose, récent prix Nobel de physique (2020) et Stuart Hameroof, médecin. C’est la seule tentative cherchant à ″matérialiser″ une origine quantique de l’esprit, mais elle n’est pas citée par l’auteur, lequel fait plutôt référence à Alexander Wendt, philosophe et politologue expert des relations internationales … et constructiviste, pas vraiment expert en Théorie quantique ou dans les Neurosciences. Il est utile de rappeler que le constructivisme considère que la réalité est co-construite par l’esprit humain.
D’après Penrose, authentique physicien et mathématicien, la conscience résulterait d’effets de ″gravité quantique… faisant intervenir, dans des structures au cœur des neurones, un phénomène rappelant celui de la condensation de Bose-Einstein de l’hélium superfluide et des atomes ultra-froids de béryllium″. Malheureusement, une publication de physiciens australiens a rejeté complètement les idées de Penrose et Hameroof. En outre, cette théorie physique de l’esprit, plus qu’hardie et donc invalidée, fait appel à une théorie de la ″Gravitation quantique″, en cours d’élaboration et pas encore vérifiée par des tests expérimentaux.
Cyrille Rigolot cite un autre physicien, Basarab Nicolescu, qui veut unifier les différents niveaux de réalité, y compris les niveaux spirituels et cosmiques, en mettant en avant une troisième voie entre Objet et Sujet s’inspirant du Principe de superposition de la Théorie quantique. Puis il précise l’approche ″rigoureuse″ d’Alexander Wendt, dans son ouvrage ″Quantum Mind and Social Science. Unifying Physical and Social Ontology ″ [6].
Wendt recourt à la conception philosophique du Panpsychisme, selon laquelle l’esprit est une propriété présente partout à travers le monde qui se superposerait au monde matériel. Cette affirmation est soutenue par des considérations ″vitalistes″. Cela irait même vers le ″néo-vitalisme″ défendu par le sociologue postmoderne Bruno Latour. Ce concept attribue un rôle d’acteur à notre planète, au même titre que celui assumé par les humains, si bien que l’Univers serait un ″Big quantum″, un monde quantique. Affirmer que l’Univers est un ″Big quantum″ signifie qu’un philosophe serait capable de mieux connaitre la physique que les physiciens qui n’ont jamais imaginé une telle conception de l’Univers et de la Théorie quantique: quelle découverte extraordinaire ce serait ! Quant aux autres concepts de Panpsychisme et de force vitale, ils n’ont rien à voir avec la Science, y sont rejetés depuis fort longtemps et relèvent de la métaphysique, ce que nous retrouverons dans le contexte de la Biodynamie.
″La sociologie quantique ″rigoureuse″ imaginée par Wendt a les traits suivants [6]:
La subjectivité humaine est gouvernée par les principes de la physique quantique.
Le cerveau humain est un ordinateur quantique qui reproduit usuellement la fonction d’un « projecteur holographique ».
Les êtres humains sont essentiellement une « fonction d’onde en mouvement » dont le mécanisme causal est celui d’une libre volonté.
Les structures sociales, invisibles et dotées de subjectivité et d’intentionnalité, sont des organismes purement holographiques subissant la « cohérence quantique ».
Steven R. Brown est un autre auteur recommandé par Cyrille Rigolot, en particulier dans sa publication ″A Primer on Q Methodology ″ [8], cette Méthodologie Q permettant de traiter de façon systématique des études empruntes de subjectivité, et cela dans des domaines aussi variés que les Sciences humaines, la Médecine, les Arts et bien d’autres encore. Pourquoi pas, mais quid de l’interprétation quantique de cette méthode ? L’observateur perturberait la réalité en la mesurant (Théorie Quantique) et celle-ci serait différente selon la perspective de l’observateur vis-à-vis du champ d’observation (Théorie de la Relativité) : voici la subjectivité démontrée et combattue grâce à la science qualifiée de″normale″.
Parmi les arguments de Cyrille Rigolot en faveur du concept de conscience quantique, les plus étonnants s’appuient sur des nombreux acteurs ″théoriciens″ du domaine, mais en marge, des ″chercheurs indépendants″ et des praticiens inhabituels tels que ″médiums, guérisseurs, médecins naturopathes…″. Tous ces ″brillants chercheurs indépendants″ savent-ils que les physiciens s’interrogent encore aujourd’hui sur l’interprétation de la Théorie quantique ?
3. La Biodynamie de Rudolph Steiner et de ses praticiens et défenseurs
Cette pratique agronomique est née de l’intuition du philosophe Rudolph Steiner qui n’avait aucune compétence en sciences et en agriculture, et qui inventa la doctrine ésotérique de l’Anthroposophie prônant une science spirituelle [10]. Tous les ingrédients de la Biodynamie relèvent des pseudosciences, de fausses sciences ou de la pensée magique : occultisme, astrologie, puissances telluriques et végétales, forces cosmiques, homéopathie, dimensions spirituelles, etc. Quelle crédibilité scientifique peut-on accorder à une telle argumentation?
Cyrille Rigolot se rapporte notamment à la publication des sociologues C. Compagnone et al. [12], où il est écrit que la pensée de Steiner est un ″savoir révélé″, que les ″méthodes analytiques classiques″ échouent à valider le ″savoir de la communauté de l’agriculture biodynamique″. Par contre, des techniques non validées par la ″science normale″, telles que le recours à ″l’effet Kirlian″ ou à ″la cristallisation sensible de Pfeiffer″ confirmeraient sans ambiguïté le savoir biodynamique. Le philosophe Michel Foucault est cité, plus loin le sociologue Bruno Latour. Michel Foucault est l’un des initiateurs de la philosophie postmoderne.
Cette nouvelle pratique ″ne s’appuie pas sur la seule rationalité scientifique mais fait appel aussi à l’intuition et à l’émotion″. L’émotion ? Elle apparait dans la ″dimension spirituelle … et affective dans l’activité de l’agriculteur [en Biodynamie] ″, ″une relation fusionnelle et sensorielle s’établit entre la plante et l’agriculteur… [ce qui lui permet] d’accéder à une conscience des choses ″.
D’autres auteurs, souvent des sociologues, tels Jean Foyer du CNRS, ne se contentent pas d’aborder les aspects sociologiques de la Biodynamie, ce qui n’est pas sans intérêt, mais prennent parti en faveur de celle-ci. Rien ne les étonne ! Les cornes remplies de bouse de vache et de quartz, enterrées en tenant compte des cycles lunaires et du zodiaque, servent en quelque sorte d’antennes pour le cosmos qui agit ″sur les quatre éléments (terre, eau, air/lumière, feu) qui structurent la pensée analogique de la Biodynamie″. Les différents éléments chimiques sont associés « à certaines forces et leur attribuent même une certaine subjectivité″. A titre d’exemple :″L’azote est un gaillard très intelligent, il vous renseigne sur ce que font Mercure, Vénus, etc., parce qu’il le sait, parce qu’il le ressent″.
Mais ce n’est pas suffisant ″La mémoire de l’eau [est] un point d’appui et de légitimation″.
Mais ce n’est toujours pas suffisant, à ces aspects techniques de préparation par le praticien, il convient que celui-ci y ajoute des ″rapports « amicaux » de protection, d’assistance et de coexistence sur le temps long… [avec] le végétal … Non seulement les humains entretiennent des relations de communication plus ou moins directes … avec les végétaux, mais ceux-ci sont animés d’esprits avec lesquels il s’agit de s’allier au travers de différents rituels… Il s’agit d’entrer en contact avec les « esprits du lieu » ou les êtres élémentaires … ou êtres des différents éléments (Ondines, Gnomes, Sylphes, Salamandre, etc.) [qui] font partie de la cosmogonie anthroposophe″.
Cependant, la biodynamie s’apprend. Des ″formations sont organisées sur les Perceptions des forces du vivant … en essayant de prendre conscience des différentes dimensions physiques, éthériques, astral ou spirituel de notre corps… l’objectif est d’entrer en communication avec la plante par méditation, aspiration, ou empathie … [alors] émerge généralement une tendance qui renseigne sur l’état des forces de vie de la plante ″. Les participants sont même invités à méditer, en groupe, avec les végétaux, et à échanger ″leurs perceptions des dimensions immatérielles et le développement de leur (supra)sensibilité … ″. Le ″charisme″ des formateurs est évoqué.
Tout cela n’aurait-il pas les traits d’un comportement sectaire autour d’un gourou ? Georges Fenech, qui a présidé la Mission interministérielle de vigilance et de luttes contre les dérives sectaires (MIVILUDES), évoque cette question de façon plus globale dans le cadre de l’anthroposophie [15].
Une expérimentation a réuni ″une demi-douzaine d’experts aux spécialités différentes [dont] …la coordinatrice biodynamique de l’expérimentation, un médecin homéopathe, un auteur d’un ouvrage sur la sensibilité de l’eau, une experte en force de vie ″. C’est effectivement très sérieux ! Afin de favoriser les relations des agents avec les éléments naturels, différentes techniques sont utilisées : ″pendules, baguettes, méditations, visualisations, élixirs… ou simplement sur la base de leurs ressentis… différentes techniques de rééquilibrage du lieu (géobiologie, acupuncture, hydrolats de fleurs…) ″. Les aptitudes des agents sont renforcées si ceux-ci ont d’autres qualités augmentant ″la sensibilité aux mondes supra-matériels où l’on peut percevoir des « réalités non ordinaires » … magnétiseurs, sourciers, rebouteux ou guérisseurs… ″.
La domination de l’humain sur le végétal est condamnée en termes de ″liens entre la domestication des céréales et l’origine de l’Etat, du modèle familial et de la propriété privée ou encore ceux entre plantations coloniales, racisme et rapport de genre″. Mais heureusement, ″… il existe d’autres exemples historiques ou contemporains où la relation au végétal est pensée sur un mode de compagnonnage qui peut impliquer des liens affectifs, y compris d’amour…″. Nous voici typiquement dans l’idéologie ″new age″ dont les liens avec le post-modernisme sont connus.
Mais comment accorder la ″Science normale″ et la ″Science extraordinaire″, puisque s’inspirant de Kuhn, cette Science extraordinaire qu’est la biodynamie devrait ″nourrir les réflexions sur les conditions de la transition agro-écologique″ ?
Cyrille Rigolot a LA solution : la SOCIOLOGIE QUANTIQUE !
4. La Biodynamie validée par la sociologie quantique.
Adeptes de l’esprit critique, nous pourrions dire qu’avant de chercher à valider par une explication ″physique″ la Biodynamie, peut-être serait-il judicieux de rappeler une règle fondamentale de la zététique : ″il faut s’assurer de la réalité d’un phénomène avant d’en chercher les causes″. En effet, il n’existe aucune preuve expérimentale des effets de la biodynamie, mais cela n’a aucune valeur puisque cela n’émane que de la ″science normale″ (celle qui est supposée être pratiquée à l’INRAE, au CNRS, à l’Université…) et que, de plus, la ″science extraordinaire″ possèderait ses propres méthodes ″extraordinaires″ qui valident son efficacité.
La sociologie quantique va être le sésame providentiel de Cyrille Rigolot pour ne plus douter en ″réussissant″ à concilier la biodynamie et le savoir académique. Son ″dialogue constructif″ associe deux concepts, ″méthodologiques et ontologiques″. Les aspects méthodologiques sont illustrés par la Méthodologie Q et, aussi, par les différentes approches des parties prenantes, en se référant au Principe de complémentarité de la Théorie quantique, selon deux aspects : la complémentarité liée à la position de l’observateur vis-à-vis des conditions d’observation de l’intérieur ou de l’extérieur, ou alors celle se rapportant aux conditions normatives d’observation. L’aspect ontologique est représenté par le recours à la ″conscience quantique″.
La conclusion va au-delà de la biodynamie : ″c’est une façon différente de voir le monde, justifiée par une relation fondamentalement nouvelle entre le Sujet et l’Objet″.
5. Discussion et conclusion
L’usage de la métaphore ne porte guère à confusion, car elle contient, en elle-même, l’idée d’une approche didactique d’un thème complexe ou peu connu. Le recours à l’analogie est moins explicite car il peut laisser croire qu’il s’agit d’une démonstration. A cet égard, le philosophe Jacques Bouveresse en avait montré les limites et les dangers dans son ouvrage ″Prodiges et vertiges de l’analogie″ [20], en appui du livre des physiciens Sokal et Bricmont [21] fustigeant les intellectuels postmodernes se croyant obligés d’agrémenter leurs propos philosophiques, sociologiques et autres, d’arguments scientifiques erronés et sans rapport avec le sujet traité. Qu’en est-il ici ? Les exemples sont légions dans ce billet et dans la version détaillée.
Mes arguments ne sont pas des propos de circonstance, je reprends quelques extraits de deux textes, dont l’un a été édité sur ce blog [22, 23]. Je précise tout de suite que ce qui définit la science et sa bonne pratique n’est en rien un carcan qui entraverait la liberté du chercheur et sa créativité ; bien au contraire, c’est le gage d’une approche rigoureuse, partagée par tous les champs scientifiques à travers le monde, donc favorables à la transdisciplinarité… lorsque cette dernière est raisonnable.
Les piliers de la science sont la rationalité et l’objectivité dans, à la fois, les approches théoriques et expérimentales des problématiques étudiées.
La rationalité impose un matérialisme méthodologique. L’observation ou l’expérience portent sur la ″matière″ au sens large : matière, énergie, champs de force, espace-temps… Cette notion est applicable aux sciences humaines. Dans ce cas, la matière concerne, par exemple, les données collectées à partir de tests, d’enquêtes, de recherches historiques… Rien n’est écrit à l’avance : les ″livres sacrés″ ne sont pas des livres de Science. Rien n’est révélé par des entités supérieures. La science est amorale ; elle explique ce qui est, pas ce qui doit être.
L’objectivité implique le réalisme (la nature existe indépendamment de l’observateur) et une démarche vers l’objet étudié et non vers la personne qui l’étudie.
Il en découle des critères invariants précisant ce qu’est la bonne pratique de la science. Parmi ceux-ci, le critère de réfutabilité de Popper selon lequel n’est scientifique que ce qui peut être réfuté ; un autre sur le croisement entre les disciplines : ce qui est admis dans un champ scientifique l’est dans tous les champs sous réserve que les domaines soient compatibles.
Un autre aspect présent dans les articles que nous avons analysés est le recours à des notions qui n’ont plus cours aujourd’hui dans le savoir scientifique ou qui ne sont pas reconnues par la science, la vraie, ou encore la mise en avant de praticiens de sciences parallèles. Voici un rappel de ce que nous avons trouvé: ″les quatre éléments (terre, eau, air/lumière, feu), médiums, guérisseurs, médecins naturopathes, magnétiseur, sourciers, rebouteux, expert en forces du vivant, occultisme, astrologie, puissances telluriques et végétales, forces cosmiques, mémoire de l’eau, force vitale, homéopathie, dimensions spirituelles, pendules, baguettes, méditations, visualisations, élixirs″… Ces auteurs considèrent que tous ces exemples relèvent d’une ″science extraordinaire″. Ils sont situés hors du champ scientifique dit ″normal″, celui qui a fait ses preuves dans la progression des connaissances de la nature et de l’humain, pas à pas, dans le temps long, avec des doutes, des incompréhensions, des crises. Paradoxalement, les tenants de la ″science extraordinaire″, eux, ne doutent pas.
La ″sociologie quantique″ et la biodynamie placent l‘irrationnel au premier plan. Il est question de ″révélation, occultisme, suprasensibilité, émotion, ressenti, esprits du lieu, êtres élémentaires″. Où est l’approche rationnelle de la science ? Cette subjectivité mise en avant, ces émotions, ressentis, méditations, communications avec les plantes, ne satisfont pas au critère de réfutabilité de Popper. Le dénialisme consistant à avancer que la science ″ normale ou officielle″ n’a pas autorité pour juger la biodynamie repose sur l’argumentation que la ″Science extraordinaire″ ne peut pas être validée par les techniques de cette science ″normale″, mais exclusivement par des ″méthodes extraordinaires″: ″Effet Kirlian, cristallisation sensible de Pfeiffer, pendules, baguettes, méditations, visualisations, élixirs…″. Tout cela traduit un aspect très connu de la mouvance des pseudosciences, dans laquelle les différentes pseudosciences et leurs acteurs se confortent mutuellement.
Nous avons vu que la théorie de la Relativité avait été évoquée par Brown. D’autres auteurs puisent également dans les Mathématiques, les théorèmes de Gödel en particulier. Côté français, le plus connu est certainement Edgar Morin, qui déclare à propos du doute et de l’incertitude [26]: ″Cette incertitude a été introduite dans la logique avec la conscience des limites de non-contradiction et du tiers exclu, comme avec le théorème de Gödel montrant qu’aucun système ne dispose des possibilités de s’expliquer lui-même avec ses moyens propres″. Ce n’est pas parce que Gödel a tenté de généraliser dans d’autres champs – sans succès – ses notions d’incomplétude parfaitement démontrées en logique mathématique formelle, qu’Edgar Morin doit se croire autorisé à en faire autant. Cette attitude de certains ″penseurs″ à vouloir faire dire plus de choses à un concept en dehors de son domaine propre, est sévèrement critiquée par Jacques Bouveresse : ″Le théorème de Gödel mérite … une place à part, parce qu’il est certainement de beaucoup le résultat scientifique qui a fait écrire le plus grand nombre de sottises et d’extravagances philosophiques″ [20].
Edgar Morin ne prononce jamais l’expression ″sociologie quantique″, mais c’est tout comme. Dans d’autres écrits, il critique la raison chez l’homme. Le Sujet doit intervenir dans certaines sciences humaines. Il se réfère à la mécanique quantique (dualité), la logique (Gödel, comme nous venons de le voir), l’optique (hologrammes), la thermodynamique (entropie). Il vante un retour à la ″noosphère″ chère à Teilhard de Chardin et accepte les ″orixas″ (existence réelle des esprits au Brésil).
Rassemblons toutes les idées énoncées par les différents auteurs : les rejets de la raison et de l’objectivité, la mise en avant de l’holisme, cette insistance à recourir à des penseurs postmodernes ou ayant inspiré le postmodernisme, le constructivisme (Rudolph Steiner bien sûr, Claude Compagnone, Alexander Wendt, Jean Foyer, Edgar Morin, etc.). Ne serait-ce pas la traduction d’une approche postmoderne ? La sociologie est une discipline qui compte. C’est vraiment une science, quoi qu’en dise le sociologue postmoderne Michel Maffesoli, professeur d’Université :« Pour moi, la sociologie n’est pas de la science, c’est de la connaissance. J’ai toujours essayé de mettre en place une sociologie compréhensive, pas explicative, ni quantitative » [28]. Ce professeur est, au-moins, cohérent sur un point : le postmodernisme n’est, en effet, pas compatible avec la science.
La transdisciplinarité de la sociologie est, par essence, évidente dans les sciences humaines, puisqu’il existe des recouvrements avec la philosophie, la psychologie, et même l’archéologie, l’histoire, les sciences économiques et politiques, et d’autres encore. C’est la traduction du croisement des disciplines que nous avons évoqué dans les invariants propres à la science. C’est même vrai avec des champs apparemment plus éloignés comme les sciences cognitives et les neurosciences [29, 30]. Mais faut-il aller plus loin en puisant dans les sciences dures à tout va : mathématiques, relativité, mécanique quantique ? Paradoxalement, en utilisant cette ″Science normale″ qu’est la théorie quantique pour justifier l’essor d’une ″Science extraordinaire″ qui n’a de science que le nom ? Ce recours à la ″Théorie quantique″ ne serait-il pas un nouvel avatar du postmodernisme ?
Ces intellectuels français défendant la sociologie quantique et la biodynamie ont des responsabilités. Ils sont supposés être qualifiés pour produire des connaissances robustes et les enseigner, pour vulgariser la science auprès des jeunes, du grand public et des médias. Ils relèvent d’organismes publics de recherche scientifique et/ou d’enseignement : INRAE, AgroSup, VetAgroSup, CNRS, Universités… Faut-il passer sous silence les responsabilités de ces tutelles lorsqu’elles tardent à réagir alors que la science est malmenée ? Ou parce qu’elles n’ont plus le choix ayant trop tardé… ou ne réagissent pas du tout ? L’exemple récent du sociologue du CNRS Laurent Muccielli est révélateur d’un malaise certain dans certaines pratiques ″sociologiques″ en France [31].
La biodynamie n’a aucune base ni aucune validation scientifique. L’univers n’est pas un ″Big Quantum″. La théorie quantique ne justifie en rien la Subjectivité. Bien que la mode consistant à mettre en cause … la causalité soit entretenue par des philosophes et des sociologues, la causalité reste un principe essentiel de la démarche scientifique, y compris dans la théorie quantique. Cyrille Rigolot ne démontre pas que la ″Science normale″ qu’est la théorie quantique permettrait de réconcilier les tenants de la science académique et cette science ″extraordinaire″ où seraient confondus Objet et Sujet, où rationalité et objectivité seraient rejetés au profit de l’irrationalité et d’une subjectivité associée.
Références bibliographiques
[0] François Vazeille, ″La Biodynamie crédibilisée par la sociologie quantique … et réciproquement ? ″,
[1] Cyrille Rigolot, ″Quantum Theory as a source of insights to close the gap in Mode 1 and Mode 2 Transdisciplinarity. Potentialities, pitfalls and a possible way forward”, Sustainability Science, Springer Verlag (Germany), 2019, pp.1-7. ⟨10.1007/s11625-019-00730-8⟩. ⟨hal-02290715⟩
[6] Alexander Wendt, ″Quantum Mind and Social Science″. Unifying Physical and Social Ontology″, Cambridge University Press, 2015.
[12] Claude Compagnone, Philippe Prévot, Laurence Simonneaux, Dominique Lévite, Maurice Meyer et Christophe Barbot, ″L’agronomie : une science normale interrogée par la biodynamie ? ″, Agronome, Environnement & Sociétés, Savoirs agronomiques pour l’action, 6(2), 107-112, décembre 2016.
[15] Georges Fenech, ″Gare aux gourous. Santé, bien-être″, Ed. du ROCHER, Monaco, 2020.
[20] Jacques Bouveresse, ″Prodiges et vertiges de l’analogie. De l’abus des belles-lettres dans la pensée″, Ed. Raison d’agir, Paris, octobre 1999.
[21] Alan Sokal et Jean Bricmont, ″Impostures Intellectuelles″, Ed. Odile Jacob, janvier 1997.
[22] F. Vazeille, “Sciences et pseudosciences. Comment et pourquoi en sommes-nous arrivés là ? “, Bulletin Historique et Scientifique de l’Auvergne, novembre 2021.
Initialement prévue en mai-juin 2021, l’édition est en novembre, mais le texte est inchangé.
[23] F. Vazeille, ″De l’épistémologie très personnelle de Didier Raoult à la bonne pratique de la science. Deuxième partie : la science et sa bonne pratique. ″, La menace théoriste. La tronche en biais, 2021.
[26] CNRS LE JOURNAL, N°305, septembre 2021.
[28] Michel Maffesoli, ″Interview L’OBS par Sarah Diffalah″, 21 mars 2015.
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2021/10/Article-Cyrille-Rigolo.png499980Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2021-10-06 16:06:272021-10-09 16:53:39La Biodynamie crédibilisée par la Sociologie quantique … et réciproquement ?
La question de l’origine du virus SARS-CoV2 est sur toutes les lèvres depuis quelques jours.
« Les conspi avaient raison. Les zététiciens en PLS. »
PLS : Position Latérale de Sécurité. Expression utilisée pour dire que votre contradicteur, il est cassé, complètement détruit, humilié, fini.
Quelques influenceurs en délicatesse avec la science, avec les faits, la logique et la dignité s’époumonent que ça y est, c’est plié, ils avaient raison depuis le début. Ce n’est pas la première fois qu’ils s’excitent sans conséquence sur le réel. On a vu ça avec la chloroquine, on le voit avec les vaccins. Je n’ai pas de raison de penser qu’il en ira autrement cette fois-ci.
Pour rappel, voici le paysage des théories du complot sur SARS-CoV2 depuis un an et demi :
Le virus n’existe pas.
Le virus existe. Mais il n’est pas dangereux. C’est le vaccin qui est dangereux, car il sert à éliminer la population. (Donc il ne faut pas se vacciner)
Le virus n’existe pas, mais l’idée de l’existence d’un virus dangereux rend les gens gravement malades (les hygiénistes du genre Irène Grosjean en sont convaincus)
Le virus est dangereux, et sa dissémination est encouragée par le pouvoir afin de tuer les opposants, les éveillés, qui ne se vaccinent pas (donc il faudrait se vacciner…).
Le virus est dangereux, et il est fabriqué par l’homme pour obtenir que les gens se vaccinent. Car le vaccin contient de quoi contrôler l’esprit des citoyens. Grace aux antennes de la téléphonie 5G. (Donc il ne faut pas se vacciner, mais il faut quand même se protéger, donc Cf Marseille)
Le virus est très dangereux et on discrédite Didier Raoult parce qu’il a trouvé un remède. Les puissants aux commandes veulent au choix :
1/ Gagner beaucoup d‘argent grâce à la vente de vaccins en causant une épidémie qui ruine l’économie mondiale. (Ta gueule, c’est logique)
2/ Réduire la population mondiale en tuant les pauvres (thèse du documenteur Hold Up)
Le virus dangereux a été créé secrètement par l’Institut Pasteur. Et on peut trouver facilement le brevet de cette invention sur Internet (Cf Dr Fourtillan)
Le virus est une arme biologique créée par les chinois ou les américains en intégrant des séquences du VIH dans un corona virus. Ça se voit grâce à des calculs mathématiques franchement ésotériques défendus par Luc Montagnier, Prix Nobel fan de la Mémoire de l’eau, des antibiotiques contre l’autisme, du Lyme chronique, de la Papaye contre Parkinson et autres médecines alternatives.
Les masques et le confinement ne servent à rien, car le virus n’est pas dangereux. Mais les centaines de milliers de morts sont dus à l’absence de bonnes décisions des gouvernants.
Etc
Au milieu de tout ça, l’idée que le virus s’est échappé d’un labo chinois est rapidement la thèse officielle de l’administration Trump qui est très heureux de parler de « virus chinois ».
En avril 2020 : la thèse du virus échappé d’un laboratoire…
« Nous menons une enquête exhaustive sur tout ce que nous pouvons apprendre sur la façon dont ce virus s’est propagé, a contaminé le monde et a provoqué une telle tragédie », a déclaré le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo sur la chaîne Fox News. (source)
Mais notez la nuance qui entoure cette hypothèse:
« A la différence de plusieurs thèses complotistes largement démenties par les experts, selon lesquelles il aurait pu s’agir d’un agent pathogène créé par les autorités chinoises, voire d’une arme bactériologique, ce média conservateur américain [Fox News] évoque un virus naturel, étudié dans le laboratoire. »
Les chinois démentent la thèse de la fuite accidentelle. Ils sont un peu les seuls à se montrer si catégoriques. On peut deviner pourquoi.
« Emmanuel Macron a estimé de son côté qu’il existait « des zones d’ombre » dans la gestion de l’épidémie de coronavirus par la Chine, déclarant au Financial Times qu’il y avait « manifestement des choses qui se sont passées qu’on ne sait pas ».»
Non mais attendez… Emmanuel Macron était-il un prophète ? Avait-il raison avant tout le monde ? A-t-il été traité de complotiste ? Annonce-t-il que les uns ou les autres sont en PLS ? Appartient-il au groupe de ceux qui aujourd’hui se vantent d’avoir toujours su la vérité alors que les autorités voulaient les faire taire ? Les conspirationnistes savent-ils que sur ce sujet ils pensent comme Macron ?
En mai 2020 un rapport américain envoyé au pentagone affirme apporter des preuves attestant qu’un accident s’est produit au laboratoire de Wuhan entre les 14 et 16 octobre 2019. Il est débunké par un journal américain, le Daily Beast qui montre que les « preuves » ne prouvent rien, voire sont fausses.
Ce que tout cela nous montre, c’est que l’hypothèse de la fuite accidentelle a été prise au sérieux au plus haut niveau dès avril 2020, mais que ses promoteurs argumentaient de manière malhonnête. S’il s’avère qu’une fuite a bel et bien eu lieu… (Une hypothèse qu’aucun scientifique n’a nié, à ma connaissance. Certes, beaucoup estiment que c’est improbable, et un expert ça sert aussi à nous aider à nous faire une opinion en l’absence de preuve)… si cette fuite a bel et bien eu lieu, quel scandale ! Comment se fait-il que ceux qui défendaient cette idée l’aient fait si mal, avec des preuves mal foutues permettant à des contradicteurs de les débunker facilement ? Pourquoi les conspirationnistes n’ont-ils pas travaillé à étayer cette hypothèse au lieu d’alimenter un magma d’accusations tous azimuts ? De « le virus n’existe pas, il ne tue personne », à : « Il nous faut de la chloroquine ou va tous crever ! », quelle enquête ont-ils menée ? Quel a été l’apport substantiel à la manifestation de la vérité des pages de promotion des théories du complot et des influenceurs qui font profession de dire, sans effort, que toute thèse officielle est forcément fausse ?
Si certains se posent sérieusement la question « la lutte contre le conspirationnisme fait-elle du mal à la vérité ? », la réponse est là : on a besoin que les gens arrêtent de se contenter de mauvais arguments, de mauvaises preuves, de discours simplistes et deviennent autrement plus exigeants envers eux-mêmes avant de rejeter ou d’embrasser des théories.
Tu la sens, ma grosse PLS ?
Les scientifiques prudents peuvent assumer sans complexe leurs paroles mesurées tout au long de la crise, les sceptiques et zététiciens, s’ils maîtrisent un tant soit peu les outils de ces écoles de pensée, posent de bonnes questions, soulèvent des doute raisonnables et se gardent bien d’asséner des certitudes précoces. Cela ne veut pas dire qu’ils savent mieux que les autres, mais que leur prudence épistémique leur évite de commencer par croire trop fort ce qui pourrait être faux et deviendrait un piège pour leurs biais de confirmation. (Scoop : ils sont aussi biaisés que les autres. Ceux qui l’ignorent sont dans l’imposture).
Nous n’avons pas besoin de la pensée pathologique des conspirationnistes pour faire éclater la vérité. Au contraire : ils nous bouchent la vue, ils nous gâchent le paysage, nous pompent l’air, nous fatiguent, accumulent les obstacles, les postures, les accusations, la confusion constante entre doute et soupçon. Douter qu’une thèse soit solide, ce n’est décidément pas la même chose que soupçonner des intentions derrière les évènements juste sur la base de son ressenti.
« La zététique c’est l’art du doute. Le conspirationnisme c’est la mécanique du soupçon. »
Quand est-ce qu’on biaise ? Humenscience, 2019.
Le conspirationniste ne veut pas travailler à découvrir la vérité, il veut se délecter de pouvoir se vanter d’avoir désigné les bons coupables, tel un téléspectateur fainéant devant un show de TV réalité. Ne soyez pas conspirationniste, ça vous rend cons et méchants. Vous valez mieux que ça
PS : L’affaire des email d’Anthony Fauci est-elle vraiment ce que vous croyez qu’elle est ? vérifiez un peu.
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2021/06/je-le-save.jpg460879Acermendaxhttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngAcermendax2021-06-06 11:38:482021-06-06 12:49:15« J’avais raison pour le covid » dit le conspirationniste
Présentation en vidéo des « 4 principes de la Baliverne »
Un extrait du 1er chapitre
« Nous sommes une espèce extraordinairement sociale. On peut l’oublier facilement dans le charivari des imprécations politicardes, des revendications tumultueuses, des répressions brutales et sous le grommellement quotidien auquel nous participons tous, mais dans le paysage animal de notre planète, Homo sapiens s’avère particulièrement doué pour porter secours à ses semblables, pour accorder son aide et sa confiance. On peut faire mieux, c’est une évidence, mais n’oblitérons pas cette spécificité, car elle est le terreau de la baliverne : vous ne ferez pas croire grand-chose aux membres d’une espèce où personne n’accorde sa confiance.
La confiance est une stratégie darwinienne. Nous manifestons cette compétence parce que ses déterminants héréditaires ont été favorables à la survie et à la reproduction de nos ancêtres. Faire confiance a priori à nos semblables améliore notre sort, à condition d’avoir de la mémoire et de ne pas oublier quand un mensonge est proféré afin de ne pas être trompé deux fois. Celui qui ne fait confiance à personne et ne croit rien de ce qu’on lui dit qu’il ne puisse vérifier lui-même se prive des avantages qu’il y a à faire confiance (à ceux qui en sont dignes). Surtout, il se prive de la possibilité d’apprendre à distinguer les sources fiables. Cette stratégie de la méfiance totale est étrangère à la nature humaine : les enfants croient tout ce que leurs parents leur disent et c’est une bonne disposition, car ainsi ils évitent de se mettre en danger. Nous écoutons les conseils de nos amis, ce qui nous prémunit contre nombre d’erreurs. Nous acceptons pour vrai ce que nous disent nos professeurs, ce qui nous permet d’apprendre plus d’une chose utile (pourvu qu’on se garde de penser détenir une vérité absolue). Nous reconnaissons à des professionnels une expertise sur ce que nous ignorons et nous nous fions à leurs diagnostics ainsi qu’aux solutions qu’ils préconisent. En accordant notre confiance, nous apprenons à doser notre usage du doute. Nous ne savons pas fonctionner autrement et il serait étonnant qu’une société humaine puisse se passer de ce processus.
Or, si notre vie sociale nous oblige à faire confiance, souvent, à nos semblables, nous voyons bien que rien ne saurait nous éviter d’être, de temps à autre, les victimes de tricheurs, de menteurs, d’escrocs et de baratineurs. Nous ne saurons jamais nous débarrasser des balivernes, pas plus que des illusions d’optique ou des jugements hâtifs. Notre vulnérabilité à la baliverne est un produit dérivé de notre évolution. Cela ne veut pas dire qu’il faut renoncer à en atténuer les effets néfastes ! »
Cet article est la deuxième partie du billet « De l’épistémologie très personnelle de Didier Raoultà la bonne pratique de la science » par François VAZEILLE
Directeur de recherche émérite au CNRS, j’appartiens au LPC (Laboratoire de Physique de Clermont-Ferrand) qui a le label d’UMR (Unité Mixte de Recherche, UMR6533). Les deux tutelles sont l’UCA (Université Clermont Auvergne) et le CNRS-IN2P3 (Institut National de Physique Nucléaire et Physique des Particules). Mes recherches s’effectuent au CERN (Laboratoire Européen pour la Physique des Particules), au sein de la collaboration mondiale ATLAS dans l’expérience éponyme, auprès du collisionneur de particules LHC (Large Hadron Collider).Les propos que je tiens dans ce billet n’engagent que moi, et je n’ai aucun lien d’intérêt avec une quelconque entreprise privée ou organisation dont je pourrais percevoir des fonds.
1. Cadre général
Florian Cova admet que « la philosophie des sciences ne fournit … pas de méthode scientifique générale au scientifique » [1]. Il ne m’en voudra donc pas si je conteste certains aspects de sa conception de la science et de sa bonne pratique. Il serait dommage de refuser de définir ce que sont la science et sa bonne pratique [5, 6, 7], car c’est la source de dérives qui conduisent à de la mauvaise science, voire aux pseudosciences ou à l’alterscience [18].
Mais il est regrettable que certains scientifiques réputés, et de qualité, aillent dans ce sens, comme si c’était impossible ou encore une gêne insurmontable dans la pratique de la recherche. Il n’en est rien, et comme Monsieur Jourdain pratiquait la prose sans le savoir, la quasi-totalité des scientifiques ont une bonne pratique de la science. Cela n’a rien à voir avec l’honnêteté requise des scientifiques et ce n’est pas non plus la garantie qu’il n’y ait jamais d’erreurs.
Les définitions de la science et de sa bonne pratique doivent être celles du temps présent. Elles sont une évolution des conceptions héritées des philosophes, mais en tenant compte des deux piliers, mieux définis aujourd’hui, que sont les approches théoriques et les approches expérimentales, toutes de plus en plus complexes, intriquées, et ouvertes à la communauté mondiale des scientifiques.
Mais qu’entendons-nous par « théorie » ? S’agit-il de la conception restrictive de la vie courante du style « tout cela, c’est bien théorique » ou encore « ce n’est qu’une théorie », et qui traduit une idée d’incertitude, de spéculation, d’hypothèse ? Pas du tout : il s’agit, en science, « d’un cadre général bien étayé mettant en cohérence expériences, hypothèses, lois ». La « théorie », dans un domaine donné, a un pouvoir explicatif (abduction) et même prédictif, donc vérifiable empiriquement, lorsqu’elle est suffisamment aboutie.
Florian Cova a raison d’insister sur l’ambiguïté du mot « méthode », en évoquant Feyerabend : s’agit-il d’une méthode scientifique qui se voudrait générale, valable pour tous les champs, ou des méthodes propres à chaque champ dans sa pratique de la recherche scientifique ? C’est la raison pour laquelle je préfère utiliser l’expression « bonne pratique de la science » – au lieu de méthode(s) – laquelle repose sur des invariants valables dans tous les domaines.
Cependant, se limiter uniquement à la référence à la raison dans la démarche scientifique ne rend pas compte de sa portée universelle, c’est-à-dire de la possibilité d’accéder à la compréhension de faits qui existent indépendamment de nous et de nos jugements. A ce propos, Pascal Engel évoque « l’objectivisme cognitif » [16] en ces termes: « nous pouvons avoir une connaissance d’une réalité objective indépendante de notre esprit ». Nous allons donc insister sur la notion d’objectivité, que rejette avec des mots très durs Florian Cova, certains directement liés à l’attitude de Didier Raoult, mais d’autres d’une portée plus générale. Mais ce n’est pas parce que Didier Raoult défendrait une certaine forme d’objectivité, que l’objectivité dans la science devrait être bannie.
Florian Cova conteste donc les affirmations suivantes. « Il faut que le scientifique se présent nu, vierge de toute hypothèse et de toute théorie préalable devant la nature : autrement dit, il faut qu’il soit objectif … « fauter » en laissant sa subjectivité prendre le dessus … capacité à observer le monde objectivement, sans préjugés… »
Et de façon plus générale : « la science moderne nait justement quand les scientifiques arrêtent de se contenter d’observer le monde de façon neutre et passive … la fin du culte de l’objectivité … cela n’a pas de sens de demander aux scientifiques d’être objectifs … la subjectivité du scientifique peut jouer un rôle important dans la création desdites hypothèses … Ainsi, la science ne requiert pas du scientifique qu’il soit objectif, mais qu’il soit honnête et qu’il accepte de jouer les règles du jeu scientifique … Le culte de la « neutralité » et de « l’objectivité » comme fondements de la méthode scientifique ne se limite pas à Didier Raoult et son fandom – il est aussi prégnant au sein de certaines communautés sceptiques. Il conduit généralement à conclure que les sciences humaines et sociales (qui portent sur des questions sur lesquelles il est difficile d’être « neutre » et « impartial ») ne peuvent pas être véritablement des sciences … etc.«
2. Définition de la science et de sa bonne pratique
Nous avons souligné, brièvement, que la raison est présente au plus haut point à la fois dans les aspects théoriques et dans les aspects expérimentaux de la science. Florian Cova cite, fort à propos, un extrait de la « Critique de la Raison Pure » de Kant: « Il faut que la raison se présente à la nature tenant, d’une main ses principes qui seuls peuvent donner aux phénomènes concordant entre eux l’autorité des lois, et de l’autre, l’expérimentation qu’elle a imaginé d’après ces principes… » La conception et la réalisation des expériences qui ont mis en évidence les ondes gravitationnelles et le boson de Higgs sont des illustrations exemplaires du rôle de la raison dans les dispositifs expérimentaux les plus complexes jamais réalisés.
En mettant en avant, également, les aspects théoriques de la science, il est possible de définir, en une phrase, ce qu’est la science, cadre général pour toutes les sciences sans exceptions [5]: « La science est une approche rationnelle et objective d’investigation et de compréhension de la nature, sous ses deux aspects, théorique et empirique ».
Cette définition et d’autres critères qualifiant la bonne pratique de la science [5, 6] s’appliquent à tous les champs scientifiques, y compris dans les sciences humaines, où le terme « nature » va désigner une problématique donnée… et bien entendu dans le domaine des sciences médicales, notamment dans la recherche et la mise au point d’un médicament.
3. Discussion à propos de l’objectivité et des modes d’accès à la connaissance
Les deux critères de l’objectivité que sont le réalisme et un accès possible à la connaissance indépendant des acteurs sont essentiels pour garantir la reproductibilité des résultats et une connaissance universelle, sinon la science deviendrait une illusion, un mythe cher aux tenants du postmodernisme. Cette reproductibilité doit, évidemment, tenir compte des marges d’erreur qualifiant les études. Par exemple, si le résultat s’exprime par une valeur numérique, celle-ci doit être accompagnée des incertitudes résiduelles, une fois que tous les biais ont été corrigés le mieux possible.
La confrontation aux avis des pairs est fondamentale, lors de rencontres, de conférences et, bien entendu, dans la soumission d’articles pour publication. La communication aux médias ou directement au grand public de résultats novateurs ne doit absolument pas court-circuiter ce recours aux pairs.
Réclamer que le scientifique soit honnête est un truisme ; c’est ce que nous attendons de notre plombier, de notre inspecteur des impôts … et même de notre député (C’est de l’humour !).
Lorsque Florian Cova écrit qu’à défaut d’être objectif, le scientifique doit « jouer les règles du jeu scientifique » : « ne pas crier victoire et aller clamer dans les médias qu’il a découvert la vérité en l’absence de consensus scientifique … ne pas voir dans la critique de ses collègues scientifiques une forme d’agression… tout faire pour que son hypothèse soit testée… », il a bien entendu raison, puisque cela correspond… aux exigences de l’objectivité !
Néanmoins, personne n’est parfait, et l’objectivité qui est au cœur de la démarche scientifique peut ne pas être complètement atteinte lorsque le chercheur travaille seul, ce qui est de plus en plus rare mais possible. Ce peut être également le cas du chercheur qui défend son travail au sein d’une équipe, voire d’une collaboration, mais l’objectivité gagne en qualité lorsque le nombre d’intervenants, bien entendu au fait du problème traité, devient important. L’exemple type se présente en Physique des particules où les collaborations regroupent jusqu’à 3000 personnes, avec l’exemple ultime de publications communes des deux collaborations concurrentes ATLAS et CMS du CERN, par exemple, avec un total de 5100 signataires issus de près de 350 laboratoires de 56 pays [19]. Ceci va pleinement dans le sens de l’appréciation de la philosophe anglaise Susan Haack : « la communauté scientifique en tant qu’ensemble est plus objective que n’importe lequel de ses membres pris individuellement » [20]. Bien entendu, cet aspect collectif et international de la science qui porte au plus haut point la confrontation des idées avant d’aboutir à un consensus ne peut convenir à Didier Raoult qui évoque, à diverses reprises, l’esprit de « meute« .
Contrairement à ce que prétend Florian Cova, l’objectivité du scientifique ne signifie pas que celui-ci « observe le monde de façon neutre et passive » et avec des « préjugés ». Bien au contraire, cela l’oblige à ouvrir les yeux vers l’inconnu avec un esprit libre, tout en tenant compte des difficultés de toutes sortes et des avis opposés qui sont à la fois des références et des aiguillons. Nous avons déjà évoqué les contraintes qui s’imposent à la science – à la différence des domaines littéraires selon Didier Raoult, mais celui-ci aurait pu citer aussi les arts – et qui n’ont rien à voir, comme le prétend Didier Raoult avec une forme de censure, voire de dogmes. Là encore, l’objectivité permet de se faufiler à travers tous les écueils qui entravent la démarche scientifique.
Je tiens à ajouter que, chercheur dans les sciences dures, pouvant donc être considéré comme un sceptique a priori, mais pas radical, je ne vois aucun inconvénient à considérer que les sciences humaines et sociales, de l’histoire à la sociologie et à la philosophie, relèvent véritablement de la science, exceptées les approches postmodernes. Il est intéressant, à ce titre, de rapporter les propos du sociologue postmoderne Michel Maffesoli cités par la journaliste Sarah Diffalah [21] : « Pour moi, la sociologie n’est pas de la science, c’est une connaissance. J’ai toujours essayé de mettre en place une sociologie compréhensive, pas explicative, ni quantitative. Et c’est cela que fondamentalement on me reproche ! » Dans ce cas, nous sommes bien loin, effectivement, d’une sociologie « scientifique ». Mais curieusement, les réflexions de ce sociologue confirment, et c’est un comble, que le rejet de l’objectivité est incompatible avec la science !
Il convient de ne pas confondre les modes de raisonnement conduisant à l’approche d’un problème et le cadre général d’une pratique scientifique, cadre impliquant au plus haut point les aspects humains et qui ne garantit jamais une issue positive. Florian Cova a insisté, il a raison, sur l’induction vantée de façon déformée par Didier Raoul, et il a cité un auteur, Quentin Ruyant, détaillant les « différences entre déduction, induction et abduction » [22]. A mon tour, je me permets de recommander l’ouvrage de Benjamin Germann [23] qui donne un excellent panorama de toutes les approches: déduction, induction, abduction, transduction, raisonnement hypothético-déductif, auxquelles nous pourrions même ajouter l’idée saugrenue qui vient de nulle part ou d’une situation étrangère à la science. Il est vrai que Didier Raoult a une vision erronée de l’induction. Mais si nous regardons la diapositive extraite par Florian Cova de l’exposé de Didier Raoult à l’IHU [3], nous découvrons que sa définition de la déduction est également inexacte; nous pouvons lire :« Déduction – corrélation entre données ». En réalité, des données x et y peuvent être corrélées sans pour autant impliquer que la connaissance de x permet de déduire celle de y. En effet, x et y peuvent effectivement découler d’une même origine z, c’est-à-dire avoir séparément un lien de causalité avec z. Cette confusion est assez fréquente et Didier Raoult n’y échappe pas, ce qui est dommage lorsque l’on prétend expliciter les « 3 approches de la science » selon le titre de cette diapositive. Et comme nous venons de le signaler, il existe bien d’autres modes de raisonnement.
L’objectivité implique-t-elle que le scientifique doit être « passif et neutre » ? Certainement pas, car toute réflexion dans un champ scientifique donné s’insère obligatoirement dans le cadre de ce champ et dans le vécu du chercheur. Donnons un exemple. Je veux calculer la probabilité d’occurrence d’un phénomène ayant trait à la Physique des particules, mais ce calcul n’a encore jamais été réalisé. Le mener à son terme n’est surement pas une attitude passive et, de plus, celle-ci ne sera pas neutre car, d’une part, ce calcul utilisera le formalisme de la Mécanique quantique et de la Relativité restreinte et, d’autre part, il sera confronté à des expériences, déjà réalisées ou à venir, concernant le phénomène étudié. Ajoutons que la comparaison du calcul théorique et des données expérimentales fera appel à des méthodes mathématiques relevant de techniques statistiques sophistiquées, et éprouvées, qui conduiront à des estimations objectives chiffrées sur les niveaux de confiance à accorder à cette comparaison. Cela répond au commentaire de Florian Cova selon lequel « les procédures utilisées dans le contexte de justification (pour tester les théories) doivent être assez robustes pour résister aux biais et aux préférences personnelles des scientifiques ». Restons encore quelques instants dans le monde de la Physique des particules et considérons les expériences « géantes » implantées auprès du collisionneur LHC du CERN. Leurs préparations ont pris… 20 années, avant d’observer les résultats des premières collisions en 2009: quel bel exemple d’absence de passivité ! Et la suite… jusqu’à l’année 2040, environ… Ce qui est vrai dans ce champ scientifique est transposable dans la plupart des autres domaines qui ont, chacun, leurs spécificités.
Je m’accorde parfaitement, par contre, avec Florian Cova, sur sa « conception du « falsificationnisme » de la science [qui] entraine un certain nombre de conséquences … diamétralement opposées à celles que l’on pouvait tirer de la conception inductiviste [défendue par Didier Raoult]… La première, c’est que l’erreur n’est pas une faute… ». Nous avons indiqué, plus haut, que de nombreux résultats glanés dans les expériences auprès du LHC ne validaient pas certaines prévisions théoriques, ce qui permettait de fixer des limites de validité sur certains paramètres. Par exemple, si telle particule hypothétique n’a pas été observée, cela peut signifier que, si elle existe, sa masse est tellement élevée qu’elle n’est pas encore accessible en raison de l’énergie insuffisante, fournie, actuellement, par le collisionneur pour la produire. Le résultat s’exprime, alors, sous la forme d’une limite inférieure attribuée à cette masse : autrement dit, si cette particule existe, sa masse est supérieure à cette limite.
Nous voyons l’intérêt de publier des résultats négatifs… et cela doit être vrai aussi dans la mise au point de médicaments !
Mais qu’en est-il s’il y a une erreur ? Est-ce vraiment une faute ? L’histoire des neutrinos voyageant plus vite que la lumière est un bon exemple : lors de la présentation, au CERN, des résultats surprenants, l’orateur dit à l’assistance: « aidez-nous à déceler s’il y a une erreur ! ». Il y avait effectivement une erreur de montage du dispositif expérimental (un câble mal branché !), mais la bonne pratique de la science fut respectée et permit de trouver l’erreur.
4. Discussion à propos de la démarche scientifique de Didier Raoult
Nous avons vu que Didier Raoult rejetait la raison à travers la citation d’Hölderlin et pour abonder dans le sens du postmodernisme, même si son interprétation est sujette à caution. C’est encore moins évident sur l’objectivité dont il serait le chantre d’après l’acception de Florian Cova. En effet, sa défense tous azimuts de l’hydroxychloroquine, rejetant systématiquement toutes les études opposées et soutenant les études favorables – très peu nombreuses : les siennes et celle, très douteuse, du professeur Perronne [24] – reflète un manque total d’objectivité qui ne correspond en rien à un débat scientifique serein. De plus, très concrètement, la définition de la science que nous avons donnée s’identifie parfaitement dans les études randomisées en double aveugle lors de la mise au point de médicaments.
Il contrevient au scepticisme initial, car il n’a aucun doute sur l’efficacité de son traitement, adoptant la position dogmatique qu’il reproche pourtant à la Médecine dans son ouvrage. Il interprète, comme nous l’avons signalé, de façon erronée la parcimonie. Il communique ses résultats au grand public et aux médias avant de les avoir soumis aux analyses de ses pairs dans une publication scientifique, et lorsque les articles sont publiés, ils le sont dans une revue non indépendante de son laboratoire. Il honnit le consensus sans jamais apporter d’autre justification que l’argument d’autorité très postmoderne… et un ego à la hauteur. Il a justifié son attitude en évoquant l’éthique médicale et l’urgence, interprétation contredite par toutes les instances officielles traitant de l’éthique et nombre de ses collègues [25].
Je ne me prononcerai pas sur la qualité de son approche de la science tout au long de sa carrière, les biologistes étant les mieux placés pour étayer leurs avis, même si le nombre « astronomique » de publications dont il est si fier mérite d’être approfondi. Par contre, ses écrits sur la science [2, 3] et son comportement présent démontrent qu’il en a une interprétation très personnelle. Quant à sa pratique, ce n’est pas la bonne pratique suivie par la communauté scientifique. La haine des « méthodologistes », l’argument d’autorité et du génie solitaire en opposition à la « culture de la meute » et le refus du consensus, la confusion sur les 4 caractéristiques majeures de la science que sont la théorie, l’empirisme, la raison et l’objectivité, et même le besoin d’évoquer la morale à travers une éthique mal venue. Tout cela au nom d’arguments qui l’arrangent, en particulier son culte pour le postmodernisme, la mise en avant de sa « grande culture » mêlant philosophie, littérature, poésie, et évidemment les sciences, le tout accommodé d’un humanisme qu’il prétend irréprochable et convient si bien à la bienveillance du praticien qui soigne.
Conclusion
L’introduction de Florian Cova contient déjà les arguments qui permettent de douter de la réalité du bien-fondé de la médiatisation hors du commun du Professeur Raoult à propos de la pandémie de la Covid-19 : « … la méthodologie médicale et les statistiques n’auront pas été les seules disciplines à subir les derniers outrages – la philosophie (et en particulier la philosophie des sciences) a elle aussi été durement touchée. En effet, elle a été instrumentalisée par Didier Raoult, « épistémologiste » auto-proclamé, qui s’en est servi à la fois pour se faire passer pour un grand penseur et pour justifier ses exactions contre la méthode scientifique ». Même si Didier Raoult est moins postmoderne qu’il ne le prétend, sa promotion du postmodernisme, qu’il ne définit jamais mais qui serait la clef de voute de la meilleure science, ne peut que troubler le lecteur non averti impressionné par l’autorité du savant, celui qui sait, d’après le professeur. Ce rapport à la philosophie, même s’il est factice, est qualifié d’opportuniste par Florian Cova, car il peut impressionner dans la situation difficile de la crise sanitaire que nous connaissons, mais il est également le bienvenu pour faire passer des travaux antérieurs tout autant controversés mais moins médiatisés que ceux d’aujourd’hui.
Nous avons analysé d’autres éléments, en prenant grand soin de citer les sources, qui contribuent tout autant aux doutes concernant les affirmations gratuites de Didier Raoult sur de nombreux sujets et les contradictions afférentes. Rien n’oblige Didier Raoult d’avoir un avis sur tout, d’autant plus qu’il met en garde les intellectuels à ne pas agir de la sorte afin d’éviter de « dire des âneries » : malheureusement, celles-ci sont monumentales ! Une explication possible est peut-être le fait qu’il ait écrit de nombreuses chroniques dans des journaux ou hebdomadaires, chroniques qui ont pu alimenter l’ouvrage que nous avons commenté. Mais il n’en est pas resté là, ses interventions à tous propos pendant la crise actuelle prenant le relais, avec la bénédiction de tous les médias trop heureux de disposer d’un si bon client, et aussi des célébrités, des politiques et du grand public malheureusement trop peu informés de la démarche scientifique. L’AFIS titrait [26] : « Le temps médiatique n’est pas celui de la science », alors que d’après d’autres supports et des intellectuels réputés – que nous ne citerons pas – Didier Raoult, au bout de la France, était la victime de l’establishment parisien, rôle qu’endosse avec fierté le professeur.
Nous avons montré que Didier Raoult rejette effectivement, comme l’écrit Florian Cova, la bonne pratique de la science. Ce ne serait pas gênant s’il était isolé et inconnu ; malheureusement, il enseigne, il soigne (c’est sa conviction), il communique. La controverse sur son traitement a même monopolisé trop d’équipes qui l’ont expérimenté, invalidé et même jugé risqué [27], ce qui a retardé la recherche du bon médicament. Alors que cette crise sanitaire mondiale est sans équivalent en raison de la rapidité de la propagation de l’épidémie et des informations relayées à chaque instant, nous aurions pu penser que la confiance dans la science, par nécessité, aurait dû progresser. Pas du tout, les controverses et polémiques ont tout bousculé, et aujourd’hui on doute plus de la science qu’avant la crise. Didier Raoult n’y est pas pour rien, et ce n’est pas fini, car il reste difficile de combattre la méfiance envers les vaccins seuls capables d’enrayer la pandémie.
Parler de la science, de sa bonne pratique, qui n’est pas le gage absolu de ne pas commettre d’erreur car ce n’est pas si facile de faire progresser les connaissances, demandait un minimum d’explications. C’est ce que j’ai essayé de faire, en me plaçant au plus près de l’approche du scientifique sur le terrain. Les mots-clefs sont la raison, l’objectivité, la théorie et l’empirisme. Il en découle un certain nombre de critères invariants qui s’appliquent à tous les champs scientifiques, sans exceptions. Le but ultime, quel que soit le sujet traité, est que la compréhension d’un problème scientifique soit partagée collectivement, à l’échelle mondiale, par la communauté scientifique concernée. Cette compréhension peut être incomplète, provisoire, définitive, mais face à l’inconnu, confrontée aux jugements des pairs et à l’obligation d’en rendre compte aux instances officielles et au grand public, il importe que, toujours, la modestie demeure au cœur de cette recherche scientifique qui, au fur et à mesure qu’elle avance, met à jour … de nouvelles ignorances à explorer.
[2] Didier Raoult, « De l’ignorance et de l’aveuglement. Pour une science postmoderne », CreateSpace Independent Publishing Platform, 2015.
[3] Didier Raoult, « Contre la méthode », Les jeudis de l’IHU , 13 février 2020.
[5] François Vazeille, « Sciences et pseudosciences. Comment et pourquoi en sommes-nous arrivés là ?« , Bulletin Historique et Scientifique de l’Auvergne, Parution mai ou juin 2021.
[19] ATLAS and CMS collaborations, « Combined measurements of the Higgs Boson mass in pp collisions … with the ATLAS and CMS experiments« , Physical Review Letters 114 (2015 March 26) 191803.
[20] Susan Haack, « Manifesto of a Passionate Moderate: Unfashionable Essays », University of Chicago Press, 1998.
[21] Sarah Diffalah, « Et Michel Maffesoli voulut réinventer la sociologie… seul contre tous« , Nouvel Obs, 21 mars 2015.
[22] Quentin Ruyant, « Un blog de vulgarisation pour la philosophie des sciences« , 18 juillet 2020.
[23] Benjamin Germann, « Apports de l’épistémologie à l’enseignement des sciences« , Collection « Essais », Editions Matériologistes, mars 2016.
[24] Julien Hernandez, « Une nouvelle étude à la méthodologie douteuse sur la chloroquine« , Futura Santé, 17 mai 2020.
[25] AFIS, « Ethique et l’intégrité de la recherche oubliées pendant la pandémie de Covid-19 ?« , 11 octobre 2020.
[25] Commentaires de différents médecins sur la démarche de Didier Raoult :
Mireille Roubaud, « Damien Barraud : c’est de la Médecine spectacle, ce n’est pas de la science« , La Marseillaise, 15 avril 2020.
Praticien anonyme, « Lettre ouverte à Didier Raoult », 25 mai 2020.
Dr Roche (Infectiologue à Montpellier), « Lettre ouverte à Didier Raoult : « Didier Raoult, par pitié, arrête ! » »,7 octobre 2020.
[26] AFIS, ²Le temps médiatique n’est pas celui de la science²,16 octobre 2020.
[27] Julien Hernandez, « Covid-19 : combien de morts si la prescription d’hydroxychloroquine avait été généralisée ?« , FUTURA SANTE, 28 octobre 2020 ; et « Fin de partie pour la chloroquine », 9 aout 2020.
https://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2021/05/miniature-bonne-pratique-de-la-science.jpg382678Francois Vazeillehttps://menace-theoriste.fr/wp-content/uploads/2015/08/menace_theo2-300x145.pngFrancois Vazeille2021-05-13 18:20:082021-07-26 21:22:55La science et sa bonne pratique
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